Bénévalibre : libérez vos bénévoles de la #StartupNation

Vous êtes bénévole dans une association ? Alors sachez qu’un tout nouveau logiciel libre peut vous aider à mieux valoriser votre engagement bénévole.

Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.

 

Information préalable : cet article est plus long que la moyenne des articles du Framablog, et pas nécessairement hyper-funky. D’une part parce que nous souhaitions exposer le contexte réglementaire et politique de la valorisation du bénévolat (ce qui ne peut pas se faire en trois paragraphes), et d’autre part parce que nous avons souhaité donner la parole dans une seconde partie de l’article à la personne qui a été la clé de voûte de la réalisation du logiciel. Pour vous aider, nous vous proposons un résumé des points principaux tout en bas de cette page.

 

La valorisation du bénévolat, c’est quoi ?

L’indispensable Wikipédia nous rappelle que :

Le bénévolat est une activité non rétribuée et librement choisie qui s’exerce en général au sein d’une institution sans but lucratif (ISBL) : association, ONG, syndicat ou structure publique.

En France, le nombre de bénévoles serait compris entre 12 et 14 millions, soit un français sur quatre, pour 1 300 000 associations et 21,6 millions d’adhérents.

Or, le bénévolat est peu visible dans la société actuelle. Cela peut par exemple poser problème lorsqu’une association demande une subvention : le financeur peut (légitimement ?) se demander s’il ne finance pas une « coquille vide ». Le fait de pouvoir compter les heures passées par les bénévoles sur une action, et éventuellement de leur attribuer une valeur financière, permet alors à l’association de montrer que son activité bénévole a une valeur conséquente, qu’elle pourra faire valoir dans sa demande de subvention.

Par exemple, si l’association peut attester de 2 000 heures de bénévolat annuel, elle peut plus facilement justifier l’intérêt d’un soutien financier important qu’une association attestant de 20 heures de bénévolat annuel. Évidemment, l’objet social de l’association et le projet porté restent primordiaux, mais cette évaluation quantifiable est un critère qui peut faciliter la compréhension du fonctionnement du projet associatif.

Ainsi, le « Guide du bénévolat » liste de nombreuses raisons pour une association de valoriser son bénévolat (lire p. 22), que le site Associathèque résume ainsi :

  • démontrer, par la valorisation d’apports importants, l’autofinancement d’une partie de l’activité, le financement public se trouvant de fait atténué ;
  • souligner le dynamisme d’une association en mettant en évidence sa capacité à mobiliser des bénévoles et des prestations gratuites en nature ;
  • évaluer le poids financier du bénévolat, des dons et services en nature ;
  • identifier la dépendance au bénévolat, et en cas de diminution de cette aide, évaluer le besoin de financement supplémentaire.

cliquez sur l’image pour découvrir la « base de connaissances associatives » du site Associathèque.

Mais pourquoi valoriser le bénévolat aujourd’hui ?

Nous ne choquerons sans doute pas grand monde en affirmant que les États sont gérés de plus en plus comme des entreprises. Nos dirigeant⋅es ont adopté un « esprit comptable » où chaque élément doit pouvoir être comptabilisé, pour être justifié, quantifié statistiquement, ou comparé à d’autres.
Ce n’est pas le monde que nous souhaitons, mais c’est celui que nous avons (et que nous combattons).

Or, il se trouve que la législation a évolué. Et — là non plus ça n’étonnera pas grand monde — pas forcément dans le bon sens. Sortons un peu du cadre des sujets classiques du Framablog pour vous expliquer ça.

Ainsi, la « Loi Travail » (dite aussi « Loi El Khomri ») de 2016 précise — parmi plein d’autres choses — le contenu du Compte Personnel d’Activité (CPA). Il comprendra à la fois le Compte Personnel de Formation (CPF), le compte pénibilité ainsi qu’un futur Compte d’Engagement Citoyen (CEC) qui permettra de bénéficier d’heures de formation en cas de volontariat ou de bénévolat, notamment pour les fonctions de direction d’association ou d’encadrement de bénévoles.

