Donnez-moi la liberté de vous payer… par Ploum

Et si nous faisions en sorte qu’Internet nous permette de payer en toute liberté ?

Que nous sortions du double carcan de la somme fixe et unique pour tout le monde et du poids moral négatif induit par l’usage (de la copie) sans rétribution ?

Flattr - CC by

Si c’est possible de le copier, alors vous le trouverez gratuitement sur Internet. Ceci n’est pas un slogan publicitaire mais une constatation. Nous vivons dans un monde où le contenu s’est affranchi de son support matériel et des limites inhérentes. Dans ce monde, les barrières de l’accès à la connaissance sont tombées. Tout le monde peut partager une réflexion philosophique, une analyse d’une œuvre de Monet. Ou une vidéo de chatons et le dernier clip d’un chanteur à la mode.

Au fond, c’est merveilleux. Cela devrait nous émerveiller tous les matins. Aucun auteur de Science-Fiction n’avait osé en rêver. C’est génial ! Sauf si on gagne sa vie à vendre du contenu sur un support physique. Auquel cas, la perspective est un peu inquiétante.

Alors que le support physique n’était jamais qu’un moyen comme un autre de diffuser de l’information, les vendeurs ont tout d’abord tenté de lier irrémédiablement le contenu avec son contenant. Voire de distribuer le contenu de manière virtuelle mais en ajoutant artificiellement les contraintes du matériel, quand bien même ce matériel n’existait plus.

Après cet échec prévisible, les industries du contenu cherchèrent d’autres méthodes de rentabilisation. Après tout, il existe des journaux gratuits, des chaînes de télévision gratuites. Le dénominateur commun étant le financement par l’ajout de publicité.

Outre les questions qu’elle pose, la publicité a le problème de dégrader l’expérience du contenu. Apprécierez-vous d’être interrompu au milieu d’une fugue de Bach par un slogan ventant des croquettes pour chat ? Pire : tout comme il est possible de tout trouver gratuitement, il est également possible de bloquer la publicité.

Un monde virtuel qui ne vivrait que de la publicité serait fortement limité. En effet, la publicité devrait forcément faire référence aux produits du monde réel, celui au grand plafond bleu, produits limités en quantité par le monde réel lui-même. À l’heure où l’on parle de décroissance, on ne peut imaginer augmenter à l’infini les publicités.

Lorsqu’il n’est physiquement plus possible de forcer quelqu’un à vous donner de l’argent, la seule solution est de faire appel à son sens moral. De le convaincre. Deux choix s’offrent au vendeur : la voie positive « C’est bien de donner » et celle négative « Ne pas donner, c’est mal ! ».

Devinez laquelle a été choisie ? Nous vivons dans un monde merveilleux où le partage est possible instantanément à travers la planète et nous avons réussi à transformer cette utopie futuriste, cette réalisation extraordinaire en un péché moral : « Ne pas payer, c’est mal ! », « Ne pas payer est illégal », « Si vous ne payez pas, vous serez poursuivi en justice », « Si vous ne payez pas, vos artistes préférés vont mourir de faim ».

Mais toute cette rhétorique négative se fonde sur une série de postulats.

1. Un artiste doit être payé pour ses réalisations.

FAUX. Cette vision se base sur une séparation nette entre les artistes d’un côté et les consommateurs de l’autre. Internet a démontré que nous sommes tous, à différents degrés, des artistes. Comme le dit Rick Falkvinge, un artiste c’est quelqu’un qui produit de l’art. À partir du moment où cette personne cherche à en tirer du profit, elle devient un entrepreneur. Et, à ce titre, c’est à elle de mettre en place un business model. On pourrait également appliquer cet argument au logiciel libre et dire que tout codeur doit être payé pour ses contributions. Pourtant, le logiciel libre prouve que c’est loin d’être le cas.

2. Tout travail mérite salaire.

FAUX. Le client paie généralement le produit d’un travail, pas le travail lui-même. Creuser un trou dans votre jardin est un travail dur. Le reboucher l’est tout autant. Pourtant, personne ne vous paiera pour cela. Le travail n’est donc rémunéré que lorsque quelqu’un estime intéressant de le faire, quelle que soit sa raison.

3. Il faut payer avant de consommer.

FAUX. Imaginez que vous puissiez entrer dans un restaurant, manger et que le prix soit laissé à votre appréciation. Si vous avez aimé, vous payez beaucoup. Sinon, vous payez moins ou juste assez pour couvrir le prix des produits. Utopiques ? C’est pourtant dans ce monde que nous vivons de plus en plus. La musique en est l’exemple le plus marquant : il n’est pas rare de rencontrer des audiophiles qui achètent un album qu’ils ont téléchargé depuis six mois sous prétexte : « C’est vraiment un bon CD, je l’adore, je l’écoute en boucle. Du coup, je l’achète pour soutenir l’artiste. ».

4. Il est obligatoire de payer.

FAUX. Contrairement à l’exemple du restaurant, la reproduction de l’information à un coût tout à fait nul. Il n’y a donc aucune raison particulière de payer pour consommer du contenu. Nous écoutons de la musique chez des amis, nous lisons un livre trouvé sur un banc, nous entendons un voisin expliquer le sens de la vie par dessus sa haie : nous consommons en permanence du contenu sans le payer. Pire, un même contenu peut être consommé gratuitement à titre promotionnel puis rendu payant par après. Les distributeurs de contenu sont donc dans la position schizophrénique de devoir diffuser le contenu autant que possible tout en empêchant… qu’il soit trop diffusé.

Pourtant, cet argument de l’obligation de payer est tellement tenace qu’il en est devenu « Si c’est gratuit, c’est nul » jusqu’à un extrème « Si c’est cher, c’est bien » exploité par les grandes marques.

5. Chacun doit payer le même prix pour accéder au même contenu.

FAUX. De nouveau, aucune loi naturelle n’oblige à ce que chacun paie la même chose pour le même service. Nous sommes pourtant habitués à ce genre de choses : les militaires, les jeunes et les pensionnés ont des réductions dans les transports en commun. Les journalistes et les professeurs ont des entrées gratuites dans certains musées.

Quand on y pense, payer le même prix est foncièrement injuste. Une personne qui adore un contenu paiera autant que quelqu’un qui n’a agit que par réflexe suite à une publicité et ne le consommera qu’une ou deux fois.

Si nous arrivons à remettre en question ces postulats, alors peut-être arriverons-nous à sortir de cette pernicieuse morale négative. Peut-être pourrons-nous enfin être fiers de cet accomplissement humain : le partage du savoir à tous les niveaux.

Et des solutions commencent à se mettre en place. Ma préférée étant Flattr qui, justement, permet de donner une petite somme d’argent aux contenus que l’on apprécie et ce parfois automatiquement. Avec la subtilité que la somme donnée par mois est fixe, quelque soit la quantité de contenu consommé. Framasoft est sur Flattr et je milite activement pour qu’on puisse Flattrer les billets individuels ! Certes, Flattr est centralisé mais tout service gérant des transferts d’argent le restera tant que Bitcoin ne sera pas généralisé !

Les artistes eux-mêmes commencent à bouger. Après l’expérience de Radiohead en 2007, c’est au tour d’Amanda Palmer de voir dans le « Payez ce que vous voulez » l’avenir des artistes. Et pour ceux qui souhaitent vraiment s’investir dans la réussite d’un artiste, les plateformes de « crowdsourcing » comme Kickstarter sont en train de contourner de plus en plus le rôle des gros producteurs, de décentraliser les industries du contenu.

À ce genre de discours, il est courant d’objecter que, si ils ont le choix, les consommateurs vont éviter de payer. Pourtant, le choix est déjà là. La majorité des consommateurs choisit de payer pour des raisons morales le plus souvent négatives. Il existe également des domaines où le fait de donner volontairement est considéré comme normal : c’est le principe du pourboire. Je vous propose de tester le web payant pour vous faire votre propre idée.

Transformer Internet en une économie du « Payez ce que vous voulez » ne serait donc que transformer les raisons morales afin de les rendre positives. Et, à ce titre, rendre complètement obsolètes tous les fichages, les surveillances et autre HADOPI. Un retour à la liberté.

Flattr ne différencie pas les consommateurs des producteurs de contenu. Nous sommes tous des producteurs de contenu, nous somme tous des artistes. Et nous sommes tous également avides de nouveautés, d’art et d’idées. Finalement, n’est-ce pas un des fondement de l’égalité ?

Contrairement à un achat, où je me sens toujours extorqué de mon argent durement gagné, faire un micro don me réchauffe le cœur, me donne le sentiment d’être, à mon échelle, un contributeur. Un sentiment de fraternité.

Liberté, égalité, fraternité. C’est peut-être la définition du web et de l’art de demain.

Crédit photo : Flattr (Creative Commons By)




L’éducation utilise une licence Creative Commons défectueuse, par R. Stallman

Nous vous proposons ci-dessous la traduction d’un récent article de Richard Stallman sur l’usage des licences Creative Commons dans l’éducation.

Et c’est bien le pluriel de ces licences Creative Commons qui pose problème. Le choix majoritaire de la fameuse clause non commerciale NC serait contre-productive voire toxique dans le champ considéré ici.

« J’exhorte Creative Commons à prendre position et à déclarer que les œuvres censées être utilisés en pratique, y compris la documentation pédagogique et les œuvres de référence soient, comme les logiciels, diffusés uniquement sous des licences libres… Les licences CC BY-NC et CC BY-NC-SA, telles qu’elles existent aujourd’hui, doivent être évitées. »

L’occasion également pour Stallman de rappeler que cohabitent au sein des Creative Commons des licences libres et d’autres non libres, et que ces dernières sont tout à fait acceptables voire légitimes lorsqu’il s’agit d’œuvres artistiques ou d’opinion (ce qui n’est donc pas le cas pour l’éducation).

Un article à confronter avec celui de Calimaq sur Owni : Le non commercial, avenir de la culture libre.

Preliminares 2013 - CC by-sa

L’éducation en ligne utilise une licence Creative Commons défectueuse

On-line education is using a flawed Creative Commons license

Richard Stallman – version du 14 janvier 2013 – Site personnel
(Traduction du 28 janvier 2013 : albahtaar, Vrinse, goofy, MdM, aKa, KoS, FirePowi, Thérèse, Penguin, revue et corrigée par Richard Stallman)

Des universités de premier plan utilisent une licence non-libre pour leurs ressources d’enseignement numérique. C’est déjà une mauvaise chose en soi, mais pire encore, la licence utilisée a un sérieux problème intrinsèque.

