Aquilenet, 7 ans d’internet libre en Aquitaine

Temps de lecture 13 min

image_pdfimage_print

7 ans. Sept ans que Aquilenet, fournisseur d’accès à Internet associatif bordelais, construit de l’Internet bénévolement, localement, politiquement et maintenant en fédération. Sept ans également à faire de la sensibilisation, aussi bien sur les questions d’Internet, de vie privée, de logiciel libre que de critique des médias et de médias indépendants. On aurait pu croire qu’après autant de temps cette association se serait essoufflée mais loin de là : un passage en collégiale, un nouveau local, un data-center associatif et bien plus encore !

Frigo du local – CC-BY-SA – Bram

— Bonjour le collectif d’Aquilenet, c’est un plaisir de vous avoir, est-ce que vous pouvez vous présenter brièvement ?

Bonjour, plaisir partagé 😉, nous sommes donc Aquilenet, Fournisseur d’Accès Internet associatif en Nouvelle Aquitaine, et plus précisément localisé à Bordeaux. Nous comptons actuellement pas loin de 150 membres et sommes actifs depuis 2010 !

Aquilenet est un fournisseur d’accès à internet (FAI) associatif, qu’est-ce que c’est ? En quoi le côté associatif fait une différence ? À qui vous vous adressez ?

Le plus ancien fournisseur d’accès à Internet de France encore actif est un fournisseur d’accès associatif. C’est-à-dire que dès le début de l’Internet en France, on a vu des gens passionnés se rassembler entre eux pour construire quelque chose à leur échelle. Et puis sont arrivés les fournisseurs commerciaux : France Télécom, AOL, Club-Internet, Wanadoo, Neuf… Enfin, maintenant, on connaît leurs nouveaux noms : Orange, SFR, Free, etc. Ce sont d’immenses entreprises, qui couvrent tout le territoire national, et sont là pour faire ce que font les entreprises : vendre des services et faire des bénéfices. On en connaît les dérives : ces entreprises, qui ont la mainmise sur le réseau, peuvent contrôler ce qu’on a le droit – ou non – de consulter, choisir si on peut brider ou non une connexion, desservir volontairement plus ou moins bien le client suivant ce qui les arrange, et évidemment pratiquer une surveillance généralisée : on leur donne les clés et on utilise ce qu’ils veulent bien nous donner.

Un FAI associatif, c’est un petit ensemble de gens passionnés, qui veulent faire du réseau propre et fournir un Internet libre. On peut boire une bière avec. On peut littéralement voir comment c’est fait, voir ce qu’ils font de nos données. Il n’y a pas de dérives mercantiles, car ce n’est de toute manière pas concurrentiel avec les FAI dits « commerciaux ».
En bref, les clés sont à nous, et on se réapproprie Internet, le réseau, et nos données : on fabrique nos propres bouts d’Internet, on est Internet !

En plus de cela, notre volonté étant de créer du réseau, on peut amener Internet là où les FAI commerciaux n’en voient pas l’intérêt. Ce sont les fameuses « zones blanches » dont on entend parfois parler. Pour nous, l’intérêt, c’est d’apporter l’accès au net à tout le monde, partout.

On s’adresse à tout le monde, comme n’importe quel autre FAI, à la différence que les assos sont essaimées partout en francophonie ; et qu’on va donc plutôt essayer d’agir en tant qu’acteur local. Parce qu’une fois de plus, un FAI associatif, c’est à l’échelle humaine. On peut discuter directement avec, on peut s’investir dedans. Et on peut, bien entendu, se contenter d’avoir une connexion Internet propre, neutre et libre de toute surveillance.

En gros, on est un peu comme une « AMAP » (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) de l’Internet !

Bien sûr, on ne peut pas profiter des tarifs de gros auxquels les gros opérateurs ont accès, donc les accès ADSL sont typiquement un peu plus chers : 35-40€ par mois pour de l’ADSL sans téléphone. Mais d’autres fonctionnements sont possibles : des voisins peuvent se regrouper pour partager une ligne ADSL tout en ayant chacun son adresse IP propre, partageant ainsi les coûts.