En gros, dans le principe, un⋅e bénévole peut si c’est son souhait, déclarer sur le site gouvernemental www.moncompteactivite.gouv.fr X heures de bénévolat (validées par un⋅e responsable de l’association). Et ces X heures pourront ouvrir droit à Y heures de formation.

Sur le papier, évidemment, l’idée parait belle : « Il faut « récompenser » le bénévolat et l’engagement citoyen ! ». Sauf que l’enfer est pavé de bonnes intentions, et que le diable se cache ici dans des détails parfois grossiers.

Pour rappel, la loi travail, c’est celle qui a déclenché les témoignages et protestations #OnVautMieuxQueÇa, puis les Nuits Debout… (image piquée aux ami·es de MrMondialisation)

Quels problèmes posent la valorisation du bénévolat ?

Cette valorisation pose des problèmes « techniques » : comment valoriser le bénévolat ? Avec quel(s) outil(s) ? A quels taux horaires ? Comment en garder trace dans le temps ? Comment « motiver » les bénévoles à saisir leur bénévolat valorisé ? etc.
Nous reviendrons sur certains de ces points par la suite.

Mais valoriser le bénévolat pose avant tout des problèmes politiques.

En effet, comment valoriser l’heure d’un⋅e bénévole servant une soupe aux Restos du Cœur ? Cette heure vaut-elle plus ou moins que celle d’un⋅e bénévole ayant participé à l’organisation d’une manifestation sportive ? Ou à celle d’une personne ayant participé à la mise en place d’un lombricomposteur de quartier ?

Plus généralement, cela pose le problème de la valeur d’une action bénévole, et celui de la marchandisation de la société, y compris paradoxalement dans ce qui est aujourd’hui considéré comme les secteurs non-marchands, comme l’éducation ou la vie associative.

Autant vous le dire, à Framasoft, on est pas vraiment fans de l’idée de mettre un coût ou un prix à toutes choses, y compris à l’idée de quantifier l’heure d’une traduction Framalang, la tenue d’un stand, l’organisation d’un Contribatelier, etc. Pour nous, ces actions sont hors valeur, ce qui ne signifie pas sans valeur. Les motivations des bénévoles (à Framasoft comme dans l’immense majorité des associations) est avant tout de pouvoir prendre part à un projet commun, de pouvoir acquérir ou partager son expérience, ou de pouvoir mettre du sens dans un monde qui semble en avoir de moins en moins.

Il faut faire pivoter le site des Contribateliers pour propal une UX centrée end-user mais hyper-disruptive, ASAP.

 

Reprenons ci-dessous un peu plus en détail ce qui nous semble être les principaux problèmes de cette valorisation.

1. Le problème de la marchandisation

D’abord, il y a l’idée déjà évoquée ci-dessus de « marchandiser » le bénévolat en obligeant à comptabiliser des heures qui relèvent du don à la société. C’est une vision très comptable, qui facilite comme on l’a dit la quantification et la qualification d’une activité bénévole, mais qui du coup donne une valeur chiffrée à ce qui ne peut être quantifié. Par exemple, qui peut dire combien vaut une heure de bénévolat pour Emmaüs ? Ou une formation informatique à une association d’aide aux migrants ? On peut bien évidemment tricher en regardant les tarifs d’activités équivalentes qui se pratiquent sur le marché. Sauf que justement il s’agit ici d’activités hors marché.

Ensuite, en dehors même de la question du coût d’une heure de bénévolat, demeure le problème de l’évaluation. Car qui dit évaluation dit contrôle. Et là aussi, on pressent qu’il peut y avoir des frictions : si Camille déclare avoir passé 10 heures à domicile sur la préparation de l’Assemblée Générale, qui pourra contrôler cette affirmation ? Et que faire des cas où il est bien difficile de connaître les heures précises de début et de fin d’une action bénévole ?

