Rebootons la civilisation avec Marcin Jakubowski d’Open Source Ecology

Marcin Jakubowski est le fondateur d’Open Source Ecology (évoqué la première fois ici sur notre blog)

C’est l’un des projets les plus enthousiasmants qui soit : disposer d’un kit de machines pour bâtir en toute autonomie les bases d’un village, d’une communauté ou d’une… civilisation ! Et là où tout ceci devient passionnant c’est que ces machines sont libres, permettant à tout un chacun de reprendre les plans pour s’en aller poser la première pierre de sa propre future communauté.

Si vous ne connaissez pas bien, nous vous suggérons de commencer par cette conférence TED de Marcin sous-titrée en français. Et pour aller plus loin, nous vous proposons ci-dessous la traduction d’un récent entretien donné par Marcin Jakubowski au blog du site TED.

Remarque : il y a également ces autres très instructives vidéos qui donnent plus de détails sur les différentes machines.

Marcin Jakubowksi - TED

Le rédémarrage de la civilisation – Entretien avec Marcin Jakubowski

Civilization reboot: Fellows Friday with Marcin Jakubowski

Karen Eng – 27 juillet 2012 – TED’s Blog
(Traduction : boubou, kamui57, steeve bois, xtof, maxlath, Lou, Slystone, KarmaSama, lorenzo11)

Le fondateur du mouvement Open Source Ecology, Marcin Jakubowski, est en train de jeter les bases libres d’une future civilisation, en commençant avec le Kit de Construction du Village Mondial (Global Village Construction Set). Ce kit de 50 machines à bas coût permettra à quiconque de bâtir toute l’infrastructure dont une communauté a besoin (Factor e Farm).

Le Kit de Construction du Village Mondial est une idée extrêmement ambitieuse. Quelle a été votre approche ?

Depuis mon enfance je suis passionné par la technologie. Mon père est un scientifique et ma mère est une enseignante, et très tôt j’ai pressenti que la science était une invention humaine incroyable qui pouvait nous permettre de rendre la vie meilleure. C’est ce qui explique pourquoi j’ai toujours voulu faire quelque chose d’extraordinaire avec la technologie.

Mais plus j’ai progressé dans le système éducatif, moins je me suis senti utile. Pendant ma deuxième année de préparation à mon doctorat sur l’énergie de fusion nucléaire, je ne me suis plus senti en phase avec le travail que je faisais : je pensais toujours que la fusion nucléaire était l’une des solutions aux problèmes énergétiques humains, mais plus je m’y intéressais, plus je réalisais que ce n’était pas la réponse. Cette technologie a beaucoup de problèmes, dont la radioactivité et le fait qu’il s’agisse d’une autre technologie de centralisation. Je sentais que cela ne contribuerait pas à une solution honnête pour une base technologique saine pour les Hommes. Donc j’ai commencé à réfléchir. « Et bien, alors, qu’est-ce qu’une base technologique saine ? Et comment peut-on se développer avec les technologies extraordinaires que nous possédons actuellement ? »

C’est comme cela que le Kit de Construction du Village Mondial a commencé. Et si on recommençait à partir de zéro ? Est-ce que l’on peut créer des communautés qui soient vraiment des témoins du développement humain et qui ne finissent pas empêtrées dans des problèmes géopolitiques et de mauvais compromis que l’on connaît dans les sociétés d’aujourd’hui ?

Comment et pourquoi avez-vous décidé de rendre le projet open source ?

Pendant que je travaillais sur mon doctorat, j’ai remarqué que je ne pouvais pas parler librement à d’autres groupes car nous avions des éléments sensibles et confidentiels. Donc je me suis dit : « Bigre ! Je suis à l’université et je ne peux pas travailler en collaboration de manière transparente ! » J’ai senti que ces limites étaient simplement un frein pour ma capacité à apprendre – quelle opportunité manquée ! Le concept d’Ecologie Open Source est issu de la tentative de répondre à la simple question suivante : « Qu’est-ce qui se passe lorsque l’on décide de travailler véritablement ensemble avec les autres ? » Ce principe s’applique à tous les secteurs de la société, de l’économie, à tout le reste. Pour le moment, la plupart des personnes ne travaillent pas ensemble. Chaque entreprise a son propre service d’ingénierie propriétaire. Il y a beaucoup de personnes qui réinventent la roue. Je pense que si on collaborait simplement, on pourrait accélérer le progrès par un facteur dix ou cent.

C’est cela l’essence de l’open source : nous essayons de bâtir sur ce qui existe déjà, et après on contribue en retour et on laisse tout le monde en profiter, en opposition au profit de quelques-uns seulement. C’est donc un changement complet d’état d’esprit, on passe d’un jeu à somme nulle à une société de post-pénurie.

Quelles sont les machines produites et envisagées, et pourquoi sont-elles les éléments clés d’une civilisation ?

L’ensemble de machines que je conçois englobe l’agriculture, l’énergie, les transports, la production… En gros tous les éléments d’infrastructure humaine sur lesquels on se repose pour fournir un standard de vie moderne. Est-ce que vous mangez ? Oui vous mangez. Donc vous avez besoin d’équipements agricoles pour nourrir les gens de manière optimale, depuis le tracteur jusqu’au four à pain. De quels outils pourriez-vous avoir besoin ? Une machine pour faire des circuits, des robots industriels, des équipements pour les énergies renouvelables, des machines pour construire, des machines pour fabriquer. Pour les transports, une voiture qui consomme 2 litres au 100 et qui fonctionne grâce à de l’énergie renouvelable avec un moteur moderne à vapeur, de la biomasse en granules pour le carburant. Les algues pourraient potentiellement marcher aussi. Pour l’énergie renouvelable, nous travaillons sur un concentrateur solaire à plusieurs miroirs, mais sur une échelle de 5 à 50 kilowatts. Ils sont réglables et modulables, donc nous pouvons en fabriquer plusieurs pour produire beaucoup d’énergie.

Toutes nos conceptions sont modulables. Par exemple, vous pouvez enlever les roues d’un tracteur en actionnant un levier, en retirant un boulon, pour l’utiliser sur une autre machine comme un mini tracteur ou un bulldozer, en maximisant la flexibilité de l’ensemble.

Avec la fabrication assistée par ordinateur comme les table de découpe contrôlées par ordinateur, les machines de précisions, les perceuses de circuits et les imprimantes 3D, les produits peuvent être conçus comme des Legos. Nous nous concentrons sur des designs modulaires, à assembler ensemble. En principe, c’est ce que nous visons. Une fois que nous auront optimisé la conception, je dirais qu’en un mois et avec, disons, quatre personnes, vous pourrez tout produire en utilisant des machines de fabrication avancée : tracteurs, voitures, bulldozers, pelleteuse, moissonneuse-batteuses, bétonnières, machines des puits de forages – à peu près 30 appareils mécaniques différents, en un mois, avec une production hyper-efficace. Nous insistons sur le fait que nous n’en sommes pas encore là – mais les témoignages que nous avons recueuillis jusqu’à maintenant indiquent la réalité future d’une production efficiente, distribuée et open source.

Où trouvez-vous les matières premières pour toutes ces machines ?

Pour le moment, nous achetons les matériaux en magasin. Mais dans le Kit de Construction il y a un four à induction et les procédures de roulage à chaud du métal. Donc vous pouvez prendre de l’acier de récupération, le fondre et en sortir de l’acier neuf. Ce qui fait que chaque décharge de métal est par essence un endroit où l’on peut reconstruire une civilisation.

Wow ! C’est en gros un kit pour l’Apocalypse.

C’est ce que disent certaines personnes. Je le vois plutôt comme un moyen de faciliter la mise en production. Je voudrais qu’on l’utilise pour construire une véritable communauté. C’est pourquoi la Factor e Farm existe. Nous avons 12 hectares dans le Missouri, et nous avons réuni une équipe solide où nous avons simultanément développé et utilisé des outils pour construire une communauté. À l’heure actuelle nous avons 14 personnes vivant à la ferme. D’ici à la fin de l’année nous voulons pousser ce groupe à 24. Le challenge étant de trouver les bonnes personnes.

Vous avez aussi besoin d’autres ressources pour commencer, comme des graines.

Oui, nous avons besoin de quelques graines. Si vous voulez une agriculture pérenne, vous devez générer tout votre stock génétique et le propager en utilisant une nurserie. Si vous avez besoin de verre, vous avez du sable. Si vous avez du sable, vous avez de la silice, ce qu’est l’âge digital. Si vous avez de l’argile, vous avez des aluminosilicates, ou aluminium, ce qui est une part de la civilisation moderne, les métaux. Pour le moment, l’extracteur d’aluminium est l’un des outils les plus avancé du kit.

Est-ce que la Factor e Farm vise l’auto-suffisance ?

C’est l’autonomie. Nous la cherchons comme but de notre entreprise sociale. Nous créons des outils qui permettent aux gens de produire à peu près n’importe quoi. Pour le moment, nous développons les outils, mais notre but ultime est de former les gens à être des entrepreneurs sociaux qui soient capables de tout créer, d’un Fab Lab open source à une ferme bio en passant par un centre de recherche.

Combien de machines avez-vous déjà finies ?

Nous avons sorti quatre machines en version bêta – un tracteur, une presse à brique, un pulvérisateur agricole et une pompe hydraulique. Le tout cumulé, nous avons un peu moins de 15 prototypes dont la fraiseuse commandée par ordinateur, la torche de découpe commandée par ordinateur, le mini-tracteur, la bétonnière, le tour en 3 dimensions, le marteau-pilon, l’échangeur de chaleur. Nous travaillons actuellement sur une machine à vapeur moderne.

Toutes nos machines sont open source (tout le monde peut télécharger les plans et les budgets). Mais nous vendons aussi nos machines prêtes à l’emloi. Nous travaillons à l’optimisation de la production avec l’objectif de vendre des presses à briques en terre et engranger 20 000$ par mois, ce qui nous permettrait de financer notre projet. Nous rationalisons la production de telle sorte que 8 personnes puissent produire une presse en un jour de travail collaboratif. Cela nous coûte 4 000$ de matériaux et nous vendons les presses 9 000$, soit une marge de presque 5000$ par machine. Nous prévoyons de lancer 4 cycles de production par mois, et le reste du temps nous le passons à developper le Kit et la communauté. Les gens n’arrêtent pas de me contacter pour obtenir des presses, nous avons un marché. La plupart du temps je suis obligé de leur dire « Hey, téléchargez les plans, récupérez votre chaîne de production, nous sommes débordés pour le moment ! ».

Qu’en est-il de la communauté de la Factor e Farm ?

Nous cherchons de gens qui souhaitent nous rejoindre. Notre but est d’arriver à 24 membres avant la fin 2013. Nous avons maintenant un responsable agricole sur site, nous commençons à pouvoir produire de notre sol toute notre nourriture. Nous visons à construire des habitations en blocs compressés (de 28 m²) en une semaine, presse et pose comprises. Nous venons de construire une unité de vie pour 10 personnes de 370 m² (double mur de brique séparés par une isolation à la paille). Nous ne sommes pas raccordés mais nous avons des toilettes à chasse d’eau et l’électricité. Nous avons aussi des toilettes à compost, soit différentes options pour différentes personnes.

Il y a un léger manque de parité. Nous avons une seule femme sur le site ! Nous encourageons donc les femmes à nous rejoindre. Et nous construisons la communauté. Et c’est là où nous en sommes pour le moment. Plus tard, nous déciderons d’une stratégie et d’un business plan, parce qu’il existe de nombreuses directions où l’on pourrait aller.

Quel type de personnes cherchez-vous ?