C’est une démarche fortement engagée politiquement, qu’est-ce qui vous a poussé⋅e⋅s à vous lancer dans cette aventure et à la continuer ?

Pour n’importe quel être humain ayant été connecté à Internet, construire et cultiver son propre carré vert d’Internet peut sembler être une expérience excitante et passionnante ! La soif d’apprendre, la quête de sens avec la participation à la construction d’un Internet « propre », et le fait de devenir un acteur sur le sujet sont des éléments qui nous ont vite motivés à nous lancer dans cette aventure.

D’autre part fournir de l’accès à Internet avec une infrastructure permet d’aider aussi de nombreux projets à émerger, et aussi d’aider pas mal les copains, nous fabriquons ensemble notre bout d’Internet.

Mais au fait il est à qui le net ? À NOUS !!!

Et au-delà de Aquilenet on entend dire que vous lancez une structure qui s’appelle « C’est le bouquet », qu’est-ce que c’est ? Pourquoi vous le faites ? Qui est-ce que vous visez ?

C’est Le Bouquet est une initiative qui a commencé à pointer le bout de son nez en 2017. Nous avons été contacté⋅e⋅s par un certain nombre d’associations ou de collectifs, qui voulaient plus que les services qu’Aquilenet fournit historiquement. Il leur fallait un ensemble d’outils propres, dégooglisés – le lectorat saura de quoi on parle – et sous leur contrôle. Des outils fiables, parce qu’on parle d’associations, ONG, collectifs, et que leurs communications doivent être sous leur contrôle : courriels, travail collaboratif… Pour tout cela, il faut du libre, sur un réseau qu’on sait propre, en lequel ils peuvent avoir confiance et qui sera maîtrisé sur toute la chaîne ou presque.

Alors l’idée a germé de créer quelque chose qui proposerait un bouquet de services libres et neutres, avec tout ce qu’il faut pour que ces structures puissent travailler efficacement. C’est le bouquet était né !

À cela s’ajoute la création d’outils permettant de gérer l’ensemble efficacement, et la mise en place de formations et de SAV pour pouvoir en permanence répondre aux questions, intervenir au besoin, sensibiliser et éduquer à des manières de travailler qui seront parfois nouvelles.

Courriels, CRM, pads, hébergement de document, newsletters, listes de diffusion, et bien plus encore : tout le nécessaire sans Google, équipé de logiciels libres, hébergé sur des serveurs propres et locaux, sans filtrage, ni exploitation de données, ni surveillance, et le tout qui passe par l’Internet propre des tuyaux d’Aquilenet !
Il reste encore beaucoup à faire !

Mais… ça ressemble furieusement à un CHATONS ! Vous en êtes un ? Est-ce que vous pensez rejoindre ce collectif ?

Pour l’instant, ni Aquilenet, ni C’est le Bouquet ne se revendiquent CHATONS. Il n’y a pas pour l’instant de décision tranchée sur si oui ou non nous rejoindrions ce collectif… Le débat continue, entre la volonté d’indépendance de toute étiquette et le fait que, concrètement, les idées se croisent !

La preuve en est qu’il n’est pas besoin de faire partie des CHATONS pour proposer des services web de manière éthique ! Dites, comment on fait pour faire un fournisseur d’accès à Internet ? Comment on se connecte à Internet et on l’amène à des gens ?

Il y a de nombreuses façons d’y arriver, le mieux est de venir nous poser la question à la Fédération FDN, nous avons des documentations sur le sujet, nous pouvons accompagner et fournir des ressources pour aider au démarrage. D’autre part nous pouvons mettre en contact avec une association fédérée géographiquement proche du demandeur. Ce qui est motivant c’est que nous continuons à voir de nouvelles initiatives émerger et nous rejoindre.

Est-ce que vous ne faites que fournir de l’accès à Internet à des gens ?

