Temps de lecture 5 min
Petit cours d’économie libérale sur les vertus de la compétition.
Plusieurs sociétés se font concurrence sur le même marché. L’offre se multiplie, les prix baissent, et c’est le consommateur ravi qui en profite. La mécanique est bien huilée, et ce ne sont pas les quelques crises conjoncturelles et situations de monopole qui apparaissent de temps en temps qui doivent nous faire douter du bien fondé du modèle. Le discours dominant n’a de cesse de nous le rappeler, accompagnant toute critique d’une réponse ferme et définitive : il n’y a pas d’alternative.
Que se passe-t-il lorsque le marché se trouve être l’éducation ? On prend certes un peu plus de précautions, mais la logique est rigoureusement la même puisque, on vous l’a déjà dit, il n’y a pas d’alternative.
Et c’est ainsi que l’on peut tranquillement mettre entre les mains des jeunes enseignants (en l’occurrence des professeurs des écoles stagiaires à l’IUFM), des articles sans nuances comme celui que nous allons vous présenter et commenter aujourd’hui.
Paru en avril 2009, il est issu d’un hors-série « gratuit » spécial IUFM du journal La Classe dont l’éditeur, le groupe Martin Media, se présente comme un « professionnel de l’enseignement primaire ». Vous pouvez le télécharger à cette adresse du site (l’article en question se trouvant en page 16-17).
Tout de suite, on annonce la couleur :
Titre : Des bienfaits de la concurrence
Sous-titre : Apple et Microsoft s’immiscent dans l’éducation… Et c’est en tout point positif !
On eût aimé un peu plus de retenue mais il n’y a pas d’altern…
L’idée c’est donc de vous raconter comment l’activisme éducatif de ces deux géants bénéficie à l’école. Ce qui n’interdit pas quelques éclairs de lucidité (bien vite balayés d’un revers de plume) :
J’entends d’ici les mauvaises langues : sensibiliser les élèves permet de toucher les enseignants ainsi que les parents. Personne ne contredira cette vérité économique. Cependant, cette pénétration s’accompagne d’actions innovantes.
Les mauvaises langues n’ont rien à dire puisque fleurissent les actions innovantes. Pour rappel le mot « innovation » (et toutes ses déclinaisons) a été annexé par Microsoft et son partenaire le Café Pédagogique.
Mais point de procès d’intention. Regardons un peu les « actions innovantes » exposées. Il y a du podcasting chez Apple, de l’ENT et la suite MS Office 2007 offerte « sans frais » aux enseignants chez Microsoft. Et c’est tout. Autrement dit rien qui n’augure de la qualité pédagogiquement innovante de ces actions.
Microsoft organise, entre autres, des conférences sur ce thème, présentant ainsi aux enseignants la manière d’utiliser efficacement ces plateformes dans le monde scolaire. (…) En effet l’une comme l’autre propose des ressources TICE à télécharger en ligne ainsi que des formations à l’intention des enseignants du primaire et du secondaire.
Conférences, formations et ressources TICE proposées directement par Microsoft et Apple. Nous ne disposons certainement d’aucune compétence interne pour devoir ainsi nous reposer sur les épaules ces deux géants américains.
Les enseignants peuvent ainsi juger de l’impact de l’informatique sur les apprentissages, et inviter leur collectivité à investir dans un parc Apple (avec une remise de 8 %).
Nous ne sommes pas chez Auchan mais c’était tout de même important de préciser le montant de la remise. VRP Apple pour votre collectivité, ça vous dirait ? Ce n’est pas rémunéré mais à vous la gloire d’avoir fait économiser 8 % à votre commune !
Quant aux offres de types AbulÉdu – Ryxeo, évidemment nous ne saurons rien.
Ces actions démontrent les intérêts tout à la fois pédagogique et commercial de ces entreprises. Mais, elles font aussi évoluer l’utilisation des technologies dans le domaine de l’enseignement.
Il y a certes évolution, mais est-elle nécessairement positive ? Quant au « pédagogique », il est peut-être de trop.