Nous cherchons des personnes qui sont par nature motivées, qui veulent lancer des opérations similaires et qui soient partie prenante du projet. La personne qui dirige la ferme voudrait à terme devenir agricultrice, et elle apprend en ce moment les techniques et l’utilisation des outils nécessaires. Notre directeur de production veut installer un nouveau centre une fois que le premier sera opérationnel. Nous cherchons donc des personnes qui soient réellement prêtes à utiliser les outils par eux-mêmes. Nous rémunérons les participants en fournissant un accès aux connaissances et aux technologies qui nécessiterait sinon d’être payé. C’est le modèle de ceux qui font de l’investissement personnel un mode de vie, avec des gens qui sont vraiment intéressés, qui ont donc la motivation et la bonne volonté de travailler dur pour faire de ce but une réalité. Nous pouvons aussi rémunérer directement les personnes pour le talent qu’ils ont et que nous ne pourrions pas obtenir autrement.

Psychologiquement parlant, c’est une expérience intéressante.

C’est la partie la plus intéressante. Ceci est, en fait, en train de devenir le plus gros challenge. La technologie est simple. Cela n’a pas une âme en soi. Mais avec les autres, nous remarquons que lorsque nous avançons dans l’expérience, nous devons aussi former les participants à une bonne santé psychique et mentale. Vous devenez une personne plus mature. Votre esprit doit évoluer d’un jeu à somme nulle vers l’après-rareté. C’est vraiment un développement personnel. C’est énorme, c’est tout simplement arriver à l’évolution d’une personne en tant qu’être humain.

Je pense beaucoup en termes d’équilibre de vie et en particulier d’équilibre travail/détente. Pourquoi les gens ne travaillent pas vraiment ou ne font pas de leur vie leur passion et leur travail ? Nous, ce que nous faisons, c’est notre passion. Ce niveau d’équilibre est le réel bénéfice de l’opération. C’est presque philosophique, et cela se vérifie très bien sur moi. Je vis cela en ce moment et je poursuis ma passion. Et j’ai environnement à bas-prix qui rend cela possible de façon responsable.

Jusqu’à quel point pouvez-vous allez ? En regardant plus loin dans le temps vous allez avoir besoin d’un système de santé, d’éducation…

Absolument. Pour le moment nous commençons simplement avec des infrastructures simples. Viendra ensuite l’éducation, la santé, un système financier, une gouvernance. Le matériel médical sera probablement le plus dur à obtenir. Viendront ensuite des choses comme la fabrication de semi-conduteurs. Notre but est de montrer qu’avec 12 hectares et 30 personnes, on peut créer ou recréer un standard de vie moderne saine, jusqu’à avoir des semi-conducteurs et du métal, le tout à partir des ressources du site. Jusqu’où un petit groupe de gens peuvent aller pour créer ensemble une référence de prospérité.

Comment la communauté TED a changé votre manière de travailler ?

Avant le TED 2011, nous disposions d’un budget mensuel de dons de près de 1 500 $. Du coup je suis assez vite arrivé à court d’argent. Depuis que nous avons rejoint la communauté, nous avons eu près d’un million de visites sur le site de la vidéo de ma conférence TED et 500 000 $ de financement. Tout cet argent et la plupart de l’équipe sur site est arrivé essentiellement après avoir vu cette conférence.

Donc en gros, depuis 2011, on a explosé et on essaye en ce moment même de gérer ces problèmes de croissance. C’est assez génial ce qui se passe en fait actuellement !

Comment les gens accueillent-ils l’idée ?

Il y a essentiellement deux camps. Les uns disent « Waou, l’idée va se répandre partout et cela vaut le coup de la soutenir ». Beaucoup sont intéressés par le principe.

Puis il y a ceux qui disent, « Si vous êtes open source, vous ne pourrez pas passer à grande échelle. Quel est votre business model ? Comment allez-vous vous développer et diffuser ? » Et c’est une question difficile. Pour moi la réponse est claire, il faut que nous reproduisions des objets très courants que tout le monde utilise. Si nous pouvons les produire à un coût plus bas – disons 5 à 10 fois moins cher – alors nous pouvons être dans le coup. Nous sommes en train d’optimiser le design de nos produits vers la simplicité, la durée de vie, la modularité, l’interchangeabilité des pièces. Nous essayons d’apprivoiser la technologie. Je pense que c’est une base solide.

Et alors les gens disent, « Bon, et comment vous générez votre revenu ?  » Nous cherchons à montrer qu’une installation de 400 m², une installation flexible et informatisée qui fait partie de notre boîte à outils – peut générer 80 000 $ par mois. Notre but est de faire la démonstration d’une production rentable et efficace, qui servira à amorcer notre trésorerie puis enseigner aux autres comment devenir une entreprise. Donc c’est un modèle entre production et formation que nous répliquerons en partageant les connaissances acquises avec d’autres personnes. Ils pourront alors soit commencer une installation du même type, soit mettre en place un centre de recherche, ou n’importe quelle sorte d’installation agricole. Ces outils peuvent avoir des usages allant de la reconstruction de villages, au lancement d’écoles, de fermes bio, d’unités de production, toutes sortes de choses. Il y a donc un grand potentiel en nous positionnant en tant que pépinière distributive de telles entreprises. Nous apporterons simplement des produits efficaces, bon marché et qui donnent envie partout dans le monde.

Cela passe à côté de l’objectif, non ? Parce que le but n’est pas de générer des revenus massifs, le but est de créer un monde auto-suffisant. Le but est de pouvoir vivre comme on le souhaite.

Absolument, c’est exactement ça. Une de nos critiques économiques courantes est que le marché devient efficace avant de faire faillite. Nous pouvons profiter de notre avantage concurrentiel seulement pour un laps de temps court pour un projet open source, avant que d’autres n’entrent dans la compétition et ne fassent baisser les prix. Mais c’est en fait un indicateur de notre succès : les gens adoptent une production à faible coût, distribuée de telle sorte que le monde en général atteint un état de post-pénurie matérielle (un stade dans lequel la pénurie matérielle devient impossible).

Alors, comment survivre à long terme ? En tant que pionniers, nous jouissons d’une primauté économique et d’un capital social initial – jusqu’à ce que nous soyons en mesure de financer un développement futur. Nous passons ensuite au développement de nouvelles machines. Notre modèle est effectivement fragile parce que nous sommes open source. Mais si c’est effectivement le cas (et si nous réussissons à faire cela pour un ensemble d’outils qui peuvent engendrer une économie complète) alors nous avons effectivement réussi à inventer un modèle évolutif pour créer des communautés économiquement autonomes. Pour moi, cela implique un monde meilleur où la pénurie matérielle ne serait plus une force motrice sous-jacente de la plupart des dynamiques de la civilisation. Ainsi, les gens pourront poursuivre de plus grands objectifs, une intégration entre la vie et le travail, et un standard de vie moderne qui ne nous ramène pas à l’âge de pierre.

Personnellement, je pense que c’est possible avec une infrastructure technologique vraiment appropriée à la civilisation. Nous pouvons créer un standard de vie moderne avec moins de deux heures de travail par jour, en utilisant d’abondantes ressources locales. Après cela, que faisons-nous de notre temps libre ? Nous nous concentrons sur des choses qui sont vraiment importantes pour nous. Cela nécessite un retournement complet de la façon de penser. J’ai l’espoir que nous allons évoluer à ce niveau en tant qu’être humain en moins d’une génération.




Recommandations pour l’ouverture des données et des contenus culturels

Open Glam est un réseau international informel de personnes et d’organisations cherchant à favoriser l’ouverture des contenus conservés ou produits par les institutions culturelles (Glam etant l’acronyme anglais de Galleries, Libraries, Archives, Museums).

Adrienne Charmet-Alix (Wikimédia France), Primavera De Filippi (Open Knowledge Foundation), Benjamin Jean (inno³, Veni Vidi Libri, Framasoft) et Lionel Maurel (BDIC, auteur du blog S.I.Lex), tous quatre membres d’Open Glam (parité respectée[1]), viennent de mettre en ligne un document important en direction du Ministère français de la Culture : Recommandations pour l’ouverture des données et des contenus culturels.

C’est solide, sérieux et technique mais n’allez pas penser que c’est rébarbatif à lire pour le non juriste. Bien au contraire, Open Data, mutualisation, numérisation, interopérabilité, domaine public (où il y a tant à faire), cession de droits des fonctionnaires, licences copyleft… c’est très instructif et cela dessine en plein et en creux les contours d’une situation qui doit d’autant plus évoluer qu’il s’agit de nos deniers publics et que l’époque est certes à leur parcimonieux usage mais également à la culture du partage.

Framasoft soutient l’initiative de l’intérieur, puisque Benjamin Jean a participé de près à sa rédaction, mais également vers l’extérieur en contribuant à sa diffusion. Et plus nous seront nombreux à en faire de même, plus nous aurons de chances d’être écoutés en haut lieu.

Le document est sous double licence Art Libre et Creative Commons By-Sa. Nous en avons reproduit ci-dessous les proposition ainsi que l’introduction.

Leaf Languages - CC by-sa

Propositions du rapport

La réussite d’une réelle politique d’ouverture des données et contenus culturels repose selon nous sur un certain nombre de facteurs/actions. Nous préconisons donc :

De la part du ministère de la Culture

  • Un effort pédagogique pour définir les termes employés dans le domaine de l’ouverture des données et des contenus, ainsi qu’un accompagnement des usages ;
  • Une mise en valeur et un encouragement des expériences d’ouverture réalisées, issues d’initiatives institutionnelles ou privées, afin de montrer ce qui est réalisable ;

La rédaction d’un clausier à destination des établissements publics et des institutions culturelles afin de sécuriser les marchés publics entraînant le transfert de droits de propriété intellectuelle ;

Une information claire et pédagogique pour les institutions culturelles sur l’existence du droit à la réutilisation des informations publiques, sur sa portée, son articulation avec la Loi Informatique et libertés et sur les conditions dans lesquelles elles peuvent encadrer ces usages.

De la part des institutions culturelles

  • Une intégration de leur démarche d’Open Data dans la conception et la refonte de leur système d’information,
  • Un travail commun permettant de mutualiser et fédérer des démarches similaires ;
  • Une mutualisation globale, des moyens et des fonds, notamment pour l’anonymisation et la numérisation des données ;
  • La reconnaissance d’un accès systématique et gratuit aux œuvres du domaine public numérisées, y compris en cas d’usage commercial ;
  • l’usage privilégié de licences ayant une clause de « partage à l’identique » en parallèle ou à la place de toute clause interdisant la réutilisation commerciale afin d’assurer une diffusion et une réutilisation optimales.

De la part du législateur

  • La réintégration du régime des données culturelles dans le régime général de réutilisation des informations publiques et la validation de l’usage de licence de type « partage à l’identique » (à l’échelle nationale et communautaire) ;
  • Une modification de la circulaire du 26 mai 2011 pour étendre le principe de gratuité dans la réutilisation de leurs données aux établissements culturels sous tutelle de l’État (avec portée rétroactive) ;
  • Une modification de la Loi DADVSI afin que la cession des droits des agents publics s’étende aussi aux usages commerciaux et dépasse le seul cadre de l’accomplissement d’une mission de service public ;
  • Un refus des propositions de la nouvelle directive européenne qui envisagent les droits des agents publics comme limites à la diffusion des informations publiques.

Introduction

Depuis quelques années, on observe un mouvement général d’ouverture des institutions vers le grand public dans le monde entier (États-Unis, Grande-Bretagne, Kenya, etc.) comme en France (villes de Paris, Rennes, Toulouse, Montpellier, Nantes, mission interministérielle Etalab, etc.).

Conjointement à ces actions, la société civile s’investit également dans la mise en valeur et la demande de partage des données et contenus culturels.

