L’impression 3D, ce sera formidable… s’ils ne foutent pas tout en l’air !

Cory Doctorow - CC by-saL’impression 3D est en train de naître sous nos yeux.

Demain il sera ainsi possible de reproduire toute sorte d’objets chez nous aussi facilement, ou presque, qu’un texte numérique se couche sur le papier à l’aide de notre bonne vieille imprimante 2D.

Les conséquences potentielles de la démocratisation d’un tel outil donnent le vertige et suscitent espoir et enthousiasme parmi les makers du monde entier[1].

Pour rappel, l’impression 3D est une technique qui permet de produire un objet réel à partir d’un fichier CAO en le découpant en tranches puis en déposant ou solidifiant de la matière (plastique, cire, métal…) couche par couche pour, en fin de compte, obtenir la pièce terminée. C’est l’empilement de ces couches qui crée un volume.

Si le concept et la technologie vous semblent encore un peu obscurs, je vous invite à regarder cette courte vidéo. En moins de 24h deux designeuses vont concevoir sur ordinateur une jolie salière et un beau poivrier qu’elles verront ensuite se matérialiser, non sans émerveillement, dans un fab lab qui possède une imprimante 3D (en l’occurrence une MakerBot).

Pour le moment on se déplace donc chez ceux qui disposent d’une telle imprimante, imprimante encore rudimentaires dans ses possibilités. Mais un jour on pourra créer directement des objets de plus en plus complexes depuis la maison. Et on finira par trouver de moins en moins de mobilier Ikea lorsque nous seront invités chez nos voisins 😉

On ne s’en étonnera pas. Puisqu’il s’agit de créer, d’améliorer, de bidouiller, de remixer… à partir de fichiers CAO conçus à l’origine sur ordinateur, le logiciel libre et sa culture sont directement concernés et déjà en première ligne. Il suffit en effet de créer ces fichiers sur des applications libres, de leur accoler une licence libre, de les partager sur Internet, de faire l’acquisition d’une imprimante open source comme la RepRap (cf cet article pionnier du Framablog) ou la Fab@home, et tout est en place pour que se constitue petit à petit une solide communauté autour de l’impression 3D.

Tout est en place également pour qu’on aboutisse à un monde où il fera mieux vivre, Songez en effet à un monde où les quatre libertés du logiciel s’appliquent également ainsi aux objets domestiques : liberté d’usage, d’étude, d’amélioration et de diffusion. Ne sommes-nous pas alors réellement dans des conditions qui nous permettent de nous affranchir d’une certaine logique économique et financière dont nous ne ne pouvions que constater impuissants les dégâts toujours plus nombreux ?

Il n’y a alors plus de fatalité à subir frontalement le marketing, les délocalisations, la concentration aux mains de quelques uns, le développement insoutenable, etc. Ce blog est un peu idéaliste parfois mais je crois qu’on tient véritablement ici quelque chose susceptible de faire bouger les lignes.

Mais, car il y a un gros, un ÉNORME mais, on peut d’ores et déjà être certain que tout ou partie de l’industrie des produits manufacturés ne s’en laissera pas conter.

Et si nous n’y prenons garde il se produira exactement ce que nous connaissons aujourd’hui avec la musique, où les industries culturelles abordent le problème à rebours en faisant tout pour que les gouvernements durcissent la législation, étouffent la création et criminalisent les internautes.

C’est l’objectif de cette exigeante et longue traduction ci-dessous que d’exposer et anticiper les problèmes qui ne tarderont pas à arriver au fur et à mesure que se développera et se déploiera l’impression 3D. Afin que nous soyons déjà informés et prêts à agir le cas échéant pour défendre et promouvoir cette technologie révolutionnaire.

Des problèmes qui s’annoncent juridiquement complexes. Parce que si la musique ne touche qu’à la question du droit d’auteur, un objet reproduit peut non seulement avoir à faire avec ce dernier mais également concerner les brevets, le design et le droits des marques, pour ne citer qu’eux.

C’est donc aussi à un instructif voyage au travers des méandres de la propriété intellectuelle que nous vous invitons, en nous excusant déjà si d’aventure nous avions commis quelques inexactitudes de profane dans la traduction (sachant de plus que certains termes n’existent que dans la législation américaine).

Le propos de l’auteur Michael Weinberg, de l’association Public Knowledge, s’articule en deux parties claires et distinctes. La situation telle que nous la connaissons aujourd’hui, délicate mais encore relativement douce et tolérante vis-à-vis de la reproduction d’objets, et celle de demain qui verra nécessairement la situation se tendre et évoluer vers une pression croissante pour modifier, voire tordre, les lois vers plus de restriction et de contrôle. Jusqu’à menacer l’existence même de l’impression 3D en criant partout à la contrefaçon si nous n’y faisons rien.

Notre manière de faire à nous est donc de vous proposer cet article. Nous avons besoin de l’April ou la Quadrature du net pour défendre le logiciel libre ou la neutralité d’Internet. Nous aurons besoin d’autres structures demain pour défendre l’impression 3D et derrière elle toute la culture amateur, artisanale et principalement non marchande (au sens noble des termes) du Do It Yourself et du Do It With Others.

Le scénario n’est pas écrit d’avance. Nous avons un peu de temps devant nous car l’impression 3D n’est pas encore aux portes de chaque foyer. Mais quand ce temps adviendra, il faudra prendre garde à ce que ces portes s’ouvrent sans entrave et qu’elles n’aient pas de verrous dont nous n’avons pas la clé.

Tony Buser - CC by

CE SERA FORMIDABLE S’ILS NE FOUTENT PAS TOUT EN L’AIR

L’impression 3D, la propriété intellectuelle et la bataille autour de la prochaine grande technologie de rupture

It Will Be Awesome if They Don’t Screw it Up: 3D Printing, Intellectual Property, and the Fight Over the Next Great Disruptive Technology

Michael Weinberg – 10 novembre 2010 – PublicKnowledge.org
(Traduction Framalang : Daphné Kauffmann)

Ce livre blanc intitulé « Ce sera incroyable s’ils ne foutent pas tout en l’air : L’impression 3D (NdT : 3D Printing), la propriété intellectuelle et la bataille autour de la prochaine grande technologie de rupture » (NdT : disruptive technology) examine comment la propriété intellectuelle (NdT : IP law) a un impact sur la technologie émergente de l’impression 3D et comment l’oligarchie (NdT : Incumbent) qui se sent menacé par sa croissance pourrait être tenté de l’utiliser pour l’arrêter.

Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du livre blanc, mais pour une version plus léchée en couleur et en images, consultez le pdf (en anglais).

Pour observer cette technologie en action et écouter des interviews d’experts sur la question, voir notre page dédiée à l’impression 3D.

Introduction

Une chance et un avertissement

La prochaine grande technologie de rupture est en train de se mettre en place hors de notre vue. Dans de petits ateliers et bureaux anonymes, des garages et des sous-sols, des révolutionnaires sont en train de bricoler des machines capables de transformer des données numériques en atomes physiques. Ces machines peuvent ainsi télécharger des plans pour une clef à molette à partir du Net et imprimer une vraie clef qui fonctionne. Les usagers dessinent leurs propres bijoux, équipements ou jouets à l’aide d’un programme informatique, et utilisent leurs machines pour créer de vrais bijoux, de vrais équipements ou de vrais jouets.

Ces machines, dont le nom générique est « imprimantes 3D », ne viennent pas du futur ni d’un roman de science fiction. Des versions à usage domestique, imparfaites mais bien réelles existent déjà et peuvent être acquises pour environ 1 000 $. Chaque jour elles s’améliorent et se rapprochent du grand public.

Par bien des aspects, la communauté de l’impression 3D d’aujourd’hui ressemble à la communauté de l’ordinateur personnel (PC) du début des années 90. Il s’agit d’un groupe relativement restreint, très compétent techniquement, dont tous les membres sont curieux et passionnés par le fort potentiel de cette nouvelle technologie. Ils bricolent leurs machines, partagent leurs découvertes et créations, et sont pour le moment davantage concentrés sur les possibilités offerts que sur le résultat obtenu. Ils bénéficient également de la révolution de l’ordinateur personnel : le pouvoir de communication du Net leur permet de partager, innover et communiquer bien plus vite que le Homebrew Computer Club n’aurait pu l’imaginer (NdT : un célèbre club informatique du début des années 80).

La révolution de l’ordinateur personnel met aussi en lumière certains pièges que pourraient rencontrer la croissance de l’impression 3D. Quand l’oligarchie a commencé à comprendre à quel point l’utilisation d’ordinateurs personnels pouvait être perturbatrice (en particulier les ordinateurs personnels massivement connectés), les lobbys se sont organisés à Washington D.C. pour protéger leur pouvoir. Se rassemblant sous la bannière de la lutte contre le piratage et le vol, ils ont fait passer des lois comme le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) qui a rendu plus difficile l’utilisation nouvelle et innovante des ordinateurs. En réponse, le public a redécouvert des termes autrefois obscurs comme le « fair use » et s’est mobilisé avec vigueur pour défendre son droit à discuter, créer et innover. Malheureusement, cette large prise de conscience du public est arrivée après les lois restrictives adoptées par le Congrès.

Bien sûr, les ordinateurs n’étaient pas le premier exemple technologique de limitation contrainte et imposée. Ainsi l’arrivée de la presse écrite a entraîné de nouvelles censures par de nouvelles lois créées pour ralentir la diffusion de l’information. Et n’oublions pas que l’industrie du divertissement prétendait que l’enregistrement sur cassette lui serait fatal (l’exemple le plus mémorable est celui de l’industrie du film, qui comparait le magnétoscope à l’Étrangleur de Boston s’attaquant à une femme seule chez elle).

L’un des objectifs poursuivis par ce livre blanc est de sensibiliser la communauté de l’impression 3D, et le public dans son ensemble, avant que l’oligarchie ne tente de paralyser l’impression 3D à l’aide de lois restrictives sur la propriété intellectuelle. En analysant ces lois, en comprenant pourquoi certaines modifications pourraient avoir un impact négatif sur l’avenir de l’impression 3D, nous serons prêts, cette fois-ci, quand l’oligarchie convoquera le Congrès.

L’impression 3D

Qu’est-ce que l’impression 3D ? Pour l’essentiel, une imprimante 3D est une machine qui peut transformer un projet en objet physique. Fournissez-lui les plans d’une clef à mollette, et elle produira une clef physique et prête à l’emploi. Scannez une tasse à café à l’aide d’un scanner 3D, envoyez le document à l’imprimante, et vous pourrez ainsi produire des milliers de tasses identiques.

Alors qu’il existe déjà aujourd’hui un grand nombre de modèles d’imprimantes 3D en concurrence, la plupart travaillent de la même manière. Au lieu de prendre un bloc de matériau et de le découper pour en faire un objet, une imprimante 3D construit l’objet à partir de tout petits morceaux de ce matériau, couche après couche, tel un mille-feuille. Parmi d’autres avantages, ceci permet à l’imprimante 3D de créer des structures qu’il serait impossible au fabriquant de réaliser, s’il devait insérer un outil tranchant dans un bloc compact de matériau. Cela permet aussi à l’imprimante 3D de former une grande variété d’objets à partir de matériaux courants.

Parce qu’elles créent des objets en les construisant couche après couche, les imprimantes 3D peuvent créer des objets contenant des pièces internes et mobiles. Au lieu de devoir imprimer des pièces distinctes et de les assembler par quelqu’un, une imprimante 3D peut imprimer l’objet déjà assemblé. Bien entendu, une imprimante 3D peut aussi imprimer des pièces distinctes ou de rechange. En fait, certaines imprimantes 3D peuvent imprimer un grand nombre de leurs propres pièces de rechange, leur permettant ainsi de se répliquer ou s’auto-reproduire.

L’impression 3D commence par un projet, habituellement créé à l’aide d’un programme de conception assistée par ordinateur (CAO) exécuté sur un ordinateur personnel. Ce projet constitue un modèle virtuel en 3D du futur objet physique. Les programmes CAO sont largement utilisés de nos jours par les designers, ingénieurs et architectes afin d’imaginer des objets physiques avant qu’ils ne soient créés dans le monde réel.

Le processus de la CAO remplace la nécessité de réaliser des prototypes physiques à partir de matériel malléable comme l’argile ou le polystyrène. Un designer se sert de la CAO pour créer le modèle qui est ensuite enregistré sous la forme d’un fichier numérique. Tout comme le traitement de texte est supérieur à la machine à écrire car il permet à l’écrivain de rajouter, supprimer et éditer le texte en toute liberté, la CAO permet au designer de manipuler le fichier et donc le projet comme bon lui semble.

On peut aussi utiliser un scanner 3D pour créer un projet de CAO en scannant un objet existant. De la même manière qu’un scanner à plat crée un fichier numérique à partir d’un dessin sur une feuille de papier, un scanner 3D peut créer un fichier numérique à partir d’un objet physique.

Peu importe comment l’objet est créé, une fois que le fichier CAO existe, il peut être largement distribué comme n’importe quel autre fichier informatique. Une personne peut ainsi créer un nouvel objet, envoyer ce dessin numérique par email à un ami à travers le pays, et cet ami peut à son tour imprimer un objet identique.

L’impression 3D en action

Le mécanisme de l’impression 3D est bien beau, mais à quoi peut-il bien servir ?

Impossible d’apporter aujourd’hui une réponse complète et définitive à cette question.

Si en 1992, après vous avoir décrit l’essentiel de l’ordinateur en réseau, quelqu’un vous avait demandé à quoi cela pourrait servir, vous n’auriez probablement pas cité Facebook, Twitter ou SETI@Home. À la place, vous auriez peut-être imaginé les premiers sites comme Craigslist, les pages d’accueil des journaux imprimés, ou (si vous étiez particulièrement avant-gardiste) les blogs. Bien que ces premiers sites ne soient pas représentatifs de tout ce le Net d’aujourd’hui peut offrir, ils donnent au moins une idée de ce qu’Internet pouvait être. De la même manière, les exemples actuels d’impression 3D apparaîtront inévitablement primitifs dans cinq, dix ou vingt ans. Cependant, ils peuvent aider à comprendre de quoi il est question.

Comme exposé plus haut, l’impression 3D sert à créer des objets. Dans sa forme la plus basique, l’impression 3D pourrait ainsi vous permettre de créer des serre-livres de la forme de votre visage ou des figurines animées sur commande. L’impression 3D pourrait également servir à fabriquer des machines simples comme des bicyclettes ou des skateboards. De manière plus élaborée, si elle est combinée avec des cartes de circuits imprimés faits sur commande, l’impression 3D pourrait servir à fabriquer de petits appareils domestiques comme une télécommande faite sur mesure, modelée pour épouser parfaitement la forme de votre main, avec tous les boutons placés exactement où vous le souhaitez. L’impression 3D industriel est déjà utilisée pour fabriquer des prothèses sur mesure tout à fait fonctionnelles.

Ces possibilités semblent déjà incroyables aujourd’hui. Qui pourrait résister à offrir une réplique exacte de son visage à ses proches ? Quel enfant (ou adulte d’ailleurs) n’aimerait pas voir des jouets qu’il a dessinés sur un ordinateur atterrir directement entre leurs mains ? Qu’est-ce qui vous empêche de fabriquer un grille-pain qui rentre parfaitement dans le recoin le plus tordu de votre cuisine ? Pourquoi les amputés n’auraient pas de prothèses qui correspondent parfaitement avec le reste de leur corps ou bien ornées de rayures jaunes à néons clignotants s’ils en ont envie ?

Pourtant ces incroyables possibilités sont fragiles et vulnérables face aux nombreuses restrictions potentielles de la propriété intellectuelle. Les artistes peuvent craindre que leurs sculptures protégées par le droit d’auteur ne soient répliquées sans permission. Les fabricants de jouets peuvent craindre pour leurs droits des marques. Le nouveau grille-pain et la nouvelle prothèse d’un bras peuvent porter atteinte à d’innombrables brevets.

Personne ne suggère que ces inquiétudes soient injustifiées puisque la possibilité de copier et de répliquer est aussi la possibilité d’enfreindre les droits d’auteurs, brevets et marques déposées. Mais la possibilité de copier et répliquer est également la possibilité de créer, de développer et d’innover. Tout comme l’imprimerie, la photocopieuse et l’ordinateur personnel avant lui, certains jugeront que l’impression 3D constitue une menace alors que d’autres la verront au contraire comme un outil révolutionnaire pour étendre la créativité et la connaissance.

Il est crucial que ceux qui ont peur ne bloquent pas ceux qui sont inspirés.

Zach Hoeken - CC by-sa

Utiliser l’impression 3D

Les lois de la propriété intellectuelle sont aussi variées et complexes que l’utilisation potentielle de l’impression 3D. La façon la plus simple d’envisager l’impact que la propriété intellectuelle pourrait avoir sur l’impression 3D, c’est d’envisager plusieurs scénarios possible.

Créer des produits originaux

Intuitivement, c’est la création de produits originaux qui devrait engendrer le moins de conflits avec la propriété intellectuelle. Ceci semble logique puisque c’est ici l’utilisateur qui crée son propre objet en 3D.

