Android et la liberté des utilisateurs par Richard Stallman

Laihiuyeung Ryanne - CC byAndroid, le système d’exploitation de Google pour la téléphonie mobile, est-il véritablement un logiciel libre ?

C’est la question que s’est posée récemment Richard Stallman dans le colonne du Guardian.

« Presque » pourrait être une réponse optimiste. Mais c’est un presque subtil et complexe qui demande quelques explications et éclaircissements[1].

Parce qu’ici comme ailleurs, le diable se cache souvent dans les détails…

Android et la liberté des utilisateurs

Android and Users’ Freedom

Richard Stallman – 19 septembre 2011 – GNU.org
Traduction : Sylvain Le Menn – Creative Commons BY-ND

Dans quelle mesure est-ce qu’Android respecte les libertés de ses utilisateurs ? Pour l’utilisateur d’un ordinateur qui chérit la liberté, c’est la question la plus importante à se poser pour tout logiciel.

Dans le mouvement du logiciel libre, nous concevons des logiciels qui respectent les libertés des utilisateurs de sorte que vous comme moi puissiez échapper à l’emprise de ceux qui les dénient. Cela contraste avec l’idée de l’« open source » qui se concentre sur la façon de concevoir le code ; c’est une réflexion différente qui s’intéresse principalement à la qualité du code plutôt qu’à la liberté. Ainsi, le souci principal n’est pas de savoir si Android est « ouvert », mais s’il permet à celui qui l’utilise d’être libre.

Android est un système d’exploitation orienté principalement vers les téléphones portables. Il est constitué du noyau Linux (le noyau de Torvalds), quelques bibliothèques, une plateforme Java, et quelques applications. Sans parler de Linux, le logiciel d’Android versions 1 et 2 a été concu essentiellement par Google. Google l’a sorti sous la licence Apache 2.0, qui est une licence libre permissive sans copyleft.

La version de Linux incluse dans Android n’est pas un logiciel entièrement libre puisque qu’il contient des morceaux de code non libres (des « binary blobs »), tout comme la version de Torvalds de Linux, dont quelques-uns sont réellement utilisés dans des machines tournant sous Android. Les plateformes Android utilisent des microprogrammes non libres aussi, ainsi que des bibliothèques non libres. À part cela, le code source des versions 1 et 2 d’Android telles que faites par Google sont libres, mais ce code est insuffisant pour faire tourner l’appareil. Quelques applications qui viennent généralement avec Android sont aussi non libres.

Android est très différent du système d’exploitation GNU/Linux, car il contient très peu de GNU. En effet, le seul élément commun entre Android et GNU/Linux se résume à peu près à Linux, le noyau. Les gens qui font l’erreur de croire que « Linux » fait référence à la totalité de l’écosystème GNU/Linux s’emmêlent les pinceaux, et font des affirmations paradoxales telles que « Android contient Linux, mais ce n’est pas Linux ». Si nous évitons cette confusion au départ, la situation est simple : Android contient Linux, mais pas GNU. Ainsi Android et GNU/Linux sont majoritairement différents.

À l’intérieur d’Android, le noyau Linux reste un programme séparé, avec le code source sous licence GNU GPL version 2. Combiner Linux avec le code sous licence Apache 2.0 représenterait une violation du copyright, puisque les licences GPL version 2.0 et Apache 2.0 sont incompatibles. Les rumeurs que Google a d’une manière ou d’une autre fait passer Linux sous licence Apache sont fausses. Google n’a aucun pouvoir pour changer la licence du code de Linux, et n’a pas essayé de le faire. Si les auteurs de Linux autorisaient son usage sous la version 3 de la licence GPL, ensuite ce code pourrait être combiné avec un code sous licence Apache, et la combinaison pourrait être rendue publique sous licence GPL version 3. Mais Linux n’a pas été publié ainsi.

Google a respecté les règles de la licence GPL (General Public License ou Licence publique générale) pour Linux, mais la licence Apache sur le reste d’Android n’oblige pas à montrer le code. Google a dit qu’ils n’allaient jamais publier le code d’Android 3.0 (à part Linux), même si les exécutables ont été rendus disponibles pour le public. Le code source d’Android 3.1 est aussi retenu. Ainsi, Android 3, en dehors de Linux, est purement et simplement du logiciel non libre.

Google a dit qu’ils gardaient le code source de la version 3.0 parce qu’il était bogué, et que les gens devraient attendre la version d’après. Cela pourrait être un bon conseil pour ceux qui veulent juste faire tourner le système Android, mais les utilisateurs devraient être ceux qui prennent ces décisions. Et de toutes façons les développeurs et les bidouilleurs qui voudraient inclure des changements dans leurs propres versions pourraient très bien utiliser ce code.

Le fait de ne pas rendre publique deux versions du code source est source d’inquiétudes dans le sens que Google pourrait vouloir rendre Android propriétaire de manière permanente, que la publication de quelques versions d’Android ait été une stratégie temporaire afin d’obtenir l’aide de la communauté pour améliorer un logiciel propriétaire. Espérons que ce n’est pas le cas.

Dans tous les cas, la plupart du code source de plusieurs versions d’Android ont été publiées en tant que logiciel libre. Est-ce que ça veut dire que des machines qui utilisent ces versions d’Android respectent les libertés de l’utilisateur ? Non, ce n’est pas le cas pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la majorité des versions comprend des applications non libres de Google pour communiquer avec des services tels que Youtube et Google Maps. Celles-ci ne font pas officiellement partie d’Android, mais cela n’en fait pas un bon produit pour autant. Il y a aussi la présence de bibliothèques non libres. Qu’elles fassent partie d’Android ou pas est discutable, ce qui importe c’est que beaucoup de fonctionnalités en dépendent.

Même les exécutables qui font officiellement partie d’Android peuvent ne pas correspondre au code des versions de Google. Les constructeurs peuvent changer le code, et bien souvent ils ne publient pas le code source de leurs versions. La licence GNU GPL les oblige, en théorie, à redistribuer le code de leurs versions de Linux. Le reste du code sous licence Apache ne les oblige pas à publier le code source des versions qu’ils utilisent réellement.

Replicant, une version libre d’Android qui n’est compatible qu’avec quelques modèles de téléphones, a remplacé beaucoup de bibliothèques, et peut fonctionner sans les applications non libres. Mais il y a d’autres problèmes.

Certains modèles sont conçus pour empêcher leur propriétaire d’installer et de modifier le logiciel. Dans cette situation, les exécutables ne sont pas libres, même s’ils sont faits à partir d’une source libre qui est disponible pour vous. Cependant, certains appareils Android peuvent être «?rootés?», ce qui permet aux utilisateurs d’y installer d’autres logiciels.

Les micrologiciels importants et les pilotes sont généralement propriétaires aussi. Ceux-ci gèrent le matériel pour le réseau, la radio, le wifi, le bluetooth, le GPS, l’accélération 3D, l’appareil photo, les hauts-parleurs, et dans certains cas le microphone aussi. Sur certains modèles, quelques-uns de ces pilotes sont libres, et pour certains on peut s’en passer, mais le microphone et l’accès au réseau sont plutôt indispensables.

Le micrologiciel qui gère l’accès au réseau est préinstallé. Si tout ce que le programme se contentait de faire était de tourner dans son coin, on pourrait le considèrer comme un simple circuit. Quand on insiste sur le fait qu’un logiciel dans un ordinateur doit être libre, on peut passer sur un micrologiciel préinstallé qui ne sera jamais mis à jour, car cela ne fait pas de différence pour l’utilisateur que c’est un programme plutôt qu’un circuit.

Malheureusement, dans ce cas ce serait un circuit malveillant. Des fonctions malveillantes sont inacceptables, quelle que soit la manière dont elles sont implémentées.

Sur la plupart des téléphones Android, ce micrologiciel a tellement de contrôle qu’il pourrait transformer le produit en un appareil d’écoute. Sur certains, il peut prendre le contrôle entier de l’ordinateur principal, à travers la mémoire partagée, et peut ainsi supplanter ou remplacer le logiciel libre que vous avez installé. Avec certains modèles, il est possible d’exercer un contrôle à distance sur ce micrologiciel, et ainsi sur le téléphone tout entier, à travers le logiciel permettant l’accès au réseau. Le principe du logiciel libre, c’est d’avoir le contrôle sur la machine, et cet appareil en l’occurence ne remplit pas cette mission. Bien que n’importe quel système informatique puisse avoir des bogues, ces appareils peuvent être des bogues (Craig Murray, dans Meurtre à Samarkand, fait le récit de son rôle dans une opération de renseignement qui convertit un téléphone portable sans Android d’une cible peu suspicieuse en un appareil d’écoute).

En tout cas, le micrologiciel du téléphone permettant l’accès au réseau n’est pas l’équivalent d’un circuit, car le matériel permet l’installation de nouvelles versions, et il fonctionne dans ce but d’ailleurs. Puisque c’est un micrologiciel propriétaire, en pratique seul le fabricant peut faire de nouvelles versions, les utilisateurs ne le peuvent pas.

Pour résumer, on peut tolérer des versions non libres des micrologiciels gérant l’accès au réseau à la condition que des mises à jour ne seront pas téléchargées, elles ne prendront ainsi pas contrôle de l’ordinateur principal, et il peut seulement communiquer quand et si le système d’exploitation libre le permet. En d’autres termes, il doit avoir un fonctionnement équivalent à un circuit, et ce circuit ne doit pas être malveillant. Il n’y a pas d’obstacles à construire un téléphone Android qui a ces caractéristiques, mais nous n’en connaissons aucun.

De récentes couvertures médiatiques se sont intéressées aux guerres de brevets. Pendant les 20 ans de campagne qui ont été consacrés à l’abolition des brevets logiciels, nous avons prévenu que de telles guerres pouvaient arriver. Les brevets logiciels pourraient contraindre à la disparition de fonctions dans Android, ou même le rendre indisponible (consultez endsoftpatents.org pour plus d’informations sur les raisons nécessitant l’abolition des brevets logiciels).

Pourtant, les attaques sur les brevets, et les réponses de Google, n’ont pas de lien direct avec le sujet de cet article : comment les produits Android sont proches d’un système de distribution éthique, et comment ils échouent de peu. Ce problème mérite l’attention de la presse aussi.

Android représente une étape majeure vers un téléphone portable libre qui soit contrôlé par l’utilisateur, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Les hackers travaillent sur Replicant, mais c’est un gros travail de rendre un nouveau modèle compatible, et il reste encore le problème du micrologiciel. Même si les téléphones Android d’aujourd’hui sont considérablement moins mauvais que les smartphones d’Apple ou de Windows, on ne peut pas dire qu’ils respectent vos libertés.

Notes

[1] Crédit photo : Laihiuyeung Ryanne (Creative Commons By)




Dans les ateliers libres du futur tout objet produit est en bêta

Il y a de l’espoir. Qu’on les appelle fab lab ou, comme ici, open source workshops, il se passe véritablement quelque chose dans le monde matériel actuellement. Quelque chose qui localement nous donne envie de nous retrouver pour créer ensemble et donner du sens à cette production[1].

Dans ce monde en gestation, certains mots comme compétition, délocalisation, marketing, argent, banque, normalisation… s’estompent pour laisser place à un vivre ensemble potentiel qui sonne moins creux que dans la bouche des politiciens.

Il en aura fallu passer par internet, et par l’expérience virtuelle probante de projets collaboratifs comme le logiciel libre ou Wikipédia, pour en arriver là. Là c’est-à-dire en des lieux où il ne tient qu’à nous de faire pousser nos propres ateliers libres, tel l’Open Design City de Berlin dont nous vous racontons l’histoire ci-dessous.

Comme le dit Stallman lorsqu’il nous salue : « Happy Hacking! »

Un aperçu du futur du « Do It Yourself » : les ateliers libres – Tout produit est en bêta !

A Peek at the Future of DIY: Open-source Workshops – Every product is beta!

Jude Stewart – 4 octobre 2010 – Fast Co Design
(Traduction Framalang : Lolo le 13, Goofy, Julien, Mammig et Martin)

Le « faites-le vous-même » (NdT : Traduction littérale et non satisfaisante du DIY pour Do It Yourself) règne en maître dans le monde virtuel. Nous pouvons en effet aujourd’hui construire librement et sans trop de frais nos propres blogs, e-books et magazines Web. Par contre fabriquer des choses réelles, palpables et tangibles semble être le domaine réservé de ceux qui savent s’y prendre avec un marteau et des clous.

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Ce n’est pourtant plus le cas désormais. La révolution open source est en train de mettre la conception des produits entre les mains de tout un chacun. Prenez l’Open Design City (ODC) basé à Berlin. C’est un atelier dans lequel n’importe qui peut apprendre à faire à peu près n’importe quoi, du portefeuille en bioplastique à la lampe à pull-overs (cf ci-dessous). La recette est simple comme un sourire : rassemblez des personnes qui veulent partager des idées et collaborer, apprennez-leur à utiliser quelques machines-outils, puis faites des choses sympas ensemble.

C’est un mouvement qui peut potentiellement se substituer à la manière traditionnelle de concevoir et fabriquer industriellement des objets, voire même changer notre mode de consommation. « Je crois fortement que nous verrons émerger de plus en plus d’espaces comme celui-ci » dit Christoph Fahle d’Open Design City. « Nous ne sommes pas à proprement parler dans du développement scientifique, parce que pour que cela marche, il n’y a pas besoin d’expert en balistique. Il s’agit plutôt de favoriser les interactions sociales permettant de créer de nouvelles choses. Si vous regardez Facebook, ce bien moins sa technologie qui a influencé les usages que l’idée du réseau social

Les ateliers ouverts sont une conséquence et un prolongement de la fièvre que connaît actuellement le Do It Yourself. Il y a beaucoup de ressources et d’énergie sur des sites comme MAKE, Instructables.com et IKEAhacker ou de réseaux de vente comme Etsy et Supermarket. Aujourd’hui les gens peuvent acheter leurs propres imprimantes 3D pour moins de 1 000 $.

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Le co-fondateur Jay Cousins est arrivé dans Open Design City par une voie détournée. Il était un concepteur de produits haut de gamme spécialisé dans ce qu’il appelle la vaisselle et il fut déçu de cette expérience. « Ce travail s’est transformé en piège, tout devenait management au lieu d’être créativité » se souvient-il. « C’est ce qui m’a fait penser en un lieu où les concepteurs et les inventeurs se retrouvent ensemble pour participer à la production. » À la recherche d’une nouvelle inspiration, Jay Cousins a déménagé à Berlin en 2009 et a attéri à Palomar 5, un espace innovant sponsorisé par Deutsche Telecom (malgré son nom qui sonne très hippie). À Palomar 5, « nous avons beaucoup observé comment nous nous collaborions » dit Jay Cousins. « Vous entrez dans un intense conscience de ce qui vous soutient dans votre énergie créative et de ce qui vous bloque ». Là-bas, il rencontra Christopher Doering, un concepteur produit qui est passé par la Bauhaus University de Weimar.

Après ces six semaines à Palomar 5, tout deux eurent envie de créer leur propre atelier ouvert. La fortune souriant aux audacieux, l’occasion de présenta et, au cours du printemps dernier, Jay Cousins et Christopher Doering mirent sur pied un atelier DoIt Yourself à Betahaus, un nouvel espace de travail collaboratif dans le quartier Kreuzberg de Berlin, Open Design CIty était né.

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À Open Design City les travailleurs du premier étage peuvent déambuler au rez-de chaussée et louer des outils à l’heure ou au jour. Ils peuvent participer à un atelier ouvert dans lequel un responsable enseigne au groupe une technique particulière puis ouvre l’étage aux expérimentations.

L’équipement mis à leur disposition des participants est vaste. Ils peuvent ainsi faire joujou avec des outils (scies, scies sauteuses, marteaux…), un sérigraphe pour les textiles, du matériel photographique, des plaques électriques et un évier, de la laine, du savon et du papier-bulle pour faire du feutre, un stock généreux de fécule, de vinaigre et de glycérine qui une fois mélangés avec de l’eau et chauffés font un bioplastique modelable et modulable.

Peu d’outils sont véritablement high-tech mis à part une imprimante 3D qui imprime en pressant de fines couches de certains matériaux et qui est capable de produire une forme en utilisant les données en trois dimensions que l’utilisateur lui donne. Une telle machine ressemble à un four : une fine couche de nylon est chauffée jusqu’à ce qu’elle s’amolisse puis est injectée dans un moule dans lequel elle se durcit à nouveau. Open Design City n’a pas de découpage laser ou d’autres outils similaires permettant de le qualifier pleinement de « fablab ».

