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Le 18 février dernier le tribunal administratif de Paris, après avis de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), a rendu une décision autorisant l’accès d’un citoyen au code source d’un logiciel administratif. Génial, non ?
Non, pas vraiment, puisque dit comme ça on n’y comprend rien ! Et pourtant ce jugement pourrait avoir un grand impact sur l’avenir du libre en France et plus généralement sur la vie de tous les citoyens. On va donc essayer d’y voir plus clair.
Res Publicum, la chose publique
Pour comprendre ce qui s’est passé le 18 février dernier, il faut que je vous parle un peu des documents administratifs en France. Un document administratif c’est tout ce que peut produire une administration publique : statistiques, rapports, analyses et même logiciels.
Si certains de ces documents sont publics dès les départ (les communiqués de presse par exemple), d’autres n’ont pas forcément vocation à être rendus publics. Et pourtant la République c’est notre bien à tous (Res Publicum, ça veut dire la chose publique), tout citoyen peut donc demander à une administration de lui communiquer un document qu’elle a produit et qui n’est pas classé secret-défense, bien entendu.
Depuis 1978 une administration a même été créée pour s’occuper de cela spécifiquement, la CADA. En réalité, cette administration ne peut rendre que des avis et joue plus un rôle de médiateur entre une administration et un citoyen, mais elle reste très utile.
Un étudiant tenace…
Revenons à notre affaire. Un étudiant en économie un peu curieux a demandé en 2014 au Ministère de l’économie et des finances (Bercy) de lui transmettre le code source du logiciel de calcul de l’impôt. Un code source, c’est en quelque sorte la recette de cuisine du logiciel, ce qui permet de comprendre comment il fonctionne
Bercy a refusé et notre étudiant a alors saisi la CADA qui a dit que selon elle le code source devait être transmis. Deuxième refus de Bercy.
Notre étudiant a alors saisi le tribunal administratif de Paris pour forcer Bercy à lui remettre le document demandé. À ce moment le ministère a compris que tout cela sentait mauvais pour lui et a préféré s’exécuter avant le jugement. Malgré tout le tribunal a rendu sa décision le 10 mars dernier et a dit que l’étudiant avait raison. Victoire !
Le code source, c’est la recette de cuisine du logiciel
Maintenant vous devez vous dire, tant mieux pour cet étudiant mais concrètement ça sert à quoi ? Et c’est vrai que dit comme ça ce n’est pas très utile. Ce n’est pas parce que le code du logiciel est connu qu’il est libre et donc vous n’aurez pas le droit de modifier ou partager librement ce code. Autrement dit, on peut lire, cuisiner, mais pas gribouiller sur la recette originale, même pour y ajouter de meilleures ingrédients. En revanche vous pourrez toujours le consulter et pourquoi pas trouver des erreurs, des améliorations possibles et les proposer à Bercy qui pourrait les intégrer à son logiciel.
Imaginez un peu que vous arriviez à faire baisser le montant de vos impôts en remarquant une erreur dans le code. Pas si inutile, finalement ! En partant de cet exemple on peut imaginer beaucoup de cas où les citoyens pourraient contribuer à améliorer l’État. Prenons un exemple… Mme Dupuis-Morizeau a du temps libre et décide donc de consulter les statistiques d’accidents de la route de sa ville, qu’elle demande à la mairie. Elle remarque alors un carrefour particulièrement meurtrier, elle se rend sur place et constate que le panneau stop est caché par un buisson. Elle avertit sa mairie qui fait couper le buisson. Et voilà comment l’accès à des statistiques administratives peut sauver de vies !
La philosophie du Libre appliquée à l’État
Le problème, vous l’avez vu, c’est que demander un document administratif peut s’avérer très compliqué et que Mme Dupuis-Morizeau n’a pas forcément tout ce temps à perdre. On se dit alors que ce serait génial que tous ces documents soient librement téléchargeables sur un site internet.
Eh bien c’est exactement ce que s’est dit la ville de New-York qui publie tous les documents qu’elle produit (ou presque) sur le site https://nycopendata.socrata.com/. Depuis que la ville a adopté cette politique, des dizaines de citoyens se sont mis au travail pour créer des projets incroyables : dresser la carte des plages anormalement polluées, coder un GPS pour les ambulances en fonction des vitesses moyennes par rue pour optimiser les trajets, etc.