Dans l’univers du droit d’auteur, cette intuition semble correcte. Quand un enfant de Seattle écrit un poème à son chien, ce travail est protégé par un droit d’auteur. Si, deux ans plus tard, un autre enfant d’Atlanta écrit un poème identique à son chien (ignorant l’existence du premier poème ), le second travail est également protégé par un droit d’auteur. Ceci est possible car le droit d’auteur tient compte de la création indépendante, même si le même travail a été indépendamment créé deux fois (ou même plus de deux fois). Si une œuvre doit être originale pour recevoir une protection par droit d’auteur, l’œuvre n’a pas besoin d’être unique au monde.

Sauf qu’avec la reproduction d’objets en 3D vient se surajouter la question des brevets. Les brevets ne permettent pas la création parallèle. Une fois une invention brevetée, chaque reproduction non autorisée de cette invention constitue une infraction, que le reproducteur ait connaissance de l’invention originale ou non.

Par le passé, cette distinction n’a pas véritablement posé de problème. Le droit d’auteur protège de nombreuses et complexes créations qui peuvent prendre la forme d’une variété d’expressions. Par conséquent, il était peu probable que deux personnes créent exactement la même œuvre sans que la seconde ne copie la première.

En revanche, plusieurs personnes travaillant en même temps sur un problème pratique ou un nouveau produit matériel peuvent créer des solutions semblables. Pour que les brevets soient efficaces ils doivent couvrir tous les appareils identiques, quel que soit leur développement. C’est pour cela que l’on a pris l’habitude d’effectuer une recherche de brevets avant d’essayer de résoudre un problème ou d’innover. Il s’agit alors d’une course à l’enregistrement où l’on doit prendre les précautions nécessaires.

Or, en se démocratisant, l’impression en 3D peut rendre la création d’objets physique presque aussi répandue que la création de travaux protégés par le droit d’auteur.

Ce changement va probablement augmenter le nombre d’innocents qui portent atteinte à des brevets dont ils ignorent l’existence. Avec la prolifération de l’impression en 3D, les individus vont chercher à résoudre des problèmes en dessinant et en créant leurs propres solutions. En produisant ces solutions, il est tout à fait possible qu’ils incorporent involontairement des éléments protégés par un brevet. Une fois encore, contrairement au droit d’auteur, cette façon de copier en tout innocence constitue malgré tout une infraction.

Partager des projets sur Internet amplifie le phénomène. Il est peu probable qu’un seul et unique objet produit à usage domestique attire l’attention d’un détenteur de brevets. Mais si l’histoire d’Internet nous a jusqu’à présent enseigné une chose, c’est que les gens aiment partager. Des individus qui ont, avec succès, dessiné des produits qui rendent service et résolvent des problèmes bien réels partageront leurs plans en ligne. D’autres gens qui ont les mêmes problèmes utiliseront (et même amélioreront) ces plans. Les plans massivement utilisés parce que massivement utiles seront certainement les plus visés par les détenteurs de brevets.

Bien que la violation de brevets par inadvertance ait le potentiel pour devenir l’un des conflits les plus représentatifs et les plus en vue de l’impression en 3D, il est néanmoins peu probable qu’il affecte beaucoup de gens. Lorsque des millions de gens créent des objets via l’impression en 3D, la probabilité pour que quelqu’un copie un objet breveté est élevée. Cependant, parce que les brevets ne couvrent pas l’ensemble des objets dans le monde, la probabilité qu’un quelconque objet reproduit porte directement atteinte à un brevet est finalement relativement faible. Il est tout à fait possible qu’une grande partie (sinon la majorité) des utilisateurs d’imprimantes 3D passent leur vie entière sans jamais enfreindre de brevet par inadvertance.

Copier des produits

Naturellement, chaque objet produit par une imprimante 3D ne sera pas le résultat de la créativité et de l’ingéniosité de celui qui l’imprime. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’objet sera parfois téléchargé et imprimé à partir du plan original conçu par quelqu’un d’autre. Et parfois l’objet se retrouvera être une simple copie d’un produit du commerce déjà existant.

Cette copie pourra provenir d’au moins deux sources. La première source est Internet. Les plans CAO, comme tous les fichiers, sont facilement copiables et distribuables en ligne. Une fois qu’un individu crée le plan d’un objet et télécharge ce plan sur un serveur, il est alors potentiellement disponible pour tout le monde.

La seconde source est un scanner 3D. Un scanner 3D a la capacité de créer un fichier CAO en scannant un objet 3D. Un individu pourvu d’un scanner 3D sera ainsi capable de scanner un objet physique, de transférer le fichier obtenu vers une imprimante 3D, et de le reproduire comme bon lui semble.

Peu importe la source du fichier, copier des objets qui existent dans le commerce va attirer l’attention des fabricants de l’objet original. Bien que la prolifération de l’impression en 3D crée sans aucun doute des opportunités pour le fabricant (comme la réduction considérable de ses coûts de production et de diffusion ainsi que la possibilité de permettre aux clients de personnaliser les objets), cela va également fortement perturber le modèle économique existant. Selon le type d’objet copié, les fabricants chercheront sans doute à contrer ces pratiques en prenant appui sur les différentes formes de protection de la propriété intellectuelle.

Le droit d’auteur

Pour l’essentiel, le droit d’auteur s’applique à chaque œuvre de création originale qui est fixée sur un support tangible. Ceci inclut la plupart des choses qui sont écrites, dessinées ou modélisées. Cependant, le droit d’auteur protège uniquement le texte, le dessin ou le plan lui-même, pas l’idée qu’il exprime.

Les ordinateurs en réseau sont justement conçus pour reproduire des choses qui sont écrites, dessinées ou modélisées. L’avènement d’Internet a rendu le public de plus en plus conscient de l’existence et des règles du droit d’auteur. Dès que des créations sont apparues en ligne, elles ont été copiées. Dès que des articles ont été copiés, les créateurs et ceux qui monétisaient leurs œuvres ont évoqué un manque à gagner pour demander un droit d’auteur toujours plus contraignant et restricitf, en se déchargeant sur le public ou les fournisseurs d’accès, n’importe qui sauf sur eux-mêmes.

A plusieurs titres, cette tension a défini l’univers du droit et des règles de la propriété intellectuelle de ces quinze dernières années. Cependant, elle a été essentiellement limitée au monde de l’intangible et de l’immatériel. On peut débattre sur l’avenir physique du CD, DVD ou des livres mais il s’agit en fait de chansons, de films et d’histoires. Ces sont ces œuvre de l’esprit et non leurs supports qui sont au cœur du droit d’auteur.

L’émergence de l’impression 3D est susceptible de modifier la donne.

Globalement les tentatives d’étendre la protection du droit d’auteur aux objets fonctionnels ont échoué, ce droit d’auteur ayant évité de s’attacher aux objets fonctionnels puisque c’était aux brevets de les protéger (si tant est qu’ils doivent être protégés). Il est cependant inévitable que certains objets fonctionnels aient aussi des visées décoratives et artistiques protégées par le droit d’auteur.

Une nouvelle pompe à essence, un engrenage, ou une machine à plier les boîtes sont des exemples sans charme d’objets d’utilité courante. Mais il arrive parfois que des objets pratiques puissent également être décoratifs. Un vase est un récipient qui sert à contenir de l’eau ou des fleurs, mais il peut aussi être une œuvre d’art à part entière. Alors absence de droit d’auteur (un vase) et droit d’auteur (la décoration sur le vase) coexistent sur le même objet (le vase décoratif). N’importe quel élément décoratif de l’objet se situant hors du champ d’utilité de cet objet (et donc susceptible d’être « séparé » de l’objet utile) peut être protégé par le droit d’auteur.

Ceci a des implications pour les individus utilisant des imprimantes 3D reproduisant des objets physiques. Alors que, la plupart du temps, l’objet physique lui-même ne sera pas protégé par un droit d’auteur, il n’en va pas de même pour ses éléments décoratifs.

Les utilisateurs feraient mieux de garder cette distinction en tête. Prenons comme simple exemple un individu qui voudrait reproduire un taquet de porte. Cet individu aime ce taquet en particulier car il a exactement la bonne taille et le bon angle pour maintenir le porte de sa maison ouverte. Admettons que ce taquet de porte possède aussi des éléments décoratifs : il est recouvert d’un imprimé vivant et coloré, et orné de gravures complexes sur les côtés. Si l’individu venait à reproduire le taquet en entier, avec l’imprimé et les gravures, le fabricant original pourrait porter plainte avec succès pour infraction au droit d’auteur. Mais si l’individu a simplement reproduit les éléments du taquet de porte qui l’intéressaient (la taille et l’angle du taquet) sans les éléments décoratifs (l’imprimé et la gravure), il est peu probable que le fabricant original puisse réussir à porter plainte pour infraction du droit d’auteur contre le copieur.

Le brevet

Le brevet diffère du droit d’auteur sur plusieurs points clés. D’abord et avant tout, la protection par brevet n’est pas automatiquement accordée. Alors que le simple fait d’écrire une histoire induit une protection par droit d’auteur, la simple création d’une invention n’entraîne pas de protection par brevet. Un inventeur (NdT : américain) doit faire une demande de brevet pour son invention auprès du Patent and Trademark Office (PTO). L’invention doit être nouvelle, utile, et non-évidente. En déposant sa demande, l’inventeur doit nécessairement divulguer les informations qui permettraient à d’autres d’appliquer l’invention. Enfin, la protection par brevet dure beaucoup moins longtemps que la protection par droit d’auteur.

La conséquence de ces différences est qu’il y a beaucoup moins d’inventions protégées par un brevet qu’il n’y a de travaux protégés par le droit d’auteur. Alors que le droit d’auteur protège automatiquement chaque comptine, chaque poème et chaque film fait maison (même insignifiant) et ce pour des décennies après sa création, la plupart des objets fonctionnels ne sont pas protégés par les brevets.

Cette dichotomie s’exprime notamment dans la différence de traitement entre les produits numériques et les produits physiques. Lorsqu’on achète une œuvre qui est livrée sous forme digitale à notre ordinateur (qu’il s’agisse d’une chanson, d’un film ou d’un livre), vouloir effectuer des copies supplémentaires et non-autorisées de cette œuvre est une infraction car l’œuvre est protégée par le droit d’auteur, à moins qu’il ne s’agisse de fair use ou qu’elle ne fasse partie du domaine public (NdT : il est dommage ici que l’auteur oublie les licences libres). En revanche, lorsqu’on achète un objet physique qui est livré chez nous, en effectuer une copie supplémentaire ne constituera sans doute pas une violation de brevet, car l’objet n’est probablement pas couvert par un brevet. Ceci crée tout un univers d’articles qui peuvent être librement répliqués à l’aide d’une imprimante 3D.

Le brevet protège moins d’objets, et les protège pour une plus courte durée, mais lorsque qu’il les protège, c’est de façon plus complète et globale. Comme nous l’avons vu précédemment, il n’y a pas d’exception pour la création indépendante dans le monde des brevets. Une fois un objet breveté, toutes les copies portent atteinte à ce brevet, que le copieur connaisse son existence ou non. Plus simplement, si vous utilisez une imprimante 3D pour reproduire un objet breveté, vous portez atteinte au brevet. L’utilisation même du procédé breveté sans autorisation porte atteinte au brevet. En outre, contrairement au droit d’auteur, il n’y a pas de fair use pour les brevets. Il n’y a pas non plus d’exception pour usage domestique, ou de droit à la copie privée.

Pourtant, l’infraction n’est pas aussi absolue qu’elle semble l’être à première vue. Pour porter atteinte à une invention brevetée, il faut porter atteinte à l’invention en entier. Ceci découle de la nature des brevets. L’une des premières exigences de la protection par brevet est que l’invention doit être nouvelle. Souvent, une invention originale consiste en l’assemblage de plusieurs inventions déjà existantes travaillant ensemble d’une manière nouvelle. Il serait illogique que, en brevetant la nouvelle combinaison d’inventions anciennes, le détenteur du brevet obtienne aussi un brevet sur l’ancienne invention. Copier des éléments non brevetés d’une invention brevetée ne viola pas à priori ce brevet.

La marque déposée

Bien qu’elle soit habituellement regroupée avec le brevet et le droit d’auteur, la marque déposée (NdT : trademark en anglais) est un domaine légèrement différent de la propriété intellectuelle. Contrairement au brevet et au droit d’auteur, il n’y a pas de mention de la marque déposée dans la Constitution (NdT : américaine). La marque déposée s’est plutôt développée comme une manière de protéger les consommateurs, leur donnant l’assurance que le produit marqué du logo du fabriquant était en effet fabriqué et soutenu par ce fabriquant. Par conséquent, la marque déposée n’est pas conçue dans le but de protéger la propriété intellectuelle en soi. La propriété intellectuelle est ici plutôt un effet secondaire issu du besoin de protéger l’intégrité de la marque.

La marque déposée pourrait néanmoins être impliquée dans le fait de produire des copies exactes d’objets. Si l’imprimante 3D effectue une copie d’un objet et que cette copie contient une marque déposée, la copie porte alors atteinte à la marque déposée. Cependant, la particularité de l’impression 3D permettrait à un individu de répliquer un objet sans répliquer la marque. Si vous aimez un produit donné mais que vous ne tenez pas particulièrement à avoir le logo attaché dessus, le reproduire sans logo ne devrait pas porter atteinte à la loi des marques déposées.

Utilisation dans le commerce

Il existe une question supplémentaire à prendre en considération concernant l’usage domestique de l’impression 3D (pratiqué à la maison). Parce que la protection par marque déposée est avant tout là pour permettre au consommateur de s’y retrouver sur le marché, l’infraction envers la marque déposée est décrite en termes « d’utilisation dans le commerce » (afin de ne pas semer la confusion dans l’esprit du consommateur sur l’origine du produit). A la différence du brevet ou du droit d’auteur, ce n’est pas le fait de copier une marque déposée qui crée l’infraction, c’est son utilisation commerciale.

Sauf qu’avec le temps, le sens de l’expression « utilisation dans le commerce » s’est considérablement élargi. L’infraction de la marque déposée s’est même étendue au point d’inclure la « dilution » de marques célèbres, considérant finalement tout usage public d’une marque célèbre – dans le commerce ou pas – comme une violation de marque déposée.

Ceci dit, la simple existence chez soi d’une marque déposée non autorisée ne devrait pas porter atteinte à la loi des marques déposées. Dans la plupart des cas, fabriquer des produits contenant une marque déposée chez soi, pour son propre usage personnel, n’est pas une violation de la marque déposée. En effet, puisqu’on sait qu’on a fabriqué le produit, il n’y a donc pas de risque de « confusion » sur sa provenance. Mais il n’en ira pas de même si vous utilisez cette même imprimante domestique pour reproduire en série des lunettes de soleil de marque que vous destinez à la vente.

Le remplacement d’objets

Si l’impression 3D peut servir à créer des copies de produits manufacturés, elle pourra aussi servir à créer des pièces de rechange destinées à des produits usés ou cassés. Au lieu de fouiller les magasins pour trouver la pièce à remplacer, on pourra simplement l’imprimer, quitte à améliorer soi-même la pièce pour qu’elle dure plus longtemps à l’avenir.

Comme pour la création et la copie d’objets, le fabricant peut être tenté d’utiliser les lois de la propriété intellectuelle pour empêcher une telle activité. Dans le cas des objets de remplacement, le droit d’auteur et la marque déposée ne seront pas prédominants. puisqu’une pièce de remplacement est, presque toujours, par définition, un « article utile ». Ils seront donc avant tout placés sous la juridiction des brevets.

Le brevet autorise cependant la libre reproduction de pièces de remplacement de plusieurs manières. Tout d’abord, la protection par brevet requiert des exigences relativement rigoureuses. Comme mentionné plus haut, ces exigences rigoureuses impliquent que relativement peu d’objets sont protégés par brevet.

De plus, beaucoup d’objets protégés par brevet sont, en fait, des « combinaisons » de brevets. Les combinaisons de brevets associent des objets existants (certains brevetés, d’autre pas) d’une nouvelle manière. Bien que la nouvelle combinaison soit protégée par brevet, les éléments individuels (en supposant qu’ils ne soient pas protégés individuellement par brevet) peuvent être reproduits librement à volonté. Par conséquent, il paraît évident que la fabrication de pièces de remplacement non brevetées pour un appareil breveté ne viole pas le brevet de cet appareil. Tant que l’appareil original a été acheté légitimement, chacun devrait avoir le droit de fabriquer ses propres pièces de rechange.

Deux objections cependant. Tout d’abord, lorsque l’on se retrouve en face d’un appareil breveté simple constitué d’une seule pièce (ou une pièce individuellement brevetée d’un appareil plus complexe), on ne peut plus le reproduire sans se mettre en infraction. Ensuite, s’il est légal de réparer un appareil breveté, reconstruire le même appareil en entier à partir de ses pièces constitutives constitue une infraction. La limite entre réparer et reproduire n’est pas toujours évidente à définir, et avec l’augmentation de l’utilisation de l’impression 3D pour remplacer des pièces, elle peut devenir une zone floue de plus en plus préoccupante.

