Le logiciel libre et son état d’esprit inspirent déjà l’éducation de demain

Salim Fadhley - CC by-saCoup sur coup cet été à La Réunion et à Strasbourg, j’ai utilisé le logiciel Scratch pour illustrer mes conférences.

Je racontais alors l’expérience de mon élève Lucas, étiquetté « en difficulté scolaire » et qui s’était tout d’un coup totalement réveillé lorsque j’avais présenté le logiciel à la classe (jusqu’à m’envoyer le soir même dans ma boîte mail une première version d’un jeu original créé en quelques heures dans la foulée du retour chez lui)[1].

Un jour, peut-être, je trouverai le temps de relater plus en détails cette belle histoire dans un billet dédié à cet extraordinaire logiciel qu’est Scratch. Mais en attendant d’autres le font tout aussi bien que moi, en apportant en prime une réflexion globale sur les atouts et les avantages de ce type de logiciel dans le processus d’apprentissage et de sociabilisation.

Ici non seulement les enfants sont créatifs, mais créatifs à coté des autres et souvent même créatifs ensemble. Et c’est alors bien moins le fait d’utiliser des logiciels libres qui est important ici que celui d’adopter son modèle et son état d’esprit dans le processus de création,

Un cas d’école tout au long de la vie

A Case for Lifelong Kindergarten

Tina Barseghian – 26 septembre 2011 – MindShift
(Traduction Framalang : Goofy, Poupoul2, Mammig, Duthils, Sysy, Julien)

Est-ce que le meilleur environnement d’apprentissage ne serait pas le jardin d’enfants ?

Voilà une proposition surprenante qui fait partie de celles qu’envisagent des gens comme Mitch Resnick au MIT. Il s’agit du créateur de Scratch, un logiciel bien connu d’initiation à l’informatique pour débutants.

Resnick a exprimé cette idée la semaine dernière au sommet l’École de Demain soutenu par le New York Times, et y a proclamé que « les écoles devraient ressembler au chaos », un commentaire qui a enflammé la Twittosphère.

Resnick est l’un des trois lauréats du Prix McGraw de l’éducation, avec le professeur de physique Robert Beichner et Julie Young, présidente de l’École Virtuelle de Floride. Ils ont tous les trois co-écrit un article qui illustre pourquoi et comment la technologie devrait s’intégrer harmonieusement dans le processus d’apprentissage tout au long de la vie.

Voici la partie de l’article écrite par Resnick, qui cite lui-même plusieurs extraits de A New Culture of Learning: Cultivating the Imagination for a World of Constant Change de Doug Thomas et Johne Selly Brown.

Mitch Resnick

Notre objectif, au Media Lab du Massachussets Institute of Technology, est de créer des technologies qui donnent la possibilité à tout un chacun d’explorer, d’expérimenter et de s’exprimer différemment. Le groupe La Maternelle tout au long de la vie (NdT : Lifelong Kindergarten group), dont je fais partie, développe des outils pour faire vivre des expériences d’apprentissage créatif, tout en mettant l’accent sur des activités collaboratives et motivantes telles que traditionnellement utilisées dans les écoles maternelles.

Nous nous inspirons de la façon dont les élèves du jardin d’enfants apprennent en spirale : ils imaginent ce qu’ils veulent réaliser, créent un projet basé sur leurs idées, jouent individuellement avec leur création, puis partagent leurs idées et conceptions les uns avec les autres et réfléchissent alors à leur retour d’expérience. Tout ceci les conduit à concevoir de nouvelles idées et de nouveaux projets. Ce processus récursif d’apprentissage est une préparation idéale à la société très évolutive d’aujourd’hui, dans laquelle les gens doivent constamment élaborer de nouvelles solutions face aux situations inattendues qu’ils ne manqueront pas de rencontrer dans leur vie.

Nous travaillons à développer de nouvelles technologies qui, comme les cubes et la peinture au doigt de la maternelle, élargissent l’étendue de ce que les gens peuvent concevoir, créer et apprendre — et ainsi semer les graines d’une société de demain plus créative. Notre but est d’apprendre aux enfants à penser créativement, à travailler collaborativement, et à apprendre constamment — des compétences essentielles pour réussir au XXIe siècle. Nous développons une nouvelle génération de technologies qui non seulement permettent aux enfant de s’accrocher à de nouveaux concepts et à de nouvelles idées mais aussi de communiquer avec d’autres personnes, en offrant de nouvelles voies au partage, à la collaboration et à l’empathie envers tout un chacun.

Voici deux exemples, parmi mes projets, qui illustrent ce point : Scratch et le Club informatique.

Scratch est un environnement graphique de programmation destiné aux enfants de huit ans et plus. Il leur facilite la création de leurs propres histoires interactives, jeux, dessins animés et simulations — ils peuvent ensuite partager en ligne leurs créations. Environ 1 000 000 d’enfants ont rejoint la communauté en ligne de Scratch et ils y partagent plus de 2 000 projets Scratch tous les jours.

L’entrain avec lequel les enfants utilisent cette communauté en ligne démontre à quel point les relations sociales peuvent être encouragées par de nouveaux outils numériques. Les membres de la communauté Scratch sont alternativement élèves et enseignants, résolvent des problèmes et perfectionnent les programmes tous ensemble. L’extrait suivant de A New Culture of Learning: Cultivating the Imagination for a World of Constant Change, un livre récemment publié par Doug Thoas et John Seely Brown, décrit l’aventure d’un enfant de neuf ans, Sam, qui utilise Scratch pour créer ses propres jeux animations.

Scratch a quelque chose en plus qui conduit l’expérience à un niveau différent : la collectivité, une communauté d’individus avec des idées semblables qui aide Sam à apprendre et répond vraiment à ses besoins. Quand Sam publie son jeu en ligne dans cet environnement, il devient accessible à des centaines d’autres enfants qui travaillent également avec Scratch, et c’est de cette façon que les choses intéressantes commencent. Les autres joueurs ne font pas que jouer avec le jeu de Sam, car d’un simple clic sur un bouton, ils peuvent le charger dans leur propre interface de Scratch, voir le code source, et le modifier s’ils le souhaitent.

L’une des fonctions les plus importantes du site réside dans le fait que les utilisateurs ont la possibilité de commenter un projet qu’ils aiment en cliquant sur un bouton « Tu aimes ça ? » (NdT : Love it?). Ce dont Sam s’est aperçu en rejoignant les autres en ligne c’est qu’il ne créait pas uniquement des animations ou des jeux ; il faisait partie d’une communauté.

Il a bien évidemment été très enthousiaste de recevoir son premier commentaire. Mais quand nous avons demandé à Sam ce que signifiait pour lui faire partie de la communauté de Scratch, nous avons été surpris de sa réponse qui n’avait rien à voir avec la conception de jeux ou la diffusion d’animations. Sam nous a simplement dit que la chose la plus importante est de ne pas être méchant dans ses propos et de laisser des commentaires positifs quand on croise quelque chose de bien. Le jeu ne sert pas uniquement à apprendre à programmer ; il cultive aussi la citoyenneté.

Sam nous a peut-être fait le commentaire le plus révélateur de cette nouvelle culture de l’apprentissage. Quand nous lui avons demandé ce qu’il recherchait dans les programmes des autres. Il nous a dit : « quelque chose de très cool que je n’aurais jamais pu faire et connaître seul. » En jouant avec Scratch, Sam a appris beaucoup sur la programmation et sur la participation aux communautés en ligne. Mais ce qu’il a avant tout retenu c’est comment apprendre des autres.

L’exemple suivant illustre comment une fille agée de 13 ans, identifiée par le pseudo BalaBethany, a appris à programmer en interagissant en ligne avec ses pairs :

BalaBethany adore dessiner des personnages de dessins animés. Quand elle a commencé à utiliser Scratch, elle a tout naturellement programmé des histoires animées mettant en scène ses personnages. Elle a commencé à partager son projet sur le site Web de Scratch, et d’autres membres ont répondu positivement, en rédigeant des commentaires élogieux sur son projet (« Super ! », « Bon sang, j’adore !!! »…), tout en lui posant des questions concrètes et pragmatiques sur la manière dont elle avait réalisé certains effets (« Comment as-tu fait pour que le lutin devienne transparent ? »…). Encouragée, BalaBethany a alors créé et partagé régulièrement sur Scratch de nouveaux projets, tel celui ambitieux d’une simulation d’une série télé.

Régulièrement elle ajoutait un nouveau personnage à sa série et elle s’est un jour demandée si elle n’impliquerait pas toute la communauté Scratch dans le processus. Elle a alors créé et déposé un nouveau projet sur Scratch qui annoncait un « concours », demandant aux autres membres de la communauté de dessiner la sœur de l’un des personnages. Le projet listait des éléments qui devaient faire partie du nouveau personnage, comme Doit avoir des cheveux rouges ou bleus, merci de choisir et Doit avoir soit un chat ou une corne de bélier, ou un mélange des deux.

Le projet a reçu plus de 100 commentaires. L’un d’eux venait d’une membre de la communauté qui voulait bien participer au concours mais qui disait qu’elle ne savait pas dessiner des personnages de dessins animés. BalaBethany a alors pris le temps de produire un autre projet, un tutoriel pas à pas montrant en 13 étapes comment dessiner et colorier un personnage animé.

En une année, BalaBethany a programmé et partagé plus de 200 projets Scratch dans divers domaines (histoires, concours, tutoriaux, et bien d’autres). Aussi bien ses talents de programmatrice que ses talents artistiques se sont développés, et ses projets ont été très bien accueillis par la communauté Scratch, puisqu’elle a reçu pas moins de 12 000 commentaires.