On se trouve donc face à un risque pas du tout anodin non seulement de considérer le bénévolat comme une forme d’emploi (ce qu’il n’est pas), mais en plus de devoir jauger la valeur d’actions bénévoles sur des échelles monétaires, ce qui ne serait pas sans rappeler l’idée d’un salaire.

Il s’agit donc d’un problème politique, éthique et philosophique : tout peut-il être « valorisé » ? Par qui ? Sur quels critères ?

2. Le problème de la surveillance étatique

Un second problème, toujours politique, est celui du contexte actuel du rétrécissement de l’espace démocratique dans la société civile. Dit autrement, les associations sont aujourd’hui de plus en plus facilement réprimées par le pouvoir en place, lorsqu’elles expriment des désaccords avec ce dernier. Il s’agit d’un mouvement international (quasiment tous les pays sont concernés) qui se traduit par des formes de répressions très diverses (procès bâillon, violences policières, baisse de subventions, etc.)

Dans ce cadre, l’idée de confier à des gouvernements des informations qui peuvent être qualifiées de sensibles peut sembler un comportement à risque.

Imaginons que vous donniez deux heures de votre temps chaque semaine pour encadrer une équipe de bénévoles qui enseigne le français à des migrant⋅es. Comment s’assurer que ces informations ne pourront pas être utilisées contre vous à terme ?

Évidemment, aujourd’hui, on peut discuter du bien fondé (ou pas) de cette crainte. Mais « le numérique n’oublie jamais », et il ne parait pas certain que l’État ait besoin de garder trace de vos activités militantes.

3. Le problème de l’aliénation à l’outil

Il ne fait aucun doute que face à la demande que va créer la mise en œuvre du Compte Engagement Citoyen, de nombreuses entreprises et start-ups vont proposer une offre logicielle pour ordinateurs et smartphones visant à « simplifier ce fastidieux travail de collecte »©.

Lawrence Lessig, CC-By Lessig 2016

Le professeur de Droit Lawrence Lessig écrivait, en 2010, que « Le code, c’est la loi » : c’est-à-dire, pour résumer, que la régulation des comportements passait plus par l’architecture technique des plateformes que par les normes juridiques.

Ce régulateur, c’est le code : le logiciel et le matériel qui font du cyberespace ce qu’il est. Ce code, ou cette architecture, définit la manière dont nous vivons le cyberespace. Il détermine s’il est facile ou non de protéger sa vie privée, ou de censurer la parole. Il détermine si l’accès à l’information est global ou sectorisé. Il a un impact sur qui peut voir quoi, ou sur ce qui est surveillé. Lorsqu’on commence à comprendre la nature de ce code, on se rend compte que, d’une myriade de manières, le code du cyberespace régule.

Là encore, on peut comprendre que cela pose un problème politique dans le cadre d’un logiciel gérant le bénévolat valorisé des membres d’une association. Celles et ceux qui vont concevoir le logiciel vont gérer la façon dont les données de l’association seront collectées, stockées, transformées, ou transmises. L’utilisatrice ou l’utilisateur perdant alors la main sur la gestion de ces données, il ou elle se retrouve impuissant face au traitement qui en sera fait.

Il s’agit donc de redonner de la « puissance d’agir » à la société civile, en lui permettant de concevoir et d’obtenir un outil qui corresponde à des besoins (et non à un marché). Un outil qui permette de reprendre le contrôle sur le code (et donc sur les données). Un outil qui pourrait être qualifié de « convivial » au sens d’Ivan Illich, c’est-à-dire un outil qui ne placerait pas ses utilisateur⋅ices en situation de soumission.