Dans le secteur culturel, l’Open Data prend la forme parallèlement d’une ouverture des reproductions numériques d’œuvres qui sont elles-mêmes dans le domaine public ou appartenant à une personne publique et d’une ouverture des données relatives à ces œuvres (catalogues, bases de données descriptives, etc.). À ce titre, le sujet intéresse le ministère de la Culture, le législateur et les institutions culturelles (publiques comme privées).

Nous avons identifié certains enjeux qui nécessitent une clarification parfois, de la pédagogie bien souvent, et dans quelques cas particuliers, une réflexion voire des changements juridiques.

Pour surmonter ces blocages et permettre une réelle et fructueuse ouverture des institutions culturelles, nous portons l’attention de l’administration et du législateur sur :

  1. la méconnaissance des concepts et enjeux de l’Open Data au sein des institutions culturelles ;
  2. une volonté politique insuffisante en France en ce qui concerne la diffusion et de la réutilisation des données culturelles sur Internet et à l’échelle internationale ;
  3. la complexité du cadre juridique relatif à la diffusion des données cultuelles ;
  4. l’importance d’une réaffirmation de la mission des institutions publiques dans la diffusion et la réutilisation des données culturelles, a fortiori concernant les oeuvres du domaine public ;
  5. les préoccupations économiques susceptibles d’entraver la diffusion et la réutilisation des données culturelles.

-> La suite sur DonneesLibres.info…

Crédit photo : Leaf Languages (Creative Commons By-Sa)

Notes

[1] À propos de parité, signalons l’initiative #LibDiv, premier apéro Libre et Diversité qui aura lieu le 12 octobre prochain à La Cantine, avec la participation de Framasoft.




La troisième révolution industrielle est en marche et nous pouvons tous y participer

La « troisième révolution industrielle » est une expression popularisée par un récent essai de Jeremy Rifkin. Mais s’il se penche attentivement sur la question de l’énergie, qu’il envisage durable et distribuée, il se montre moins prolixe sur la question de la production.

Or là aussi de profonds bouleversements nous attendent…

Je casse une assiette aujourd’hui. Je prends ma voiture pour aller chez Ikea en acheter une autre (construit en Chine). Je casse une assiette demain. Je vais chercher sur Internet le fichier numérique « assiette », puis je demande à mon imprimante 3D de m’en créer une nouvelle sous mes yeux ébahis.

Et là où ça devient encore plus intéressant c’est quand l’imprimante tout comme le fichier sont libres, m’assurant alors que j’aurais une grande variétés de fichiers « assiette » à télécharger et que je pourrais même les modifier à ma guise avant de les imprimer 🙂

Pasukaru76 - CC by

La Troisième Révolution industrielle

The third industrial revolution

The Economist – Avril 2012
(Traduction : Louson, Lolo le 13, angezanetti, Fe-lor, GPif, xaccrocheur, @poulpita, fck, Coyau)

La numérisation de la fabrication modifiera la manière de fabriquer les biens ainsi que la notion même de travail.

La première révolution industrielle commença à la fin du XVIIIe siècle, avec la mécanisation de l’industrie du textile. Les tâches qui avant étaient exécutées laborieusement à la main par des centaines de petites industries de tisserand ont été réunies en une seule fabrique, et l’usine était née. la seconde révolution industrielle arriva au début du XXe siècle quand Henry Ford maîtrisa l’évolution des lignes d’assemblage et conduit à l’âge de la production de masse. Les deux premières révolutions rendirent les gens plus riches et plus urbains. Maintenant une troisième révolution est en cours. La fabrication devient numérique. Elle risque pas de ne changer que les affaires, mais bien plus de choses encore.

De nombreuses technologies innovantes convergent : logiciels, nouveaux matériaux, robots plus habiles, nouveaux procédés (en particulier l’impression 3D) et une large variété de services web. L’usine du passé reposait sur la production en masse de produits identiques : Ford disait que les acheteurs de voiture pouvaient avoir la couleur qu’ils voulaient, tant que c’était noir. Mais le coût de production de lots plus petits, d’une plus grande variété, où chaque produit est fait précisément sur mesure selon le vœu de chaque client, est en train de chuter. L’usine du futur se concentrera sur la personnalisation de masse et ressemblera bien davantage à de toutes petites industries qu’à la ligne de montage de Ford.

Vers une troisième dimension

Autrefois, pour faire des choses, on vissait et on soudait. Maintenant un produit peut être conçu sur un ordinateur et « imprimé » sur une imprimante 3D, qui crée un objet en volume en accumulant des couches successives de matière. La conception numérique peut être ajustée en quelques coups de souris. L’imprimante 3D peut fonctionner sans surveillance et peut faire des objets trop complexes pour être produits dans une usine traditionnelle. Un jour, ces machines étonnantes pourront faire presque tout, partout, dans votre garage ou dans un village en Afrique.

Les applications d’impression 3D sont particulièrement époustouflantes. Déjà, les prothèses auditives, et les parties haute technologie des avions militaires sont imprimées avec des formes adaptées. Un ingénieur travaillant au milieu du désert, à qui il manquerait un certain outil n’a plus besoin de se le faire livrer dans la ville la plus proche. Il peut simplement télécharger le design et l’imprimer. Les jours où les projets sont arrêtés pour cause de pièce manquante, ou encore, lorsque les clients se plaignent de ne plus pouvoir trouver les pièces de rechange de ce qu’ils avaient achetés, seront bientôt de lointains souvenirs.

Les autres changements sont presque aussi capitaux. Les nouveaux matériaux sont plus légers, plus résistants et ont une durée de vie plus longue que les anciens. Les fibres de carbone remplacent l’acier et l’aluminium pour des produits allant du VTT aux avions de ligne. Les nouvelles techniques permettent aux ingénieurs de réduire la taille des objets. Les nanotechnologies donnent de nouvelles fonctions aux produits comme les bandages qui guérissent les coupures, les moteurs avec un rendement supérieur ou de la vaisselle qui se nettoie plus facilement. Les virus crées génétiquement sont développés pour être utilisés comme batteries. Et, avec Internet qui permet aux designers de collaborer sur les nouveaux produits, les barrières d’entrées sont en train de s’effondrer. Ford avait besoin d’un gros tas de capital pour construire sa colossale usine River Rouge; son équivalent moderne peut commencer avec trois fois rien dont un ordinateur portable connecté et la soif d’inventer.

Comme toutes les révolutions, celle-ci sera fortement perturbatrice. La technologie numérique a déjà renversé les média et la vente au détail, comme les filatures de coton ont écrasé les métiers à tisser manuels et la Ford T a mis les maréchaux-ferrants au chômage. Les gens seront extrêmement surpris devant les usines du futur. Elle ne seront pas pleines de machines crasseuses commandées par des hommes en blouse graisseuse. Beaucoup seront d’une propreté irréprochable et quasi-désertes. Certains fabricants de voitures produisent le double de véhicules par employé qu’il y a dix ans. La plupart des emplois ne sera plus dans les usines mais dans les bureaux non loin, qui seront pleins de designers, d’ingénieurs, d’informaticiens, d’experts en logistique, de commerciaux et d’autre professions. Les emplois manufacturiers du futur demanderont d’avantage de compétences. De nombreuses taches répétitives et ennuyeuses deviendront obsolètes : on n’a pas besoin de riveteur quand un produit n’a plus de rivets.

La révolution n’affectera pas seulement la façon dont les choses sont faites, mais aussi le lieu où elles sont produites. Avant les usines se délocalisaient dans des pays à bas salaires pour diminuer le coût du travail. Mais le coût du travail est de moins en moins important : un iPad de première génération à 499 $ comprend aujourd’hui seulement 33 $ de travail manufacturé sur lequel l’assemblage final en Chine ne représente que 8 $. La production aujourd’hui offshore va de plus en plus souvent revenir dans les pays riches, bien moins à cause d’une hausse des salaires chinois que parce que les compagnies veulent désormais être plus proches de leurs clients de façon à pouvoir répondre plus rapidement à leurs demandes de modifications. Et certains produits sont si sophistiqués qu’il est pratique d’avoir les personnes qui les ont conçus et celles qui les ont fabriqués au même endroit. Le Boston Consulting Group estime que dans des domaines comme les transports, les ordinateurs, la fabrication de produits métalliques et la machinerie, 10 à 30 % des biens que les américains importent actuellement de Chine pourraient être fabriqués à domicile d’ici 2020, stimulant l’exportation américaine de 20 à 55 milliards de dollars par an.

Le choc de la nouveauté

Les consommateurs auront peu de difficultés à s’adapter à cette nouvelle ère de meilleurs produits rapidement livrés et créés près de chez eux. Les gouvernements pourraient toutefois commencer par résister au mouvement. Leur instinct est de protéger les industries et les entreprises qui existent déjà plutôt que de promouvoir les nouvelles qui les détruiront. Ils attirent les anciennes usines avec des subventions et stigmatisent les patrons qui voudraient délocaliser. Ils dépensent des milliards dans de nouvelles technologies qui, à leur avis, prévaudront dans l’avenir. Et ils s’accrochent à la croyance romantique que la fabrication est supérieure aux services, sans prendre en compte la finance.

Rien de ceci n’a de sens. Les frontières entre la manufacture et les services deviennent floues. Rolls-Royce ne vend plus de réacteurs, elle vend les heures pendant lesquelles chaque moteur propulse un avion dans le ciel. Les gouvernements ont rarement choisi les vainqueurs, et ils vont probablement mettre du temps à voir ces légions d’entrepreneurs et de bricoleurs qui s’échangent des plans en ligne, les transforment en produits chez eux et les vendent à l’échelle mondiale depuis un garage.

Pendant que la révolution gronde, les gouvernements devraient en rester aux bases : de meilleures écoles pour une main d’œuvre qualifiée, des règles claires et équitables pour les entreprises de toutes sortes. Laissez le reste aux révolutionnaires.

Crédit photo : Pasukaru76 (Creative Commons By)




Il y a quelque chose de magique dans Firefox OS !

Le système d’exploitation Firefox OS peut libérer nos smartphones et autres tablettes en apportant une alternative à Apple et Android, un peu comme l’a fait le navigateur Firefox avec le Web en son temps.

Nous vous proposons ci-dessous le témoignage passionné (et passionnant) d’un de ses développeurs.

Rob Hawkes - CC by-sa

Il y a quelque chose de magique dans Firefox OS

There is something magical about Firefox OS

Rob Hawkes – 12 septembre 2012 – Blog personnel
(Traduction : Un gros collectif de bénévoles nocturnes issus de Framalang, Identi.ca et Twiiter)

Dans ce billet, je parle du projet Firefox OS, ce qu’il signifie, ce que réserve le futur, et ce qu’il a d’un peu magique.

Au cours des quinze derniers mois, j’ai passé de plus en plus de temps à travailler sur le dernier projet de Mozilla : Firefox OS. Rapidement, je suis tombé amoureux de ce projet et de ses valeurs, à un point que je n’avais jamais connu pour une nouvelle plateforme.

Soyons clairs ; Firefox OS est le début de quelque chose d’énorme. C’est une révolution en marche. Une bouffée d’air frais. Un point culminant de la technologie. C’est magique, et ça va tout changer.

Qu’est-ce-que Firefox OS ?

Pour ceux qui seraient un peu perdus, voici l’essentiel en deux mots :

Firefox OS est un nouveau système d’exploitation pour mobile développé par le projet de Mozilla : Boot to Gecko (B2G). Il utilise un noyau Linux et boote sur un environnement basé sur Gecko, ce qui permet aux utilisateurs de lancer des applications entièrement développées en HTML, JavaScript, et d’autres API Web ouvertes.