L’un des groupes du MIT a également fondé le projet Club d’informatique, un réseau international d’une centaine de centres aérés où des enfants défavorisés âgés de 10 à 18 ans peuvent exprimer leur créativité en utilisant les nouvelles technologies. Avec l’aide d’un animateur, les participants créent des histoires interactives, des clips, et construisent des robots. L’extrait suivant souligne comment la technologie peut aider les enfants à forger leur identité et à s’imposer comme membres à part entière d’un groupe :

Observons Mike Lee, qui a passé du temps au club informatique de Huston. Mike a commencé à venir au club après avoir quitté le lycée. Il était passionné par le dessin. Il remplissait des carnets les uns après les autres avec des personnages de dessin animé. Au club, Mike a développé une nouvelle méthode pour ses dessins. Pour commencer, il dessinait des croquis à la main en noir et blanc. Puis, il a scanné ses croquis et les a colorié à l’ordinateur.

Avec le temps, Mike a appris à utiliser des techniques informatiques plus complexes pour ses dessins. Les créations de Mike impressionnaient tout le monde au club, puis d’autres jeunes ont commencé à venir le voir pour avoir des conseils. Certains membres se sont ouvertement inspirés du style artistique de Mike. Bientôt, une collection de dessins « à la manière de Mike Lee » est paru dans le journal du club. « C’était assez flatteur », disait Mike.

Pour la première fois de sa vie, d’autres personnes faisaient attention à Mike. Il a commencé à ressentir un sentiment nouveau de responsabilité. Il a décidé de ne plus utiliser d’armes à feu dans ses dessins, pensant que cela pouvait avoir une mauvaise influence sur les plus jeunes membres du club. Mike explique : « Mon travail personnel concerne souvent la violence urbaine. Un de mes amis s’est fait tirer dessus et est décédé. Mais je ne veux pas amener ça ici. Les enfants ne comprennent pas forcément bien les armes ; ils pensent que c’est cool. Ils voient un combat, c’est naturel qu’ils veuillent aller voir. Ils ne comprennent pas. Ce sont juste des enfants. »

Mike s’est mis ensuite à travailler avec d’autres clubs sur des projects collaboratifs. Ensemble, ils ont créé une galerie d’art virtuelle sur le Web. Une fois par semaine, ils ont rencontré un artiste local qui a bien voulu encadrer le projet. Au bout d’un an, leur galerie virtuelle fut acceptée comme exposition au Siggraph, la première conférence mondiale des arts graphiques numériques. Cette expérience l’a porté vers de nouvelles techniques artistiques. Il a ajouté de plus en plus d’effets informatiques, et a entamé un travail sur des collages numériques combinant des photographies et du dessin, tout en conservant son style particulier. Avec le temps, Mike a exploré comment il pouvait utiliser son ses talents pour en faire une sorte de commentaire social et d’expression politique.

Pendant qu’il venait au club, Mike Lee a clairement appris beaucoup de choses dans le domaine de l’informatique et l’infographie. Mais il a également commencé à développer sa propre idée de l’enseignement et de l’apprentissage. « Au club, j’étais libre de faire ce que je voulais, d’apprendre ce que je voulais », disait Mike. « Si j’avais suivi des cours d’informatique dans une école, il y aurait eu trop de contraintes. Ici je pouvais créer en totale liberté.» Mike se rappelle — et apprécie — la manière dont les animateurs du club l’on accueilli quand il est arrivé au club. Ils lui ont demandé de dessiner un logo pour l’entrée du club. Ils n’ont jamais pensé à lui comme un « exclu du lycée » mais comme un créateur potentiel.

Après plusieurs années en tant que bénévole au club, Mike a obtenu une équivalence du Bac, puis a obtenu un emploi d’infographiste dans une entreprise de haute technologie près de Boston, concevant graphiquement les pages web, les catalogues et les brochures de la société.

L’expérience de Mike au club informatique illustre la puissance de l’interaction entre les gens ainsi que l’utilisation du numérique en apprentissage pour aider et encourager un débutant qui se sentait mal à l’aise dans son environnement scolaire traditionnel. Avec l’accès à la technologie et au réseau social du club informatique, Mike a appris à développer ses dons artistiques, à partager son savoir et son talent avec d’autres et à devenir un membre actif et créatif de la communauté.

Notes

[1] Crédit photo : Salim Fadhley (Creative Commons By-Sa)




20 ans de plus pour le Copyright musical en Europe : C’est là qu’est le véritable Vol !

Alan Stanton - CC by-saL’Europe prolonge de 20 ans les droits des interprètes et producteurs de musique pouvait-on lire dans Le Monde il y a un mois.

Pourquoi 20 ans au fait ? Et nous a-t-on jamais demandé notre avis ? D’ailleurs pourquoi 20 ans de plus et pas de 20 ans de moins ?

C’est ce que se demande, non sans une certaine (acide) ironie, l’un de ceux que nous traduisions le plus à Framalang : notre ami Glyn Moody[1].

Le copyright c’est le vol

Copyright Theft

Glyn Moody – 13 septembre 2011 – Blog personnel
(Traduction Framalang : Nilux, ZeHiro, Duthils et Penguin)

L’idée de « vol de copyright » est très répandue et l’idée que les gens « volent » du contenu numérique aux créateurs, sont des figures de style récurrentes chez les maximalistes du droit d’auteur. Tout ceci n’est bien sûr que des âneries. La loi stipule clairement qu’il ne s’agit que d’infraction au droit d’auteur, et la logique nous prouve que la copie numérique n’est pas du vol, puisqu’elle ne prive de rien, mais multiplie.

On peut effectivement se poser la question de savoir si la duplication non autorisée engendre une perte de revenus, mais la réponse n’est pas aussi simple que ce que l’on voudrait nous faire croire. Un large éventail d’études démontre que ce partage stimulerait les ventes, agissant comme une sorte de marketing officieux – et gratuit.

C’est pourquoi j’ai longtemps préconisé des recherches indépendantes sur ce sujet – après tout, si les industries liées au droit d’auteur sont si sûres que le partage de fichiers engendre des pertes de revenus, qu’auraient-elles à craindre d’études objectives à ce sujet ? Pourtant, elles semblent réticentes ne serait-ce qu’à envisager cette idée.

Mais quels que soient vos avis sur ce problème en particulier, il y a de grandes chances que ce qui suit ne fasse que l’aggraver :

Le Conseil Européen a adopté aujourd’hui, à la majorité qualifiée, une directive qui fait passer de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs d’enregistrements musicaux dans l’UE.

Sur le plan pratique, cela signifie qu’il y a très peu de chances que je – ou n’importe lequel de mes contemporains qui soit plus mélomane que moi – puisse un jour utiliser la musique d’aujourd’hui pour créer de nouvelles œuvres. Tout comme avec les autres médias, la musique enregistrée aujourd’hui vivra pendant près d’une centaine d’années dans une bulle aseptisée dans laquelle personne ne sera autorisé à entrer.

Tout ceci est théorique et très éloigné de nous ; il n’est peut-être pas évident de voir où est le problème. Examinons donc de plus près ce qu’il s’est passé en imaginant un étrange monde parallèle, remarquablement identique au nôtre, dans lequel ceci se serait produit:

Le Conseil Européen a aujourd’hui adopté à la majorité qualifiée une directive réduisant la durée de protection des droits des des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs d’enregistrements musicaux dans l’UE de 50 à 30 ans.

Comme vous pouvez le constater, ce monde est presque strictement identique au nôtre, à la légère différence que la durée de validité du droit d’auteur pour les enregistrements musicaux a été raccourcie de 20 ans au lieu d’être allongée. Légère différence, penseriez-vous – après tout, 20 ans de plus ou moins, qu’est-ce que cela change ? Si on peut rallonger cette durée, on peut aussi la raccourcir, non ?

Mais dans ce monde parallèle, imaginez les hurlements de douleur et de colère qui émaneraient de l’industrie musicale face à cette réappropriation outrageuse et injustifiée de ce qui leur revient de droit. Les musiciens descendraient manifester dans la rue, et les compagnies vivant sur leur dos activeraient comme jamais leurs groupes de pression pour inverser cette terrible décision.

Heureusement pour eux, il ne s’agit que d’un monde parallèle. Mais grâce à la symétrie du droit d’auteur – c’est-à-dire le fait qu’il soit une aubaine aussi bien pour les créateurs que pour leur public, les premiers obtenant un monopole temporaire en échange d’un passage dans le domaine public une fois ce monopole expiré – c’est vous, moi et chaque membre de ce nébuleux public – qui sommes dépossédés. À la seule différence que personne n’est descendu dans la rue pour protester.

Quand les musiciens ont enregistré leurs chansons, l’accord était qu’ils recevraient des droits d’auteurs pendant 50 ans (ou moins, selon l’époque à laquelle ils les ont enregistrées). En contrepartie de ces 50 ans, ils acceptaient que le domaine public s’en voie enrichi pour que nous, le public, puissions faire ce que bon nous semble de cette musique.

Ce pacte, accepté librement par les deux parties, vient tout juste d’être brisé. Les enregistrements n’entreront plus dans le domaine public à la date convenue ; au lieu de ça, nous devrons attendre 20 années de plus. Dans les faits, on nous a volé 20 ans de domaine public, vu que rien ne nous a été donné en échange de cette perte soudaine.

Il n’y a donc pas à chipoter pour savoir s’il s’agit de vol ou non, puisque quelque chose nous a été pris sans que l’on nous en demande la permission. Oui, le Conseil Européen est censé, en théorie, agir en notre nom, mais je ne me souviens pas que l’on m’ait, à aucun moment, demandé mon accord. Le fait est que le Conseil a agi de façon unilatérale, à l’injonction de l’industrie musicale qui voulait le beurre et l’argent du beurre – et non parce que nous, le public, demandions aux politiciens de changer la loi en ce sens pour nous rendre plus pauvres que nous ne l’étions.

Voilà ce qu’est le vrai vol de droit d’auteur : on vole le public par une extension injustifiée et non démocratique du droit d’auteur.

