Caliopen, la messagerie libre sur la rampe de lancement

Le projet Caliopen, lancé il y a trois ans, est un projet ambitieux. Alors qu’il est déjà complexe de créer un nouveau logiciel de messagerie, il s’agit de proposer un agrégateur de correspondance qui permette à chacun d’ajuster son niveau de confidentialité.

Ce logiciel libre mûrement réfléchi est tout à fait en phase avec ce que Framasoft s’efforce de promouvoir à chaque fois que des libristes donnent aux utilisateurs et utilisatrices plus d’autonomie et de maîtrise, plus de sécurité et de confidentialité.

Après une nécessaire période d’élaboration, le projet Caliopen invite tout le monde à tester la version alpha et à faire remonter les observations et suggestions. La première version grand public ce sera pour dans un an environ.

Vous êtes curieux de savoir ce que ça donne ? Nous l’étions aussi, et nous avons demandé à Laurent Chemla, qui bidouillait déjà dans l’Internet alors que vous n’étiez même pas né⋅e, de nous expliquer tout ça, puisqu’il est le père tutélaire du projet Caliopen, un projet que nous devons tous soutenir et auquel nous pouvons contribuer.

Bonjour, pourrais-tu te présenter brièvement ?

J’ai 53 ans, dont 35 passés dans les mondes de l’informatique et des réseaux. Presque une éternité dans ce milieu – en tous cas le temps d’y vivre plusieurs vies (« pirate », programmeur, hacktiviste, entrepreneur…). Mais ces temps-ci je suis surtout le porteur du projet Caliopen, même si je conserve une petite activité au sein du CA de la Quadrature du Net. Et je fais des macarons.

Le projet Caliopen arrive ce mois-ci au stade de la version alpha, mais comment ça a commencé ?

Jérémie Zimmermann est venu me sortir de ma retraite nîmoise en me poussant à relancer un très ancien projet de messagerie après les révélations de Snowden. Ça faisait déjà un petit moment que je me demandais si je pouvais encore être utile à la communauté autrement qu’en publiant quelques billets de temps en temps, alors j’ai lancé l’idée en public, pour voir, et il y a eu un tel retour que je n’ai pas pu faire autrement que d’y aller, malgré ma flemme congénitale.

Quand tu as lancé le projet publiquement (sur une liste de diffusion il me semble) quelle était la feuille de route, ou plutôt la « bible » des spécifications que tu souhaitais voir apparaître dans Caliopen ?

Très vite on a vu deux orientations se dessiner : la première, très technique, allait vers une vision maximaliste de la sécurité (réinventer SMTP pour protéger les métadonnées, garantir l’anonymat, passer par du P2P, ce genre de choses), tandis que la seconde visait à améliorer la confidentialité des échanges sans tout réinventer. Ça me semblait plus réaliste – parce que compatible avec les besoins du grand public – et c’est la direction que j’ai choisi de suivre au risque de fâcher certains contributeurs.

J’ai alors essayé de lister toutes les fonctionnalités (aujourd’hui on dirait les « User Stories ») qui sont apparues dans les échanges sur cette liste, puis de les synthétiser, et c’est avec ça que je suis allé voir Stephan Ramoin, chez Gandi, pour lui demander une aide qu’il a aussitôt accepté de donner. Le projet a ensuite évolué au rythme des échanges que j’ai pu avoir avec les techos de Gandi, puis de façon plus approfondie avec Thomas Laurent pendant la longue étape durant laquelle nous avons imaginé le design de Caliopen. C’est seulement là, après avoir défini le « pourquoi » et le « quoi » qu’on a pu vraiment commencer à réfléchir au « comment » et à chercher du monde pour le réaliser.

La question qui fâche : quand on lit articles et interviews sur Caliopen, on a l’impression que le concept est encore super flou. C’est quoi l’elevator pitch pour vendre le MVP de la start-up aux business angels des internets digitaux ? (en français : tu dis quoi pour convaincre de nouveaux partenaires financiers ?)

Ça fait bien 3 ans que le concept de base n’a pas bougé : un agrégateur de correspondances qui réunit tous nos échanges privés (emails, message Twitter ou Facebook, messageries instantanées…), sous forme de conversations, définies par ceux avec qui on discute plutôt que par le protocole utilisé pour le faire. Voilà pour ton pitch.

Ce qui est vrai c’est qu’en fonction du public auquel on s’adresse on ne présente pas forcément le même angle.  Le document qui a été soumis à BPI France pour obtenir le financement actuel fait 23 pages, très denses. Il aborde les aspects techniques, financiers, l’état du marché, la raison d’être de Caliopen, ses objectifs sociétaux, ses innovations, son design, les différents modèles économiques qui peuvent lui être appliqués… ce n’est pas quelque chose qu’on peut développer en un article ou une interview unique.

Si j’aborde Caliopen sous l’angle de la vie privée, alors j’explique par exemple le rôle des indices de confidentialité, la façon dont le simple fait d’afficher le niveau de confidentialité d’un message va influencer l’utilisateur dans ses pratiques: on n’écrit pas la même chose sur une carte postale que dans une lettre sous enveloppe. Rien que sur ce sujet, on vient de faire une conférence entière (à Paris Web et à BlendWebMix) sans aborder aucun des autres aspects du projet.

Si je l’aborde sous l’angle technique, alors je vais peut-être parler d’intégration « verticale ». Du fait qu’on ne peut pas se contenter d’un nouveau Webmail, ou d’un nouveau protocole, si on veut tenir compte de tous les aspects qui font qu’un échange est plus ou moins secret. Ce qui fait de Caliopen un ensemble de différentes briques plutôt qu’une unique porte ou fenêtre. Ou alors je vais parler de la question du chiffrement, de la diffusion des clés publiques, de TOFU et du RFC 7929…

Mais on peut aussi débattre du public visé, de design, d’économie du Web, de décentralisation… tous ces angles sont pertinents, et chacun peut permettre de présenter Caliopen avec plus ou moins de détails.

Caliopen est un projet complexe, fondé sur un objectif (la lutte contre la surveillance de masse) et basé sur un moyen (proposer un service utile à tous), qui souhaite changer les habitudes des gens en les amenant à prendre réellement conscience du niveau d’exposition de leur vie privée. Il faut plus de talent que je n’en ai pour le décrire en quelques mots.

Il reste un intérêt pour les mails ? On a l’impression que tout passe par les webmails ou encore dans des applis de communication sur mobile, non ?

Même si je ne crois pas à la disparition de l’email, c’est justement parce qu’on a fait le constat qu’aujourd’hui la correspondance numérique passe par de très nombreux services qu’on a imaginé Caliopen comme un agrégateur de tous ces échanges.

C’est un outil qui te permet de lire et d’écrire à tes contacts sans avoir à te préoccuper du service, ou de l’application, où la conversation a commencé. Tu peux commencer un dialogue avec quelqu’un par message privé sur Twitter, la poursuivre par email, puis par messagerie instantanée… ça reste une conversation: un échange privé entre deux humains, qui peuvent aborder différents sujets, partager différents contenus. Et quand tu vas vouloir chercher l’information que l’autre t’a donné l’année passée, tu vas faire comment ?

C’est à ça que Caliopen veut répondre. Pour parler moderne, c’est l’User Story centrale du projet.

C’est quoi exactement cette histoire de niveaux de confidentialité ? Quel est son but ?

Il faut revenir à l’objectif principal du projet : lutter contre la surveillance de masse que les révélations d’Edward Snowden ont démontrée.

Pour participer à cette lutte, Caliopen vise à convaincre un maximum d’utilisateurs de la valeur de leur vie privée. Et pour ça, il faut d’abord leur montrer, de manière évidente, que leurs conversations sont très majoritairement espionnables, sinon espionnées. Notre pari, c’est que quand on voit le risque d’interception, on réagit autrement que lorsqu’on est seulement informé de son existence. C’est humain : regarde l’exemple de la carte postale que je te donne plus haut.

D’où l’idée d’associer aux messages (mais aussi aux contacts, aux terminaux, et même à l’utilisateur lui-même) un niveau de confidentialité. Représenté par une icône, des couleurs, des chiffres, c’est une question de design, mais ce qui est important c’est qu’en voyant le niveau de risque, l’utilisateur ne va plus pouvoir faire semblant de l’ignorer et qu’il va accepter de changer – au moins un peu – ses pratiques et ses habitudes pour voir ce niveau augmenter.

Bien sûr, il faudra l’accompagner. Lui proposer des solutions (techniques, comportementales, contextuelles) pour améliorer son « score ». Sans le culpabiliser (ce n’est pas la bonne manière de faire) mais en le récompensant  – par une meilleure note, de nouvelles fonctionnalités, des options gratuites si le service est payant… bref par une ludification de l’expérience utilisateur. C’est notre piste en tous cas.

Et c’est en augmentant le niveau global de confidentialité des échanges qu’on veut rendre plus difficile (donc plus chère) la surveillance de tous, au point de pousser les états – et pourquoi pas les GAFAM – à changer de pratiques, eux aussi.

Financièrement, comment vit le projet Caliopen ? C’était une difficulté qui a retardé l’avancement ?

Sans doute un peu, mais je voudrais quand même dire que, même si je suis bien conscient de l’impression de lenteur que peut donner le projet, il faut se rendre compte qu’on parle d’un outil complexe, qui a démarré de zéro, avec aucun moyen, et qui s’attaque à un problème dont les racines datent de plusieurs dizaines d’années. Si c’était facile et rapide à résoudre, ça se saurait.

Dès l’instant où nous avons pris conscience qu’on n’allait pas pouvoir continuer sur le modèle du bénévolat, habituel au milieu du logiciel libre, nous avons réagi assez vite : Gandi a décidé d’embaucher à plein temps un développeur front end, sur ses fonds propres. Puis nous avons répondu à un appel à projet de BPI France qui tombait à pic et auquel Caliopen était bien adapté. Nous avons défendu notre dossier, devant un comité de sélection puis devant un panel d’experts, et nous avons obtenu de quoi financer deux ans de développement, avec une équipe dédiée et des partenaires qui nous assurent de disposer de compétences techniques rares. Et tout ça est documenté sur notre blog, depuis le début (tout est public depuis le début, d’ailleurs, même si tous les documents ne sont pas toujours faciles à retrouver, même pour nous).

Et finalement c’est qui les partenaires ?