Or, à notre sens, seul le logiciel libre est en capacité de libérer cette puissance d’agir. Un logiciel libre qui transmettrait ses données à l’État n’empêchera pas ce dernier de les utiliser, une fois transmises, à mauvais escient. Mais d’une part un logiciel libre nous donne la capacité de savoir quelles sont les informations transmises, à quels moments, et à quels destinataires (et donc de contrôler lesdites informations en amont) ; d’autre part, une association peut très bien utiliser ce logiciel libre sans faire aucune transmission à l’État, laissant le choix aux membres de l’association de reporter individuellement la valorisation de ce bénévolat.

 

La naissance de Bénévalibre

Conscient de ces enjeux, et pas très enclin à laisser la #startupnation occuper ce terrain sensible, un groupe de réflexion de diverses associations s’est réuni à plusieurs reprises pour discuter du bien fondé (ou pas) de créer un logiciel libre de valorisation du bénévolat.

Débutés en 2016, à l’initiative de l’April (notamment son groupe LibreAssociation) et de Framasoft, ces travaux ont abouti le 15 septembre 2019 par la publication de la version 1.0 du logiciel Bénévalibre.

Il aura donc fallu plusieurs années, mais cela se justifie notamment par le fait que la volonté était de mettre autour de la table un grand nombre d’acteurs associatifs (notamment les principales « têtes de réseau »), ainsi que des fondations et des chercheurs, pour garantir une démarche collective et partagée (oui, ça prend du temps de convaincre, associer, faire ensemble). Cela ne fut déjà pas une mince affaire !

Par ailleurs, nos activités associatives respectives ne nous permettaient de travailler sur ce projet qu’en pointillés (Framasoft était alors en pleine campagne « Dégooglisons Internet »).

Enfin, il demeurait une question cruciale : « qui va payer le développement ? ». En effet, réaliser un tel logiciel allait prendre de nombreuses heures de développement, et comme nous n’avions pas la possibilité de le réaliser bénévolement, il fallait bien trouver des financements pour passer d’un cahier des charges à un logiciel utilisable.

Aujourd’hui, Bénévalibre existe. C’est un logiciel libre, les sources sont accessibles, téléchargeables, adaptables. Vous pouvez l’utiliser sur benevalibre.org (instance gérée par CLISS XXI, la société coopérative qui l’a développée), ou — si vous en avez les compétences — l’installer sur votre propre serveur, pour votre association (ou vos associations, puisque Bénévalibre permet de gérer de multiples organisations).

Cliquez sur l’image pour aller voir le site officiel de Bénévalibre

 

Sa réalisation aura été le fruit d’un travail entre de multiples acteurs. Et ce logiciel, si vous le décidez, pourrait s’intégrer à terme avec des logiciels de gestion d’associations plus complets (tel que Garradin ou Galette, par exemple).

Mais son point fort (en dehors d’être libre et décentralisable), c’est que Bénévalibre vous donne le choix !

Comme l’exprime très bien Lionel Prouteau, le chercheur nous ayant accompagné sur ce projet, dans l’introduction de la plaquette de présentation du logiciel :

Bénévalibre n’a pas un caractère prescriptif. Il n’assigne pas un mode de valorisation particulier. Il permet d’enregistrer le temps que les bénévoles consacrent à leurs activités associatives mais laisse à l’entière discrétion des acteurs (associations et bénévoles) le soin de choisir par eux-mêmes les voies les plus pertinentes pour valoriser ce temps. Les utilisateurs peuvent opter pour l’attribution d’une valeur monétaire à ce temps bénévole[…]. Mais les utilisateurs de Bénévalibre gardent l’entière liberté d’exprimer leur méfiance, voire leur hostilité, à l’égard de cette monétarisation de la valorisation du bénévolat au motif qu’elle enferme ce comportement dans une vision trop exclusivement économique et en masque la dimension d’engagement. Ils pourront en conséquence adopter d’autres modes de valorisation.