La grosse partie de l’équipement provient des dons. « Un type a un jour acheté une tonne de briques Légo blanches en choisissant d’en offrir quelques uns à l’atelier » dit Fahle.

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Apprendre à utiliser l’équipement est d’ordinaire la partie la plus difficile.

Doering se souvient d’un membre de l’ODC, une responsable de communication née en Iran qui travailait au betahaus. Elle voulait faire des énormes lettres en polystyrène expansé pour écrire des slogans lors d’un événement de soutien à la résistance iranienne (cf ci-dessous). Après avoir fait faire des devis « incroyablement cher » dans un atelier de prototypage traditionnel, elle est venue à l’ODC pensant qu’elle pourrait expliquer son projet et ensuite le laisser entre des mains plus expertes. Eh bien non. « Nous avons fait un marché : qu’elle nous aide à acheter une machine pour couper le polystyrène et on lui enseignera alors (à elle et à ses amis) comment l’utiliser » explique Doering. « Au début, elle ne cessa de répéter : Ce n’est pas possible ! Comment pourrai-je faire ça ? Mais une fois que nous avions passé 15 minutes ensemble, elle a vu comment c’est vraiment amusant et facile à faire. Elle et ses amis se sont totalement éclatés à faire ça. Ils ont passé une semaine à couper comme des dingues, monter une fausse prison en briques et inventer une méthode pour joindre les lettres. Tout ce dont il y avait besoin était ce petit coup de pouce de départ. »

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Open Design City enourage une méthode parallèle de travail qui compose avec les égos et promeut le sens du jeu. Cousins explique : « Si je crois qu’un projet doit être réalisé d’une certaine manière et Chris a une idée différente, au lieu de nous disputer pour savoir laquelle est la meilleure, nous essayons les deux méthodes en même temps et partageons ce que nous apprenons au fur et à mesure. »

Est-ce que le talent ou l’expérience importe dans ce meilleur des mondes ? Oui et non.

Doering aime la façon dont les ateliers ouverts comme Open Design City remettent en question l’idée même de qualité (d’autant que c’est le sujet de sa thèse au Bauhaus). « La qualité doit toujours répondre à certains critères objectifs, bien sûr », explique-t-il, « la culture industrielle dit : voici un produit pour une certaine utilisation et qui a une certaine valeur. Mais les objets aiment à s’échapper des carcans. Il est totalement limitant de dire : c’est une lampe, son but est de remplir l’espace avec de la lumière. Parce que c’est aussi un cadeau de votre grand-mère, c’est une touche personnelle dans votre living-room, etc. et il faut conserver cette flexibilité-là. »

Il a pris une feuille de plastique d’amidon sur l’établi et il l’a brandie. « C’est un biopolymère. Ce n’est pas résistant à l’eau et je ne sais pas combien de temps cela peut tenir en état, un an, peut-être. Voilà au contraire ce qui se passe avec les plastiques à base de pétrole : ils durent éternellement et ce n’est pas une bonne façon de penser. Nous n’aimons pas nos produits aussi longtemps ».

La valorisation des déchets (NdT : upcycling), qui récupère de vieux produits pour les recombiner dans de nouveaux objets désirables, est au programme de futurs événements de l’ODC.

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Tout cela résonne furieusement anti-industriel — et d’un certain côté c’est bien le cas.

Mais en tant que concepteur produit et pionnier du mouvement Open Design, Ronen Kadushin nous rappelle que renverser la structure du pouvoir dans l’entreprise n’est pas le but. « Vous connaissez le vieux proverbe romain à propos de la hache de votre grand-père ? » dit-il. « Mon père a changé son manche et j’ai changé la lame. Rien de ce que j’ai dans la main ne vient de mon grand-père, mais c’est toujours la sienne. C’est une tradition de valeur. Nous n’avons désormais plus d’objets qui remplissent ce besoin ; nous n’avons pas de hache. La meilleure façon de rester attaché à un produit ou un objet est de le faire soi-même. »

Vers quel avenir pourrait nous mener la fabrication libre de tels produits ?

Vers un Moyen Âge dopé au silicium, répondent Doering, Fahle et Cousins, dans lequel des artisans seraient connectés « localement » avec toute la planète grâce à internet. « Une telle perspective est un peu régressive, en fait » admet Cousins. « Elle nous ramène à l’ère du boulanger, du fabricant de meubles, du spécialiste en électronique, de votre homme à tout faire — un système distribué dans lequel nous reconnaissons mutuellement nos compétences, et les valorisons. Nous ne pouvons plus nous permettre de prendre un objet et de déclarer : « il est 100% éthique, personne n’a été blessé, aucune communauté n’a été décimée au cours de sa fabrication » parce que c’est trop complexe à gérer et non satisfaisant puisque nous demeurons passifs. Diffuser et partager la connaissance de la fabrication d’objets au sein de la communauté ODC nous apporte de la résilience tout en nous permettant de mieux nous débrouiller seuls ».

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« Mais ce n’est pas seulement une question de survie », poursuit Cousins, « Nous luttons pour nous reconnecter à une communauté et une culture de la participation. C’est un lien très puissant qui s’est progressivement étiolé au cours de ces cent dernières années ». Le paradoxe n’est qu’apparent : les déchets de la révolution industrielle devenant le matériau brut pour des ateliers de type médiéval, un mouvement rendu possible par un Internet massivement collaboratif, une population lassée de vivre virtuellement, et des machines dont le prix s’est démocratisé grâce à une base de consommateurs désireuses d’acheter de nouveaux moyens de production. Ce qui est vieux redevient alors réellement nouveau.

Notes

[1] Crédit photos : Betahaus




L’impression 3D déjà à la portée de tous avec Blender et Shapeways

Le Framablog poursuit son petit dossier sur l’impression 3D, histoire de faire comprendre à certains de quoi il s’agit et de donner à d’autres le goût d’entreprendre.

Après une courte vidéo explicative et un article de fond sur l’impact actuel et futur de la propriété intellectuelle sur l’impression 3D, voici une leçon pratique et concrète réalisée à partir du logiciel de modélisation 3D Blender.

Ce qui est intéressant ici, c’est d’abord le fait que Blender soit un logiciel libre mais c’est aussi le fait que vous n’avez pas besoin d’avoir une imprimante 3D à la maison, c’est le service en ligne Shapeways qui se charge de matérialiser l’objet à partir de votre fichier Blender et qui vous envoie le tout par la Poste.

Conclusion : on peut déjà s’y mettre !

PS : On nous signales dans les commentaires l’existence de la société Sculpteo qui propose en français un service similaire à Shapeways.

Créer des figurines imprimées 3D avec Blender et le service d’impression Shapeways

Creating 3D Printed Models with Blender and the Shapeways Printing Service

Terry Hancock – 26 mai 2011 – Free Software Magazine
(Traduction Framalang : Lolo le 13)

Un des sujets technologiques les plus intéressants de ces récentes années a été la montée en puissance de la technologie « d’impression 3D » pour le prototypage rapide de formes peines. J’avais déjà évoqué le sujet pour le Free Software Magazine, mais ce mois-ci j’ai finalement décidé de l’essayer pour mon propre compte, en créant matériellement des « figurines d’étude » (un joli synonyme de jouets) pour mon projet vidéo, Lunatics.

Dans cet article, je vais vous décrire le processus complet, depuis la création des modèles 3D jusqu’à la réception du produit fini dans ma boîte aux lettres.

La principale raison pour laquelle j’ai fait ce projet, c’est que je voulais tester les capacités du service d’impression 3D de Shapeways. Ils ont associé ce service d’impression avec une conception collaborative en ligne, ce qui crée un environnement fun et motivant pour créer et commander des figurines. C’est un service très facile à utiliser et la qualité d’impression semble être au rendez-vous. Ils proposent aussi une grande variété de matériaux d’impression comme la céramique cuite, des métaux et des plastiques.

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Figure 1 : Conçu dans Blender, exporté et téléversé chez Shapeways, livré en tant que figurine plastique imprimée – C’est cool non ?

La deuxième raison est que je désirais avoir quelque chose d’un peu plus tangible pour élaborer mon projet Lunatics. J’aime travailler avec des ordinateurs, mais parfois vous voulez avoir quelque chose de tangible à tenir et à manipuler avec vos mains quand vous essayez de figer les scènes et planifier les scripts.

Il nous fallait constuire une maquette de la colonie lunaire dans laquelle se déroule la plupart des actions du film. D’ordinaire c’est une affaire de mousse avec des plans de sols imprimés, un peu comme un jeu de plateau. Et comme pour un jeu de plateau, nous allions donc avoir besoin de figurines représentant nos personnages. Nous aurions pu opter pour des pions de Cluedo ou utiliser ceux des échecs avec un code couleur ou encore des petits chevaux, mais ça aurait été bien plus sympa si nous avions des figurines qui ressemblent réellement à nos personnages.

À la même échelle (1/100e) que ces personnages, J’ai aussi voulu créer quelques véhicules spatiaux. J’ai décidé de commencer avec le Moon Truck, un rover lunaire pressurisé conçu pour transporter fret et passagers.

Comme j’ai eu quelques difficultés à imaginer concrètement ce véhicule, il m’a semblé utile d’essayer d’externaliser cette tâche à la fois comme une maquette 3D dans un ordinateur et comme une maquette physique à tenir et à regarder.

Figurine des personnages

J’ai commencé par créer les silhouettes de mes personnages dans un brouillon Inkscape. Elles sont basées sur des figurines d’architecture du domaine public que j’ai grandement modifiées. J’en ai fait des pions comme de simples découpes sur une base ronde (à la différence de soldats de plomb ou des pions Cluedo).

Puis, j’ai sélectionné chaque personnage depuis mon dessin original sous Inkscape et je les ai copiées dans des fichiers SVG séparés (Figure 2). Je les ai sauvegardés en tant que Plain SVG pour un maximum de compatibilité.

fig_svg_prep.jpg

Figure 2 : J’ai d’abord copié le dessin des silhouettes en SVG dans des fichiers séparé et sauvegardé ceux-ci au format Plain SVG.

J’ai importé chaque SVG dans Blender en tant que curves (Figure 3). Il y avait huit personnages principaux (plus deux extras). Pour les mettre à la bonne taille (à l’échelle 1/100e, un mètre est réduit à un centimètre) j’ai décidé de prendre la convention qu’un Bender Unit (BU) serait égale à 1 cm. J’ai donc mis à l’échelle les courbes de cette façon.

fig_import_to_blender.jpg

Figure 3 : J’ai importé les objet SVG dans Blender en tant que curves.

Les courbes (curves) sont des objets spéciaux et limités dans Blender. Il vaut mieux utiliser le format mesh pour l’impression 3D. Donc, après avoir importé les courbes depuis le fichier original en SVG, j’ai du les convertir en meshes (soit ALT+C au clavier, soit Changer le type d’objet… depuis le menu Objet).

Mais après la conversion, je n’avais que le squelette, c’est-à-dire les sommets et les arêtes qui les reliaient. Pour créer une face (surface) représentant la silhouette, j’ai utilisé la fonction Beauty Fill (avec le raccourci clavier Alt+F ou en sélectionnant Mesh > Faces > Beauty Fill dans le menu Option du Mode d’édition accessible via la touche Tab). En fait, ça ne crée pas une seule surface, mais plusieurs, l’espace est alors rempli automatiquement par des triangles.

J’ai ensuite passé quelques temps à simplifier la forme. La chose la plus importante est de s’assurer que les petites surfaces sont coplanaires (appartiennent à un même plan).

fig_extruding_figure.jpg

Figure 4 : Extrusion de la silhouette.

Ensuite, il m’a fallu donner de l’épaisseur à la découpe. J’ai décidé de les faire d’un millimètre de large, ce qui correspond ici à un dixième de Blender Unit. Pour ce faire, j’ai sélectionné le mesh, puis j’ai basculé sur la vue le long de l’axe X (en tapant 3 sur le pavé numérique). Puis j’ai tapé sur Tab pour passer en Mode édition et j’ai sélectionné tous les sommets (tapez A pour basculer la sélection sur tous les sommets). Enfin, tapez la séquence E (extrude), Y (direction) et 0.1 : cela créera l’extrusion de la silhouette dans la dimension Y (Figure 4).

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Figure 5 : La représentation du personnage d’Anya montre comment la silhouette extrudée chevauche la base cylindrique.

J’ai répété l’opération pour mes dix figurines : création d’une base mesh et extrusion en cylindre mesh, en faisant se chevaucher les figurines extrudées et la base (voir Figure 5).

Il n’est pas nécessaire de fusionner les objets dans Blender, ce qui me sauve d’une trop grande complexité, mais qui donnera une légère surcharge de travail à Shapeways (en effet le calcul actuel est basé sur une analyse des meshes et ils ne compte pas les chevauchements, ainsi, vous serez facturés en double pour les volumes chevauchés).

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Figure 6 : Toutes mes dix figurines dans Blender.

Téléverser le modèle

J’ai fait cela plus d’une fois : au départ téléverser juste un des personnages puis essayer différentes combinaisons. Heureusement Shapeways ne fait pas attention si une forme consiste en une simple pièce ou en une douzaine, mais ils facturent un supplément par forme pour la plupart de leurs matériaux. Ça veut dire qu’il est généralement moins cher d’imprimer une petite collection d’objets en tant que forme simple (si vous le pouvez) en particulier dans le cas où, comme moi ici, elles sont de petite taille.

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Figure 7 : Exportation d’une forme Blender en format STL pour l’impression 3D chez Shapewys.

Quand vous avez fini votre conception, l’étape suivante est de les exporter dans un format que Shapeways va comprendre. Celui que j’ai trouvé le plus simple à utiliser est le format STL (Figure 7). Ce format est commandé par le menu d’export standard dans Blender (File > Export > STL).

Pour impimer la forme en utilisant Shapeways, j’ai commencé par aller sur le site pour m’identifier. J’ai ensuite cliqué sur le bouton “upload” tout en haut qui m’a renvoyé vers un formulaire d’envoi de ma forme (Figure 8). Le formulaire permet aussi de créer des formes pour votre propre utilisation ou pour le rendre public. En fait, comme avec d’autres service de fabrication communautaire, si vous mettez vos formes à la vente, vous toucherez une commission. N’étant pas tout à fait prêt pour rendre ces fomes libres, j’ai donc juste cliqué sur la boite privée.

fig_upload_model_shapeways.jpg

Figure 8 : Téléversement de la figurine Anya chez Shapeways.

Il est possible que vous ayez besoin de modifier ce qui a été téléversé si vous voulez que l’image apparaisse correctement, J’ai suivi quelques mauvais conseils et j’ai orienté l’axe Y en tant que “up” (haut) à la place de l’axe Z, ce qui a eu pour résultat la malheureuse Figure 9. Ça aurait été bien imprimé, mais ça donne un rendu de prévisualisation affreux.

fig_oops_wrong_way.jpg

Figure 9 : Ooops ! L’axe Z devrait être en haut si vous voulez une prévisualisation correcte (là j’ai mis Y).

Une fois que vous avez bien téléversé votre forme, vous pouvez commander une impresion 3D avec comme matériau une variété de plastiques, des pierres recomposées, quelques différents types de métal et différents finis de verre (Figure 10).

De façon pratique, l’interface calcule automatiquement le volume et le prix de chaque matériau pour que vous puissiez comparer. Le coût de pour mon lot de 10 figurines va de $3.20 avec de la pierre recomposée jusqu’à $64.40 pour de l’argent (j’ai fait mes figurines en plastique “Indigo strong and flexible” vu que j’avais utilisé de l’indigo pour les travaux artistiques des Lunatics). Le coût a été facturé en fonction des volumes calculés des formes (pas le bounding box, la vraie forme), plus un coût de base par forme.

fig_materials_costs.jpg

Figure 10 : Matériaux disponibles et prix pour mon lot de figurines.

Camion lunaire

Après le téléversement de figurines et ma tentative de les commander, j’ai découvert une autre particularité du service Shapeways : Il y a un minimum de commande de 25 dollars. Donc si je ne voulais pas gâcher mon argent, il me fallait commander autre chose. J’ai donc décidé de créer une autre forme au 1/100e, cette fois un des véhicules créés pour mon projet Lunatics (Figure 11). Je ne vais pas vous faire le détail de la création, mais c’est bien entendu une conception plus complexe.

fig_moontruck_in_blender.jpg

Figure 11 : La conception du camion lunaire dans Blender (je n’ai pas imprimé le module passager sur la droite).