Lorsqu’une œuvre doit servir à effectuer une tâche pratique, il faut que les utilisateurs aient le contrôle de cette tâche, donc ils ont besoin de contrôler l’œuvre elle-même. Cela s’applique aussi bien à l’enseignement qu’au logiciel. Pour que les utilisateurs puissent avoir ce contrôle, ils ont besoin de certaines libertés (lisez gnu.org), et l’on dit que l’œuvre est libre. Pour les œuvres qui pourraient être utiles dans un cadre commercial, les libertés requises incluent l’utilisation commerciale, la redistribution et la modification.

Creative Commons publie six licences principales. Deux sont des licences libres : la licence « Partage dans les mêmes conditions » CC BY-SA est une licence libre avec gauche d’auteur (en anglais, « copyleft ») forçant l’utilisation de la même licence pour les œuvres dérivés, et la licence « Attribution » (CC BY) qui est une licence libre sans gauche d’auteur. Les quatre autres ne sont pas libres, soit parce qu’elles ne permettent pas de modification (ND) soit parce qu’elles ne permettent pas d’utilisation commerciale (NC).

Selon moi, les licences non libres qui permettent le partage sont légitimes pour des œuvres artistiques ou de divertissement. Elle le sont également pour des œuvres qui expriment un point de vue (comme cet article lui-même). Ces œuvres ne sont pas dédiés à une utilisation pratique, donc l’argument concernant le contrôle par l’utilisateur ne s’y applique pas. Ainsi, je ne vois pas d’objection à ce qu’elles soient publiées sous licence CC BY-NC-ND, qui ne permet que la redistribution non commerciale de copies identiques à l’original.

L’utilisation de cette licence pour une œuvre ne signifie pas qu’il soit totalement impossible de la publier commercialement ou avec des modifications. La licence n’en donne pas la permission, mais vous pouvez toujours demander la permission au détenteur du droit d’auteur, peut-être avec un contrepartie, et il se peut qu’il vous l’accorde. Ce n’est pas obligé, mais c’est possible.

Cependant, deux des licences non libres CC mènent à la création d’œuvres qui, en pratique, ne peuvent pas être publiées à des fins commerciales, car il n’existe aucun moyen d’en demander l’autorisation. Ce sont les licences CC BY-NC et CC BY-NC-SA, les deux licences CC qui autorisent les modifications mais pas l’utilisation de manière commerciale.

Le problème survient parce que, avec Internet, les gens peuvent facilement (et légalement) empiler les modifications non-commerciales les unes sur les autres. Sur des décennies, il en résultera des œuvres avec des centaines, voire des milliers de contributeurs.

Qu’arrive-t-il si vous voulez utiliser commercialement l’une de ces œuvres ? Comment pouvez-vous en obtenir l’autorisation ? Il vous faut demander aux principaux titulaires de droits. Peut-être que certains d’entre eux ont apporté leur contribution des années auparavant et sont impossibles à retrouver. D’autres peuvent avoir contribué des décennies plus tôt, ou même sont décédés, mais leurs droits d’auteur n’ont pas disparu avec eux. Il vous faut alors retrouver leurs descendants pour demander cette autorisation, à supposer qu’il soit possible de les identifier. En général, il sera impossible de se mettre en conformité avec les droits d’auteur sur les œuvres que ces licences incitent à créer.

C’est une variante du problème bien connu des « œuvres orphelines », mais en pire, et ce de manière exponentielle ; lorsque l’on combine les œuvres de très nombreux contributeurs, le résultat final peut se trouver orphelin un nombre incalculable de fois avant même d’être né.

Pour éliminer ce problème, il faudrait un mécanisme impliquant de demander l’autorisation à quelqu’un (faute de quoi la condition NC devient sans objet) mais pas de demander l’autorisation à tous les contributeurs. Il est aisé d’imaginer de tels mécanismes ; ce qui est difficile, c’est de convaincre la communauté qu’un de ces mécanismes est juste et d’obtenir un consensus pour l’accepter.

Je souhaite que cela puisse se faire, mais les licences CC BY-NC et CC BY-NC-SA, telles qu’elles existent aujourd’hui, doivent être évitées.

Malheureusement, l’une d’entre elle est très utilisée. La CC BY-NC-SA, qui autorise la publication non commerciale de versions modifiées sous la même licence, est devenue à la mode dans le milieu de la formation en ligne. Les Open Courseware (didacticiels « ouverts ») du Massachusetts Institute of Technology (MIT) l’ont lancée, et de nombreux autres établissements d’enseignement ont suivi le MIT dans cette mauvaise direction. Alors que, pour les logiciels, « open source » signifie « probablement libre mais je n’ose pas communiquer à ce sujet donc tu dois vérifier toi-même », dans la plupart des projets d’enseignement en ligne « open » veut dire « non libre, sans aucun doute ».

Quand bien même le problème posé par les CC BY-NC-SA et BY-NC serait résolu, elles continueront de ne pas être la bonne façon de publier des œuvres pédagogiques censées servir à des tâches pratiques. Les utilisateurs de ces œuvres, enseignants et étudiants, doivent avoir le contrôle de leur travail, et cela requiert de les rendre libres. J’exhorte Creative Commons à prendre position et à déclarer que les œuvres censées être utilisés en pratique, y compris la documentation pédagogique et les œuvres de référence doivent être, comme les logiciels, diffusés uniquement sous des licences libres.

Éducateurs, enseignants, et tous ceux qui souhaitent contribuer aux œuvres de formation en ligne : s’il vous plaît, veillez à ce que votre travail ne devienne pas non libre. Offrez votre aide et vos textes à des œuvres pédagogiques qui utilisent des licences libres, de préférence des licences de gauche d’auteur de façon à ce que toutes les versions de l’œuvre respectent la liberté des enseignants et des étudiants. Ensuite, invitez les projets éducatifs à utiliser et redistribuer ces œuvres sur ces bases de respect de la liberté, s’ils le souhaitent. Ensemble, nous pouvons faire de l’éducation un champ de liberté.

Copyright 2012 Richard Stallman
Publié sous licence Creative Commons Attribution – Pas de Modification 3.0 (CC BY-ND 3.0)

Crédit photo : Preliminares 2013 (Creative Commons By-Sa)




Pour ou contre l’iPad à l’école ? Le cas de la Corrèze

Fin 2010, François Hollande annonçait (sans cacher sa fierté pour son département) que la Corrèze avait décidé de mettre un iPad entre les mains de tous les élèves de Sixième dans le cadre du projet Ordicollège.

On peut voir ici en vidéo l’intégralité de son allocution. On y parle d’« égalité », de « meilleur outil pour réussir », on y parle aussi d’un « coût de 1,5 million d’euros ».

Cette opération ayant été reconduite cette année, l’association P.U.L.L.CO (Promotion de l’Utilisation des Logiciels Libres en COrrèze) a décidé de réagir en convoquant la presse et surtout en publiant une lettre ouverte au président du Conseil Général. Ce dernier y a répondu en apportant ses propres arguments.

Cet échange nous a semblé suffisamment intéressant et révélateur pour que nous décidions de le reproduire ci-dessous.

Brad Flickinger - CC by

iPads au collège : lettre ouverte au président du Conseil Général

URL d’origine du document

Association P.U.L.L.CO – 26 janvier 2013

Lettre ouverte adressée au Président du Conseil Général de la Corrèze Gérard Bonnet.

Monsieur le Président,

C’est avec une grande déception et une pointe de colère que nous apprenons que le Conseil Général a reconduit la distribution d’iPad aux collégiens corréziens dans le cadre de l’opération Ordicollège.

Lors de son lancement en 2008, l’opération Ordicollège avait fait le choix courageux et intelligent d’équiper les collégiens en matériel informatique fonctionnant grâce à des logiciels libres. Ce choix est depuis 3 ans remis en cause par l’arrivée des iPads, un produit sans clavier, dont les qualités pédagogiques restent à démontrer.

Les logiciels libres reposent sur les libertés que confère la licence d’un logiciel à ses utilisateurs. Ils sont alors libres de les utiliser, de les copier, de les étudier, de les adapter et de les redistribuer, en version originale ou modifiée. Les logiciels libres mettent le plus souvent en œuvre des standards ouverts qui garantissent l’accessibilité aux données et leur réutilisation à des fins d’interopérabilité entre systèmes et logiciels actuels et futurs.

Ce modèle revêt de nombreux intérêts. Tout d’abord il permet une libre circulation des logiciels et le partage du savoir. Chacun peut ainsi s’approprier la connaissance accumulée et l’enrichir de son propre savoir, faisant du logiciel libre un bien commun. Ce modèle rend de fait la distribution de logiciels gratuits possible, ce qui permet leur diffusion au plus grand nombre. Ainsi, avec le modèle du logiciel libre, nul ne peut être exclu de l’accès au savoir, ni de l’accès aux ressources numériques.

Par ailleurs, ce modèle favorise la relocalisation du développement du logiciel au plus près des utilisateurs finaux. Ainsi, l’investissement dans l’économie du logiciel libre permet des retombées économiques locales au lieu de les transférer vers les principaux éditeurs propriétaires, souvent installés aux États-Unis. ll existe des solutions libres à la plupart des usages informatiques. Si elles n’existent pas encore, il suffit d’en financer le développement pour que chacun en profite. Il est donc possible de remettre en cause les positions dominantes d’éditeurs propriétaires à l’origine de situation de dépendance technologique. Pour un investisseur institutionnel tel qu’une collectivité territoriale comme le Conseil Général, ces préoccupations nous semblent prioritaires.

C’est d’ailleurs en ce sens que va la récente réponse du Ministère des PME, de l’innovation et de l’Économie numérique, à une question écrite du député Jean-Jacques Candelier. Cette dernière rappelle les principaux avantages du logiciel libre. D’abord pour les individus, car « chacun peut s’approprier la connaissance » et « nul ne peut être exclu de l’accès au savoir » avec le logiciel libre ; mais aussi pour l’État, pour lequel le logiciel libre « constitue une opportunité qu’il convient de saisir », et pour les industries européennes enfin, notamment en raison de l’indépendance technologique qu’il permet. La position du ministère de Fleur Pellerin fait d’ailleurs suite à la circulaire de Jean-Marc Ayrault sur l’usage des logiciels libres dans les administrations allant dans le même sens.