Une règle simple à retenir est que si l’article breveté est conçu pour n’être utilisé qu’une seule et unique fois, entreprendre de le reconstruire est considéré comme une infraction. Mais si une pièce non-brevetée d’un appareil breveté plus important s’est usée, reconstruire la pièce n’est pas une infraction, même si, avec le temps, le propriétaire d’un appareil finit par remplacer chaque pièce usée de l’appareil breveté. Ajoutons que remplacer une partie d’un appareil breveté pour lui donner une fonctionnalité nouvelle ou différente n’est pas non plus une infraction, parce que cela crée un nouvel appareil.

Utilisation du logo et du « trade dress »

Quand les imprimantes 3D seront devenues courantes, chacun les utilisera pour reproduire des logos de marques déposées et autres éléments de « trade dress » (NdT : en droit américain, l’apparence, la texture ou le design de l’objet qui peuvent être soumis à protection). Les reproductions plus ou moins exactes de logos, comme énoncé plus haut, seront probablement des infractions. Ce sera plus complexe pour ce qui concerne l’aspect général de l’objet qui peut être protégé par un brevet de design et par la subdivision consacrée au trade dress de la marque déposée.

Les brevets de design

En plus du brevet purement fonctionnel, la loi américaine prévoit une protection par brevet pour « le design nouveau, original et ornemental d’un article de fabrication ». Bien que cette extension au design ornemental puisse avoir l’air de chevaucher le droit d’auteur, les brevets de design sont pour le moment d’une portée assez limitée. D’abord parce que le design protégé doit être réellement original. Ensuite parce que les brevets de design sont strictement limités à des designs d’ornement non-fonctionnels (tout de moins c’est ce que les tribunaux ont toujours dit jusqu’à maintenant). Enfin, parce que la protection de design est fortement encadrée et précisée lors du dépôt de brevet et ne s’applique pas pour des designs similaires ou simplement dérivés de l’original.

À plusieurs égards, cette distinction entre la forme et la fonction est incompatible avec les buts traditionnels du design industriel. De manière générale, les designers industriels parviennent à l’élégance en mariant la forme et la fonction, établir une distinction nette entre la forme et la fonction va à l’encontre de cet objectif.

Les utilisateurs d’imprimantes 3D devraient donc à priori pouvoir contourner les brevets de design. Si un élément d’un objet est fonctionnel, et ainsi nécessaire pour reproduire un objet, une machine ou un produit, il ne peut tout simplement pas être protégé par un brevet de design.

Il existe cependant des cas pour lesquels la protection par brevet de design peut poser problème. Le plus connu est sans doute celui des fabricants d’automobiles qui utilisent de plus en plus de brevets de design pour protéger des plaques de carrosserie, des phares ou des rétroviseurs. Ce qui peut alors empêcher la concurrence de pénétrer le marché des pièces de rechange. On peut également l’utiliser pour protéger un design dès le moment de sa sortie et attendre ainsi le temps nécessaire pour ensuite passer le relais à la protection plus permanente du trade dress régie par le droit des marques.

Le trade dress

La protection par marque déposée peut s’étendre au-delà du logo collé sur un produit, pour inclure le design du produit lui-même. Mais pour étendre la protection au design des produits, les tribunaux ont exigé que le trade dress s’applique à une association spécifique avec un fabriquant particulier. Or valider une telle association prend du temps et doit être prouvé par des résultats d’études auprès du public. En conséquence de quoi, la plupart des designs de produits, même les designs uniques créés « pour rendre le produit plus utile ou plus attrayant », ne seront pas protégés comme trade dress.

En outre, comme pour les brevets de design, la protection par trade dress ne peut s’appliquer aux éléments fonctionnels d’un produit, sachant de plus qu’il est à la charge du fabricant de ce produit d’établir la prétendue non fonctionnalité de l’élément en question. Toute caractéristique « essentielle » d’un produit, caractéristique qui donnerait un désavantage à la concurrence si elle ne pouvait l’inclure ou qui affecterait le coût et la qualité de l’appareil, est exclue de la protection par trade dress. Comme l’a établi la Cour Suprême, la loi des marques déposées « ne protège pas le trade dress d’un design fonctionnel simplement parce qu’un investissement a été fait pour encourager le public à associer une caractéristique fonctionnelle particulière avec un seul fabricant ou vendeur ».

Donc comme pour les brevets de design, la protection par trade dress ne devrait pas empêcher à grande échelle la reproduction d’objets avec une imprimante 3D. Si un élément de l’objet est nécessaire à son fonctionnement, il ne peut pas être protégé par cette disposition. Cependant, essayer de le copier à l’identique peut aller à l’encontre du droit des marques en arguant de la protection par trade dress.

Remixer

Et que dire du remix ? La culture du remix a été l’un des résultats créatifs les plus riches de l’accès à Internet. Jusqu’ici cette culture s’est cantonnée à des œuvres écrites, aux arts visuels et à la musique. mais on voit cependant déjà poindre des exemples de remixeurs qui travaillent sur des objets physiques bien réels ou qui mélangent allègrement matériel et immatériel.

D’une certaine manière, l’impression 3D peut ouvrir la voie à un nouvel âge d’or de culture du remix.

Rappelons que les sources traditionnelles des œuvres remixées – textes, audio et vidéo – sont pour la plupart protégées (strictement) par le droit d’auteur. En conséquence, les artistes remixeurs ont dû souvent compter sur le fair use pour créer leurs œuvres (NdT : sur le fair use ou sur les licences libres). La réappropriation et le mélange d’objets fonctionnels et tangibles du quotidien présentent aujourd’hui, et en règle générale, moins de problèmes liés au droit de la propriété intellectuelle, principalement parce que nous ne sommes pas encore en face d’une pratique de masse.

Mais une fois ces problèmes déclenchés, il seront plus difficiles à résoudre. Contrairement au droit d’auteur, il n’y a pas de fair use pour les brevets. Reconstruire un objet breveté à de nouvelles fins, quelle que soit la raison, est effectivement une violation du brevet.

Tony Buser - CC by

Problèmes futurs

Jusqu’à présent nous nous sommes efforcés de passer en revue les différents champs de la propriété intellectuelle qu’impacte l’impression 3D et les risques encourus par rapport à la législation actuelle. Cette législation est contraignante mais elle autorise encore à faire certaines choses. Mais que se passera-t-il lorsque l’impression 3D frappera réellement aux portes du grand public en pouvant potentiellement placer une imprimante dans chaque foyer ? Les conséquences et les enjeux sont tels qu’il y a fort à parier que la législation sera plus dure encore si nous n’y prenons garde.

L’avènement de l’impression 3D, encore à ses balbutiements aujourd’hui, ne se fera pas du jour au lendemain. Elle va petit à petit, sur la durée, se glisser dans la vie courante. Durant ce processus, il y aura des dizaines, voire des centaines de petits accrochages avec la propriété intellectuelle. Ces accrochages témoigneront de la tension entre la propriété intellectuelle existante et ces nouvelles réalités. Une nouvelle réalité que l’on tentera d’apprivoiser parfois de force, et ce faisant, on changera lentement l’état de la loi. Alors qu’il serait facile de passer à côté de ces accrochages, ici un obscur procès, là un petit amendement, il est est crucial de se monter au contraire vigilant. Car tous ces changements, anodins individuellement, finiront par décider globalement de la liberté que nous aurons ou non à utiliser une technologie aussi novatrice et perturbatrice que l’impression 3D au maximum de ses possibilités et potentialités.

Vous trouverez ci-dessous une liste de questions et problèmes qu’il faudra très probablement analyser et affronter.

Les brevets

Extension des conditions d’infraction aux brevets

L’infraction traditionnelle aux brevets, telle la contrefaçon, n’est pas forcément bien adaptée à un monde dans lequel les individus répliquent des articles brevetés dans leurs propres foyers et pour leur propre usage. Contrairement à la violation du droit d’auteur, la simple possession ou le simple téléchargement d’un fichier ne sont à priori pas suffisants pour se rendre responsable d’une infraction. Afin d’identifier un individu en infraction, le propriétaire du brevet devra en effet trouver un moyen d’établir que l’appareil a été effectivement répliqué dans le monde physique par le prévenu. Ceci devrait être encore plus compliqué, long et coûteux que les moyens intensifs mis actuellement sur les sites d’échange de fichiers numériques pour tenter de contrer les infractions aux droits d’auteur.

Dans le sillage de la bataille que livrent en ce moment-même les industries culturelles contre le partage de fichiers à l’aide du droit d’auteur, les détenteurs de brevets utiliseront sans doute le « contributory infringement » pour défendre leurs droits (NdT : en droit américain, il s’agit d’étendre le champ des responsabilités à ceux qui facilitent la contrefaçon par fourniture indirecte de moyens). Ils pourraient , par exemple, poursuivre les fabricants d’imprimantes 3D en justice, sous prétexte que les imprimantes 3D sont nécessaires pour faire des copies. Il pourraient aussi poursuivre les sites qui hébergent des fichiers de dessins CAO en les accusant de piratage. Au lieu de devoir poursuivre des centaines, voire des milliers d’individus aux moyens limités, les propriétaires de brevets pourraient poursuivre une poignée d’entreprises ayant les moyens de payer un procès contre eux

En plus d’attaquer les entreprises qui rendent l’impression 3D possible, les propriétaires de brevets peuvent également essayer de stigmatiser les fichiers numériques de type CAO, à peu près de la même façon que les détenteurs de droits d’auteur stigmatisent le protocole BitTorrent de transfert de fichiers (voire même directement le format MP3 des fichiers musicaux). Cette façon d’assimiler automatiquement les fichiers CAO à des infractions pourrait aussi ralentir l’adoption de l’impression 3D par le grand public et reviendrait à dire que chaque personne qui télécharge un fichier CAO sur un site communautaire est, en quelque sorte, un pirate de l’impression 3D.

Preuve de la copie

Cependant, le contributory infringement ne permettra pas automatiquement aux propriétaires de brevets d’arrêter l’impression 3D, parce qu’il exige tout de même une preuve de l’infraction.

Cette obligation devrait empêcher les propriétaires de brevets d’insinuer qu’une entreprise X aide nécessairement les gens à porter atteinte à la loi à cause de la nature même du produit qu’elle propose. Pour réussir à poursuivre l’entreprise X en justice, les propriétaires de brevets devront prouver que l’utilisateur s’est effectivement servi du produit ou du service proposé par l’entreprise X pour porter atteinte à la loi et pas seulement que l’utilisateur aurait pu le faire. Le contributory infringement donne aux détenteurs de brevets un moyen de protéger leur brevet sans être obligé de poursuivre chaque individu qui a enfreint la loi, mais ils doivent tout de même trouver au moins un individu qui a effectivement porté atteinte au brevet.

Staple Article of Commerce

Un second obstacle pour les détenteurs de brevets est la doctrine dite du « staple article of commerce » (NdT : en droit américain on évoque cela lorsqu’un appareil ou un produit est devenu d’usage courant et qu’on le trouve partout dans le commerce).

Des outils comme un scanner ou un lecteur de code-barre servent sans aucun doute à effectuer un certain nombre de tâches ou de fonctions brevetées, mais ils sont aussi utilisés pour un grand nombre de tâches non-brevetées. Un ordinateur, une imprimante 3D et un peu de colle peuvent servir à fabriquer une reproduction contrefaite d’un produit breveté, mais tous ces objets ont cependant tellement d’usages légaux et communs n’engendrant pas d’infractions que les proscrire serait nuisible à la société.

Cette doctrine reconnaît que les inventions sont faites à partir d’éléments, et que ces éléments peuvent servir à faire plus de choses que l’invention seule. Par exemple, ce n’est pas parce que vous avez breveté un nouveau mécanisme en acier que vous pouvez poursuivre tous les fabricants d’acier pour contributory patent infringement. L’acier a de nombreuses utilisations légales, mais aussi illégales, et le simple fait qu’il pourrait être utilisé à de mauvaises fins ne prouve pas qu’il l’a été.

Tant qu’un article peut être utilisé couramment sans infraction, le fait qu’il puisse éventuellement être utilisé pour violation de brevet n’est pas suffisant pour engendrer la responsabilité de son créateur. Vendre du matériel à usage courant pouvant accomplir un processus ne représente pas une atteinte au brevet de ce processus. Quand la Cour Suprême a examiné le sort du vieux format vidéo VCR, elle a justement emprunté ce concept à la loi des brevets.

La connaissance

Enfin, pour poursuivre en justice une entreprise qui fournit des outils susceptibles de servir à enfreindre un brevet ou à fabriquer des contrefaçons, le propriétaire du brevet doit montrer que l’entreprise savait ou avait l’intention de permettre à quelqu’un d’enfreindre ce brevet. Le détenteur du brevet doit montrer que la partie qui aurait incité à l’infraction avait effectivement connaissance du brevet en question, ou était délibérément indifférent à l’existence d’un tel brevet.

Comme pour les autres obstacles, ceci devrait pouvoir protéger les entreprises qui fournissent simplement les outils nécessaires à l’impression 3D. Le fabricant de l’imprimante, le concepteur du logiciel ou les entreprises qui fournissent les matériaux que l’imprimante utilise pour fabriquer les objets devraient être en mesure d’affirmer qu’ils offrent leurs services à un marché vaste et légitime et que toute infraction est sans rapport avec leurs activités.

Réparation et reproduction

Pour le moment, le public est encore libre de répliquer des éléments non brevetés faisant partie d’un objet breveté, pour en réparer et remplacer des éléments usés ou défectueux, sans nécessairement devoir obtenir la pièce de rechange auprès de fabricant original.

Aujourd’hui, le public est libre de répliquer des éléments non brevetés faisant partie de combinaisons brevetés. Chacun peut réparer et remplacer des éléments usés sans se protéger par une licence supplémentaire ou obtenir les pièces de rechange nécessaires auprès du fabricant original.

Mais s’il devient plus facile de créer ces pièces de rechanges non brevetés, les fabricants commenceront alors sans doute à considérer cette pratique comme du piratage ou du vol. Ils chercheront probablement à criminaliser la création de pièces de rechange sans licence et à abaisser le seuil de ce qui constitue une contrefaçon. Ceci devrait malheureusement se traduire par une extension de la protection par brevets (on pense en particulier à ce qui touche au design) ainsi qu’une volonté croissante de commencer à protéger aussi les éléments non brevetés d’une combinaison brevetée.

De plus, la frontière relativement ambiguë entre réparer et reconstruire sera sans doute examinée et probablement revue et corrigée dans le sens d’une plus grande restriction. Les utilisateurs vont résister pour conserver le droit de réparer les pièces usées, pendant que les entreprises lutteront pour constituer un monopole sur les pièces de rechange.

Le droit d’auteur

L’impression 3D permettant de recréer des objets physiques, il y a fort à parier que les fabricants et designers de ces objets réclament de plus en plus de protection « par droit d’auteur » pour leur objets fonctionnels. Au lieu de séparer les éléments de design des éléments fonctionnels, ils s’efforceront de les confondre pour étendre la protection par droit d’auteur à tous les articles fonctionnels qui contiennent des éléments de design. C’est déjà le cas dans le milieu de la mode ou pour des appareils comme les aspirateurs Dyson ou l’iPod que l’on essaye d’ériger en objet d’art. Récemment le Congrès a rajouté du droit d’auteur pour protéger le dessin des coques de bateaux.

Ce droit d’auteur sur des objets physiques ferait alors un peu office de brevet, à ceci près que l’on n’exige plus d’innovation ou de temps limité d’application. Des objets utiles pourraient être ainsi protégés très longtemps, des dizaines d’années après leur création. L’innovation mécanique et fonctionnelle pourrait être gelée par crainte d’engendrer d’importants procès pour violation du droit d’auteur. Il pourrait alors devenir de plus en plus difficile de récréer et améliorer des objets aussi simple qu’un serre-livres ou un tasse à café.

La marque deposée

Ces dernières années, on a pu voir la Cour Suprême protéger l’intérêt du public en tentant de garantir la concurrence face aux détenteurs de marques qui voulaient augmenter la portée de leur protection. Mais rien n’est jamais acquis et la pression va se poursuivre car la marque déposée est une protection très attrayante avec sa durée de vie potentiellement infinie.

En ce qui concerne le trade dress, les fabricants vont continuer à exiger la protection automatique de la marque ainsi que son caractère singulier intrinsèque (NdT : inherent distinctiveness) sans attendre qu’un design particulier obtienne ce caractère distinctif aux yeux du public. Ils vont aussi certainement chercher à minimiser voire à éliminer la notion « d’utilisation dans le commerce » au sein du droit des marques. Cette « utilisation dans le commerce » n’a pas encore été tellement évoquée devant les tribunaux, car dans les faits les actions en justice concernaient avant tout des utilisations commerciales illicites de la marque. Mais au fur et à mesure qu’il deviendra plus facile pour chacun de créer des produits chez soi à usage personnel, on peut s’attendre à ce que tout ceci soit remis en question.

La question de l’anti-dilution des marques peut aussi participer à étendre leur portée. Contrairement à la marque déposée traditionnelle, une utilisation qui dilue une « marque célèbre » n’a pas besoin d’être dans le commerce, de désorienter le consommateur, ou de causer des dommages économiques directs au détenteur de la marque pour être illégale. On peut ainsi imaginer des décisions de justice augmenter graduellement la définition même d’une marque célèbref dans le but de recourir à la dilution.