Outil d’usage simple, s’inscrivant dans une optique de fonctionnement collaboratif et décentralisé, Bénévalibre est un logiciel soucieux de préserver le pouvoir des acteurs associatifs. En d’autres termes, Bénévalibre a pour vocation d’être instrumentalisé par les acteurs et non de les instrumentaliser.

Comme ce logiciel n’aurait pas pu voir le jour sans la persévérance de Laurent Costy, nous avons décidé de l’interviewer.

 

Interview de Laurent Costy, directeur adjoint de la FFMJC et administrateur de l’April

1. Peux-tu te présenter rapidement ?

En fait, je viens du passé. Je vais vous révéler deux secrets que je vous demande de garder pour vous parce que si ça se sait, je perds ma place et ça risque de mettre le brol trop vite dans ce monde qui n’a pas besoin de ça au regard de ce que l’on découvre tous les jours aux informations.

Le premier secret, c’est que je suis un chevalier de la table ronde en mission. Mon nom de chevalerie est Provençal le Gaulois. Oui, je sais, là, vous vous dites que je devrais être mort depuis longtemps mais c’est lié au deuxième secret, le plus sensible.

Attentiooooooon, révélatioooooooon. Le Graal n’était pas du tout la timbale en plastique avec un pied forgé du même métal : c’était en fait une machine à voyager dans le temps avec l’injonction de la civilisation importatrice de la technologie de l’utiliser pour tenter d’infléchir le futur pour sauver la terre (oui, je sais, ça ne vous émeut point car vous regardez tous les jours des films de super héros qui sauvent la planète cinq fois par jour mais moi, à l’époque, je me suis quand même senti investi d’une mission). Au passage, secret-bonus mais vous l’aviez déduit vous-même : Dieu n’existe donc pas. Soyez quand même prudent dans la diffusion de cette information, c’est entre nous.

Bref, après la rapide formation que l’on a reçue, on a compris qu’une des voies de réussite, c’était d’encourager le commun, la collaboration et le faire ensemble (oui, je sais, c’est aussi des trucs que vous entendez tous les jours dans les discours politiques et vous n’y croyez plus vraiment ; mais vous devriez). Pour être franc, si le monde continue sur ces logiques individualistes, il y a peu de chances que nous réussissions notre mission, nous les chevaliers de la table ronde. Et si vous ne le faites pas pour vous, faites-le au moins pour nous.

« Provençal le Gaulois ébaubissant la libraire libriste durant les Geek Faeries »
CC-By-SA Luc Fievet pour l’April

2. Tu as été l’un des principaux moteurs du projet Bénévalibre, pourquoi ?

Deux motivations principales ont été à l’origine du projet. La première était bien sûr de répondre à un besoin d’un grand nombre d’associations ; besoin renforcé par la réglementation qui s’affine sur cette question de la valorisation du bénévolat. Ce besoin s’est révélé au fil du temps au fur et à mesure des rencontres avec les associations que je pouvais croiser dans le cadre de mon « métier de couverture » à la FFMJC et dans le cadre des travaux du groupe de travail Libre Association de l’April. La seconde motivation était de faire sens commun et de mettre autour de la table des acteurs qui n’avaient pas forcément l’habitude de travailler ensemble mais dont les compétences et connaissances complémentaires apportaient quelques garanties pour la réussite du projet. Sur ce point en particulier, cela a permis de resserrer les liens entre les membres du Crajep de Bourgogne-Franche-Comté (Comité Régional des Associations de Jeunesse et d’Éducation Populaire ; comité à l’origine du projet) et de rendre concret la capacité à agir ensemble là où les sujets habituellement traités (contributions sur les politiques régionales jeunesse, plaidoyer, etc.) sont plus complexes à valoriser et quantifier.

Je précise que, dans la formation accélérée que nous, les chevaliers de la table ronde, avons eu avec la machine à remonter le temps, je n’ai pas reçu de compétences en informatique (si ce n’est comprendre l’importance du logiciel libre pour contribuer aux communs). Il a donc fallu à la fois réunir des futurs utilisateurs et utilisatrices de Bénévalibre (les membres du Crajep étaient assez représentatifs) mais aussi des financeurs et des compétences techniques.