J’ai fait un camion en plusieurs parties qui seront assemblables après coup. C’était en partie pour permettre un assemblage modulaire avec des pièces d’autres modèles (les boogies à quatre roues sont supposés être enlevables sur le camion réel par exemple). Pour d’autres il a été plus facile de faire des formes creuses avec des paroies fines qui ne coûteraient pas tant que ça à imprimer. Le couvercle amovible sur le module l’est aussi pour pouvoir accéder à l’intérieur, bien qu’il n’y ait pas vraiment de détails à l’intérieur (mais je pourrai en ajouter dans une prochaine version).

Vous pouvez commander les pièces en utilisant un simple système de vérification, comme n’importe quel site d’e-commerce. En tant que produits fabriqués à la demande, il y a des délais de fabrication en plus des délais de livraison à inclure dans le bon de commande (Figure 12).

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Figure 12 : Shapeway s’engage sur un délai de fabrication de 10 jours dans la vue du panier d’achat.

Livraison

Bon, cet article ne serait pas complet sans les photos des produits tels que je les ai reçus ! Ils arrivent dans de jolis petits emballages, un par forme, comme vous pouvez le voir sur la Figure 13.

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Figure 13 : Mes objets, tels qu’ils me sont arrivés depuis Shapeways.

J’étais content de voir qu’il n’y a pas eu de figurines cassées (séparées de leur socle). Le camion est arrivé en pièces comme prévu (Figure 14).

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Figure 14 : Le camion a été imprimé en cinq parties (châssis principal et cabine, deux boogies à quatre roues, un conteneur et le toît de la cabine).

L’assemblage du camion a marché dès le premier essai. Les roues sont plus glissées qu’emboitées, mais elles restent en place comme il faut. La prise du sas était passablement dure à ajuster et il a fallu un peu forcer mais le plastique a résisté (Figure 15).

fig_assembling_truck.jpg

Figure 15 : Assemblage des composants du camion lunaire.

Il est intéressant d’examiner la texture de près. Il est possible de voir les faces du modèle original sous Blender (les formes cylindriques sont en fait des polygones à très grand nombre de côtés, comme dans le haut du boogie à quatre roues de la Figure 16)

fig_quad.jpg

Figure 16 : Zoom sur un des boogies, notez les lignes dûes à la méthode d’impression.

Et voila !

Il faut vous avouer que j’avais espéré que les roues tournent. J’ai essayé de concevoir un modèle articulé comme un challenge, mais apparemment je n’ai pas dû laisser suffisamment de jeu pour ça et elles sont donc coincées comme si elles étaient imprimées en bloc. C’est un des nombreux problèmes de conception que j’étudierai avant de tenter d’imprimer ces figurines à nouveau.

La Figure 17 montre les figurines assemblées avec un sous et un DVD pour donner une idée de l’échelle. Je suis ravi d’avoir pu tester cette technologie sur quelle j’écrirai certainement à nouveau et j’espère avoir fait quelques émules parmi les courageux lecteurs.

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Figure 17 : Mes pièces complètes avec un penny et un DVD pour l’échelle.

Mais je vais arrêter d’écrire. J’ai trop envie de jouer là avec ma voiture lunaire 🙂




Vidéo : L’impression 3D pour les… enfin ceux qui ne connaissent pas bien

Le magazine Nouvo, de la Télévision suisse romande (TSR) est peut-être la meilleure émission du PAF (Paysage Audiovisuel Francophone) pour tout ce qui concerne les « nouvelles tendances et technologies ».

Tel est du moins notre avis puisqu’avec ce reportage sur l’impression 3D, ce sera déjà notre quatrième extrait du magazine (cf Microsoft Office à l’école française : stop ou encore ? et Pourquoi je vais voter pour le Parti Pirate sans oublier Un excellent reportage de la TSR sur le devenir des dons à Wikipédia).

On voit bien que les industriels sont sur les rangs mais les bidouilleurs également 😉

Imprime-moi un mouton – Nouvo.ch – émission du 15 avril

—> La vidéo au format webm

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L’impression 3D, ce sera formidable… s’ils ne foutent pas tout en l’air !

Cory Doctorow - CC by-saL’impression 3D est en train de naître sous nos yeux.

Demain il sera ainsi possible de reproduire toute sorte d’objets chez nous aussi facilement, ou presque, qu’un texte numérique se couche sur le papier à l’aide de notre bonne vieille imprimante 2D.

Les conséquences potentielles de la démocratisation d’un tel outil donnent le vertige et suscitent espoir et enthousiasme parmi les makers du monde entier[1].

Pour rappel, l’impression 3D est une technique qui permet de produire un objet réel à partir d’un fichier CAO en le découpant en tranches puis en déposant ou solidifiant de la matière (plastique, cire, métal…) couche par couche pour, en fin de compte, obtenir la pièce terminée. C’est l’empilement de ces couches qui crée un volume.

Si le concept et la technologie vous semblent encore un peu obscurs, je vous invite à regarder cette courte vidéo. En moins de 24h deux designeuses vont concevoir sur ordinateur une jolie salière et un beau poivrier qu’elles verront ensuite se matérialiser, non sans émerveillement, dans un fab lab qui possède une imprimante 3D (en l’occurrence une MakerBot).

Pour le moment on se déplace donc chez ceux qui disposent d’une telle imprimante, imprimante encore rudimentaires dans ses possibilités. Mais un jour on pourra créer directement des objets de plus en plus complexes depuis la maison. Et on finira par trouver de moins en moins de mobilier Ikea lorsque nous seront invités chez nos voisins 😉

On ne s’en étonnera pas. Puisqu’il s’agit de créer, d’améliorer, de bidouiller, de remixer… à partir de fichiers CAO conçus à l’origine sur ordinateur, le logiciel libre et sa culture sont directement concernés et déjà en première ligne. Il suffit en effet de créer ces fichiers sur des applications libres, de leur accoler une licence libre, de les partager sur Internet, de faire l’acquisition d’une imprimante open source comme la RepRap (cf cet article pionnier du Framablog) ou la Fab@home, et tout est en place pour que se constitue petit à petit une solide communauté autour de l’impression 3D.

Tout est en place également pour qu’on aboutisse à un monde où il fera mieux vivre, Songez en effet à un monde où les quatre libertés du logiciel s’appliquent également ainsi aux objets domestiques : liberté d’usage, d’étude, d’amélioration et de diffusion. Ne sommes-nous pas alors réellement dans des conditions qui nous permettent de nous affranchir d’une certaine logique économique et financière dont nous ne ne pouvions que constater impuissants les dégâts toujours plus nombreux ?

Il n’y a alors plus de fatalité à subir frontalement le marketing, les délocalisations, la concentration aux mains de quelques uns, le développement insoutenable, etc. Ce blog est un peu idéaliste parfois mais je crois qu’on tient véritablement ici quelque chose susceptible de faire bouger les lignes.

Mais, car il y a un gros, un ÉNORME mais, on peut d’ores et déjà être certain que tout ou partie de l’industrie des produits manufacturés ne s’en laissera pas conter.

Et si nous n’y prenons garde il se produira exactement ce que nous connaissons aujourd’hui avec la musique, où les industries culturelles abordent le problème à rebours en faisant tout pour que les gouvernements durcissent la législation, étouffent la création et criminalisent les internautes.

C’est l’objectif de cette exigeante et longue traduction ci-dessous que d’exposer et anticiper les problèmes qui ne tarderont pas à arriver au fur et à mesure que se développera et se déploiera l’impression 3D. Afin que nous soyons déjà informés et prêts à agir le cas échéant pour défendre et promouvoir cette technologie révolutionnaire.

Des problèmes qui s’annoncent juridiquement complexes. Parce que si la musique ne touche qu’à la question du droit d’auteur, un objet reproduit peut non seulement avoir à faire avec ce dernier mais également concerner les brevets, le design et le droits des marques, pour ne citer qu’eux.

C’est donc aussi à un instructif voyage au travers des méandres de la propriété intellectuelle que nous vous invitons, en nous excusant déjà si d’aventure nous avions commis quelques inexactitudes de profane dans la traduction (sachant de plus que certains termes n’existent que dans la législation américaine).

Le propos de l’auteur Michael Weinberg, de l’association Public Knowledge, s’articule en deux parties claires et distinctes. La situation telle que nous la connaissons aujourd’hui, délicate mais encore relativement douce et tolérante vis-à-vis de la reproduction d’objets, et celle de demain qui verra nécessairement la situation se tendre et évoluer vers une pression croissante pour modifier, voire tordre, les lois vers plus de restriction et de contrôle. Jusqu’à menacer l’existence même de l’impression 3D en criant partout à la contrefaçon si nous n’y faisons rien.

Notre manière de faire à nous est donc de vous proposer cet article. Nous avons besoin de l’April ou la Quadrature du net pour défendre le logiciel libre ou la neutralité d’Internet. Nous aurons besoin d’autres structures demain pour défendre l’impression 3D et derrière elle toute la culture amateur, artisanale et principalement non marchande (au sens noble des termes) du Do It Yourself et du Do It With Others.

Le scénario n’est pas écrit d’avance. Nous avons un peu de temps devant nous car l’impression 3D n’est pas encore aux portes de chaque foyer. Mais quand ce temps adviendra, il faudra prendre garde à ce que ces portes s’ouvrent sans entrave et qu’elles n’aient pas de verrous dont nous n’avons pas la clé.

Tony Buser - CC by

CE SERA FORMIDABLE S’ILS NE FOUTENT PAS TOUT EN L’AIR

L’impression 3D, la propriété intellectuelle et la bataille autour de la prochaine grande technologie de rupture

It Will Be Awesome if They Don’t Screw it Up: 3D Printing, Intellectual Property, and the Fight Over the Next Great Disruptive Technology

Michael Weinberg – 10 novembre 2010 – PublicKnowledge.org
(Traduction Framalang : Daphné Kauffmann)

Ce livre blanc intitulé « Ce sera incroyable s’ils ne foutent pas tout en l’air : L’impression 3D (NdT : 3D Printing), la propriété intellectuelle et la bataille autour de la prochaine grande technologie de rupture » (NdT : disruptive technology) examine comment la propriété intellectuelle (NdT : IP law) a un impact sur la technologie émergente de l’impression 3D et comment l’oligarchie (NdT : Incumbent) qui se sent menacé par sa croissance pourrait être tenté de l’utiliser pour l’arrêter.

Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du livre blanc, mais pour une version plus léchée en couleur et en images, consultez le pdf (en anglais).

Pour observer cette technologie en action et écouter des interviews d’experts sur la question, voir notre page dédiée à l’impression 3D.

Introduction

Une chance et un avertissement

La prochaine grande technologie de rupture est en train de se mettre en place hors de notre vue. Dans de petits ateliers et bureaux anonymes, des garages et des sous-sols, des révolutionnaires sont en train de bricoler des machines capables de transformer des données numériques en atomes physiques. Ces machines peuvent ainsi télécharger des plans pour une clef à molette à partir du Net et imprimer une vraie clef qui fonctionne. Les usagers dessinent leurs propres bijoux, équipements ou jouets à l’aide d’un programme informatique, et utilisent leurs machines pour créer de vrais bijoux, de vrais équipements ou de vrais jouets.

Ces machines, dont le nom générique est « imprimantes 3D », ne viennent pas du futur ni d’un roman de science fiction. Des versions à usage domestique, imparfaites mais bien réelles existent déjà et peuvent être acquises pour environ 1 000 $. Chaque jour elles s’améliorent et se rapprochent du grand public.

Par bien des aspects, la communauté de l’impression 3D d’aujourd’hui ressemble à la communauté de l’ordinateur personnel (PC) du début des années 90. Il s’agit d’un groupe relativement restreint, très compétent techniquement, dont tous les membres sont curieux et passionnés par le fort potentiel de cette nouvelle technologie. Ils bricolent leurs machines, partagent leurs découvertes et créations, et sont pour le moment davantage concentrés sur les possibilités offerts que sur le résultat obtenu. Ils bénéficient également de la révolution de l’ordinateur personnel : le pouvoir de communication du Net leur permet de partager, innover et communiquer bien plus vite que le Homebrew Computer Club n’aurait pu l’imaginer (NdT : un célèbre club informatique du début des années 80).

La révolution de l’ordinateur personnel met aussi en lumière certains pièges que pourraient rencontrer la croissance de l’impression 3D. Quand l’oligarchie a commencé à comprendre à quel point l’utilisation d’ordinateurs personnels pouvait être perturbatrice (en particulier les ordinateurs personnels massivement connectés), les lobbys se sont organisés à Washington D.C. pour protéger leur pouvoir. Se rassemblant sous la bannière de la lutte contre le piratage et le vol, ils ont fait passer des lois comme le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) qui a rendu plus difficile l’utilisation nouvelle et innovante des ordinateurs. En réponse, le public a redécouvert des termes autrefois obscurs comme le « fair use » et s’est mobilisé avec vigueur pour défendre son droit à discuter, créer et innover. Malheureusement, cette large prise de conscience du public est arrivée après les lois restrictives adoptées par le Congrès.

Bien sûr, les ordinateurs n’étaient pas le premier exemple technologique de limitation contrainte et imposée. Ainsi l’arrivée de la presse écrite a entraîné de nouvelles censures par de nouvelles lois créées pour ralentir la diffusion de l’information. Et n’oublions pas que l’industrie du divertissement prétendait que l’enregistrement sur cassette lui serait fatal (l’exemple le plus mémorable est celui de l’industrie du film, qui comparait le magnétoscope à l’Étrangleur de Boston s’attaquant à une femme seule chez elle).

L’un des objectifs poursuivis par ce livre blanc est de sensibiliser la communauté de l’impression 3D, et le public dans son ensemble, avant que l’oligarchie ne tente de paralyser l’impression 3D à l’aide de lois restrictives sur la propriété intellectuelle. En analysant ces lois, en comprenant pourquoi certaines modifications pourraient avoir un impact négatif sur l’avenir de l’impression 3D, nous serons prêts, cette fois-ci, quand l’oligarchie convoquera le Congrès.

L’impression 3D

Qu’est-ce que l’impression 3D ? Pour l’essentiel, une imprimante 3D est une machine qui peut transformer un projet en objet physique. Fournissez-lui les plans d’une clef à mollette, et elle produira une clef physique et prête à l’emploi. Scannez une tasse à café à l’aide d’un scanner 3D, envoyez le document à l’imprimante, et vous pourrez ainsi produire des milliers de tasses identiques.

Alors qu’il existe déjà aujourd’hui un grand nombre de modèles d’imprimantes 3D en concurrence, la plupart travaillent de la même manière. Au lieu de prendre un bloc de matériau et de le découper pour en faire un objet, une imprimante 3D construit l’objet à partir de tout petits morceaux de ce matériau, couche après couche, tel un mille-feuille. Parmi d’autres avantages, ceci permet à l’imprimante 3D de créer des structures qu’il serait impossible au fabriquant de réaliser, s’il devait insérer un outil tranchant dans un bloc compact de matériau. Cela permet aussi à l’imprimante 3D de former une grande variété d’objets à partir de matériaux courants.

Parce qu’elles créent des objets en les construisant couche après couche, les imprimantes 3D peuvent créer des objets contenant des pièces internes et mobiles. Au lieu de devoir imprimer des pièces distinctes et de les assembler par quelqu’un, une imprimante 3D peut imprimer l’objet déjà assemblé. Bien entendu, une imprimante 3D peut aussi imprimer des pièces distinctes ou de rechange. En fait, certaines imprimantes 3D peuvent imprimer un grand nombre de leurs propres pièces de rechange, leur permettant ainsi de se répliquer ou s’auto-reproduire.

L’impression 3D commence par un projet, habituellement créé à l’aide d’un programme de conception assistée par ordinateur (CAO) exécuté sur un ordinateur personnel. Ce projet constitue un modèle virtuel en 3D du futur objet physique. Les programmes CAO sont largement utilisés de nos jours par les designers, ingénieurs et architectes afin d’imaginer des objets physiques avant qu’ils ne soient créés dans le monde réel.

Le processus de la CAO remplace la nécessité de réaliser des prototypes physiques à partir de matériel malléable comme l’argile ou le polystyrène. Un designer se sert de la CAO pour créer le modèle qui est ensuite enregistré sous la forme d’un fichier numérique. Tout comme le traitement de texte est supérieur à la machine à écrire car il permet à l’écrivain de rajouter, supprimer et éditer le texte en toute liberté, la CAO permet au designer de manipuler le fichier et donc le projet comme bon lui semble.

