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Le petit garçon s’ennuyait tout seul chez lui.
Il avait un devoir scolaire à faire pour le lendemain mais il préférait contempler le panorama, par la fenêtre du douzième étage de son appartement : trois barres d’immeuble identiques au sien entourant un parking et un parc, les murs de la résidence, plus loin la route et puis encore plus loin la rivière qu’il aimait bien, même si on ne pouvait plus s’y baigner l’été. Trop polluée avaient dit les autorités.
La vue n’avait rien d’extraordinaire en soi mais elle lui était familière. Et puis c’était amusant de voir tout ça de si haut perché.
Il y avait des enfants qui jouaient juste en bas, dans le parc. Il en connaissait quelques uns. Mais il n’avait pas le droit de les rejoindre. Sa maman disait que ce n’était pas sûr et que c’était de « mauvaises fréquentations ».
Il trouvait que sa maman exagérait parce que tout cela se passait à l’intérieur de la résidence. Une résidence protégée par une enceinte et contrôlée en son unique point d’entrée par un gardien et des caméras de surveillance. En plus chaque immeuble avait ses propres caméras, et pour y pénétrer il y avait un digicode puis un interphone. Le code changeait souvent mais en ce moment c’était « 3142 ». C’est drôle, non, la valeur approchée de Pi arrondie au millième ! Il était fier d’avoir trouvé cela tout seul.
Bon, alors, ce devoir scolaire… Il n’avait pas vraiment d’excuses parce que, contrairement à d’habitude, c’était pas mal intéressant. Il fallait apprendre par coeur la fable de La Fontaine Le Loup et le Chien.
C’est l’histoire d’un loup qui jalouse la vie tranquille et confortable d’un chien jusqu’à ce qu’il découvre que « le prix à payer pour sa sécurité c’est d’être tenu en laisse ». C’est la maîtresse qui disait cela comme ça et c’est vrai qu’elle formulait bien les choses la maîtresse.
Quand elle l’a lu pour la première fois devant nous, elle a posé le livre, s’est assurée que tout le monde avait bien compris et elle a demandé si on préférait le loup ou le chien. Au début, c’était un peu le silence dans la classe. On cherchait surtout à savoir ce que la maîtresse voulait qu’on réponde. Et quand on a pigé qu’elle voulait justement qu’on soit pas d’accord, alors on s’est détendu et on a répondu comme on voulait. Moi, j’ai choisi le chien mais j’étais bien content que la maîtresse ne me demande pas pourquoi.
Le problème, c’est que même quand je les aime bien, je ne suis pas très fort en poésie. Je retiens pas tout et j’ai du mal à me concentrer longtemps sur une tâche. Je le sais puisque c’est ce qu’on me dit depuis la maternelle.
Alors le petit garçon se remit à sa fenêtre. Et il vit alors plusieurs caravanes s’engager puis parcourir lentement la route…
Ils s’en vont, pensa-t-il spontanément. Et cela ne l’étonna pas.
C’est normal, non, pour des « gens du voyage » de s’en aller ailleurs au bout d’un moment ! Sauf que là, il en était sûr, le départ avait été un peu forcé. Et puis d’abord on ne dit pas gens du voyage mais Roms.
Il avait appris cela – et d’autres choses encore comme la signification des mots « nomade » et « sédentaire » – parce que depuis leur arrivée, un mois auparavant, on en parlait souvent dans le quartier, à l’école et même à table avec les parents. On en parlait souvent mais on n’en parlait pas avec eux.
Ils s’étaient installés pas loin, à quelques centaines de mètres, mais là encore interdiction familiale formelle d’aller y voir de plus près. Pourtant, maman, contrairement à papa, elle en disait plutôt du bien à table. Elle disait que c’était une communauté ancestrale, avec une riche culture, qui se montrait solidaire et ne s’était pas perdue dans l’individualisme et le consumérisme, et que c’était à nous de nous adapter et non l’inverse. Alors papa lui souriait et lui répondait qu’il ne tenait qu’à elle de tous les inviter ce soir à dormir dans notre salon. Et maman, ça n’avait pas l’air de l’amuser que papa dise ça. Elle répondait un peu énervée qu’il fallait qu’il arrête de faire son malin et que c’était de la « responsabilité des pouvoirs publics », expression que j’avoue je ne comprenais pas bien – « individualisme » et « consumérisme » non plus d’ailleurs – mais vu l’état de maman, ce n’était vraiment pas la peine d’en rajouter.