Gandi reste le partenaire principal, auquel se sont joints Qwant et l’UPMC (avec des rôles moins larges mais tout aussi fondamentaux).

Quel est le modèle économique ? Les développeurs (ou développeuses, y’en a au fait dans l’équipe ?) sont rémunérés autrement qu’en macarons ? Combien faudra-t-il payer pour ouvrir un compte ?

Je ne suis pas sûr qu’on puisse parler de « modèle économique » pour un logiciel libre : après tout chacun pourra en faire ce qu’il voudra et lui imaginer tel ou tel modèle (économique ou non d’ailleurs).

Une fois qu’on a dit ça, on peut quand même dire qu’il ne serait pas cohérent de baser des services Caliopen sur l’exploitation des données personnelles des utilisateurs, et donc que le modèle « gratuité contre données » n’est pas adapté. Nous imaginons plutôt des services ouverts au public de type freemium, d’autres fournis par des entreprises pour leurs salariés, ou par des associations pour leurs membres. On peut aussi supposer que se créeront des services pour adapter Caliopen à des situations particulières, ou encore qu’il deviendra un outil fourni en Saas, ou vendu sous forme de package associé, par exemple, à la vente d’un nom de domaine.

Bref : les modèles économiques ce n’est pas ce qui manque le plus.

L’équipe actuelle est salariée, elle comporte des développeuses, et tu peux voir nos trombinettes sur https://www.caliopen.org

L’équipe de Caliopen

 

Trouver des développeurs ou développeuses n’est jamais une mince affaire dans le petit monde de l’open source, comment ça s’est passé pour Caliopen ?

Il faut bien comprendre que – pour le moment – Caliopen n’a pas d’existence juridique propre. Les gens qui bossent sur le projet sont des employés de Gandi (et bientôt de Qwant et de l’UPMC) qui ont soit choisi de consacrer une partie de leur temps de travail à Caliopen (ce que Gandi a rendu possible) soit été embauchés spécifiquement pour le projet. Et parfois nous avons des bénévoles qui nous rejoignent pour un bout de chemin 🙂

Le projet est encore franco-français. Tu t’en félicites (cocorico) ou ça t’angoisse ?

J’ai bien des sujets d’angoisse, mais pas celui-là. C’est un problème, c’est vrai, et nous essayons de le résoudre en allant, par exemple, faire des conférences à l’étranger (l’an dernier au FOSDEM, et cette année au 34C3 si notre soumission est acceptée). Et le site est totalement trilingue (français, anglais et italien) grâce au travail (bénévole) de Daniele Pitrolo.

D’un autre côté il faut quand même reconnaître que bosser au quotidien dans sa langue maternelle est un vrai confort dont il n’est pas facile de se passer. Même si on est tous conscients, je crois, qu’il faudra bien passer à l’anglais quand l’audience du projet deviendra un peu plus internationale, et nous comptons un peu sur les premières versions publiques pour que ça se produise.

Et au fait, c’est codé en quoi, Caliopen ? Du JavaScript surtout, d’après ce qu’on voit sur GitHub, mais nous supposons qu’il y a pas mal de technos assez pointues pour un tel projet ?

Sur GitHub, le code de Caliopen est dans un mono-repository, il n’y a donc pas de paquet (ou dépôt) spécifique au front ou au back. Le client est développé en JavaScript avec la librarie ReactJS. Le backend (l’API ReST, les workers …) sont développés en python et en Go. On n’a pas le détail mais ce doit être autour de 50% JS+css, 25% python, 25% Go. L’architecture est basée sur Cassandra et ElasticSearch.

Ce n’est pas que l’on utilise des technos pointues, mais plutôt qu’ on évite autant que possible la dette technique en intégrant le plus rapidement possible les évolutions des langages et des librairies que l’on utilise.

Donc il faut vraiment un haut niveau de compétences pour contribuer ?

Difficile à dire. Si on s’arrête sur l’aspect développement pur, les technos employées sont assez grand public, et si on a suivi un cursus standard on va facilement retrouver ses habitudes (cf. https://github.com/kamranahmedse/developer-roadmap).

Effectivement quelqu’un qui n’a pas l’habitude de développer sur ces outils (docker, Go, webpack, ES6+ …) risque d’être un peu perdu au début. Mais on est très souvent disponibles sur IRC pour répondre directement aux questions.

Néanmoins nous avons de « simples » contributions qui ne nécessitent pas de connaître les patrons de conception par cœur ou de devoir monter un cluster; par exemple proposer des corrections orthographiques, de nouvelles traductions, décrire des erreurs JavaScript dans des issues sur github, modifier un bout de css…

Ou même aider la communauté sur https://feedback.caliopen.org/ ou sur les réseaux sociaux, tout ça en fait partie.

Et bien sûr les alpha-testeurs sont bienvenus surtout s’ils font des retours d’expérience.

Qu’est-ce qui différencie le projet Caliopen d’un projet comme Protonmail ?

Protonmail est un Gmail-like orienté vers la sécurité. Caliopen est un agrégateur de correspondance privée (ce qui n’est rien-like) orienté vers l’amélioration des pratiques du grand public via l’expérience utilisateur. Protonmail est centralisé, Caliopen a prévu tout un (futur) écosystème exclusivement destiné à garantir la décentralisation des échanges. Et puis Caliopen est un logiciel libre, pas Protonmail.

Mais au-delà de ces différences techniques et philosophiques, ce sont surtout deux visions différentes, et peut-être complémentaires, de la lutte contre la surveillance de masse: Protonmail s’attaque à la protection de ceux qui sont prêts à changer leurs habitudes (et leur adresse email) parce qu’ils sont déjà convaincus qu’il faut faire certains efforts pour leur vie privée. Caliopen veut changer les habitudes de tous les autres, en leur proposant un service différent (mais utile) qui va les sensibiliser à la question. Parce qu’il faut bien se rendre compte que, malgré son succès formidable, aujourd’hui le nombre d’utilisateurs de Protonmail ne représente qu’à peine un millième du nombre d’utilisateurs de Gmail, et que quand les premiers échangent avec les seconds ils ne sont pas mieux protégés que M. Michu.

Maintenant, si tu veux bien imaginer que Caliopen est aussi un succès (on a le droit de rêver) et qu’il se crée un jour disons une dizaine de milliers de services basés sur noooootre proooojet, chacun ne gérant qu’un petit dixième du nombre d’utilisateurs de Protonmail… Eh ben sauf erreur on équilibre le nombre d’utilisateurs de Gmail et – si on a raison de croire que l’affichage des indices de confidentialité va produire un effet – on a significativement augmenté le niveau global de confidentialité.

Et peut-être même assez pour que la surveillance de masse devienne hors de prix.

Est-ce que dans la future version de Caliopen les messages seront chiffrés de bout en bout ?

À chaque fois qu’un utilisateur de Caliopen va vouloir écrire à un de ses contacts, c’est le protocole le plus sécurisé qui sera choisi par défaut pour transporter son message. Prenons un exemple et imaginons que tu m’ajoutes à tes contacts dans Caliopen : tu vas renseigner mon adresse email, mon compte Twitter, mon compte Mastodon, mon Keybase… plus tu ajouteras de moyens de contact plus Caliopen aura de choix pour m’envoyer ton message. Et il choisira le plus sécurisé par défaut (mais tu pourras décider de ne pas suivre son choix).

Plus tes messages auront pu être sécurisés, plus hauts seront leurs indices de confidentialité affichés. Et plus les indices de confidentialité de tes échanges seront hauts, plus haut sera ton propre indice global (ce qui devrait te motiver à mieux renseigner ma fiche contact afin d’y ajouter l’adresse de mon email hébergé sur un service Caliopen, parce qu’alors le protocole choisi sera le protocole intra-caliopen qui aura un très fort indice de confidentialité).

Mais l’utilisateur moyen n’aura sans doute même pas conscience de tout ça. Simplement le système fera en sorte de ne pas envoyer un message en clair s’il dispose d’un moyen plus sûr de le faire pour tel ou tel contact.

Est-ce qu’on pourra (avec un minimum de compétences, par exemple pour des CHATONS) installer Caliopen sur un serveur et proposer à des utilisateurs et utilisatrices une messagerie à la fois sécurisée et respectueuse ?

C’est fondamental, et c’est un des enjeux de Caliopen. Souvent quand je parle devant un public technique je pose la question : « combien de temps mettez-vous à installer un site Web en partant de zéro, et combien de temps pour une messagerie complète ? ». Et les réponses aujourd’hui sont bien sûr diamétralement opposées à ce qu’elle auraient été 15 ans plus tôt, parce qu’on a énormément travaillé sur la facilité d’installation d’un site, depuis des années, alors qu’on a totalement négligé la messagerie.

Si on veut que Caliopen soit massivement adopté, et c’est notre objectif, alors il faudra qu’il soit – relativement – facile à installer. Au moins assez facile pour qu’une entreprise, une administration, une association… fasse le choix de l’installer plutôt que de déléguer à Google la gestion du courrier de ses membres. Il faudra aussi qu’il soit facilement administrable, et facile à mettre à jour. Et tout ceci a été anticipé, et analysé, durant tout ce temps où tu crois qu’on n’a pas été assez vite !

On te laisse le dernier mot comme il est de coutume dans nos interviews pour le blog…

À lire tes questions j’ai conscience qu’on a encore beaucoup d’efforts à faire en termes de communication. Heureusement pour nous, Julien Dubedout nous a rejoints récemment, et je suis sûr qu’il va beaucoup améliorer tout ça. 🙂




Soutenez la Quadrature du Net – Message de Jérémie Zimmermann à Framasoft

« Framasoftienne, framasoftien… » Dans ce court message vidéo, Jérémie Zimmermann s’adresse ici directement à notre communauté (c’est-à-dire à vous) pour nous expliquer en quoi il crucial de soutenir l’action et le développement actuel de la Quadrature du Net.

On compte sur vous (et n’hésitez pas à faire passer à votre voisin(e)).

(Téléchargement : MP4, WebM, Ogg et Torrent)

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En remerciement de votre don, vous obtiendrez un « Pi-xel » de la couleur de votre choix 🙂




La surveillance étatique de masse, ça nous regarde !