On peut aussi utiliser un scanner 3D pour créer un projet de CAO en scannant un objet existant. De la même manière qu’un scanner à plat crée un fichier numérique à partir d’un dessin sur une feuille de papier, un scanner 3D peut créer un fichier numérique à partir d’un objet physique.

Peu importe comment l’objet est créé, une fois que le fichier CAO existe, il peut être largement distribué comme n’importe quel autre fichier informatique. Une personne peut ainsi créer un nouvel objet, envoyer ce dessin numérique par email à un ami à travers le pays, et cet ami peut à son tour imprimer un objet identique.

L’impression 3D en action

Le mécanisme de l’impression 3D est bien beau, mais à quoi peut-il bien servir ?

Impossible d’apporter aujourd’hui une réponse complète et définitive à cette question.

Si en 1992, après vous avoir décrit l’essentiel de l’ordinateur en réseau, quelqu’un vous avait demandé à quoi cela pourrait servir, vous n’auriez probablement pas cité Facebook, Twitter ou SETI@Home. À la place, vous auriez peut-être imaginé les premiers sites comme Craigslist, les pages d’accueil des journaux imprimés, ou (si vous étiez particulièrement avant-gardiste) les blogs. Bien que ces premiers sites ne soient pas représentatifs de tout ce le Net d’aujourd’hui peut offrir, ils donnent au moins une idée de ce qu’Internet pouvait être. De la même manière, les exemples actuels d’impression 3D apparaîtront inévitablement primitifs dans cinq, dix ou vingt ans. Cependant, ils peuvent aider à comprendre de quoi il est question.

Comme exposé plus haut, l’impression 3D sert à créer des objets. Dans sa forme la plus basique, l’impression 3D pourrait ainsi vous permettre de créer des serre-livres de la forme de votre visage ou des figurines animées sur commande. L’impression 3D pourrait également servir à fabriquer des machines simples comme des bicyclettes ou des skateboards. De manière plus élaborée, si elle est combinée avec des cartes de circuits imprimés faits sur commande, l’impression 3D pourrait servir à fabriquer de petits appareils domestiques comme une télécommande faite sur mesure, modelée pour épouser parfaitement la forme de votre main, avec tous les boutons placés exactement où vous le souhaitez. L’impression 3D industriel est déjà utilisée pour fabriquer des prothèses sur mesure tout à fait fonctionnelles.

Ces possibilités semblent déjà incroyables aujourd’hui. Qui pourrait résister à offrir une réplique exacte de son visage à ses proches ? Quel enfant (ou adulte d’ailleurs) n’aimerait pas voir des jouets qu’il a dessinés sur un ordinateur atterrir directement entre leurs mains ? Qu’est-ce qui vous empêche de fabriquer un grille-pain qui rentre parfaitement dans le recoin le plus tordu de votre cuisine ? Pourquoi les amputés n’auraient pas de prothèses qui correspondent parfaitement avec le reste de leur corps ou bien ornées de rayures jaunes à néons clignotants s’ils en ont envie ?

Pourtant ces incroyables possibilités sont fragiles et vulnérables face aux nombreuses restrictions potentielles de la propriété intellectuelle. Les artistes peuvent craindre que leurs sculptures protégées par le droit d’auteur ne soient répliquées sans permission. Les fabricants de jouets peuvent craindre pour leurs droits des marques. Le nouveau grille-pain et la nouvelle prothèse d’un bras peuvent porter atteinte à d’innombrables brevets.

Personne ne suggère que ces inquiétudes soient injustifiées puisque la possibilité de copier et de répliquer est aussi la possibilité d’enfreindre les droits d’auteurs, brevets et marques déposées. Mais la possibilité de copier et répliquer est également la possibilité de créer, de développer et d’innover. Tout comme l’imprimerie, la photocopieuse et l’ordinateur personnel avant lui, certains jugeront que l’impression 3D constitue une menace alors que d’autres la verront au contraire comme un outil révolutionnaire pour étendre la créativité et la connaissance.

Il est crucial que ceux qui ont peur ne bloquent pas ceux qui sont inspirés.

Zach Hoeken - CC by-sa

Utiliser l’impression 3D

Les lois de la propriété intellectuelle sont aussi variées et complexes que l’utilisation potentielle de l’impression 3D. La façon la plus simple d’envisager l’impact que la propriété intellectuelle pourrait avoir sur l’impression 3D, c’est d’envisager plusieurs scénarios possible.

Créer des produits originaux

Intuitivement, c’est la création de produits originaux qui devrait engendrer le moins de conflits avec la propriété intellectuelle. Ceci semble logique puisque c’est ici l’utilisateur qui crée son propre objet en 3D.

Dans l’univers du droit d’auteur, cette intuition semble correcte. Quand un enfant de Seattle écrit un poème à son chien, ce travail est protégé par un droit d’auteur. Si, deux ans plus tard, un autre enfant d’Atlanta écrit un poème identique à son chien (ignorant l’existence du premier poème ), le second travail est également protégé par un droit d’auteur. Ceci est possible car le droit d’auteur tient compte de la création indépendante, même si le même travail a été indépendamment créé deux fois (ou même plus de deux fois). Si une œuvre doit être originale pour recevoir une protection par droit d’auteur, l’œuvre n’a pas besoin d’être unique au monde.

Sauf qu’avec la reproduction d’objets en 3D vient se surajouter la question des brevets. Les brevets ne permettent pas la création parallèle. Une fois une invention brevetée, chaque reproduction non autorisée de cette invention constitue une infraction, que le reproducteur ait connaissance de l’invention originale ou non.

Par le passé, cette distinction n’a pas véritablement posé de problème. Le droit d’auteur protège de nombreuses et complexes créations qui peuvent prendre la forme d’une variété d’expressions. Par conséquent, il était peu probable que deux personnes créent exactement la même œuvre sans que la seconde ne copie la première.

En revanche, plusieurs personnes travaillant en même temps sur un problème pratique ou un nouveau produit matériel peuvent créer des solutions semblables. Pour que les brevets soient efficaces ils doivent couvrir tous les appareils identiques, quel que soit leur développement. C’est pour cela que l’on a pris l’habitude d’effectuer une recherche de brevets avant d’essayer de résoudre un problème ou d’innover. Il s’agit alors d’une course à l’enregistrement où l’on doit prendre les précautions nécessaires.

Or, en se démocratisant, l’impression en 3D peut rendre la création d’objets physique presque aussi répandue que la création de travaux protégés par le droit d’auteur.

Ce changement va probablement augmenter le nombre d’innocents qui portent atteinte à des brevets dont ils ignorent l’existence. Avec la prolifération de l’impression en 3D, les individus vont chercher à résoudre des problèmes en dessinant et en créant leurs propres solutions. En produisant ces solutions, il est tout à fait possible qu’ils incorporent involontairement des éléments protégés par un brevet. Une fois encore, contrairement au droit d’auteur, cette façon de copier en tout innocence constitue malgré tout une infraction.

Partager des projets sur Internet amplifie le phénomène. Il est peu probable qu’un seul et unique objet produit à usage domestique attire l’attention d’un détenteur de brevets. Mais si l’histoire d’Internet nous a jusqu’à présent enseigné une chose, c’est que les gens aiment partager. Des individus qui ont, avec succès, dessiné des produits qui rendent service et résolvent des problèmes bien réels partageront leurs plans en ligne. D’autres gens qui ont les mêmes problèmes utiliseront (et même amélioreront) ces plans. Les plans massivement utilisés parce que massivement utiles seront certainement les plus visés par les détenteurs de brevets.

Bien que la violation de brevets par inadvertance ait le potentiel pour devenir l’un des conflits les plus représentatifs et les plus en vue de l’impression en 3D, il est néanmoins peu probable qu’il affecte beaucoup de gens. Lorsque des millions de gens créent des objets via l’impression en 3D, la probabilité pour que quelqu’un copie un objet breveté est élevée. Cependant, parce que les brevets ne couvrent pas l’ensemble des objets dans le monde, la probabilité qu’un quelconque objet reproduit porte directement atteinte à un brevet est finalement relativement faible. Il est tout à fait possible qu’une grande partie (sinon la majorité) des utilisateurs d’imprimantes 3D passent leur vie entière sans jamais enfreindre de brevet par inadvertance.

Copier des produits

Naturellement, chaque objet produit par une imprimante 3D ne sera pas le résultat de la créativité et de l’ingéniosité de celui qui l’imprime. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’objet sera parfois téléchargé et imprimé à partir du plan original conçu par quelqu’un d’autre. Et parfois l’objet se retrouvera être une simple copie d’un produit du commerce déjà existant.

Cette copie pourra provenir d’au moins deux sources. La première source est Internet. Les plans CAO, comme tous les fichiers, sont facilement copiables et distribuables en ligne. Une fois qu’un individu crée le plan d’un objet et télécharge ce plan sur un serveur, il est alors potentiellement disponible pour tout le monde.

La seconde source est un scanner 3D. Un scanner 3D a la capacité de créer un fichier CAO en scannant un objet 3D. Un individu pourvu d’un scanner 3D sera ainsi capable de scanner un objet physique, de transférer le fichier obtenu vers une imprimante 3D, et de le reproduire comme bon lui semble.

Peu importe la source du fichier, copier des objets qui existent dans le commerce va attirer l’attention des fabricants de l’objet original. Bien que la prolifération de l’impression en 3D crée sans aucun doute des opportunités pour le fabricant (comme la réduction considérable de ses coûts de production et de diffusion ainsi que la possibilité de permettre aux clients de personnaliser les objets), cela va également fortement perturber le modèle économique existant. Selon le type d’objet copié, les fabricants chercheront sans doute à contrer ces pratiques en prenant appui sur les différentes formes de protection de la propriété intellectuelle.

Le droit d’auteur

Pour l’essentiel, le droit d’auteur s’applique à chaque œuvre de création originale qui est fixée sur un support tangible. Ceci inclut la plupart des choses qui sont écrites, dessinées ou modélisées. Cependant, le droit d’auteur protège uniquement le texte, le dessin ou le plan lui-même, pas l’idée qu’il exprime.

Les ordinateurs en réseau sont justement conçus pour reproduire des choses qui sont écrites, dessinées ou modélisées. L’avènement d’Internet a rendu le public de plus en plus conscient de l’existence et des règles du droit d’auteur. Dès que des créations sont apparues en ligne, elles ont été copiées. Dès que des articles ont été copiés, les créateurs et ceux qui monétisaient leurs œuvres ont évoqué un manque à gagner pour demander un droit d’auteur toujours plus contraignant et restricitf, en se déchargeant sur le public ou les fournisseurs d’accès, n’importe qui sauf sur eux-mêmes.

A plusieurs titres, cette tension a défini l’univers du droit et des règles de la propriété intellectuelle de ces quinze dernières années. Cependant, elle a été essentiellement limitée au monde de l’intangible et de l’immatériel. On peut débattre sur l’avenir physique du CD, DVD ou des livres mais il s’agit en fait de chansons, de films et d’histoires. Ces sont ces œuvre de l’esprit et non leurs supports qui sont au cœur du droit d’auteur.

L’émergence de l’impression 3D est susceptible de modifier la donne.

Globalement les tentatives d’étendre la protection du droit d’auteur aux objets fonctionnels ont échoué, ce droit d’auteur ayant évité de s’attacher aux objets fonctionnels puisque c’était aux brevets de les protéger (si tant est qu’ils doivent être protégés). Il est cependant inévitable que certains objets fonctionnels aient aussi des visées décoratives et artistiques protégées par le droit d’auteur.

Une nouvelle pompe à essence, un engrenage, ou une machine à plier les boîtes sont des exemples sans charme d’objets d’utilité courante. Mais il arrive parfois que des objets pratiques puissent également être décoratifs. Un vase est un récipient qui sert à contenir de l’eau ou des fleurs, mais il peut aussi être une œuvre d’art à part entière. Alors absence de droit d’auteur (un vase) et droit d’auteur (la décoration sur le vase) coexistent sur le même objet (le vase décoratif). N’importe quel élément décoratif de l’objet se situant hors du champ d’utilité de cet objet (et donc susceptible d’être « séparé » de l’objet utile) peut être protégé par le droit d’auteur.

Ceci a des implications pour les individus utilisant des imprimantes 3D reproduisant des objets physiques. Alors que, la plupart du temps, l’objet physique lui-même ne sera pas protégé par un droit d’auteur, il n’en va pas de même pour ses éléments décoratifs.

Les utilisateurs feraient mieux de garder cette distinction en tête. Prenons comme simple exemple un individu qui voudrait reproduire un taquet de porte. Cet individu aime ce taquet en particulier car il a exactement la bonne taille et le bon angle pour maintenir le porte de sa maison ouverte. Admettons que ce taquet de porte possède aussi des éléments décoratifs : il est recouvert d’un imprimé vivant et coloré, et orné de gravures complexes sur les côtés. Si l’individu venait à reproduire le taquet en entier, avec l’imprimé et les gravures, le fabricant original pourrait porter plainte avec succès pour infraction au droit d’auteur. Mais si l’individu a simplement reproduit les éléments du taquet de porte qui l’intéressaient (la taille et l’angle du taquet) sans les éléments décoratifs (l’imprimé et la gravure), il est peu probable que le fabricant original puisse réussir à porter plainte pour infraction du droit d’auteur contre le copieur.

Le brevet

Le brevet diffère du droit d’auteur sur plusieurs points clés. D’abord et avant tout, la protection par brevet n’est pas automatiquement accordée. Alors que le simple fait d’écrire une histoire induit une protection par droit d’auteur, la simple création d’une invention n’entraîne pas de protection par brevet. Un inventeur (NdT : américain) doit faire une demande de brevet pour son invention auprès du Patent and Trademark Office (PTO). L’invention doit être nouvelle, utile, et non-évidente. En déposant sa demande, l’inventeur doit nécessairement divulguer les informations qui permettraient à d’autres d’appliquer l’invention. Enfin, la protection par brevet dure beaucoup moins longtemps que la protection par droit d’auteur.

La conséquence de ces différences est qu’il y a beaucoup moins d’inventions protégées par un brevet qu’il n’y a de travaux protégés par le droit d’auteur. Alors que le droit d’auteur protège automatiquement chaque comptine, chaque poème et chaque film fait maison (même insignifiant) et ce pour des décennies après sa création, la plupart des objets fonctionnels ne sont pas protégés par les brevets.

Cette dichotomie s’exprime notamment dans la différence de traitement entre les produits numériques et les produits physiques. Lorsqu’on achète une œuvre qui est livrée sous forme digitale à notre ordinateur (qu’il s’agisse d’une chanson, d’un film ou d’un livre), vouloir effectuer des copies supplémentaires et non-autorisées de cette œuvre est une infraction car l’œuvre est protégée par le droit d’auteur, à moins qu’il ne s’agisse de fair use ou qu’elle ne fasse partie du domaine public (NdT : il est dommage ici que l’auteur oublie les licences libres). En revanche, lorsqu’on achète un objet physique qui est livré chez nous, en effectuer une copie supplémentaire ne constituera sans doute pas une violation de brevet, car l’objet n’est probablement pas couvert par un brevet. Ceci crée tout un univers d’articles qui peuvent être librement répliqués à l’aide d’une imprimante 3D.

Le brevet protège moins d’objets, et les protège pour une plus courte durée, mais lorsque qu’il les protège, c’est de façon plus complète et globale. Comme nous l’avons vu précédemment, il n’y a pas d’exception pour la création indépendante dans le monde des brevets. Une fois un objet breveté, toutes les copies portent atteinte à ce brevet, que le copieur connaisse son existence ou non. Plus simplement, si vous utilisez une imprimante 3D pour reproduire un objet breveté, vous portez atteinte au brevet. L’utilisation même du procédé breveté sans autorisation porte atteinte au brevet. En outre, contrairement au droit d’auteur, il n’y a pas de fair use pour les brevets. Il n’y a pas non plus d’exception pour usage domestique, ou de droit à la copie privée.

Pourtant, l’infraction n’est pas aussi absolue qu’elle semble l’être à première vue. Pour porter atteinte à une invention brevetée, il faut porter atteinte à l’invention en entier. Ceci découle de la nature des brevets. L’une des premières exigences de la protection par brevet est que l’invention doit être nouvelle. Souvent, une invention originale consiste en l’assemblage de plusieurs inventions déjà existantes travaillant ensemble d’une manière nouvelle. Il serait illogique que, en brevetant la nouvelle combinaison d’inventions anciennes, le détenteur du brevet obtienne aussi un brevet sur l’ancienne invention. Copier des éléments non brevetés d’une invention brevetée ne viola pas à priori ce brevet.