C’est dommage parce que je lui aurais bien aussi demandé sur le ton de la provocation pourquoi on disait souvent à la récré que « c’étaient tous des voleurs » ! Moi j’y croyais pas, même si je me demandais comment ils faisaient pour vivre. Faut dire que je me posais aussi d’autres questions moins importantes à leur sujet. Je me disais par exemple qu’ils n’avaient sûrement pas de connexion Internet et que ça doit faire bizarre aujourd’hui de vivre sans. D’ailleurs, nous aussi on est des voleurs. Ben oui, puisqu’on télécharge tous sur Internet !
En tout cas, ils avaient éprouvé toutes les peines du monde à s’installer de manière provisoire quelque part. Même quand le terrain était vide depuis des années, il possédait toujours un propriétaire. Et celui-ci ne tardait pas à se manifester pour refuser vigoureusement leur venue et leur demander plus ou moins gentiment de quitter les lieux. On les avait ainsi déjà déplacés quatre fois. Et c’était visiblement une fois de trop.
Voici donc tout ce que se disait le petit garçon, le nez collé à la fenêtre, en voyant défiler cet étrange cortège.
Il y avait des gens qui marchaient à côté des caravanes, sans se dire un mot, ou alors doucement parce qu’on n’entendait rien de loin. Lorsque la dernière caravane disparut de son champ de vision, il resta un moment suspendu puis se souvint qu’il avait une poésie à mémoriser.
À la réflexion, il se dit qu’il préférait peut-être le loup finalement.
Crédit photo : Simaje (Creative Commons By)
JosephK
C’est bien de puiser dans le patrimoine littéraire : ça donne une petite bouffée d’oxygène quand l’air ambiant est vraiment nauséabond.
al.jes
Juste un petit défaut au texte, mais c’est sur la forme : pourquoi passer de la troisième personne à la première pour revenir à la troisième ? La maîtresse t’aurait dit de te tenir à un choix plutôt que d’hésiter entre l’un ou l’autre tout au long du texte… Pour ma part j’aurais choisi la troisième personne tout au long.
Sinon j’ai beaucoup aimé 🙂
haltabush
Merci pour ce petit texte inattendu 🙂 Si vous en avez d’autres en réserve, n’hésitez pas à nous en faire profiter!
samy
Le mot de la fin de cette histoire, avec sa morale très "libriste": "Cela dit, Mai?tre Loup s’enfuit, & court encor." d’après l’ami Jean (… de La Fontaine). Et, pour en savoir plus sur ceux qui, finalement, sont les plus conséquents dans la mise en pratique de la libre circulation des idées et des personnes, qui est/devrait être au coeur de la construction européenne : http://www.le-tigre.net/Racisme-et-… D’ailleurs, voilà une vision "humaine" de l’Europe des Roms : http://www.youtube.com/watch?v=K5s2…
Enfin, puisque vous avez été bien sages, une image (illustration de Grandville) : http://commons.wikimedia.org/wiki/F…
croc
bueno 🙂
regard d’enfant
regard sans provoc’
juste.
lend
Je suis pas d’accord avec al.jes. Je trouve au contraire que le changement de personne donne un effet très sympa, sorte de changement de point de vue inattendu, comme si on franchissait une frontière invisible. C’est un texte très beau.
Samuel
Ah, tiens ? Sur le framablog aussi, on a décidé de remplacer l’affaire Woerth par les Roms… Bon, bein puisque notre petit chef d’orchestre nerveux à décidé que l’orchestre devait blablater sur les Roms, je m’y mets aussi en proposant ce lien : http://www.youtube.com/watch?v=oozJ… (dommage que cette chanson ne dure pas jusqu’en 2012)
theClimber
Le style me fait un peu penser au "petit nicolas" !
Chouette texte !
aKa
Pour la petite histoire, j’ai pondu ça hier soir parce qu’en parcourant un article sur les Roms, qui font malheureusement l’actualité médiatique, j’ai lu cette expression : "La liberté dans la misère".
Communauté, alternative, solidarité, rejet, sarcasmes, difficulté d’adaptation à un système non désiré, accusation péremptoire de vol, difficulté à trouver des espaces non propriétarisés, etc. Ceci a fait quelque part écho.
Mais comme je ne voulais surtout pas faire un très maladroit et innoportun parralèle, j’ai pensé à l’angle de l’historiette vue par la lorgnette d’un petit garçon, en m’inspirant, oui, très vaguement du Petit Nicolas.
