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Nous avons souhaité partager avec vous ce texte, mi-fiction mi réflexion, de Neil Jomunsi. Et nous l’avons même invité à en publier d’autres ici s’il le souhaite. Bonne lecture.
C’était inéluctable, nous le savions, parce que rien en ce monde n’est éternel, mais nous ne pouvions pas nous empêcher d’espérer. On a beaucoup parlé, évoqué un temps un possible rachat collectif par tous les utilisateurs, mais le monde étant devenu complexe, il ne se satisfait plus de réponses simpl(ist)es. Ce jour du 29 avril 2026 est donc à marquer d’une pierre blanche : deux ans après Facebook, dont la fermeture de la branche « réseau social » avait provoqué le tollé que l’on sait, Twitter a officiellement annoncé qu’il fermait à son tour les portes de son service. Le bureau d’administration a tranché : plus assez rentable. Twitter venait tout juste de fêter son vingtième anniversaire.
Twitter avait pourtant connu une embellie dans le courant 2020, profitant de la démocratisation des technologies de contrôle vocal et d’intelligence artificielle, et offrant à ses utilisateurs des interfaces toujours plus personnalisées, à mi-chemin entre salon de discussion public et messagerie privée. Les critiques n’avaient pas été tendres lorsque le service de micro-blogging avait décidé de renforcer la part algorithmique des messages affichés aux utilisateurs, mais la tempête avait fini par passer ; car les utilisateurs ont fini, on le sait, par adhérer au concept de bulle de filtres, la vague du « webcare » étant passée par-là, popularisée par des livres de développement personnel tels que Le miroir du réseau ou Modelez le web à votre image.
Bien sûr, les défenseurs d’un web libre et décentralisé avaient prévenu : avec la concentration des données sur une poignée de grosses plateformes, c’était tout un pan de la réflexion et de la création du XXIe qui courait le risque de disparaître purement et simplement de l’histoire. Ils n’ont pas été démentis : avec Twitter qui ferme, ce sont 20 années d’échanges, de contradictions, de propos calomnieux, injurieux ou mensongers aussi, qui sombrent dans le néant. Twitter assure que les usagers pourront télécharger leur archive personnelle pendant encore un an à compter de la date de fermeture officielle, qui devrait être annoncée sous peu. Mais sans la connexion entre les différents comptes qui rendait lesdites archives dynamiques, et donc pertinentes, ces sauvegardes risquent fort de perdre tout intérêt documentaire pour les historiens. D’autant que peu d’internautes décideront d’en faire quelque chose, et la plupart finiront par pourrir dans un coin de cloud oublié.
Soixante-seize chercheurs et historiens ont publié lundi dans Le Monde une tribune invitant les états à se saisir du dossier et à négocier avec Twitter une pérennisation de la disponibilité en ligne du service, dans un souci de conservation. Il ne s’agirait pas de permettre aux utilisateurs de continuer à utiliser le service, mais de le garder en ligne en l’état, consultable librement par tous. On le sait, Twitter a été le lieu de toutes les discussions politiques des dix dernières années. Avec sa disparition, craignent les signataires, on risque de voir se créer « le plus grand trou noir de l’histoire moderne », comparable avec celui de la disparition des œuvres hors domaine public en déficit d’exploitation.
Alors bien sûr, tout ceci est une fiction.
Mais Twitter fermera ses portes un jour, vous pouvez en être assurés. Et il y a de bonnes chances pour que les choses se déroulent de cette façon. On l’aura encore vu avec Tumblr récemment : faire confiance à de grandes entreprises multinationales pour conserver notre patrimoine artistique, historique et politique est une grave erreur. Nous devons reprendre le contrôle sur nos publications, et a minima les héberger nous-mêmes, sur un blog sur lequel nous avons tout contrôle.
Sans quoi les mites troueront bientôt – et plus vite qu’on ne l’imagine – le tissu de notre mémoire collective.
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Lire sur le site originel : https://page42.org/mauvaise-nouvelle-twitter-va-fermer/
GS
Internet n’aime pas le vide.
Si twitter dois fermer, c’est qu’un autre service aura mieux répondu au besoin, ou que le dis besoin n’était qu’une mode.
Klin
@GS
Ce n’est pas tellement de ça que l’article parle. Certes Twitter peut demain trouver un remplaçant ou le modèle « réseau social » peut tomber en désuétude.
Mais surtout, si ce genre d’évènement venait à advenir, on perdrait 20 ans d’histoire d’internet, de dialogue, de débats (plus ou moins amicaux).