Mozilla Developer Network

En bref, Firefox OS consiste à récupérer les technologies dans les coulisses du Web, telles que JavaScript, et à les utiliser pour produire un système d’exploitation entier. Prenons quelques instants pour y réfléchir… un système d’exploitation pour mobile basé sur JavaScript !

Pour ce faire, une version légèrement modifiée de Gecko (le moteur derrière Firefox) a été créée dans le but d’y intégrer les différentes API JavaScript relatives à la téléphonie, comme WebTelephony pour faire des appels, WebSMS pour envoyer des messages, et la Vibration API pour… faire vibrer le téléphone.

Mais tout génial qu’il soit, Firefox OS représente plus qu’un ensemble de technologies Web dernier cris utilisées de façon démente. C’est aussi l’association de nombreux autres projets de Mozilla autour d’un concept unique — le Web en tant que plateforme. Certains de ces projets intègrent nos initiatives Open Web Apps et Persona, notre solution d’authentification sur le web (anciennement BrowserID). C’est absolument fascinant de voir tous ces différents projets de Mozilla s’unir de façon cohérente en partageant une seule et même vision.

Je n’irai pas plus loin dans la description du projet vu que le but de cet article n’est pas de le faire dans le détail, même si de plus amples informations peuvent être trouvées sur les pages de Firefox OS sur MDN. Je vous invite vivement à les lire.

Pourquoi Firefox OS ?

Vous pouvez vous dire « Ça a l’air bien, mais pourquoi utiliser JavaScript pour faire un téléphone ? » Et vous avez raison, c’est une question réellement importante. La bonne nouvelle est qu’il y a de nombreuses raisons à cela, autres que de faire la joie des développeurs Web.

Les deux principales raisons sont que Firefox OS répond à un manque dans le marché du téléphone, et qu’il constitue une alternative au paysage privativeur, restreint et contraignant du marché actuel.

Combler un manque dans le marché du téléphone

Ce n’est un secret pour personne : les smartphones sont ridiculement chers, même dans les régions du monde dont le niveau de vie est considéré comme élevé. Mais si vous les trouvez chers dans les pays qui ont les moyens de se les offrir, alors pensez un peu à ce que représente un iPhone 4S 16 Go qui vaut 615 £ dans un pays émergent comme le Brésil. C’est 100 £ plus cher que le même téléphone en Angleterre !

En fait, ces prix plus élevés au Brésil sont principalement dus aux fortes taxes d’importation. Apple semble vouloir éviter ceci dans le futur en construisant des usines dans le pays. Quoi qu’il en soit, cela montre bien que les appareils haut de gamme et hors de prix ne sont pas toujours une solution pour tous les pays. Laissons de côté le fait que dans certaines sociétés vous n’avez pas forcement l’envie d’exhiber publiquement un téléphone qui a le même prix qu’une petite voiture.

A l’heure actuelle, que faites-vous si vous souhaitez acheter un smartphone sans débourser une somme astronomique ? Vous pouvez vous tourner vers des terminaux Android d’entrée de gamme, mais ils sont souvent bien trop lents.

Heureusement, c’est là que Firefox OS intervient.

Le but de Firefox OS n’est pas de rivaliser avec des appareils haut de gamme mais d’offrir des smartphones milieu de gamme au prix de l’entrée de gamme. Ce n’est pas une plaisanterie.

Bonnie Cha

Firefox OS répond parfaitement aux attentes du marché : il offre la même expérience d’utilisation sur un matériel d’entrée de gamme que le fait Android sur du matériel plus performant. Et ce n’est pas une blague.

Par exemple, je teste en ce moment même des jeux écrits en JavaScript sur un terminal fonctionnant sous Firefox OS et qui coûte une soixantaine d’euros (clairement, un appareil très bas de gamme). On pourrait donc s’attendre à ce qu’ils fonctionnent très mal, mais non seulement ils tournent bien plus rapidement que les mêmes jeux s’exécutant dans un navigateur internet Android (Firefox ou Chrome) sur le même appareil, mais ils tournent même aussi vite, si ce n’est plus, que les mêmes jeux sous un navigateur Android sur une machine bien plus performante qui coûte 4 ou 5 fois plus cher.

Pourquoi de telles améliorations de performance par rapport aux navigateurs sur Android pour des appareils identiques ? Grâce à l’absence de couche intermédiaire entre Gecko et le hardware, permettant à des choses comme le JavaScript de tourner à plein potentiel, et en finir avec le mythe du JavaScript lent !

De telles performances de JavaScript sur un matériel aussi abordable est une des raisons qui me font penser que Firefox OS annonce le début de quelque chose d’énorme.

Je dois cependant préciser que Mozilla n’est pas forcément sur le point de lancer un appareil à 60 € : il s’agit seulement d’un terminal en particulier que nous utilisons pour le développement et les tests.

Fournir une alternative : une plateforme ouverte

La seconde réponse à la question « Pourquoi Firefox OS ? » est qu’il s’agit non seulement de créer une plateforme mobile alternative et ouverte, mais également d’essayer d’agir pour influencer les grands acteurs du mobile à changer les choses.

La mission de Mozilla depuis ses débuts en 1998, d’abord en tant que projet autour d’un logiciel, puis en tant que fondation et entreprise, a consisté à fournir des technologies ouvertes capables de rivaliser avec les produits des entreprises dominantes.

Steve Lohr

Firefox a bouleversé le marché du navigateur et montré aux utilisateurs qu’il existe une alternative. Et c’est ce que Mozilla s’efforce de reproduire avec Firefox OS, en permettant à chacun de pouvoir choisir sa façon d’utiliser le Web.

Cette fois-ci, c’est le Web mobile qui est menacé. Pas par Microsoft, mais par Apple et Google, qui sont les plateformes dominantes pour smartphones. Avec leurs applications natives, leurs catalogues d’applications propriétaires, et leurs règles imposées aux développeurs, Apple et Google relèguent le Web à l’arrière-plan.

Thomas Claburn

Sur les téléphones, le domaine qui nécessite le plus de travail est la portabilité des applications…

Avec l’excitation autour des applications mobiles, ils donnent l’impression d’être en retard sur un point : ils restreignent leurs utilisateurs à un système d’exploitation particulier, et aux appareils qui le supportent. Le Web, au contraire, a évolué de façon à ce que le contenu soit ressenti de la même façon, quel que soit le matériel. Mozilla, créateur du navigateur Web Firefox, est déterminé à rendre cela vrai également pour les smartphones.

Don Clark

Ce que Firefox OS cherche à faire, c’est utiliser l’omniprésence du Web pour créer une plateforme qui permet aux applications d’être utilisées aussi bien sur un téléphone portable, un ordinateur, une tablette, ou depuis n’importe quel appareil possédant un navigateur. Ne serait-ce pas génial de pouvoir reprendre sur votre ordinateur la partie d’Angry Birds à laquelle vous étiez en train de jouer sur votre téléphone ? Moi, j’adorerais !

Un rêve à portée de bidouille pour les développeurs

Une dernière raison pour laquelle Firefox OS est nécessaire, c’est que nous n’avons pour le moment aucune plateforme mobile aussi bidouillable (NdT hackable) (il est plus ou moins possible de personnaliser Android, mais ce n’est pas si facile).

Comme Firefox OS est construit avec HTML, JavaScript et CSS, vous n’avez besoin que de connaissances élémentaires en développement Web pour changer complètement l’expérience offerte par l’appareil. En éditant une simple ligne de CSS, vous pouvez totalement modifier l’apparence des icônes de l’écran d’accueil ; ou encore, vous pouvez ré-écrire les fichiers internes JavaScript qui gèrent les appels téléphoniques.

Il s’agit réellement d’une plateforme pour les développeurs et je suis impatient de voir jusqu’à quel point elle sera amenée au-delà de la vision de Mozilla.

Un timing parfait

S’il y a quelque chose dont je suis conscient depuis mon arrivée chez Mozilla il y a un an et demi, c’est à quel point je suis chanceux d’être ici pour le démarrage du projet Firefox OS. Si je me souviens bien, le projet a été annoncé (sous le nom Boot to Gecko) pendant mes premières semaines de travail.

C’était déjà passionnant à l’époque, mais ça l’est encore plus aujourd’hui. Firefox OS est littéralement la chose numéro 1 sur laquelle je travaille actuellement et honnêtement j’adore ça. En réalité, je me sens privilégié d’y participer.

Je me suis demandé de nombreuses fois ce que l’on pouvait ressentir en travaillant chez Mozilla durant le lancement initial de Firefox : l’excitation, la passion, la nervosité, l’incapacité d’expliquer à quel point c’est impressionnant et à quel point on devrait s’en préoccuper.

Pour être honnête, je ne pense pas que beaucoup de monde comprenne réellement ce qui se passe avec Firefox OS, ni à quel point son lancement est important. Un peu comme pour Firefox, j’imagine. Pour le moment, je suis heureux d’être chez Mozilla à un instant clef de son histoire.

À couper le souffle

Les personnes qui le comprennent sont les développeurs qui ont essayé le terminal de démonstration qui est montré occasionnellement, lors d’événements avec des Mozilliens. Il n’y a rien que j’apprécie d’avantage que de voir les différentes phases de leurs émotions lorsqu’ils jouent avec les appareils :

  1. D’abord, il y a une légère confusion, quelque chose comme « Pourquoi tu me passes un téléphone Android ? » ;
  2. La confusion est suivie par la réalisation soudaine qu’il ne s’agit pas d’Android mais d’un système en JavaScript ;
  3. Après un court moment, l’excitation leur fait lancer des « oh putain ! » ;
  4. Un instant plus tard, les voilà absorbés à explorer tous les recoins de l’appareil en posant plein de questions ;
  5. Le moment où je leur demande de me rendre l’appareil est accompagné d’une légère réticence et finalement d’un « C’était pas mal du tout, je suis impressionné ! ».

Vous devez penser que j’ai tendance à enjoliver les choses, mais je peux vous assurer que c’est réellement le genre de réaction qu’ont pu avoir les gens auxquels j’ai présenté l’appareil. C’est réellement jouissif.

Ce dont j’ai commencé à me rendre compte, c’est que plus je regarde d’autres personnes s’amuser avec un appareil sous Firefox OS, plus je suis convaincu de sa capacité à changer la donne. C’est comme s’ils s’éclataient avec, sans que j’aie besoin d’intervenir.

Des défis à relever

Il ne serait pas juste de parler de la grandeur de Firefox OS et des points sur lesquels je travaille sans détailler les principaux défis que nous devons relever.

Il y a bien sûr les problèmes classiques : comment gérer un écosystème d’applications qui est libre et sans restrictions ; ou anticiper les problèmes d’interopérabilité des appareils, comme ceux que peut connaître Android.. Ces problèmes sont importants, mais ne m’intéressent pas.

Ce qui m’intéresse le plus, c’est le défi de développer des jeux en HTML5 ; tant pour les performances apparentes que pour les véritables, sur lesquelles les développeurs se plaignent. C’est indéniablement l’un des défis spécifiques à Firefox OS (Android et iOS sont aussi mauvais l’un que l’autre), mais pour le moment, je suis entièrement consacré à Firefox OS et les façons d’améliorer ces points.

Aujourd’hui, la majorité des jeux HTML5 préexistants sur téléphone tournent soit de manière saccadée (0 à 20 images par seconde), ou tout juste fluide (20 à 30 images par secondes). La plupart du temps, ces jeux ne tournent pas à un rythme d’images stable, ce qui rend l’expérience peu plaisante.

Ce qui est intéressant, c’est qu’une grande partie de ces soucis ne semblent pas venir du terminal ou de JavaScript. Il y a quelques jeux intenses, comme Biolab Disaster, qui tournent de manière incroyable, même sur le terminal bas de gamme avec lequel j’effectue les tests (nous parlons ici d’un taux d’images par seconde entre 40 et 60FPS).