Extension de la responsabilité

La bataille du droit d’auteur sur Internet pour la musique ou la vidéo nous a enseigné qu’il peut être complexe, coûteux et très long d’engager des poursuites individuelles contre des personnes en infraction. Pour palier à cela, les détenteurs des droits ont cherché à étendre la responsabilité de la faute à ceux qui facilitent l’infraction. Tous les ordinateurs peuvent faire de la copie, mais si les fabricants d’ordinateur ou les fournisseurs d’accès au réseau étaient tenus pour responsable de chaque film téléchargé illégalement, c’en serait vite fini de l’Internet et du développement des nouvelles technologies que nous connaissons encore aujourd’hui.

On risque fort de constater la même dérive avec l’impression 3D qui permet donc de reproduire des objets potentiellement protégés par des brevets, droits d’auteur ou marques déposées. Si on permet aux détenteurs de droits de rejeter la responsabilité des copies faites par des individus sur les fabricants qui rendent l’impression 3D possible, ceux-ci ne pourront plus continuer à se développer. Si, comme on le constate pour la musique actuellement, les détenteurs de droits arrivent à forcer les entreprises d’imprimantes 3D à céder un pourcentage de leurs ventes (comme « compensation »), ou à incorporer des mesures techniques de protection pour contrôler, restreindre ou interdire la copie, ce secteur économique plein de promesses calera avant d’atteindre le grand public (on pourrait ainsi par exemple empêcher une imprimante 3D de lire dans plans CAO tatoués numériquement).

Conclusion

La faculté de reproduire des objets physiques chez soi ou dans de petits ateliers est potentiellement tout aussi révolutionnaire que la faculté de rassembler des informations, quelles que soient leurs sources, sur un écran d’ordinateur.

Aujourd’hui, les premiers contours de cette révolution commencent tout juste à se dessiner. Ce sont les scanners 3D et la CAO accessibles à tous pour créer des plans. Ce sont tous ces ordinateurs interconnectés pour partager facilement ces plans. Et ce sont enfin toutes ces pionnières imprimantes 3D permettant de transposer ces plans dans le monde réel. Tous ces outils, accessibles, bon marché et faciles à utiliser, vont changer notre manière d’envisager les objets physiques de façon aussi radicale que les ordinateurs ont changé notre manière d’envisager les idées.

La frontière entre un objet physique et la description digitale de cet objet physique va commencer à s’estomper. Avec une imprimante 3D, posséder les bits est presque synonyme de posséder les atomes. Les systèmes de contrôle des informations traditionnellement appliqués aux ressources numériques pourraient commencer à s’infiltrer dans le monde physique.

Les contours de base de cette révolution n’ont donc pas encore été définis. Et d’une certaine manière, c’est une bénédiction. Lâcher ces outils dans le monde va engendrer des conséquences inattendues et des changements imprévisibles. Mais cette inconnue joue aussi en notre défaveur. Voyant peu à peu l’impression 3D sortir de l’ombre pour devenir une menace, les entreprises impactées vont inévitablement essayer de la limiter en augmentant les protections de la propriété intellectuelle. Ce faisant, elles vont fort logiquement attirer l’attention sur les torts causés à leurs modèles économiques, tels que la perte de ventes, la baisse de profits et la réduction d’emplois (que l’impression 3D en soit ou non directement responsable).

On n’en voit que les prémisses aujourd’hui mais il est évident que des milliers de nouvelles entreprises vont fleurir dans le sillage de l’impression 3D. Sauf qu’elles n’existeront peut-être plus quand les grandes entreprises se réveilleront et commenceront de à faire appel à la propriété intellectuelle pour toujours plus se protéger. Il sera alors demandé aux décisionnaires et aux juges d’évaluer le poids des pertes concrètes par rapport aux futurs bénéfices difficile à quantifier ou imaginer.

C’est pourquoi il est crucial pour la communauté actuelle de l’impression 3D, tapie dans des garages, des hackerspaces ou des fab labs, garde d’ores et déjà un œil vigilant sur ces questions cruciales de réglementation avant qu’ils ne prennent trop d’ampleur.

Le temps viendra, et il viendra vite; où les industries en place qui seront touchées exigeront de nouvelles lois restrictives pour l’impression 3D. Si la communauté attend ce jour pour s’organiser, il sera trop tard.

La communauté doit plutôt s’efforcer d’éduquer les décisionnaires et le public sur le formidable potentiel de l’impression 3D. Ainsi, lorsque les industries en place décriront avec dédain l’impression 3D comme un passe-temps de pirates ou de hors-la-loi, leurs déclarations tomberont dans des oreilles trop avisées pour détruire cette toute nouvelle nouveauté.

Windell Oskay - CC by

Notes

[1] Crédit photos : Cory Doctorow, Tony Buser, Zach Hoeken, Tony Buser et Windell Oskay (Creative Commons By ou By-Sa)




Google Chromebook ou le choix volontaire du confortable totalitarisme numérique

Jule Berlin - CC byÇa y est, les premiers « ordinateurs Google », les Chromebooks – un Acer et un Samsung pour commencer – vont bientôt arriver sur le marché. Ils seront tous les deux munis du système d’exploitation maison Google Chrome OS (qui, rappelons-le, repose sur une couche open source Chromium OS).

Potentiellement il s’agit bien moins d’une évolution que d’une véritable révolution.

Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans… mais souvenons-nous de nos premiers PC. On avait nos applications (téléchargées en ligne ou installées depuis un cédérom) que l’on mettait à jour volontairement et manuellement. Parmi ces applications, il y a une qui a pris de plus en plus d’importance au fil des ans, c’est notre navigateur Web. Mais on conservait encore du temps pour notre suite bureautique ou notre traitement d’images. Si on n’avait pas la chance d’être sur un OS libre alors il fallait aussi un antivirus. Et puis on avait nos fichiers, dans notre disque dur ou nos périphériques.

Avec un Chromebook, tout ceci disparaît d’un coup de baguette magique ! Direction : « le nuage » !

Ici notre ordinateur se confond avec notre navigateur et se transforme en un terminal de connexion à Internet (vous avez dit Minitel 2.0 ?). Nous n’avons plus à nous soucier des applications, de leurs mises à jour, des fichiers et de leur stockage. Ce sont les serveurs de Google qui s’en chargent pour nous. Quel confort, quelle praticité, quelle simplicité !

C’est bien l’image que souhaite nous en donner Google en tout cas dans cette signifiante publicité vidéo : le Chromebook ce n’est pas un ordinateur portable, ce n’est pas un portable qui a accès au Web, c’est le Web matérialisé dans le Chromebook, on peut tout faire désormais sur le Web, y accéder de n’importe où, etc. et la dernière phrase, emblématique : le Chromebook sera prêt quand vous le serez.

Bon, imaginons que ces ordinateurs soient massivement adoptés et qu’au fur à mesure que le temps passe et que la connexion en tout lieu s’améliore, ils soient de plus en plus plébiscités… en grignotant chaque jour davantage de part de marché. Alors, soyons un peu provocateur, il ne servira plus à rien de se rendre, comme nous la semaine prochaine[1], à l’Ubuntu Party de Paris. Car l’adoption ou la migration de Windows vers GNU/Linux sera alors complètement court-circuitée. Idem pour d’autres célèbres migrations, d’Internet Explorer à Firefox (bonjour Google Chrome), de MIcrosoft Office à LibreOffice (bonjour Google Documents). Framasoft aussi du reste ne servira plus à rien (ou presque) puisque son annuaire, ses clés ou ses dvd seront définitivement à ranger dans les archives du Web.

Le danger est réel pour « la communauté du libre ». D’autant qu’en son sein Google jouit d’une bien meilleure image qu’un Microsoft, Apple ou Facebook et que nous sommes nombreux à posséder un compte Gmail.

Mais le danger est encore plus réel pour le futur acheteur d’un Chromebook. Car la condition sine qua non pour l’utiliser c’est de posséder un compte Google et de souscrire de facto à ses conditions d’utilisation. Conditions pas toujours très claires quant à l’usage de vos données personnelles et qui peuvent changer à tout moment selon le bon vouloir de Google (et de ses actionnaires). Vous ne vendrez pas spécialement votre âme au diable, mais dites-vous bien que vous confiez tout, absolument tout, à la société commerciale américaine Google[2].

C’est, entre autres critiques, ce que souligne Ryan Cartwright dans la traduction ci-dessous.

Si le Chromebook devient un succès, peut-être allons-nous devenir de « vieux réacs du Web » (des « Zemmour du Web » !) avec notre souhait et notre souci de conserver le contrôle et donc la liberté sur nos serveurs, nos machines, nos applications, nos fichiers et nos données.

Mais au moins aura-t-on tenté de résister et de vous prévenir…

Chromebooks – Le futur commence aujourd’hui ?

Chromebooks – has the future arrived?

Ryan Cartwright – 18 mai 2011 – Free Software Magazine
(Traduction Framalang : Goofy et Lolo le 13)

On a l’impression que ça fait une éternité que Google a annoncé ChromeOS, ce qui bien sûr a fait couler beaucoup d’encre, y compris dans ce magazine. Maintenant que deux fabricants s’apprêtent à lancer deux modèles de Chromebooks, il pourrait être utile de se souvenir des problèmes liés au « système d’exploitation basé sur le nuage », en général et dans ce cas précis.

C’est quoi le « nuage » ?

Il n’y a pas de réelle définition de ce qu’est le « nuage ». C’est comme la « Propriété Intellectuelle » : c’est surtout un terme de marketing qu’on peut recycler à son gré pour lui faire dire ce qu’on veut. Quand j’utiliserai l’expression ici, « un système d’exploitation dans les nuages » est quelque chose où toutes les données et les applications utilisateurs sont sur le World Wide Web. La seule chose qui reste au plan du matériel lui-même, c’est un système d’exploitation basique sur un disque et un navigateur Web. Je suis certain qu’on peut trouver des définitions plus complexes et plus détaillées de système d’exploitation dans les nuages et/ou de ChromeOS, mais ma définition ira bien pour cet article.

Vie privée et confidentialité des données

Ce sera toujours le plus gros problème en ce qui concerne le système d’exploitation basé sur le nuage. Si vous-même en tant qu’utilisateur vous espérez stocker vos données en ligne, alors vous les mettez (avec beaucoup d’autres choses) en danger. Il y a assez d’exemples de données en lignes qui ont été lues par des personnes non autorisées pour rendre inquiétant un système d’exploitation entier basé sur ce concept. Alors qu’il est vrai que beaucoup de gens ne font pas l’effort de sécuriser leurs données sur un support externe, certains pensent que ces données seront protégées derrière une porte fermée. Oui, donner à ces soi-disant ordinateurs un accès au Web en fait des ressources ouvertes, même si la plupart des données personnelles de l’utilisateur lambda manquent d’intérêt pour les malfaisants. Cependant, réunissez toutes les données sur un simple serveur (ou un groupe de serveurs) et soudain les données deviennent bien plus attractives. Et plus elles sont attirantes plus le risque est élevé. Pour faire une analogie, c’est comme la différence entre ceux qui stockent leur économies dans un coffre-fort à la maison et ceux qui les confient à la banque. Le fait de passer de maison en maison pour faire une série de casses n’était pas très attirant pour les voleurs. Par contre, mettez tout cet argent dans un seul coffre-fort d’une banque et soudain le facteur de retour sur l’effort fait que la chose est bien plus séduisante.

Donc si ChromeOS m’autorisait à stocker mes données dans un serveur de mon choix et me laissait la possibilité d’avoir un autre apps store dans un autre endroit, alors au moins les données pourraient être davantage sous mon contrôle. C’est vrai, plein d’utilisateurs de ces Chromebooks n’y feront probablement pas attention mais sans même cette éventualité, il est inutile de chercher à leur faire comprendre l’idiotie de leur renoncement.

Accès

ChromeOS est conçu et vendu comme « basé sur le nuage », avec la Wi-Fi et la 3G (il existe des versions avec la wifi seule). Ce qui présente aussitôt à mes yeux un problème particulier. Que se passe-t-il quand vous n’avez pas de connexion ? Existe-t-il une option hors-connexion ? Mes recherches suggèrent que non mais pour être honnête toute la documentation sur ce point est soit du marketing de Google ou des fabricants soit rédigée au doigt mouillé sur des sites de technos qui veulent se positionner au plus haut dans les résultats des moteurs de recherche.

J’imagine que la cible marketing des Chromebooks sera le marché des netbooks et tablettes. J’ai noté qu’on utilisait la plupart du temps ce genre d’appareils dans des conférences ou des cafés. Il existe une bonne raison à ça — on trouve généralement dans ces endroits une connexion wifi à peu près correcte. Dans ce genre d’environnement le Chromebook conviendra parfaitement, mais si la connexion Internet devient un peu chancelante, que se passera-t-il ? Que va devenir un document que vous avez à moitié entamé au moment où la connexion s’interrompt ? Je suis certain que Google s’est penché sur le problème mais jusqu’à maintenant je n’ai pas vu grand-chose qui aille dans le sens d’une solution.

Pendant que j’y suis, parlons un peu de l’impression. Comme Chromebooks fait tout « dans le nuage », imprimer localement devient un problème. Il semble que la solution soit de connecter votre imprimante locale à l’Internet et d’imprimer via les serveurs de Google. Oui, vous avez bien lu, et je le répète : pour imprimer avec un Chromebook, vous aurez besoin d’utiliser une imprimante qui sera connectée au réseau. Donc, vous devez partager non seulement vos données avec Google, mais aussi votre imprimante. Bon d’accord en réalité la plupart des utilisateurs enregistreront leurs documents avec Google docs et les imprimeront depuis un ordinateur qui ne sera pas dans le nuage, à l’aide d’une imprimante locale. Mais même ainsi c’est à mes yeux un nouvel inconvénient.

Applis

Aucun appareil digne de ce nom ne peut être lancé sans une myriade d’applis. Dans le cas de Chromebook il existe des applis web pour le navigateur Chrome. Certaines sont gratuites, d’autres sont gratuites dans la période d’essai, d’autres enfin sont carrément commerciales. Aucune de celles que j’ai vues n’est libre au sens où nous en parlons ici. je ne suis pas toujours d’accord à 100% avec Richard Stallman (gare au troll) mais il a raison de déclarer :

« C’est aussi nul que d’utiliser un programme propriétaire. Faites vos opérations informatiques sur votre propre ordinateur avec votre programme respectueux de vos libertés. Si vous utilisez un programme propriétaire ou le serveur web de quelqu’un d’autre, vous êtes sans défenses. Vous êtes à la merci de celui qui a conçu le logiciel ». Richard Stallman, cité par le Guardian, 29 septembre 2008.

Il existe aussi un autre problème qui nous concerne en tant qu’utilisateurs de logiciels libres. La licence de ces applis web n’est pas mentionnée dans la boutique d’applis de Chrome. Google a probablement raison de prétendre que la plupart des utilisateurs de ChromeOS seront plus préoccupés par le prix que par la liberté, mais malgré tout l’absence d’information sur la licence soustrait un point important de l’esprit du public. Quand vous pensez à tout le temps qu’il a fallu pour avoir les libertés en informatique que nous avons aujourd’hui, omettre délibérément ces informations revient simplement à encourager les gens à ignorer les problèmes de liberté et de confidentialité. Les cyniques répondront que c’est le problème de Google (et autres géants du secteur informatique) et que c’est certainement payé par Android. Ce qui a été lancé comme un système d’exploitation pour mobile « basé sur Linux » est maintenant connu comme « Android de Google ». Tout comme si des questions importantes — mais finalement un peu barbantes — comme la sécurité, la confidentialité et la liberté devaient être sacrifiées sur l’autel non du prix cassé mais de l’accès facile. Tant qu’on peut le faire facilement, le sacrifice que vous devez faire passe inaperçu.

Pas ma tasse de thé

Vous aurez probablement deviné que le Chromebook ne figure pas en tête de la liste de cadeaux à me faire sur mon compte Amazon. Mais ce n’est pas un problème car je n’ai pas pour habitude de partager ma liste de vœux avec tout le monde. Il existe simplement beaucoup trop de problèmes importants à mes yeux qui restent sans solution et qui ne pourront être résolus compte-tenu du modèle économique de ChromeOS. Toutefois à la différence des iTrucs (que je déteste pour des raisons évidentes) et les tablettes, qui ne me donnent pas la moindre raison de les acheter (l’indice certain que je vieillis), j’ai comme l’intuition que les Chromebooks ne se vendront pas si bien que ça. La raison majeure c’est que beaucoup ne supporteront pas l’idée de devoir être toujours en ligne. Avoir une connexion un peu faiblarde pour un usage basique du Web c’est une chose, mais quand vous en avez besoin pour votre travail vous êtes vraiment très vite furieux. Mais je pense que les problèmes que je viens de soulever ne vont pas se dissiper. Nous autres dans la communauté du logiciel libre (encore une expression dont les contours sont flous), nous avons pris conscience depuis un certain temps des problèmes de libertés posés par « l’informatique dans le nuage », mais nous avons flirté avec ça sur le marché des appareils mobiles. Je crains que des entreprises propriétaires rapaces ne se mettent à vouloir prendre le contrôle de portions toujours plus vastes de nos vies grâce à des choses comme Chromebook. En quelque sorte ils auront plus vite résolu les problèmes de bande passante que ceux posés par le respect de la vie privée.