Jacob Appelbaum est entre autres le fondateur du projet Tor, un réseau permettant de naviguer sur Internet de manière anonyme. Il en fait mention dans cette conférence inaugurale prononcée l’an dernier au congrès du Chaos Communication Congress, mais aussi des sérieux ennuis qu’il a eus avec les autorités américaines depuis un moment en particulier à cause de ses liens avec Julian Assange et Wikileaks. Pour en savoir plus à ce sujet, parcourez l’excellent livre d’entretiens auquel il participe : Cypherpunks (pour la version française, cherchez chez Jérémie Zimmermann, autre participant).

Il nous parle ici surtout de l’évolution de l’état de surveillance, ainsi que du dernier projet de la NSA à Bluffdale,  et ce que nous pouvons faire, et pourquoi cela nous regarde, d’où le titre original «Not my Department» qui peut se traduire par « pas mes oignons ». C’est tout le contraire dont il veut nous convaincre, tant l’urgence d’une action contre la surveillance généralisée lui semble s’imposer. Que Jacob Appelbaum ait été choisi pour inaugurer le Chaos Communication Congress ne doit certainement rien au hasard.

Ce texte de présentation et la traduction initiale de cette conférence sont le travail du framalinguiste émérite Sylvain Lemenn, Il a en outre réalisé tout le sous-titrage pour la vidéo de la conférence que vous pouvez voir sur cet article de son blog. Qu’il soit ici remercié de ce travail de longue haleine.

*  *  *  *  *

Bonjour Mesdames et Messieurs, je me réjouis d’être ici aujourd’hui, mais l’allemand n’est pas ma langue maternelle, aussi vais-je continuer en anglais.

C’est un honneur d’être ici aujourd’hui. Le Chaos Computer Club est comme une famille pour moi. Et c’est un si grand honneur de pouvoir vous parler à tous ici, et c’est ridicule que l’on m’ait demandé de faire ce discours d’ouverture. J’espère que je ne suis pas en train de faire perdre 3000 heures collectives aux personnes les plus intelligentes de cette planète pour ce que j’ai à leur dire dans les 60 prochaines minutes.

Je veux commencer en remerciant tout le public pour ma présence ici. Et aussi des personnes en particuliers, je veux parler de Laura Poitras, qui est la femme qui se trouve ici, car elle a produit et édité les vidéos que l’on va voir. J’ai travaillé pas mal avec elle, et c’est vraiment une artiste formidable et stimulante, que j’aime beaucoup. Et je voudrais commencer en faisant la lecture d’une vidéo, qui fait partie d’un projet d’art sur lequel nous travaillons, sur lequel beaucoup de monde travaille, et si on pouvait faire la lecture de cette première vidéo, je pense que ce serait un bon moyen de commencer.

Super. Donc maintenant nous avons une idée de la teneur de mon discours, n’est-ce pas ? Juste au cas où il y aurait une quelconque suspicion que je changerais de cheval de bataille en chemin.…

C’est un lieu, il s’appelle Bluffdale, dans l’Utah. Et c’est un des plus gros centres de données que nous connaissons, que la NSA est en train de construire. Et il y a la question, bien sûr, de la nature de ce qu’ils sont en train d’essayer de construire, et du pourquoi, ce qu’ils comptent exactement faire avec cet espace et comment. Et je vais parler un peu de ça. Très bien.

Et ce que j’espère souligner, c’est que cela nous regarde tous.

Donc c’est un opération lente. Mais il n’y a pas vraiment quoi que ce soit que l’on pourrait reprocher, dans cette opération, c’est juste la construction d’un très grand bâtiment. Et maintenant je vais lire des adresses, qui ont été transmises, quand Bill Binney, Laura, et moi-même avons fait un show chez Whitney.

2651 Olive Street, St. Louis, Missouri, 63103 United States.

420 South Grand Los Angeles, California, 90071 United States

6/11 Folsom Street, San Francisco, California, 94107 United States

51 Peachtree North-East Atlanta Georgia, 3030 United states

10 South Cannala Chicago Illinois 60606 United States

30 East Street South West Washington DC, 20024 United States

811 10th Ave New York, New York, 10019 United States

12967 Hollenberg Drive, Richtown

Un centre d’interception conçu pour stocker des données pendant un siècle

Ces adresses sont potentiellement des centres d’interception des communications locales aux États-Unis. L’une d’entre elles a été confirmée par Marc Klein, qui a sonné l’alarme et évoqué le fait que la NSA faisait de la surveillance intérieure. Moi et beaucoup d’autres personnes pensons que le but de centre de données est de bâtir quelque chose pour enregistrer et traiter une grosse quantités d’interceptions, selon les calculs de Bill Binney, qui a été analyste à la NSA pendant presque 40 ans. Il pense que ce centre sera utilisé pour stocker des données pendant probablement quelque chose comme un siècle. Et donc en théorie, on pourrait penser que ce n’est pas grand-chose, on n’a pas de souci à se faire. Je veux vraiment m’assurer qu’on va couvrir dans ce discours ce qui va se passer tout de suite, que ceci ici est dans les pensées de tout le monde. Un centre de données conçu pour stocker des données pendant un siècle semble être une théorie raisonnable pour ça. Et si vous lisez les informations disponibles à ce sujet, vous vous apercevrez en fait que cela semble être, probablement, une sous-évaluation. Et probablement, comme il y a plus d’un centre comme celui-ci, qu’il y a la possibilité qu’un siècle soit la version courte.

Et c’est une proposition extrêmement effrayante. Donc, l’une des raisons pour lesquelles je voulais vous montrer ça. Je veux en faire mon fil directeur, mais je veux vous communiquer une citation, qui est « Rien ne renforce la raison et n’augmente notre conscience plus que la responsabilité individuelle » qui est une citation d’une féministe connue sous le nom d’Elizabeth Stanton. Ceci je pense est utile quand on parle de choses qui ne sont pas nos oignons.

Car, qu’avons-nous à voir avec la NSA ? Qu’est-ce qu’on en a à faire de ce centre de données géant qui se construit à Bluffdale ? eh bien, en fait ce qui est en partie si effroyable, c’est qu’avec Internet et les systèmes de télécommunications tels qu’ils existent aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de frontière géographique. Cela change vraiment ce dont on peut et ne peut pas se soucier par rapport à avant. Le point crucial, c’est que les interceptions de la NSA, ces points d’interception, ils transporteront pas seulement le trafic des Américains, ils transporteront les paquets de tout le monde par Internet. Donc, se soucier de ce centre de données, c’est en fait une tâche très sérieuse que l’on doit étudier. Car en fait, cela impacte tout le monde. Mais même si on n’utilisait pas Internet, cela influe sur les gens qu’on aime de manière indirecte. Donc j’espère que dans les 50 minutes à venir, je serai capable de vous convaincre que ces choses sont vos oignons.

Et je veux en quelque sorte commencer à parler de ce que Rop et Frank avaient parlé pendant ces dernières années. Est-ce que quelqu’un ici a vu ces discours qu’ils ont donnés, comme le discours « On a perdu la guerre », et « Comment la société pourrait s’effondrer ? » Est-ce que vous pouvez lever la main pour ça ? Ok, donc, un peu près la moitié d’entre vous. Je veux dire qu’ils en ont parlé, et ils ont dit que nous avons perdu la guerre, la guerre sur le renseignement. Essentiellement, tellement de gens ont fait le choix de basculer du côté obscur de la force, comme cela a été appelé, c’est-à-dire travailler sur l’inspection de paquets, les équipement de censure, les équipement de surveillance, le ciblage d’informations, etc. C’est, en fait, ce qui s’est passé. Si vous regardez les métiers qui offrent des très bons salaires, que les gens connaissent, ce sont en général des métiers sur des systèmes de contrôle. Il y a des postes de recherche évidemment qui existent dans le monde,mais on gagne bien plus à travailler pour Lockheed Martin qu’à travailler pour une université. Donc les gens vont choisir, pour parfois de bonnes raisons, ou pour des raisons qui se comprennent, de faire ce genre de tâche. Et parfois des gens vont même recourir à des arguments d’ordre moral en disant des choses comme « grâce à Stuxnet, nous avons été capables d’éviter la violence ou de bombarder une usine ». Bien sûr, la réalité c’est que ces choses ne sont pas utilisées toutes seules, elles sont utilisées de concert avec les bombardements d’usines. Donc, il est certainement intéressant de mentionner que ces types, Frank et Rop, de même que bien d’autres personnes qui n’ont pas protesté et communiqué au Congrès leurs idées, que ces personnes tapaient vraiment en plein dans le mille.

Résister à un état policier et renverser la vapeur si on le souhaite

Et malheureusement maintenant, nous vivons dans le monde qu’ils annonçaient. Et c’est un monde incroyablement effrayant, et ces dernières années, j’ai eu le malheur d’être pris pour cible par une bonne partie de ce monde. Et je peux vous dire que cela a été un nombre de jours particulièrement désagréables. Vivre un jour après l’autre c’est la façon de le prendre, ou de s’en accommoder, et ce n’est pas une façon agréable ou facile de vivre. Et quand Frank et Rop ont parlé de cela, ils avaient encore une dose d’espoir dans leur voix, et je pense que c’était important. Donc ce que je voulais faire, c’était de prendre cet espoir et de se focaliser dessus. Et d’essayer de le prendre et de dire qu’en dépit du fait qu’il y a des systèmes de contrôle oppressants et qu’en dépit du fait qu’on vit tous maintenant dans un état policier, qu’il serait toujours possible, et je pense raisonnable de résister à cet état policier et de renverser la vapeur si on le souhaite. Et je pense qu’un jour pourrait venir où ce ne serait pas vrai. Je ne crois pas que ce jour soit arrivé aujourd’hui.