En choisissant d’équiper les collégiens d’iPad, en plus d’enrichir une entreprise privée américaine avec nos impôts, le Conseil Général de la Corrèze se rend coupable d’enfermer l’ensemble des collégiens corréziens dans le carcan d’Apple. Les usages sont ainsi limités à ce que l’entreprise a décidé ou permis. L’utilisateur n’a pas la possibilité d’explorer l’outil pour le comprendre, ni de l’adapter à ses besoins. Il est contraint d’adapter ses besoins à l’outil. Par exemple le choix volontaire d’Apple d’interdire l’usage de certaines technologies comme Flash et Java sur ses tablettes rend impossible l’accès à certaines ressources éducatives mises à disposition sur les sites web de Sesamath (en Flash) et de Geogebra (en Java).

Par ailleurs, Apple utilise des Mesures Techniques de Protection (MTP ou DRM) pour restreindre les libertés des utilisateurs de diverses manières. Pour ne citer que deux exemples, il est impossible d’installer un logiciel ne provenant pas de l’AppStore officiel, qui n’est contrôlé que par l’intérêt commercial de la firme, et l’usage des films achetés sur iTunes est surveillé. De plus, le contournement de ces restrictions est interdit et considéré par Apple comme un acte criminel.

Plus grave : les données personnelles de tous les collégiens sont menacées. En effet, l’usage de l’iPad contraint ses utilisateurs à enregistrer des données personnelles dans des bases de données détenues par Apple aux États-Unis, c’est-à-dire en dehors du pouvoir de contrôle de la CNIL, censée protéger les données personnelles des citoyens français. De plus, l’usage de ces tablettes, de par leur manque de capacité de stockage, contraint les utilisateurs à enregistrer leurs données ailleurs, souvent dans le « Cloud », en utilisant des services comme Dropbox. Là encore, les données des utilisateurs échappent à leur contrôle au profit d’intérêts commerciaux étrangers et soumises à des lois qu’ils ne connaissent pas.

En outre, la société Apple exerce un filtrage arbitraire sur les logiciels (les « apps ») téléchargeables sur les dispositifs sans clavier qu’elle commercialise (tablettes, téléphones, baladeurs numériques…). La gestion des mises à jour des-dits logiciels est elle aussi particulièrement problématique : les anciennes versions des logiciels ne sont pas accessibles au téléchargement, ce qui a pour conséquence de provoquer une obsolescence artificiellement accélérée des dispositifs qui les accueillent. Ainsi, alors qu’un ordinateur sous GNU/Linux n’est limité dans le temps que par la durée de vie du matériel, un iPad deviendra obsolète lorsque les applications seront déclarées comme n’étant plus installables.

Enfin, ce contrôle monopolistique forcément intéressé est déjà un problème pour les consommateurs de technologies aisés, mais c’est un désastre pour les moins nantis. Le fossé se creuse entre ceux qui ont les moyens d’acheter des applications sur le magasin en ligne d’Apple et ceux qui ne les ont pas. Est-ce le rôle de l’école que d’exacerber les inégalités économiques et sociales des familles ? Est-ce le rôle du Conseil Général de financer ce choix discriminant ? Est-ce le rôle du Conseil Général d’apprendre aux élèves à être les consommateurs d’Apple ?

L’objectif est-il de mettre un appareil connecté dans les mains de chaque collégien, quel qu’en soit le prix et en dépit de leur liberté ? Ou devrions-nous plutôt fournir des outils qui encouragent les élèves et les enseignants au partage de la connaissance en mettant à leurs disposition un environnement dans lequel ils ont la possibilité de résoudre eux-mêmes leurs problèmes ? Pour nous, l’éducation c’est de la créativité, de l’ingéniosité et du partage ; toutes ces caractéristiques étant bien plus puissantes dans le monde du libre que dans celui, verrouillé et rigide, de la tablette numérique du géant américain.

En choisissant de distribuer des iPad aux collégiens, le Conseil Général de la Corrèze a fait le choix politique de suivre un effet de mode, en privilégiant le paraître au bon sens. Ce choix démagogique a un prix, celui de l’aliénation des élèves et des enseignants ainsi que l’évaporation de l’investissement public au seul profit des intérêts d’une entreprise commerciale étrangère.

Ce choix aurait pu être différent, il aurait pu être celui de la liberté, de l’égalité et de la fraternité en choisissant un autre modèle de société, celui, globalisé du nord au sud, du bien commun et du logiciel libre. Les moyens investis depuis de nombreuses années l’auraient été de façon bien plus pérenne en aidant à concevoir une tablette et des ressources numériques libres. De nombreux projets existent déjà et sauraient profiter de l’aide des collectivités territoriales et de la puissance publique pour le bénéfice de tous.

Nous restons à votre entière disposition pour vous apporter plus de précisions sur nos positions et vous faire part de nos propositions pour l’avenir de l’opération Ordicollège.

Librement.

L’association Pullco

Devon Christopher Adams - CC by

Réponse à l’association Pullco

URL d’origine du document

OrdiCollège – 30 janvier 2013

Mettre en avant que la tablette est un produit sans clavier tout en argumentant sur la nécessité de faire le choix de tablettes françaises comme le fait l’association Pullco (« il existe des tablettes françaises compétitives », La Montagne, 29/01/13), (« Pourquoi utiliser des tablettes Apple alors que nous avons des tablettes françaises, Archos », L’Echo de la Corrèze, 28/10/13) interroge : la tablette Apple serait donc un produit de moindre qualité que la tablette Archos (également fabriquée en Chine), alors qu’aucune des deux n’a de clavier physique ?

Les collectivités locales sont soumises à une réglementation précise et contraignante dans le cadre des marchés publics. Pour Ordicollège, il s’agit d’un appel d’offres européen, qui a été remporté par une société française et non par Apple. Aucune offre de matériel « français » n’a été déposée, pas plus que d’offres sous environnement « libre ».

Le budget engagé par le Conseil général n’est pas uniquement destiné à l’acquisition du matériel, il revient pour une bonne part à la société française qui a remporté le marché. La chaîne de préparation, la logistique, la gestion administrative, représentent des emplois. La fabrication de la coque de protection a été confiée à une société française, les équipes techniques du constructeur le sont également.

L’association Pullco défend le logiciel libre selon quatre principes : la liberté d’exécuter le programme sans restrictions, la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, la liberté de redistribuer des copies du programme, la liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations. Cette approche, parfaitement recevable, ne répond pas pour autant aux objectifs fixés dans le cadre d’Ordicollège.

Le Conseil général de la Corrèze a fait le choix, depuis 2008, d’équiper les collégiens dans le but de favoriser les apprentissages et la réussite scolaire, notamment pour les élèves en difficulté, et de réduire la fracture numérique. Sans conditions de ressources, ni contraintes liées à la nécessité d’un abonnement internet au domicile. Objectif atteint, comme en atteste le rapport réalisé par la mission d’évaluation de l’Inspection générale de l’Education nationale. Rapport qui souligne également le choix judicieux de la tablette.

Pédagogiquement, cette opération s’inscrit dans la mise œuvre au Collège des compétences définies par le référentiel Education nationale B2i (brevet informatique et internet, mis à jour en décembre 2011).

Le B2i porte sur les pratiques, « les évolutions d’Internet et le développement des usages pédagogiques du numérique afin de mieux préparer les élèves à un usage responsable de ces technologies » ; les objectifs sont les suivants : acquérir, stocker et traiter des informations pour produire des résultats, être un utilisateur averti des règles et des usages de l’informatique et de l’internet, composer un document numérique, chercher et sélectionner l’information demandée, communiquer, échanger.

L’informatique n’est pas une matière enseignée au collège. Ce sont ses usages qui sont au programme et le logiciel (ou application) ne représente qu’une infime part dans ce contexte. Il convient au passage de ne pas faire d’amalgame entre logiciels et ressources pédagogiques, ces dernières pouvant fonctionner avec un logiciel ou de façon autonome.

A partir de ce constat, il est facile de comprendre que les objectifs défendus par l’association Pullco sont éloignés du contexte d’Ordicollège.

L’exclusion de l’accès au savoir n’est pas un argument recevable, chaque collégien étant destinataire du même matériel, des mêmes logiciels. Pas plus que l’idée d’un « enfermement dans le carcan » d’un constructeur. Les fonctionnalités d’un navigateur internet, d’un traitement de texte ou d’un tableur sont identiques, quel que soit l’environnement système.

Au collège, ce sont les bases nécessaires à l’utilisation et à la compréhension de ces outils qui sont enseignées, sachant que plus tard, l’utilisateur sera libre de faire le choix de son environnement personnel, mais qu’il devra aussi s’adapter à l’environnement mis en œuvre dans son cadre professionnel.

L’association Pullco met en avant l’impossibilité d’utiliser les ressources en Flash, en oubliant qu’il ne s’agit pas d’une technologie libre et que celle-ci est aujourd’hui en voie de remplacement par le HTML5. Elle avance également des arguments erronés concernant les données personnelles des élèves : les informations nécessaires sont gérées via des adresses génériques (ex. : tab2019@ordicollege), un alias nominatif étant uniquement ajouté sur le compte de messagerie.

Concernant le téléchargement de logiciels (apps) sur les tablettes, bon nombre sont gratuites et utilisées dans le cadre d’Ordicollège. Par contre, il n’a jamais été question de faire payer des apps aux parents, l’utilisation de cartes bancaires étant interdite dans le cadre de la mise à disposition des tablettes.

Face aux arguments développés par l’association Pullco, il y a la réalité du monde des technologies. Qu’un matériel soit davantage plébiscité qu’un autre ne relève pas uniquement de la communication mise en œuvre par son fabricant. Les utilisateurs savent également faire preuve de discernement.

L’association Pullco comprend parmi ses adhérents des spécialistes des programmes informatiques et c’est tout à son honneur. Mais l’immense majorité des usagers du numérique ne sont pas des passionnés des systèmes ou des entrailles des matériels et des logiciels, ce qui ne signifie pas pour autant que l’on puisse parler pour eux d’alinéation. Cela dit, il est dommage que Pullco n’ait jamais engagé la moindre démarche envers Ordicollège ou pris contact avec ses animateurs pour se renseigner à la source sur l’opération.

Les dirigeants de l’association auraient pu recueillir des informations vraies et précises, notamment sur le travail de recherche et de développement effectué dans le cadre d’Ordicollège. Ainsi, les responsables d’Unowhy, société française ayant remporté l’appel à projets du Ministère de l’Education, qui développent une tablette française (pour l’assemblage seulement) sur la base d’un environnement Linux, étaient en Corrèze le 28/01/2013 pour une réunion de travail sur Ordicollège. Pour eux, la Corrèze est le département le plus en avance dans les usages pédagogiques du numérique et même loin devant les opérations engagées ailleurs en France.