Non ! À vrai dire, la fourniture d’accès à Internet est une toute petite partie de notre activité. On pourrait dégager deux grands axes pour décrire les activités d’Aquilenet. Un premier axe est davantage centré sur les services. Au-delà des accès ADSL, l’association propose également des accès VPN (bon… c’est un accès à Internet en fait), des machines virtuelles, de l’espace de stockage, du mail ou encore de la VoIP. Nous sommes également parmi les fournisseurs de Brique Internet. Nous participons à différents projets comme The DCP Bay, de la distribution de films pour les salles de cinéma indépendantes. Tout ça repose bien entendu sur du logiciel libre et est garanti sans filtrage ! La seconde activité d’Aquilenet est plus d’ordre militant dans le sens où nous travaillons beaucoup à faire connaître la neutralité du net, le Libre ou à communiquer sur des thématiques dont nous nous sentons proches. Nous sommes impliqués localement pour sensibiliser sur ces thématiques et poussons pour un développement de l’Internet local plus accessible aux petites structures.

Capture d’écran du débat entre Pierre Carles et Usul

D’autre part, nous organisons régulièrement des ateliers pour former les gens qui le souhaitent à des technologies très variées. Nous proposons aussi de temps en temps des projections au cinéma l’Utopia à Bordeaux ou des débats avec des intervenants toujours passionnants. Notre dernière projection en date était le documentaire Nothing to Hide dont nous avons participé à la distribution sur Internet. Dernièrement, nous avons également participé à la venue de Pierre Carles et Usul pour une soirée de discussion ouverte à toutes et à tous . Nous essayons aussi d’ouvrir des sentiers pas encore tracés : nous réfléchissons, par exemple, à l’intégration de Duniter, une cryptomonnaie libre qui se veut plus juste, dans nos moyens de paiement !

En interne, nous organisons des ateliers ouverts à toutes et tous, pour permettre à chacun de se former et de s’investir à son échelle. Nous avons lancé des groupes de travail aussi divers que la desserte en Wi-Fi des zones blanches, la communication, l’administration système, l’accueil, le support… Tout le monde peut mettre la main à la pâte quelles que soient ses compétences : on se forme entre nous !

Vous n’êtes pas le seul FAI associatif qui existe, il y a une même, on l’a vu, une fédération, la FFDN, dont vous êtes fondateurs.  Est-ce que vous pouvez un peu nous en parler ? Quelle est vous relation avec cette fédération ?

Carte des fournisseurs d’accès à internet associatifs montrant ceux de la FFDN (en bleu)

Nous sommes parmi les membres fondateurs de la  FFDN, la fédération qui rassemble les FAI associatifs de toutes tailles et de toutes localisations. Nos membres sont par définition également membres de celle-ci, certains y sont très actifs, d’autres non. Elle se compose donc de camarades d’un peu partout, avec qui nous échangeons nos questions, nos évolutions, nos volontés et nos besoins. Nous partageons ainsi nos connaissances tant techniques que, par exemple, juridiques, afin de toujours pousser le groupe vers l’avant. Les bons plans également, comme des solutions de financement de projets par des organismes publics nationaux ou internationaux. Lorsqu’un besoin se fait connaître, des membres de partout peuvent y répondre. Afin de maintenir ce maillage, des points « bilan » sont régulièrement faits par toutes les associations membres de la FFDN : quels sont les projets, les nouvelles, l’état de santé de l’association, ses besoins, etc. En fait, la FFDN nous permet d’être à la fois beaucoup et peu, partout et juste à un endroit. Elle nous donne une force commune sur tout le territoire, tout en laissant un ensemble de petits acteurs agir localement.

Ça fait sept ans que vous existez, vous avez été jusqu’à présent en structure associative classique avec CA, président etc. et vous avez récemment décidé de passer à une structure de collégiale, pourquoi vous avez fait ce choix ? Comment vous vivez cette aventure et qu’est-ce que ça change pour vous ?