Donc, Frank voulait vraiment que j’insiste sur ce point, que l’on peut faire un choix de ce que l’on veut faire avec notre temps. C’est la notion du côté clair et du côté obscur de la force. Je ne pense pas personnellement que ce genre de blanc et noir, white hats et black hats, l’éthique des white hats et black hats, rime à grand chose, car je ne définis pas mon cadre moral et éthique en faisant des comparaisons avec des westerns en noir et blanc des années 50, et je voudrais dire qu’il y a une nuance ici. Mais il y a des choses simples que vous pouvez faire pour décider si vous travaillez sur quelque chose qui est oppressant. Et l’une d’entre elles est juste de vous demander si vous travaillez sur un système qui aide à contrôler d’autres personnes, ou si vous travaillez sur un système qui aide d’autres personnes à avoir un contrôle sur leur propre vie. Et c’est un test vraiment simple. Si vous travaillez sur l’inspection de paquets qui sera effectuée sur des gens qui n’ont pas leur mot à dire dans l’histoire,vous travaillez sans doute pour l’oppresseur. Ce n’est pas garanti, car il y a plusieurs facteurs qui rentrent en compte. Blue Coat ne considère sans doute pas qu’ils sont un outil dans l’arsenal des dictatures militaires. Mais la réalité c’est que quand le gouvernement d’Assad ou que la dictature militaire birmane ou que leurs soi-disant entreprises libérales en Birmanie utilisent Blue Coat, ce qu’elles font. Elle le font depuis quelques temps, et elles vont probablement continuer, Blue Coat fait en réalité partie du système de contrôle. Maintenant, sont-ils responsables ? C’est une bonne question. Je n’en ai pas la réponse, mais j’ai une réponse pour décider si oui ou non je pense qu’ils jouent un rôle dans cela, et c’est oui. Quel rôle ? eh bien cela reste à déterminer.

Et ce que j’espère, c’est que des personnes, particulièrement celles qui sont dans cette pièce, ont en réalité fait le choix qui est l’opposé de cela, qu’elles ont fait le choix de travailler sur des systèmes qui aident les gens à être libres. Quand, par exemple, nous voyons Mitch Altman de Noisebridge, qui a consacré sa vie à enseigner l’électronique aux gens, et à faire du matériel libre et du logiciel libre, nous voyons qu’il donne du pouvoir aux gens de manière positive. Et c’est quelque chose qu’en tant que communauté, je pense qu’on devrait vraiment faire la démarche de louer les gens qui font cela. Bunnie Huang qui fait du matériel libre, c’est un héros, vous pouvez l’applaudir si vous voulez. Le truc, c’est que je ne peux sans doute pas le faire, mais j’ai écrit un nom, une liste des noms des personnes qui m’ont inspiré, un jour que je prenais le petit déjeuner. Et elle est plutôt longue, donc je ne vais pas tout vous lire, mais c’est vrai aussi pour Lady Ada, Christine Corbett, et d’autres gens formidables partout. Des gens qui n’ont pas de nom, qui sont en fait anonymes dans la communauté, mais on devrait les considérer, et on devrait les considérer avec fierté, et et on devrait les considérer en apportant un soutien et une aide réciproque, et de la solidarité. Car il ne s’agit pas juste du négatif. Tout le monde ici ne travaille pas pour FinFisher, n’est-ce pas ? Et en fait, il y a sans doute plus de personnes qui travaillent contre FinFisher, merci pour ça. Dans ce but, nous pouvons faire un choix sur ce que nous aimons faire. Et il est possible de gagner sa vie en faisant du logiciel libre pour la liberté, au lieu de logiciels propriétaires malveillants pour les policiers…

Mais il y a un coût pour cela, et je veux attirer l’attention sur un point dans la vidéo suivante. Je vais être silencieux pendant sa lecture, contrairement à la dernière., et elle dure une minute, donc si vous pouviez la lire…

« Est-ce que la NSA intercepte régulièrement les courriels des citoyens américains ? »

— Non.

— Est-ce que la NSA intercepte les communications téléphoniques des Américains ?

— Non.

— Des recherches sur Google ?

— Non.

— Des textos ?

— Non.

— Des commandes sur Amazon.com ?

— Non.

— Des relevés bancaires ?

— Non.

— Quel accord légal est nécessaire pour que la NSA intercepte des communications et des données impliquant des citoyens américains ?

— Aux États-Unis, ce serait le rôle du FBI. Si c’était une personne en-dehors des États-Unis, la NSA ou d’autres services de renseignements sont autorisés à le faire. Mais pour mener ce genre de collecte de données aux États-Unis, vous auriez à consulter un juge, et le juge devrait l’autoriser. Nous ne sommes pas autorisés à le faire, et nous ne le faisons pas. »

Je pense que vous pouvez comprendre les sous-entendus ici, qui sont « je suis protégé, mais pas vous ». Je parie que ça vous comble de bonheur. Donc ce centre de données que nous regardions, ce qu’il vient de témoigner devant le congrès, c’était le général Alexander, c’est probablement la personne la plus puissante au monde, même plus puissante que le président des États-Unis, ou tout autre dirigeant au monde. Il dirige l’infrastructure de renseignement pour toute la NSA. Et il a des liens avec le reste des services de renseignement aussi. Donc ce qu’il dit simplement, c’est que s’il n’y avait que des Américains, par hypothèse, aux États-Unis, ils seraient sans doute tranquilles. Ce qui ne me réjouit pas, car il y a sept milliards de personnes sur cette planète, et seulement quelques-uns sont Américains, pourquoi devraient-ils être traités de manière spéciale pour cela ?

Donc ce gigantesque centre de données que nous voyons, il est pour chacun d’entre vous. Et il est aussi pour moi, car en dépit du fait que je suis américain, être associé avec Wikileaks, c’est comme… eh bien, ce n’est pas du bon temps aux États-Unis. Donc il y a un truc à dire ici, qui est que ce type est un putain de menteur tout d’abord, car nous tenons de Mark Klein la certitude que la NSA était en fait en train de mener une surveillance globale de toutes ces choses. Donc direct, le type est un menteur. Mais en plus d’être un menteur, ce qui déjà bien grave dans ce contexte, il ne fait même pas du tout semblant de prétendre que vous ayez une quelconque valeur. Et que vous avez des droits. Et que vie privée est importante. Et que votre dignité humaine compte, en raison de l’endroit où vous êtes nés, et du drapeau qu’il s’imagine que vous avez. Ceci pour moi est très déprimant, et en fait j’ai l’impression que cela donne au reste de l’humanité qui vit aux États-Unis une très mauvaise image, et donc j’en suis très désolé.

Quand vous êtes pisté, c’est le début de la fin de vos libertés

Mais je veux parler d’autres choses, qui concernent cela aussi, car si on réfléchit juste à la surveillance de masse de manière séparée, on aura, je pense, un petit problème, une petite suite de problèmes en fait. Donc parlons d’autres choses qui ont toutes des caractéristiques d’un état policier. Tout d’abord, la rétention de données et le flicage rétroactif, qui sont clairement des violations des droits de l’Homme en Europe c’est clairement le cas, ce genre d’activités fait de tout le monde un suspect. Et être un suspect, c’est déjà ne pas être libre d’après mon expérience, et en fait, au 18e siècle, il y avait un auteur britannique qui a écrit : « être libre de tout soupçon est l’une des premières libertés qui est importante pour être libre le reste de votre vie ». Quand vous êtes pisté, quand on enquête sur vous en raison d’un caprice de quelqu’un, c’est le début de la fin de votre liberté. Donc, il semble que la rétention de données soit le début de la fin d’un paquet de vos libertés. Et c’est une chose très effrayante. Et quand des gens font du flicage rétroactif, c’est quand ils génèrent ce manque de liberté d’une façon bien spécifique. Et puis ils font ce genre d’actions, cela dépend, bien sûr, dans quel état vous vous trouvez et quelles lignes de fibre optique vous avez utilisées quand vos bits les ont empruntées.

Mais comment est-ce que cela se passe ? Cela dépend, n’est-ce pas ? Et cela dépend d’une manière bien précise, donc par exemple, les attaques par drones, et je ne parle pas uniquement de la mort de l’innocent Anwar al-Aulaqis, ce gamin de 16 ans au Yemen, mais les morts par attaques de drones de milliers de personnes. Les informations sur les cibles sont envoyés à la CIA et à d’autres groupes depuis des centres d’écoute, de centrales de renseignement. Donc il y a un lien direct entre le renseignement, et le soutien à de véritables meurtres. C’est quelque chose d’effrayant, mais ce qui le rend encore plus effrayant, c’est la manière dont ces attaques par drones sont conduites, c’est-à-dire que c’est le comité central qui va décider qui vit, et qui meurt, ou la Chambre étoilée d’assassinat d’Obama, ce comité central, qui m’a l’air de ressembler à la logique soviétique dont je me rappelle de mon enfance. Ce comité central décide de manière non démocratique qui va être assassiné. Et c’est à un ou deux pas du renseignement. Donc quand vous aidez l’état policier, vous aidez littéralement à faire tuer des putains d’enfants. C’est quelque chose qui ne va peut-être pas m’aider à dormir la nuit.

Et vous pouvez choisir de ne pas en faire partie. Presque tout le monde ici, je pense, a fait ce choix. Mais si vous n’êtes pas décidés, je suppose que vous pouvez devinez dans quel camp je vous suggérerais d’aller. Mais il y a d’autres pistes. Admettons que les attaques par drones semblent un peu trop farfelues, n’est-ce pas ? Eh bien, en Ouganda, il y a eu un projet de loi depuis un moment qui semble presque annulé, mais pas tout à fait, pour lequel ils voulaient donner la peine capitale pour être un homosexuel, où le cas d’homosexualité prononcée est un crime. Je pense que c’est quand vous continuez à vous branler, je ne suis pas très sûr de connaître la définition de « homosexualité prononcée ». Mais la simple idée que quelqu’un pourrait être forcé de vous dénoncer, sinon il risque la prison, voilà quelque chose qui va être profondément modifié par la surveillance.

Bien sûr, nous pouvons parler de thèmes plus généraux, comme l’oppression du peuple tibétain par la Chine, nous pouvons parler des portes dérobées pour la police, et d’autres soi-disant logiciels malveillants d’interception légale, nous pouvons parler des guerres d’agression en Irak et en Afghanistan, de l’état policier touche-à-tout. Et c’est bien plus que ça, dans ce cas de figure l’état policier fait partie du système de contrôle qui cause tant de souffrances. Il peut aussi amener de bonnes choses dans ce monde, mais avec le secret, l’état policier devient une chose totalement inacceptable.

Donc on peut s’intéresser à d’autres choses qui sont tout aussi préoccupantes, et on peut voir qu’il y a des connexions qui ne sont pas évidentes. Les procès militaires des prisonniers politiques en Égypte, le génocide du peuple syrien, maintenant la justice britannique et suédoise en ce qui concerne Julian Assange, Les sympathisants nazis en Allemagne qui ont donné des passeports à des meurtriers nazis et qui n’ont toujours pas de compte à rendre, l’oppression et les coups portés contre les gens en relation avec Wikileaks, ou soi-disant contaminés par Wikileaks, les entreprises qui vendent des équipements à des dictatures brutales et des régimes autoritaires pour du renseignement aussi bien que de la censure, voire les deux.