Voilà les avantages concrets de la philosophie du libre lorsqu’elle est appliquée à l’État. Nous pouvons tous contribuer à un fonctionnement meilleur de l’administration, ou du moins à signaler ses défauts. Rendre les documents administratifs libres, c’est faire du citoyen le réel propriétaire de l’administration qui le sert, comme nous sommes collectivement les propriétaires des logiciels libres. Beau projet non ?
Trois infos pour finir et approfondir le sujet si ça vous dit :
- Le code source du logiciel de calcul de l’impôt sera rendu public le 1er avril et un hackaton est organisé sur le git de Framasoft pour fêter ça. Ça se passe par ici pour les infos.
- La décision du tribunal administratif de Paris est à lire ici (attention c’est technique).
- Pour comprendre tout ce qu’a fait la ville de New-York en rendant libres ses documents vous pouvez regarder l’excellente conférence TED sur le sujet.
L’équipe du Framablog tient à remercier chaleureusement Róka, bénévole du forum des Framacolibris, pour la proposition et la rédaction de cet article !
Ned
Poisson d’avril !
Barbok
Non Ned ce n’est pas un poisson d’avril , c’est du vrai et l’article date du 31 mars.
RyDroid
« voilà comment l’accès à des statistiques administratives peut sauver deS vies ! »
« Ce n’est pas parce que le code du logiciel est connu qu’il est libre et donc vous n’aurez pas le droit de modifier ou partager librement ce code. Autrement dit, on peut lire, cuisiner, mais pas gribouiller sur la recette originale, même pour y ajouter de meilleures ingrédients. »
« Rendre les documents administratifs libres »
« Voilà les avantages concrets de la philosophie du libre lorsqu’elle est appliquée à l’État. »
Rappeler que l’OpenData n’est pas le libre, puis ensuite faire la confusion, mais pourquoi ?
« Rendre les documents administratifs libres, c’est faire du citoyen le réel propriétaire de l’administration qui le sert »
Il ne faut pas exagérer, l’administration est plus transparente, mais le citoyen n’a pas plus de pouvoir de décision sur celle-ci.
Serge Pica
« tout citoyen peut donc demander à une administration de lui communiquer un document qu’elle a produit et qui n’est pas classé secret-défense, bien entendu. »
C’est un peu plus compliqué. L’administration a interdiction de rendre publics les documents contenant des informations couvertes par le respect :
– de la vie privée. Beaucoup de documents produits par l’administration contiennent des informations nominatives, qui ne doivent pas être publiées.
– du secret commercial. C’est la même situation que pour la vie privée, notamment pour les établissements inspectés par les services de contrôle.
– du secret industriel.
En revanche, l’administration peut rendre publiques des informations agrégées au niveau départemental par exemple, pour éviter les contraintes des obligations de discrétion.
Enfin, il ne faut pas oublier que même si elle dispose des informations adéquates, l’administration n’a aucune obligation de créer un document à la demande : seul les documents déjà existants peuvent être réclamés. Si vous demandez la liste des machins du département truc, alors que le document correspondant n’existe pas, le conseil départemental par exemple peut refuser de répondre.
mp.mac
Je propose à votre sagacité de vous pencher sur le cas du « logiciel » sensé organiser la Formation Continue pour l’Education Nationale (c’est à dire des organismes appelés GRETA). Cette chose s’appelle « Progrés »… ça fait des années qu’elle est sur le chantier, elle n’a jamais rendu les fonctions attendues sur le terrain, ce « logiciel » oblige même à une régression des pratiques tant il est contraignant et inadapté… Pour finir le développement de ce « logiciel » a coûté une fortune alors qu’il existait sur le terrain nombre d’outils qu’il aurait suffit de fédérer et qui soit dit en passant aurait boosté la formation professionnelle continue tellement décriée ces derniers temps et pour cause elle n’a pas d’outils adaptés ! Mais a qui a profité tout cela ce serait sans doute la bonne question ?
Roka
Ouvrir le code source des administrations publiques ça ne plaît pas à tout le monde. Le Sénat vient d’adopter un amendement pour torpiller la jurisprudence établie par l’arrêt du tribunal administratif de Paris.
L’amendement est justifié par le fait que:
>Transmettre le code source d’un logiciel permet en conséquence d’accéder aux informations qui régissent ce logiciel, il n’y a plus besoin de le pirater !
Je vous laisse apprécier l’ironie de cette phrase.
Allez lire les explications donnés par l’amendement c’est un bon gros WTF !
source: http://www.senat.fr/amendements/commissions/2015-2016/325/Amdt_COM-208.html