La marque déposée

Bien qu’elle soit habituellement regroupée avec le brevet et le droit d’auteur, la marque déposée (NdT : trademark en anglais) est un domaine légèrement différent de la propriété intellectuelle. Contrairement au brevet et au droit d’auteur, il n’y a pas de mention de la marque déposée dans la Constitution (NdT : américaine). La marque déposée s’est plutôt développée comme une manière de protéger les consommateurs, leur donnant l’assurance que le produit marqué du logo du fabriquant était en effet fabriqué et soutenu par ce fabriquant. Par conséquent, la marque déposée n’est pas conçue dans le but de protéger la propriété intellectuelle en soi. La propriété intellectuelle est ici plutôt un effet secondaire issu du besoin de protéger l’intégrité de la marque.

La marque déposée pourrait néanmoins être impliquée dans le fait de produire des copies exactes d’objets. Si l’imprimante 3D effectue une copie d’un objet et que cette copie contient une marque déposée, la copie porte alors atteinte à la marque déposée. Cependant, la particularité de l’impression 3D permettrait à un individu de répliquer un objet sans répliquer la marque. Si vous aimez un produit donné mais que vous ne tenez pas particulièrement à avoir le logo attaché dessus, le reproduire sans logo ne devrait pas porter atteinte à la loi des marques déposées.

Utilisation dans le commerce

Il existe une question supplémentaire à prendre en considération concernant l’usage domestique de l’impression 3D (pratiqué à la maison). Parce que la protection par marque déposée est avant tout là pour permettre au consommateur de s’y retrouver sur le marché, l’infraction envers la marque déposée est décrite en termes « d’utilisation dans le commerce » (afin de ne pas semer la confusion dans l’esprit du consommateur sur l’origine du produit). A la différence du brevet ou du droit d’auteur, ce n’est pas le fait de copier une marque déposée qui crée l’infraction, c’est son utilisation commerciale.

Sauf qu’avec le temps, le sens de l’expression « utilisation dans le commerce » s’est considérablement élargi. L’infraction de la marque déposée s’est même étendue au point d’inclure la « dilution » de marques célèbres, considérant finalement tout usage public d’une marque célèbre – dans le commerce ou pas – comme une violation de marque déposée.

Ceci dit, la simple existence chez soi d’une marque déposée non autorisée ne devrait pas porter atteinte à la loi des marques déposées. Dans la plupart des cas, fabriquer des produits contenant une marque déposée chez soi, pour son propre usage personnel, n’est pas une violation de la marque déposée. En effet, puisqu’on sait qu’on a fabriqué le produit, il n’y a donc pas de risque de « confusion » sur sa provenance. Mais il n’en ira pas de même si vous utilisez cette même imprimante domestique pour reproduire en série des lunettes de soleil de marque que vous destinez à la vente.

Le remplacement d’objets

Si l’impression 3D peut servir à créer des copies de produits manufacturés, elle pourra aussi servir à créer des pièces de rechange destinées à des produits usés ou cassés. Au lieu de fouiller les magasins pour trouver la pièce à remplacer, on pourra simplement l’imprimer, quitte à améliorer soi-même la pièce pour qu’elle dure plus longtemps à l’avenir.

Comme pour la création et la copie d’objets, le fabricant peut être tenté d’utiliser les lois de la propriété intellectuelle pour empêcher une telle activité. Dans le cas des objets de remplacement, le droit d’auteur et la marque déposée ne seront pas prédominants. puisqu’une pièce de remplacement est, presque toujours, par définition, un « article utile ». Ils seront donc avant tout placés sous la juridiction des brevets.

Le brevet autorise cependant la libre reproduction de pièces de remplacement de plusieurs manières. Tout d’abord, la protection par brevet requiert des exigences relativement rigoureuses. Comme mentionné plus haut, ces exigences rigoureuses impliquent que relativement peu d’objets sont protégés par brevet.

De plus, beaucoup d’objets protégés par brevet sont, en fait, des « combinaisons » de brevets. Les combinaisons de brevets associent des objets existants (certains brevetés, d’autre pas) d’une nouvelle manière. Bien que la nouvelle combinaison soit protégée par brevet, les éléments individuels (en supposant qu’ils ne soient pas protégés individuellement par brevet) peuvent être reproduits librement à volonté. Par conséquent, il paraît évident que la fabrication de pièces de remplacement non brevetées pour un appareil breveté ne viole pas le brevet de cet appareil. Tant que l’appareil original a été acheté légitimement, chacun devrait avoir le droit de fabriquer ses propres pièces de rechange.

Deux objections cependant. Tout d’abord, lorsque l’on se retrouve en face d’un appareil breveté simple constitué d’une seule pièce (ou une pièce individuellement brevetée d’un appareil plus complexe), on ne peut plus le reproduire sans se mettre en infraction. Ensuite, s’il est légal de réparer un appareil breveté, reconstruire le même appareil en entier à partir de ses pièces constitutives constitue une infraction. La limite entre réparer et reproduire n’est pas toujours évidente à définir, et avec l’augmentation de l’utilisation de l’impression 3D pour remplacer des pièces, elle peut devenir une zone floue de plus en plus préoccupante.

Une règle simple à retenir est que si l’article breveté est conçu pour n’être utilisé qu’une seule et unique fois, entreprendre de le reconstruire est considéré comme une infraction. Mais si une pièce non-brevetée d’un appareil breveté plus important s’est usée, reconstruire la pièce n’est pas une infraction, même si, avec le temps, le propriétaire d’un appareil finit par remplacer chaque pièce usée de l’appareil breveté. Ajoutons que remplacer une partie d’un appareil breveté pour lui donner une fonctionnalité nouvelle ou différente n’est pas non plus une infraction, parce que cela crée un nouvel appareil.

Utilisation du logo et du « trade dress »

Quand les imprimantes 3D seront devenues courantes, chacun les utilisera pour reproduire des logos de marques déposées et autres éléments de « trade dress » (NdT : en droit américain, l’apparence, la texture ou le design de l’objet qui peuvent être soumis à protection). Les reproductions plus ou moins exactes de logos, comme énoncé plus haut, seront probablement des infractions. Ce sera plus complexe pour ce qui concerne l’aspect général de l’objet qui peut être protégé par un brevet de design et par la subdivision consacrée au trade dress de la marque déposée.

Les brevets de design

En plus du brevet purement fonctionnel, la loi américaine prévoit une protection par brevet pour « le design nouveau, original et ornemental d’un article de fabrication ». Bien que cette extension au design ornemental puisse avoir l’air de chevaucher le droit d’auteur, les brevets de design sont pour le moment d’une portée assez limitée. D’abord parce que le design protégé doit être réellement original. Ensuite parce que les brevets de design sont strictement limités à des designs d’ornement non-fonctionnels (tout de moins c’est ce que les tribunaux ont toujours dit jusqu’à maintenant). Enfin, parce que la protection de design est fortement encadrée et précisée lors du dépôt de brevet et ne s’applique pas pour des designs similaires ou simplement dérivés de l’original.

À plusieurs égards, cette distinction entre la forme et la fonction est incompatible avec les buts traditionnels du design industriel. De manière générale, les designers industriels parviennent à l’élégance en mariant la forme et la fonction, établir une distinction nette entre la forme et la fonction va à l’encontre de cet objectif.

Les utilisateurs d’imprimantes 3D devraient donc à priori pouvoir contourner les brevets de design. Si un élément d’un objet est fonctionnel, et ainsi nécessaire pour reproduire un objet, une machine ou un produit, il ne peut tout simplement pas être protégé par un brevet de design.

Il existe cependant des cas pour lesquels la protection par brevet de design peut poser problème. Le plus connu est sans doute celui des fabricants d’automobiles qui utilisent de plus en plus de brevets de design pour protéger des plaques de carrosserie, des phares ou des rétroviseurs. Ce qui peut alors empêcher la concurrence de pénétrer le marché des pièces de rechange. On peut également l’utiliser pour protéger un design dès le moment de sa sortie et attendre ainsi le temps nécessaire pour ensuite passer le relais à la protection plus permanente du trade dress régie par le droit des marques.

Le trade dress

La protection par marque déposée peut s’étendre au-delà du logo collé sur un produit, pour inclure le design du produit lui-même. Mais pour étendre la protection au design des produits, les tribunaux ont exigé que le trade dress s’applique à une association spécifique avec un fabriquant particulier. Or valider une telle association prend du temps et doit être prouvé par des résultats d’études auprès du public. En conséquence de quoi, la plupart des designs de produits, même les designs uniques créés « pour rendre le produit plus utile ou plus attrayant », ne seront pas protégés comme trade dress.

En outre, comme pour les brevets de design, la protection par trade dress ne peut s’appliquer aux éléments fonctionnels d’un produit, sachant de plus qu’il est à la charge du fabricant de ce produit d’établir la prétendue non fonctionnalité de l’élément en question. Toute caractéristique « essentielle » d’un produit, caractéristique qui donnerait un désavantage à la concurrence si elle ne pouvait l’inclure ou qui affecterait le coût et la qualité de l’appareil, est exclue de la protection par trade dress. Comme l’a établi la Cour Suprême, la loi des marques déposées « ne protège pas le trade dress d’un design fonctionnel simplement parce qu’un investissement a été fait pour encourager le public à associer une caractéristique fonctionnelle particulière avec un seul fabricant ou vendeur ».

Donc comme pour les brevets de design, la protection par trade dress ne devrait pas empêcher à grande échelle la reproduction d’objets avec une imprimante 3D. Si un élément de l’objet est nécessaire à son fonctionnement, il ne peut pas être protégé par cette disposition. Cependant, essayer de le copier à l’identique peut aller à l’encontre du droit des marques en arguant de la protection par trade dress.

Remixer

Et que dire du remix ? La culture du remix a été l’un des résultats créatifs les plus riches de l’accès à Internet. Jusqu’ici cette culture s’est cantonnée à des œuvres écrites, aux arts visuels et à la musique. mais on voit cependant déjà poindre des exemples de remixeurs qui travaillent sur des objets physiques bien réels ou qui mélangent allègrement matériel et immatériel.

D’une certaine manière, l’impression 3D peut ouvrir la voie à un nouvel âge d’or de culture du remix.

Rappelons que les sources traditionnelles des œuvres remixées – textes, audio et vidéo – sont pour la plupart protégées (strictement) par le droit d’auteur. En conséquence, les artistes remixeurs ont dû souvent compter sur le fair use pour créer leurs œuvres (NdT : sur le fair use ou sur les licences libres). La réappropriation et le mélange d’objets fonctionnels et tangibles du quotidien présentent aujourd’hui, et en règle générale, moins de problèmes liés au droit de la propriété intellectuelle, principalement parce que nous ne sommes pas encore en face d’une pratique de masse.

Mais une fois ces problèmes déclenchés, il seront plus difficiles à résoudre. Contrairement au droit d’auteur, il n’y a pas de fair use pour les brevets. Reconstruire un objet breveté à de nouvelles fins, quelle que soit la raison, est effectivement une violation du brevet.

Tony Buser - CC by

Problèmes futurs

Jusqu’à présent nous nous sommes efforcés de passer en revue les différents champs de la propriété intellectuelle qu’impacte l’impression 3D et les risques encourus par rapport à la législation actuelle. Cette législation est contraignante mais elle autorise encore à faire certaines choses. Mais que se passera-t-il lorsque l’impression 3D frappera réellement aux portes du grand public en pouvant potentiellement placer une imprimante dans chaque foyer ? Les conséquences et les enjeux sont tels qu’il y a fort à parier que la législation sera plus dure encore si nous n’y prenons garde.

L’avènement de l’impression 3D, encore à ses balbutiements aujourd’hui, ne se fera pas du jour au lendemain. Elle va petit à petit, sur la durée, se glisser dans la vie courante. Durant ce processus, il y aura des dizaines, voire des centaines de petits accrochages avec la propriété intellectuelle. Ces accrochages témoigneront de la tension entre la propriété intellectuelle existante et ces nouvelles réalités. Une nouvelle réalité que l’on tentera d’apprivoiser parfois de force, et ce faisant, on changera lentement l’état de la loi. Alors qu’il serait facile de passer à côté de ces accrochages, ici un obscur procès, là un petit amendement, il est est crucial de se monter au contraire vigilant. Car tous ces changements, anodins individuellement, finiront par décider globalement de la liberté que nous aurons ou non à utiliser une technologie aussi novatrice et perturbatrice que l’impression 3D au maximum de ses possibilités et potentialités.

Vous trouverez ci-dessous une liste de questions et problèmes qu’il faudra très probablement analyser et affronter.

Les brevets

Extension des conditions d’infraction aux brevets

L’infraction traditionnelle aux brevets, telle la contrefaçon, n’est pas forcément bien adaptée à un monde dans lequel les individus répliquent des articles brevetés dans leurs propres foyers et pour leur propre usage. Contrairement à la violation du droit d’auteur, la simple possession ou le simple téléchargement d’un fichier ne sont à priori pas suffisants pour se rendre responsable d’une infraction. Afin d’identifier un individu en infraction, le propriétaire du brevet devra en effet trouver un moyen d’établir que l’appareil a été effectivement répliqué dans le monde physique par le prévenu. Ceci devrait être encore plus compliqué, long et coûteux que les moyens intensifs mis actuellement sur les sites d’échange de fichiers numériques pour tenter de contrer les infractions aux droits d’auteur.

Dans le sillage de la bataille que livrent en ce moment-même les industries culturelles contre le partage de fichiers à l’aide du droit d’auteur, les détenteurs de brevets utiliseront sans doute le « contributory infringement » pour défendre leurs droits (NdT : en droit américain, il s’agit d’étendre le champ des responsabilités à ceux qui facilitent la contrefaçon par fourniture indirecte de moyens). Ils pourraient , par exemple, poursuivre les fabricants d’imprimantes 3D en justice, sous prétexte que les imprimantes 3D sont nécessaires pour faire des copies. Il pourraient aussi poursuivre les sites qui hébergent des fichiers de dessins CAO en les accusant de piratage. Au lieu de devoir poursuivre des centaines, voire des milliers d’individus aux moyens limités, les propriétaires de brevets pourraient poursuivre une poignée d’entreprises ayant les moyens de payer un procès contre eux

En plus d’attaquer les entreprises qui rendent l’impression 3D possible, les propriétaires de brevets peuvent également essayer de stigmatiser les fichiers numériques de type CAO, à peu près de la même façon que les détenteurs de droits d’auteur stigmatisent le protocole BitTorrent de transfert de fichiers (voire même directement le format MP3 des fichiers musicaux). Cette façon d’assimiler automatiquement les fichiers CAO à des infractions pourrait aussi ralentir l’adoption de l’impression 3D par le grand public et reviendrait à dire que chaque personne qui télécharge un fichier CAO sur un site communautaire est, en quelque sorte, un pirate de l’impression 3D.

Preuve de la copie

Cependant, le contributory infringement ne permettra pas automatiquement aux propriétaires de brevets d’arrêter l’impression 3D, parce qu’il exige tout de même une preuve de l’infraction.

Cette obligation devrait empêcher les propriétaires de brevets d’insinuer qu’une entreprise X aide nécessairement les gens à porter atteinte à la loi à cause de la nature même du produit qu’elle propose. Pour réussir à poursuivre l’entreprise X en justice, les propriétaires de brevets devront prouver que l’utilisateur s’est effectivement servi du produit ou du service proposé par l’entreprise X pour porter atteinte à la loi et pas seulement que l’utilisateur aurait pu le faire. Le contributory infringement donne aux détenteurs de brevets un moyen de protéger leur brevet sans être obligé de poursuivre chaque individu qui a enfreint la loi, mais ils doivent tout de même trouver au moins un individu qui a effectivement porté atteinte au brevet.

Staple Article of Commerce

Un second obstacle pour les détenteurs de brevets est la doctrine dite du « staple article of commerce » (NdT : en droit américain on évoque cela lorsqu’un appareil ou un produit est devenu d’usage courant et qu’on le trouve partout dans le commerce).

Des outils comme un scanner ou un lecteur de code-barre servent sans aucun doute à effectuer un certain nombre de tâches ou de fonctions brevetées, mais ils sont aussi utilisés pour un grand nombre de tâches non-brevetées. Un ordinateur, une imprimante 3D et un peu de colle peuvent servir à fabriquer une reproduction contrefaite d’un produit breveté, mais tous ces objets ont cependant tellement d’usages légaux et communs n’engendrant pas d’infractions que les proscrire serait nuisible à la société.