3. Bénévalibre est un projet aux multiples partenaires : quels ont été leurs rôles ? Comment s’est passé la coopération ?

Tout d’abord, la structure motrice à l’initiative du projet : le Crajep Bourgogne-Franche-Comté. Pour la déclinaison de l’acronyme, voir précédemment (nous, à l’époque, on abusait des enluminures mais vous, vous semblez nourrir une passion pour les acronymes. À quand les acronymes enluminurés ?). À noter quand même que ce collectif qui réunit mouvements et fédérations d’éducation populaire est lui-même en lien avec des structures telles le Mouvement Associatif régional ou, dans une moindre mesure, la CRESS. C’est donc bien le Crajep qui a permis de consolider un comité de pilotage au sein duquel on pouvait trouver alors le premier financeur : le Conseil Régional de Bourgogne-Franche-Comté, partenaire constant de ce comité pour appuyer à travers lui les fédérations et mouvements d’éducation populaire à l’échelle régionale.

L’autre partenaire financier qui a accordé sa confiance très vite fin 2018 (avec quand même la constitution d’un dossier conséquent en bonnet difforme) mais qui n’a pas souhaité faire partie du comité de pilotage, a été la Fondation du Crédit Coopératif. La fondation a néanmoins complété son appui à la fin du projet par son expertise en communication et par la mise en lien avec de nombreux réseaux potentiellement intéressés.

Par ailleurs, pour garantir la volonté du comité de pilotage de développer un logiciel libre (et par ailleurs gratuit à l’usage), les associations April et Framasoft ont été sollicitées pour être membres ; ce que ces deux associations ont accepté.

Enfin, il fallait évidemment la compétence informatique pour le développement du logiciel en lui-même : pour être cohérent avec l’esprit du projet, le choix d’une SCIC (Syndicat de Chevalerie Inter …ah non, pardon. Société Coopérative d’Intérêt collectif) a été opéré : CLISS XXI. On notera aussi que, pour éviter de raconter n’importe quoi sur le bénévolat, un chercheur spécialiste de cette question était membre lui aussi du comité.

4. Aujourd’hui, où en est Bénévalibre ?

« Non mais finalement on met pas les casques, on a dit. »
CC-By-SA Luc Fievet pour l’April

Après une première présentation avant l’été sans communication particulière et pour laquelle nous avons été surpris du nombre d’associations intéressées, la version 1 est sortie officiellement mi-septembre : c’était vraiment une bonne chose que d’avoir tenu le calendrier car il est parfois reproché à l’éducation populaire d’être laxiste sur la gestion des délais des projets. Ça fait sérieux ! Et le sérieux, entre deux quêtes rigolotes à la table ronde, c’est important.

Donc, pour l’instant, l’idée est de regarder comment les associations s’approprient l’outil et de voir les retours d’usages et de bugs qu’il peut y avoir. Un forum a même été mis en place récemment rien que pour ça : forum.benevalibre.org. N’hésitez pas !

Tous les retours qu’il y aura viendront compléter des fonctionnalités qui ont, pour l’instant, été mises de côté pour la version 1 sur l’argument de la nécessité d’avoir dans un premier temps l’outil le plus simple possible d’accès.

5. Et demain ? Quels sont les développements envisageables ? Et que faudrait-il pour qu’ils se réalisent ?

Très tôt, le comité de pilotage s’est posé la question des suites. Des fonctionnalités pourraient potentiellement, sous réserve de financements à trouver, être ajoutées pour une version 2. Néanmoins, il sera important de rester sur un outil dont la cible est d’abord les (très) petites associations. En effet, le comité de pilotage du projet souhaite éviter de rentrer en concurrence avec des solutions libres qui existent déjà au sein d’outils plus complets pensés pour une gestion plus globale d’associations.