Notes

[1] Crédit photo : Alan Stanton (Creative Commons)




Le projet Replicant ou Android totalement libre présenté par PaulK

Replicant Logo« Android représente une étape majeure vers un téléphone portable libre qui soit contrôlé par l’utilisateur, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Les hackers travaillent sur Replicant, mais c’est un gros travail de rendre un nouveau modèle compatible, et il reste encore le problème du micrologiciel. Même si les téléphones Android d’aujourd’hui sont considérablement moins mauvais que les smartphones d’Apple ou de Windows, on ne peut pas dire qu’ils respectent vos libertés. »

Ainsi se termine l’article de Richard Stallman consacré à Android et la liberté des utilisateurs. On y évoque donc le projet Replicant qui vise à produire un dérivé entièrement libre du système d’exploitation de Google.

Or il se trouve que nous avons la chance d’avoir l’un des développeurs du projet parmi les membres traducteurs de Framalang. Il eut été alors dommage de ne pas en profiter pour en savoir plus et comprendre la difficulté qu’il y a à tenter de libérer totalement un téléphone portable.

On notera que ce développeur est encore lycéen, ce qui fournit au passage un excellent témoignage d’une jeunesse qui, ayant découvert le logiciel libre, n’a plus forcément envie de passer tout son temps sur Facebook 🙂

Le projet Replicant, présenté par le développeur PaulK

Présentation de PaulK, un des deux développeurs du projet Replicant

Je m’appelle Paul et me présente souvent sous le pseudo « PaulK ». Je suis actuellement lycéen (en filière scientifique) et utilise du logiciel libre depuis 2008.

J’ai commencé avec l’utilisation de Ubuntu 8.04, en dual boot avec Windows à l’époque. En décembre 2009, j’ai décidé de passer sur Fedora, qui respectait mieux ma vision de l’informatique libre (en mettant en avant la liberté et non le seul caractère « Open Source »). Déjà à l’époque, j’étais un fervent lecteur du framablog et enthousiaste des projets de Framasoft. J’ai progressivement commencé à appendre la programmation (en C) et me suis finalement débarrassé de mes partitions Windows. J’ai aussi commencé à contribuer à certains projets proches du monde du logiciel libre, comme OpenStreetMap.

Début 2010, j’ai commencé à m’intéresser aux différentes solutions des plus libres dans le domaine de la téléphonie mobile. Je suis finalement tombé sur le site web du projet Replicant et suis allé jeter un œil sur le canal irc du projet (#replicant sur irc.freenode.net) : j’y ai trouvé le développeur principal du projet, qui, connaissant très bien la question m’a exposé les différentes solutions existantes. J’ai opté pour le Neo FreeRunner, le téléphone « le plus libre » (100% de logiciel libre tournant sur le CPU) avec à la fois une communauté francophone et internationale dédiée au projet. Je l’ai utilisé comme téléphone principal mais l’ai endommagé (avec mon fer à souder) par mégarde , après de nombreux mois d’utilisation. Pour trouver un successeur, je suis revenu sur le salon IRC du projet Replicant pour finalement choisir un HTC Dream, sur lequel j’ai installé Replicant. J’ai ensuite commencé à vouloir aider au développement du projet, après avoir compilé mes premières images du système.

En effet, depuis que j’ai commencé à utiliser GNU/Linux, mon intérêt pour la programmation n’a cessé de croitre et j’ai finalement manipulé un certain nombre de languages : C, Perl, Javascript, Lua… Contribuer au projet Replicant m’a, entre autres, permis d’apprendre les bases de Git, de comprendre et modifier des drivers du noyau, de mettre en application très concrète mes connaissances en C…

Depuis plusieurs mois, je concentre mon attention sur le support du Nexus S, le dernier téléphone de Google/Samsung.

Présentation du projet Replicant

Le projet Replicant vise à produire un dérivé entièrement libre d’Android, le système d’exploitation destiné au matériel embarqué (et originellement aux téléphones) produit par l’« Android Open Source Project » (désigné par AOSP) , dirigé par l’« Open Handset Alliance », qui est menée par Google. La version d’Android telle que produite par l’AOSP contient du code provenant de divers horizons et distribué sous diverses licences : du code sous GNU GPL, du code sous BSD et par exemple pour ce qui a été écrit par l’AOSP, du code sous licence Apache 2. A l’exception de quelques micro-logiciels (firmwares), le code d’Android tel que fourni par l’AOSP est libre.

On peut donc télécharger ce code source, éventuellement retirer ces firmwares et le compiler afin d’obtenir un système totalement libre. Le problème principal ici est qu’une telle version d’Android serait absolument inutilisables sur un téléphone. Seul l’émulateur Android (celui présent dans le « SDK ») fonctionnerait sans poser de soucis.

En effet, la grande majorité des téléphones fonctionnant sous Android nécessitent, à un moment ou à un autre, des librairies, programmes ou firmwares non-libres. La quasi-totalité de ces composants non-libres touchent directement à la communication avec le matériel : du traitement des données en provenance des accéléromètres jusqu’au composant en charge de dialoguer avec le modem (ce qui gère toutes les fonctions liées à la téléphonie, à l’envoi des messages, à la connexion 3G, etc).

Le projet Replicant a donc deux objectifs :

  • fournir un système basé sur Android entièrement libre
  • écrire des remplacements aux composants non-libres afin de pouvoir utiliser le téléphone avec Replicant « pour de vrai ».

Chaque appareil ayant ses particularités, son propre matériel, il faut un noyau particulier par appareil, une image du système avec les librairies et les configurations adaptées par appareil, ce qui demande de faire le travail séparément pour chaque appareil : il n’y a pas de remplacement miracle qui marcherait avec tous les appareils Android d’un coup lorsqu’il s’agit de fonctions bas-niveau touchant au matériel. Ceci rend donc le travail très long et demande aussi au développeur de posséder chaque téléphone sur lequel il travaille.

L’état actuel du projet

Pour l’instant, le nombre de téléphones supportés par le projet Replicant est relativement réduit : en effet, seuls deux développeurs font partie du projet, mêmes si des aides extérieures sont souvent là pour participer au développement. A l’heure actuelle (fin 2011), les modèle suivants sont utilisables : HTC Dream, HTC Magic, Google Nexus One (nécessite des firmwares non-libres pour que l’audio fonctionne) et le Google Nexus S n’est pas encore prêt dans le sens où les fonctions liées à la téléphonie n’ont pas encore été libérées (mais le travail est en cours).

La liste plus détaillée des fonctionnalités présentes avec Replicant pour chaque téléphone est disponible sur cette page.

De plus, le projet dispose d’un site web, où sont postées les dernières nouvelles du projet, d’une liste de diffusion et d’un canal IRC.

Petit historique du projet

Replicant n’est pas un projet très ancien : démarré à l’été 2010 afin de rassembler plusieurs initiatives isolées visant à produire une version entièrement libre dérivée d’Android pour le premier « Google phone », le HTC Dream, le projet a vite abouti à l’écriture de code pour remplacer les parties non-libres : le premier composant non-libre à avoir été remplacé a permis à l’audio de fonctionner sans composants non-libres. L’idée de créer un dépôt libre d’applications, s’accompagnant d’un logiciel client pour Android (et donc Replicant) a également été envisagé assez rapidement, mais cette première tentative n’a pas abouti. Plus tard, le projet Fdroid viendra combler ce manque, fournissant un dépôt d’applications libres faisant directement office de remplacement à l’« Android market ». La partie gérant la communication avec le modem (dite « RIL ») a ensuite été remplacée par du code libre, rendant ainsi le téléphone utilisable. Une librairie pour le GPS a aussi été adaptée à partir de code libre destiné à un autre téléphone. L’horizon du projet s’est également élargie avec le début du port de Replicant sur le Nexus One, qui a d’ailleurs été offert au développeur principal par Google, preuve de leur intérêt ou curiosité pour le projet Replicant. Maintenant, c’est le Google Nexus S qui est en train d’être porté sur Replicant (mais aussi sur GNU/Linux, au sein du projet SHR).

Le problème des firmwares malveillants, ou le problème principal auquel Replicant ne peut pas apporter de solutions

Si nous nous efforçons de produire des remplacements libres pour la plupart des composants non-libres présents les version d’Android distribuées avec les téléphones, il y a certains composants qu’il nous est (pour l’instant) impossible de remplacer. C’est en effet particulièrement le cas de certains firmwares, tels que le logiciel (non-libre) qui est exécuté sur le modem. Aucun des développeurs du projet n’a les compétences techniques pour réaliser une alternative libre à ce composant et de toute façon, il ne serait pas légal d’exécuter un tel logiciel sur les réseaux des opérateurs. En effet, ceux-ci ne seraient pas certifiés. Le seul projet de remplacement libre du logiciel contenu dans le modem se nomme OsmocomBB et devrait fonctionner sur un nombre très réduit de téléphones, incluant le Neo FreeRunner (qui n’a par défaut pas de logiciel libre sur le modem mais bien un logiciel propriétaire). Pour plus de détails, reportez-vous à la page présentant les aspects légaux du projet.

Si le logiciel exécuté sur le modem est forcément non-libre, alors tout ce qui est connecté directement au modem est nécessairement compromis : si le GPS est attaché au modem et non au processeur principal, le GPS est contrôlé par un logiciel non-libre qui, s’il gère par exemple également la connexion de données (3G), ce qui est le cas pour un modem, pourra éventuellement recevoir ou envoyer des informations obtenues du GPS, telles que la position très précise de l’utilisateur, à tout moment et sans aucun contrôle possible de la part de l’utilisateur. Ainsi, si le matériel est fait d’une telle sorte, utiliser Replicant sur le processeur n’aidera pas à solutionner ce genre de problème.

