En juin 2024, L’Établi Numérique et la Dérivation annonçaient vouloir organiser des ateliers d’appropriation de Nextcloud, logiciel libre de collaboration. Nextcloud est utilisé par des dizaines de millions de personnes de par le monde. Nous même, à Framasoft, l’utilisons pour Framagenda, Framadrive, et bien entendu Framaspace.
Or, il faut bien reconnaître que Nextcloud est un logiciel difficile à prendre en main, notamment pour les personnes qui le découvre.
Framasoft a donc fait le choix de participer financièrement et techniquement, en soutien à ces ateliers qui nous paraissaient forts utiles. En contrepartie, nous avons demandé aux animateur⋅ices de nous partager publiquement leur expérience. C’est donc ce retour, sous forme d’interview, que vous pouvez lire ci-dessous.
Tout d’abord, est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Oui, bien sûr ! Nous sommes trois : Mélissa Richard chargée d’animation numérique pour ritimo, et Romain Renaud et Julie Brillet de la coopérative l’Établi Numérique. Au départ du projet, il y avait aussi Lunar, qui travaillait avec Mélissa au sein de la Dérivation. Tous tes les quatre avons mobilisé les pratiques d’éducation populaire pour animer formations et ateliers autour des enjeux politiques du numérique et ce, depuis de nombreuses années.
Pourquoi avoir proposé des ateliers Nextcloud ?
Cela fait longtemps que nous militons pour un numérique émancipateur et que nous promouvons les logiciels libres comme un des moyens de sortir de l’emprise du capitalisme de surveillance. Nous utilisons Nextcloud dans un cadre professionnel et militant et avons individuellement développé une expertise sur cet outil, par exemple pour Mélissa en rédigeant la documentation pour Coopaname ou pour Romain en administrant plusieurs serveurs et en accompagnant les personnes utilisatrices.
Nous sommes convaincu
es de deux choses sur Nextcloud :- C’est un outil puissant, vraiment adapté au travail collaboratif et qui constitue une alternative intéressante à Google Drive
- C’est un outil difficile à prendre en main pour une personne néophyte, et qui manque d’ergonomie et d’accessibilité.
Nous avons eu l’impression partagée en 2023 d’être à un moment de bascule. Alors que les problématiques liées aux géants du numérique sont de plus en plus connues, des initiatives réussie dans le champ associatif (Zourit ou Framaligue) et une dynamique poussée par Framasoft (Emancipasso, Framaspace) nous ont fait penser que nos compétences de formation et d’accompagnement seraient utiles.
Comment avez-vous construit ces ateliers ?
Nous avons mis un an à les réfléchir, puisque notre première réunion a eu lieu en visio en juin 2023, puis nous avons alterné des temps de travail en présentiel, en distanciel et en asynchrone pour aboutir à l’organisation de 4 ateliers en juin 2024.
Nous sommes parti
es d’une envie commune pour l’Établi Numérique et la Dérivation de proposer des formations et ateliers autour de Nextcloud, mais en mutualisant nos efforts plutôt qu’en se retrouvant en concurrence. On a commencé avec un partage de nos envies et disponibilités, mais aussi de nos appréhensions et contraintes et on s’est finalement mis d’accord sur la création d’ateliers centrés sur des fonctionnalités du logiciel, qui constitueraient une sorte de parcours de formation.Lors d’une première journée de travail à Nantes, nous avons continué à travailler en se concentrant sur le public de nos futurs ateliers. Nous avons d’abord identifié différentes étapes de la mise en place d’un Nextcloud dans un collectif, en mettant en regard les besoins de formation ou d’accompagnement avec chaque étape. Nous avons également élaboré une typologie des collectifs concernés. Nous nous sommes concentré⋅es sur un public que nous avons appelé « les éclaireur
ses », c’est-à-dire ces personnes bénévoles ou salariées, convaincues du bien-fondé de l’utilisation de Nextcloud au sein de leur collectif, et qui veulent bien prendre un peu de temps pour se former, afin de pouvoir accompagner les autres bénévoles ou salarié es. Nous avons plutôt visé des personnes non-informaticiennes, en se disant que des personnes techniques (par exemple administratrices de Nextcloud) auraient plus l’habitude d’être autonomes avec une documentation.Nous avons ensuite imaginé les besoins de ces personnes éclaireuses, à partir de nos diverses expériences d’utilisation de Nextcloud :
- En priorité, les notions-clé, indispensables à comprendre : se repérer dans les différentes applications, le partage, les utilisateurices multiples ;
- Proposer des cas d’usages (« je veux travailler en commission « ) plutôt que des fonctionnalités (« l’application agenda ») ;
- Savoir comment ranger et comprendre l’arborescence des fichiers ;
- Comment utiliser Nextcloud sur plusieurs périphériques.