Et pour finir, la caution d’un drôle de témoignage d’un formateur IUFM :
« Apple travaille depuis un certain temps avec l’Éducation nationale (…) Pour Microsoft, cette volonté est plus récente, mais il tend à développer cette relation (…) Cela dynamise fortement l’intégration des TICE dans la pratique pédagogique des professeurs, et aboutit aussi à une multiplication des logiciels libres. »
Les deux derniers mots de l’article seront donc, ô surprise, pour les logiciels libres. Mais quel étrange contexte pour leur apparition ! Les agissements des uns aboutiraient donc à la multiplication des autres ? J’eus été l’auteur, je serais allé au bout de ma démarche en concluant ainsi : « cela dynamise fortement l’intégration des TICE dans la pratique pédagogique des professeurs, et aboutit aussi à freiner la multiplication des logiciels libres ».
Il n’empêche qu’ils sont cités. Et c’est le petit grain de sable dans la machine parce que peut-être, finalement, qu’il existe quand même des alternatives (des alternatives bien moins compétitives que coopératives). En les ignorant nous avons un article en apparence factuel et objectif. En les prenant en considération, nous sommes alors face à un texte bien moins neutre qu’il n’y parait. Manipulation et propagande ne sont plus très loin…
Cher nouveaux collègues, abonnez-vous à « La Classe » si bon vous semble mais n’oubliez pas d’élargir votre horizon TICE avec d’autres sources d’information (pourquoi pas le Framablog par exemple, l’abonnement est plus que gratuit, il est libre).
Vous y lirez alors que lorsque Apple ou Microsoft s’immiscent dans l’éducation (sans oublier Google), ce n’est pas forcément « en tout point positif », cette intrusion, pas toujours désirée, impactant non seulement les logiciels libres mais, aussi et surtout, les mentalités.
Histoire de ne pas payer cet article gratuit au prix fort…
JosephK
En même temps, faut pas trop s’étonner…
Je suis allé à une réunion d’information sur l’ENR, il y avait deux salles, l’une pour l’information en tant que telle avec le coordonnateur tice à l’inspection académique qui présentait les possibilités pédagogiques d’un TBI et d’une classe mobile munie de plusieurs ordi portables. On a même droit à une vidéo d’illustration avec childsplay et ITALC, le gars navigue avec firefox, propose d’utiliser SLIS pour la sécurisation des accès, etc… donc un peu de libre dans tout ça…
La deuxième salles contient l’armée de vendeurs qui propose principalement du Microsoft (NextiraOne probablement les plus agressifs : signez là et donnez nous votre adresse mail 😯 ) et seulement un propose une solution basée sur des Mac, proportionnellement au marché (il n’y a que des logiciels Appel et c’est à vous de démontrer l’intérêt pédagogique d’un iTunes sur les portable des élèves…).
Linux rien… Eric Seigne ne peut pas être partout…
Bref, moi je n’ai pas compris deux choses : d’une part pour qu’elle raison il y a tout ces vendeurs, d’autre part pour qu’elle raison on ne nous fournit pas tout simplement la liste officielles des fournisseurs candidats aux appels d’offres ("officielle" parce qu’ils sont les seuls à répondre au cahier des charge, n’importe qui ne peut pas s’improviser fournisseur ENR et la liste est déjà fixée (source : quelqu’un de ma famille qui vend des TBI 😉 ))
( Finalement, notre école a été retenue pour l’ENR et sera équipée par Ryxéo évidemment. En plus la mairie était demandeuse de linux… 🙂 )
Olivier
Pas très classe La Classe ! On ne le dira jamais assez mais il faut vraiment se méfier de tout ce qui se pare de la gratuité.
Il Palazzo-sama
En même temps, même si j’ai mes petits penchants libéraux par moments… (être étudiant en économie, c’est dangereux :p )
… une « concurrence » à deux, c’est ce qu’on appelle un duopole. Ça n’a rien de libéral. C’est moins pire qu’un monopole, mais moins bien qu’un oligopole (qui est pourtant encore catastrophique, confer les prix de la téléphonie mobile en France). On ne sera en vraie concurrence que le jour où il y aura au moins 10~20 acteurs sur le marché…
C’est pas demain la veille, malheureusement.