Goinfrex
Tout d’abord, excellent article, je serais pas contre le fait de revoir ce type de post plus souvent sur le blog 🙂
Oui, il s’agit avant tout ici de conservation, d’histoire et de mémoire.
De logiques mercantiles appliquées pour rentabiliser nos échanges.
De mémoire collective concentrée sur un point névralgique, le tout dans les mains d’actionnaires ne réfléchissant et n’agissant que pour le profit.
D’entreprises de la puissance d’un état qui possèdent donc une part de plus en plus importante de notre histoire moderne. Qui ont droit de cité sur ce qui est conservé, ou pas. Ce qui est altéré, ou pas. Ce qui est montré à notre vue, ou qui ne l’est pas.
En-dehors du point de vue même de la conservation (qui est passionnant en soit), le simple effet des bulles filtrantes et autres algorythme de curation altère déjà notre manière de communiquer, de s’informer, de partager, d’analyser.
Laisser des algorythmes aussi opaques régir ainsi l’espace public, même « virtuel », c’est permettre à des multinationales de piétiner joyeusement le principe fondateur de la neutralité du net, en toute impunité.
Contrôle et altération de notre passé, contrôle et altération de notre présent… je sais pas vous, mais je suis moyennement motivée pour leur laisser dans la foulée les clés de notre futur 😉
Cc by-NC-nd
Il n’y a pas d’information type creative common sur vos articles ?
Frédéric Urbain
Le blog tout entier est en CC-BY-SA, sauf exception signalée, et Neil publie ses textes sous la même licence.
Mika38
C’est vrai que la licence n’est pas clairement affichée. C’est dommage. C’est une occasion manque d’éduquer vos lecteurs sur l’utiliter des licences libres. Je pense que certain de personne dupliquerai plus facilement cet article, si la licence serai affiché avant ou après l’article, et une licence global du blog en bas de page pourrait être utile.
JosephK
Comme toujours pour certains y a trop d’infos, pour d’autres pas assez. Difficile de contenter tout le monde…
Auparavant le « Menu » en haut à gauche près du titre dans lequel est clairement mentionné la licence du blog se trouvait dans une colonne à droite toujours visible mais on a voulu épurer le thème pour focaliser sur le contenu.
Par ailleurs sur tous les sites de Framasoft il y a un lien « Crédits » dans le pied de page et le menu « À propos » de la barre du haut. Derrière ce lien on trouve aussi la licence de ce qui est publié/utilisé un peu partout.
Mathieu
Ça rappelle furieusement la fermeture de Google Code. « Ils ont qu’à migrer vers Github », ça retarde une échéance certaine, mais ça ne sauve pas tous les projets (oui, je sais qu’il y a une archive sur Google Code, mais certains projets n’ont jamais été migrés vers Github et sont cliniquement morts).
Ce n’est pas de la fiction, on peut citer beaucoup d’exemples « récents » :
– chez Google (Wave qui a fermé, Groups qui s’est restreint, utilise encore Google Sites, ?)
– chez Microsoft (livespace, dont certains blogs qui ont pu être migrés sur WordPress)
– ou d’autres plus franco-français : skyblog et sa lente agonie
Toutes ces plate-formes ont un point commun : c’est l’utilisateur qui en créait la valeur ajoutée en publiant les contenus. Que serait votre vie numérique sans Github, Soudcloud, Instagram, et toutes ces plate-formes que nous avons dépensé des heures à enrichir, et qui peuvent s’effondrer comme une bibliothèque qui brûle ?
Certes la reprise en main des hébergements des contenus ne nous met pas plus à l’abri des disparitions de contenus (le type qui paie le serveur peut disparaître, etc), mais elle prévient l’un des problèmes inhérents à la centralisation : la confiance qui doit être accordée à l’éditeur pour ne pas fermer, ou changer brusquement ses règles de contenus (hey Tumblr).
François L
Et aujourd’hui je reçois un mail annonçant la fin du service Google+ et la suppression des données des utilisateurs…
ttoinou
> Soixante-seize chercheurs et historiens ont publié lundi dans Le Monde
Prévoir que Twitter fera faillite avant le journal Le Monde, c’est osé 🙂
> faire confiance à de grandes entreprises multinationales pour conserver notre patrimoine artistique, historique et politique est une grave erreur
Qui est prêt à payer pour ce service de conservation de notre Pâtrimouane ? C’est une des plus importante question à se poser, plutôt que d’exiger égoïstement d’une entreprise de continuer à rendre un service sans aucune contrepartie. Mais bon il faut avouer que pour une potentielle tribune dans le Monde c’est réaliste