La réalité, c’est que la police secrète et les agences de renseignement changent en fait notre capacité à nous gérer nous-mêmes librement, et elles le font d’une telle manière que ce n’est pas évident, et il semble impossible de résister. Parce que ces choses elles-mêmes sont secrètes, il devient extrêmement difficile pour nous de même savoir où commencer à résister. En son cœur, aux États-Unis, au point où on en est, c’est que nous avons des lois secrètes avec des interprétations secrètes, et un manque total de responsabilité. Fondamentalement, ce que sont ces choses, c’est qu’elles sont des méthodes avant-gardistes de répression, qui sont les prémices avant-gardistes du totalitarisme, elles sont paternalistes, insultantes, et soi-disant au-dessus de la loi.

quand on émet des critiques, on est écrasé

Si vous avez jamais eu l’occasion de rencontrer certaines des personnes qui travaillent dans les agences de renseignement qui sont toujours en place, certaines d’entre elles sont plutôt bien, elles sont au fond des personnes extraordinaires, mais en ce qui concerne leur travail, elles sont plutôt mal barrées. C’est-à-dire, si ces gens veulent garder leur travail, ils n’ont pas vraiment la liberté d’émettre des désaccords. Si on s’intéresse à des personnes, par exemple Bill Binney ou Thomas Drake, ce que l’on voit, c’est que quand on émet des critiques, on est écrasé. Votre vie de famille serait ruinée. Il y un prix très lourd à payer pour dire la vérité, il y a un prix très lourd à payer pour un système plus juste. Bill Binney m’a vraiment épaté d’une manière spéciale. Je pensais, sûrement qu’avec un type qui a travaillé à la NSA pendant 40 ans nous n’aurions pas grand-chose en commun, mais il s’avéra qu’il me dit qu’il pensait que l’espionnage était en fait un acte immoral, mais que peut-être pendant la guerre froide c’était un mal nécessaire. C’est-à-dire, que peut-être ils pouvaient empêcher une guerre atomique totale, et en même temps il concéda que ce n’était pas la bonne chose à faire que d’espionner les gens, que ce ne devrait pas être une fin en soi. Je fus vraiment touché par cela, car d’habitude c’est quelqu’un va dire « eh bien, sauf pour les Américains. Vous pouvez espionner tout le monde, mais pas les Américains. » Et pour lui, le déclic a été, si je le comprends bien, quand il a décidé qu’il était mal d’espionner tout le monde, et quand ils ont décidé d’espionner les Américains, il était clair qu’on ne pouvait pas leur faire confiance pour espionner qui que ce soit, pas un seul individu, et le faire d’une manière qui débouche sur de la justice. Cela m’a beaucoup surpris, m’a en réalité fait changer d’opinion plutôt radicalement à propos des personnes qui pourraient travailler à la NSA. Mais après, il s’avère qu’il a beaucoup souffert en conséquence de son opinion, donc peut-être que cela ne change pas trop mon opinion de beaucoup par rapport aux gens qui y sont encore.

Mais fondamentalement, les droits de l’Homme devraient en théorie être quelque chose pour lesquels on travaille collectivement en tant qu’être humain, en tant que peuple. Et pourtant, il ne semble pas vraiment que c’est ce qui est en train de se passer. Il y a beaucoup de théories à ce sujet, mais si vous tuez des centaines de milliers de gens, c’est très difficile de parler des bénéfices de ces technologies d’une manière qui ne ressemble pas à du fanatisme, juste du fanatisme basique. Donc, il arrive que l’on se construise des défenses psychologiques à ce sujet. Donc pour la moitié des personnes que j’ai rencontrées et avec lesquelles j’ai discuté, quand c’est la première fois qu’elles pensent à l’état policier, elles en parlent avec leur réaction première, quand elles ont passé 5 minutes à y penser. Et elles disent : « eh bien, cela ne me concerne pas », ou « cela ne va pas changer ma vie », « en fait, les seules personnes qui vont sentir un changement, seront les personnes qui le méritent », « vous savez, celles qui font l’objet d’une enquête légitime ». Je ne suis en fait pas sûr de savoir ce qu’est une enquête légitime, quand vous ne pouvez pas tenir les gens pour responsables, et qu’il y a des lois secrètes. Être gouverné par des lois et être soumis à la loi n’est pas exactement la même chose. La gouvernance par décrets ne veut pas dire qu’elle est juste, juste parce que c’est écrit, particulièrement si l’interprétation est secrète.

Donc, après que les gens reconnaissent que cela pourrait changer leur vie, il y a quelque chose d’extraordinaire qui se passe, et l’une d’entre elle, c’est que les gens vont essayer de minimiser leur rôle dedans, en disant des trucs comme « eh bien, ce ne sera pas possible de me retrouver dans ce gigantesque ensemble de données », ou « même si je me distingue, rien ne va m’arriver ». Et puis finalement, s’il leur arrive d’être aussi malchanceux que je l’ai été ces dernières années, ils diront quelque chose comme « eh bien le système marche, et aucune injustice ne va arriver, car l’état est bienveillant ». Il n’y a pas beaucoup de personnes que j’ai rencontrées qui en sont à cette étape, et qui continuent vraiment à croire cela pour très longtemps. Cela pourrait être bien de considérer qu’on n’a pas besoin d’en arriver là pour reconnaître qu’il y a une grande démence dans cette manière de penser, dans ce schéma de pensées. Il se pourrait que l’état policier qui existe en fait, est problématique, même si vous ne comprenez pas complètements ses effets négatifs. Donc vous pouvez voir cela aussi comme mécanisme de défense dans les groupes, en réaction.

Je pense, que la séparation entre Wikileaks et Open Leaks est probablement le meilleur exemple du fait que les groupes, même des groupes bien soudés, vont diverger, vont générer des rancunes, et que ce sera en fait un désastre. Et c’est très triste, tragique même, et ce genre de chose, même quand on essaye de les combattre, on n’est pas très sûr de savoir comment elles arrivent. Je veux dire, dans l’histoire on peut voir comment ces genres de disputes peuvent arriver, mais le fait est qu’on n’en tire pas toutes les leçons. Donc, c’est plutôt triste, que l’on concentre autant d’énergie sur des éléments avilissants comme quand quelqu’un fait un truc génial, et que quelqu’un dit « ah oui, mais ce truc », et la discussion s’entame sur ce truc. Je pense, en fait, qu’il pourrait être plus sensé de se concentrer sur les choses positives, aussi. Il est vrai que parfois les gens font du matériel libre et du logiciel libre, mais avec un blob propriétaire, cela ne veut pas dire qu’on ne devrait pas les remercier, et les créditer pour ça, en fait, vraiment les féliciter de donner autant d’efforts pour faire des choses les plus libres possibles. C’est trop dommage qu’un truc ne soit pas libre, mais peut-être qu’on peut fournir un effort supplémentaire et libérer ce truc-là. C’est presque la même observation, mais la façon dont c’est dit nous permet d’y penser comme si on faisait partie du projet. Et cela aide à garder les gens ensemble, et cela aide à garder les gens motivés pour travailler ensemble, en fait. Je pense que c’est une idée utile, d’essayer d’adopter ce comportement.

ce mécanisme de défense qu’ont les gens, de penser qu’ils sont journalistes, donc protégés, et que personne ne va rien leur faire, c’est un non-sens. Aux États-Unis, chaque journaliste qui est soumis aux tentacules des écoutes du sans fil est… surveillé

Nous avons aussi des défenses psychologiques à propos du monde physique, ce dont j’ai personnellement une grosse expérience. Par exemple, cette idée que les mandats sont obligatoires pour pénétrer dans une maison, que votre lieu physique est d’une façon ou d’une autre protégé, c’est une idée dépassée, Je ne le crois certainement plus maintenant, c’est un peu triste, mais cela ne semble pas être le cas. Aux États-Unis, il y a une chose appelé le Patriot Act. Et la section 215 du Patrio Act dit essentiellement quelque chose, et c’est interprété d’une toute autre façon, c’est à dire, qu’il y a une interprétation secrète de la section 215 du Patriot Act. Et si vous questionnez Bill Binney à ce sujet, il vous dirait que c’est de bonne guerre. C’est-à-dire, peu importe ce que vous pensiez que la Constitution disait, ou peu importe ce que vous pensiez que la Déclaration universelle des droits de l’Homme disait, ce n’est pas vraiment ce qui est en train de se passer. Et donc, ce mécanisme de défense qu’ont les gens, de penser qu’ils sont journalistes, donc protégés, et que personne ne va rien leur faire, c’est un non-sens. Aux États-Unis, chaque journaliste qui est soumis aux tentacules des écoutes du sans fil est… surveillé, hors de toute considération des protections du journalisme en général.

Chaque membre du Congrès, chaque personne dans cette pièce, particulièrement chaque personne dans cette pièce. Et bien sûr, des gens vont dire des choses comme « bah, ne traverse pas la frontière avec quoi que ce soit ». C’est juste tellement stupide. Donc vous savez, par exemple quand j’ai traversé la frontière avec un téléphone, je ne suis en fait pas autorisé à vous dire ce qui est arrivé au téléphone. Et évidemment c’était une erreur de traverser la frontière avec un téléphone. Mais ce n’était pas tant une erreur, puisqu’un téléphone se connecte au système téléphonique, et chaque numéro dans ce téléphone avait déjà été utilisé pour répondre à un appel, donc ce n’est pas comme si ce jour-là, il n’était pas déjà dans les mains des oppresseurs… En l’occurrence il y avait aussi dans le répertoire des faux numéros supplémentaires juste pour s’amuser. Je veux dire, si un état policier se met à arrêter des gens coupables d’avoir des relations, vous voudriez être sûr d’avoir des numéros de connards dans votre téléphone, n’est-ce pas ?