Un des freins majeurs au développement de Replicant : l’incapacité d’installer une image non-officielle d’Android sur beaucoup de téléphones

En effet, un nombre très important (pour ne pas dire la majorité) des téléphones Android n’offrent aucun moyen à l’utilisateur d’installer un système non-officiel sur son téléphone. Comme s’il était interdit et impossible de changer le système d’exploitation de son ordinateur. Toutefois, sur certains téléphones, il est possible, d’une manière ou d’une autre, de permettre à l’utilisateur de replacer son système actuel par une autre version, pas nécessairement officielle, d’Android. Cette pratique s’appelle le « rooting » du téléphone. Il s’agit généralement d’exploiter une faille de sécurité présente sur le système Android afin d’obtenir les droits root et ainsi de pouvoir écrire un petit logiciel qui permettra par la suite de remplacer le système d’exploitation du téléphone. D’autres méthodes de « rooting » du téléphone consistent à modifier le chargeur de démarrage (dit « bootloader ») du téléphone afin que celui-ci propose l’installation de nouvelles images (il s’agit des fichiers contenant le système Android, le noyau, etc). Alors que la première technique est souvent sans danger, même si elle va dans la plupart des cas rompre la garantie, la seconde technique peut rendre le téléphone inutilisable : si le chargeur de démarrage est altéré au point de ne plus pouvoir fonctionner, le téléphone ne démarrera plus. Ceci n’est, dans la plupart des cas, pas irréversible mais demandera un matériel adapté et une connaissance spécifique pour remettre le téléphone en état.

Toutefois, la plupart des constructeurs réalisent maintenant qu’il est dans leur intérêt de proposer des chargeurs de démarrage permettant d’installer d’autres systèmes d’exploitation, et encouragent parfois le développement de tels systèmes. Le projet CyanongeMod[1], dérivé d’Android et sur lequel Replicant se base en est un bon exemple : plusieurs constructeurs tels que Samsung ou Sony Ericsson sont en effet très favorables au développement de CyanogenMod pour leurs téléphones (même s’il ne s’agit pas encore de vendre des téléphones avec CyanogenMod pré-installé).

De plus, les « Google phones », le T-Mobile G1, le Nexus One et le Nexus S sont eux-aussi munis d’un chargeur de démarrage permettant l’installation de systèmes non-officiels.

Notes

[1] CyanogenMod est un fork d’Android : des modifications sont apportées aux sources d’Android telles que mises à disposition par l’AOSP ainsi que le support pour tous les téléphones qui ne sont pas des « Google phones » (le code de l’AOSP ne couvre que les Google phones). Replicant est lui-même un fork de CyanogenMod et profite ainsi des améliorations apportées par ce projet.




Android et la liberté des utilisateurs par Richard Stallman

Laihiuyeung Ryanne - CC byAndroid, le système d’exploitation de Google pour la téléphonie mobile, est-il véritablement un logiciel libre ?

C’est la question que s’est posée récemment Richard Stallman dans le colonne du Guardian.

« Presque » pourrait être une réponse optimiste. Mais c’est un presque subtil et complexe qui demande quelques explications et éclaircissements[1].

Parce qu’ici comme ailleurs, le diable se cache souvent dans les détails…

Android et la liberté des utilisateurs

Android and Users’ Freedom

Richard Stallman – 19 septembre 2011 – GNU.org
Traduction : Sylvain Le Menn – Creative Commons BY-ND

Dans quelle mesure est-ce qu’Android respecte les libertés de ses utilisateurs ? Pour l’utilisateur d’un ordinateur qui chérit la liberté, c’est la question la plus importante à se poser pour tout logiciel.

Dans le mouvement du logiciel libre, nous concevons des logiciels qui respectent les libertés des utilisateurs de sorte que vous comme moi puissiez échapper à l’emprise de ceux qui les dénient. Cela contraste avec l’idée de l’« open source » qui se concentre sur la façon de concevoir le code ; c’est une réflexion différente qui s’intéresse principalement à la qualité du code plutôt qu’à la liberté. Ainsi, le souci principal n’est pas de savoir si Android est « ouvert », mais s’il permet à celui qui l’utilise d’être libre.

Android est un système d’exploitation orienté principalement vers les téléphones portables. Il est constitué du noyau Linux (le noyau de Torvalds), quelques bibliothèques, une plateforme Java, et quelques applications. Sans parler de Linux, le logiciel d’Android versions 1 et 2 a été concu essentiellement par Google. Google l’a sorti sous la licence Apache 2.0, qui est une licence libre permissive sans copyleft.

La version de Linux incluse dans Android n’est pas un logiciel entièrement libre puisque qu’il contient des morceaux de code non libres (des « binary blobs »), tout comme la version de Torvalds de Linux, dont quelques-uns sont réellement utilisés dans des machines tournant sous Android. Les plateformes Android utilisent des microprogrammes non libres aussi, ainsi que des bibliothèques non libres. À part cela, le code source des versions 1 et 2 d’Android telles que faites par Google sont libres, mais ce code est insuffisant pour faire tourner l’appareil. Quelques applications qui viennent généralement avec Android sont aussi non libres.

Android est très différent du système d’exploitation GNU/Linux, car il contient très peu de GNU. En effet, le seul élément commun entre Android et GNU/Linux se résume à peu près à Linux, le noyau. Les gens qui font l’erreur de croire que « Linux » fait référence à la totalité de l’écosystème GNU/Linux s’emmêlent les pinceaux, et font des affirmations paradoxales telles que « Android contient Linux, mais ce n’est pas Linux ». Si nous évitons cette confusion au départ, la situation est simple : Android contient Linux, mais pas GNU. Ainsi Android et GNU/Linux sont majoritairement différents.

À l’intérieur d’Android, le noyau Linux reste un programme séparé, avec le code source sous licence GNU GPL version 2. Combiner Linux avec le code sous licence Apache 2.0 représenterait une violation du copyright, puisque les licences GPL version 2.0 et Apache 2.0 sont incompatibles. Les rumeurs que Google a d’une manière ou d’une autre fait passer Linux sous licence Apache sont fausses. Google n’a aucun pouvoir pour changer la licence du code de Linux, et n’a pas essayé de le faire. Si les auteurs de Linux autorisaient son usage sous la version 3 de la licence GPL, ensuite ce code pourrait être combiné avec un code sous licence Apache, et la combinaison pourrait être rendue publique sous licence GPL version 3. Mais Linux n’a pas été publié ainsi.

Google a respecté les règles de la licence GPL (General Public License ou Licence publique générale) pour Linux, mais la licence Apache sur le reste d’Android n’oblige pas à montrer le code. Google a dit qu’ils n’allaient jamais publier le code d’Android 3.0 (à part Linux), même si les exécutables ont été rendus disponibles pour le public. Le code source d’Android 3.1 est aussi retenu. Ainsi, Android 3, en dehors de Linux, est purement et simplement du logiciel non libre.

Google a dit qu’ils gardaient le code source de la version 3.0 parce qu’il était bogué, et que les gens devraient attendre la version d’après. Cela pourrait être un bon conseil pour ceux qui veulent juste faire tourner le système Android, mais les utilisateurs devraient être ceux qui prennent ces décisions. Et de toutes façons les développeurs et les bidouilleurs qui voudraient inclure des changements dans leurs propres versions pourraient très bien utiliser ce code.

Le fait de ne pas rendre publique deux versions du code source est source d’inquiétudes dans le sens que Google pourrait vouloir rendre Android propriétaire de manière permanente, que la publication de quelques versions d’Android ait été une stratégie temporaire afin d’obtenir l’aide de la communauté pour améliorer un logiciel propriétaire. Espérons que ce n’est pas le cas.

Dans tous les cas, la plupart du code source de plusieurs versions d’Android ont été publiées en tant que logiciel libre. Est-ce que ça veut dire que des machines qui utilisent ces versions d’Android respectent les libertés de l’utilisateur ? Non, ce n’est pas le cas pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la majorité des versions comprend des applications non libres de Google pour communiquer avec des services tels que Youtube et Google Maps. Celles-ci ne font pas officiellement partie d’Android, mais cela n’en fait pas un bon produit pour autant. Il y a aussi la présence de bibliothèques non libres. Qu’elles fassent partie d’Android ou pas est discutable, ce qui importe c’est que beaucoup de fonctionnalités en dépendent.

Même les exécutables qui font officiellement partie d’Android peuvent ne pas correspondre au code des versions de Google. Les constructeurs peuvent changer le code, et bien souvent ils ne publient pas le code source de leurs versions. La licence GNU GPL les oblige, en théorie, à redistribuer le code de leurs versions de Linux. Le reste du code sous licence Apache ne les oblige pas à publier le code source des versions qu’ils utilisent réellement.

Replicant, une version libre d’Android qui n’est compatible qu’avec quelques modèles de téléphones, a remplacé beaucoup de bibliothèques, et peut fonctionner sans les applications non libres. Mais il y a d’autres problèmes.

Certains modèles sont conçus pour empêcher leur propriétaire d’installer et de modifier le logiciel. Dans cette situation, les exécutables ne sont pas libres, même s’ils sont faits à partir d’une source libre qui est disponible pour vous. Cependant, certains appareils Android peuvent être «?rootés?», ce qui permet aux utilisateurs d’y installer d’autres logiciels.

Les micrologiciels importants et les pilotes sont généralement propriétaires aussi. Ceux-ci gèrent le matériel pour le réseau, la radio, le wifi, le bluetooth, le GPS, l’accélération 3D, l’appareil photo, les hauts-parleurs, et dans certains cas le microphone aussi. Sur certains modèles, quelques-uns de ces pilotes sont libres, et pour certains on peut s’en passer, mais le microphone et l’accès au réseau sont plutôt indispensables.

Le micrologiciel qui gère l’accès au réseau est préinstallé. Si tout ce que le programme se contentait de faire était de tourner dans son coin, on pourrait le considèrer comme un simple circuit. Quand on insiste sur le fait qu’un logiciel dans un ordinateur doit être libre, on peut passer sur un micrologiciel préinstallé qui ne sera jamais mis à jour, car cela ne fait pas de différence pour l’utilisateur que c’est un programme plutôt qu’un circuit.

Malheureusement, dans ce cas ce serait un circuit malveillant. Des fonctions malveillantes sont inacceptables, quelle que soit la manière dont elles sont implémentées.