Et rassurez-vous, les 8 % de réduction concédés par Apple ont été approuvés par Microsoft lors de leurs réunions stratégiques informelles, et vice-versa pour les offres Microsoft. (même avec un oligopole, ça se passe comme ça. Avec un duopole, la question ne se pose même pas…)
Pestaclette
C’est aussi pour ça que j’aime le logiciel libre. Pour que ce genre d’articles ne passe plus comme une lettre à la poste 🙂
Ce qui est étrange c’est que le magazine est sorti en avril dernier et que ça n’a choqué visiblement personne jusqu’à aujourd’hui fin juin. Doit-on en conclure que les stagiaires n’y ont rien trouvé à redire ?
Ce serait inquiétant pour la future génération d’instits, ooops, je veux dire professeurs des écoles !
deadalnix
Je souhaiterait revenir sur les critiques de libéralisme.
Ce concept est souvent mal compris (et ce n’est pas néo-libéraux, qui n’ont de libéraux que le nom, mais qui sont surtout de cette nouvelle droite que l’on qualifie de décomplexée).
En effet, un vrai libéral ne saurait cautionner un monopole et la création basé sur une raretée artificielle créée par la loi.
Le seul business model qui a du sens d’un point de vue libéral est celui du FOSS et donc je ne comprend pas bien la position prise dans le début de ce billet.
plf
Le parent d’élève qui craignait que Microsoft Office devienne obligatoire (tout en restant payant bien sûr), sera pleinement rassuré…
Sinon, "On eût [subjonctif imparfait et non indicatif passé simple] aimé un peu plus de retenue [n. f.] mais il n’y a pas d’altern…" irait bien aussi 😉
Omama
Je rassure les français en Suisse le canton de Vaud a une politique aussi stupide que la vôtre… Heureusement que le canton de Genève a décidé de passer tout son parc sous Linux ! Quant à moi dans ma classe tout est sous Kubuntu, j’ai viré les Mac ( Cher pour rien de plus !)
UrsuleDePanne
aKa a raison de parler de mentalités à la fin du billet. Je ne suis même pas certain que l’auteur de l’article ait voulu faire de la propagande. Peut-être a-t-il simplement voulu informer qu’Apple et Microsoft se tiraient la bourre à l’EN et que du coup il y a avait des offres intéressantes à prendre au passage (comme la suite MS Office gratuite). Peut-être qu’il ne sait même pas que les logiciels libres existent ou tout de moins ce qu’ils sont exactement et en quoi il est préférable de les utiliser à l’école. On a encore du boulot à faire je crois.
Earered
> (des alternatives bien moins compétitives que coopératives)
Claroline et Moodle (en tout cas les prestataires qui les proposent) ne sont pas en concurrence féroce ?
Bon, par contre c’est vrai que réduire le marché à Apple et Microsoft c’est un peu court de la part de La Classe.
Mais dans le monde de l’éducation, est ce qu’il y a jamais eu un logiciel au sein du Ministère qui, avant d’avoir une version libre, n’avait pas de version propriétaire ?
Soit il y a un coté maison des fous (Asterix et les douzes travaux) qui empêche une organisation saine de la planification :
http://lannuaire.service-public.fr/…
http://lannuaire.service-public.fr/…
http://lannuaire.service-public.fr/…
http://lannuaire.service-public.fr/…
http://lannuaire.service-public.fr/…
Ou alors, bien qu’il y ait potentiellement 5 cellules qui peuvent traiter d’informatique, pas une ne s’occupe d’urbanisme informatique ?
Dawid
> Y-a-t-il seulement "des offres intéressantes à prendre au passage (comme la suite MS Office gratuite)".
Quelle suite Office gratuite ?
D’abord MS Office n’est pas gratuit pour tout le monde (pas pour les élèves déjà).
De plus, si on lit bien les textes qui s’affichent au moment du téléchargement de MS Office 2007, il ne semble pas tout à fait clair que ce soit du gratuit.
Il me semble plutôt que le téléchargement et l’utilisation de MS Office 2007 est autorisé à condition que l’établissement ait bien acheté la licence.