(applaudissements)

rien ne va plus gâcher votre nuit que sentir qu’il y a un état entier qui vous marche sur la gorge

Mais la réalité, c’est que quand je ne peux pas passer la frontière avec quelque chose de compromettant, c’est moi qui décide d’être docile, et c’est moi qui décide d’accepter oppression. Et chacun ici pourrait faire ce choix, mais je dis « merde », ce n’est pas un choix qu’on devrait avoir à faire. C’est en fait un mécanisme pour faire avec, et ces mécanismes viennent en réaction au sentiment qu’on n’a pas de moyen d’action, qu’on est totalement impuissant, par exemple les gens qui ruminent des pensées comme « comment je vais manger ? », « comment je vais nourrir mes enfants ? », « comment je vais les éduquer ? », « si je ne joue pas le jeu, si je ne me soumets pas, ils vont me faire vivre l’enfer ? ». Une partie du problème ici, et c’est marrant de dire ça en Europe car le contexte est si différent, une partie du problème ici est l’état. Quand l’état a le pouvoir pour nous faire avoir ce genre de pensée dans notre tête, quand il nous permet de créer et de faire ces choix, nous devenons moins libres. Donc, peut-être qu’en reconnaissant ces mécanismes, et qu’en essayant d’identifier le suivant sur la liste, essayer d’isoler la prochaine pensée, cela pourrait être utile. Je pense que c’est utile. Et en ce qui me concerne, ce que j’ai essayé de faire, de reconnaitre, c’est que j’essayais de m’arranger avec une situation qui était ingérable. Je veux dire, rien ne va plus gâcher votre nuit que sentir qu’il y a un état entier qui vous marche sur la gorge. Ce n’est même pas cool d’en parler en soirées, je veux dire il n’y a vraiment pas grand-chose de sympa là-dedans.

Mais il y a du bon à en tirer, c’est de montrer aux gens qu’on n’est pas sans option. Que cela ne termine pas simplement dans les pleurs. Je veux dire, cela pourrait, mais pas tous les jours. Vous pouvez choisir comment cela se passe. J’ai eu l’opportunité de rencontrer le Dalaï Lama en Inde, il y a un peu près deux semaines, et de rencontrer le peuple tibétain qui s’est échappé du Tibet sous le règne de oppresseur chinois. Des gens qui ont été électrocutés, eu le crâne fendu, les tripes arrachées, les dents cassées, leur famille emprisonnée, tout y passe, ils l’ont vécu. Et j’ai pris conscience que je n’ai pas de problèmes, par comparaison, mais j’ai compris ceci : ce sont les personnes les plus accueillantes que vous puissiez imaginer, c’est plutôt touchant, en dépit du fait qu’ils représentaient une théocratie brutale il y a un siècle, ils ont certainement appris depuis. Et c’est un fait que nous pouvons décider comment nous faisons face à ces choses. Nous pouvons devenir de plus en plus froids, ostracisés, nous pouvons nous détruire, nous pouvons affaiblir nos communautés, nous pouvons travailler contre nos intérêts dans le long terme, ou nous pouvons essayer de trouver de la joie dans la vie que nous avons, et nous pouvons essayer de faire un monde meilleur que celui dont nous venons, dans lequel nous avons vécu.

Quand je regarde Bill Binney, et Thomas Drake, et Jesselyn Radack, et John Kiriakou, qui sont des lanceurs d’alertes importants aux États-Unis, et trois d’entre eux sont en fait dans le public ici, et font une conférence que vous devriez voir, plus tard aujourd’hui. C’est la meilleure chose de ce Congrès, et j’inclus ce discours (rires). Ces types et Jesselyn sont incroyables, et je recommande que vous écoutiez leur histoire, car ils seront capables de vous dire ce que cela fait que de protester pour les bonnes causes, et même d’essayer de le faire de la manière la plus directe possible, par les voies normales. Binney a en fait passé dix ans dans le système lui-même, tout ça pour conclure que le système ne marche pas comme il devrait pour régler les problèmes dont il est censé s’occuper. Donc c’est une personne, qui je pense, a épuisé tous les recours possibles, que je n’aurais même pas considérés. Mais il m’a prouvé que je ne m’en serais pas donné la peine pour de bonnes raisons. Je veux dire, cela ne marche pas bien, et il y des choses à dire à ce propos. Mais leur histoire, je ne peux la raconter comme il faut, de même que je ne peux pas raconter l’histoire de Bradley Manning, ou celle de Julian Assange, et ce à quoi il est confronté maintenant. Mais ce que je peux dire de ces choses, c’est que si on les compare et confronte avec l’histoire de Robert Bails, le soi-disant massacreur (on peut employer ce mot je suppose), c’est que quand vous êtes au service de l’état, même si c’est pour tuer (il paraît) vingt afghans, ils vous emmèneront en deux temps trois mouvements, vous donneront du temps pour votre famille. Au contraire du cas de Bill Binney qui a un pistolet braqué sur sa tête quand il prend sa douche, ils s’assurent juste de l’emmener vers le centre de détention général de Leavenworth. Comparez ça à disons, Bradley Manning, qui a passé des mois à être torturé à Quantico avant de découvrir le centre de détention général de Leavenworth.

Il y a quelque chose à dire à propos de ce genre d’exemples qu’on a vus avant, et je pense que ce que l’on peut dire, c’est que certaines personnes ont un chemin très difficile, et quand elles choisissent d’emprunter ce chemin, cela vaut le coup de faire ce choix ; Bill, Thomas, et Jesselyn ont travaillé très dur en essayant de montrer au monde, qu’en fait cela ne vaut pas vraiment le coup de renoncer, mais ce n’est pas une tâche facile, et quand on parle à Thomas, de l’impact que cela a pu avoir sur sa famille, il est clair pour moi que l’état a fait exprès que ce soit dur, c’est une de leurs tactiques.

Mais la conséquence, c’est que les gens pensaient que moi, ou les gens qui parlaient de l’état policier, qui parlaient du centre de données de l’Utah, que nous étions complètement cinglés. Mais maintenant ce n’est pas le cas. Plus personne ne pense cela maintenant. Maintenant nous comprenons que le programme d’écoute de la NSA existe. Nous comprenons que le centre de données est là pour espionner sur nous tous. Nous ne cherchons plus à nier les faits. Nous ne les nions plus. C’est la réalité. C’est à cause des choses qu’ils ont faites qu’il en va ainsi. C’est en raison du courage qu’ils ont dans leur cœur, et des souffrances qu’ils ont endurées.

l’anonymat à lui tout seul n’est pas assez. Il faut aller plus loin.

Et le but n’est pas de larmoyer sur leur cas, et le but n’est pas de dire que l’anonymat n’est pas important, c’est juste de dire que l’anonymat à lui tout seul n’est pas assez. Il faut aller plus loin. L’anonymat va vous faire gagner du temps, mais il ne va pas apporter de la justice à tout le monde. Il ne va certainement pas leur apporter de la justice, et cela ne les aiderait pas de toutes façons, car sur le long terme, il est facile pour l’état de lever l’anonymat de tout le monde, en fait je pense que ce sera assez facile de lever l’anonymat de presque tout le monde dans un état totalement policier, car nos habitudes nous trahiront, car notre manière d’écrire nous trahira. Donc, en théorie, les choses que j’ai dites sont des choses qui ne sont probablement pas un scoop pour personne ici, et vous entendez souvent cela comme tactique de déni, « eh bien, ce n’est rien de nouveau, il n’y a rien de spécial ici ». Bien, je l’entends. Et j’aimerais vous soumettre un « arrêtons de jouer les gros malins », car il est vrai que certaines de ces choses ne sont pas nouvelles, mais la réalité c’est que nous devons faire quelque chose à ce sujet, et peu importe pour combien de temps on a su que cela ne tournait pas rond. Donc il y a des choses que nous pouvons faire en réalité.

Et cela vaut la peine de mentionner que cela n’arrive pas qu’aux informateurs, ou à leurs connaissances, ceux qui sont les personnes les plus dangereuses sur Internet, ou à ceux sous anonymat, ou des choses comme ça. Cela arrive à Monsieur Tout-le-monde. Et je vais vous parler à peu près deux minutes, eh bien c’est un exemple très personnel et je me suis demandé si j’allais le mentionner ou non, et je pense que je vais en parler, juste parce que je pense que c’est important.

Aux États-Unis, ce n’est sans doute pas une surprise pour la plupart d’entre vous, j’ai une mère. Mais ma mère et moi ne sommes pas spécialement proches, et malheureusement pour elle, ma mère est plutôt une malade mentale, et sa vie est plutôt tragique, plus tragique que celle des personnes que j’ai mentionné jusqu’ici. Mais ce qui est le plus tragique en ce qui la concerne, c’est que pendant ces deux dernières années, à peu près quand on a commencé à me harceler aux États-Unis, mais probablement sans aucun lien, elle a été arrêtée et emprisonnée. Et l’état a en fait violé toutes les lois que vous pouvez imaginer en l’arrêtant, y compris l’irruption dans sa maison sans mandat pour fouiller ou arrêter. En dépit du fait qu’elle a été arrêtée dans des circonstances très louches, et en dépit du fait que sa vie a été totalement détruite, quand sa maison et ses biens lui ont été confisqués, et qu’on ne lui a rien laissé, elle a été conduite de force dans un hôpital psychiatrique. Et en conséquence, ils ont décidé qu’ils peuvent la retenir pendant trois ans sans procès. Maintenant, être malade mentalement, ce n’est pas en soi un crime. Mais parce qu’elle a été arrêtée pour quelque chose qui est soi-disant un crime, cela veut dire qu’ils peuvent la retenir jusqu’à ce qu’elle soit saine, ce qui a pour effet de criminaliser la déficience mentale, ce qui est trop dommage, elle est légitimement une malade mentale, et elle aurait besoin d’aide, mais la façon dont ils ont décidé de l’aide, c’est en détruisant sa vie, si bien que quand elle échappera aux plaintes auxquelles elle fait face, elle n’aura plus rien vers quoi se tourner.