Une autre idée du comité serait de se jeter à corps perdu dans le développement d’un logiciel/service de paye libre pour proposer une alternative aux solutions propriétaires qui sont en position dominante et qui imposent leurs modes de fonctionnements et leurs mises à jours aux associations. Ce projet est néanmoins d’une autre échelle que celle de Bénévalibre. Ce n’est pas un créneau facilement accessible : gare à l’huile bouillante en haut de cette échelle le cas échéant.

6. Quelque chose à ajouter ?

Franchement, entre nous, c’est quand même super cool quand un projet fait en commun, pour l’intérêt général, finit par aboutir. Je vous le recommande. C’est presque un peu comme trouver le Graal.

Comme le voyage dans le temps d’ailleurs : c’est vraiment génial. Désolé, je ne peux malheureusement pas vous en faire profiter. De même, j’ai des infos sur le futur mais je n’ai pas le droit de vous les donner. C’est ballot. Allez, tant pis, parce que c’est vous et que vous avez lu jusque là, je me prendrai un blâme mais sachez qu’en 2020, au moins un chaton proposera une autre instance de Bénévalibre. C’est une bonne chose : ça va dans le bon sens de la décentralisation d’Internet !

Bon courage, je file réparer ma cotte de mailles et surtout, souvenez-vous, comme le dit un collègue : « Hacker vaillant, rien d’impossible ». Ou un truc comme ça, je ne sais plus.

Un résumé court, succinct et néanmoins bref de cet article :

  • Le bénévolat d’une association est un des indicateurs de son dynamisme et de sa portée ;
  • La « loi travail » prévoit un (futur) Compte d’Engagement Citoyen où l’on peut déclarer et « valoriser » ses activités bénévoles, par exemple pour ouvrir des droits à la formation ;
  • Valoriser le bénévolat pose un problème politique :
    • Cela induit une vision comptable, marchande et contrôlée d’un don de soi à la société ;
    • Cela rend techniquement possible la surveillance étatique dans les actions de la société civile ;
    • L’outil utilisé pour compter ses heures est central, il doit émanciper et non soumettre (ni exploiter les données et donc les vies de) les bénévoles ;
    • Seul un logiciel libre conçu comme un commun en conscience de sa portée politique peut garantir que la société civile garde le contrôle de l’outil et donc sa puissance d’agir.
  • Bénévalibre est né de la volonté de ne pas laisser la #StartupNation comptabiliser nos heures de bénévolat (et en exploiter nos données) ;
  • Il est le fruit de 3 ans de travail collaboratif entre associations, fondations, et chercheur·euses ;
  • Ce logiciel laisse, à de multiples niveaux, le choix et le contrôle dans son utilisation ;
  • Laurent Costy, alias Provençal le Gaulois, présente comment la contribution collégiale autour d’un Commun a donné naissance à Bénévalibre (à coups de table ronde).

 

Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.

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Illustration d’entête : CC-By David Revoy




Identifions les acteurs et actrices de l’accompagnement numérique libre

Chez Framasoft, nous souhaitons recenser les différent⋅es acteurs et actrices ayant des pratiques d’accompagnement au numérique libre. Pour cela, nous vous invitons à répondre à un petit questionnaire avant le 20 décembre 2019.

Le numérique attire de plus en plus de monde
En lançant fin 2017 la campagne Contributopia, nous partagions avec vous le constat que trouver le service web libre et éthique qui correspond à ses usages demande de nombreuses connaissances et reste difficile d’accès aux personnes les moins à l’aise avec l’outil numérique. À ce jour, il nous semble toujours pertinent de rappeler que le principal objet de l’association Framasoft est l’éducation populaire aux enjeux du numérique.