Pour ce qui est du "style", oui il y a un mélange volontaire entre la première et la troisième personne, la neutralité et la subjectivité du propos, ça vaut ce que ça vaut, faut pas aller chercher trop loin, c’est encore l’été et pas encore la rentrée 😉
Quant aux Roms qui ne seraient sur le devant de la scène que pour remplacer et cacher l’affaire Woerth… c’est un peu trivial de voir les choses ainsi (surtout ici). D’ailleurs, en continuant sur le mode "on nous cache tout…", on peut très bien voir l’affaire Woerth comme une affaire bien pratique pour cacher la récente crise financière et les banques renflouées par l’argent du contribuable sachant qu’on n’a en rien résolu le problème et donc qu’il peut resurgir à tout moment. Toute actualité vient à point nommé pour en cacher une autre.
Ginko
aKa:
>on peut très bien voir l’affaire Woerth comme une affaire bien pratique pour cacher la récente crise financière et les banques renfloués par l’argent du contribuable sachant qu’on n’a en rien résolu le problème et donc qu’il peut resurgir à tout moment.
De quel problème parles-tu? Il n’y a pas de problème… rien d’irréversible, rien de cassé, le système n’a pas cessé de fonctionner. La croissance reprend tranquillement. Tout va bien.
Au pire pourrait-on d’un point de vue extérieur / médiatique discerner une petite période de "crise". Mais ne nous trompons pas, la "crise", elle est intégrée au système… une mesure de rééquilibrage. C’est un passage naturel et nécessaire pour un système économique aveugle (et donc incapable de voir le futur et de se comporter "à long terme"). Mais rien d’imprévu, personne en haut lieu n’a été surpris.
Tout va bien. Tant qu’il y aura de quoi endormir/distraire la plèbe aisée (et tant que la plèbe du tiers monde sera loin des centres de décision), il n’y aura rien qui puisse troubler l’harmonieuse mécanique économique mondiale.
iGor
chouette texte, vraiment.
@ Ginko
c’est de l’ironie? si ça devait ne pas être le cas (on sait jamais), ne pas hésiter à faire un tour sur http://www.pauljorion.com/blog/
j’imagine que ce blog n’est pas du tout inconnu par ici, mais encore une fois, on ne sait jamais.
Lumpy
Beau texte, merci.
Ginko
@iGor:
Oui oui, c’est essentiellement de l’ironie, surtout par rapport à la rengaine "tout va bien".
Mais bon, y’en a un petit paquet, là-haut, pour qui, ce n’était vraiment juste qu’un petit moment à passer. Si la date et l’ampleur précise d’une crise n’est pas vraiment prévisible, les crises sont un phénomène inévitable dans notre économie et elles arrivent périodiquement. Je ne me mouillerais pas beaucoup en prédisant qu’une autre grande crise arrivera avant 30 ans.
chantalmilhitdumont
beaucoup aimé, tellement vrai et plein de fraîcheur dans la formulation…
zobi8225
Vous vous gauchisez, et c’est très bien !
Erondael
Suite au lien proposé par samy, j’ai découvert l’Hymne Européen dont je n’avais jamais entendu parlé. Quelques clics plus tard j’atterris sur http://www.coe.int/t/dc/av/hymne_FR… , page de mise à disposition de l’enregistrement dudit hymne où l’on peut lire :
"Cette interprétation de l’Hymne Européen, la "Rhapsodie sur l’Hymne Européen", est une oeuvre protégée. L’ oeuvre, composée par Christophe Guyard, est inscrite au répertoire de la Sacem (France) et n’est pas libre de droits."
Super pour un hymne qui se veut européen…
Serge
Le libre n’est pas plus de "gauche" que les ROMS sont "Francais" et l’éthique voudrait que l’on ne traite pas le pays de la Fontaine (le plus accueillant au monde, après les USA) de "nauséabond"; sinon … on peut le quitter !
Ce genre de réflexion, destiné à exciter les braves gens, est plutôt hors-sujet, à moins que
ce soit le blog du PS ?
Bonsoir, en attendant des idées plus novatrices ;-))
Francois
Merci beaucoup, très instructif.
Ca aborde autant le débat sur les Roms que sur la fausse sécurité d’Apple, qui tiens les gens en laisse (finalement pas que Apple mais bon).
Bravo
André Cotte
Que fais-tu à enseigner les maths, aka? C’est prof de français que tu devrais faire! Un beau texte, j’aimerais pouvoir en faire autant.