Retour vers le passé

La dernière fois que j’ai publié un billet sur ChromeOs j’ai fait quelques prédictions. Comme toujours dans ces cas-là, certaines étaient évidentes (le magasin ChromeOs, les netbooks plus petits et moins voraces en énergie), et d’autres restent encore à accomplir (le développement des logiciels qu’on paiera suivant la consommation). Mais l’une d’entre elles a malheureusement bien des chances de s’accomplir. Si les problèmes que j’ai soulignés dans ce billet comme la confidentialité et les libertés prennent de l’ampleur, alors les logiciels libres, sans forcément disparaître, vont sortir de la sphère d’influence publique et c’est une bien mauvaise chose.

Notes

[1] Voici le programme de l’UP de Paris qui aura lieu du 27 au 29 mai prochain. On notera pour ce qui concerne Framasoft : Le vendredi 27 mai à 13h Utiliser les licences libres par Benjamin Jean, à 14h30 Les logiciels libres c’est quoi par Simon Descarpentries – Le samedi 28 à 14h30 La route est longue mais la voie est libre par Alexis Kauffmann, à 16h Le libre au delà du logiciel par Pierre-Yves Gosset – Le dimanche 29 à 13h Utiliser les licences libres par Benjamin Jean, à 16h l’atelier Framapad, contribuer en ligne par Pierre-Yves Gosset.

[2] Crédit photo : Jule Berlin (Creative Commons By-Sa)




Nouveau Framabook : Un monde sans copyright… et sans monopole

Framabook - Un monde sans copyrightOn fait souvent, et à juste titre, le procès du droit d’auteur à l’ère de l’avènement du numérique. Une manière de résoudre le problème est alors de l’assouplir, en garantissant certains droits ou certaines libertés aux utilisateurs. Et cela donne par exemple la licence GNU/GPL pour les logiciels libres et les licences Creative Commons pour les œuvres culturelles.

Oui, mais allons encore plus loin et imaginons qu’il n’y ait plus du tout de droits d’auteur !

Tel est le sujet (et le débat) de notre dernier framabook « Un monde sans copyright… et sans monopole » Vous le trouverez en pdf et source sur notre site dédié, en lecture en ligne grâce à la Poule ou l’Œuf, et disponible à l’achat sur notre boutique EnVenteLibre.org au prix de 10 €.

Le droit d’auteur est-il un système archaïque ?

Dans cet ouvrage audacieux et polémique, les néerlandais Joost Smiers (professeur de science politique à l’École Supérieure des Arts d’Utrecht) et Marieke van Schijndel (directrice du Musée Catharijne Couvent à Utrecht) répondent par l’affirmative et élaborent un dossier à charge contre le droit d’auteur et les mécanismes économiques qui en découlent.

En formulant l’hypothèse qu’un monde sans copyright (le droit d’auteur et autre droit de propriété intellectuelle) est possible, les auteurs explorent méthodiquement les secteurs où le protectionnisme et les conglomérats culturels créent une distorsion du marché au détriment des artistes, de la création et de la diversité culturelle. Imaginez un terrain de jeu équitable où les artistes pourraient vivre de leur art et où la créativité et les connaissances pourraient intégrer (à nouveau ?) le domaine public pour être partagées… librement.

Nous en avons reproduit la préface et nos commentaires ci-dessous.

Le livre est sous licence Creative Commons Zero 1.0, également traduite pas nos soins, et se retrouve être particulièrement adaptée à la thèse de l’ouvrage.

Préface

Joost Smiers et Marieke van Schijndel – Amsterdam / Utrecht, janvier 2011

Si les systèmes de droits d’auteur et de copyright n’existaient pas, faudrait-il aujourd’hui les inventer ? Probablement pas : ils sont difficiles à maintenir, ont une tendance protectionniste et privilégient essentiellement les grandes stars. Ils suscitent des investissements massifs dans des productions qui dominent le paysage culturel, et, finalement, sont contraires à la démocratie.

Pourquoi cela ? Le droit de propriété intellectuelle nous interdit de modifier la création proposée par l’artiste – c’est-à-dire d’entamer un certain dialogue avec l’œuvre –, et nous condamne au statut de consommateur passif face à l’avalanche des expressions culturelles. Le droit d’auteur est un système archaïque.

Il est difficile de remettre en question la situation actuelle des marchés culturels, complètement dominés par de – trop – grandes entreprises. Certes, il s’agit d’un héritage du néolibéralisme, mais le prix que nous avons encore récemment payé pour les maux causés par cette idéologie confirme, à l’évidence, que nous devons la dépasser.

Nous devons nous sentir libres de nous demander s’il est juste que seuls quelques propriétaires de moyens de production, de distribution et de réception des expressions culturelles influencent et contrôlent substantiellement ce que nous voyons, entendons et lisons. Pour ce qui nous concerne, cela est inacceptable et contraire à l’idée démocratique de la multiplication des sources de créativité cinématographique, musicale, visuelle et théâtrale… en opposition avec les germes de notre imagination, ainsi qu’avec nos rêves, nos plaisirs, nos moments de tristesse, nos désirs érotiques, et tous les débats qui concernent notre vie. Nous devrions pouvoir choisir librement entre toutes les sources et expressions culturelles différentes.

L’objectif de notre ouvrage est d’aller vers un monde sans copyright …. et sans monopole, de construire des marchés culturels plus justes pour la plupart des artistes, et de donner un plus large choix aux citoyens en faveur de notre communication culturelle.

Quelques commentaires

Christophe Masutti, coordinateur de la collection Framabook – Benjamin Jean, administrateur de Framasoft et président de la SARD

Au travers des Framabooks et de multiples autres projets, Framasoft ne promeut pas seulement le logiciel libre, mais œuvre plus généralement pour l’avancement de la culture libre. Un mouvement qui étend les principes fondateurs du logiciel libre à tous les aspects de la création et de la culture, un partage organisé favorisé par le monde numérique dans lequel nous évoluons aujourd’hui.

À notre niveau, nous nous inscrivons ainsi dans une réflexion nouvelle sur les rapports entre la création et l’économie, suivant en cela le chemin ouvert par d’illustres penseurs avant nous. Le juriste Lawrence Lessig, par exemple, laissera sans nul doute une empreinte dans l’histoire pour avoir théorisé et généralisé la nouvelle conception du droit d’auteur amorcé par l’informaticien Richard Stallman[1], et joué un rôle déterminant dans le succès du « mouvement Creative Commons »[2]. En France, nous pouvons citer de même Philippe Aigrain et son regard éclairé sur la liberté des échanges, une liberté sublimée par Internet et qui conditionne la créativité, ou encore Antoine Moreau, artiste, chercheur et initiateur du mouvement Copyleft Attitude, qui avait compris en précurseur l’intérêt d’étendre le copyleft à toutes les sphères de la création. Plus récemment, de nombreux auteurs et artistes ont proposé de réelles alternatives (réfléchies et réalistes) au monde de la privation – considérée contraire à la créativité – dont l’HADOPI en France représente un archétype frappant[3].

Dans ce registre, la collection Framabook s’enrichit présentement d’un essai pour le moins audacieux et polémique. Le livre de Joost Smiers et Marieke van Schijndel s’inscrit en effet dans cette tradition des essais engagés, qui n’hésitent pas à remettre en cause les paradigmes les plus ancrés, pour nous exposer les méfaits du droit d’auteur et des mécanismes économiques qui en découlent. Dans le même temps, nos deux auteurs s’inscrivent dans une autre tradition, cette fois beaucoup plus ancienne, initiée par le philosophe Thomas More et sa description de l’île-république d’Utopia, porte ouverte à la modernité européenne, invitation à l’action et au changement social. Ainsi, non satisfait de remettre en question, ils proposent un réel système de substitution qui illustre et rend tangible leur proposition – bien loin de l’acception péjorative et anticréatrice qu’a le mot utopie aujourd’hui, serait-ce un signe des temps ?

À les écouter, cependant, Smiers et van Schijndel ne proposent pas exactement une utopie, mais un remède concret aux maux des artistes – précarité et instrumentalisation sont les qualificatifs qu’ils utilisent bien souvent – et de leur public – qui, tel un consommateur, ne dispose que d’un choix d’artistes limité et n’a pas son mot à dire. Ils s’arment ainsi d’audace et imaginent une rupture pleinement assumée avec le modèle actuel afin de faire table rase (abolition des lois relatives au droit d’auteur, mais aussi suppression des « conglomérats culturels » qui pervertissent le système par leur présence) et laisser la place à une nouvelle économie culturelle. Néanmoins, à la radicalité de la suppression (autoritaire) du copyright et des monopoles répond une analyse fine et détaillée des bases sur lesquelles une économie de la création égalitaire et rétributive pourrait se construire de manière durable.

Qu’elles convainquent ou non, ces réflexions méritent indubitablement d’être largement partagées. Le caractère incitatif du droit d’auteur (et autre droit de propriété intellectuelle) se voit mis à mal dans notre société où l’auteur ne peut vivre de son art tandis que celui qui exploite ses droits en tire un monopole grâce auquel il domine le marché. La doctrine juridique elle-même est réservée quant à l’évolution actuelle des différents droits de propriété intellectuelle et, même si elle reste généralement protectrice des auteurs et de leur propriété (bien qu’il soit précisé que cette dernière ne doive pas nécessairement être aussi absolue que celle du Code civil), elle devient très critique à l’encontre des exploitants, de leurs monopoles et lobbing[4]… précisant, s’il le fallait, qu’ « à tout vouloir protéger, on passe d’une logique de l’innovation à une logique de la rente »[5].

Nous sommes donc dans une période assez propice à la réflexion, voire à la contestation, et ce n’est pas une surprise si de nouveaux modèles incitatifs sont proposés afin de remplacer ou rééquilibrer le système actuel – telle la SARD[6] qui a pour objet de favoriser le libre accès à la culture, grâce à un système de financement par le don (modèle économique très en vogue sur Internet[7]).

Enfin, la question de la licence de cet ouvrage illustre parfaitement le décalage entre le droit positif et le système imaginé par les auteurs. Selon ces derniers, les licences libres et open source sont davantage focalisées sur les œuvres à partager que sur la réalité économique et sociale à laquelle se confrontent les artistes. Elles participeraient ainsi à la constitution d’une classe souvent dévalorisée et parfois démunie. Néanmoins, publier cet ouvrage sans mention de licence aurait eu pour conséquence d’empêcher sa diffusion, ce qui nous a conduit à proposer l’utilisation de la licence CC-Zero[8] – un beau clin d’œil puisque cette licence reconnaît les droits avant d’organiser leur abandon…

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, Imagine there is no copyright… fut choisi pour une traduction collective lors des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre tenues à Bordeaux en juillet 2010. Initié par l’équipe Framalang, ce « Traducthon » fut un essai réussi. Même si le résultat ne pouvait évidemment pas être publié tel quel sans quelques mesures éditoriales, on peut souligner la force avec laquelle il démontra qu’un projet collaboratif, sur une période très courte d’une semaine intensive, permet de produire un résultat de premier ordre en conjuguant les compétences et les motivations. Forts de cette nouvelle expérience, ne doutons pas que les prochains « Traducthons » contribueront eux aussi au partage des connaissances en produisant de nouveaux Framabooks.

Nous tenons à remercier ici Joost Smiers et Marieke van Schijndel pour leur disponibilité et leur écoute, ainsi que toute l’équipe Framalang, les relecteurs de l’équipe Framabook, la Poule ou l’Œuf et In Libro Veritas, toutes les personnes ayant contribué à ce projet et sans qui le partage ne serait qu’un vain mot.

-> La suite sur Framabook…

Notes

[1] Stallman, Williams et Masutti, Richard Stallman et la révolution du logiciel libre. Une biographie autorisée, 2010.

[2] Lessig, The Future of Ideas. The Fate of the Commons in a Connected World, 2002.

[3] À ce sujet, voir notamment : Nestel, Pasquini and collectif d’auteurs, La Bataille Hadopi, 2009.

[4] Gaudrat, Les modèles d’exploitation du droit d’auteur, 2009.

[5] Vivant, L’irrésistible ascension des propriétés intellectuelles ?, 1998, p. 441.

[6] La Société d’Acceptation et Répartition des Dons, fondée en 2009 (sard-info.org).

[7] Ce modèle se généralise avec des initiatives comme Yooook, Flattr, Ullule, Kachingle ou « J’aime l’info » (ce dernier étant dédié à la presse en ligne).

[8] Elle aussi traduite pour les besoins du livre (voir un article du Framablog à ce propos).




Un professeur d’Université titularisé grâce à ses contributions dans Wikipédia ?

Un professeur d’Université qui n’hésite pas à glisser son travail pour Wikipédia dans le dossier de candidature à sa titularisation, voilà un fait assez rare pour être signalé.

Cela signifie non seulement qu’il est gros contributeur de l’encyclopédie libre mais qu’il doit également faire comprendre sa démarche auprès de ses collègues composant le comité de recrutement.

Il a même poussé l’audace jusqu’à inclure quelques articles dans le champ Recherche de son dossier, champ le plus important puisqu’il contient les publications du candidat. Il s’agissait en l’occurrence d’articles ayant obtenu le label Article de qualité, ce qui nécessite une validation de la part des autres contributeurs de Wikipédia, une validation par les pairs en quelque sorte.

Les temps changent et il se pourrait bien que cette initiative pionnière se banalise à l’avenir. Tel est du moins notre souhait.

Un article qui vient faire écho à notre dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation relatant un projet qui mériterait lui aussi de faire jurisprudence dans le milieu académique.

Un professeur nommé titulaire en partie grâce à son travail pour Wikipédia

Tenure awarded based in part on Wikipedia contributions

LiAnna Davis – 6 avril 2011 – Wikimedia Community Blog
(Traduction Framalang : Don Rico)

Le palmarès Wikipédia de Michel Aaij est impressionnant : plus de soixante mille modifications, quelques « Bons articles », une « Liste de qualité », et presque cent cinquante « Le saviez-vous ? » publiés. Mais la distinction dont il est le plus fier, c’est sa titularisation à l’université.

Pour les universitaires d’Amérique du Nord, la titularisation représente l’un des points culminants d’une carrière. Pendant des années, les maîtres de conférence construisent un dossier où ils démontrent leur expérience de l’enseignement, leur qualité de chercheur et leur apport à leur discipline.

Une des clés de la titularisation de Michel à été son implication dans Wikipédia.

Michel collabore à l’encyclopédie en ligne depuis des années, surtout en contribuant à des biographies de personnalités vivantes, à des articles académiques ou ayant trait aux Pays-Bas (pays dont il est originaire). Il consacre aussi énormément de temps au travail de relecture et de correction, à la résolution de conflits et à l’accueil de nouveaux rédacteurs. Par ailleurs, en tant que Campus Ambassador (NdT: Ambassadeur Wikipédia dans son université), et dans le cadre de la Public Policy Initiative (Initiative pour la Politique publique), il aide les étudiants à devenir contributeurs. En tant que chercheur, Michel a d’abord publié des articles pointus dans des revues universitaires et s’est lancé dans l’écriture d’un livre, le tout en enseignant dans la section lettres et philosophie à l’université Auburn-Montgomery, en Alabama.

Il y a un peu plus d’un an, Michel a commencé à parler de sa participation à Wikipédia avec ses collègues.

« Au début, ils se sont montrés sceptiques », reconnaît-il. Mais il a réussi à disperser leurs doutes en expliquant le système de validation par les pairs ainsi que le procédé de sélection des bons articles et des articles de qualité. Il a aussi contribué à des articles particulièrement utiles à l’université d’Auburn-Montgomery, notamment l’article sur la faculté et la biographie d’un de ses collègues, qui l’en a chaudement remercié.

« J’ai rédigé des articles dans de nombreux domaines, et bien des fois j’ai pu montrer à mes confrères ce que j’avais accompli dans leur spécialité », explique Michel. « Je me plais à penser que désormais, la plupart d’entre eux a une opinion favorable de Wikipédia. Il faut voir la vérité en face : concernant Guillaume de Dole, contenu qui a obtenu le label « Bon article », on ne trouve aucune base de données ni aucun article encyclopédique qui soit aussi complet que l’article de Wikipédia sur ce poème (ce qui en dit aussi long sur Wikipédia que sur les autres encyclopédies). »

Drmies -CC by-sa

Michel Aaij contribue aussi à Wikimédia Commons par ses photos, comme ce cliché de l’église baptiste de Montgomery, en Alabama. C’est sa fille que l’on voit sur les marches.

