Le logiciel libre pourrait-il exister sans le copyright ? La réponse de Stallman

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Sebastian Oliva - CC by-saDans l’un de nos récents framabooks, le professeur néerlandais Joost Smiers se pose la question suivante  : Et si nous supprimions carrément le copyright  ?

Pour en conclure que les cartes seraient évidemment redistribuées mais que le monde ne s’arrêterait pas de tourner. Et force est de reconnaître qu’il n’est pas le seul à envisager cette radicale solution.

Or, apparent paradoxe, il se trouve que, juridiquement parlant, les licences des logiciels libres sont adossées au copyright. Elles le respectent pour mieux, en quelque sorte, le retourner en leur faveur, à fortiori lorsque ces licences sont également copyleft, comme la plus célèbre d’entre elles, la licence GNU GPL.

C’est au père de cette dernière, Richard M. Stallman[1], que Glyn Moody s’est adressé pour lui demander ce qu’il pense du copyright et de l’avenir du logiciel libre si le copyright n’existait plus.

Le logiciel libre pourrait-il exister sans le copyright  ?

Could Free Software Exist Without Copyright ?

Glyn Moody – 9 juillet 2010 – ComputerWorldUK
(Traduction Framalang  : Vincent, Barbidule, Toufalk, Pablo, Goofy, et Petrus6)

Il y a quelques jours, j’écrivais sur la manière dont la licence GNU GPL de Richard Stallman utilise le copyright afin de garantir que les utilisateurs de la licence partagent le code qu’ils distribuent. S’ils ne le font pas, ils sont en violation de la GPL, et perdent donc leur protection contre les actions en violation de copyright.

Cela est bel et bon, mais comme beaucoup l’ont fait remarquer, cela a pour conséquence paradoxale que la licence GNU GPL dépend du copyright, un monopole intellectuel, pour promouvoir la liberté intellectuelle. De plus, cela semble condamner le logiciel libre à un sorte de symbiose avec le copyright, en le contraignant à défendre ce monopole sans lequel la GPL ne serait pas aussi puissante.

Voilà une perspective bien sûr légèrement dérangeante, et je m’étais donc dit il y a peu que je soulèverais la question avec RMS lui-même, puisqu’il avait forcément conscience du problème et qu’il avait peut-être une solution (ce que j’espérais). Ces derniers mois la question s’est posée à plusieurs reprises, j’ai donc pensé que ça valait le coup de publier ses réponses à mes interrogations, pour donner un éclairage sur ce débat crucial.

D’abord, je lui ai demandé comment nous devrions réformer le copyright, puisque c’est un monopole intellectuel dont abusent les éditeurs, mais que la GNU GPL en dépend.

Voici la réponse de Stallman  :

«  Pour la plupart des œuvres, je pense que le copyright pourrait être acceptable s’il était plus court (je propose 10 ans), s’il permettait une redistribution de copies verbatim non commerciale, et si les «  remix  » modifiant l’œuvre étaient clairement considérés comme un usage légitime («  fair use  »).

Cependant, je pense que les logiciels et toutes les œuvres ayant une utilité concrète doivent être libres.  »

Il a poursuivi  :

«  Je serais heureux que le copyright sur les logiciels soit aboli si c’était fait d’une manière telle que la liberté des logiciels soit garantie. Après tout, le but du copyleft est justement d’atteindre cet objectif pour les dérivés de certains programmes. Si tous les logiciels étaient libres, nous n’aurions pas besoin du copyleft.

Cependant, menée de la mauvaise manière, l’abolition du copyright pourrait n’avoir aucun effet sur les logiciels privateurs (car plus que le copyright, c’est le CLUF, Contrat de licence utilisateur final, et le caractère secret du code qui créent des restrictions), elle viendrait simplement remettre en cause la pratique du copyleft. Naturellement, dans ce cas je m’y opposerais.

En d’autre termes, je me sens plus concerné par l’effet de la loi sur les libertés des utilisateurs que par ce qui pourrait arriver au copyright en tant que tel.  »

Je lui ai alors demandé comment l’abolition du copyright pourrait être menée pour que le logiciel libre soit encore possible.

«  Il faudrait éliminer le copyright sur les logiciels, déclarer les CLUF juridiquement nuls et adopter des mesures de protection du consommateur qui imposent la distribution du code source aux utilisateurs et l’interdiction de la tivoisation.  »

Stallman a expliqué ce qu’il entendait par «  tivoisation  » il y a quelques années, quand la GNU GPL v3 était en cours d’élaboration. C’est le fait d’élaborer une machine telle que, si l’utilisateur installe une version modifiée d’un programme, la machine refuse de l’exécuter.

Ce nom vient de Tivo, le premier produit dont j’ai su qu’il faisait ça. Le Tivo contient des logiciels libres sous GPL v2, dont le code source est fourni. L’utilisateur du Tivo peut donc modifier le programme, le compiler et installer la version modifiée sur sa machine. Celle-ci refusera cependant de fonctionner car elle aura décelé qu’il s’agit d’une version modifiée. Cela signifie qu’en théorie, l’utilisateur a la liberté numéro 1 (NdT  : la liberté d’étudier le fonctionnement du programme), mais en réalité, il ne l’a plus, ce n’est qu’un leurre. Cette pratique est systématique, et elle constitue une menace générale pour la liberté de l’utilisateur.