Pour moi, il est clair que si les mobiles et les plateformes sont parfois à blames (pas aussi souvent que certains le voudraient), il y a cependant beaucoup de choses que nous apprenons des jeux qui fonctionnent convenablement sur des terminaux bas de gamme, pour voir quelles techniques ils utilisent et comment éduquer au mieux les autres développeurs souhaitant utiliser HTML5 sur téléphone mobile.

Je crois vraiment que des jeux HTML5 gourmands peuvent très bien tourner sur des appareils mobiles, même sur ceux bon marché. Pourquoi suis-je si confiant à propos de ça ? Parce que les gens font déjà des jeux comme ça. Il y a deux choses dans ma vie que je crois sans douter… mes yeux.

Nous en sommes là.

Au-delà du téléphone mobile

Ce qui m’excite le plus à propos de Firefox OS n’a rien à voir avec l’appareil mobile que nous sortons l’année prochaine mais plutôt avec le futur qui nous tend les bras. J’ai abordé ce point auparavant lorsque j’ai parlé de Firefox OS comme un rêve de bidouilleurs, et comment les autres pourraient le récupérer et le développer au delà de la vision qu’en a Mozilla.

La bonne nouvelle est que c’est déjà prêt aujourd’hui. Nous avons déjà un port de Firefox OS sur le Raspberry Pi, ainsi que pour la Pandaboard. Ils ne sont pas parfaits, mais ce qui est génial c’est qu’ils existaient déjà bien avant que Firefox OS voie sa première version sortir.

Vous avez aussi la possibilité de lancer Firefox OS depuis un ordinateur sous Mac, Windows et Linux. Alors qu’il n’est pas possible d’acceder au même matériel qu’avec un appareil mobile, la version pour PC vous permet de bénéficier des autres fonctionnalités (telles que les applications qui tournent dans des processus séparés). En plus, c’est vraiment simple à mettre en place.

Je peux imaginer un futur proche où l’API Gamepad aura été implémentée dans Gecko et pourra être accessible à travers le client PC Firefox OS. Qu’y a t-il d’extraordinaire ? Il y a qu’il n’est pas difficile d’imaginer voir ce client PC être lancé depuis un appareil connecté à un téléviseur, avec un système d’exploitation personnalisé pour utiliser un gamepad plutôt qu’une souris ou un touchpad (ce n’est que du JavaScript).

Ce que vous aurez ici sera le début des consoles de jeux vidéo HTML5, et c’est en fait une chose que je suis impatient d’explorer durant mon temps libre en dehors de Mozilla.

Ce que je veux dire, c’est que nous arrivons à un moment de l’histoire où les ordinateurs peuvent à présent fonctionner avec les technologies que l’on utilise pour créer des sites Web. Que pourrions-nous faire dans un monde rempli de terminaux fonctionnant avec ces technologies, qui pourront tous communiquer en se connectant via les mêmes API ?

J’ai hâte de voir à quoi ce monde ressemblera !

Crédit photo : Rob Hawkes (Creative Commons By-Sa)




Quand il faut libérer ses propres données pour traiter un cancer du cerveau

Fondateur notamment du collectif Art is Open Source, Salvatore Iaconesi est un hacker, artiste, raver, ingénieur présent depuis une dizaine d’années sur la scène italienne. J’ai eu l’occasion de le rencontrer lors de mon séjour romain.

Très triste nouvelle : il souffre d’une tumeur au cerveau.

Il demande à Internet, c’est-à-dire à la planète entière, de l’aider en publiant ses données personnelles médicales.

Sauf qu’il lui aurait été impossible de lancer cet appel s’il n’avait craqué lui-même ses propres données encapsulées nativement dans un format fermé et propriétaire, démontrant une nouvelle fois l’absurdité du système.

C’est pourquoi il a prénommé son appel « mon traitement open source », que nous vous proposons traduit en français ci-dessous.

Transmediale - CC by-nc-sa

Mon traitement open source

my Open Source Cure

Rome, le 10 septembre 2012
(Traduction : Unagi, lilian, Vincent)

J’ai un cancer du cerveau.

Hier, j’ai reçu mes résultats médicaux, sous forme numérique. Je dois les montrer à plusieurs médecins.

Malheureusement, ces fichiers sont dans un format fermé et propriétaire, et donc je n’ai pas pu les ouvrir avec mon ordinateur, ou les envoyer dans ce format à toutes les personnes qui auraient pu me sauver la vie.

Je les ai craqués.

J’ai ouvert les fichiers et je les ai convertis en formats ouverts pour pouvoir les partager avec tout le monde.

Aujourd’hui seulement, j’ai pu partager les données médicales (à propos de mon cancer du cerveau) avec 3 docteurs.

Deux d’entre eux ont déjà répondu.

J’ai pu faire cela parce que les données utilisées étaient dans des formats ouverts et accessibles : ils ont ainsi pu ouvrir les fichiers sur leurs ordinateurs ou tablettes. Ils ont pu répondre de chez eux, un dimanche.

Je publierai progressivement toutes les réponses que je recevrai, en utilisant des formats ouverts, afin que n’importe qui avec la même maladie puisse bénéficier des solutions que je trouverai.

Ceci est un TRAITEMENT. C’est mon TRAITEMENT OPEN SOURCE.

Ceci est une large invitation à participer au traitement.

TRAITEMENT, n’a pas la même siginification selon les cultures.

Il y a des traitements pour le corps, pour l’esprit, pour la communication.

Prenez les informations sur ma maladie, si vous voulez, et donnez-moi un TRAITEMENT : créez une vidéo, une oeuvre d’art, une carte, un poème, un jeu, ou essayez de trouver une solution à mon problème de santé.

Artistes, designers, hackers, scientifiques, médecins, photographes, vidéastes, musiciens, écrivains. N’importe qui peut me donner un traitement.

Créez votre traitement en utilisant le contenu que vous trouverez dans la section DATI/DATA de ce site, et envoyez le à info@artisopensource.net.

Tous les TRAITEMENTS seront diffusés ici.

Crédit photo : Transmediale (Creative Commons By-Nc-Sa)




Diaspora, le projet qui se voulut aussi gros que Facebook, pas encore mort car libre

Il y a une semaine on nous a annoncé que Diaspora serait désormais livré à la communauté.

Pour rappel Diaspora est le projet d’alternative libre à Facebook mené par des étudiants newyorkais et qui avaient créé le buzz et amassé beaucoup d’argent sur Kickstarter au moment du lancement en 2010.

Il y avait énormément d’attentes autour de ce projet car réussir à se sortir des griffes de Facebook ça n’est pas rien !

Plusieurs versions de l’application ont bien vu le jour, plusieurs dizaines de milliers d’utilisateurs se sont inscrits, mais c’est globalement la déception qui a prévalu. Ils n’ont pas réussi (et englouti l’argent), alors changement de gouvernance, plus de transparence, on donne le tout à la communauté (et qu’elle se débrouille si elle pense que le projet vaut la peine d’être poursuivi). Cela ressemble plus à un renoncement plein d’amertume qu’à un cadeau bienveillant, mais les optimistes répliqueront que c’est la force du libre que de pouvoir continuer l’aventure d’un projet même lorsqu’il se trouve bloqué.

Le billet ci-dessous tente de tirer les leçons de cette histoire et de cet échec.

Échec temporaire ou définitif ? Cela va dépendre justement de la communauté.

Diaspora

Diaspora : un nouveau départ ou une mise en garde du financement participatif ?

Diaspora: A New Beginning or a Crowdfunding Cautionary Tale?

By Paul M. Davis – 29 août 2012 – Shareable.net
(Traduction : boubou, Ward, imada, Gatitac, moedium, xaccrocheur, Penguin, aKa, sheldon, martinien)

Il y a deux ans, quatre étudiants de l’université de New York surfèrent sur le sentiment anti-Facebook et ont récolté via le site Kickstarter plus de 200 000 $ pour créer Diaspora, un réseau social open source.

Les fondateurs ont annoncé lundi qu’ils livraient leur projet à la communauté open source, ce qui va peut-être relancer le développement d’une plate-forme de réseau social au-delà de ce qu’ils ont réussi à créer jusqu’à maintenant. Dans le cas contraire, nous aurions à faire avec un échec patent d’un projet issu du financement participatif (NdT Crowdfunding).

D’une certaine manière, l’histoire de Diaspora est le reflet de la jeunesse de ses créateurs : optimisme sans limite et promesses sans fins ont laissé place au scepticisme, à la déception, aux réactions négatives et même à des tragédies personnelles. Après que la campagne KickStarter a atteint 20 fois son objectif initial, les développeurs furent mis sous une pression extrême de produire un résultat. Les sorties furent repoussées, les messages et la communication devinrent confus. En moins d’un an, le sentiment négatif qui était né durant la campagne de levée de fonds semblait se retourner contre le projet lui-même.

Au milieu de tout le tapage qui a entouré le lancement et le succès de la campagne de Diaspora, un sentiment de scepticisme a commencé à apparaître. Au plus fort de la campagne, des voix importantes comme celle de Clay Shirky ont amplifié les doutes sur la possibilité que Diaspora puisse atteindre son ambitieux objectif d’une livraison de la version alpha à la fin de l’été. La sortie privée de la version alpha eut lieu en novembre 2010 et a reçu un accueil modérément optimiste parmi les donateurs et la presse spécialisée, mais ce délai et les fonctionnalités limitées ont renforcé les arguments de ceux qui doutaient. A partir de mai 2011, des blogs techniques de haut niveau comme TechCrunch commençaient à critiquer le projet comme des vieilles nouvelles et à le qualifier de vaporware.

Confirmant les soupçons des sceptiques, les fondateurs annoncèrent en juillet 2011 qu’après avoir levé 20 fois leur objectif, Diaspora était déficitaire de 238 $ (PDF). En octobre 2011, les fondateurs essayèrent de faire taire les mauvaises rumeurs avec un post sur leur blog intitulé Diaspora : ni vaporware, ni prince Nigérian”. Malheureusement, s’ensuivit rapidement le suicide de Ilya Zhitomirskiy, co-fondateur du projet. En avril dernier, l’équipe Diaspora déclara que « les choses commencent à changer » en partageant des copies d’écrans d’une campagne de hashtag ayant une ressemblance frappante avec le site makr.io, un autre projet récemment annoncé par les mêmes fondateurs de Diaspora.

Puisque le but de Diaspora a toujours été de devenir un véritable projet open source, il est trop tôt pour voir l’annonce de lundi dernier comme un échec. Mais ce transfert open source ressemble plus un renoncement qu’à un cadeau à la communauté.

Alors, à quoi ressemblera le futur de Diaspora ? Dans une interview à BetaBeat, le co-fondateur Max Salzberg a déclaré que « beaucoup de projets open source exploitent la communauté », citant Mozilla et WordPress en exemple. Même s’il est vrai que Mozilla et WordPress s’appuient sur une large communauté de contributeurs, la comparaison de Salzberg ne tient pas car les deux projets cités sont également soutenus par de gros apports financiers, qu’il s’agisse d’argent provenant du Kickbacks de Google (Mozilla) ou des services premium pour les entreprises (WordPress).

Pour envisager ce que pourrait être le futur de Diaspora, il vaut la peine de prendre en considération un projet récent inspiré par un mécontentement similaire des utilisateurs. La plateforme qui suscite actuellement la colère des geeks est Twitter, qui ne cesse de serrer la vis sur l’écosystème du développement en limitant l’accès aux API et en mettant en place une stratégie commerciale qui le fera ressembler beaucoup plus à Facebook qu’à un simple flux de messages de 140 caractères. Ceci a poussé récemment au financement réussi de app.net, un service alternatif lancé d’une manière très différente. Au lieu de construire une plateforme ouverte et décentralisée, ce que les étudiants derrière Diaspora visaient, app.net développe une plateforme sociale centralisée financée par les abonnements des utilisateurs plutôt que par la publicité. Le projet a récemment atteint son objectif de campagne de 500 000 $ par des inscriptions de membres à 50 $, en grande partie grâce à l’approbation tacite des blogueurs influents et des développeurs qui ont été parmi les détracteurs les plus virulents de Twitter ces dernières semaines.