Crédit photos : Brad Flickinger et Devon Christopher Adams (Creative Commons By)




Lettre ouverte à Skype (et donc Microsoft)

Depuis 2011, date du fracassant rachat de Skype par Microsoft pour plusieurs milliards de dollars, la situation des données collectées par l’application est encore plus floue que par le passé. D’autant que quand on débourse une telle somme on attend un certain retour sur investissement !

C’est ce qui a poussé un collectif d’auteurs à écrire une lettre ouverte demandant rapidement des éclaircissements.

PS : Sauf bien sûr si on s’en passe et en passe par une solution libre 😉

Mike Licht - CC by

Lettre ouverte à Skype

Open Letter to Skype

Lettre collective – 24 janvier 2013
(Traduction : Skydevil, toto, RavageJo, Progi1984, lmnt, Metal-Mighty, ehsavoie, Alpha, arcady, Penguin, Zilkos + anonymous)

De la part des défenseurs des libertés personnelles et de la vie privée, de militants d’Internet, de journalistes et de diverses organisations

À l’attention :
du Président de la division Skype, Tony Bates
du Directeur en charge de la vie privée du groupe Microsoft, Brendon Lynch
de l’avocat général du groupe Microsoft, Brad Smith

Chers MM Bates, Lynch et Smith,

Skype est une plateforme de communication vocale, vidéo et textuelle qui compte plus de 600 millions d’utilisateurs à travers le monde, ce qui en fait de facto une des plus grandes entreprises de télécommunication au monde. Nombreux sont les utilisateurs qui comptent sur la sécurité des communications via Skype, que ce soit des activistes dans des pays gouvernés par des régimes totalitaires, des journalistes communiquant avec des sources confidentielles ou de simples utilisateurs qui souhaitent parler, en privé, à leurs associés, leur famille ou leurs amis.

Il est préjudiciable que ces utilisateurs, ainsi que ceux qui les conseillent en terme de sécurité informatique, se trouvent en permanence face à des déclarations obscures et ambiguës quant à la confidentialité des conversations Skype, en particulier en ce qui concerne la possibilité pour des gouvernements ou des personnes tierces d’accéder à leur données personnelles et leurs communications.

Nous comprenons que la transition engendrée par le rachat de Microsoft, et les modifications légales ainsi que celles de l’équipe dirigante en découlant, puissent avoir levé des questions auxquelles il est difficile de répondre officiellement, quant à l’accès légal, à la collecte des données des utilisateurs et au degré de sécurité des communications via Skype. Cependant nous pensons que depuis l’annonce officielle du rachat en Octobre 2011, et à la veille de l’intégration de Skype dans plusieurs de ses logiciels et services clefs, il est temps que Microsoft documente publiquement les pratiques de Skype en termes de sécurité et de respect de la vie privée.

Nous demandons à Skype de publier et de mettre à jour régulièrement un rapport de transparence comprenant les élements suivants :

  1. Des données quantitatives concernant la délivrance des informations des utilisateurs Skype à des tierces parties, décomposées selon le pays d’origine de la requête, incluant le nombre de requêtes faites par gouvernement, le type de données demandées, la proportion de requêtes accordées – et les raisons de rejet des requêtes en désaccord.
  2. Des détails précis sur toutes les données utilisateurs collectées actuellement par Microsoft et Skype, et leurs conditions de conservation.
  3. Une meilleur connaissance des données que les tierces parties, incluant les opérateurs réseaux ou les éventuelles parties malveillantes, peuvent intercepter ou récuperer.
  4. Une documentation décrivant les relations opérationnelles entre Skype d’une part, TOM Online en Chine et des éditeurs tiers ayant acquis une license des technologies Skype d’autre part, incluant la compréhension qu’a Skype des capacités de surveillance et de censure dont les utilisateurs peuvent être sujets en utilisant ces produits alternatifs.
  5. Le point de vue de Skype quant à ses responsabilités envers la Communications Assistance for Law Enforcement Act (CALEA)[1], ses conditions quant à la mise à disposition des méta-données sur les appels en réponse aux subpoenas et aux Lettres de Sécurité Nationales (National Security Letters, NSL), et, globalement, les conditions et les lignes directrices suivies par les employés lorsque Skype recoit et répond aux requêtes de transfert de données utilisateurs à l’application de la loi et à directon des agences de renseignement aux États-Unis et le reste du monde.

D’autres entreprises telles que Google, Twitter et Sonic.net publient d’ores et déjà des rapports de transparence détaillant les requêtes d’accès aux données des utilisateurs émanant de tierces parties, et cela deux fois par an. Nous pensons que ces informations sont vitales pour nous permettre d’aider les utilisateurs de Skype les plus vulnérables, qui s’appuient sur votre logiciel pour assurer la confidentialité de leurs communications et, dans certains cas, protéger leurs vies.

Cordialement,
Les personnes soussignées.

Crédit photo : Mike Licht (Creative Commons By)

Notes

[1] Loi exigeant des points d’entrée pour les écoutes par les services de sécurité et de contre espionnage des communications, il n’y a pas un acte global regroupant toutes les lois concernants les écoutes et interceptions légales ni harmonisation européenne mais plusieurs lois françaises permettent l’écoute et l’interception légale des communications sur un réseau public.




Neutralité des réseaux : Neelie Kroes s’affiche dans le camp des agresseurs

Le 16 janvier dernier, Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la société numérique, publiait dans Libération une tribune intitulée Internet et applications de filtrage : une histoire de choix et de recettes.

Une tribune jugée assez révélatrice et dangeureuse pour que notre ami François Pellegrini décide d’y répondre point par point ci-dessous.

Et de conclure ainsi : « Mme Kroes est entrée en guerre ouverte contre la neutralité des réseaux et contre Internet. En tant que Commissaire chargée de la stratégie numérique, elle a perdu toute légitimité, et son remplacement s’avère nécessaire. »

Thomas Belknap - CC by-sa

Neutralité des réseaux : Neelie Kroes s’affiche dans le camp des agresseurs

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François Pellegrini – 23 janvier 2013 – Blog personnel

Le filtrage autoritaire par Free de l’accès aux publicités, dans le bras de fer qui l’oppose à Google sur la rémunération des infrastructures de réseau, a eu de nombreux mérites. Un premier a été de faire prendre conscience au grand public que filtrer la publicité était possible, bien au delà du petit nombre d’utilisateurs ayant activé le greffon AdBlock sur leur navigateur Firefox. Un deuxième a été de faire sortir du bois un certain nombre d’intérêts privés, pour lesquels la mise en œuvre de ce filtrage, au moyen d’une mise à jour autoritaire de la FreeBox v6, a représenté une véritable déclaration de guerre.

Le relais de ces intérêts par la voix de Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la stratégie numérique, n’a guère surpris, tant la majorité de la Commission européenne est connue pour sa soumission aux intérêts privés. Néanmoins, sa tribune dans le journal Libération est un document méritant toute notre attention, parce qu’il reflète la stratégie construite par ces intérêts pour mettre la main sur Internet. En voici un décryptage, paragraphe par paragraphe.

La semaine dernière, une polémique a surgi lorsque Free a bloqué la publicité sur les services internet transitant par sa Freebox. Les fournisseurs de contenu internet qui dépendent de la publicité pour proposer du contenu gratuit aux consommateurs étaient furieux. Cette polémique illustre la complexité de l’économie de l’internet. Le fragile équilibre entre choix et facilité d’usage, entre transparence et contrôle effectif, entre commerce et intérêt public.

Ce premier paragraphe a le mérite de poser le cadre dès sa dernière phrase, avec une candeur presque touchante. Car effectivement, ce dont il sera question ici, c’est bien de la lutte de certains intérêts commerciaux contre l’intérêt public.

Mon principe de base consiste à dire que les consommateurs devraient être libres de faire de vrais choix quant à leur abonnement à l’internet et à leur activité en ligne. Les contrats standard et les paramètres par défaut des services internet peuvent être pratiques et efficaces, mais ils sont soumis à des limites d’intérêt public, que ce soit dans la législation générale sur la protection des consommateurs ou dans des règles spécifiques. Par exemple, les consommateurs ont le droit, lorsqu’ils naviguent sur un site web, de choisir s’ils souhaitent utiliser des «cookies», qui pistent leur utilisation de l’internet. Ils devraient également comprendre les coûts et les avantages de leur choix.

Ce deuxième paragraphe introduit les arguments qui seront avancés pour justifier le filtrage d’Internet, et en particulier la notion de «choix», qui lui servira de paravent.

Du fait de la complexité et de l’évolution rapide de l’économie en ligne, de nouvelles questions surgissent constamment en ce qui concerne l’intérêt public. Par exemple, depuis 2009, la législation de l’Union européenne favorise la possibilité pour les consommateurs d’accéder à l’éventail complet des applications, du contenu et des services légaux en ligne. Selon moi, l’intérêt public ne s’oppose cependant pas à ce que les consommateurs s’abonnent à des offres internet limitées, plus différenciées, éventuellement pour un prix moins élevé.

Comme nous le verrons plus bas, une offre différenciée d’accès limité à Internet, ce n’est pas une offre d’accès à Internet. Avoir un accès limité, différencié, à la liberté, ce n’est pas être libre.

La liberté n’est pas une affaire de choix. L’État se doit de protéger les hommes d’eux-mêmes, en ne leur permettant pas de s’engager dans la servitude, fut-elle volontaire. Légaliser un système permettant à certains, en majorité les moins aisés, de renoncer aux droits essentiels que constituent à la liberté d’expression et à la liberté d’accès à l’information, en échange d’une réduction sur leur abonnement, ne fait pas honneur à la rédactrice de cette tribune.

Existe-t-il un intérêt public à ce que les parents disposent d’outils efficaces pour contrôler le matériel auquel leurs jeunes enfants peuvent accéder en ligne? La plupart des gens répondraient oui, et l’Union partage ce point de vue. De même, la plupart des gens aimeraient pouvoir choisir de recevoir ou non de la publicité parallèlement au contenu et aux services en ligne, mais tant les consommateurs que les entreprises en ligne semblent ne pas vouloir laisser ce choix entre les mains d’obscurs paramètres par défaut.