Nous avons donc décidé d’empêcher cela, en modifiant les conditions de distribution des binaires. Nous avons précisé que si vous distribuez les binaires dans un produit, ou pour être utilisés dans un produit, alors vous devez fournir tout ce dont l’utilisateur a besoin pour installer sa propre version modifiée et faire que le produit fonctionne de la même façon, sous réserve que les changements effectués dans le code ne modifient pas la fonction. L’important est que non seulement l’utilisateur puisse être capable d’installer et faire fonctionner une version modifiée, mais encore que celle-ci doit être capable de faire la même chose que l’original.

Il faut noter que Stallman ne croit pas nécessaire d’abolir complètement le copyright, il propose juste de le restreindre un peu  ; la durée exacte pouvant faire l’objet de débat  :

«  Ma proposition de faire durer le copyright 10 ans à partir de la date de publication se veut conservatrice. Je pense que 5 ans suffisent et je n’ai rien contre une période plus courte encore mais je ne me battrai pas pour ça.  »

D’après Stallman, l’avantage de cette «  modeste proposition  » est qu’elle ne requiert pas de grandes modifications législatives. Alors que ce serait bien le cas pour les mesures de protection de l’utilisateur qui seraient nécessaires afin de préserver la liberté du logiciel si le copyright venait à disparaître.

Il est plus facile de faire pression pour ramener le copyright à ses conditions d’origine (14 ans pour les nouvelles oeuvres avec, en option, 14 années supplémentaires) plutôt que pour l’abolir complètement. C’est ironiquement une approche très pragmatique, alors même que Stallman est souvent accusé du contraire.

Notes

[1] Crédit photo  : Sebastian Oliva (Creative Commons By-Sa)

8 Responses

  1. vvillenave

    Cet article regroupe quelques points importants, même s’il semble incomplet à plus d’un titre.
    Cette notion de raccourcir le copyright a commencée à être mise en avant par rms lorsque (notamment par mon intermédiaire, ajouterai-je très immodestement 🙂 il a commencé à se mettre en rapport avec le Parti Pirate : http://www.gnu.org/philosophy/pirat
    Réduire le copyright pose des problèmes spécifiques — que rms n’aborde pas ici — dans le domaine logiciel, où il est très facile de publier du code source « obfuscated » (lancez Firebug dans un onglet GMail, vous verrez tout de suite).
    D’une façon générale, la GPL et toutes les licences Libres ont été développées comme un « hack » autour du copyright, **justement** pour compenser sa durée excessive. Supprimer cet excès, c’est précisément enlever aux licences alternatives leur raison d’être (sinon les mettre en danger), comme j’avais tenté de l’expliquer ici http://www.partipirate.org/blog/com
    Pour ce qui est d’_abolir_ le copyright, c’est un serpent de mer récurrent (sur lequel j’aurai l’occasion de revenir ici-même) qui émane en général, soit de Libristes sincères qui ont mal compris les données du problème, soit de trolleurs qui déforment plus ou moins intentionnellement le propos du mouvement Libre. En général, proclamer un monde « sans copyright » c’est moins se tromper de débat que se tromper de terminologie (le Framabook n’y échappe malheureusement pas, mais c’est un autre problème).

  2. Jujens

    Article intéressant. Je pense que les liens complémentaires de vvillenave doivent être lus car ils ajoutent des précisions utiles.

  3. bowi

    J’ai rencontré quelqu’un qui a développé un logiciel libre, mais pour faire tourner sa boite, il fait payer les pluggins. Il disait la chose suivante :
    – Sans les logiciels « copyrightés » le libre n’existerai pas
    Pour la simple et bonne raison que le code offert aux projets libres et fait par des développeurs qui vivent des logiciels vendus dans le commerce.
    Je pense qu’il a raison. donc « Le logiciel libre pourrait-il exister sans le copyright ? » peut être pas !

  4. Kalenx

    @bowi

    « Pour la simple et bonne raison que le code offert aux projets libres eSt fait par des développeurs qui vivent des logiciels vendus dans le commerce. »

    Joli (faux) amalgame…

  5. Changaco

    Comme le dit Kalenx, le logiciel libre n’a pas besoin des rentiers du copyright pour se développer. Les vendeurs de services et matériels informatiques, les universitaires, les passionnés, les dons des particuliers?; tout cela est largement suffisant.

  6. Kstion

    Questions:

    1) Est ce que le copyright a une durée de vie limitée?

    2) Si le copyright a une durée de vie limitée, cela veut donc dire que la GPL est vouée à passer de nouvelle version en nouvelle version (GPL V1, V2, V3, V4 etc), non?
    Et si c’est le cas, comment le faire dans la pratique sachant qu’il faut que tous les développeurs soient d’accord pour faire passer ce qu’ils ont programmés d’une version V3 à une version V4 par exemple?

    Bref, la GPL ne risque t’elle pas de rencontrer un problème de protection qui fera qu’il sera possible, une fois que le copyright a dépassé sa date limite, de permettre de refaire passer un logiciel d’un code source ouvert à un code source évoluant, après la fin du copyright, de façon fermée?

    Je ne sais pas si je suis clair dans ma façon d’exprimer ma question…

    Merci. 🙂

  7. Changaco

    L’informatique change vite, même si la durée du copyright était de 5 ans la plupart du code serait obsolète avant de tomber dans le domaine public. Quant aux changements de versions d’une licence ils n’ont rien à voir avec la durée du copyright.