Donc ce sont les effets d’une société totalitaire, qui poursuit Bill Binney, Thomas Drake, Jesselyn Radack, Bradley Manning, Julian Assange, et moi-même. Et elle m’a dit, bien qu’elle soit dérangée, donc c’est difficile de faire la part du vrai et du faux, qu’elle a été interrogée deux fois sur moi et sur Wikileaks. Une fois avant qu’elle ne soit traitée, et une fois après qu’on lui a fait prendre de force des médicaments anti-psychotiques. Maintenant, c’est pour le moins plutôt dérangeant. Mais le plus dérangeant, c’est que je ne sais pas si ce sont ses divagations parce qu’elle est plutôt cinglée, ou si c’est vrai.

c’est le problème de tout le monde

Mais le point important, c’est que si on regarde la situation de face, c’est que c’est une personne qui traverse une période difficile. Ce que l’on peut en retirer, c’est que c’est le problème de tout le monde. C’est aussi en fait techniquement mon problème, mais le point important ici, c’est de reconnaître qu’elle représente ce qui arrive à Monsieur Tout-le-monde dans la société américaine. Et c’est une réalité vraiment dérangeante, de voir cela arriver. Donc que pouvons nous faire à ce sujet ? N’est-ce pas ? Je veux dire, si vous n’êtes toujours pas convaincu que c’est ce qui arrive à Monsieur Tout-le-monde, eh bien vous passerez votre chemin, très bien. Je ne sais pas exactement ce que je pourrais dire pour vous convaincre, mais je suppose que je pourrais dire d’aller voir les enfants qui ont été tués par les attaques de drones, et voir quelle justice ils ont reçu. Mais il me semble plutôt qu’on doit se battre contre ces choses, mais on doit faire plus que seulement se battre, car seulement se battre contre ces choses devient corrosif. Pareil pour Bradley Manning. Dans la situation de ma mère, se battre contre son emprisonnement injuste, pareil pour Assange, pareil pour toutes les personnes qui ont été injustement harcelées, ou pire. Cela vous vide, et cela détruit votre vie, et cela détruit votre capacité à avoir de l’espoir, à s’amuser, et pouvoir se relaxer. Je ne peux même pas me souvenir de la dernière fois où je ne me suis pas endormi en me demandant si je me réveillerais avec le canon d’un pistolet dans ma bouche, en vivant aux États-Unis. Parce que c’est le genre de monde où on vit maintenant. Et peut-être êtes-vous chanceux car vous ne vivez pas dans ce monde, mais la réalité c’est que beaucoup de monde vit dans ce monde. Et qu’ils le méritent ou non, il y a des choses à dire sur les gens qui ne se font pas arrêter, qui doivent s’inquiéter de ce genre de chose. Peut-être est-ce un monde dans lequel vous ne voulez pas habiter.

Donc, et si au lieu de simplement se battre contre ces choses, on construisait des alternatives, et précisément essayer de construire des alternatives durables, et accepter l’idée qu’on risque de perdre notre démocratie dans le monde, et qu’on perd notre capacité d’action. Nous sommes de plus en plus déprimés à propos de notre gouvernance démocratique, et on sent qu’on n’a pas de représentation dans nos parlements et congrès respectifs. Je pense que c’est un pas très utile à franchir, car cela veut dire qu’on peut faire d’autres pas. Car une fois qu’on admet qu’on a ce problème, on peut essayer d’en venir à bout. Au projet Tor, l’une des choses que nous avons essayé de faire, c’est de construire une chose appelée Ooniprobe, et Arture Filasto et Isis Lovecruft, qui sont deux des hackers les plus géniaux programmant en python dans le monde, ont travaillé sur une sonde, pour essayer de détecter la censure sur Internet, de sorte qu’on puisse y remédier. Ils bâtissent une alternative positive, avec laquelle on aura des données pour pouvoir parler des violations des droits de l’Homme, dans le contexte d’observations scientifiques, ce qui nous permettra d’avoir concrètement une conversation pour savoir si on fait ou non les bons choix pour nos sociétés, s’il y a ou non un problème dans le contrat. Ce genre de méthode constructive est épatante. Et on devrait l’applaudir. Je ne sais pas si tu veux te lever Arturo, mais tu devrais !

(applaudissements)

quand on fait du matériel libre et open source, on permet aux gens d’être libres à un degré impossible auparavant.

J’ai récemment utilisé ce code. J’ai écrit la toute première version d’Ooniprobe, et Arturo s’apprêtait à travailler dessus, et il l’a réécrit en entier. Je l’admets, je pense que c’était probablement le bon choix. Mais je l’ai utilisé en Birmanie, et en l’utilisant, on a accidentellement découvert un nouveau moyen de détecter des équipements de surveillance, ce que l’on n’avait pas imaginé avant, Donc même si vous ne connaissez pas un site sous censure, si vous utilisez Twisted, c’est si efficace que ça va faire bugger l’équipement Blue Coat. Pour un non sens sur le site. Merci Blue Coat. Ce genre d’approches constructives vaut la peine d’être mentionnées, et il y en a beaucoup. Tous ceux qui travaillent sur le projet GNU, sur des logiciels open source et libres, tous ceux dans cette pièce qui ont travaillé sur du matériel libre, sur de la documentation, ce sont les choses sur lesquelles on devrait se concentrer. Et on devrait le faire avec des objectifs. On devrait essayer de penser que quand on fait du logiciel libre et open source, quand on fait du matériel libre et open source, on permet aux gens d’être libres à un degré impossible auparavant.

du logiciel libre pour la liberté

Littéralement, les gens qui codent des logiciels libres donnent des libertés. Il y a à peu près 10 jours, j’ai eu le… plaisir est le bon mot je suppose, d’aller en Birmanie, et j’ai rencontré des hackers libristes qui vivent dans des situations qui sont impensables. Une personne que j’ai rencontré avait été condamnée à 15 ans de prison pour avoir reçu un courriel avec un dessin politique dedans. Et c’était considéré comme recevoir de l’information illégale, ou quelque chose dans le genre, et il a fait 4 ans dans un camp de travail, avant d’être libéré en début d’année. Donc avec de telles conditions pour hacker, dans lesquelles les communications ne sont pas libres, où une puce Sim coûte $250, où l’accès Internet et la censure dépendent de nombreux paramètres, ces personnes font du logiciel libre et travaillent dessus, littéralement du logiciel libre pour la liberté. Donc quand vous travaillez sur le logiciel libre pour la liberté, vous leur permettez aussi de travailler pour la liberté. C’est le genre d’aide mutuelle et de solidarité, dont vous n’avez même pas besoin d’être au courant quand vous travaillez dessus. Mais vous l’êtes. Tout le monde ici qui travaille sur du logiciel et du matériel libre et ouvert, contribue activement à construire un monde meilleur. Et pourtant il y a des exceptions. Il y a parfois des gens qui changent de licence, car ils sentent qu’ils n’ont pas assez de reconnaissance. Je pense que c’était Theo de Raadt qui l’avait dit. D’accord, ça arrive. Mais finalement, dans l’ensemble, c’est une chose positive, et écrire du logiciel libre c’est super.

Et finalement, une partie de mon objectif ici, quelque chose sur lequel on peut se mettre d’accord je pense, c’est d’essayer de vivre des vies agréables, libres de toutes contraintes. Quelle que soit la manière dont on mène nos vies, c’est quelque chose sur quoi on veut travailler pour que tout le monde puisse l’avoir, une vie libre, et dans un sens très précis, où il peuvent choisir ce que leur liberté représente, ce que va être leur vie. Travailler dans ce but, c’est ce que vous pourriez appeler, comme le dirait Peter Singer, une philosophie utilitariste basée sur des préférences. La pratique, c’est que je pourrais vouloir ne pas croire en Dieu, mais je pourrais respecter le fait que vous voulez croire que Dieu existe. Nous devons accepter que nous vivons dans un monde varié, que les gens soient d’accord ou pas, n’est-ce pas ? Les nazis allemands que la police secrète aidait ? Ces types sont en train de mourir. Même s’il y en a beaucoup, il y a 7 milliards de personnes sur cette planète, et pas une seule personne ne va les aider à réaliser leur rêve de se débarrasser du reste du monde, qui ne croit pas en eux. Et c’est très bien en fait. Vous entendez cela de la part de quelqu’un d’origine juive, se tenant debout ici à Hambourg maintenant, ce qui est fantastique.

(applaudissements)

une relève de la garde est en train de se faire


Donc même si Rop, dans le public ici, se sent plutôt à bout, sent que les temps sont durs, parce que c’est vrai, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’espoir. Il veut partir, et construire une ferme, et je ne suis pas sûr de savoir où il est dans le public, mais il veut partir et bâtir une ferme, et passer du bon temps, et je pense que c’est génial. Je pense que c’est assez de résistance, son projet vaut la peine d’être étudié. Mais je pense aussi que pour les personnes qui ne sont pas vidées, il y a une relève de la garde qui est en train de se faire. Et donc c’est le tour d’une nouvelle génération, de faire ce que Rop a fait pendant ces trente dernières années, si je ne me trompe pas ? Wow ! On devrait le remercier pour cela, j’ai envie de dire.

(applaudissements)

Donc je pense qu’on devrait arrêter d’essayer de se faire des illusions quand on dit qu’on s’en fout, ou qu’on veut aider, mais qu’on n’aide pas pour ce qui est évident, ce qui nous menace. On devrait essayer de travailler ensemble, de construire des structures indépendantes, de remplacer les parties de l’état qui ont été démantelées. C’est quelque chose que je pense incroyable, et difficile à comprendre par tout le monde, mais une des raisons pour lesquelles nous perdons tellement dans notre société, c’est parce que nous n’avons pas de contrôle démocratique sur les choses qui comptent pour nous. Donc ce que nous devons faire, c’est d’essayer de remplacer ces structures, surtout ces structures qui manquent. Et j’inclus des trucs pas sexy dedans, comme les crèches, l’éducation, ainsi que, vous savez, des communications libres et ouvertes pour les téléphones. Tout est lié, donc je pense que nous devons évoluer vers un monde où nous agissons, pas réagissons.

Je pense à cette histoire d’Emma Goldman, qui est une des plus grandes féministes et anarchistes à avoir marché sur cette terre, en regard de son travail et de ses réalisations. Elle parlait des façons dont elles voulait changer le monde en mieux, pour faire naître cette utopie anarchiste, et un vieil homme l’interpella, et dit : « eh bien, j’aimerais bien une heure de loisir supplémentaire et je reconnais que faire des compromis est difficile, mais vous savez, je suis vieux, et je vais mourir et je ne connaîtrai jamais cette utopie anarchiste, donc une heure de loisir supplémentaire par semaine m’est très utile, et c’est tout ce que je voudrais avoir » Et je pense que cette histoire est un bon rappel, et je la raconte mal et rapidement, pour dire qu’en fait les moyens sont en fait les fins, dans la plupart des projets que nous faisons.