Michel a estimé que ses contributions à Wikipédia méritaient de figurer dans son dossier de titularisation. Selon lui, il était alors logique de les inclure dans la partie « Service ». Sur les trois rubriques du dossier, cette partie est celle qui a le moins d’importance, mais elle permet aux professeurs d’expliquer en quoi leurs travaux ont contribué à un champ de recherche particulier. Michel a donc rédigé quelques pages présentant le fonctionnement de Wikipédia, ses contributions, et en quoi sa participation à des articles précis a bénéficié à l’étude de la littérature médiévale.

Mais quelques semaines avant la date de remise de son dossier, deux de ses collègues (le poète dont il avait rédigé la biographie et un spécialiste du XVIIIe siècle) lui ont suggéré, après l’avoir entendu évoquer à plusieurs reprises le processus de validation par des pairs en vigueur pour les Articles de qualité, qu’il devrait aussi en parler dans la section « Recherche » du dossier. En effet, dans de nombreuses universités, l’obtention de la titularisation repose en grande partie sur cette section – c’est d’ailleurs de là que vient l’expression « publie ou péris » (NdT : Publish or perish). Les candidats doivent prouver qu’ils ont publié dans des ouvrages soumis à une évaluation par les pairs.

Dans la rubrique Recherche, Michel a alors ajouté ses articles distingués par le label « Contenu de qualité », deux autres en cours d’évaluation, ainsi que ses articles qui avaient paru dans la rubrique « Le saviez-vous ? » de la page d’accueil, sur des sujets de littérature ou d’histoire médiévale, ou encore sur sa ville de Montgomery, en Alabama.

« Ça m’a demandé un peu de travail d’arrangement et d’organisation, mais ça m’a permis d’inclure une section fournie sur mes contributions à Wikipédia dans la partie recherche de mon dossier, en partant du principe que les « Le saviez-vous ? », les « Bons articles » et les « Articles de qualité » sont tous soumis à une évaluation par les pairs,» explique Michel. « Pour qu’on puisse me juger sur pièce, j’ai ajouté mes articles dans les sections Recherche et Service. Enfin, j’ai suggéré (sur les conseils de trois collègues) que les articles de Wikipédia ne valent pas moins, par exemple, que ceux publiés dans les bases de donnés GALE (NdT : bases de données pour les bibliothèques) – il convient de préciser que nous venions d’attribuer une chaire en partie en appuyant notre décision sur ce genre d’articles bibliographiques. »

Les collègues titulaires de Michel l’ont approuvé à l’unanimité, et le comité universitaire lui a accordé sa titularisation au mois de mars. Pour la première fois peut-être, un professeur était titularisé en partie grâce à ses contributions à Wikipédia.

Michel estime que son CV universitaire était assez solide pour lui valoir la titularisation sans l’apport de ses contributions à Wikipédia, mais il se félicite de les avoir incluses. Si de plus en plus de professeurs candidats à la titularisation suivent l’exemple de Michel, les comités vont devoir ajuster leurs critères d’évaluation pour donner un poids plus juste aux contributions à Wikipédia.

À présent, Michel songe déjà à l’étape suivante : assumer des fonctions d’homme d’entretien, en devenant administrateur Wikipédia.

Un professeur titulaire désireux de nettoyer les plaisanteries et les âneries publiées sur Wikipédia ? Si seulement ils pouvaient être plus nombreux !




Un kit libre pour démarrer une civilisation !

Dans un récent billet intitulé Open Source Ecology ou la communauté Amish 2.0 nous nous faisions l’écho d’un projet assez extraordinaire consistant à placer sous licence libre les spécifications d’une cinquantaine de machines agricoles permettant théoriquement à un village d’accéder à l’autosuffisance.

Un projet qui méritait bien les honneurs d’une conférence TED que nous avons choisi de vous reproduire ci-dessous.

Soit dit en passant, les conférences Ted, au format court caractéristique et de plus en plus souvent sous-titrées en français, constituent avec le temps une véritable mine d’or pour tout internaute curieux de mieux comprendre et appréhender les enjeux d’aujourd’hui et de demain. Je suggère fortement à tout enseignant d’indiquer cette ressource à leurs étudiants et de leur en montrer quelques unes en classe (les interventions sont placées sous licence Creative Commons By-Nc-Nd).

Leur slogan est : « des idées qui méritent d’être diffusées ». Celle-ci, comme les autres, le mérite amplement.

PS : Une ressource signalée par l’excellente revue de presse hebdomadaire d’InternetActu.

—> La vidéo au format webm
—> Le fichier de sous-titres

Transcript

Marcin Jakubowski – Avril 2011 – Open Source Ecology

Marcin Jakubowski: Open-sourced blueprints for civilization

Salut, je m’appelle Marcin, fermier, ingénieur. Je suis né en Pologne, je vis désormais aux États-Unis. J’ai lancé un groupe intitulé « Open Source Ecology » (« Écologie en Accès Libre ») Nous avons identifié les 50 machines les plus importantes qui, selon nous, permettent à la vie moderne d’exister, depuis les tracteurs et les fours à pain aux graveuses de circuits imprimés. Nous avons essayé de créer une version accessible, FLVM, une version « faites-le vous-même » que n’importe qui pourrait construire et entretenir en ne supportant qu’une partie du coût. Nous appelons cela le Kit de Construction du Village Global.

Laissez-moi vous raconter une histoire. J’ai fini à trente ans avec un doctorat en fusion énergétique, et j’ai découvert que j’étais inutile. Je n’avais aucune compétence pratique. Le monde m’a offert des options, et je les ai prises. On pourrait appeler cela un style de vie consumériste. J’ai créé une ferme dans le Missouri et appris les choses en rapport avec l’économie de la ferme. J’ai acheté un tracteur, qui cessa de fonctionner. J’ai payé pour qu’on me le répare, et puis il cessa à nouveau de fonctionner. Alors peu de temps après j’étais moi aussi financièrement incapable de fonctionner.

J’ai réalisé que les outils bon marché, vraiment appropriés, dont j’avais besoin pour établir une ferme durable n’existaient tout simplement pas encore. J’avais besoin d’outils robustes, modulaires, hautement efficaces et optimisés, peu chers, fabriqués à partir de matériaux locaux et recyclés qui dureraient toute une vie, non conçus pour l’obsolescence. Je me suis rendu compte que j’allais devoir les construire moi-même. Et c’est ce que j’ai fait. Je les ai ensuite testés. Et je me suis rendu compte que la productivité industrielle peut être atteinte sur de petites échelles.

Alors j’ai publié les plans en 3D, les schémas, les vidéos d’explication et les budgets sur un wiki. Des participants du monde entier sont apparus, réalisant des prototypes de nouvelles machines à l’occasion de visites de projet dédiées. Jusque-là, nous avons prototypé 8 des 50 machines. Le projet commence à grandir de façon autonome.

Nous savons que l’accès libre a réussi avec les outils de gestion de la connaissance et de la créativité. Le même phénomène est en train de se produire avec le matériel. Nous nous concentrons sur le matériel parce que c’est lui qui peut changer la vie des gens de manière réellement tangible. Si on peut baisser les barrières autour de l’agriculture, de la construction, de la production, nous libèrerons une quantité énorme de potentiel humain.

Cela ne vise pas seulement les pays en développement. Nos outils sont conçus pour le fermier, l’ouvrier, l’entrepreneur ou le producteur des États-Unis. Nous avons vu beaucoup d’intérêt chez ces gens-là, qui peuvent maintenant lancer une société de construction, de fabrication de pièces détachées, d’agriculture bio ou simplement revendre de l’électricité. Notre but est de devenir un répertoire en ligne de plans si clairs, si complets, qu’un simple DVD peut servir de kit de démarrage.

J’ai planté une centaine d’arbres en une journée. J’ai compacté 5000 briques en une journée en utilisant la terre sous mes pieds et j’ai construit un tracteur en six jours. De ce que j’ai vu, ce n’est que le commencement.

Si cette idée est vraiment solide, alors les implications sont considérables. Une meilleure distribution des moyens de production, une chaîne logistique respectueuse de l’environnement, et une nouvelle culture du “faites-le vous-même” pourrait espérer venir à bout d’une rareté artificielle. Nous explorons les limites de ce que nous pourrions faire pour rendre le monde meilleur avec des technologies physiques en accès libre.

Merci.




J’ai signé la lettre pour l’open data à Toulouse

David Chemouil - Open Data ToulouseL’open data est dans tous ces états actuellement !

Il y a deux ans, nous avions publié un article intitulé S’il te plaît… dessine-moi une ville libre. Il sagissait en l’occurrence de Vancouver mais depuis de nombreuses autres cités se sont emparées de la question, et commencent à y apporter des réponses en impliquant leurs administrés.

Quitte à ce que ce soit les administrés eux-mêmes qui suggèrent fortement l’idée à leurs leaders politiques locaux, comme c’est le cas ici pour Toulouse, qui souhaite emboîter le pas à Rennes, Paris ou Nantes pour faire vivre ses données publiques.

Open Data Toulouse – Entretien avec David Chemouil

Bonjour pouvez-vous vous présenter succinctement ?

J’ai 36 ans, je suis chercheur en informatique à Toulouse, où je vis avec ma compagne et ma fille. Très sensible à la question du logiciel libre (je suis tombé dedans il y a un peu plus de 15 ans pendant mes études), je suis aussi administrateur de l’April depuis cette année.

Mais dans le cas présent, je suis surtout point de contact d’un collectif s’intéressant à une question connexe, celle de l’open data à Toulouse et sa région.

Qu’est-ce que l’open data ?

L’open data, c’est un mouvement international qui promeut la libération des données publiques non-nominatives.

Les données publiques, ce sont en gros les informations exploitées et conservées par les services publics (collectivités locales, État, mais on peut aussi penser à certaines sociétés privées travaillant directement pour les services publics). Ces données concernent des sujets très variés : cela peut aller d’informations sur la pollution dans une ville à la position des arbres entretenus par les jardiniers de la ville, ou encore le budget d’une ville ou d’une région et sur quels postes il est utilisé… Ou bien la position des bus en temps-réel…

Or, la plupart de ces informations se trouve de nos jours sous forme informatisée dans diverses bases de données. Vient alors l’idée, assez naturelle, que ces données pourraient la plupart du temps être rendues publiques (en tenant compte de la loi, bien sûr, d’où l’exclusion des données nominatives du champ de l’open data). Pour quoi faire ? Eh bien, pour des utilisations très variées.

Sur le plan socio-économique, cela permet d’imaginer des applications que les acteurs publics n’ont pas nécessairement les moyens de mettre en œuvre, ou alors dont personne n’a l’idée sauf une personne ingénieuse. Cela permet aussi de lever des barrières organisationnelles (par exemple, le fait que les informations relatives à des moyens de transport différents ne sont pas reliées, pas forcément à cause d’une mauvaise volonté mais plutôt pour des raisons structurelles). Parmi les applications déjà proposées dans des initiatives similaires, on a par exemple des sites web calculant des itinéraires adaptés aux personnes à mobilité réduite, empruntant des voies sur lesquelles il n’y a pas de gravier, les trottoirs sont tous équipés de passages bateau, etc. Ou alors des sites proposant des itinéraires empruntant à la fois la marche, le vélo de location, le bus et le train…

Sur un plan plus citoyen et politique, on peut utiliser les données pour évaluer les politiques publiques. De ce côté là, l’association Regards Citoyens propose plusieurs applications, notamment une intéressante sur le redécoupage de la carte électorale, qui permet d’en estimer son impact sur la représentation des partis politiques.

Outre ces raisons, on peut aussi penser qu’il n’est pas anormal que ces données, dont la collecte et la maintenance sont financées par les impôts, soient accessibles aux citoyens.

Pourquoi l’open data et les logiciels libres vont très bien ensemble ?

J’y vois au moins deux raisons.

En premier lieu, on sent bien qu’il y a une parenté entre ces deux domaines, avec l’idée que des objets techniques porteurs de connaissances -les logiciels, les données-  ont vocation à être librement accessibles, reproductibles, diffusables, modifiables, etc. On parle souvent à leur propos de bien non-rivaux, ce qui signifie que les donner à quelqu’un n’enlève pas de connaissance à celui qui a donné.

Toutefois, il y a aussi des différences entre logiciels et données. Pour cette raison, des licences spécifiques ont été proposées pour ces dernières. Celle que nous préconisons pour Toulouse est l’Open Database License v1.0. Il n’y aucune originalité de notre part là dedans, c’est la licence préconisée par de nombreux tenants de l’open data. En gros, elle permet le partage des données, la création d’œuvres à partir des données, leur adaptation. Elle impose aussi des devoirs : l’origine des données ou œuvres basées sur les données doit être clairement tracée, la licence doit être préservée (clause de réciprocité analogue au copyleft des licences GNU) et l’ouverture doit être préservée (il s’agit là d’une clause qui permet de se protéger des menottes numériques que sont les DRM).

Je disais qu’il y avait au moins deux raisons. Pour la seconde, il me semble qu’un certain nombre de logiciels faisant usage des données publiques ont vocation à être libres. Pour les raisons usuelles qu’invoquent les défenseurs du logiciel libre bien sûr, mais aussi parce que certaines applications à teneur politique doivent pouvoir être étudiées. Afin de vérifier, sinon l’objectivité des calculs, au moins étudier les choix faits par les concepteurs de l’application.

Qui est open data Toulouse, pourquoi avoir créé ce collectif et que souhaitez-vous à court et à long terme ? quels sont les éventuels obstacles a lever ?

Open Data Toulouse, c’est un collectif qui s’est créé un peu par hasard. Un collègue et moi-même nous intéressions au départ à la question du déplacement dans l’agglomération, en particulier pour favoriser les déplacements domicile-travail pas trop, voire pas du tout, polluants. En particulier, comment encourager les usagers à ne pas avoir envie de prendre leur voiture ? Il nous est vite apparu qu’il manquait à Toulouse des informations publiques relatives aux transports, mises à jour en temps-réel. Par exemple, si je dois attendre le bus 30 minutes sous la pluie, ce n’est pas la même chose que si je reçois un avertissement à mon bureau me disant que le bus sera là dans 5 minutes. De même, si le train a une panne, inutile que j’aille jusqu’à ma gare habituelle, mieux vaut que je prenne un bus spécifique. Mais il faut pouvoir en être averti.

De fil en aiguille, nous avons pris conscience que le problème était plus général et rejoignait la question de l’open data. Nous avons donc rencontré diverses personnes, associations et sociétés et mis au point une lettre commune, fondée sur celle élaborée pour la même raison à Nantes par l’association LiberTIC (merci à cette dernière pour nous avoir permis cette réutilisation). Nous avons adressé cette lettre le 4 avril à M. Pierre Cohen, Président du Grand Toulouse.

Par cette lettre, nous souhaitons surtout montrer à M. Cohen et son administration que cette question remporte l’adhésion de beaucoup de monde. Nous avons quelques contacts au Grand Toulouse et il semble que cette idée soit accueillie positivement. Évidemment, tout reste à faire, et il ne suffira pas, le cas échéant, de déclarer l’ouverture des données. La mise en œuvre de cette ouevrture nécessite, encore une fois, une licence satisfaisante (comme l’ODbL v1.0) et implique aussi des efforts (mise à disposition des données sur un serveur, mise à jour régulière, etc.). La réunion de ces facteurs, c’est la liste des obstacles potentiels. Pour les surmonter, nous comptons sur des réunions de sensibilisation, mais il nous faut aussi, pour être pris au sérieux, de nombreuses signatures.

Pour finir, nous visons à court terme le lancement de l’open data dans le Grand Toulouse. Mais il s’agit seulement d’un début, bien sûr. Nous comptons à plus long terme sur l’effet d’entraînement du Grand Toulouse vis-à-vis des autres collectivités : les autres communes environnantes mais aussi le département, la région, d’autres services publics, etc.

On parle également d’open data à Rennes, Nantes ou Paris. Vous pouvez-nous en dire plus et etes-vous en relations avec les acteurs de ces villes pour fédérer les actions ?

Nous avons été un peu en contact avec LiberTIC à Nantes qui a été moteur dans l’open data sur place. Et nos homologues parisiens nous ont contacté aujourd’hui ! De fait, nous sommes intéressés par tout retour d’expérience et éventuellement collaboration sur le sujet.

Peut-on signer la lettre quand bien même nous ne sommes pas Toulousain ?

Tout à fait, la question de l’open data concerne tout le monde. Ceci dit, nous espérons tout de même une forte participation des habitants du Grand Toulouse ainsi que des environs (je songe en particulier à toutes les personnes qui travaillent dans l’agglomération toulousaine mais n’y habitent pas). C’est évidemment la première chose que regarderont M. Cohen et l’administration du Grand Toulouse.

J’ajoute, pour les personnes qui signeraient, qu’elles ne doivent pas hésiter à sensibiliser leur entourage à signer aussi !




L’expérience Sugar Labs préfigure-t-elle une révolution éducative du XXIe siècle ?

Danishkanavin - CC by-saDu projet One Laptop per Child (ou OLPC) les grands médias ont surtout retenu qu’il s’agissait de mettre un ordinateur entre les mains des enfants des pays défavorisés. Confondant la fin et les moyens ils sont alors souvent passés totalement à côté de son intérêt principal qui est pédagogique. Negroponte n’a de cesse à juste titre de le répéter : « le projet OLPC n’est pas un projet informatique, c’est un projet éducatif ».