Sur la plupart des téléphones Android, ce micrologiciel a tellement de contrôle qu’il pourrait transformer le produit en un appareil d’écoute. Sur certains, il peut prendre le contrôle entier de l’ordinateur principal, à travers la mémoire partagée, et peut ainsi supplanter ou remplacer le logiciel libre que vous avez installé. Avec certains modèles, il est possible d’exercer un contrôle à distance sur ce micrologiciel, et ainsi sur le téléphone tout entier, à travers le logiciel permettant l’accès au réseau. Le principe du logiciel libre, c’est d’avoir le contrôle sur la machine, et cet appareil en l’occurence ne remplit pas cette mission. Bien que n’importe quel système informatique puisse avoir des bogues, ces appareils peuvent être des bogues (Craig Murray, dans Meurtre à Samarkand, fait le récit de son rôle dans une opération de renseignement qui convertit un téléphone portable sans Android d’une cible peu suspicieuse en un appareil d’écoute).

En tout cas, le micrologiciel du téléphone permettant l’accès au réseau n’est pas l’équivalent d’un circuit, car le matériel permet l’installation de nouvelles versions, et il fonctionne dans ce but d’ailleurs. Puisque c’est un micrologiciel propriétaire, en pratique seul le fabricant peut faire de nouvelles versions, les utilisateurs ne le peuvent pas.

Pour résumer, on peut tolérer des versions non libres des micrologiciels gérant l’accès au réseau à la condition que des mises à jour ne seront pas téléchargées, elles ne prendront ainsi pas contrôle de l’ordinateur principal, et il peut seulement communiquer quand et si le système d’exploitation libre le permet. En d’autres termes, il doit avoir un fonctionnement équivalent à un circuit, et ce circuit ne doit pas être malveillant. Il n’y a pas d’obstacles à construire un téléphone Android qui a ces caractéristiques, mais nous n’en connaissons aucun.

De récentes couvertures médiatiques se sont intéressées aux guerres de brevets. Pendant les 20 ans de campagne qui ont été consacrés à l’abolition des brevets logiciels, nous avons prévenu que de telles guerres pouvaient arriver. Les brevets logiciels pourraient contraindre à la disparition de fonctions dans Android, ou même le rendre indisponible (consultez endsoftpatents.org pour plus d’informations sur les raisons nécessitant l’abolition des brevets logiciels).

Pourtant, les attaques sur les brevets, et les réponses de Google, n’ont pas de lien direct avec le sujet de cet article : comment les produits Android sont proches d’un système de distribution éthique, et comment ils échouent de peu. Ce problème mérite l’attention de la presse aussi.

Android représente une étape majeure vers un téléphone portable libre qui soit contrôlé par l’utilisateur, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Les hackers travaillent sur Replicant, mais c’est un gros travail de rendre un nouveau modèle compatible, et il reste encore le problème du micrologiciel. Même si les téléphones Android d’aujourd’hui sont considérablement moins mauvais que les smartphones d’Apple ou de Windows, on ne peut pas dire qu’ils respectent vos libertés.

Notes

[1] Crédit photo : Laihiuyeung Ryanne (Creative Commons By)




La promotion du Web Ouvert a bien changé mais Mozilla est toujours là

SCA Svenska Cellulosa Aktiebolaget - CC byPromouvoir le Web ouvert est l’une des missions de Mozilla.

Mission parfaitement assumée et réussie il y a quelques années avec l’avènement de Firefox qui obligea Internet Explorer à quitter son arrogance pour rentrer dans le rang et se montrer plus respectueux des standards et donc des internautes.

Sauf qu’aujourd’hui la donne a sensiblement changé.

Avec la mobilité, les stores, les apps, les navigateurs intégrés, etc. c’est en effet un Web bien plus complexe qui se présente devant nous. Un Web enthousiasmant[1] mais plein d’embûches pour ceux qui sont attachés à son ouverture et à sa neutralité.

C’est tout l’objet de ce très intéressant récent billet du développeur Mozilla Robert O’Callahan.

Des changements dans la façon de promouvoir le Web Ouvert

Shifts In Promoting The Open Web

Robert O’Callahan – 30 septembre 201 – Blog personnel
(Traduction Framalang : Antistress et Goofy)

Historiquement Mozilla a dépensé pas mal d’énergie pour promouvoir l’usage du « Web ouvert » plutôt que de plateformes propriétaires et de code spécifique à des navigateurs non standards (IE6). Cette évangélisation reste nécessaire mais le paysage s’est modifié et je pense que notre discours doit s’adapter.

Les plateformes dont nous devons nous préoccuper ont beaucoup changé. Au lieu de WPF, Slivertlight and Flash, les outils propriétaires pour développeurs avec lesquelles il faut rivaliser dorénavant sont iOS et Android. En conséquence, les fonctionnalités que le Web doit intégrer sont à présent orientées vers la mobilité. Nous devons abattre les barrières qui incitent les développeurs d’applications mobiles à écrire des applications natives plutôt que des applications Web, et nous devons promouvoir (et c’est ce que nous faisons !) le développement et l’usage d’applications Web au lieu d’applications natives. Les démonstrations qui ne fonctionnent que sur les navigateurs des micro-ordinateurs sont moins importantes.

Le Web ouvert doit également faire face à de nouvelles plateformes rivales intéressantes : des plateformes qui sont conçues sur les standards du Web mais qui brident l’installation d’applications pour créer une plateforme entièrement contrôlée par le fabricant. L’app store (plateforme de téléchargement d’applications) de Chrome et celle du futur Windows 8 Metro en sont des exemples. J’ai été très déçu de voir que les versions hors connexion de Gmail et Google Calendar n’étaient proposées que sous la forme d’applications pour Chrome. Et même si Angry Birds fonctionne très bien sur Firefox, son affiliation commerciale à Chrome laisse certainement croire qu’il ne fonctionne que sur Chrome. Pour contrer cela nous devons nous assurer que la compétition entre navigateurs reste forte et offre aux développeurs des app stores indépendants des navigateurs. Mozilla travaille dessus, bien sûr :-). Nous devons également exprimer clairement que les app stores dédiés à un navigateur vont à l’encontre d’un Web ouvert.

Une forme de compétition moins évidente résulte de développeurs d’applications se focalisant sur un seul navigateur ou un seul moteur de rendu. Google demande explicitement à ses développeurs de cibler uniquement Chrome avant de penser aux autres navigateurs. C’est compréhensible, mais ça reste perturbant. Une autre préoccupation est de constater que beaucoup de sites pour appareils mobiles ne ciblent que WebKit (parfois implicitement en codant en fonction des bogues de WebKit, le plus souvent explicitement en codant des fonctions propres à WebKit). Beaucoup de développeurs de sites pour appareils mobiles, y compris des développeurs de sociétés renommées comme Google, sont réticents à changer de comportement. C’est un immense problème pour le Web ouvert. Nous avons besoin d’une campagne de promotion des standards du Web ouvert à destination des développeurs de sites pour appareils mobiles. Nous devons être clairs sur le fait que proposer des applications qui ne tournent que sur un seul moteur de rendu, quel que soit ce moteur, va à l’encontre d’un Web ouvert.

C’est malheureux de constater que, parmi les principaux concepteurs de navigateurs, seul Mozilla (et peut-être Opera) n’a pas d’intérêt particulier au succès d’une plateforme Web non ouverte. Je suis content de travailler ici.

Une chose formidable concernant le Web actuellement est l’explosion de nouvelles fonctionnalités et standards pour les développeurs Web. Pourtant nous devons distinguer avec soin les bons standards ouverts des imitations poussées unilatéralement. Toutes les propositions de standards ne sont pas bonnes pour le Web, même si elles sont accompagnées d’une implémentation open-source. Maciej Stachowiak désigne quelques projets de Google – VP8, SPDY, Pepper, and Native Client – qui, bien qu’étant peut-être de bonnes idées, échouent plus ou moins à être de véritables standards ouverts (le manque d’une bonne spécification pour VP8 est un problème que nous pouvons et devrions régler nous-mêmes à Mozilla). Il y a aussi des cas où, même si une bonne spécification collégiale existe et est attendue par certains développeurs, la fonctionnalité n’est pas bonne pour le Web et doit être repoussée. C’est pourquoi je pense que, lorque nous faisons la promotion du Web ouvert, nous devons faire très attention aux spécifications que nous mettons en avant. Ce n’est pas parceque quelqu’un lance une ébauche de spécification avec « CSS » (ou « HTML » ou « Web ») dans le nom en même temps qu’une implémentation embryonnaire, que cette spécification fait partie ou devrait faire partie du Web ouvert. Les gens doivent se demander : est-ce que cette fonctionnalité est bonne pour le Web ? Est-ce qu’il existe une ébauche exhaustive de la spécification qui ne nécessite pas de rétro-ingénierie sur une implémentation existante ? Existe t-il plusieurs implémentations ? Est-ce que la spécification est activement mise à jour pour tenir compte des retours des concepteurs de navigateurs et des développeurs Web ?

C’est une période stimulante et excitante. En dépit des menaces que je viens d’évoquer, c’est super de constater l’investissement massif dans l’amélioration des technologies du Web ouvert. C’est super de voir Microsoft abandonner Silverlight pour une plateforme basée sur les standards. Nous avons remporté quelques batailles, mais la guerre pour les standards du Web ouvert n’est pas finie et nous devons poursuivre le combat, sur les fronts correctement choisis.

Notes

[1] Crédit photo : SCA Svenska Cellulosa Aktiebolaget (Creative Commons By)




Lao Tseu l’a dit : il faut trouver la libre voie

Après avoir été longtemps réticent (crainte du burnout oblige), j’ai enfin activé mon compte Twitter/Identica personnel, il y a un mois de cela.

Je dois reconnaître que c’est un univers intéressant, même si l’on se prend un peu trop vite au jeu (au jeu de go, au jeu de l’ego) et que c’est nécessairement du temps pris sur autre chose, autre chose de plus collectif par exemple.