Donc les gens qui préfèreraient s’introduire dans des ordinateurs et espionner des gens pour le compte de l’état mettent des gens en prison, souvent de manière injuste, et même quelquefois de manière juste, même si je n’en suis pas fan, je comprends que des bonnes choses peuvent en découler ; la réalité c’est que la structure de contrôle est devenu une machine qui craque des systèmes et espionne des gens. C’est la fin pour des personnes qui en prennent conscience trop tard. Et je reconnais que cette discussion de moyens et de fins prête plutôt à controverse. Mais la réalité, c’est qu’on n’agit pas avec compassion avec les gens qui souffrent quotidiennement, tous les jours, quand on détourne les yeux, à cause de petites querelles. Par exemple, les gens n’aiment pas certains aspects de Julian Assange, ou de Bradley Manning, ils détournent les yeux des injustices auxquelles ils font face. Même si les avis divergent sur beaucoup de points, les gens ne méritent pas d’être torturés, et les gens ne méritent pas d’être injustement emprisonnés. Pour moi, je pense que…

(applaudissements)

Vous pouvez applaudir si vous le désirez. Eh bien, j’ai mauvaise conscience de mentionner son nom que maintenant. Moxie Marlinspike, qui est un type super, je l’aime bien, il est incroyable. Il dit qu’une partie du problème c’est, vous savez je paraphrase, que nous ne pensons pas avoir de moyen d’action, nous ne pouvons pas réagir par rapport à toute la merde qui arrive dans le monde. Mais la réalité c’est que nous en avons un. Donc si vous pensez… Faisons un sondage. Levez la main si vous pensez que l’anonymat est bien, et que c’est un droit humain que nous devrions protéger. Maintenant levez la main si vous voulez faire quelque chose à ce sujet. Maintenant gardez votre main levée si vous allez opérer un relais Tor.

(rires)

Nous avons les moyens d’agir


Tous ceux qui ont baissé leur main, pourquoi n’allez-vous pas opérer un relais Tor ? Vous pouvez faire quelque chose à ce sujet en ce moment même. Il faut s’en donner la peine. Mais c’est ça. Nous avons le moyen d’agir. Et parfois nous faisons le choix de les utiliser ou non. Et je respecte cela. Nous avons ce choix, et je suis content que ce soit un choix. Mais nous devrions reconnaître lorsque nous ne faisons pas ce choix, ou quand nous avons peur. La bravoure, ce n’est pas l’absence de peur. C’est continuer d’avancer, même quand on a peur, parce que vous savez que c’est la bonne chose à faire. Donc il est important d’être courageux, et de reconnaître que la peur existe. Et qu’il est important de refuser d’être ostracisé par notre société. Et qu’il est important d’avoir de la solidarité, avec des grandes causes, au lieu de juste pointer du doigt les différences, ou les choses sur lesquelles on est en désaccord.

Avoir de l’aide mutuelle de l’humanité toute entière, c’est quelque chose incroyable, extraterrestre quelque part, mais c’est la communauté des hackers qui a voulu envoyer des gens sur la lune. Donc je pense que nous pouvons nous faire plaisir un peu aussi.

(applaudissements)

faire avancer les bouts de démocratie qui nous restent dans ce monde

Donc, j’ai dit que j’allais parler de résistance, mais c’est au-delà de la résistance, car une partie de la résistance, c’est de s’assurer que les gens font les choses différemment. Et si au lieu de s’assurer qu’on ne fait pas les choses de la même façon, on s’assurait d’avoir des alternatives disponibles, qu’on pourrait librement choisir ? Eh bien, c’est en partie ce qu’il se passe ici. Les gens ne vont pas choisir de crever de faim. Les gens vont faire le choix de faire ce qui garantit à leur famille d’être nourrie. Donc nous devons remplacer les structures qui permettent la famine. Et pareillement, nous devons nous assurer en construisant ces structures, que nous les faisons de manière juste et durable. Nous devons nous assurer, que si tirer la sonnette d’alarme et fuiter de l’info sont fondamentalement des tactiques utiles pour une stratégie de transparence sur le long terme, il existe d’autres moyens. Les écrits de Gene Sharp à ce sujet sont vraiment extraordinaires, et je recommande leur lecture. Car chanter et danser dans la rue, même si cela ne semble pas aider, c’est documenté comme ayant mis un terme à des dictatures.

Il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour continuer et faire avancer les bouts de démocratie qui nous restent dans ce monde. Et nous devons en fait les faire grandir, et aider d’autres gens. Et cela vaut la peine de le faire. Bien, l’hacktivisme est une stratégie que je pense utile. Et il est bon de mentionner que si s’introduire dans un système est parfois plutôt difficile, c’est fondamentalement plus facile que de construire quelque chose, quelque chose dont tout le monde peut se servir librement, qui va aider les gens.

Mais parlons de ces tactiques élémentaires un moment, car je n’ai presque plus de temps. Mais il y a des choses effroyables. Comme par exemple, j’ai dit que nous devrions nous débarrasser de la police secrète dans le monde, les gens s’attendent à voir des éclairs tomber, ou des fusils à lunette qui vont faire échapper magiquement un nuage rose de derrière le cou. Mais le truc, c’est que le secret donne du pouvoir. Et donc je pense que ce que nous devrions faire, c’est que si nous avons une police secrète, qui interfère avec notre démocratie, notre société, nous devrions la révéler. C’est important. Balancez-les, et révélez au grand jour ce qui est complètement illégal. Révélez et demandez des comptes.

(applaudissements)

Si c’est complètement illégal, que par exemple ils aident des meurtriers d’extrême-droite, eh bien montrez que ce n’est pas ce que notre société attend des gens en fait. Car autrement, il y a un sentiment de culpabilité. Cette idée que ce ne sont pas vos oignons, c’est un non-sens. Ce sont nos oignons. Vous avez le choix entre mener une vie au bout de laquelle vous aurez pas mal de honte, ou une vie pour laquelle tout ce qui se passe sur terre est vos oignons. C’est un choix que vous devez faire. Et on le fait tout le temps. Je suis honnêtement ému par le fait que des personnes comme Karsten Loesing qui est assis au premier rang ici, pourrait avoir choisi un job peinard à l’université. Mais il a choisi de travailler sur des statistiques pour le projet Tor. C’est un type brillant qui peut probablement choisir de faire tout ce qu’il veut, et il a choisi de faire du très bon travail en aidant les gens à parler librement. Et c’est pareil avec Linus Nordberg, et George, et d’autres personnes dans ce public. Donc vous pouvez faire un choix, et la récompense ce sont les libertés dont nous jouissons dans nos vies.

Donc je veux terminer en vous disant que si les gouvernements tuent des gens, ne vous contentez pas de passer votre chemin. Vous y réfléchissez, vous recherchez qui est coupable, et vous collectez des informations. Rop m’a en fait encouragé à penser à cela. On peut ne pas être capable d’obtenir justice aujourd’hui. Mais quand on a les informations sur les personnes qui ont fait ça, demain peut-être sera le jour où on obtiendra justice. Ne pas passer son chemin, ne pas devenir insensible, garder l’information, cela nous permettra de demander des comptes plus tard, même si en ce moment nous ne pouvons pas. Des scanners pour plaques de voitures dans votre ville ? Obtenez l’information. Un truc utile que vous pouvez faire avec ces données, c’est que vous pouvez révéler toute la surveillance cachée qui se fait dans votre ville. Pensez-y quelques minutes, et vous trouverez. Ce n’est pas très dur. Donc révélez ces informations, car l’espionnage est mal, car l’espionnage est un affront à la dignité humaine. La rétention de données ? Même problème. Obtenez l’information. Utilisez ces données pour quelque chose d’utile. Essayez de vous assurer que ce ne sont pas les décisions et les compromis que nous voulons, où un état complètement policier ne permettra pas aux personnes spéciales de garder leur caractère spécial. C’est plutôt dangereux quand on a un état complètement policier. On ne l’a pas compris complètement, mais c’est dans cette direction que nous allons constamment.

Donc si je devais vous laisser avec une dernière chose, ce serait probablement avec un enseignement du Dalaï Lama. Je ne suis pas fondamentalement une personne religieuse, du tout, donc je vais ignorer la fin de ce qu’il a dit, car cela ne communique pas vraiment ce que j’essaie de vous dire. Mais je vous dis ce que c’est, et je vais le dire en même temps. Il a dit que la mort est certaine, mais que l’heure de la mort ne l’est pas, et je pense que c’est quelque chose qui est dur à avaler. Mais c’est quelque chose que j’ai aussi entendu de Bill Binney, ce qui donne beaucoup d’inspiration, et je l’ai aussi entendu de Daniel Ellsberg. Ils ont dit tous les deux qu’ils sont âgés, et qu’ils n’ont plus rien à perdre, mais qu’ils vont faire de leur mieux car qu’allons-nous faire ? Rester au lit pour le reste de notre vie ? ont-il demandé. C’est fantastique ce qu’ils ont dit, car ils sont tous les deux vieux, et ils n’ont peut-être plus beaucoup de vie. Mais je pense qu’il est important de reconnaître qu’ils font avec cette certitude, qu’ils auront à dormir la nuit, qu’ils ont le choix de ce qu’ils vont faire avec les précieux restes de vie qu’ils ont, et ils ont choisi directement et clairement que ce sont leurs oignons, de faire ce qu’ils peuvent, de ne pas laisser faire, de ne pas être complices de choses graves, qui dégénèrent sérieusement.

Donc ce que le Dalaï Lama m’a aussi dit, c’est qu’à l’heure de la mort, ce qui aide seulement, c’est la pratique religieuse, et je pense que c’est vrai à un niveau personnel, mais au niveau de la société, autre chose qui aide c’est de reconnaître qu’on a tous des rythmes différents, et donc les gens font des choix, ils ont une influence sur le monde sur ce que d’autres personnes font avec leur vie. Donc les actions de Bill Binney, il peut ne pas vivre pour les voir porter ses fruits, mais l’important c’est qu’en raison de ce qu’il a fait, il inspire d’autres personnes. Et ce sont ces personnes qui vont agir, et faire un monde meilleur. Donc sur ces derniers mots, à propos des quelques objectifs que j’ai évoqués ici, je voudrais dire que cela regarde tout le monde.

Happy hacking. Merci de m’avoir écouté.

(applaudissements)