Nous venons en effet de voter le passage en collégiale pour Aquilenet. Il n’y a plus de bureau, de président, de trésorier, mais des bénévoles motivé·e·s. Chacun·e a accès aux droits nécessaires aux actions qu’il ou elle entreprend, les tâches sont réparties entre les adhérents volontaires qui auront rejoint la collégiale, et il n’y a aucune centralisation des pouvoirs. Tout repose désormais sur la volonté de chaque adhérent et sur la confiance mutuelle. C’est un tournant humain, égalitaire, et qui vise à décharger des épaules en invitant tout le monde à faire sa part et à partager le savoir-faire. Là-dessus, nos craintes sont relatives : en dehors de questions technico-juridiques, nous avions déjà un système assez proche de la collégiale. Quiconque voulait faire avait le droit de le faire. L’idée, c’était d’officialiser ça une bonne fois pour toutes !

Et en plus de cette transformation vous avez également désormais un local ! C’est aussi un grand changement, en quoi ça vous impacte ? Qu’est-ce que ça vous permet de nouveau ? On me souffle que vous êtes en train de lancer un data-center associatif, qu’est-ce que c’est et à quoi ça sert ?

On l’a dit plusieurs fois depuis novembre, lors de nos réunions : c’est quelque chose d’important. Nous avons un lieu où nous nous rencontrons, de manière bien plus régulière et libre qu’auparavant. Depuis sa création, Aquilenet se rassemblait mensuellement dans un bar. Lorsque des ateliers avaient lieu, on faisait ça où l’on pouvait (souvent au Labx, hackerlab de Bordeaux). En cas de réunion, nous utilisions une salle… dans un bar, encore ! Maintenant, dès que quelqu’un veut travailler, dès qu’on veut discuter de quelque chose, débattre, préparer, planifier, faire un atelier : on se retrouve à « la Mezzanine », notre local. Il y a presque toujours quelqu’un de présent le mardi soir, toujours des petites réunions entre deux, trois, cinq, dix membres. Ça a donné une vraie existence physique à ce qui était, la majorité du temps, des appels, SMS, emails, échanges sur IRC.

Data-center en tout début de construction – CC-BY-SA – Bram

 

Si le local s’appelle « La Mezzanine », ce n’est pas pour rien : il s’y trouve une Mezzanine que nous allons transformer en data-center associatif. Il possède son propre réseau électrique à part du reste du local, d’origine 100 % renouvelable. Une fois que tout sera en place, tout le monde pourra librement y installer son serveur, quelle que soit sa forme et sa taille, du Raspberry Pi à la tour de PC, et l’y poser. Nous fournissons l’énergie, la connexion, au besoin des IP Aquilenet, tout ce qu’il faut ! Un groupe de travail planche actuellement dessus. Il y a du travail encore, mais ça prend forme petit à petit !

Et comment vous rejoindre dans cette belle aventure ?

On est joignables en permanence par courriel depuis la section contact de notre site Internet, et tout le nécessaire pour adhérer à l’association et/ou profiter des services qu’on propose y est disponible ! Et pour plus de chaleur humaine (et de bière1), on se donne rendez-vous chaque premier mardi du mois, 21h, à la mezzanine, le local d’Aquilenet – 20 rue Tourat, Bordeaux, pour accueillir à la fois les membres, les curieuses et les curieux !

Un mot de la fin ?

Devenir fournisseur d’accès Internet est à la portée de tous, si vous n’en avez pas dans votre région et êtes motivés n’hésitez pas à nous contacter, c’est une formidable école sur le fonctionnement de l’Internet et c’est aussi une contribution très utile au développement de la liberté dans notre pays. Enfin sachez que nos associations sont toujours ouvertes à toute personne motivée qui souhaiterait nous aider, les thématiques ne manquent pas et ne sont pas uniquement que techniques, vous êtes toutes et tous bienvenus !

« Sous les pavés, la fibre ! » 😀
Une autre fin du net est possible.
Hacker vaillant rien d’impossible !

 

  1. L’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération.
Suivre Framasoft:

Réseau d'éducation populaire au Libre. Nous souhaitons faire le trait d'union entre le monde du Libre (logiciel, culturel, matériel, etc.) et le grand public par le biais d'une galaxie de projets à découvrir sur framasoft.org

  1. André Cotte

    Quelqu’un sait-il si de telles FAI existent au Québec? Les besoins sont là en région mais j’ignore si c’est fait de cette façon.