Où l’on retrouve ici l’un des camouflages typiques des agresseurs d’Internet : l’utilisation de la protection des ‘tizenfants pour justifier la mise en place de filtrages dans des buts bien moins louables. Cette ficelle sera utilisée à plusieurs reprises au cours de la tribune de Mme Kroes.

S’agissant de questions de cette nature, transparence et contrôle effectif par le consommateur feront presque toujours partie de la solution.

Avec celui du «choix», l’argument de la «transparence» est le deuxième paravent des agresseurs d’Internet. L’emploi de ce terme indique sans ambigüité le camp choisi par Mme Kroes. Il avait déjà été utilisé par les opérateurs de télécommunication en 2009, du temps où Mme Kroes était Commissaire à la concurrence, lors des débats sur le «Paquet Télécom». Il s’agissait d’un ensemble de cinq directives européennes portant sur la régulation et l’accès aux réseaux (et donc pas seulement Internet) et devant être renégociées. Ce processus avait été l’occasion, pour ces opérateurs ainsi que pour les grands industriels du divertissement, de tenter d’introduire des amendements autorisant l’écoute des communications et le filtrage, au nom de la lutte contre les «contenus illicites».

Alors que les représentants des usagers demandaient que soit garantie la neutralité des réseaux, les opérateurs souhaitaient ne s’engager que sur des garanties de « transparence » : ils auraient le droit de porter atteinte à la neutralité des réseaux, pourvu qu’ils en informent leurs abonnés. Ils arguaient qu’ainsi les internautes choisiraient les opérateurs sans filtrage, contraignant par la loi de l’offre et de la demande les opérateurs à ne pas filtrer.

La ficelle était un peu grosse. Les usagers n’ont en général qu’un choix limité entre quelques opérateurs en situation d’entente, comme on l’a bien vu dans le secteur de la téléphonie mobile en France, dont les prix étaient maintenus anormalement hauts. Ceux qui proposent de garantir la «transparence» au lieu de la neutralité sont ceux qui ne veulent pas de la neutralité. Ils souhaitent juste pouvoir la violer impunément.

Cela ne signifie pas encore plus de pages dans votre contrat qui en compte déjà une centaine! La Commission encourage depuis un certain temps le secteur de la publicité à faire en sorte que les utilisateurs se voient proposer un choix clair concernant les cookies, sur la base d’informations concises et digestes. Elle collabore aussi avec une grande variété d’acteurs en ligne pour élaborer une norme «Do Not Track» («Ne pas pister»), afin que les consommateurs qui font ce choix puissent être certains qu’il sera respecté.

Dormez, braves gens, la gentille Commission veille sur vous. Vu comment ma boîte courriel est submergée en dépit de la loi imposant aux publicitaires de n’envoyer des courriels qu’à ceux ayant accepté de les recevoir («opt-in»), je n’ai qu’une confiance limitée dans le respect des chartes Bisounours™, sans sanctions juridiques, auxquelles semble croire si fort Mme Kroes.

En ce qui concerne la neutralité de l’internet, les consommateurs doivent avoir un choix effectif quant au type d’abonnement internet qu’ils souscrivent. Cela veut dire une vraie clarté, dans un langage non technique. Doivent figurer les vitesses effectives dans des conditions normales et toute restriction imposée au trafic, ainsi qu’une option réaliste permettant de passer à un service «complet», dépourvu de telles restrictions. Un tel choix devrait également stimuler l’innovation et les investissements des fournisseurs internet. Je prépare actuellement une initiative de la Commission visant à garantir ce choix en Europe.

C’est dans ce paragraphe que la commissaire se dévoile. Pour le comprendre, un petit rappel est nécessaire.

Les réseaux tels qu’Internet sont construits en trois couches : infrastructure, opérateurs et services. Les infrastructures, ce sont les moyens matériels de transmettre l’information : fibres optiques, relais hertziens, satellites, etc. Les opérateurs ont vocation à utiliser ces infrastructures pour offrir un service de connexion à leurs abonnés. Les services s’appuient sur les couches précédentes pour offrir des prestations, payantes ou gratuites (ou d’apparence gratuite car, premièrement, rien n’est gratuit à part l’air qu’on respire – et encore !– et deuxièmement, comme le dit l’adage, «si le service est gratuit c’est que c’est vous la marchandise»). Pour prendre une analogie automobile, on pourrait dire que l’infrastructure, ce sont les routes, que les opérateurs sont les différents vendeurs de voitures qui vous permettent d’emprunter le réseau routier et que les services sont les différents magasins que vous pourrez trouver à certaines adresses.

La première manœuvre de Mme Kroes consiste à mettre sur le même plan la question des vitesses et celle du filtrage des contenus, qui sont de natures complètement différentes.

Internet est un réseau qui a vocation à permettre l’échange d’informations entre tous ceux qui s’y connectent, à l’image du réseau routier qui permet à tous ceux qui y sont connectés de voyager d’un lieu à un autre. La liberté de circulation est un principe fondamental, de rang constitutionnel. Pour autant, chacun peut, selon ses désirs et ses moyens, s’acheter un véhicule plus ou moins rapide, ou de plus ou moins grande contenance. Il en est de même sur Internet : une personne qui souhaite un débit plus important peut avoir à le payer plus cher, car le trafic plus important qu’elle génèrera nécessite qu’elle contribue d’une façon plus importante aux infrastructures qui permettront son acheminement. Ceci est affaire de choix, en fonction de l’usage qu’elle compte faire de son accès. En revanche, toute restriction au trafic est injustifiable, justement parce qu’elle viole ce principe constitutionnel de libre circulation.

Rappelons ce qu’est la neutralité des réseaux. De façon simple, on pourrait dire qu’il s’agit de garantir le fonctionnement normal du réseau dans ses trois couches (infrastructures, opérateurs et services), en garantissant l’acheminement des flux d’informations qui y transitent sans discrimination sur leur provenance, leur destination, le service utilisé ou le contenu transmis.

La deuxième manœuvre de Mme Kroes consiste à suggérer que, pour avoir le droit d’utiliser certains services, les internautes aient à payer plus cher leur abonnement auprès de leur opérateur.

Ceci est incompréhensible, sauf à supposer une collusion entre opérateurs de réseau, seuls en capacité d’intervenir sur la gestion du trafic, et gestionnaires de services. Un exemple flagrant d’une telle collusion concerne les abonnements (prétendument) «à Internet» vendus par les opérateurs de téléphone mobile, qui interdisent majoritairement d’utiliser les services de «voix sur IP» (dits «VoIP», tels que Skype™). Ce filtrage abusif des protocoles VoIP est effectué par les opérateurs parce que de tels services portent atteinte à leurs propres services de communications vocales payantes. Il ne s’agit rien de moins que d’une vente liée et d’une atteinte à la liberté du commerce.

Au lieu de combattre de tels comportements, Mme Kroes, ancienne Commissaire à la concurrence, justifie et appelle de ses vœux des ententes verticales entre opérateurs de réseaux et gestionnaires de services. Connaissant la position traditionnelle de la Commission qui, sur les secteurs du ferroviaire comme de l’électricité, a toujours promu la séparation organisationnelle et stratégique entre gestionnaires d’infrastructures, opérateurs et fournisseurs de services (les rails, les trains, et les vendeurs de sandwiches), la volte-face est saisissante !

La troisième manœuvre de Mme Kroes consiste à justifier la nécessité du filtrage par l’investissement des fournisseurs Internet.

C’est le montant de l’abonnement au fournisseur d’accès qui permet la rémunération de celui-ci et, à travers lui, le développement et la maintenance des infrastructures, tout comme une fraction du prix d’un billet de train sert à financer les infrastructures ferroviaires. Les différents services peuvent être gratuits ou payants, selon le modèle économique qu’ils choisissent et mettent en œuvre vis-à-vis de leurs usagers, mais cela n’a aucunement à impacter les couches inférieures.

Des applications disponibles en ligne permettent déjà aux consommateurs de bloquer totalement ou partiellement les publicités, si bien que la distribution d’un logiciel de ce type par un fournisseur internet tel que Free n’est pas une révolution en soi. Elle nous amène néanmoins à envisager deux éléments.

Pas une révolution mais, comme on l’a dit, une menace par son ampleur. Sans cela, pourquoi le rappeler à longueur de tribune ?

D’une part, les consommateurs ne devraient pas oublier que tout choix comporte des conséquences. En optant pour le blocage des publicités ou en demandant la confidentialité («do not track»), on peut être privé de l’accès à du contenu gratuit. L’internet ne fonctionne pas par ses propres moyens. Le réseau, le contenu et l’accès à l’internet doivent tous être financés par quelqu’un. De nombreux petits opérateurs web existent grâce à des modèles publicitaires novateurs. Les consommateurs ont plusieurs façons de payer pour accéder à du contenu, notamment en voyant des publicités avant et pendant cet accès. Les entreprises devraient admettre que des consommateurs différents ont des préférences différentes, et concevoir leurs services en conséquence.

Ici encore, Mme Kroes entretient la confusion entre opérateurs et gestionnaires de services. Si l’accès au contenu (pseudo-)gratuit d’un site de service peut être limité à ceux qui n’acceptent pas d’être tracés au moyen de cookies, l’accès au réseau lui-même n’a aucune raison d’être limité en aucune manière.

D’autre part, nous avons vu l’importance commerciale et pratique des paramètres par défaut, mais notre réaction à un paramètre par défaut donné peut dépendre à la fois des valeurs défendues et de la manière dont il se matérialise. Par exemple, vu la valeur élevée attachée à la confidentialité, nous sommes moins choqués par des paramètres par défaut restrictifs que par des paramètres totalement ouverts, en particulier en ce qui concerne les utilisateurs plus vulnérables. C’est dans cet ordre d’idées que nous collaborons avec le secteur pour améliorer la façon dont les paramètres de confidentialité par défaut peuvent protéger nos enfants. D’un autre côté, la valeur élevée que nous attachons à l’internet ouvert signifie que nous favorisons l’installation de contrôles parentaux sur tous les appareils, mais pas leur activation par défaut. En pratique, cela pourrait en effet conduire de manière involontaire à limiter l’accès à l’internet pour de nombreux utilisateurs adultes. Mieux vaut donner un vrai choix aux parents, grâce à des outils clairement visibles et conviviaux dont l’existence est bien mise en évidence.

La lecture de ce paragraphe a fait naître en moi une hilarité certaine. Mme Kroes y soutient que, si le filtrage parental est une bonne chose, il ne faut pas l’activer par défaut afin de ne pas limiter l’accès à Internet aux adultes, et surtout bien expliquer aux gens comment s’en servir. Pour résumer : il ne faudrait pas que Monsieur et/ou Madame n’arrivent pas à se connecter à YouPorn™, surtout s’ils sont trop bêtes pour savoir désactiver le filtrage ; cela nuirait au petit commerce spécialisé.