Toujours est-il que j’ai fait un test de tradaction éclair hier soir en plein milieu de la nuit et que j’ai été passablement étonné que tout soit bouclé quelques 20 minutes plus tard !

Comme quoi on peut facilement retrouver du collectif en faisant un petit détour individuel… (et merci à mes oiseaux de nuit !)

Vous me direz que l’article à traduire n’était pas bien long et vous aurez raison. Quant à savoir s’il était intéressant, je vous laisse seul(e) juge 🙂

Il s’agit en l’occurrence d’une sorte de profession de foi du site OpenSource.com[1].

Christina Hardison - CC by-sa

La voie de l’open source

The open source way

(Traduction Framalang : Valentin, Frédéric, Kamui57 et Fs)

Nous avons ouvert le site opensource.com parce que nous croyons que la voie de l’open source peut changer notre monde de même qu’elle a changé la production de logiciels. La voie de l’open source est définie par plusieurs principes, sur lesquels se fonde opensource.com :

1. Nous croyons en un échange libre.

Nous apprenons beaucoup plus les uns des autres lorsque l’information est ouverte. Il est crucial d’échanger librement ses idées pour créer un environnement dans lequel les gens peuvent apprendre et s’emparer d’informations existantes pour créer de nouvelles idées.

2. Nous croyons en la puissance de la participation.

C’est lorsque nous sommes libre de collaborer que nous créons. Nous pouvons résoudre des problèmes que personne ne serait capable de résoudre par lui-même.

3. Nous croyons en la mise en pratique rapide.

Mettre rapidement un prototype en pratique peut conduire à des échecs tout aussi rapides, mais c’est ainsi que l’on trouve de meilleures solutions plus rapidement. Lorsque l’on est libre d’expérimenter, on peut regarder les problèmes sous d’autres angles et chercher des réponses dans d’autres domaines. On peut apprendre en pratiquant.

4. Nous croyons en la méritocratie.

Dans une méritocratie, les meilleures idées l’emportent. Dans une méritocratie, tout le monde a accès à la même information. Seul un travail de qualité permettra à certains projets de décoller et de rassembler les efforts de la communauté.

5. Nous croyons en la communauté.

Les communautés se forment autour d’un objectif commun. Elles assemblent des idées diverses et mettent le travail en commun. Unie, une communauté globale peut produire davantage qu’un individu unique quel qu’il soit. Elle démultiplie l’effort et met en commun le travail. Ensemble, nous pouvons accomplir davantage.

Notes

[1] Crédit photo : Christina Hardison (Creative Commons By-Sa)




Levons le tabou du stress, surmenage et burnout au sein des communautés

Perry McKenna - CC byVoici un sujet dont on parle trop peu parce que ceux qui en sont victimes pratiquent souvent le déni et n’aiment pas apparaître vulnérables aux yeux de leurs pairs.

Quitte à ce que cela craque complètement un jour et qu’il n’y ait plus d’autre issue que de disparaître momentanément (ou pire définitivement) de la circulation.

Il s’agit du phénomène de burnout que Wikipédia traduit par syndrome d’épuisement professionnel[1].

Il touche également les associations et l’activité bénévole car c’est avant tout d’un trop plein de travail et de responsabilités dont il est question. Et tous ceux qui me connaissent d’un peu près savent que j’en suis parfois passé par là au sein de Framasoft.

Parce que, oui, le Libre n’est pas épargné. Il serait même, à parcourir la traduction ci-dessous, parmi les plus durement touchés, à cause des ses spécificités mais aussi parce qu’Internet, aussi pratique soit-il, peut parfois manquer de patience, d’attention et de bienveillance.

Un article qui cherche à mieux comprendre pour mieux prévenir.

Et n’hésitez pas à laisser votre témoignage dans les commentaires, histoire de libérer aussi la parole et aider ceux qui sont susceptibles de tomber dans ce piège que l’on se fabrique presque toujours tout seul.

Remarque : Nous avons choisi de traduire systématiquement ci dessous « burnout » par « surmenage », même si le mot anglais commence à se diffuser chez les francophones et évoque mieux le processus d’aller au bout de ses forces en épuisant ponctuellement ou durablement toute son énergie.

Linus Torvalds et d’autres à propos du surmenage dans les communautés

Des développeurs open source parlent du stress des codeurs dans le monde de Linux.

Linus Torvalds and Others on Community Burnout

Bruce Byfield – 30 août 2011 – Datamation
(Traduction Framalang : Yonnel, Deadalnix, Mammig2, Martin, Raphaelh, Penguin)

Traînez autant de temps que vous le voudrez dans la communauté du libre et de l’open source, et vous ne manquerez pas de rencontrer des exemples de surmenage. Un collègue prend trop de choses à sa charge, et d’un coup il ne travaille plus, avec de moins bons résultats.

Il a du mal à se concentrer sur son travail. Il néglige sa vie privée. Face aux contestations, il est sur la défensive et devient étrangement agressif. Et pour finir il s’en va, pour souvent ne jamais revenir.

Le surmenage n’est pas l’apanage de la seule communauté linuxienne, bien entendu. Et pourtant ce problème semble toucher la communauté telle une épidémie, et ses membres semblent réticents à en parler en public.

Selon le « community manager » d’Ubuntu Jono Bacon et la journaliste et contributrice d’Ubuntu Amber Graner, qui donnent des conférences adaptées de « The Burnout Cycle » d’Herbert Freudenberger et Gail North, les gens les contactent par la suite en privé pour parler de leur propre expérience de surmenage.

Et de même, la contributrice au noyau Linux et co-fondatrice d’Ada Initiative, Valerie Aurora, se rappelle d’une discussion avec une douzaine de femmes activistes dans les nouvelles technologies, où elles ont découvert que toutes étaient soit en surmenage, soit en train de s’en remettre, soit l’avaient été.

Personne ne semble être à l’abri, pas même Linus Torvalds. Bien qu’il commence par dire « je n’ai jamais vraiment été victime de surmenage », il en vient ensuite à parler d’une situation qui a tout des premiers stades du surmenage :

« Nous avions de très grosses disputes vers 2002 (cf « Linus ne sait pas ce qu’il demande »), je posais des patches à droite et à gauche, et ça ne marchait pas vraiment. C’était pénible pour tout le monde, à commencer par moi.

Personne n’aime la critique, et il y avait beaucoup de descentes en flèche. Et comme ce n’était pas un problème strictement technique, on ne pouvait pas identifier un patch et dire « hé, regardez, ce patch améliore de 15 % la vitesse » ou autre chose du genre : il n’y avait donc pas de solution purement technique. À la fin, la solution était de meilleurs outils et une charge de travail mieux répartie ».

Quelle est la cause du surmenage, en particulier dans la communauté du libre ? Que faire pour l’éviter, à la fois individuellement et au niveau de la communauté ? Ces questions, de plus en plus de leaders du logiciel libre ont du mal à y répondre. Le surmenage commence seulement à être reconnu comme un problème sur lequel se pencher.

Les origines du surmenage

L’organisation dans le libre rend les membres de la communauté particulièrement exposés au stress. Selon Bacon, les contributeurs étant répartis autour de la planète et certains étant volontaires, chacun doit alors gérer lui-même sa charge de travail.

Mais lorsque quelqu’un peut travailler n’importe où sur un projet à n’importe quelle heure, fixer des limites devient alors ardu. Comme pour un jeu de simulation en temps réel, il n’y a pas de moment idéal pour arrêter. En réalité, à cause des réponses instantanées qui sont la norme sur Internet, certains peuvent s’agacer de ne pas voir les autres immédiatement disponibles.

Le stress peut augmenter car la première génération des membres de communautés sont maintenant largement d’âge mûr, et certains commencent à avoir des difficultés à travailler aux heures auxquelles ils étaient habitués, que ce soit dû à la fatigue ou aux obligations familiales.

D’autre part, selon Graner, certains membres de communautés ajoutent une couche à leur stress en prenant davantage de travail pour se prouver quelque chose à eux-mêmes. Elle observe, par exemple, que chez Ubuntu, ceux qui ne font pas de développement peuvent se sentir moins impliqués dans le projet que les développeurs, ou prennent davantage de responsabilités dans l’espoir que leurs sacrifices soient payants et qu’ils puissent accompagner les développeurs à l’Ubuntu Developer Summit.

« Ils pensent que s’ils n’en font pas toujours davantage et ne deviennent pas cette super personne de la communauté, alors les gens penseront qu’ils n’en font pas assez », affirme Graner.

Pourtant, comme le fait remarquer Torvalds, le surmenage n’est pas uniquement lié au stress. « Personnellement les grosses engueulades ponctuelles ont tendance à me plaire et à me gonfler à bloc », affirme-t-il. « Cela peut être stressant, mais ça peut être aussi revigorant, et je pense même que, sans ces éruptions occasionnelles, votre projet a tendance à s’endormir, ou alors c’est que vous n’y croyez plus assez. »

Cependant il ajoute: « mais le stress continuel peut aussi être vraiment usant. Pour moi, ça a toujours été plus ou moins un problème de gestion du flux de travail. Le stress vient du manque d’énergie suffisante (ou du nombre d’heures dans une journée) pour faire ce que je dois faire. C’est donc pour ça, au niveau du noyau Linux, que je pense que les gros moments de stress ont toujours tourné autour de problèmes d’organisation du flux de travail. »

Bacon perçoit le surmenage de manière similaire, en le définissant ainsi : « vous cumulez le stress des jours précédents, et cela augmente jusqu’à ce que vous ne puissiez plus le surmonter. »

À l’opposé, l’ancien leader de la communauté Fedora Paul Frields voit l’origine du surmenage dans les interactions dans un groupe :

« Les gens n’ont pas tous les mêmes attentes. Celle par exemple d’aspirer à ce que les autres membres de l’équipe aient le même degré d’implication que vous, sans tenir compte des capacités, du temps disponible ou des situations personnelles des autres. Ou peut également souhaiter, consciemment ou non, que tout le monde adore et adopte votre nouveau concept original et radical là, maintenant, tout de suite. Si ces attentes ne se concrétisent pas, et que vous continuez à ruminer longtemps là-dessus, il y a de très fortes chances pour que vous soyez bientôt en surmenage. »

Une autre source possible de surmenage pour les femmes en particulier est leur sous-représentation dans la communauté. Selon le projet, les femmes représentent en général de un à cinq pour cent de la communauté. Non seulement doivent-elles subir les remarques sexistes, les présentations pornographiques, voire une hostilité pure et simple, mais elles ont le sentiment de se retrouver tout de suite en situation de faire leurs preuves – tout autant par rapport aux femmes déjà présentes que par rapport à la majorité masculine.