Nous avons également établi que ce public cible n’avait pas beaucoup de temps à accorder à la formation sur Nextcloud et avons décidé de partir sur un atelier de 2h en visio. En ce qui concerne le modèle économique, nous avons essayé de trouver un équilibre entre le peu de moyens financiers des public cibles et nos besoins de rémunération. Nous sommes parti
es sur l’idée qu’un atelier de ce type, animé par une personne seule pourrait être payé 250 € HT (300 € TTC) pour des jauges de 6 à 8 personnes. Cela demanderait donc aux collectifs de financer environ 40 € par personne participante. Nous avons par ailleurs réfléchi à comment faire financer ce type d’ateliers par des subventions ou du mécénat. De notre côté, ce tarif est en deçà de nos tarifs habituels, mais l’idée de pouvoir répéter ces ateliers nous permettait d’envisager une rentabilité sur un plus long terme.Par la suite, nous avons travaillé par binôme sur des déroulés pédagogiques que nous avons ultérieurement mis en commun pour créer un premier prototype d’atelier de prise en main. En parallèle, Framasoft nous a soutenu financièrement à hauteur de 1000 €. Nous avons décidé de nous jeter à l’eau en proposant 4 ateliers gratuits pour tester grandeur nature notre premier déroulé (https://dérivation.fr/evenement/atelier-dappropriation-de-nextcloud/).
Comment avez-vous préparé ces ateliers ?
En amont, Framasoft nous a créé un espace Framaspace qui nous a servi de bac à sable pendant ces ateliers. Nous y avons créé des comptes pour chacune des personnes inscrites, en les groupant par atelier.
Nous avons aussi testé les différents outils de visio à notre disposition. Nous cherchions un outil libre qui ne nécessite pas d’installation de logiciel et qui permette de créer des sous-salles. Nous avons testé BigBlueButton et Jitsi. Nous avons privilégié ce dernier puisque la fonction des sous-salles, ajoutées dans les derniers versions du logiciel, génère moins de frictions côté utilisateur ices que sur BigBlueButton (où il faut à chaque fois accorder l’autorisation au micro et à la caméra).
Nous avons assez facilement rempli les ateliers avec une communication ciblée dans nos réseaux. Nous avons bien rappelé les pré-requis : avoir déjà utilisé Nextcloud au moins une fois, rejoindre l’atelier depuis un ordinateur, être à l’aise pour utiliser un navigateur Web avec plusieurs onglets et avoir l’habitude de faire des visios (l’utilisation des caméras étant facultative).
Comment concrètement se passaient ces ateliers ?
Nous avons décidé d’animer en binôme chacun des ateliers, pour plus de confort mais aussi avoir des regards croisés sur chaque atelier. La jauge était de 8 personnes participantes, nous avons assez vite augmenté ce nombre car nous avions systématiquement quelques absent
es.Chaque atelier durait deux heures et se déroulait de la façon suivante :
- 10 minutes pour accueillir les personnes, vérifier leur accès au framaspace, présenter les animateurices et l’atelier ;
- 15 minutes de transmission théorique que nous avons au fil du temps réduites à quelques minutes axées uniquement sur la fonction de partage des fichiers ;
- 40 minutes de jeu de piste pendant lequel les personnes doivent effectuer un certain nombre d’actions (renommer un fichier, ajouter une image dans un dossier, la partager…) listées dans un fichier texte. Chacun e allait à son rythme et nous aidions en cas de difficulté, y compris en proposant à certain e personnes d’aller dans une sous-salle de Jitsi avec un e des animateur ices en cas de besoin
- 30 minutes de jeu de rôle pendant lequel nous scindions le groupe en deux dans des sous-salles. Chaque sous-groupe devait organiser un événement pour un collectif imaginaire et utiliser Nextcloud pour ce faire.Le rôle de l’animateur ice était alors de les guider sur quelques tâches à faire si jamais le groupe patinait un peu, mais en les laissant libres sur les modalités d’organisation.
- 15 minutes à nouveau avec tout le monde pour partager les réussites et difficultés du jeu de rôles.
- 10 minutes de bilan général de l’atelier
Quels ont été les retours ?
Nous avons eu beaucoup de plaisir à animer ces ateliers ! Les méthodes pédagogiques prévues ont fonctionné, les participant
es se sont vraiment pris au jeu et ont été surpris es par la forme.
- C’est super que je puisse trifouiller sans risque !
- Je vais pouvoir encore plus dégoogliser mes pratiques.
- Aaaah, mais on peut faire ça avec Nextcloud !
(Retours de quelques participant
es)
Pour autant, tout n’était pas parfait. Nous avons par exemple découvert certaines limitations techniques que nous ne connaissions pas, il y a eu quelques bugs (mais qui n’en a pas en visio ?) et il est arrivé que la dénomination de certains éléments de Nextcloud prête à confusion.
Par ailleurs, nous nous sommes rendu⋅es compte qu’il serait compliqué d’animer un atelier avec ce déroulé sans co-animation, ce qui venait reposer la question de la rentabilité économique de ce type d’ateliers.
Et maintenant, comment on se forme à Nextcloud ?
Nous n’avons pas reproduit ces ateliers car leur but premier était de tester une méthode d’animation à réutiliser dans une formation plus longue. Notre expérimentation étant concluante, nous allons pouvoir la mettre en œuvre les 15 et 16 avril 2025, dans une formation « Travailler en équipe avec Nextcloud » organisée par ritimo et animée par Romain et Mélissa. Les inscriptions sont ouvertes !
Nous avons également produit d’autres dispositifs d’autoformation, déjà déployés (comme cette vidéo d’onboarding) ou à venir très bientôt sur Framaspace.
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