En clair, si on a MS Office dans son établissement, on peut le télécharger et l’utiliser chez soi.
En tous cas le flou est entretenu par Microsoft, car il est dans son intérêt de maintenir le monopole, même si une bonne partie des utilisateurs de sa suite bureautique sont dans l’illégalité.
Annie
Il s’agit là en fait de philosophie : quel sens a la vie ? est-elle une éternelle lutte contre l’autre, toujours et encore, seul donc toujours plus seul car l’autre est un adversaire, jamais un égal avec qui échanger…
j’ai vu ça en entreprise, du temps où j’ai été comptable… je n’ai jamais compris où un entrepreneur, patron, PDG, trouvait un profit à soustraire en fait le travail de l’un contre l’autre au lieu de les additionner et de les enrichir les uns avec les autres
Mysanthropian
Bonjour,
Merci pour cet article, il est évident que les objectifs recherchés par les firmes sont le conditionnement populaire dès la jeunesse. Toutefois, considérer que cela puisse être défavorable au libre me parait être un raccourci trop facile. N’oublions pas que la nouveauté est une des clés du système psychologique du marketing contemporain. Si le Libre est présenté comme une alternative, qu’il est nouveau dans la vie de ceux qui en entendent parler, alors la force marketing du Libre est démultiplié "gratuitement" par les couteuses campagnes des entreprises comme Microsoft ou Apple.
Ceci étant dit, il me semble bien dommage d’entretenir cette guerre entre le Libre et Microsoft ou Apple. Les uns et les autres parviennent à collaborer, la preuve en est qu’un PC Windows est plus performant si on désinstalle tout logiciel MS (Office par exemple) pour y ajouter purement de l’open source (OOo, Firefox, Thunderbird, etc). Il en est de même pour Apple. On ne peut pas tous passer sous Ubuntu, la raison en est les compétences requises : quand je lance mon Ubuntu et qu’il ne me télécharge pas toute les Maj et me fait un plantage en plein milieu, j’ai l’air malin ! A mon sens, il est bon de trouver le juste milieu dans chaque chose. De toute manière, Microsoft est une entreprise en déclin…
Elessar
« un PC Windows est plus performant si on désinstalle tout logiciel MS » : ça devient un PC nu, dans ce cas. Windows, c’est un logiciel MS. 🙂
« On ne peut pas tous passer sous Ubuntu, la raison en est les compétences requises : quand je lance mon Ubuntu et qu’il ne me télécharge pas toute les Maj et me fait un plantage en plein milieu, j’ai l’air malin ! »
GNU/Linux != Ubuntu. Installe Debian.
Mysanthropian
Non le PC n’est pas nu, puisqu’on conserve malgré tout l’OS de MS. Un peu moins d’absolutisme dans la lecture, quand j’évoque les logiciels MS j’ai bien donné l’exemple de Office, mais je pense aussi à la suite Windows Live et j’en passe.
Concernant la distribution Debian, bien sur je l’ai regardé. Tout comme Mandriva qui me semblait pertinente. Mais cela n’est pas une nécessité. A mon sens, on peut très bien se satisfaire des OS payant et ensuite tourner en logiciel libre… c’est ce que je fais avec mon mac.
Elessar
On s’est mal compris, Mysanthropian. Si on désinstalle tout logiciel MS d’un PC sous Windows, il devient nu, puisque ce faisant, on retire son système d’exploitation qui est un logiciel de Microsoft.
Ensuite, bien sûr qu’on peut se satisfaire d’utiliser une combinaison de libre et de non-libre : on est libre de ne pas tout faire librement. 🙂
TINA
On pourrait presque entendre :
« Mais dans quelle langue il faut vous le dire ? Il n’y a pas d’alternative… Peut-être qu’en anglais vous comprendrez mieux : There Is No Alternative, T-I-N-A »
Tiens… j’ai l’impression d’avoir déjà entendu ça quelque part !
Ah oui, Margaret Thatcher.
C’est sûr que depuis qu’on l’entend, ça finit par s’imprimer, on finirait presque par y croire !
Heureusement que la réalité nous montre le contraire…