« C’est un peu comme à l’armée », dit Graner, qui a participé à la première guerre du Golfe. « Vous devez en faire dix pour cent de plus que n’importe qui d’autre pour être perçue comme aussi bonne qu’eux. »

Pour celles qui essaient vraiment de changer cette culture, le stress est encore plus intense. « Il y a tout simplement trop peu de femmes dans l’open source pour assumer tout le travail à faire de ce côté-là », constate Aurora. « Un seul pour cent au sein d’une communauté et c’est déjà mathématiquement le surmenage assuré. Vous êtes en situation précaire, vous recevez plein de messages disant que vous n’êtes pas à votre place, Vos heures et vos heures de temps libre pour ce militantisme n’y changeront rien. Vous vous en voulez de ne pas faire du code, et d’avoir des doutes tout court. »

De plus il n’y souvent qu’une seule figure de proue du féminisme à la fois. « Vous devenez une cible de choix pour les critiques et les menaces », explique Aurora. « Vous en payez sacrément le prix. À chaque fois que quelqu’un devient la représentante de la cause des femmes dans l’open source, sa carrière en pâtit. »

Pour compliquer encore les choses, tous genres confondus, le surmenage est un mal difficile à diagnostiquer ou à admettre. « On distingue fort bien les symptômes chez les autres sans nous apercevoir que bien souvent c’est notre propre reflet que l’on regarde », dit Graner. « Et comme le mot surmenage a souvent une connotation péjorative cela ne pousse pas à la confidence. »

Un tel déni est surtout fréquent chez les leaders en surmenage, soit parce qu’ils se considèrent essentiels, soit parce qu’ils ont plus l’habitude de venir en aide plutôt que d’avoir besoin qu’on les aide eux-mêmes. Mais dans tous les cas ce déni ne fait qu’aggraver la situation en rendant les gens plus réticents à faire ce qu’il faut pour s’en sortir.

Traiter le surmenage

Torvalds suggère que, pour lui, la clef pour se remettre d’un surmenage est :

« d’apprendre à laisser aller les choses. Si l’on ne le fait pas pour l’ensemble du projet, il faut au moins ne plus essayer de le contrôler entièrement. Avec le noyau Linux, je pourrais être le mainteneur principal, mais je fais simplement confiance aux autres pour faire ce qu’il faut. Il y a toujours des parties du projet que je suis de très près, mais même pour celles-ci, je suis vraiment content quand des personnes à qui je fais confiance font le travail à ma place.

Sinon, abandonnez purement et simplement le projet. C’est ce que j’ai fait pour git (le logiciel de gestion de versions décentralisée) : ça me plaisait vraiment, mais il me semblait aussi ne pas pouvoir prétendre être le mainteneur à plein temps dont le projet avait besoin. Et j’ai vraiment été ravi de trouver un très bon mainteneur (Junio Hamano). Cela restait quelque part mon bébé, mais en même temps, le mieux pour git était que quelqu’un d’autre le gère ».

Bien sûr, comme l’ajoute Torvalds, « les gens semblent parfois avoir du mal à lâcher prise, moi y compris. »

Pour répondre à la résistance naturelle au lâcher prise, Frields suggère: « il vous faut la volonté de faire un examen de conscience, de vérifier votre équilibre et votre capacité à vous engager pleinement pour votre accomplissement. Et plus de la volonté, il vous faut réellement et en toute conscience prendre effectivement le temps de le faire. »

Bacon est encore plus précis. En partant de sa propre expérience de surmenage, qui s’est produite environ un an après avoir rejoint Canonical, il a beaucoup réfléchi à la façon d’organiser une vie équilibrée qui pourrait le rendre, lui et d’autres, plus résistants au surmenage.

Ne pas être célibataire est une des meilleures garanties contre le surmenage, selon Bacon, mais il fait remarquer que même les célibataires peuvent passer une soirée loin de la communauté et prendre du bon temps avec des amis. Il suggère également d’avoir d’autres activités (pour Bacon, c’est de faire de la musique avec son groupe Severed Fifth), de faire du sport régulièrement, de suivre un régime plus sain et moins calorique.

Dans ce régime, il préconise de réduire la dose de caféine, à laquelle de nombreux membres de la communauté sont littéralement accros ; Bacon lui-même décrit le sevrage de ses six canettes de Coca par nuit, avec tous les vomissements et les tremblements que cela a entraîné, comme « une des expériences les plus affreuses de ma vie », et fait figurer la restriction de caféine en haute place parmi les changements mis en place pour réduire les probabilités de surmenage.

Le surmenage peut aussi être régulé à l’intérieur de la communauté, en créant une culture commune qui rencontre l’adhésion de tous. Une culture où, selon les termes de Graner, « si vous n’êtes pas à cent pour cent, alors vous ne nous rendez pas service », et où l’on vous encourage à prendre régulièrement des pauses réparatrices et salvatrices.

Graner suggère également que le travail au sein du logiciel libre « doit être un effort collectif pour qu’aucune personne ne soit responsable de l’ensemble ». En se basant sur son expérience personnelle dans l’armée, elle conseille à chacun d’apprendre, ou tout du moins d’avoir de sérieuses notions, sur la fonction et le rôle des autres participants au projet. Une telle rotation a le mérite de réduire la tendance à se sentir indispensable, et propose une diversité qui peut aider à diminuer toute sensation de surmenage. Cela implique qu’en cas de surmenage d’une personne, les autres membres du projet puissent en reprendre les rênes et les responsabilités avec un minimum d’adaptation.

Graner suggère aussi que les rôles d’un projet soient clairement définis, ce qui arrive rarement dans un projet distribué qui compte un grand nombre de bénévoles. De cette façon, les personnes seront moins susceptibles de prendre de nouvelles responsabilités.

À ces suggestions, Aurora ajoute que le surmenage peut aussi être atténué par « des expressions personnalisées de soutien venant de différentes personnes – envoyer un email qui dit je pense que tu fais un très bon travail, et que tu as raison peut souvent faire la différence ». En fait, Aurora explique que « n’importe quelle forme de reconnaissance » peut aider :

« Cela paraît trivial, mais toute forme de surmenage vient en partie du sentiment que ce que vous faites est insignifiant et n’est pas apprécié à sa juste valeur. Je pense qu’Internet est malheureusement un lieu propice à vous donner l’impression que ce que vous faites n’est pas apprécié. Les personnes critiques, voire mesquines, sont apparemment plus enclines à envoyer des reproches que les gentilles à formuler des remerciements, et l’absence de visages humains ou d’intonations de voix rend les incompréhensions courantes ».

Aurora cite sa propre expérience de mise en place, dans le cadre de son travail, d’une politique anti-harcèlement lors des conférences, entreprise dans un moment de quasi-surmenage, et qui a été accueillie avec tellement d’emails d’encouragement qu’elle aurait pu « en pleurer de joie ». Ce soutien aura été une reconnaissance fondamentale à un moment crucial de sa vie.

Notons enfin le rôle important qu’ont les leaders de communautés pour améliorer les situations. Bacon suggère qu’un dirigeant ayant « un engagement quotidien au sein de sa communauté » est le mieux placé pour remarquer des signes de surmenage.

Bacon suggère également d’engager autour du surmenage une discussion franche et sincère, mais qui apporte également concrètement du soutien, quitte à proposer à certains de prendre un congé ou de réduire les responsabilités. Cette discussion devrait se faire en face à face si possible, au pire par téléphone, mais jamais par email ou chat, car le manque de signaux non-verbaux peut conduire à des incompréhensions, en particulier pour quelqu’un qui se sent déjà inadapté à son travail. Pendant cette conversation, le leader de la communauté doit bien faire comprendre qu’il n’est pas en train de réprimander, mais plutôt de donner impressions et suggestions dans l’intérêt de tous. Si nécessaire, on peut adoucir la perception de cette discussion en encourageant la personne à qui l’on parle à effectuer le même type d’intervention si le leader de communauté venait lui aussi à montrer des signes de surmenage.

Préparer le retour

Tout comme le surmenage n’a pas de cause unique, il n’y a pas de remède rapide, unique et miracle pour l’éviter ou le soigner. Cela signifie qu’il est difficile de prédire si les victimes du surmenage pourront surmonter leurs problèmes et revenir ou si elles vont simplement disparaître de la communauté. D’autant que l’on commence tout juste à accepter d’en parler explicitement et à étudier des stratégies de prévention.

En se rappellant son propre surmenage, Graner raconte : « mon surmenage n’est pas arrivé du jour au lendemain, pas plus que le retour. Il y a eu des moments où je me disais que si je ne revenais pas, si je ne reprenais pas toutes mes activités précédentes, j’aurais échoué. Mais personne ne le pensait sauf moi. J’étais la seule qui me faisait des reproches, à me mettre ainsi la pression. J’ai été obligée de me dire : « non, tu n’es pas en situation d’échec, au contraire tu es désormais plus responsable. »

La bonne nouvelle, c’est que ceux qui reviennent d’un surmenage ont souvent une conscience plus aiguë de ce qui s’est mal passé, et éviteront plus facilement un nouveau surmenage. « Une fois que vous avez subi un surmenage total, vous êtes mieux à même de prévenir le prochain et modifier avant votre comportement en conséquence », explique Graner. Une telle prise de conscience représente sûrement l’une des armes les plus efficaces contre le surmenage, car ces personnes reviennent mettre en pratique et témoigner de ce qu’elles ont appris de cette difficile expérience.