Pour qui est fait Diaspora ?

Malgré les différences fondamentales entre Diaspora et app.net, ils partagent le même problème de base : atteindre l’effet de réseau. Le succès d’un réseau social dépend d’un certain nombre de facteurs : des utilisateurs de la première heure qui sont aussi de vrais partisans, du buzz médiatique, une nouvelle solution à un problème existant, ou, à défaut d’autre chose, de la nouveauté.

Qu’en est-il pour Diaspora ? Cela fait longtemps que le buzz s’est estompé. Et, comme Google l’a découvert avec Plus, ce n’est pas parce que les gens sont « agacés par Facebook » qu’il vont avoir le temps ou l’envie de changer de réseau social, surtout si leur amis ne le font pas.

Lancer un nouveau service social en direction de la geekratie peut sembler pertinent au démarrage à fortiori lorsque le projet est open source. Mais pour que la sauce prenne, il faut aller au-delà des geeks et être aussi rapidement adopté par la masse. Diaspora ne s’adresse-t-il pas avant tout à ceux qui ne sont pas intimidés par les commits Git ou monter une instance Heroku, à ceux, pas assez nombreux, qui ont bien conscience qu’ils vont offrir leurs données personnelles à une société contre un service Web gratuit ? Et dans ce cas, quelles différences fondamentales avec des sites déjà existants comme Slashdot, Github ou Stack Overflow ? De plus, et bien que les caractéristiques sociales de ces services soient souvent limitées, il existe déjà de nombreuses plates-formes de réseaux sociaux open source sur le marché : Drupal, Elgg, Buddypress, Pligg, Mahara, pour en nommer quelques-unes.

Le potentiel de la fédération

La dernière carte à jouer pour Diaspora peut être son architecture fédérée. Dans une époque de services centralisés et financés par la publicité, tels Facebook,Twitter et Google, il y a un attrait certain pour une plateforme sociale fonctionnant sur une architecture décentralisée.

Une telle approche devient plus impérieuse si l’on considère la facilité avec laquelle le gouvernement américain a fermé des sites prétendument coupables d’infraction ces dernières années et comment il peut accéder aux données personnelles d’activistes sur les médias sociaux, comme Malcom Harris de Shareable s’en est aperçu au cours d’un long procès concernant son activité sur Twitter. En théorie, les nœuds d’une plate-forme sociale, qui forment un réseau p2p, pourraient être tissés dans un garage ou un placard et être déconnectés facilement, avec un faible impact sur le réseau.

Mais alors on en revient au problème des effets du réseau : la valeur de Twitter pour le mouvement Occupy ne relevait pas simplement de la communication et de l’organisation mais aussi de la diffusion. Les personnes sur le terrain étaient capables de diffuser des scènes de violence policière en temps réel, non seulement aux autres membres du mouvement sur un quelconque réseau social partagé, mais également au monde entier.

Des réseaux sociaux fédérés existent déjà, tel StatusNet sur lequel repose le rival largement oublié de Twitter, identi.ca. Mais même avec la pleine connaissance des risques de confidentialité de l’utilisation de Twitter ou Facebook, la plupart des activistes d’Occupy ne diffusaient pas vers la poignée de geeks qui postent encore des conseils pour Drupal sur identi.ca. Ils se sont plutôt dirigés là ou l’audience la plus vaste et diversifiée verrait leurs message : Twitter, Facebook et Youtube.

Rien de ceci ne permet de dire qu’une solution fédérée ne peut fonctionner, seulement que les défis sont très grands. Maintenant que Diaspora a été remis entre les mains de la communauté, il est trop tôt pour le déclarer mort. Comme les fondateurs l’ont noté dans leur annonce, le compte Github de Diaspora est actif (tout comme son projet sur Pivotal Tracker).

Je reste d’un optimisme prudent quant à la capacité de la communauté open source à créer quelque chose de grand à partir du code que les fondateurs ont lâché dans la nature. Peut-être que le code existant sera forké et deviendra la base d’un nouveau projet allant bien au delà du Diaspora actuel. Mais quoi qu’il advienne, son développement tumultueux restera comme un récit de mise en garde vis-à-vis du crowdfunding, sur les dangers des promesses qu’on ne peut pas tenir.




Un manuel de français libre et gratuit pour iPad – Invitation au débat

Voici un projet pour le moins original, un ovni même dans le paysage éducatif français.

Il s’agit d’un manuel de français, niveau quatrième, sous licence Creative Commons, entièrement rédigé par un seul homme, Yann Houry.

C’est tout d’abord une initiative à saluer et encourager comme il se doit. On peut aujourd’hui produire, proposer et partager un tel ouvrage avec toujours beaucoup de travail en amont mais de réelles facilités techniques et graphiques en aval.

Le projet présente cependant quelques caractéristiques qui ne manqueront pas de susciter à n’en pas douter de nombreux commentaires (courtois et argumentés, cela va sans dire).

  • La licence Creative Commons est la By-Nc-Sa (avec clause non commerciale donc). Certains ne pourront alors véritablement qualifier le manuel de « libre » (et encore moins « libre de droits »)
  • Le manuel a été conçu et encapsulé dans l’application d’Apple iBooks Author (il n’y a pour ainsi dire pas de sources mais une possibilité de sortie au format PDF où, évidemment, l’interactivité est inexistante)
  • En conséquence de quoi, le manuel est exclusivement destiné à l’iPad (et pas une autre tablette)
  • Certes gratuit, on ne peut se le procurer que sur la plateforme Apple iTunes (où l’on peut d’ailleurs lire : « ce livre ne peut être lu qu’avec iBooks 2 sur un iPad équipé d’iOS 5 »)

« Il est difficile de voir en Apple le parangon de l’ouverture et de la liberté. » L’auteur a souvent bien conscience de tout cela et s’en explique ci-dessous dans la présentation de son projet.

Il y a la matière à un débat fécond (sans oublier que derrière l’iPad se cache la générique tablette). Et comme le dit l’auteur en paraphrasant Montaigne : « votre approbation comme votre condamnation me seront utiles ».

Manuel de Quatrième - Yann Houry - CC by-nc-sa

Un manuel de français libre et gratuit pour iPad

URL d’origine du document (Ralentir travaux)

Yann Houry – Septembre 2012 – Licence Creative Commons By-Nc-Sa

Les deux classeurs

Je me souviens de ce professeur d’histoire qui avait avec lui, en permanence, deux gros classeurs. Je commençais tout juste à enseigner, et ces classeurs m’apparaissaient comme une somme, un véritable trésor, le fruit d’un travail riche d’expériences, de lectures et de recherches, une sorte de Graal auquel tout enseignant devait nécessairement et inéluctablement parvenir après quelques années d’enseignement. J’admirais d’autant plus ces deux classeurs qu’ils me semblaient la matérialisation de ce qui reste d’habitude invisible, le travail de l’enseignant. En effet, les cours de l’enseignant sont parfois intangibles, car ils n’ont pas nécessairement besoin d’être mis par écrit pour être transmis.

Mais ces deux classeurs avaient aussi un côté dérisoire que leur poids et leur encombrement rendaient évident. Pourquoi donc emporter en tout lieu et en tout temps ces deux énormes classeurs ? Ce professeur leur trouvait-il un usage quotidien ? Voulait-il absolument avoir sous la main le document qui deviendrait tout à coup nécessaire à un de ces moments où le hasard pédagogique vous mène ? Je ne sais plus quelle réponse j’ai obtenue à ce sujet, mais je sais depuis que le numérique a achevé de frapper d’inanité ce lourd bagage. Ces deux classeurs tiennent dans un iPad. Or le site Ralentir travaux d’abord, ce manuel ensuite, ce sont un peu mes classeurs, mais je ne voulais pas les garder fermés. Je voulais les tenir à la disposition des autres, pour à la fois les leur offrir et les leur soumettre. C’était à la fois par altruisme et par égoïsme, car, pour plagier Montaigne, je dirais volontiers que votre approbation comme votre condamnation me seront utiles.

Un manuel numérique

Ce manuel n’a pas la prétention de se substituer aux manuels traditionnels. De toute façon, tant que l’on restera engoncé dans l’opposition hugolienne du « Ceci tuera cela », tant que l’on croira nécessaire de choisir l’un ou l’autre, on restreindra sinon la portée du problème du moins la richesse des techniques d’enseignement. Une technique – le plus souvent – ne remplace pas une autre. Internet n’a pas remplacé la télévision, laquelle n’a pas remplacé la radio… L’un ne se substitue pas à l’autre, mais se tient à côté. C’est d’ailleurs tout l’intérêt que je trouve aux tablettes et plus particulièrement à l’iPad. Celui-ci, contrairement à l’ordinateur de bureau, ne trône pas en conquérant sur la table après avoir terrassé les livres et le papier, il se tient à leurs côtés, accompagnant et enrichissant ces supports pluricentenaires. Le bureau du collégien, je le vois avec une tablette et du papier. Ce n’est pas l’un ou l’autre. Pourquoi choisir ?

Ce manuel, je le publie maintenant, parce que la rentrée scolaire ne me permettra plus de lui consacrer le temps que les vacances m’ont permis de lui accorder. Il n’est même pas, si l’on y regarde bien, tout à fait terminé (tant s’en faut). Comme les logiciels libres dont il s’inspire, il correspond à une version bêta, disons une version alpha pour parer à toute critique. S’il n’est pas totalement achevé, il pourra – du fait de sa nature – être mis à jour en un rien de temps. Et j’ose espérer qu’il le sera du fait des contributions, des observations et remarques en tout genre que je vous propose dès aujourd’hui d’écrire ici même dans ces commentaires. Je le redis, et même si ce n’est pas ce qui est arrivé, Ralentir travaux n’a jamais eu vocation à être l’ouvrage d’une seule personne. À ce propos, je tiens à remercier chaleureusement les personnes qui m’ont apporté leur aide, et au tout premier chef Christophe Herlory pour son soutien, sa traduction de l’extrait de Frankenstein et sa relecture du manuel, ma femme qui m’a prêté sa voix pour l’enregistrement des dictées, et tous ceux qui ont pris le temps, pour traquer les coquilles et les erreurs, de lire et relire ce manuel.

S’il n’est pas parfait, s’il n’entend pas supplanter quoi que ce soit – et surtout pas ces si riches manuels que les éditeurs proposent maintenant depuis tant d’années, ce manuel numérique se veut libre de droits, c’est-à-dire que pour la première fois l’on propose à l’enseignant d’être, dans sa classe, totalement en règle avec la loi. On peut copier, modifier, distribuer ce manuel. Les images, les textes, les questionnaires, tout peut être partagé ou transformé. Tout est sous licence Creative commons.

L’empire du copyright

Il faut dire et redire à quel point le droit d’auteur est une plaie pour le monde de l’éducation, un fléau qui restreint drastiquement la diffusion des œuvres. Combien de pépites, de découvertes resteront dans les tréfonds de mon ordinateur et de ceux de mes collègues ? Combien d’ouvrages ne pourront être partagés sous le prétexte que les droits d’auteur ont enfermé la culture pour une vingtaine d’années d’abord (lors de la Révolution française), puis pour cinquante, aujourd’hui pour soixante-dix ans ? Cette confiscation des œuvres, parfois totalement arbitraire (songez à cette traduction du Vieil homme et la mer de François Bon), enferme le patrimoine culturel dans la sphère du privé, prive le public de sa possession, de son droit de reproduction quand ce n’est pas purement et simplement de son droit de consultation. Par désir de profiter d’une manière financière, par crainte du vol également.