Cette doctrine reconnaît que les inventions sont faites à partir d’éléments, et que ces éléments peuvent servir à faire plus de choses que l’invention seule. Par exemple, ce n’est pas parce que vous avez breveté un nouveau mécanisme en acier que vous pouvez poursuivre tous les fabricants d’acier pour contributory patent infringement. L’acier a de nombreuses utilisations légales, mais aussi illégales, et le simple fait qu’il pourrait être utilisé à de mauvaises fins ne prouve pas qu’il l’a été.

Tant qu’un article peut être utilisé couramment sans infraction, le fait qu’il puisse éventuellement être utilisé pour violation de brevet n’est pas suffisant pour engendrer la responsabilité de son créateur. Vendre du matériel à usage courant pouvant accomplir un processus ne représente pas une atteinte au brevet de ce processus. Quand la Cour Suprême a examiné le sort du vieux format vidéo VCR, elle a justement emprunté ce concept à la loi des brevets.

La connaissance

Enfin, pour poursuivre en justice une entreprise qui fournit des outils susceptibles de servir à enfreindre un brevet ou à fabriquer des contrefaçons, le propriétaire du brevet doit montrer que l’entreprise savait ou avait l’intention de permettre à quelqu’un d’enfreindre ce brevet. Le détenteur du brevet doit montrer que la partie qui aurait incité à l’infraction avait effectivement connaissance du brevet en question, ou était délibérément indifférent à l’existence d’un tel brevet.

Comme pour les autres obstacles, ceci devrait pouvoir protéger les entreprises qui fournissent simplement les outils nécessaires à l’impression 3D. Le fabricant de l’imprimante, le concepteur du logiciel ou les entreprises qui fournissent les matériaux que l’imprimante utilise pour fabriquer les objets devraient être en mesure d’affirmer qu’ils offrent leurs services à un marché vaste et légitime et que toute infraction est sans rapport avec leurs activités.

Réparation et reproduction

Pour le moment, le public est encore libre de répliquer des éléments non brevetés faisant partie d’un objet breveté, pour en réparer et remplacer des éléments usés ou défectueux, sans nécessairement devoir obtenir la pièce de rechange auprès de fabricant original.

Aujourd’hui, le public est libre de répliquer des éléments non brevetés faisant partie de combinaisons brevetés. Chacun peut réparer et remplacer des éléments usés sans se protéger par une licence supplémentaire ou obtenir les pièces de rechange nécessaires auprès du fabricant original.

Mais s’il devient plus facile de créer ces pièces de rechanges non brevetés, les fabricants commenceront alors sans doute à considérer cette pratique comme du piratage ou du vol. Ils chercheront probablement à criminaliser la création de pièces de rechange sans licence et à abaisser le seuil de ce qui constitue une contrefaçon. Ceci devrait malheureusement se traduire par une extension de la protection par brevets (on pense en particulier à ce qui touche au design) ainsi qu’une volonté croissante de commencer à protéger aussi les éléments non brevetés d’une combinaison brevetée.

De plus, la frontière relativement ambiguë entre réparer et reconstruire sera sans doute examinée et probablement revue et corrigée dans le sens d’une plus grande restriction. Les utilisateurs vont résister pour conserver le droit de réparer les pièces usées, pendant que les entreprises lutteront pour constituer un monopole sur les pièces de rechange.

Le droit d’auteur

L’impression 3D permettant de recréer des objets physiques, il y a fort à parier que les fabricants et designers de ces objets réclament de plus en plus de protection « par droit d’auteur » pour leur objets fonctionnels. Au lieu de séparer les éléments de design des éléments fonctionnels, ils s’efforceront de les confondre pour étendre la protection par droit d’auteur à tous les articles fonctionnels qui contiennent des éléments de design. C’est déjà le cas dans le milieu de la mode ou pour des appareils comme les aspirateurs Dyson ou l’iPod que l’on essaye d’ériger en objet d’art. Récemment le Congrès a rajouté du droit d’auteur pour protéger le dessin des coques de bateaux.

Ce droit d’auteur sur des objets physiques ferait alors un peu office de brevet, à ceci près que l’on n’exige plus d’innovation ou de temps limité d’application. Des objets utiles pourraient être ainsi protégés très longtemps, des dizaines d’années après leur création. L’innovation mécanique et fonctionnelle pourrait être gelée par crainte d’engendrer d’importants procès pour violation du droit d’auteur. Il pourrait alors devenir de plus en plus difficile de récréer et améliorer des objets aussi simple qu’un serre-livres ou un tasse à café.

La marque deposée

Ces dernières années, on a pu voir la Cour Suprême protéger l’intérêt du public en tentant de garantir la concurrence face aux détenteurs de marques qui voulaient augmenter la portée de leur protection. Mais rien n’est jamais acquis et la pression va se poursuivre car la marque déposée est une protection très attrayante avec sa durée de vie potentiellement infinie.

En ce qui concerne le trade dress, les fabricants vont continuer à exiger la protection automatique de la marque ainsi que son caractère singulier intrinsèque (NdT : inherent distinctiveness) sans attendre qu’un design particulier obtienne ce caractère distinctif aux yeux du public. Ils vont aussi certainement chercher à minimiser voire à éliminer la notion « d’utilisation dans le commerce » au sein du droit des marques. Cette « utilisation dans le commerce » n’a pas encore été tellement évoquée devant les tribunaux, car dans les faits les actions en justice concernaient avant tout des utilisations commerciales illicites de la marque. Mais au fur et à mesure qu’il deviendra plus facile pour chacun de créer des produits chez soi à usage personnel, on peut s’attendre à ce que tout ceci soit remis en question.

La question de l’anti-dilution des marques peut aussi participer à étendre leur portée. Contrairement à la marque déposée traditionnelle, une utilisation qui dilue une « marque célèbre » n’a pas besoin d’être dans le commerce, de désorienter le consommateur, ou de causer des dommages économiques directs au détenteur de la marque pour être illégale. On peut ainsi imaginer des décisions de justice augmenter graduellement la définition même d’une marque célèbref dans le but de recourir à la dilution.

Extension de la responsabilité

La bataille du droit d’auteur sur Internet pour la musique ou la vidéo nous a enseigné qu’il peut être complexe, coûteux et très long d’engager des poursuites individuelles contre des personnes en infraction. Pour palier à cela, les détenteurs des droits ont cherché à étendre la responsabilité de la faute à ceux qui facilitent l’infraction. Tous les ordinateurs peuvent faire de la copie, mais si les fabricants d’ordinateur ou les fournisseurs d’accès au réseau étaient tenus pour responsable de chaque film téléchargé illégalement, c’en serait vite fini de l’Internet et du développement des nouvelles technologies que nous connaissons encore aujourd’hui.

On risque fort de constater la même dérive avec l’impression 3D qui permet donc de reproduire des objets potentiellement protégés par des brevets, droits d’auteur ou marques déposées. Si on permet aux détenteurs de droits de rejeter la responsabilité des copies faites par des individus sur les fabricants qui rendent l’impression 3D possible, ceux-ci ne pourront plus continuer à se développer. Si, comme on le constate pour la musique actuellement, les détenteurs de droits arrivent à forcer les entreprises d’imprimantes 3D à céder un pourcentage de leurs ventes (comme « compensation »), ou à incorporer des mesures techniques de protection pour contrôler, restreindre ou interdire la copie, ce secteur économique plein de promesses calera avant d’atteindre le grand public (on pourrait ainsi par exemple empêcher une imprimante 3D de lire dans plans CAO tatoués numériquement).

Conclusion

La faculté de reproduire des objets physiques chez soi ou dans de petits ateliers est potentiellement tout aussi révolutionnaire que la faculté de rassembler des informations, quelles que soient leurs sources, sur un écran d’ordinateur.

Aujourd’hui, les premiers contours de cette révolution commencent tout juste à se dessiner. Ce sont les scanners 3D et la CAO accessibles à tous pour créer des plans. Ce sont tous ces ordinateurs interconnectés pour partager facilement ces plans. Et ce sont enfin toutes ces pionnières imprimantes 3D permettant de transposer ces plans dans le monde réel. Tous ces outils, accessibles, bon marché et faciles à utiliser, vont changer notre manière d’envisager les objets physiques de façon aussi radicale que les ordinateurs ont changé notre manière d’envisager les idées.

La frontière entre un objet physique et la description digitale de cet objet physique va commencer à s’estomper. Avec une imprimante 3D, posséder les bits est presque synonyme de posséder les atomes. Les systèmes de contrôle des informations traditionnellement appliqués aux ressources numériques pourraient commencer à s’infiltrer dans le monde physique.

Les contours de base de cette révolution n’ont donc pas encore été définis. Et d’une certaine manière, c’est une bénédiction. Lâcher ces outils dans le monde va engendrer des conséquences inattendues et des changements imprévisibles. Mais cette inconnue joue aussi en notre défaveur. Voyant peu à peu l’impression 3D sortir de l’ombre pour devenir une menace, les entreprises impactées vont inévitablement essayer de la limiter en augmentant les protections de la propriété intellectuelle. Ce faisant, elles vont fort logiquement attirer l’attention sur les torts causés à leurs modèles économiques, tels que la perte de ventes, la baisse de profits et la réduction d’emplois (que l’impression 3D en soit ou non directement responsable).

On n’en voit que les prémisses aujourd’hui mais il est évident que des milliers de nouvelles entreprises vont fleurir dans le sillage de l’impression 3D. Sauf qu’elles n’existeront peut-être plus quand les grandes entreprises se réveilleront et commenceront de à faire appel à la propriété intellectuelle pour toujours plus se protéger. Il sera alors demandé aux décisionnaires et aux juges d’évaluer le poids des pertes concrètes par rapport aux futurs bénéfices difficile à quantifier ou imaginer.

C’est pourquoi il est crucial pour la communauté actuelle de l’impression 3D, tapie dans des garages, des hackerspaces ou des fab labs, garde d’ores et déjà un œil vigilant sur ces questions cruciales de réglementation avant qu’ils ne prennent trop d’ampleur.

Le temps viendra, et il viendra vite; où les industries en place qui seront touchées exigeront de nouvelles lois restrictives pour l’impression 3D. Si la communauté attend ce jour pour s’organiser, il sera trop tard.

La communauté doit plutôt s’efforcer d’éduquer les décisionnaires et le public sur le formidable potentiel de l’impression 3D. Ainsi, lorsque les industries en place décriront avec dédain l’impression 3D comme un passe-temps de pirates ou de hors-la-loi, leurs déclarations tomberont dans des oreilles trop avisées pour détruire cette toute nouvelle nouveauté.

Windell Oskay - CC by

Notes

[1] Crédit photos : Cory Doctorow, Tony Buser, Zach Hoeken, Tony Buser et Windell Oskay (Creative Commons By ou By-Sa)




Le rêve de Staline ou le cauchemar de Stallman

Eva Blue - CC byUne petite mise à jour de la pensée de Stallman avec cette interview donnée par un confrère américain ?

On y retrouve certaines constantes pour lesquelles il se bat depuis près de trente ans (« la conscience du logiciel libre a été presque entièrement cachée sous le tapis par l’open source »). Mais il donne également son avis, souvent lapidaire, sur des sujets d’actualité comme l’essor de la téléphonie mobile, qualifiée de « rêve de Staline » (où même l’OS Android ne trouve pas grâce à ses yeux).

En toute logique, il ne possède pas de téléphone portable. « Les décisions que vous prenez dépendent de vos valeurs. Et la plupart des gens sont conduits à penser uniquement au prix et à la performance des logiciels, et non au fait de savoir s’ils respectent votre liberté. Les gens qui prennent des décisions sur ces valeurs ne feront jamais aucune concession pour obtenir un logiciel libre, alors que moi je suis prêt à travailler pendant des années et des années pour ne pas avoir de logiciels propriétaires sur mon ordinateur ».

Et vous ?

Et de conclure l’entretien par un message plus politique en référence aux mouvements sociaux du Wisconsin : « Les entreprises et les medias de masse ont, dans une large mesure, convaincu les Américains qu’ils n’ont pas de légitimité pour refuser le système économique, quels que soient les objectifs de ce système économique. Nous avons besoin d’un esprit de résistance en Amérique. Nous devons retrouver l’esprit de liberté avec lequel nous avons bâti les États-Unis. »

PS : Pour ceux qui désireraient mieux connaître le personnage nous rappelons l’existence de notre framabook sur Richard Stallman. Eyrolles vient de nous communiquer les ventes de l’année 2010 qui sont plus qu’encourageantes avec un total dépassant les 2 300 exemplaires.

Les téléphones mobiles sont le « rêve de Staline », selon le fondateur du mouvement du logiciel libre

Cell phones are ‘Stalin’s dream,’ says free software movement founder

Jon Brodkin – 14 mars 2011 – Network World
(Traduction Framalang : Étienne, Siltaar, Pandark, Lolo le 13, Goofy, Ypll, Yoann, Garburst)

Richard Stallman[1] : Les iPhones et autres Androids sont des traceurs à la Big Brother.

Près de trente ans après le début de sa croisade pour débarrasser le monde du logiciel propriétaire, Richard Stallman constate que les smartphones sont une nouvelle menace pour la liberté des utilisateurs.

« Je n’ai pas de téléphone portable. Je n’utiliserai pas de téléphone portable », déclare Stallman, fondateur du mouvement des logiciels libres et créateur du système d’exploitation GNU. « C’est le rêve de Staline. Les téléphones mobiles sont les outils de Big Brother. Je ne vais pas porter sur moi un traceur qui enregistre où je vais en permanence, ni un outil de surveillance qui autorise les écoutes. »

Stallman croit fermement que seul le logiciel libre (NdT: free software dans le texte) peut nous préserver de ces technologies de contrôle, qu’elles soient dans les téléphones portables, les PCs, les tablettes graphiques, ou tout autre appareil. Et par free il n’entend pas gratuit mais la possibilité d’utiliser, de modifier et distribuer le logiciel de quelque façon que ce soit.

Stallman a fondé le mouvement du logiciel libre entre le début et le milieu des années 80, avec le projet GNU et la Free Software Foundation, dont il est toujours le président.

Quand j’ai demandé à Stallman de lister quelques-uns des succès du mouvement du logiciel libre, le premier à être mentionné était Android mais pas la version de Google, non, une autre version du système d’exploitation mobile débarrassé de tout logiciel propriétaire (voir également Stallman soutient LibreOffice).

« Ce n’est que très récemment qu’il est devenu possible de faire fonctionner des téléphones portables largement répandus avec du logiciel libre », dit Stallman. « Il existe une version d’Android appelée Replicant qui peut faire fonctionner le HTC Dream sans logiciel propriétaire, à part aux États-Unis. Aux États-Unis, il a quelques semaines, il y avait encore un problème avec certaines bibliothèques, même si elles fonctionnaient en Europe. À l’heure qu’il est, peut-être cela fonctionne-t’il, peut-être pas. Je ne sais pas. »

Bien qu’Android soit distribué sous des licences libres, Stallman note que les constructeurs peuvent produire et livrer le matériel avec des exécutables non libres, que les utilisateurs ne peuvent pas remplacer « parce qu’il y a un élément dans le téléphone qui vérifie si le logiciel a été changé, et ne laissera pas des exécutables modifiés se lancer». Stallman appelle cela la Tivoisation, parce que TiVo utilise des logiciels libres tout en plaçant des restrictions matérielles qui l’empêchent d’être altéré. « Si le constructeur peut remplacer l’exécutable, mais que vous ne pouvez pas, alors le produit est dans une cage », dit-il.

En théorie, les téléphones qui n’utilisent que des logiciels libres peuvent être à l’abri des risques d’espionnage électronique. « Si vous n’avez que des logiciels libres, vous pouvez probablement vous en protéger, parce que c’est par les logiciels qu’on peut vous espionner », explique Stallman. Petit paradoxe au passage, Stallman répondait à mes questions sur un téléphone portable. Pas le sien, bien entendu, mais celui qu’il avait emprunté à un ami espagnol pour sa tournée de conférneces en Europe. Pendant les 38 minutes de notre échange, la connexion a été coupée cinq fois, y compris juste après un commentaire de Stallman sur l’espionnage électronique et les logiciels libres sur les téléphones. Nous avons essayé de nous reconnecter plusieurs heures plus tard mais il nous a été impossible de terminer l’interview par téléphone. Stallman a répondu au reste de mes questions par email.