Notons cependant comment, une fois de plus, le terme de «choix» est amené de façon bénéfique, vis-à-vis de la protection des ‘tizenfants par le filtrage.

Ici encore, Mme Kroes entretient délibérément la confusion entre le filtrage parental, qui peut ête réalisé sur le poste de l’usager et peut être désactivé par ce dernier, et le filtrage, par l’opérateur, des services qui feraient concurrence aux services avec lesquels cet opérateur serait lié par des accords commerciaux.

Nous voyons la difficile interaction entre ces deux intérêts – vie privée et ouverture – lorsqu’il s’agit d’examiner si le «Do Not Track» devrait être activé par défaut dans les navigateurs web. Microsoft a choisi de le faire dans son produit Internet Explorer. Cette décision a fait l’objet de critiques de la part des concurrents et des publicitaires. Néanmoins, compte tenu des intérêts publics concurrents – ainsi que de la concurrence entre les navigateurs et de l’existence d’un outil convivial permettant le libre choix de l’utilisateur à la fois pendant et après l’installation –, je ne partage pas les critiques montrant du doigt une décision commerciale destinée à séduire les internautes qui attachent une grande importance au respect de la vie privée. La décision de Free de bloquer par défaut les publicités a suscité de plus vives inquiétudes en matière d’intérêt public parce qu’elle combinait dans le même temps une portée plus large (touchant toutes les publicités sans exception) et la perception d’une difficile réversibilité pour les utilisateurs.

Une confirmation supplémentaire que la portée de l’action de Free a bien été l’élément déclencheur de cette riposte, du fait de son ampleur.

Nous voyons, dans ces exemples, que des décisions prises par une entreprise à titre individuel touchent à des intérêts publics sensibles. Des acteurs privés peuvent également contribuer collectivement à l’intérêt public. L’internet est une communauté mondiale, régie par une approche associant un grand nombre d’acteurs que l’Union a défendue avec fermeté lors d’une grande conférence des Nations unies à Dubaï le mois dernier. Des initiatives d’autorégulation peuvent compléter la législation. De telles initiatives sont en cours concernant la publicité et le pistage comportementaux ainsi que la protection des enfants en ligne. Toutefois, ces efforts collectifs doivent produire des résultats clairs, susceptibles d’être mis en œuvre et soumis à un suivi et à une évaluation. Et s’ils ne répondent pas à des objectifs d’intérêt public, l’autorité publique doit toujours se réserver le droit d’intervenir.

Mme Kroes, en bonne libérale, signale ici qu’elle ne souhaite nullement intervenir pour garantir la neutralité des réseaux de communication accessibles au public, et donc d’Internet. Bien au contraire, comme elle l’a précisé dans un paragraphe précédent, elle souhaite que la Commission, au titre du «choix» des usagers, autorise explicitement la collusion entre opérateurs de réseaux et fournisseurs de services, afin de légaliser le filtrage effectué par les premiers à l’avantage de certains des seconds.

Rappelons pour conclure un ensemble de principes simples et de bon sens dans un État de droit respectueux tant des libertés fondamentales de ses citoyens que de la concurrence libre et non faussée parmi ses entreprises.

La neutralité des réseaux, et donc d’Internet, est le pendant dans le monde numérique de la liberté de circulation (d’accès) dans le monde physique. Elle doit donc être protégée de façon explicite et non ambigüe. Toute atteinte par un intermédiaire technique à la liberté d’expression ou à la liberté d’accès à l’information, qui ne serait pas motivée par des considérations techniques ou par une décision de justice, doit constituer un délit pénal grave.

La séparation entre les activités portant sur les infrastructures, la fourniture d’accès et les services, doit être dictée par la loi afin d’être effective. Les opérateurs investissent actuellement, de façon redondante, dans le fibrage des zones urbaines denses, supposées rentables, en délaissant les zones rurales. En imposant l’existence d’une infrastructure unique accessible à tous les opérateurs, comme c’est déjà le cas dans les secteurs ferroviaire et de l’énergie, le législateur permettrait qui plus est la mise œuvre d’une péréquation bénéfique génératrice d’économies conséquentes, tant pour l’usager que pour les collectivités isolées.

Mme Kroes est entrée en guerre ouverte contre la neutralité des réseaux et contre Internet. En tant que Commissaire «chargée de la stratégie numérique», elle a perdu toute légitimité, et son remplacement s’avère nécessaire.

Crédit photo : Thomas Belknap (Creative Commons By-Sa)




Tour de France du Numérique pour l’Éducation ou pour Microsoft ?

Nous sommes en 2013 et nous n’avons toujours pas réussi à éradiquer ce triste symptôme qui frappe depuis des années l’Éducation nationale française, à savoir la marchandisation Microsoft de nos écoles et son malheureux corollaire : le déni volontaire du logiciel libre et de sa culture.

Dernier exemple en date, cette initiative qui de prime abord semble tout aussi innocente que louable : le « Tour de France du Numérique pour l’Éducation ».

Elle est ainsi présentée sur le site du projet :

Le Café Pédagogique et le réseau SCEREN (CNDP-CRDP) sont heureux de vous inviter à l’étape du Tour de France du Numérique pour l’Éducation qui se tiendra dans votre région.
Ce rendez-vous sera l’occasion de rencontres et d’échanges sur des pratiques pédagogiques innovantes autour du numérique. Venez rencontrer des enseignants innovants.
Découvrez leurs projets et leurs usages des nouvelles technologies numériques en classe de l’école au lycée.
Venez tester les nouveautés dans les domaines des équipements, solutions et contenus numériques pour l’enseignement.
Nous vous attendons nombreux !

Si vous êtes un lecteur régulier de longue date du Framablog, vous savez qu’il faut se méfier de la marque déposée « enseignants innovants » du Café Pédagogique et de son principal bailleur de fonds Microsoft (cf tous ces billets passés mais aussi ce remarquable article de feu OWNI Microsoft programme l’école). Et pourtant nous aurions tant aimé qu’il n’en aille pas de même cette fois-ci…

Déjà observons le look du site (Edit : Comme cela a été signalé dans les commentaires, l’image de la page en question a, tiens, tiens, changé depuis. On n’y voit plus que deux enfants derrière un écran anodin, fini l’ostensible tablette Windows 8 !) :

Tour de France du Numérique pour l'Éducation

Quelles jolies couleurs, quelle jolie typographie et surtout quelle jolie tablette, n’est-ce pas ! Dans la mesure où nous avons tous été matraqués (sans le souhaiter) de publicités Windows 8 depuis la rentrée, il n’y a plus qu’à faire le rapprochement. Et, en effet, on apprend tout en bas que Microsoft est partenaire de l’opération.

Le principe, si j’ai bien compris, c’est donc de parcourir la France avec un programme identique qui se déroule au cours d’un après-midi. Des ateliers sont proposés. Extraits :

Atelier 1 : Les tablettes pour l’Education : Lors de cette session nous vous présenteront les nouvelles tablettes sous Windows 8 : le meilleur de la tablette et du PC pour l’équipement des enseignants et des élèves.

Atelier 4 : Les outils de gestion de la classe pour les enseignants : Avec Multipoint Server les enseignants disposent d’un outil de gestion de classe, à fin de monitorer à tout instant le travail des élèves.

Et un peu plus loin :

Opportunité d’échanger avec les enseignants de l’académie retenus pour la présentation de leurs projets innovants, de découvrir de nouvelles ressources éducatives numériques développées ou identifiées par le réseau Scérén (CNDP-CRDP), d’assister aux démonstrations de dernières innovations technologiques : tablettes Windows 8, plateformes de communication et collaboration (visio conférence, chat, réseaux sociaux…), des expériences immersives grâce à nouveaux terminaux comme la table PixelSense, des outils de gestion de la classe…

Windows 8 est donc le dernier système d’exploitation de Microsoft (qui joue gros sur ce coup-là, ceci expliquant certainement cela). Multipoint Server est évidemment une solution « simple et économique » de Microsoft « qui permet à davantage d’étudiants et d’enseignants d’accéder aux nouvelles technologies, tout en améliorant l’apprentissage et en aidant les étudiants à relever les défis d’une économie globale ». Quant à PixelSense, je ne sais pas trop ce que c’est (et je m’en fous) sauf que c’est encore et toujours du Microsoft.

Franchement, de qui se moque-t-on ? Je serais d’ailleurs assez curieux de savoir comment une telle manifestation est financée.

Il y a un formulaire, au format .DOC bien sûr, qui invite les enseignants à s’inscrire pour proposer leur projet pédagogique (à aucun moment il ne va leur être demandé de placer leurs travaux sous une licence Creative Commons bien sûr).

Ce qui m’attriste le plus dans cette histoire, ce sont tous ces enseignants que l’on va brosser dans le sens du poil (bravo, vous êtes « innovants ») sans se rendre compte qu’ils sont involontairement complices d’une manœuvre commerciale qui va à l’encontre même de leurs principes. Ils vont se contenter de penser être modernes sur une technologie neutre.

Des années que nous affirmons péremptoirement que ces principes éducatifs ont tout pour s’épanouir dans le logiciel libre (les ressources libres, les formats ouverts…) et non le logiciel propriétaire, dont Microsoft en est l’emblématique symbole. Mais il faut croire que nous continuons de prêcher dans le désert…

On ne peut pas trop leur en vouloir remarquez puisque le « couple habituel » Café Pédagogique / Microsoft a réussi à embarquer dans la galère le (fort peu lucide) SCEREN (CNDP-CRDP) qui apporte si ce n’est la bénédiction tout du moins la caution de l’institution.

Une fois de plus la marque et les produits Microsoft se seront placés l’air de rien et en toute discrétion dans un projet qui donne confiance et reconnaissance aux enseignants. Et c’est un peu à désespérer.

Fleur Pellerin peut bien déclarer sa flamme au logiciel libre, Jean-Marc Ayrault nous pondre une explicite circulaire en direction de l’administration ou, encore plus fort, entendre Gilles Braun, conseiller numérique de Vincent Peillon, souhaiter que « les enseignants produisent des ressources pédagogiques libres avec des logiciels libres », rien ne semble vraiment bouger du côté du Mammouth.