Notes

[1] Crédit photo : Perry McKenna (Creative Commons By)




Traducthon, tradaction, tradusprint… Pour un Web ouvert !

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-saDepuis plus de deux ans, plus précisément depuis un samedi de mai 2009 à l’occasion d’une Ubuntu party, je participe aux traductions collaboratives dans la vraie vie initiées par Framalang, le groupe de traducteurs gonzos du Framaland. Et je ne suis pas le seul à y avoir pris goût.

Nous avons récidivé à Bordeaux pour traduire Un monde sans Copyright, chez Mozilla Europe à Paris pour le manuel Thunderbird et en juillet dernier à Strasbourg à l’occasion des RMLL, pour vous proposer aujourd’hui Pour un Web ouvert.

J’ai traduit, aidé à traduire, relu et révisé des dizaines de textes de toutes sortes. Participer aux traductions d’articles avec Framalang depuis un certain temps déjà n’a fait que multiplier les occasions de pratiquer le petit jeu de la traduction. Mais participer à un traducthon est une tout autre expérience dont voici certaines caractéristiques.

Des traducteurs en chair, en os et en vie

Antoine Turmel - CC by-saCommençons par le plus flagrant : un traducthon c’est une rencontre physique de personnes qui ne se connaissaient pas forcément, qui n’étaient que des pseudos en ligne ou bien que l’on ne retrouve qu’à quelques occasions. C’est donc d’abord un temps convivial, où l’on échange des propos par-dessus le travail en cours, des plaisanteries de mauvais goût qui déclenchent le fou-rire, des considérations trollesques qui partent en vrille, mais aussi des projets, des questions, des réponses, des contacts, de la bière l’eau ferrugémineuse, des pizzas et des petits plats du restau du quartier. En somme c’est une petite bande de gens qui deviennent copains (au moins), une bande dont la géométrie est variable d’une session à l’autre suivant la disponibilité de chacun ou son libre désir de participer.

Le milieu des traducteurs libristes n’est pas si vaste, mais il est relativement compartimenté, généralement en fonction des tâches et projets. Un traducthon représente la possibilité de mettre un peu de liant dans cet émiettement des activités. Je suis assez content par exemple de voir se rencontrer sur une traduction partagée des copains de frenchmozilla et ceux de framalang. Ah mais j’entends aKa dans l’oreillette… ah oui, d’accord il faut employer au moins une fois le mot « synergie ». C’est fait.

Inconvénient ? C’est sûr, on découvre les vrais gens : Julien mange toute la tablette de Milka, Adrien est trop bavard, Goofy est un vieux et Simon ne devrait pas se laisser pousser la barbe.

Un défi, un enjeu, un grand jeu

La concentration dans le temps (un week-end, trois ou quatre jours dans le meilleur des cas…), la concentration dans un lieu de travail (une salle de cours de faculté plus ou moins équipée, un hall de la Cité des sciences, les locaux de Mozilla Europe…) sont bien sûr associées au défi que l’on se donne de terminer au moins un premier jet tout simplement parce qu’après le traducthon chacun reprend sa vie quotidienne et d’autres activités, il faut donc terminer « à chaud ». L’ensemble pourrait créer un stress particulier, mais le plus souvent il ne s’agit que d’une tension positive parce que nous sommes un groupe. Chacun sait que tout près un autre participant est animé lui aussi du désir d’atteindre le but commun. La collaboration crée en réalité l’émulation, chacun met un point d’honneur à faire au moins aussi bien et autant que ses voisins.

L’enjeu d’un traducthon est particulier car il s’agit d’un ouvrage d’un volume important et pas seulement d’un article de presse électronique qui est une denrée périssable, comme nous en traduisons régulièrement pour le Framablog. Dans un traducthon, nous nous lançons le défi de traduire vite un texte qui devrait pouvoir être lu longtemps et dont le contenu lui aussi est important. Nous avons le sentiment d’avoir une sorte de responsabilité de publication, et la fierté de mettre à la disposition des lecteurs francophones un texte qui contribue à la diffusion du Libre, de sa philosophie et de ses problématiques.

Reste que la pratique a heureusement une dimension ludique : les outils en ligne que nous partageons pour traduire, que ce soit la plateforme Booki ou les framapads, même s’ils ne sont pas parfaits, offrent la souplesse et l’ergonomie qui les rendent finalement amusants à pratiquer. Tous ceux qui ont utilisé un etherpad pour la première fois ont d’abord joué avec les couleurs et l’écriture simultanée en temps réel. Même au cœur du rush des dernières heures d’un traducthon, lorsque nous convergeons vers les mêmes pages à traduire pour terminer dans les temps, c’est un plaisir de voir vibrionner les mots de couleurs diverses qui complètent un paragraphe, nettoient une coquille, reformulent une tournure, sous le regard de tous.

Traduction ouverte, esprit ouvert

N’oublions pas tous ceux qui « passent par là » et disent bonjour sous la forme d’un petit ou grand coup de pouce. Outre ceux qui ont décidé de réserver du temps et de l’énergie pour se retrouver in situ, nombreux sont les contributeurs et contributrices qui collaborent sur place ou en ligne. Beaucoup découvrent avec intérêt la relative facilité d’accès de la traduction, qui demande plus de qualité de maîtrise des deux langues (source et cible) que de compétences techniques. Quelques phrases, quelques pages sont autant de contributions tout à fait appréciées et l’occasion de faire connaissance, voire d’entrer plus avant dans le jeu de la traduction en rejoignant framalang.

Plus on participe, plus on participe. Il existe une sorte d’effet addictif aux sessions de traduction collective, de sorte que d’une fois à la suivante, on retrouve avec plaisir quelques habitués bien rodés et d’autres plus récemment impliqués qui y prennent goût et y reviennent. Participer à un traducthon, c’est appréhender de près et de façon tangible la puissance du facteur collaboratif : de l’adolescent enthousiaste à l’orthographe incertaine au retraité venu donner son temps libre pour le libre en passant par le développeur qui apporte une expertise technique, chacun peut donner et recevoir.

Enfin, et ce n’est pas là un détail, la pratique du traducthon apprend beaucoup à chacun. Certains découvrent qu’ils sont à la hauteur de la tâche alors qu’ils en doutaient (nulle contrainte de toutes façons, on choisit librement ce que l’on veut faire ou non), mais pour la plupart d’entre nous c’est aussi une leçon de partage du savoir : nos compétences sont complémentaires, l’aide mutuelle est une évidence et la modestie est nécessaire à tous. Voir par exemple son premier jet de traduction repris et coloré par un traducteur professionnel (Éric, reviens quand tu veux ?!), se faire expliquer une tournure de slang par un bilingue et chercher avec lui un équivalent français, découvrir une thèse audacieuse au détour d’un paragraphe de la version originale, voilà quelques exemples des moments enrichissants qui donnent aussi sa valeur à l’exercice.

Le mot, la chose

Une discussion trolloïde de basse intensité est engagée depuis le début sur le terme à employer pour désigner le processus de traduction collaborative dans la vraie vie en temps limité. Quelques observations pour briller en société :

  • C’est un peu l’exemple des booksprints initiés par Adam Hyde et la bande des Flossmanuals qui nous a inspiré l’idée de nos sessions, on pourrait donc adopter tradusprint, surtout dans la mesure où c’est une sorte de course de vitesse…
  • En revanche lorsque une traduction longue demande plusieurs jours et un travail de fond (ne perdons pas de vue le travail indispensable de révision post-traduction), il est assez cohérent de parler plutôt de traducthon.
  • Pour être plus consensuel et « couvrir » tous les types de session, le mot tradaction a été proposé à juste raison

Ci-dessous, reproduction de l’affichette amicalement créée par Simon « Gee » Giraudot pour annoncer le traducthon aux RMLL de Strasbourg. À noter, Simon a également contribué à la traduction d’un chapitre !

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Et le Web ouvert alors ?

C’était justement le fruit d’un booksprint à Berlin l’année dernière, le voilà maintenant en français. Ce qui est assez frappant pour aller droit à l’essentiel, c’est la rhétorique guerrière qui en est le fil rouge. Au fil des pages on prend conscience de l’enjeu et de l’affrontement déjà en cours dans lequel nous pouvons jouer un rôle décisif. C’est maintenant et peut-être dans les deux ans qui viennent pas plus qu’il y a urgence à ce que nos pratiques de la vie numérique maintiennent et étendent un Web ouvert.

Le Web n’est pas un amoncellement de données, ni un amoncellement d’utilisateurs, le Web ouvert existe quand l’utilisateur propose librement des données et s’en empare librement. Le Web n’a pas d’existence tant que ses utilisateurs ne s’en emparent pas.

Nous voulons un Web bidouillable, libre et ouvert. Nous voulons des navigateurs Web extensibles, d’une plasticité suffisante pour répondre à nos goûts et nos besoins. Nous voulons contrôler nos données et en rester maîtres, non les laisser en otages à des services dont la pérennité et les intentions sont suspectes. Nous ne voulons pas que notre vie numérique soit soumise ni contrôlée, filtrée, espionnée, censurée.

Le Web n’appartient pas aux fournisseurs d’accès, ni aux états, ni aux entreprises.

Le Web n’appartient à personne, parce que nous sommes le Web.

Au fait, si vous voulez parcourir Pour un Web ouvert, c’est… ici en HTML et là en PDF.

Antoine Turmel - CC by-sa

Bonus track

Une interview au cours du traducthon de Strasbourg pour la radio québécoise La Voix du Libre.

Crédit photos : Antoine Turmel et Antoine Turmel (Creative Commons By-sa)