Or, dans le cas du numérique, la confusion est totale. Si vous copiez un texte ou reproduisez une image, vous ne volez rien du tout. Vous copiez. Il n’y a pas vol.

J’avais été très étonné en entendant pour la première fois la chanson du copyleft. Copier n’est pas voler. Si je vole un vélo, le propriétaire du vélo est lésé. Si je copie un texte ou une image, personne n’y perd. Le propriétaire n’a pas perdu son texte ou son image, mais, à présent, il y en a deux.

C’est qu’il faut distinguer le bien matériel du bien immatériel. Et, étonnamment, le XVIIIe siècle faisait cette distinction :

« Un homme a-t-il le droit d’empêcher un autre homme d’écrire les mêmes choses que lui-même a écrites le premier ? En effet, on sent qu’il ne peut y avoir aucun rapport entre la propriété d’un ouvrage et celle d’un champ, qui ne peut être cultivé que par un homme, et dont, par conséquent, la propriété exclusive est fondée sur la nature de la chose. Ainsi ce n’est point ici une propriété dérivée de l’ordre naturel, et défendue par la force sociale ; c’est une propriété fondée par la société même. Ce n’est pas un véritable droit, c’est un privilège, comme ces jouissances exclusives de tout ce qui peut être enlevé au possesseur unique sans violence.

Tout privilège est donc une gêne imposée à la liberté, une restriction mise aux droits des autres citoyens ; dans ce genre il est nuisible non seulement aux droits des autres qui veulent copier, mais aux droits de tous ceux qui veulent avoir des copies  »

Condorcet, Œuvres, tome 11

La gratuité, enfin, est un point auquel je tiens. Quand j’ai créé Ralentir travaux, je l’ai fait avec dans l’idée que, pour le lire, je ne demanderai ni inscription ni contrepartie financière. C’est accessible. Instantanément. Je crois savoir que mon travail profite à ceux qui sont loin, dans des écoles mal dotées (mais disposant au moins d’une connexion à internet), à des étudiants étrangers, à des parents désireux de s’informer, à des curieux, et pourquoi pas à des établissements ayant déjà acheté des iPads et qui, compte tenu, de la richesse du web, n’auront pas à payer encore pour y mettre le contenu nécessaire aux apprentissages.

Et puis la remarque peut paraître prétentieuse car émanant de moi seul, mais si l’on veut bien considérer les économies réalisées par les administrations ayant recours à des logiciels libres (que l’on songe à OpenOffice, LibreOffice, Ubuntu…), on se dira que proposer gratuitement des manuels permettra de mettre l’argent ailleurs que dans des CD-ROM ou des manuels qui inévitablement finiront au rebut (c’est malheureux, mais c’est comme ça). Et je refuse d’entendre l’argument rappelant que tout travail mérite salaire. Je veux bien que l’on considère que j’ai fourni un travail de dément pour produire ce manuel, mais je ne peux raisonnablement pas le mettre en vente. Ou alors, pour reprendre une fois encore Condorcet, ce que je vendrais serait mon nom et mes mots, non mes idées qui ont été dites des millions de fois sur internet, dans les manuels, dans les salles de cours, etc.

Pourquoi l’iPad ?

On pourra s’étonner qu’un manuel se voulant gratuit et libre de droits soit proposé sur iPad, et l’on aura raison. Il est difficile de voir en Apple le parangon de l’ouverture et de la liberté. Force est cependant de reconnaître que seule Apple a développé un programme digne de ce nom permettant de produire à peu de frais un manuel numérique digne de ce nom, mais, dès que j’en aurai la possibilité, je m’attaquerai aux autres plateformes afin de proposer le manuel sur d’autres supports. De toute façon, vous trouverez à peu près tout le contenu du manuel sur Ralentir travaux.

Quand j’ai découvert iBooks Author, j’ai vu la possibilité qui m’était donnée de créer facilement et rapidement ce que j’avais toujours souhaité faire depuis Ralentir travaux. Un manuel. Je ne voudrais pas vous faire l’inventaire des avantages du numérique. Je ne vais même pas vous dire ce que contient ce manuel (je vous invite tout simplement à le parcourir. Tout au plus voudrais-je rappeler ces quelques points :

  • La tablette numérique est légère, et permet de se débarrasser du poids du cartable.
  • Si la tablette a un coût à l’achat, celui-ci peut être partiellement absorbé par des dépenses qui deviendront superfétatoires (papier, encre, photocopieuse, manuel sur papier…). De plus, tout ce que j’ai acheté chez Apple est durable et solide (je ne suis pas un fanboy, c’est juste comme ça) y compris dans les mains de mes enfants les moins soigneux.
  • La luminosité d’un iPad peut être réglée directement dans l’application, et ne gêne pas les yeux. On peut même lire dans le noir !
  • La police peut être changée, agrandie. C’est, je crois, un atout pour tous ceux qui ont des problèmes de vue. C’en est un également pour les dyslexiques.
  • Mettre des signets, surligner, prendre des notes, tout cela est possible. Chaque mot peut être défini ou renvoyer au web.
  • On trouve des exercices interactifs, des quiz…
  • On trouve également des vidéos, des fichiers audio (un élève peut ainsi faire des dictées seul ou du moins s’entraîner), des diaporamas, des images interactives parfois en haute définition (un jour, on oubliera que la photocopie a existé).
  • Des liens internet menant à Wikipédia ou à Gallica offrent l’accès à de belles éditions quand ce ne sont pas les éditions originales. Une fois encore, j’y vois une libéralisation de la culture. On ne peut certes toujours pas les toucher, mais on peut voir, on peut lire ces œuvres de la Bibliothèque nationale de France que seuls quelques privilégiés pouvaient auparavant découvrir. Et je me souviendrai toujours du regard ébahi d’élèves habituellement peu sensibles au plaisir livresque découvrant des éditions originales.
  • Le manuel peut être utilisé avec d’autres applications. Le Petit Robert, Antidote sont des merveilles sur iPad. Certains logiciels de prise de notes sont extraordinaires. Je ne mets plus les pieds dans une bibliothèque sans mon iPad et Evernote ou Penultimate.

Quelques mots pour finir. Je me suis efforcé de rendre ce manuel aussi complet que possible, de multiplier les exercices de grammaire, de vocabulaire, de rédaction, etc. Il est l’œuvre d’une seule personne (ou presque), et c’est une bien lourde tâche que celle-ci. J’espère que vous saurez vous montrer indulgent quand vous trouverez une coquille, une erreur, une approximation, etc. Je vous remercie de votre compréhension. Un manuel numérique se bonifie dans le temps, non dans la cave, mais confronté à votre regard.

Il me reste à vous souhaiter une bonne lecture. J’espère que vous la trouverez, selon le vieux précepte horacien, utile et agréable.




« Chanter sans autorisation » : introduction aux enjeux du libre

Woody Guthrie (Commons PD)This Machine Kills Fascists…

Quand, dans le Monde diplomatique il est question du numérique en général et du Libre en particulier il y a de bonnes chances pour que l’article soit signé Philippe Rivière (alias Fil) et ce depuis près de quatorze ans.

Il faut dire qu’être l’un des papas de SPIP lui donne une certaine expérience, pour ne pas dire une expérience certaine.

Il a publié en juillet dernier, dans le magazine culturel en ligne Rictus.info, un papier qui synthétise bien la situation et que nous aimerions plus encore faire connaître, d’où cette reproduction.

« Il faut inventer un autre modèle, et pour cela, personne ne sait encore s’il faudra casser l’ancien, ou s’il saura s’adapter. »

« Chanter sans autorisation » : introduction aux enjeux du libre

URL d’origine du document (Rictus.info)

Philippe Rivière – juillet 2012 – Licence Creative Commons By-Sa

À l’occasion des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, nous avons demandé à Philippe Rivière[1], de nous faire un petit tour d’horizon de la question du logiciel libre. Exposé des forces en présence et des enjeux.

Un peu de musique

Au début des années 1940, sur ses premiers disques, le compositeur américain Woody Guthrie avait fait inscrire la mention suivante sous le titre Copyright Warnings :

« Cette chanson est protégée aux États-Unis sous le sceau du copyright #154085 pour une période de 28 ans, et toute personne prise à la chanter sans autorisation sera mon meilleur ami, car je n’en ai rien à fiche. Publiez-la. Ecrivez-la. Chantez-la. Dansez dessus. Yodelez-la. Je l’ai écrite, c’est tout ce que je voulais faire. »

Aujourd’hui, chaque fois que vous insérez un film dans votre lecteur DVD, vous devez endurer une très longue présentation avec des écrans affreux du style :

« WARNING. La reproduction ou la redistribution non autorisée de cette œuvre copyrightée est illégale. Une violation criminelle de ce copyright, même sans gain monétaire, sera suivie d’une enquête du FBI et est punissable d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans dans une prison fédérale, et d’une amende de 250 000 dollars »

Drôle de manière de vous remercier d’avoir acheté le DVD.

Dans l’informatique, c’est la même chose : les auteurs de logiciels ont deux possibilités pour s’adresser à leur public — c’est-à-dire les utilisateurs ; soit ils leur font signer une clause légale expliquant qu’il faut faire très attention à d’utiliser le logiciel comme il convient, si on veut avoir quelques chances de ne pas aller en prison. Soit ils leur disent : que toute personne prise à jouer avec ce logiciel comme elle l’entend sera mon meilleur ami !

Dans le premier cas, on parle de logiciel propriétaire (ou privateur), dans le second, de logiciel libre.

Logiciel capturé

Le logiciel n’est pas né en cage. Les premiers programmes étaient comme des formules de maths ou des recettes de cuisine : en dollars, ils ne valaient rien, puisqu’on les donnait avec la machine — qui, elle, coûtait très cher.

Comme l’écrit Lawrence Lessig, un juriste américain spécialisé dans le droit d’auteur :

« Vous ne pouviez pas faire tourner un programme écrit pour une machine Data General sur une machine IBM, donc Data General et IBM ne se préoccupaient pas de contrôler leur logiciel. »

Mais bien évidemment leur valeur était énorme, puisque sans programmes, l’ordinateur se limitait à allumer un C> clignotant sur un écran noir… Ce qu’un certain Bill Gates avait bien compris, c’est que le contrôle du logiciel permet de mettre la main sur l’ensemble du dispositif : IBM, la gigantesque firme américaine, ne l’avait pas compris. Elle voulait vendre des ordinateurs personnels, et se fichait bien de savoir ce qui fonctionnerait dessus : pressée d’arriver sur le marché, elle y a installé MS-DOS, un logiciel fourni par le jeune Bill Gates… on sait ce qu’il est advenu de ce choix : Microsoft, l’éditeur de MS-DOS, est rapidement devenu le plus gros éditeur de logiciels, et continue aujourd’hui à prélever une rente énorme sur l’ensemble des usages de l’informatique.

Free Software Foundation et licence GPL

De son côté, un certain Richard Stallman, chercheur au MIT, à Boston, s’était habitué, comme tous les informaticiens des années 1970, à bidouiller les programmes qui se trouvaient sur ses machines, pour les améliorer ou les adapter à la configuration de son matériel. Ça faisait partie de la normalité dans l’informatique, et encore plus dans le monde universitaire ; il aimait le sens de la communauté qui se développait autour de la programmation. Des échanges d’astuces, des concours pour être le premier à trouver une solution, etc.