Lorsqu’une écolière Uruguayenne et un écolier Uruguayen allument leur petit ordinateur vert, ils se retrouvent sur une interface qui est fort différente du classique environnement graphique d’un Mac, Windows ou d’une distribution GNU/Linux.

Ici on abandonne la métaphore du bureau. Applications et fichiers sont bien entendu toujours présents mais ce qui est mis en avant c’est l’interaction avec les autres, ce qui apparaîtra de suite à l’écran c’est la présence du camarade, ce sur quoi il travaille, sachant qu’il est alors facile de le rejoindre pour collaborer.

Cette interface innovante et pleine de promesses s’appelle Sugar (cf vidéo). Elle est déjà massivement utilisée dans des pays comme l’Uruguay (cf vidéo) et nous voici alors projetés à des années-lumière de ce qu’une école française peut proposer non seulement comme outil mais aussi et surtout comme conception générale de sa fonction et de ses missions[1].

En matière d’éducation et de nouvelles technologies, il y a ceux qui pensent qu’il est important de savoir comment mettre en gras dans Word, c’est-à-dire apprendre le mode d’emploi d’un logiciel propriétaire, et il y a ceux qui veulent en profiter pour… changer le monde !

Le créateur de Sugar, Walter Bender, est de ceux-là. Simon Descarpentries l’a rencontré pour nous à Paris à l’occasion de l’Open World Forum 2010 et il a gentiment accepté de nous livrer un texte inédit nous présentant la jeune fondation Sugar Labs, sa philosophie, ses objectifs et ses réalisations.

Il ne s’agit que d’un témoignage mais c’est un témoignage important car il est bien possible que se trouve là l’une des pistes possibles et souhaitables pour l’éducation de demain. Et il n’est guère étonnant de constater la convergence entre une conception dynamique, créative et collective de l’apprentissage et le logiciel libre et sa culture.

Culture communautaire : l’expérience Sugar Labs

Community culture: The experience of Sugar Labs

Walter Bender – décembre 2010 – Licence Creative Commons By-Sa
(Traduction Framalang : Siltaar, Goofy, Seb seb, Zitor, Julien et Barbidule)

Dans un article publié il y a 30 ans et intitulé « Critique de l’ordinateur contre pensée technocentrique », Seymour Papert écrivait : « le contexte du développement de l’homme est toujours la culture, jamais une technologie isolée ». Dans un autre passage du même article, Papert offre un aperçu de ce qui est nécessaire pour fonder une culture de l’apprentissage : « Si vous vous demandez que doit savoir un pratiquant averti du LOGO, la réponse va au-delà de la capacité à utiliser et enseigner le LOGO. L’adepte doit être capable de parler du LOGO, d’en faire la critique, et de discuter des critiques émises par d’autres personnes ».

30 ans après, remplaçons « LOGO » par « Sugar »

Sugar est une plateforme logicielle destinée à l’éducation des enfants. Sugar est développé et maintenu par Sugar Labs, une communauté mondiale de développeurs et d’éducateurs bénévoles. Notre objectif est l’émergence d’une génération de penseurs critiques et de gens capables d’inventer des solutions. À travers Sugar, nous nous efforçons de procurer à chaque enfant une chance d’apprendre et d’apprendre à apprendre, dans un contexte qui va lui permettre à la fois d’entamer un échange dynamique avec d’autres et de développer des moyens indépendants pour atteindre ses objectifs personnels.

Que devraient apprendre les enfants et comment devraient-ils apprendre ? Ceux qui apprennent devraient avoir accès aux idées qui nourrissent leur culture locale de même qu’aux idées puissantes qui constituent l’héritage global de l’humanité. Mais ils devraient aussi s’exercer à l’exploration et à la collaboration, et s’approprier des connaissances en menant une démarche authentiquement ouverte de recherche de solutions. Ce qui peut être réalisé au sein d’une communauté éducative construite autour d’une structure de responsabilités, c’est-à-dire avec des apprenants qui s’impliquent dans un processus d’expression, de critique et de réflexion par eux-mêmes. Qu’est-ce que j’apprends ? Comment l’ai-je appris ? Pourquoi est-ce important ? Puis-je l’enseigner à d’autres ? Est-ce que j’en ai une connaissance approfondie en l’enseignant ?

Dans cet essai, je compte exposer la façon dont Sugar nourrit une culture éducative par l’association de deux communautés – les développeurs de Sugar et ceux qui apprennent – participant à créer un « contexte favorable au développement humain » et un changement de culture scolaire.

La culture du logiciel libre

La culture du logiciel libre a influencé le développement de Sugar. Les développeurs du Libre vont au-delà du produit de consommation, ils créent et partagent leurs créations ; ils « débattent » du logiciel libre, ils en font la « critique », et ils « discutent le point de vue critique des autres ». Il ne prennent rien pour argent comptant. Les points communs entre le projet Sugar et le mouvement du logiciel libre sont les suivants : des outils pour s’exprimer, car les enfants créent des contenus autant qu’ils les consomment ; et la collaboration, car les enfants partagent leurs réalisations, s’aident mutuellement, et se lancent dans un processus de réflexion sur eux-mêmes et de critique collective.

Le projet Sugar s’inspire également de la façon dont les acteurs de la communauté du logiciel libre collaborent. Tout comme les développeurs de logiciels, les enfants discutent, se socialisent, jouent ensemble, partagent des médias, s’associent pour créer de nouveaux médias et des programmes, s’observent les uns les autres, dans un cadre à la fois formel et informel. Le projet Sugar facilite le partage, la collaboration et la critique. Les développeurs de logiciels libres et ceux qui apprennent avec Sugar rédigent des documents, échangent des livres et des images, créent de la musique ou écrivent du code ensemble. Les deux communautés s’investissent dans une « pratique de réflexion » : il s’agit de mettre en pratique leur expérience tout en étant guidé et épaulé par des « spécialistes » d’un domaine (ils peuvent être professeurs, parents, membres de la communauté dans un salon de discussion, ou encore de camarades étudiants investis dans un échange critique soutenu).

De la même façon qu’avec le logiciel libre, Sugar encourage chaque enfant à être une force créative au sein de sa communauté. L’apprentissage avec Sugar n’est pas un acte passif où l’enfant reçoit le savoir. Il est actif. On parle de créativité, d’aisance, d’innovation, et de résolution de problèmes, tout ce qui implique l’expression personnelle et les liens forts à la communauté. Sugar apporte les outils d’expression à portée des enfants pour qu’ils soient libres d’agir à l’intérieur de leur communauté et à travers leurs actions, de changer le monde. Le logiciel libre est une condition nécessaire pour établir cette culture de l’expression et de l’émancipation. Le mot d’ordre de la génération suivante d’élèves sera « montre-moi le code, que je puisse en tirer un apprentissage et l’améliorer. »

Réalisations et défis

Depuis que nous avons établi les Sugar Labs en tant que projet dans le cadre du Software Freedom Conservancy (NdT : lit. Protection des Libertés Logicielles) en 2008, nous avons démontré notre engagement à un ensemble de valeurs fondamentales qui comprennent la liberté et l’ouverture ; nous sommes devenus dans une large mesure indépendants de tout matériel et distribution (lorsque nous avons commencé, nous étions liés à une seule plateforme – le netbook XO du projet One Laptop per Child (OLPC)) ; nous avons énormément avancé sur le chemin qui conduit à une version logicielle stable 1.0 ; nous sommes forts d’une vaste communauté qui comprend près de 2 millions d’élèves utilisateurs ainsi que, bien entendu, des développeurs de logiciels et de nombreux professeurs et étudiants qui ont leur franc-parler.

Alors que nous nous débattons quotidiennement avec des défis techniques, notre défi principal est l’un des engagements avec notre communauté : comment pouvons-nous nous assurer qu’il y a un dialogue fructueux entre le développeur et les communautés éducatives liées à Sugar ? En d’autres termes, comment pouvons-nous transmettre à la communauté éducative la culture de la collaboration et de l’esprit critique qui est essentielle au développement de la plateforme Sugar, et à mieux nous permettre d’apprendre de nos utilisateurs finaux ? L’un des rôles que joue la communauté Sugar est de sensibiliser l’ensemble de l’écosystème du logiciel libre aux besoins des enseignants. Un autre rôle est de sensibiliser l’ensemble de l’écosystème éducatif au pouvoir de l’expression, de la critique et de l’auto-critique. Dans nos interactions avec les deux communautés, nous prenons grand soin de nous demander nous-mêmes : « Quel effet cela a-t-il sur l’apprentissage ? ».

Afin d’élargir nos efforts, un équilibre entre la fréquence des déploiements Sugar et la fréquence des nouveautés apportées par les Sugar Labs doit être maintenu. Nous avons un bon bilan dans notre réactivité aux besoins identifiés par les déploiements ; dans le même temps, nous sommes pro-actifs en sollicitant une plus grande participation de la communauté.

Les Sugar Labs sont aussi axés sur les besoins des enseignants. Nous avons des discussions régulières sur la façon de solliciter leurs retours. Certains initiatives, tel qu’une liste de discussions fréquentée par des enseignants et des conversations hebdomadaires sur la pédagogie sont très productives. Un exemple de notre succès est que des enseignants commencent à apporter des modifications à Sugar et à ses activités. Un autre exemple est que des professeurs d’université enseignent l’informatique avec des logiciels libres dont Sugar.

Sugar Labs se décline au pluriel

Sugar Labs est une communauté globale qui se charge de définir des objectifs clairs et de maintenir l’infrastructure dont a besoin le projet dans son ensemble. Mais la communauté Sugar encourage et facilite également la création de « labs locaux » qui apportent leurs spécificités et une autonomie pour les déploiements régionaux, y compris en partenariat avec des entreprises locales à but lucratif, ce que le Sugar Labs « central » ne peut pas faire.

Ces labs locaux :

  • adaptent la technologie et la pédagogie à la culture et aux ressources locales (ex : développement d’activités et de contenus spécifiques à une région) ;
  • aident à traduire Sugar en langues régionales ;
  • gèrent les déploiements Sugar dans les écoles de la région ;
  • créent des communautés locales adhérentes aux principes des Sugar Labs, rendant Sugar plus ouvert et autonome ;
  • permettent la communication entre ces communautés locales et la communauté mondiale Sugar Labs ;
  • hébergent, co-hébergent ou s’associent dans l’organisation de conférences, ateliers, discussions et rencontres relatifs à l’utilisation et au développement de Sugar.

Avec le temps, la charge technique se répartit sur les labs locaux (la sortie récente de « Dextrose », pour les OLPC XO construits au Paraguay, est un exemple de comment les labs locaux – menés par une communauté de volontaires – peuvent travailler ensemble pour résoudre des défis techniques et pédagogiques).

En « amont » et en « aval »

Marco Presenti Gritti, développeur Sugar et co-fondateur des Sugar Labs, me rappelait que lorsque nous avons créé les Sugar Labs, nous avons pris une décision réfléchie sur l’étendue du développement. « En suivant le modèle de l’environnement graphique GNOME, nous n’allions pas tout créer et gérer nous-même, mais nous allions nous intégrer et nous appuyer sur les distributions GNU/Linux et le projet OLPC pour le faire ».

Classiquement, un projet en amont[2] développe du code et un processus de publication. En aval, les distributions créent des paquets avec des personnalisations et distribuent un produit pour l’utilisateur final (cela implique habituellement un processus QA bien défini et un mécanisme de support).

Le spécificité éducative de notre projet a nécessité d’élargir le modèle et les communautés impliquées. Le développement et les déploiements de Sugar sont évidemment engagés dans la construction d’images, de QA, des tests, dans la recherche d’erreurs à corriger, dans la documentation, le support… qui relèvent de programmeurs experts. Mais, comme mentionné précédemment, nous travaillons également avec des étudiants et lycéens et à l’occasion un professeur qui connaît suffisamment bien le Python peut contribuer aux correctifs.

Afin de créer un produit viable et gérable, nous devions établir un équilibre entre notre travail comme projet logiciel « en amont » et les efforts « en aval » des distributeurs GNU/Linux. C’est ainsi que nous travaillons activement avec la communauté Fedora (laquelle a pris à son compte une grosse partie de la charge associée au support du matériel OLPC), la communauté Debian, openSUSE, Trisquel, Mandriva, Ubuntu (ex : le Sugar Ubuntu remixé), etc.. À l’occasion nous devons assumer un rôle de leader, comme quand nous avons pris à bras-le-corps les initiatives naissantes pour créér un Live USB« Sugar on a Stick ».

Optimisé pour la communauté

À la conférence LIBREPLANET en 2010, Eben Moglen a accordé un entretien sur tout ce qui avait été accompli par la communauté du logiciel libre. Le logiciel libre n’est plus une possibilité ; il est « indispensable », a-t-il affirmé. Ce logiciel « fiable et qui a un coût de production quasi nul » présente de nouvelles et nombreuses opportunités, en particulier dans le secteur de l’éducation, qui est toujours grevé par un budget serré. Seul le logiciel libre est « écrit une fois mais exécuté partout ».

Nous voulons aussi écrire du code fiable qui permette à Sugar d’être exécuté « partout », et nous avons réalisé de grands progrès en suivant les pas de la grande communauté GNU/Linux. Mais la communauté Sugar a un objectif supplémentaire : nous souhaitons que nos utilisateurs finaux participent également à l’amélioration du code, parce que cela participe de l’apprentissage. Si tout le monde est capable d’écrire du code et si ce code est écrit avec les modifications des utilisateurs finaux en tête, nous aurons un monde dans lequel chacun est engagé dans le « débogage », ce que Cynthia Solomon a décrit une fois comme « l’une des grandes opportunités éducatives du XXIe siècle ».

Oui la licence GPL (General Public License) utilisée par les Sugar Labs garantit que le logiciel peut être modifié par l’utilisateur final. Mais, pour la plupart des utilisateurs, ceci n’est qu’une liberté théorique si la complexité du logiciel représente une barrière insurmontable. Par conséquent, les critères habituels (fiabilité, efficacité, maintenance, etc.) sont nécessaires mais non suffisants pour l’éducation.

Aux Sugar Labs, nous faisons un pas supplémentaire en nous assurant que notre code est à la fois libre et ouvert, mais également « ouvert à la manipulation des utilisateurs finaux ».


Voici quelques actions entreprises par Sugar Labs pour encourager et faciliter les modifications des utilisateurs finaux :

  • Susciter des attentes et des envies en établissant une culture dans laquelle c’est la norme d’utiliser les libertés permises par le logiciel libre et articuler la liberté pour modifier les aspects du logiciel libre (1ère liberté).
  • Offrir des outils qui facilitent l’accès aux sources (ex : un menu « voir les sources » toujours disponible, rendant la source de chaque application à portée d’un « clic de souris »).
  • Utiliser des langages de script (Python, Javascript, et SmallTalk dans le cas de Sugar) pour que ces changements puissent être immédiats et faits directement.
  • Mettre en place des paliers pour permettre à l’utilisateur final de commencer en faisant des petits pas (alors que le langage de programmation C peut avoir une « couche haute », il n’a pas de très « basse couche »).
  • Réduire le risque associé aux erreurs en proposant des « zones tampons » ; si en touchant au code vous introduisez des bugs collatéraux ou irréversibles alors les gens seront vite conditionnés à ne pas se livrer à des comportements à « risque » en modifiant le code.
  • Fournir de « vrais » outils : s’assurez-vous que la vraie version puisse être modifiée et non une version répliquée indépendante mais peu motivante.
  • Être une communauté de soutien ; on peut dire à juste titre de la communauté Sugar qu’elle est accueillante et tolérante avec les « nouveaux venus », poser une question c’est déjà devenir membre de la communauté, nous sommes pointilleux pour ce qui concerne l’octroi de privilèges sur le « projet principal » mais nous donnons les droits pour encourager la création de branches expérimentales.

Quand on m’a demandé combien de correctifs ont été fournis par les utilisateurs de Sugar, j’ai répondu que des membres de la communauté ont contribué aux correctifs mais que je n’avais pas connaissance de correctifs apportés par des enfants. Encore faut-il faire la distinction entre correctifs envoyés et acceptés, car l’apprentissage commence en créant le correctif, en le soumettant, et en le partageant avec d’autres même lorsqu’il ne se retrouve pas accepté. Sugar a inculqué aux enfants et à leurs professeurs le sentiment qu’ils peuvent être créatifs et utiles avec l’informatique.

Cependant, après deux années d’expérience concrète de Sugar, nous commençons à voir des contributeurs émerger de sa communauté d’utilisateurs. Par exemple, en Uruguay, qui a été le premier pays à fournir des outils éducatifs libres à chaque enfant, quelques préadolescents sont en train de coder activement (un enfant de 12 ans d’une petite ville à des heures de Montevideo fréquente notre canal IRC, y pose des questions et poste du code, à la mi-décembre 2010, il a déjà envoyé huit activités sur notre portail). Quand le président uruguayen José Mujica a entendu parler de ces réalisations, il a souri et a dit avec une voix remplie de fierté : « Nous avons des hackers ». Il y a peut-être 12 enfants qui développent du logiciel libre aujourd’hui en Uruguay. L’an prochain ils seront 100. Dans 2 ans, ils seront 1000. L’Uruguay est en train d’expérimenter un changement de culture lié à un changement dans les attentes que le pays a pour ses enfants, un changement accéléré par la culture du logiciel libre.