Sacrifier le confort est une chose dont Stallman est familier. Il refuse d’utiliser Windows ou Mac, bien évidemment, mais même un logiciel tel qu’Ubuntu, peut-être le système d’exploitation le plus populaire basé sur GNU et le noyau Linux, ne satisfait pas ses critères de liberté. « Peu de monde est prêt à faire les mêmes sacrifices », reconnaît-il.

« Les décisions que vous prenez dépendent de vos valeurs », dit-il. « Et la plupart des gens sont conduits à penser uniquement au prix et à la performance des logiciels, et non au fait de savoir s’ils respectent votre liberté. Les gens qui prennent des décisions sur ces valeurs ne feront jamais aucune concession pour obtenir un logiciel libre, alors que moi je suis prêt à travailler pendant des années et des années pour ne pas avoir de logiciels propriétaires sur mon ordinateur ».

Stallman utilise un ordinateur portable Lemote Yeeloong faisant tourner gNewSense, une distribution GNU/Linux ne comportant que des logiciels libres.

« Il y a des choses que je ne peux pas faire. J’utilise actuellement un ordinateur assez lent, parce que c’est le seul portable avec un BIOS libre. gNewSense est la seule distribution entièrement libre qui tourne sur Lemote, qui est équipé d’un processeur de type MIPS » explique Stallman. Une autre distribution était fournie avec le Lemote, mais elle comprenait des logiciels non libres que Stallman a remplacés par gNewSense.

Stallman, 57 ans, a commencé à faire l’expérience du partage de logiciels à ses débuts au Laboratoire d’intelligence artificielle du MIT en 1971. Cette communauté de partage s’est dispersée au début des années 80 à peu près au moment où Digital Equipment Corp. a arrêté le serveur central sur lequel s’organisait la communauté. Stallman aurait pu rejoindre le monde des logiciels propriétaires s’il avait accepté de « signer des accords de confidentialité et promettre de ne pas aider mes camarades hackers », selon ses propres mots. Au lieu de cela, il a lancé le mouvement du logiciel libre.

Stallman est un personnage fascinant du monde de l’informatique, admiré par beaucoup et injurié par des entreprises comme Microsoft, qui voient en lui une menace pour les profits qu’ils peuvent tirer des logiciels.

Stallman n’a pas réussi à casser la domination de Microsoft/Apple sur le marché de l’ordinateur de bureau, sans parler de celle d’Apple sur les tablettes. Par contre, le mouvement du logiciel libre qu’il a créé a directement participé à la prolifération de serveurs sous Linux dans les data centers qui propulsent une grande partie d’Internet. Il y a peut-être là une ironie, Stallman ayant exprimé de la rancoeur au sujet de la reconnaissance acquise par le noyau Linux aux dépens de son système d’exploitation GNU.

Stallman se dit « plutôt » fier de cette multiplication des serveurs libres, « mais je suis plus inquiet de la taille du problème à corriger que du chemin que nous avons déjà accompli ».

Les logiciels libres dans les data centers, c’est bien, mais « dans le but d’apporter la liberté aux utilisateurs, leurs propres PC de bureau, portable et téléphone sont ce qui a le plus d’effet sur leur liberté ». On se soucie principalement de logiciel plutôt que de matériel, mais le mouvement insiste sur « du matériel avec des spécifications telles que l’on peut créer des logiciels libres qui le supporte totalement », insiste-t-il. « Il est outrageux de proposer du matériel à la vente et de refuser de dire à l’acheteur comment l’utiliser. Cela devrait être illégal ».

Avant d’accepter d’être interviewé par Network World, Stallman a exigé que l’article utilise sa terminologie de référence — par ex. « logiciel libre » à la place d’« open source » et « GNU/Linux » au lieu de juste « Linux ». Il a aussi demandé que l’interview soit enregistrée et que, si l’enregistrement était mis en ligne, il soit publié dans un format compatible avec le libre.

Il y a quatre libertés logicielles essentielles, expliquées par Stallman. « La liberté zéro est la liberté d’utiliser le programme comme bon vous semble. La liberté 1 est la liberté d’étudier le code source, et de le changer pour qu’il fonctionne comme vous le souhaitez. La liberté 2 est la liberté d’aider les autres ; c’est la liberté de réaliser et de distribuer des copies exactes quand vous le souhaitez. Enfin la liberté 3 est la liberté de contribuer à votre communauté, c’est la liberté de distribuer des copies de vos versions modifiées quand vous le souhaitez ».

Stallman a évoqué le terme « copyleft » pour désigner les licences qui garantissent que le code d’un logiciel libre ne peut pas être redistribué dans des produits propriétaires.

La clé de la philsophie de Stallman est la suivante : « Sans ces quatre libertés, le propriétaire contrôle le programme et le programme contrôle les utilisateurs », a-t-il affirmé. « Le programme se retrouve alors être un instrument de pouvoir injuste. Les utilisateurs méritent d’avoir la liberté de contrôler leur informatique. Un programme non libre est un système de pouvoir injuste et ne devrait pas exister. L’existence et l’usage de logiciels non libres est un problème sociétal. C’est un mal. Et notre but est un monde délivré de ce problème. »

Ce problème n’a pas été créé par une entreprise en particulier, mais Microsoft est d’habitude la plus critiquée par les gens comme Stallman.

« Ils continuent à nous considérer comme leurs ennemis », insiste Stallman. Il y a dix ans, dans une saillie restée célèbre, le PDG de Microsoft Steve Ballmer traitait Linux de « cancer ». Depuis Microsoft a baissé le ton en public, mais Stallman ne s’en laisse pas compter : « D’un certain côté ils ont appris à être un peu plus subtils mais leur but est de faire utiliser Windows et non un système d’exploitation libre ». Après cette phrase, notre appel téléphonique s’est une fois de plus interrompu.

À part Microsoft, Stallman épingle « Apple et Adobe, ainsi qu’Oracle et beaucoup d’autres qui font des logiciels propriétaires et contraignent les gens à les utiliser ».

Google « fait de bonnes choses et d’autres mauvaises » dit Stallman. « Il a mis à disposition des logiciels libres comme le codec WebM, et pousse YouTube à adopter son support. Toutefois, le nouveau projet Google Art ne peut être utilisé qu’à travers des logiciels propriétaires. »

Stallman est également en porte-à-faux avec ce qu’on appelle la communauté open source. Les partisans de l’open source sont issus du mouvement du logiciel libre, et la plupart des logiciels open source sont aussi des logiciels libres. Cependant, pour Stallman, ceux qui se disent partisans du logiciel libre ont tendance à considérer que l’accès au code source est simplement un avantage pratique, et ignorent les principes éthiques du logiciel libre. Diverses entreprises commerciales ont pris en route le train de l’open source sans adhérer aux principes auquel croit Stallman et qui devraient selon lui être au cœur du logiciel libre.

« je ne veux pas présenter les choses de façon manichéenne », déclare Stallman. « Il est certain que beaucoup de gens qui ont des points de vue open source ont contribué à des logiciels utiles qui sont libres, et il existe des entreprises qui ont jeté les bases de logiciels utiles qui sont libres aussi. C’est donc du bon travail. Mais en même temps, à un niveau plus fondamental, mettre l’accent sur l’open source détourne l’attention des gens de l’idée qu’ils méritent la liberté. »

L’une des cibles de Stallman est Linus Torvalds, le créateur du noyau Linux et l’une des personnalités les plus célèbres du monde du logiciel libre.

Stallman et son équipe ont travaillé sur le système d’exploitation GNU pendant la majeure partie des années 80, mais il manquait une pièce au puzzle : un noyau, qui puisse fournir les ressources matérielles aux logiciels qui tournent sur l’ordinateur. Ce vide a été comblé par Torvalds en 1991 quand il a mis Linux au point, un noyau analogue à Unix.

Les systèmes d’exploitation qui utilisent le noyau Linux sont couramment appelés « Linux » tout court, mais Stallman se bat depuis des années pour que les gens emploient plutôt l’appellation « GNU/Linux ».

Stallman « voudrait être sûr que GNU reçoive ce qu’il mérite » dit Miguel de Icaza de chez Novell, qui a créé le l’environnement libre GNOME, mais a été critiqué par Stallman pour ses partenariats avec Microsoft et la vente de logiciel propriétaire. « Quand Linux est sorti, Richard n’y a pas prêté sérieusement attention pendant quelque temps, et il a continué à travailler sur son propre noyau. C’est seulement lorsque Linux s’est trouvé sous les feux de la rampe qu’il a pensé que son projet n’était pas assez reconnu. » Le problème, c’est qu’à cette époque, est apparue à l’improviste une communauté qui n’était pas nécessairement dans la ligne GNU.

Le noyau GNU, appelé Hurd, est toujours « en développement actif », selon le site internet du projet.

La contribution de Torvalds au logiciel libre sera largement célébrée cette année à l’occasion des 20 ans du noyau Linux. Mais Stallman n’en sera pas l’une de ses majorettes, et pas seulement à cause de cette querelle sur le nom.

« Je n’ai pas d’admiration particulière pour quelqu’un qui déclare que la liberté n’est pas importante », explique Stallman. « Torvalds a rendu un bien mauvais service à la communauté en utilisant ouvertement un programme non libre pour assurer la maintenance de Linux (son noyau, qui est sa contribution majeure au système d’exploitation GNU/Linux). je l’ai critiqué sur ce point, et bien d’autres avec moi. Quand il a cessé de le faire, ce n’était pas par choix délibéré. Plus récemment, il vient de rejeter la version 3 de la licence GPL pour Linux parce qu’elle protège la liberté de l’utilisateur contre la Tivoisation. Son refus de la GPL v.3 est la raison pour laquelle la plupart des téléphones sous Android sont des prisons ».

Même Red Hat et Novell, largement reconnus comme soutiens du logiciel libre, ne reçoivent pas une franche approbation. « Red Hat soutient partiellement le logiciel libre. Novell beaucoup moins », dit-il, notant que Novell a un agrément de brevet avec Microsoft.

En dépit de son pessimisme apparent, Stallman voit quelques points positifs motivant sa quête de logiciel libre. Quand il n’est pas chez lui à Cambridge (Massachusetts), Stallman parcourt le monde pour y donner des conférences et participer à des débats sur le logiciel libre.

Avant de voyager vers l’Espagne, Stallman s’est arrêté à Londres pour faire une conférence (dans laquelle il a qualifié Windows de « malware ») et pour rencontrer quelques membres du Parlement afin de leur expliquer les principes du logiciel libre. Il reçoit souvent un meilleur accueil en Europe que chez lui.

« Aux États-Unis, la conscience du logiciel libre a été presque entièrement cachée sous le tapis par l’open source. Dès lors on ne trouve aucun responsable gouvernemental qui accepte de parler avec moi ».

Mais hors de l’Amérique du Nord, quelques gouvernements s’engagent dans le logiciel libre. « J’ai découvert hier, qu’en France, les organismes d’État continuent à migrer vers le logiciel libre », dit-il. « Il n’y a pas une politique systématique qui leur enjoint de le faire, mais ils le font de plus en plus. Et dans certains pays, par exemple en Équateur, il existe une politique explicite pour que les organismes gouvernementaux migrent vers le logiciel libre, et ceux qui veulent continuer à utiliser des logiciels non libres doivent demander une dérogation temporaire pour le faire. »

Bien que Stallman ne l’ait pas mentionné, le gouvernement russe exige aussi des organismes qu’ils remplacent les logiciels propriétaires par des alternatives libres d’ici 2015, afin d’améliorer à la fois l’économie et la sécurité, selon le Wall Street Journal.

Au-delà du logiciel libre, Stallman se consacre aux questions politiques, et tient un blog pour le journal Huffington Post. De fait, il voit peu de différences entre les entreprises qui maltraitent la liberté logicielle et les « gredins de Washington » qui sont les obligés des lobbys d’entreprises qui leur font des dons.

Dans les mouvements sociaux récents du Wisconsin, Stallman retrouve quelque chose de son propre état d’esprit. « Quelquefois, la liberté demande des sacrifices et la plupart des Américains n’ont pas la volonté de faire le moindre sacrifice pour leur liberté », dit-il. « Mais peut-être que les manifestants du Wisconsin commencent à changer cela ». Les entreprises et les medias de masse « ont, dans une large mesure, convaincu les Américains qu’ils n’ont pas de légitimité pour refuser le système économique, quels que soient les objectifs de ce système économique. Nous avons besoin d’un esprit de résistance en Amérique. Nous devons retrouver l’esprit de liberté avec lequel nous avons bâti les États-Unis. »

Notes

[1] Crédit photo : Eva Blue (Creative Commons By)




Avec Open Mesh les humains sont les routeurs (et sauvent les révolutions)

Tanakawho - CC byAyant tiré ses propres conclusions de la révolte tunisienne, l’Égypte décida, le 28 janvier dernier, de couper Internet pour neutraliser les moyens de communication et ainsi contrecarrer les manifestations anti-Moubarak.

Et tout d’un coup, ce qui était un extraordinaire avantage devint une formidable faiblesse.

Comment faire dès lors pour se prémunir d’une telle décision radicale et continuer à assurer l’un des droits de plus en plus fondamental de ce nouveau millénaire ?

Comme pour la Freedom Box, une piste de solution est à rechercher du côté du réseau maillé avec l’originalité de jouer nous-mêmes le rôle de routeurs Internet[1] :

« L’idée fondatrice d’OpenMesh est que nous puissions utiliser de nouvelles techniques pour créer un réseau Internet secondaire dans les pays comme la Libye, la Syrie, l’Iran, la Corée du Nord et d’autres régimes répressifs dans lesquels les citoyens ne peuvent pas communiquer librement. En créant des routeurs mobiles qui se connectent entre eux, nous pourrions créer un réseau auquel les téléphones portables et les ordinateurs personnels se connecteraient. La première priorité serait de relier les personnes entre elles, la seconde de les relier au reste du monde. Sur un second front, nous pourrions utiliser des connexions intermittentes par satellite afin que les citoyens de ces pays puissent mettre en ligne et télécharger des informations avec le reste du monde… »

Les humains sont les routeurs

Humans are the routers

Shervin Pishevar – 27 février 2011 – Techcrunch.com
(Traduction Framalang : Naar, Pandark et Goofy)

Le 7 janvier 2010, j’étais convié à un petit dîner privé avec la secrétaire d’État Hillary Clinton au département d’État avec l’inventeur de Twitter, Jack Dorsey, Eric Schmidt, le PDG de Google et quelques autres. Nous étions là pour parler des technologies et des questions diplomatiques du XXIe siècle. Au cours de la discussion, j’ai remarqué près de moi la petite table sur laquelle Thomas Jefferson rédigea le premier jet de la Déclaration d’Indépendance. J’étais inspiré par l’Histoire qui nous entourait pendant que nous discutions de celle qui s’ouvrait devant nous. Je faisais face à Mme Clinton quand elle m’a posé une question à laquelle j’ai répondu : « Madame la Secrétaire d’État, le dernier bastion de la dictature est le routeur ». Cette soirée a fait germer certaines des idées au cœur de l’important discours de la secrétaire d’État au sujet des libertés sur Internet le 21 janvier 2010.

Passons directement, quasi un an plus tard,au 25 janvier 2011 — un jour qui devait marquer l’Histoire aux côtés de dates comme le 4 juillet 1776. La décision de l’Égypte de bloquer entièrement Internet et le réseau de télécommunications mobiles a été l’une des premières salves dans une guerre de munitions électroniques. Sur ce nouveau front, les humains sont les routeurs, et armés des nouvelles technologies, ils ne pourront plus jamais être bloqués ni réduits au silence.

J’étais debout depuis des jours, partageant et tweetant les informations au fur et à mesure de leur apparition. J’avais deux amis proches en Égypte, qui me transmettaient des informations quand ils le pouvaient. Le jour où l’Égypte a bloqué Internet et le réseau mobile, je me suis souvenu de ce que j’avais dit à la secrétaires d’État Clinton. La seule ligne de défense contre le filtrage et le blocage par un gouvernement des communications et de la coordination entre ses citoyens via les réseaux de communication était de créer un nouveau type de technologies de communication que les gouvernements auraient du mal à bloquer : un réseau maillé, sans fil, dédié. J’ai appelé cette idée OpenMesh et l’ai tweettée.

Au cours des heures qui ont suivi, grâce au travail commun des volontaires, le projet OpenMesh prenait forme, avec un nom de domaine, un site web et un forum. Un volontaire, Gary Jay Brooks, tech-entrepreneur du Michigan, s’est proposé comme directeur bénévole pour coordonner le travail. Une autre société au Canada a offert bénévolement des spécifications pour un mini-routeur mobile pouvant être dissimulé dans une poche, et dont la fabrication ne nous coûterait que 90 dollars par unité. Un autre pionnier des communications s’est manifesté pour faire don d’importants brevets dans ce domaine.