Mais un jour, il s’aperçut que le code du logiciel pilote d’une imprimante n’était pas livré avec la machine, et qu’il ne pouvait donc pas le modifier — seulement le faire tourner, sans savoir ce qui était programmé exactement. S’il y avait un bug, il fallait contacter l’éditeur pour signaler le problème, et attendre une hypothétique nouvelle version… qui viendrait sans doute plus tard, et qu’il faudrait, en plus, à nouveau payer. On était au début des années 1980. Ce genre de choses commençait à se répandre, et Stallman comprit que les logiciels, qui étaient nés libres, ne le resteraient pas si personne ne les défendait. Il faudrait les protéger, sur le plan légal ; et les structurer d’une manière efficace. Il décida d’en faire son combat.

En 1984, Stallman démissionna du MIT (pour ne pas avoir de liens hiérarchiques qui pourraient lui coûter son indépendance), et fonda le projet GNU, puis la Free Software Foundation. D’un côté, un projet technique, consistant à fabriquer un système d’exploitation totalement libre — c’est-à-dire sans aucun composant propriétaire. De l’autre, une fondation dédiée à la protection du logiciel libre.

Il écrivit de nombreux logiciels (le plus connu est peut-être l’éditeur de texte Emacs). Et en parallèle, fit un travail juridique qui aboutit à la Licence publique générale GNU, la « GPL ». Elle est nettement moins « fun » que la licence de Woody Guthrie, mais elle garantit à tout utilisateur :

  • le droit d’utiliser le logiciel pour faire ce qu’il veut
  • le droit de lire le code source du logiciel, c’est-à-dire les éléments qui permettent de comprendre ce qu’il fait
  • le droit de modifier ce code source
  • le droit de redistribuer le logiciel ainsi que les versions modifiées.

Pour bénéficier de cela, l’utilisateur s’engage en échange à passer ces mêmes droits aux personnes à qui il le redistribue.

Bien sûr, tout le monde n’a pas forcément envie d’aller modifier le code… mais savoir que quelqu’un peut le faire, c’est avoir une certaine garantie.

Pour une entreprise, par exemple, c’est l’assurance que, si on n’est pas satisfait du prestataire à qui on a demandé de programmer quelque chose, ou s’il disparaît, on pourra légalement aller en voir un autre sans devoir repartir de zéro. C’est important.

Libertés pour l’utilisateur

Pour un particulier, on peut apprécier le fait que les logiciels libres sont souvent gratuits, ou en tous cas moins chers que les logiciels propriétaires. Cela dit, il ne faut pas confondre libre et gratuit ; « free » software, c’est « free » comme « freedom », pas comme « free beer ». Il y a des logiciels gratuits qui ne sont pas libres. Et, vice versa, pour développer un logiciel libre il faut quand même parfois que quelqu’un travaille…

Mais le plus important, pour l’utilisateur, n’est pas dans la gratuité : c’est que l’informatique touche de plus en plus aux libertés quotidiennes. Sur l’ensemble de la planète, à part quelques irréductibles hommes des cavernes, chacun porte en permanence sur soi un mouchard qui signale à tout instant où il se trouve précisément. Ce mouchard, cinq milliards d’humains en sont équipés. Il sert, parfois, à téléphoner…

L’informatique est aussi dans les voitures ; bientôt dans les frigos ; dans les habits, avec les puces RFID ; dans les passeports biométriques ; dans les cartes d’électeur – les machines à voter ! – ; il faut aller sur Internet pour voir les notes de collège de ses enfants ; on parle de numériser toutes les données de santé dans un « dossier médical personnel » accessible sur Internet (certains l’appellent dossier médical « partagé », car il est tout de même difficile à l’heure de WikiLeaks de prétendre qu’on saura empêcher le piratage…).

Discuter, s’informer, créer, partager, faire de la politique… tout ça est en train de s’informatiser, et si on ne contrôle pas collectivement les machines autour desquelles se construit de plus en plus la vie sociale, ce sont les machines qui nous contrôleront … ou plus exactement, ceux qui les programment.

Un seul exemple : vous avez entendu parler de Kindle, le livre électronique vendu par Amazon.com ; c’est génial, vous pouvez acheter et télécharger des dizaines de livres, et les lire sur un petit écran. Un jour donc, en juillet 2009, les commerciaux d’Amazon s’aperçoivent qu’ils ont fait une boulette dans leur offre : ils ont vendu électroniquement un livre pour lequel ils ne disposaient pas des droits de reproduction.

Ni une ni deux, que font-ils ? Ils attendent que les Kindle des clients se connectent, et leur envoient l’instruction d’effacer le livre. De quel livre s’agit-il ? « 1984 », de George Orwell, le livre qui décrit Big Brother et la police de la pensée !

Succès ou échec ?

Je ne vais pas énumérer les succès du logiciel libre : en 1990, un étudiant en informatique de l’université de Helsinki, Linus Torvalds, aimerait bien utiliser chez lui le programme sur lequel il travaille à l’université, un « noyau ». Il repart donc de zéro et crée son propre « noyau », qu’il place sans guère y accorder de réflexion sous la licence GPL. Ce sont les débuts d’Internet dans les facs, et rapidement ce noyau se développe ; comme Stallman avait développé de nombreux morceaux de code de GNU, mais pas encore de noyau, les deux projets cohabitent et donnent naissance à ce qu’on appelle maintenant GNU/Linux.

Les logiciels libres sont partout ; ils font tourner des ordinateurs personnels, et l’essentiel d’Internet. Ils sont dans les labos de recherche, les entreprises, etc.

Et il n’y a pas que la GPL. D’autres licences libres existent, qui permettent parfois plus de souplesse, moins de contrainte pour des utilisateurs qui modifient le code pour l’utiliser dans des projets fermés. Pour des textes ou des photos, on peut préférer des licences comme les Creative Commons. Pour des librairies (morceaux de code qui peuvent servir de fondation à des logiciels plus élaborés), on peut exiger que toute modification de la librairie soit libre, mais sans exigence sur les logiciels élaborés en question. D’autres font des licences plus proches de celle de Woody Guthrie (« je m’en fiche »), comme la licence MIT, ou encore la WTFPL (Do What The Fuck You Want To Public License / licence publique rien à branler).

A l’heure actuelle, les smartphones sont dominés par deux systèmes : Apple iOS et Google Android, qui sont basés sur des logiciels libres. Bien sûr chez Apple, les logiciels ne sont pas du tout libres ; mais ils sont construits sur une fondation totalement libre, NetBSD. Quant à Android, il est tellement bardé de brevets qu’il n’est pas non plus vraiment libre. Mais enfin, il contient beaucoup de logiciels libres.

En termes quantitatifs, on peut parler d’un succès : ce qui était perçu par les médias comme « marginal » est désormais au centre du tissu économique et du développement de l’informatique.

D’après une étude publiée en 2010[2] : Le secteur est estimé à 1,5 milliard d’euros en France, avec un taux de croissance moyen de 17 % (par an). Environ la moitié des directeurs informatiques interrogés lors de l’étude ont déclaré utiliser des logiciels libres et ce, quelle que soit la taille de l’entreprise.

La guerre contre le libre

Il y a la menace juridique : en ce moment, c’est la guerre des brevets. Google a racheté en août 2011 le fabricant de téléphones portables Motorola pour 12,5 milliards de dollars, dans le but de mettre la main sur 25 000 brevets ! Or on dépose actuellement des brevets sur tout et n’importe quoi, avec des effets très curieux. Des menaces de procès et des bras de fer judiciaires qui aboutissent à des accords entre les grandes sociétés qui possèdent ces portefeuilles de brevets.

Enfin, il y a la menace plus directe de la prise de contrôle de l’ordinateur. Au nom bien entendu de votre sécurité. Par exemple, ce qu’on appelle « l’informatique de confiance », un terme censé nous rassurer, est une stratégie qui interdit à tout logiciel qui n’est pas reconnu et « signé » par une société comme Microsoft, ou Apple, de s’exécuter sur votre machine.

Ou encore, au nom de la protection des droits d’auteurs, la loi HADOPI qui nous impose l’obligation de « sécuriser notre réseau ». Alors que même l’armée américaine n’est pas capable d’empêcher des documents de « fuiter » !

Les iPhone sont eux-mêmes totalement verrouillés et il faut passer exclusivement par le magasin en ligne d’Apple pour modifier le logiciel (même si techniquement il reste possible de « jailbreaker », ce n’est pas autorisé par le constructeur).

Et je passe sur les projets qui se multiplient au nom de la lutte contre le piratage, contre la criminalité ou contre le terrorisme (SOPA, ACTA, HADOPI, LOPPSI, DMCA, etc), sans parler de la surveillance des communications qui se pratique plus ou moins illégalement et de façon massive[3]. Aux États-Unis, l’association des producteurs de musique, la MPAA, demande que ce qui marche en Chine (la « grande muraille électronique » qui permet au pouvoir de surveiller les internautes) soit appliqué à l’ensemble de l’Internet !

Pour la FSF : « Le logiciel libre permet d’avoir le contrôle de la technologie que nous utilisons dans nos maisons, nos écoles, nos entreprises, là où les ordinateurs travaillent à notre service et au service du bien commun, et non pour des entreprises de logiciels propriétaires ou des gouvernements qui pourraient essayer de restreindre nos libertés et de nous surveiller. »

Pour le romancier Cory Doctorow (et excellent blogueur), les États et les entreprises se préparent à une « guerre à venir sur la computation à but général », et « l’ordinateur dont le contrôle complet est accessible à l’utilisateur est perçu comme une menace pour l’ordre établi ».

Biens communs

Et puis il y a la propagande.

Aujourd’hui, les manifestants d’Occupy Wall Street, qui contestent le système capitaliste, sont traités de « terroristes ». Ce qui pourrait permettre à la police de les pister, de placer des mouchards dans leur ordinateur, etc.

Déjà Bill Gates en 2005 voyait des rouges partout :

« Il y a certains communistes d’un genre nouveau, cachés sous différents masques, qui veulent se débarrasser des mesures incitatives dont bénéficient les musiciens, les cinéastes et les créateurs de logiciels. »

J’avoue que je ne suis pas totalement choqué par cette critique. Elle est maligne, car parmi les auteurs de logiciels libres il y a beaucoup de gens qui ne sont pas particulièrement de gauche, et même des « ultra-capitalistes » comme se définit par exemple le leader du Parti pirate suédois, Rickard Falkvinge. Mais en effet, quand on crée du logiciel libre, quand on défend le partage de la culture sur Internet, quand on construit des sites sur le Web, on produit, collectivement, un bien public. Qui appartient à tout le monde, et où chacun va pouvoir venir puiser à sa guise, et utiliser ce que vous avez fait pour faire avancer ses propres projets. Le savoir, la culture sont cumulatifs, nous sommes « des nains sur des épaules de géants »[4].

Au-delà du logiciel libre, il faut réfléchir à l’ensemble des biens communs informationnels : la science, la culture, l’amusement, le logiciel dans tous les domaines… Internet permet de les diffuser, mais comment mobiliser des ressources pour les produire, et comment les défendre ? Certainement pas en les enfermant derrière des murs de paiement, des systèmes de DRM provoquant l’autodestruction des fichiers… Il faut inventer un autre modèle, et pour cela, personne ne sait encore s’il faudra casser l’ancien, ou s’il saura s’adapter.

Crédit photo : Woody Guthrie NYWTS (Wikimedia Commons)

Notes

[1] Co-auteur de SPIP (le logiciel qui sert à publier ce site, mais aussi des milliers d’autres) et journaliste au Monde diplomatique

[2] Étude sur l’impact socio-économique du libre citée dans la presse

[3] Cf. l’article d’Antoine Champagne dans Le Monde diplomatique de janvier 2012

[4] Bernard de Chartres, XIIe siècle