Que faire ? On pourrait dire (avec courtoisie) notre façon de penser au SCEREN. On pourrait s’en aller tracter sur le passage du Tour (première date : Paris, le 6 février), mais je doute de l’efficacité réelle de telles actions.

Le plus sûr est de continuer patiemment notre libre chemin en se remémorant l’actuel épilogue d’un autre Tour, bien plus célèbre cette fois. Il nous en aura en effet fallu du temps pour nous apercevoir que nous avions été trompés, mais aujourd’hui Lance Armstrong reconnaît la supercherie et se retrouve contraint à rendre des comptes…

Tour de France du Numérique pour l'Éducation




Liberté pour les utilisateurs, pas pour les logiciels, par Benjamin Mako Hill

Un article fort intéressant de Benjamin Mako Hill (que nous traduisons souvent) qui apporte un éclairage nouveau à la différence importante entre « logiciel libre » et « open source ».

C’est bien la question de la liberté des utilisateurs qui est fondamentale ici. À mesure que la technologie avance et que de plus en plus de domaines expérimentent « le Libre », elle rejoint tout simplement la liberté des citoyens…

Remarque : C’est d’ailleurs pourquoi nous regrettons « l’abus d’open source » dans les premiers États Généraux de l’Open Source qui se déroulent actuellement à Paris (cf ce tweet ironique).

David Shankbone - CC by

Liberté pour les utilisateurs, pas pour les logiciels

Freedom for Users, Not for Software

Benjamin Mako Hill – 23 octobre 2011 – Blog personnel
(Traduction : Munto, VifArgent, aKa, KarmaSama, Lycoris, aaron, PeupleLa, bruno + anonymous)

En 1985, Richard Stallman a fondé le mouvement du Logiciel Libre en publiant un manifeste qui proposait aux utilisateurs d’ordinateurs de le rejoindre pour défendre, développer et diffuser des logiciels qui garantissent aux utilisateurs certaines libertés. Stallman a publié la « Définition du Logiciel Libre » (Free Software Definition ou FSD) qui énumère les droits fondamentaux des utilisateurs concernant les logiciels.

  • La liberté d’exécuter le programme, pour n’importe quel usage ;
  • la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins ;
  • la liberté d’en redistribuer des copies pour aider les autres ;
  • la liberté d’améliorer le programme et de rendre publiques les améliorations, afin que la communauté entière puisse en bénéficier.

Stallman est informaticien. Il avait compris que la manière dont les programmeurs concevaient les logiciels pouvait influer sur les possibilités des utilisateurs à interagir avec eux. Par exemple, des programmeurs pourraient concevoir des systèmes qui espionnent les utilisateurs, vont à leur encontre ou créent des dépendances. Dans la mesure où les ordinateurs occupent une place de plus en plus importante dans la communication des usagers, et dans leur vie toute entière, leur expérience est de plus en plus sous le contrôle de la technologie, et par conséquent de ceux qui la maîtrisent. Si le logiciel est libre, les utilisateurs peuvent désactiver les fonctionnalités cachées ou abusives et travailler ensemble à l’amélioration et au contrôle de leurs technologies. Pour Stallman, le logiciel libre est essentiel à une société libre.

Hélas, beaucoup de personnes qui entendent « logiciels libres » (NdT : free software en anglais) pensent que le mot libre (free) veut dire qu’il peut être distribué gratuitement – une confusion bien naturelle puisque les logiciels libres peuvent être, et sont le plus souvent, partagés sans permission expresse ni paiement. Dans des tentatives concertées pour démêler cette confusion, le slogan « free as in free speech not as in free beer » (free comme dans la liberté de parole et non comme une bière gratuite), et la référence à la distinction que l’on fait en français entre libre et gratuit, sont devenus des clichés dans la communauté du logiciel libre. Une biographie de Stallman est d’ailleurs intitulée « Free as in Freedom » (NdT : Libre comme dans Liberté, biographie traduite et publiée par Framasoft dans sa collection Framabook).

À la fin des années 90, un groupe de passionnés de logiciels libres a suggéré un nouveau terme : « open source ». À l’instar de Stallman, ce groupe était agacé par l’ambiguïté autour du mot « free ». Cependant, la principale préoccupation du groupe open source était l’utilité du logiciel libre pour les entreprises.

Plutôt que de mettre en avant la « liberté », qui pouvait, selon eux, rebuter des entreprises commerciales, les promoteurs de l’open source décrivaient les bénéfices techniques que l’« ouverture » du développement de logiciels libres pourrait apporter, grâce à la collaboration de nombreux utilisateurs mis en réseau. Ces appels ont trouvé un écho au sein des entreprises high-tech à la fin du millénaire au moment où le système d’exploitation libre GNU/Linux gagnait en popularité et où le serveur web Apache dominait un marché bondé de concurrents propriétaires. Le concept « open source » prit un nouvel élan en 1998 quand Netscape rendit public le code source de son navigateur web Navigator.

Malgré des différences rhétoriques et philosophiques, les logiciels libres et les logiciels open source font référence aux mêmes programmes, aux mêmes communautés, aux mêmes licences et aux mêmes pratiques. La définition de l‘open source est presque une copie conforme des directives du logiciel libre publiées par la communauté Debian qui sont elles-mêmes une tentative de redéfinir la déclaration de Stallman sur la Définition du Logiciel Libre. Stallman a décrit cette distinction entre « logiciel libre » et « logiciel open source » comme étant le contraire d’un schisme. Dans un schisme, deux groupes religieux auront des cultes séparés, souvent à cause de désaccords mineurs sur des points de liturgie ou de doctrine. Dans le logiciel libre et l‘open source, les deux groupes se sont articulés autour de philosophies, de principes politiques et de motivations qui sont fondamentalement différentes. Et pourtant les deux parties continuent de travailler en étroite collaboration au sein des mêmes organisations.

Les conversations autour du libre et du gratuit dans les communautés du logiciel libre et de l‘open source ont occulté un second niveau d’ambiguïté dans le terme « logiciel libre », bien moins discuté : le terme a conduit à croire qu’il fallait interpréter les quatre libertés comme des déclarations sur les qualités que les programmes eux-mêmes devraient posséder. Stallman se fiche du logiciel libre en tant que tel, ce qui lui importe c’est la liberté des utilisateurs. Les slogans « free as in freedom » et « free speech not free beer » n’aident en rien à résoudre ce second type d’ambiguïté, et créent même de la confusion. « Free as in freedom » ne dit rien sur ce qui devrait être libre, tandis que « free speech not free beer », reproduit un problème similaire : les défenseurs de la liberté de parole ne défendent pas tant la liberté d’expression en tant que telle que la liberté des individus dans leur parole. Quand pour l’essentiel le discours des promoteurs du logiciel libre insiste sur les caractéristiques des programmes, certains en viennent à considérer la liberté de l’utilisateur comme un problème de second ordre – c’est tout simplement ce qui se produit lorsque le logiciel est libre.

Quand le logiciel est libre, mais pas les utilisateurs

La liberté de l’utilisateur ne découle pas toujours de la liberté du logiciel. En effet, le logiciel libre a pris de l’importance dans les domaines économique et politique : cela a suscité l’intérêt de certaines personnes qui souhaitaient en récolter les bénéfices tout en maintenant l’action et l’indépendance des utilisateurs dans des limites.

Google, Facebook, et autres titans de l’économie du Web ont bâti leur entreprise sur les logiciels libres. En les utilisant ils n’agissent pas seulement en passagers clandestins, dans de nombreux cas ces firmes partagent gratuitement, au minimum, une partie du code qui fait fonctionner leurs services et investissent des ressources conséquentes dans la création ou l’amélioration de ce code. Chaque utilisateur d’un réseau basé sur des logiciels libres peut posséder une copie du logiciel qui respecte les quatre libertés de la FSD. Mais à moins que ces utilisateurs n’exécutent le service web eux-mêmes- ce qui peut s’avérer techniquement ou économiquement infaisable – ils restent sous la coupe des firmes qui, elles, font bel et bien fonctionner leurs copies. Le « Logiciel en tant que Service » (Software as a Service, ou SaaS) – ou logiciel fourni via « le cloud » – est à priori entièrement compatible avec le principe d’un logiciel libre. Toutefois, du fait que les utilisateurs du service ne peuvent pas changer le logiciel ou l’utiliser comme ils le souhaitent sans l’autorisation et la surveillance de leur fournisseur de service, les utilisateurs de SaaS sont au moins aussi dépendants et vulnérables qu’ils le seraient si le code était fermé.

Chrome OS de Google est une tentative pour construire un système d’exploitation qui pousse les utilisateurs à être constamment en ligne et à utiliser des services comme Google Docs pour réaliser la plupart de leurs tâches informatiques. Quand Google a annoncé Chrome OS, nombreux étaient ceux qui ont applaudi dans la communauté du logiciel libre ; Chrome OS est en effet basé sur GNU/Linux, il s’agit presque entièrement de logiciel libre, et il avait l’appui de Google. Mais le but réel de Chrome OS est de changer l’endroit où les utilisateurs réalisent leurs tâches informatiques, en remplaçant les applications que l’utilisateur aurait fait tourner sur sa machine par des SaaS sur Internet. Chaque fois qu’on remplace un logiciel libre du bureau par un SaaS, on passe d’une situation où l’utilisateur avait le contrôle sur ses logiciels à une situation où il n’a pratiquement plus aucun contrôle. Par exemple, l’utilisation que fait Google des logiciels libre dans les services SaaS lui permet de surveiller tous les usages et d’ajouter ou retirer des fonctionnalités selon son bon vouloir. Ainsi, en se concentrant sur la liberté des logiciels et non sur celle des utilisateurs, bien des partisans du logiciel libre n’ont pas su anticiper cette inquiétante dynamique.

TiVo – le pionnier des magnétoscopes numériques – présentait un défi différent. Son système se basait sur GNU/Linux et, conformément à la licence « copyleft » sous laquelle sont distribués la plupart des logiciels libres, la société TiVo autorisait l’accès complet à son code source. Mais TiVo utilisait le chiffrage pour verrouiller son système afin qu’il ne s’exécute que sur des versions approuvées de Linux. Les utilisateurs de TiVo pouvaient étudier et modifier le logiciel TiVo, mais ils ne pouvaient pas utiliser ce logiciel modifié sur leur TiVo. Le logiciel était libre, les utilisateurs ne l’étaient pas.