L’idée fondatrice d’OpenMesh est que nous puissions utiliser de nouvelles techniques pour créer un réseau Internet secondaire dans les pays comme la Libye, la Syrie, l’Iran, la Corée du Nord et d’autres régimes répressifs dans lesquels les citoyens ne peuvent pas communiquer librement. En créant des routeurs mobiles qui se connectent entre eux, nous pourrions créer un réseau auquel les téléphones portables et les ordinateurs personnels se connecteraient. La première priorité serait de relier les personnes entre elles, la seconde de les relier au reste du monde. Sur un second front, nous pourrions utiliser des connexions intermittentes par satellite afin que les citoyens de ces pays puissent mettre en ligne et télécharger des informations avec le reste du monde. OpenMesh se veut un lieu d’échange d’informations pour connecter les meilleures idées existantes et mettre les outils entre les mains de tous.

Le réseau OpenMesh est un type de réseau au sein duquel chacun des nœuds reliés au réseau peut agir comme un routeur indépendant ou un dispositif intelligent, qu’il dispose ou non d’une connexion à Internet. Les réseaux maillés sont incroyablement robustes, avec des connexions continues qui peuvent se reconfigurer autour de chemins brisés ou bloqués en « sautant » de nœud en nœud jusqu’à ce que la destination soit atteinte, comme un autre appareil sur le réseau ou une liaison vers Internet. Quand un accès local à Internet est disponible, ils peuvent augmenter le nombre de personnes capables de s’y connecter. Lorsqu’il n’y en a pas, les réseaux maillés peuvent permettre aux personnes de communiquer ensemble même si les autres formes de communication électronique sont hors d’usage. Les dispositifs sont compatibles avec la plupart des ordinateurs équipés du wifi et fonctionnent sur les systèmes Microsoft Windows, Apple OS X et Unix existants, ainsi que les appareils mobiles iPhone et Android. Un réseau open source offre de plus une solution adaptable qui engage des frais réduits tout en évitant les erreurs du passé et les verrous des constructeurs. Combinés à du matériel ouvert, ces réseaux rendent plus facile une maintenance évolutive et leur amélioration sur le long terme.

Nous allons établir, construire, soutenir et distribuer un firmware Mesh open source qui permettra aux citoyens du monde de communiquer sans téléphone ni câblo-opérateur. Le produit brut d’OpenMeshProject.org sera libre et gratuit à télécharger et utiliser. La technologie sera distribuée et maintenue comme projet open source GPL v2. Cela signifie que tout le monde peut utiliser ou modifier le logiciel. Notre travail en tant que communauté sera de soutenir le projet. Nous aiderons à créer des standards. Nous aiderons les communautés à créer des réseaux maillés. Nous ferons pression sur les fabricants d’équipement pour qu’ils rejoignent l’initiative du Projet Open Mesh. L’idée tourne entièrement autour de la technologie sans fil qui nous permettra de communiquer ensemble sans ligne, ni câble, ni fibre. Nous construirons un réseau privé capable de couvrir des pays entiers. Nous donnerons le pouvoir aux citoyens de demain. Au final, une grand-mère pourra trouver ce disque dans la rue, rentrer à la maison, installer le CD dans son ordinateur portable et rejoindre le réseau maillé en deux clics. Après quoi elle commencera à voir les autres sur son réseau, à cliquer pour y appeler d’autres membres, rejoindre des conversations multi-utilisateurs ou chercher des amis en ligne pour discuter. Nous, en tant que communauté d’OpenMeshProject.org, faciliterons la construction et le soutien de ce projet. Nous construirons tous ensemble un maillage. Nous inviterons les gens à participer et à proposer de nouvelles innovations. En travaillant ensemble, nous pouvons assurer les communications qui seront nécessaires demain.

La liberté de communiquer fait partie de nos droits fondamentaux. Le XXIe siècle sera défini par le principe qu’aucun gouvernement, aucun pouvoir ne devra jamais bloquer ni brider le droit de tous les hommes et femmes de communiquer ensemble. Mon rêve le plus cher, c’est que de mon vivant, les dictatures soient bannies de cette planète et qu’une véritable démocratie non limitée fleurisse partout. Il est temps que cessent nos marchés faustiens avec les dictateurs brutaux pour des intérêts à court terme et qu’ils soient remplacés par une nouvelle alliance avec les citoyens du monde entier qui recherchent la liberté. OpenMesh est un premier pas qui aidera à créer un monde où une telle alliance pourra se maintenir, un monde où les personnes courageuses armées de ces nouveaux outils ne pourront plus jamais être contraintes ni muselées.

Note de l’éditeur : L’auteur invité Shervin Pishevar est le fondateur du projet OpenMesh et de SGN, ainsi qu’un Business angel actif.

Notes

[1] Crédit photo : Tanakawho (Creative Commons By)




La Freedom Box ou la petite boîte qui voulait que l’Internet restât libre

Thierry Ehrmann - CC byParadoxes apparents. Peut-on simultanément souhaiter la fermeture des données et l’ouverture d’Internet ? Peut-on se féliciter du rôle joué par Facebook et Twitter en Tunisie ou en Égypte tout en affirmant que ces sites sont à très court terme dangereux pour ceux qui les utilisent ?

C’est cette double problématique qui est au cœur de la FreedomBox Foundation, le nouveau projet du brillant juriste de la FSF Eben Moglen qui fait régulièrement l’objet de billets sur ce blog. Et la solution qu’il nous propose est aussi simple que de brancher son chargeur de téléphone, à ceci près que c’est alors un mini serveur que nous mettons dans la prise (sous OS libre évidemment)[1].

Il est ici question de nos données personnelles, de notre vie en ligne, de notre manière de communiquer et d’interagir avec les autres. Et il s’agit bien moins de se cacher que de pouvoir choisir et définir à notre guise les conditions du partage de ces données, dans un Internet menacé aujourd’hui dans ses fondements mêmes par la censure, le filtrage ou le non respect de sa neutralité originelle.

Personne ne nous a obligés. Mais puisque c’était gratuit, c’était pratique, nous avons mis nos infos et nos amis sur Facebook et Twitter, nos messages dans Gmail, nos photos sur Flickr, nos vidéos sur YouTube, nos documents dans Google Docs… Au final nous avons participé ensemble à un formidable mouvement de centralisation du Net, où un nombre très restreint de sites hébergent une quantité phénoménale de données personnelles.

Que se passe-t-il le jour où ces quelques sites sont rendus volontairement ou non inaccessibles ?[2] Et que font ou feront exactement ces sites, tous commerciaux (et tous américains), avec nos données ?

C’est avant tout cela aujourd’hui le cloud computing que des marketeux de génie osent encore nous présenter comme de « l’informatique dans les nuages ». Des nuages, il y en a de moins en moins en fait mais ils sont de plus en plus gros et annoncent à n’en pas douter de futures tempêtes si nous n’y faisons rien.

Agir, c’est en l’occurrence faire revenir nos données chez nous, à la maison, dans le mini serveur branché sur la prise. Cela peut paraitre totalement irréaliste vu l’état de la situation actuelle, mais les acteurs du Libre n’en sont plus à un projet fou près.

Ils nous auront prévenus en tout cas…

Moglen, la Freedom Box et la liberté du Net

Moglen on Freedom Box and making a free net

Jonathan Corbet – 8 février 2011 – LWN.net
(Traduction Framalang : Jean, Gilles, Antistress, Yonnel et Goofy)

Eben Moglen est d’habitude un orateur enthousiasmant et sa conférence au FOSDEM 2011 a tenu toutes ses promesses. Le logiciel libre demeure, comme toujours, à la base de son discours, mais il a adopté une perspective plus politique et il pense que la communauté devrait en faire autant. Notre liberté, a-t-il dit, dépend d’une conception revisitée du réseau afin de remplacer des services vulnérables et centralisés par des alternatives qui résisteraient au contrôle des gouvernements.

La publication du livre Code de Larry Lessig, dit Eben, a attiré notre attention sur le fait que, dans le monde dans lequel nous vivons, le code fonctionne de plus en plus comme la loi. Le code fait le travail que lui demande l’Ètat, mais il peut aussi servir la révolution contre l’état. Nous sommes aujourd’hui témoins de la démonstration magistrale du pouvoir du code, dit-il. Dans le même temps, il faut accorder beaucoup d’intérêt à la publication de The Net Desilusion d’Evgeny Morozov qui proclame qu’Internet a été choisi pour contrôler les libertés dans le monde entier. Le livre est conçu comme un cri d’alarme contre les techno-optimistes. Eben est, selon lui, un de ces optimistes. La leçon qu’il a tiré des événements actuels est que le bon réseau apporte la liberté, mais le mauvais réseau apporte la tyrannie.

Nous avons passé beaucoup de temps à élaborer des logiciels libres. Et ce faisant, nous avons joint nos forces à celles d’autres acteurs de la culture libre. Des personnes comme Jimmy Wales, mais aussi d’autres comme Julian Assange. Wikipédia et Wikileaks, dit-il, sont deux faces d’une même pièce. Au FOSDEM, il a déclaré qu’on peut voir une « troisième face » de cette pièce. Nous faisons tous partie de ceux qui se sont mis en ordre de bataille pour changer le monde sans créer de nouvelles hiérarchies dans l’opération. À la fin de l’année 2010, Wikileaks était perçue comme une opération criminelle. Les événements en Tunisie ont changé cette perception. Wikileaks s’est révélé être une tentative pour aider les gens à y voir plus clair sur leur propre monde. Wikileaks, a-t-il dit, n’est pas la destruction, c’est la liberté.

Mais maintenant il y a beaucoup d’Égyptiens dont la liberté dépend de la capacité à communiquer à travers des canaux commerciaux qui répondront à la pression du gouvernement. Nous voyons maintenant en temps réel les points faibles qui viennent de la mauvaise conception du système actuel (NdT : Cet article a été rédigé le 8 février dernier, alors que Moubarak étant encore en place et le Net censuré).

Les réseaux sociaux, a-t-il déclaré, ont modifié l’équilibre du pouvoir au détriment de l’État et au bénéfice du peuple. Les évènements dans des pays comme l’Iran, la Tunisie, et l’Égypte démontrent leur importance. Mais les formes de communication sociale actuelles sont « extrêmement dangereuses » à utiliser. Elles sont aussi centralisées et vulnérables au contrôle de l’État. Leur conception est dirigée par le profit, pas par la liberté. Donc les mouvements politiques se basent sur des fondations fragiles : le courage de M. Zuckerberg ou Google à résister à l’État – le même État qui peut facilement les faire fermer.

De la même manière, l’information en temps réel pour les personnes essayant de construire leur liberté dépend d’un seul service de micro-blogging basé en Californie et qui doit faire du profit. Cette organisation est capable de décider, seule, de donner tout son historique à la bibliothèque du Congrès Américain. Qui sait le genre de dons elle a pu faire ailleurs ?

Nous devons résoudre cette situation, et rapidement. Nous sommes « derrière la vague » des mouvements de libération qui dépendent essentiellement du code. Plus nous attendons, plus nous faisons partie du système. Et ça amènera rapidement des tragédies. Ce qui s’est déroulé en Égypte est riche d’enseignements, mais les choses auraient pu se passer de manière bien pire encore. L’État a été long à contrôler Internet et ne s’est pas montré aussi dur qu’il le pouvait. Selon Eben, ce n’est pas difficile de décapiter une révolution quand tout le monde est dans la base de données de M. Zuckerberg.

Il est temps de penser aux conséquences de ce que nous avons construit et de ce que nous n’avons pas encore construit. Nous avons parlé pendant des années de remplacer les services centralisés par des services fédérés ; la centralisation excessive est une vulnérabilité critique qui peut entraîner arrestations, torture, et meurtres. Les gens dépendent de la technologie qui est construite pour les vendre au plus offrant. Si nous nous soucions véritablement de la liberté, nous devons traiter ce problème. Parce que le temps presse et les gens sont dans une situation dangereuse. Eben ne veut pas que les gens qui prennent des risques pour la liberté utilisent un iPhone.

Ce que nous a montré l’Egypte, comme l’avait fait l’Iran, est qu’un réseau fermé est dangereux et que les « interrupteurs qui coupent le réseau » mettent en danger les gens épris de liberté. Que pouvons-nous faire quand un gouvernement verrouille les infrastructures du réseau ? Nous devons revenir à l’idée de réseaux en maille, conçus à partir des équipements existants, qui peuvent résister au contrôle gouvernemental. Et nous devons revenir à des communications sécurisées à chaque extrémité du réseau. Pouvons-nous le faire ? a-t-il demandé.

Bien sûr que nous pouvons mais le ferons-nous ? Si nous ne bougeons pas, la promesse du mouvement du logiciel libre commencera à ne plus être tenue. C’est la répression qui l’emportera en apportant la preuve que le réseau en tant que tel n’est en rien une garantie contre les régimes autoritaires.

L’Amérique du Nord, selon Eben, devient le cœur d’une industrie de data mining mondialisé. Quand le Président américain Dwight Eisenhower a quitté le pouvoir, il nous a mis en garde contre la montée en puissance du complexe militaro-industriel. En dépit de cet avertissement, les États-Unis ont, depuis, investi dans leur armée plus que tous les autres pays réunis. Depuis les évènements du 11 Septembre 2001, un nouveau pas dans l’industrie de la surveillance a été franchi. Eben a fortement recommandé de lire les article du dossier « Top Secret America » publiés par le Washington Post. Ils nous permettent d’ouvrir les yeux sur un certain nombre d’opérations à-la-Google, toutes sous le contrôle du gouvernement. La protection des données en Europe a tellement bien fonctionné qu’elle a causé la migration de toutes ces données en Amérique du Nord, où leur usage n’est pas contrôlé. Le data mining, comme toutes les industries, a tendance à se déplacer dans les endroits où il y a le moins de contrôle. En aucun cas le gouvernement américain ne va changer cette situation, il en dépend bien trop fortement. Pendant la campagne présidentielle, Barack Obama excluait de donner l’immunité à l’industrie des télécommunications pour son rôle dans l’espionnage des Américains. Cette position n’a même pas duré le temps de l’élection. La politique actuelle d’Obama n’est pas très différente de celle de ses prédécesseurs, excepté dans les domaines où elle est moins agressive.

L’industrie privée ne changera pas les choses non plus, l’appât du gain n’entraînera ni le respect de la vie privée ni la défense des gens dans la rue. Les sociétés qui essaient de faire du profit n’y parviennent pas sans l’aval des gouvernements. Donc nous devons construire le Net en partant du principe que le réseau n’est pas intrinsèquement digne de confiance, et que les services centralisés peuvent aller jusqu’à tuer des gens. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être nonchalants et indifférents avec ça, nous devons remplacer tous ces points faibles.

Or nous savons comment nous sortir de cette situation. Nous devons créer des serveurs-prises qui sont bon marché et nécessitent peu de courant, et nous devons les remplir de « logiciels libres sympas ». Nous devons concevoir des réseaux maillés, élaborer des plateformes de téléphonie auto-construits avec des outils comme OpenBTS ou Asterisk, des réseaux sociaux fédérés, et des plateformes de publication anonymes. Nous devons conserver nos données dans nos maisons où elles sont protégées par des lois contre la recherche physique. Nous devons toujours chiffrer nos emails. Ces systèmes peuvent aussi être utilisés défensivement et servir de serveur proxy pour contourner les pare-feux nationaux. Nous pouvons faire tout cela a déclaré Eben, c’est tout à fait réalisable vu ce que nous avons déjà sous la main.


Eben a conclu en annonçant la création de la Freedom Box Foundation, qui a vocation à rendre tout cela disponible et « moins cher que des chargeurs de téléphone portable ». Il y a une génération, nous avons pris le chemin de la liberté, et nous y sommes encore. Mais nous devons passer à la vitesse supérieure, et donner à nos outils un objectif plus politique. Nos amis sont dans la rue ; si nous ne les aidons pas, ils seront en danger. La bonne nouvelle est que nous avons déjà presque tout ce dont nous avons besoin, et qu’il n’y a plus qu’à se retrousser les manches.

Notes

[1] Pour avoir plus de détails sur les caractéristiques techniques des serveurs-prises, nous vous invitons à lire le billet de Philippe Scoffoni : FreedomBox Foundation, une initiative pour communiquer en sécurité sur internet.

[2] Crédit photo : Thierry Ehrmann (Creative Commons By)