Maximiser nos efforts

Qu’est-ce qui motive nos contributeurs et qu’est-ce qui motive les professeurs (que nous aimerions voir adopter Sugar) ?

Pour tenter d’y répondre je me suis appuyé sur l’article L’économie comportementale : les sept principes des décideurs publié par le New Economics Foundation :

  • Le comportement des autres personnes compte. Nous devons sensibiliser les professeurs aux meilleures pratiques de Sugar pour qu’ils puissent faire des émules. Pouvons-nous identifier les « génies », « contacts », « commerciaux » dans nos communautés cibles ? Quelles ressources pouvons-nous mettre en place pour les inciter à adopter Sugar ? Ainsi je travaille avec une petite école de quartier dans la ville de Boston dont l’exemple est suivi par d’autres quartiers bien plus importants. Si nous pouvons avoir une influence sur un professeur « génie » du quartier, nous pourrions avoir un gros avantage. Cela signifie également que nous devons être vigilants quant à la qualité pédagogiques de nos activités proposées.
  • Les habitudes sont importantes. Ces habitudes qui participent au status quo ne doivent pas être négligées. Qu’est-ce qui motive et encourage le changement ? Quelles actions pouvons-nous mener pour soutenir et engager les changements dans les pratiques et les comportements ?
  • Les gens sont motivés pour « faire ce qu’il faut ». Mettons alors cette notion de « faire ce qu’il faut » (NdT : do the right thing) en débat avec les enseignants, essayons de voir avec eux si leurs conceptions peuvent évoluer. En géométrie, il n’y a pas de chemin réservé aux rois, disait Euclide.
  • Les attentes des gens influencent leur comportement : ils veulent que leurs actions soient en phase avec leurs valeurs et leurs engagements. C’est un travail de longue haleine pour nous car nous ne sommes pas toujours en phase au départ avec ces attentes. Cependant, tant que nous respectons et sommes fidèles à nos valeurs, nous pouvons convaincre et avoir de l’influence.
  • Les gens sont réticents au changement de peur de perdre ce qu’ils possèdent. Utiliser Sugar à partir d’un clé USB (« Sugar on a Stick », qui emprunte seulement un ordinateur sans rien modifier dedans) n’implique aucune changement irréversible tout en permettant de faire une nouvelle expérience pédagogique.
  • Les gens hésitent souvent lorsqu’il s’agit de prendre de grandes décisions. Ils sont souvent intimidés par les perspectives d’apprentissage de nouvelles choses (jusqu’à vraiment les faire). De plus es pertes immédiates peuvent décourager et faire perdre de vue les récompenses à long terme. Nous devons accorder une grande importance à ce moment crucial du démarrage en accompagnant ceux qui acceptent de prendre un tel risque.
  • Les gens ont besoin de se sentir écoutés et impliqués pour s’engager dans le changement. Nous avons une communauté qui tente d’accorder le plus grand soin à l’accueil des participants et à l’examen de leurs contributions. Ceci est une de nos grandes forces.

Est-ce que cela fonctionne ?

L’évaluation de projets éducatifs a toujours été difficile, en partie parce qu’il est difficile d’arriver à un concensus sur les mesures d’évaluation.

Il semble plus facile de prendre le problème par la négative où le consensus sur ce qu’il ne faut pas faire est plus facile à trouver. Ainsi Michael Trucano, qui blogue sur le portail éducation de la Banque mondiale, a publié un « top 10 » des pires pratiques de l’utilisation des nouvelles technologies dans l’éducation. Liste que je prends ici comme référence négative pour le projet Sugar avec comme exemples probants et prometteurs les deux déploiements d’envergure que sont le Paraguay Educa et le Plan Ceibal en Uruguay.

1. Parachuter du matériel dans les écoles et espérer qu’un miracle se produise.

C’est une critique souvent entendue pour le projet One Laptop per Child (un ordinateur portable par enfant), mais dans le faits, il y avait d’importants mecanismes d’aide et de mise en place en Uruguay et au Paraguay avant même que le matériel ne soit livré. En Uruguay, en plus du vaste support proposé directement par le gouvernement (incluant un programme de formation des professeurs, un centre d’appel, une vidéothèque des bonnes pratiques, etc.), deux initiatives communautaires au niveau national ont vu le jour : Ceibal Jam, qui fournit des logiciels et du contenu local aux enfants d’Uruguay, et Red de Apoyo al Plan Ceibal (RAP-Ceibal), qui assure un réseau d’aide pour les professeurs. Paraguay Educa a une équipe de conseillers qui travaille à temps plein dans les écoles, en aidant les professeurs. Et les éducateurs des deux pays participent régulièrement à des forums mondiaux.

2. Concevoir via l’OCDE des environnements d’apprentissage à implémenter partout.

Les « pays développés » proposent du contenu et quelques règles de bonnes pratiques, mais ce sont avant tout les équipes pédagogiques locales en Uruguay et au Paraguay qui échangent et conçoivent leurs propres matériels et programmes pour répondre à leurs besoins locaux (par exemple, un professeur de la campagne péruvienne a écrit un livre sur l’utilisation de Sugar en salle de classe qui est internationalement lu et reconnu par les autres professeurs).

3. Penser les contenus éducatifs après la mise en place du matériel.

En Uruguay et au Paraguay, c’est la pédagogie qui a guidé la vitesse de déploiement d’un projet vu avant tout comme une plateforme d’apprentissage (incluant les ordinateurs portables, la connectivité, les serveurs, la formation, la documentation, le support, l’assistance de la communauté, etc.).

4. Supposer que vous pouvez uniquement importer du contenu venu d’ailleurs.

Le mot clé ici est « uniquement ». L’Uruguay et le Paraguay profitent bien entendu des contenus créés ailleurs (comme par exemple ceux de la communauté Etoys) mais ils n’oublient de favoriser la production de ressources locales, qu’il s’agisse de nouveaux contenus ou de contenus modifiés à partir de ceux récupérés ailleurs.

5. Ne pas surveiller, ne pas évaluer.

À Plan Ceibal, ils ont un fonctionnement étendu pour surveiller l’état du réseau, des serveurs, et des ordinateurs portables lors du déploiement. Il y a beaucoup d’évaluations en cours du programe, aussi bien internes qu’externes. Paraguay Educa a été l’objet d’une évaluation externe par la Banque Interaméricaine de Développement (IDB Inter-American Development Bank).

6. Faire un gros pari sur une technologie qui n’a pas fait ses preuves.

C’est en particulier le cas lorsque l’on se base sur un unique distributeur et sur des standards fermés et/ou propriétaires. C’est alors une épée de Damoclès qui pèse sur l’avenir du projet. Les deux programmes mentionnés ci-dessous ont fait l’objet d’appels d’offre public et ont plusieurs distributeurs. Les deux utilisent abondamment des logiciels libres.

7. Ne pas être transparent sur le coût global de l’opération.

L’Uruguay a été assidue en publiant les chiffres de leur coût total de possession, maintenance et services du projet (chiffres, basés sur les coûts mesurés sur le terrain, qui se sont avérés plus bas que ce que certains avis pessimistes avaient prévu).

8. Négliger les problèmes d’équité.

En Uruguay ce sont avant tout les familles modestes qui sont ainsi équipées en informatique avec un accès Internet gratuit.

9. Ne pas former vos professeurs (ni votre directeur d’école).

Le plus gros investissement dans le programme au Paraguay a été la formation des professeurs. C’est sûrement la principale clé de la réussite du projet et nous veillons à ce que cette formation soit toujours plus efficace et adaptée aux réalités du terrain.

Trucano laisse le point numéro 10 comme exercice ouvert pour le lecteur. J’ajouterais :

10. Ne pas impliquer la communauté.

Dans les deux communautés uruguayenne et paraguayenne l’implication fait partie du projet par nature. Pour ce qui concerne Sugar, c’est un effort d’une communauté globale qui implique des centaines d’ingénieurs et des milliers de professeurs. Un résultat remarquable est le degré d’implication des parents dans les programmes.

Regarder vers le futur

Comme il est de mise avec chaque projet piloté par une communauté, il y a un débat permanent sur la vision de Sugar. Il peut y avoir des divergences d’opinion sur l’étendue de la mission des Sugar Labs (allant d’un point d’attention particulier sur les outils de collaboration à une vision plus large sur tout ce qui est nécessaire pour des déploiements réussis de l’OLPC). Mais tout le monde s’accord à dire qu’il y a une communauté Sugar de développeurs et d’apprenants pleine de vie et d’énergie et que les plateformes d’apprentissage basées sur des logiciels libres encouragent l’appropriation du savoir quel que soit le domaine que l’apprenant explore : musique, navigation sur internet, lecture, écriture, programmation, dessins, etc.

Carla Gomez Monroy, une pédagogue qui a participé à de nos nombreux déploiements, décrit Sugar comme « un environnement émergent et collaboratif, où la communauté identifie, code, utilise, innove, conçoit et re-conçoit ses propres outils » Les membres de la communauté d’apprentissage de Sugar s’engagent dans le débogage de leur créativité et des outils mis en place pour exprimer cette créativité. Ils investissent Sugar en tant que technologie mais aussi et surtout comme une culture de l’apprentissage passant par l’expression et la critique collective.

L’expérience Sugar Labs est « une participation collaborative pour apprendre à apprendre avec des outils qui nous correspondent ».

Walter Bender est le fondateur et le directeur exécutif de Sugar Labs, une fondation à but non lucratif. En 2006, Bender a co-fondé « One Laptop per Child », une organisation à but non lucratif avec Nicholas Negroponte et Seymour Papert.

Notes

[1] Crédit photo : Danishkanavin (Creative Commons By-Sa)

[2] Dans le développement logiciel, la métaphore de la rivière est utilisée pour décrire où les différentes activités et responsabilités se situent dans l’écosystème. L’« Amont » fait référence aux auteurs et mainteneurs du logiciel. L’« Aval » fait référence aux distributeurs et aux utilisateurs du logiciel.




Un manuel sur Thunderbird pondu collégialement en 48h chrono

Thunderbird LogoIl est finalement assez rare de voir des acteurs du logiciel libre préserver la règle théâtrale classique de l’unité de temps, de lieu et d’action.

Ce qui l’est moins, c’est de voir différentes structures (Mozilla Europe, FrenchMozilla, FLOSS Manuals Francophone et Framasoft) mettre leur force en commun pour un noble objectif, en l’occurrence proposer aux utilisateurs francophones de Thunderbird un tutoriel de qualité.

Vous trouverez ci-dessous la reproduction de la page « À propos » que j’ai eu l’honneur de rédiger ainsi que le billet blog de Goofy qui annonce l’évènement.

À propos de ce manuel

Qu’est-ce qui peut bien pousser un Tourangeau, un Niçois, une Francilienne, d’autres Franciliens et même un Romain à se retrouver l’espace d’un week-end à Paris pour y travailler bénévolement sur leur temps libre ?

Un BookSprint bien sûr !

Votre mission si vous l’acceptez : traduire du début à la fin un livre de plus de cent pages en moins de trois jours ! Voilà une tâche qui s’annonçait si ce n’est prométhéenne tout du moins rébarbative.

Sauf s’il s’agit d’un livre sur Thunderbird et qu’en ce temps où nos données personnelles se promènent toujours plus nombreuses sur le Web, il n’est pas inutile de rappeler les intérêts et avantages à utiliser sur son ordinateur cet excellent client de messagerie.

Sauf si l’on s’y met tout ensemble dans la joie et dans la bonne humeur pour apporter nous aussi notre modeste pierre francophone au logiciel libre en général et à ce logiciel libre en particulier.

Un objectif motivant, la perspective d’un convivial travail collaboratif in the real life et la confiance de placer le fruit de nos efforts sous licence libre, il n’en fallait pas plus pour trouver une bonne dizaine de volontaires prêts à relever le défi.

Un défi concrétisé le 19 et 20 mars 2011 à Paris dans les bureaux de Mozilla Europe avec le soutien de FrenchMozilla, Framasoft et FLOSS Manuals Francophone.

Quant à la version originale, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’elle avait été conçue cinq mois plus tôt lors d’un… BookSprint à Toronto !

Un BookSprint en suit un autre, et à en juger par les mines fatiguées mais réjouies des participants, le mouvement n’est pas prêt de s’arrêter…

TradAction Thunderbird - Mars 2011

Votre courrier avec Thunderbird – un manuel en français

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Goofy – 9 avril 2011 – FrenchMozilla

Le fruit d’une tra­duc­tion col­la­bo­ra­tive

La ver­sion ori­gi­nale en anglais de ce manuel pour Thun­der­bird a été réa­li­sée pen­dant un books­print à Toronto au Canada à l’occa­sion d’une semaine de l’open source en novem­bre 2010 : pen­dant deux jours, une ving­taine de par­ti­ci­pants y ont con­tri­bué, à l’ins­ti­ga­tion de Mozilla Mes­sa­ging et de FLOSS Manuals.

Pour vous offrir la ver­sion fran­çaise, nous avons aussi joint nos for­ces. Mozilla Europe a pris en charge le finan­ce­ment et l’inten­dance de l’opé­ra­tion et nous a accueillis géné­reu­se­ment dans ses locaux pari­siens (merci Tris­tan et Pas­cal !), Floss manuels fr a fourni la pla­te­forme de tra­duc­tion et sa com­pé­tence atten­tive (merci Élisa), les tra­duc­teurs du milieu du Libre se sont asso­ciés : ceux de french­mo­zilla, ceux de fra­ma­lang venus en force et d’autres encore que l’aven­ture ten­tait pour cette tra­duc­tion « ouverte ».

Mieux que les cré­dits détaillés qui figu­rent dans les der­niè­res pages, c’est un grand merci qu’il faut don­ner à tous ceux qui ont con­sa­cré béné­vo­le­ment du temps libre et de l’éner­gie à cette opé­ra­tion. Le week-end (des 19-20 mars 2011) a été à la fois fié­vreux et détendu, c’était aussi une occa­sion de se ren­con­trer, de man­ger, boire et s’amu­ser ensem­ble… Et les tex­tes du manuel ont été inté­gra­le­ment tra­duits et relus une pre­mière fois en 48 heu­res. Vous le ver­rez, le manuel est aussi riche en illus­tra­tions : les nom­breu­ses cap­tu­res d’écran ont demandé un peu plus de temps, car nous tenions à ce qu’elles mon­trent l’inter­face fran­çaise.

Un manuel des­tiné à tous

Nous pen­sons que ce manuel peut être utile en par­ti­cu­lier à ceux qui décou­vrent Thun­der­bird ou hési­tent encore à l’uti­li­ser. Il les aidera à ins­tal­ler, faire les pre­miers pas et décou­vrir les pos­si­bi­li­tés de l’appli­ca­tion.

Il peut être éga­le­ment une réfé­rence pra­ti­que pour tous les béné­vo­les des forums de Gecko­zone qui assu­rent vaillam­ment l’aide et le sup­port de Thun­der­bird et qui doi­vent sou­vent répé­ter les mêmes répon­ses. Un lien vers tel ou tel cha­pi­tre peut évi­ter de trop lon­gues expli­ca­tions.

Ceux qui uti­li­sent déjà Thun­der­bird et qui ont besoin d’aller plus loin ont l’habi­tude de con­sul­ter la base de con­nais­san­ces de Thun­der­bird (merci Vin­cent qui la main­tient avec brio !). mais ils pour­ront décou­vrir ici, outre quel­ques trucs et astu­ces, les fonc­tion­na­li­tés d’une exten­sion toute récente : il s’agit de « Con­ver­sa­tions », dont Jona­than Prot­zenko, son déve­lop­peur, a fourni le cha­pi­tre-tuto­riel qui n’exis­tait pas encore dans la ver­sion anglaise. C’est un des « plus » non négli­gea­bles de ce manuel !

Pas par­fait mais par­fai­te­ment uti­li­sa­ble et évo­lu­tif

Il est libre et open source. Con­for­mé­ment à l’enga­ge­ment des co-rédac­teurs par­ti­ci­pant à la pla­te­forme Floss­ma­nuals, ce manuel sous copy­right est sous licence GNU GPL : il peut notam­ment être lu et copié libre­ment.

Plus encore, vous pou­vez y con­tri­buer ! Il vous suf­fit de vous enre­gis­trer sur la pla­te­forme de tra­duc­tion et vous pour­rez relire/révi­ser/cor­ri­ger (la chasse aux coquilles est ouverte) mais aussi bien sûr ajou­ter des phra­ses expli­ca­ti­ves voire des cha­pi­tres entiers, com­plé­ter avec de nou­vel­les cap­tu­res d’écran etc.

Nous serons atten­tifs aux déve­lop­pe­ments de Thun­der­bird et nous ferons en sorte de tenir ce guide à jour lors­que de nou­vel­les fonc­tion­na­li­tés de l’appli­ca­tion appa­raî­tront.

Le manuel est à vous !

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