Les SaaS, Chrome OS et la Tivoisation sont des sujets qui continuent de remuer le milieu des logiciels libres et open source et mettent à jour des lignes de fracture. Il n’est guère surprenant que les partisans de l‘open source ne voient aucun problème avec les SaaS, Chrome OS et la Tivoisation ; ils ne sont pas engagés dans la liberté des utilisateurs ou du logiciel. Toutefois chacun de ces exemples a été facteur de division, y compris parmi les personnes qui pensaient que le logiciel devrait être libre. La Fondation du Logiciel Libre (Free Software Foundation, FSF) a pris explicitement position contre chacun des sujets ci-dessus. Mais il a fallu du temps avant d’identifier chacune de ces menaces et ce fut laborieux de réussir à faire passer le message aux sympathisants. Aujourd’hui, il semble probable que Google et son modèle d’entreprise orienté service représentent une plus grande menace pour la liberté des futurs utilisateurs d’ordinateur que ne l’a été Microsoft. Mais comme Google se conforme scrupuleusement aux termes de la licence du logiciel libre et contribue aux projets de logiciels libres par une grande quantité de code et d’argent, les partisans du logiciel libre ont mis du temps à l’identifier comme une menace et à réagir.

Même la Free Software Foundation continue à se battre avec sa propre mission axée sur le logiciel. Stallman et la FSF ont travaillé ces dernières années pour déplacer du code non-libre qui s’exécute sur les périphériques internes des ordinateurs (par exemple, une carte wifi ou une carte graphique intégrée à l’intérieur d’un portable) depuis le disque dur principal de l’ordinateur vers les sous-processeurs eux-mêmes. L’idée derrière ces efforts est d’éliminer le code non-libre en le basculant vers les composants matériels. Mais les utilisateurs des logiciels sont-ils plus libres si les technologies propriétaires, qu’ils ne peuvent changer, existent dans leur ordinateur sous une forme plutôt qu’une autre ?

La clé pour répondre à cette question – et à d’autres -, c’est de rester concentré sur ce qui distingue libre et ouvert. Les promoteurs du logiciel libre doivent revenir à leur objectif premier : la liberté des personnes, et non celle des logiciels. L’apport fondamental de Stallman et du mouvement libre a été de relier les questions de la liberté et de l’autonomie personnelle à d’autres considérations, quoique ce lien ne soit pas évident pour beaucoup. La manière dont les utilisateurs resteront libres évoluera avec les changements de nature de la technologie. Et alors que certains adaptent les principes du logiciel libre à de nouveaux domaines, ils vont se retrouver confrontés à des problèmes de traduction comparables. Selon le soin que portera notre communauté à distinguer entre les différents mode d’ouverture et à mettre en évidence les questions de contrôle, de politique et de pouvoir, la philosophie du logiciel libre restera pertinente dans toutes ces discussions plus générales autour des nouveaux et différents biens communs – dans les logiciels et au delà.

Crédit photo : David Shankbone (Creative Commons By)




Non à la privatisation du domaine public par la Bibliothèque nationale de France !

L’association COMMUNIA, l’Open Knowledge Foundation France, La Quadrature du Net, Framasoft, Regards Citoyens, Veni Vidi Libri, le Parti Pirate, Libre Accès et SavoirsCom1 publient ce jour un communiqué dénonçant la signature par la BNF, le Commissariat aux investissements d’avenir et le ministère de la Culture et de la communication d’accords qui privatisent l’accès numérique à une part importante de notre patrimoine culturel.

Massimo Barbieri

Paris, le 18 janvier 2013 — Le ministère de la Culture a annoncé hier la conclusion de deux accords, signés entre la Bibliothèque nationale de France et des firmes privées, pour la numérisation de corpus de documents appartenant pour tout (livres anciens) ou partie (78 et 33 tours) au domaine public. Les fonds concernés sont considérables : 70 000 livres anciens français datant de 1470 à 1700, ainsi que plus de 200 000 enregistrements sonores patrimoniaux. Ces accords, qui interviennent dans le cadre des Investissements d’avenir et mobilisent donc de l’argent public, vont avoir pour effet que ces documents ne seront pas diffusés en ligne, mais uniquement sur place à la BnF, sauf pour une proportion symbolique.

Ces partenariats prévoient une exclusivité de 10 ans accordée à ces firmes privées, pour commercialiser ces corpus sous forme de base de données, à l’issue de laquelle ils seront mis en ligne dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF. Les principaux acheteurs des licences d’accès à ces contenus seront des organismes publics de recherche ou des bibliothèques universitaires, situation absurde dans laquelle les acteurs du service public se retrouveront contraints et forcés, faute d’alternative à acheter des contenus numérisés qui font partie du patrimoine culturel commun.

Les conditions d’accès à ces éléments de patrimoine du domaine public seront restreintes d’une façon inadmissible par rapport aux possibilités ouvertes par la numérisation. Seule la minorité de ceux qui pourront faire le déplacement à Paris et accéder à la BnF seront en mesure de consulter ces documents, ce qui annule le principal avantage de la révolution numérique, à savoir la transmission à distance. Partout enFrance et dans le monde, ce sont les chercheurs, les étudiants, les enseignants, les élèves, les amateurs de culture, les citoyens qui se trouveront privés de l’accès libre et gratuit à ce patrimoine.

La valeur du domaine public réside dans la diffusion de la connaissance qu’il permet et dans la capacité à créer de nouvelles œuvres à partir de notre héritage culturel. Sa privatisation constitue une atteinte même à la notion de domaine public qui porte atteinte aux droits de chacun. Ces pratiques ont été condamnées sans ambiguïté par le Manifeste du domaine public, rédigé et publié par le réseau européen COMMUNIA financé par la Commission européenne :

Toute tentative infondée ou trompeuse de s’approprier des œuvres du domaine public doit être punie légalement. De façon à préserver l’intégrité du domaine public et protéger ses usagers de prétentions infondées ou trompeuses, les tentatives d’appropriation exclusive des œuvres du domaine public doivent être déclarées illégales.

Les institutions patrimoniales doivent assumer un rôle spécifique dans l’identification efficace et la préservation des œuvres du domaine public. (…) Dans le cadre de ce rôle, elles doivent garantir que les œuvres du domaine public sont accessibles à toute la société en les étiquetant, en les préservant et en les rendant librement accessibles.

À titre de comparaison, les partenariats validés par le ministère de la Culture aboutissent à un résultat encore plus restrictif pour l’accès à la connaissance que celui mis en œuvre par Google dans son programme Google Livres, dans lequel les ouvrages restent accessibles gratuitement en ligne sur le site des institutions partenaires. La mobilisation de l’emprunt national n’aura donc en aucun cas permis de trouver une alternative acceptable aux propositions du moteur de recherche.

Le ministère de la Culture affirme dans son communiqué que ces partenariats sont compatibles avec les recommandations du Comité des sages européens « A New Renaissance ». C’est à l’évidence faux, le rapport du Comité des sages admettant que des exclusivités commerciales puissent être concédées à des firmes privées pour 7 ans au maximum, mais insistant sur la nécessité que les documents du domaine public restent accessibles gratuitement en ligne, y compris dans un cadre transfrontalier. Plus encore, les accords sont en flagrante contradiction avec la Charte Europeana du Domaine Public (pdf) alors même que l’un de ses signataires occupe aujourd’hui la présidence de la fondation Europeana.

Par ailleurs, le rapport du Comité des sages énonce comme première recommandation que les partenariats public-privé de numérisation soient rendus publics afin de garantir la transparence, ce qui n’est pas été fait ici. L’opacité a régné de bout en bout sur la conclusion de ces partenariats, au point qu’une question parlementaire posée au ministère de la Culture par le député Marcel Rogemont est restée sans réponse depuis le 23 octobre 2012, alors même qu’elle soulevait le problème de l’atteinte à l’intégrité du domaine public. Enfin, les partenariats publics-privés ont été récemment dénoncés par l’Inspection générale des finances dans un rapport commandé par le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, et par celui du Budget, Jérôme Cahuzac. Ces partenariats sont jugés trop onéreux, trop risqués, trop complexes et trop profitables aux seuls intérêts privés.

Nous, associations et collectifs signataires de cette déclaration, attachés à la valeur du domaine public et à sa préservation comme bien commun, exprimons notre plus profond désaccord à propos de la conclusion de ces partenariats et en demandons le retrait sans délai. Nous appelons toutes les structures et personnes partageant ces valeurs à nous rejoindre dans cette opposition et à manifester leur désapprobation auprès des autorités responsables : BnF, Commissariat général à l’investissement et ministère de la Culture. Nous demandons également la publication immédiate du texte intégral des accords.

Contacts presse

  • L’Open Knowledge Foundation France L’Open Knowlegde Foundation (OKFN) est une organisation à but non lucratif fondée en 2004 à Cambridge qui promeut la culture libre sous toutes ses formes. Ses membres considèrent qu’un accès ouvert aux informations associé aux outils et aux communautés pour les utiliser sont des éléments essentiels pour améliorer notre gouvernance, notre recherche, notre économie et notre culture.
  • La Quadrature du Net La Quadrature du Net est une organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. À ce titre, la Quadrature du Net intervient notamment dans les débats concernant la liberté d’expression, le droit d’auteur, la régulation du secteur des télécommunications ou encore le respect de la vie privée. Contact : Philippe Aigrain, co-fondateur et conseiller stratégique pa@laquadrature.net +33 6 85 80 19 31
  • Framasoft Réseau d’education populaire au Libre en général et au logiciel libre en particulier. Contact : Alexis Kauffmann, fondateur de Framasoft
  • Regards Citoyens est un collectif transpartisan qui vise à utiliser un maximum de données publiques pour alimenter le débat politique tout en appliquant les principes de la gouvernance ouverte. En plus de faire la promotion de l’OpenData et l’OpenGov en France, il réalise des projets web n’utilisant que des logiciels libres et des données publiques pour faire découvrir et valoriser les institutions démocratiques françaises auprès du plus grand nombre.
  • Le Parti Pirate est un mouvement politique ralliant celles et ceux qui aspirent à une société capable de : partager fraternellement les savoirs culturels et scientifiques de l’humanité, protéger l’égalité des droits des citoyens grâce des institutions humaines et transparentes, défendre les libertés fondamentales sur Internet comme dans la vie quotidienne.
  • Veni, Vidi, Libri a pour objectif de promouvoir les licences libres ainsi que de faciliter le passage de créations sous licence libre.
  • Libre Accès a pour objet de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux de l’art libre et de défendre les droits de ses amateurs et auteurs.

Crédit photo : Massimo Barbieri (Creative Commons By-Sa)