Depuis plusieurs années Framasoft reçoit de nombreuses sollicitations pour animer des conférences, des ateliers ou des formations. Ces demandes proviennent d’organisations ou d’individus aux profils variés et portent principalement sur les enjeux du numérique, la place des géants du web dans l’écosystème numérique, le capitalisme de surveillance, les services alternatifs à ceux proposés par les GAFAM, les logiciels libres, la culture libre et les outils collaboratifs.

Essayons de recenser les acteur⋅ices du numérique
Framasoft étant une petite structure (35 membres dont 9 salarié⋅es), il nous est souvent difficile de répondre positivement à ces invitations. C’est parce que nous trouvons frustrant de ne pas avoir les moyens de davantage accompagner celles et ceux qui émettent ces besoins, que nous lançons aujourd’hui ce questionnaire. Celui-ci va nous permettre d’identifier les différent⋅es acteur⋅ices (bénévoles et professionnel⋅les) ayant déjà des pratiques d’accompagnement sur ces thématiques.

Ce questionnaire s’adresse donc à toute personne, structure ou organisation ayant déjà des pratiques d’accompagnement au numérique libre. Que ce soit l’adhérent·e d’un GULL à titre bénévole, un⋅e médiateur⋅ice numérique, un⋅e formateur⋅ice indépendant⋅e ou un⋅e salarié⋅e d’un organisme de formation, toutes ces personnes sont légitimes à répondre à ce questionnaire. Nous vous demandons seulement de ne pas répondre à ce questionnaire pour une structure si vous n’en faites pas vous-même partie. Cependant, si vous connaissez une personne, structure ou organisation de ce type, n’hésitez pas à lui transmettre le lien.

Les informations demandées portent à la fois sur les personnes ou les organisations (types d’interventions, forme juridique…) et sur les modalités de ces interventions (sujets, zones géographiques, public visé…).

Cliquez sur l’image pour accéder au formulaire

Un questionnaire pour un document libre
Les informations récoltées seront diffusées sous la forme d’un jeu de données brutes anonymisées sous licence libre qui pourra être téléchargé depuis le framablog. Cette mise à disposition permettra leur réutilisation par tous, que ce soit pour les analyser ou les diffuser sous une autre forme.

De plus, les résultats de ce questionnaire seront compilés dans un document synthétique qui sera diffusé au format PDF sous licence libre. Ce document s’articulera en deux parties :

  • une synthèse des résultats du questionnaire ;
  • un annuaire recensant toutes les personnes, structures ou organisations y ayant répondu.

Nous savons par avance que cette liste d’acteur⋅ices ne sera pas exhaustive. Mais nous espérons qu’elle pourra être un point de départ pour nous ou pour toute autre personne ou structure souhaitant utiliser ces données. Elle pourra aussi compléter des listes préexistantes d’autres structures, car à notre connaissance aucune tentative d’inventaire n’existe sur le libre en particulier dans les structures d’accompagnement (si vous en connaissez, n’hésitez pas à les partager en commentaire).

En diffusant ce document, nous pourrons ainsi réorienter les demandes que nous recevons vers d’autres acteur⋅ices de la médiation numérique. Nous comptons donc sur vous pour partager massivement ce questionnaire au sein de vos communautés afin que le plus grand nombre d’acteur⋅ices puissent être recensé⋅es. C’est à vous !

 

Accéder au formulaire




Vers une société contributive de pair à pair – 3

Et si le pair-à-pair devenait le modèle et le moteur d’une nouvelle organisation sociale ? – Troisième volet de la réflexion de Michel Bauwens (si vous avez raté le début, c’est par ici).

Si vous souhaitez lire l’ensemble en un seul fichier, cliquez sur le lien ci-dessous (pdf 312 Ko)

bauwens-P2P

 

Source : Blueprint for P2P Society par Michel Bauwens

Traduction Framalang : Fabrice, goofy, jums, Delaforest, mo, avec l’aimable contribution de Maïa Dereva.

4. Vers un État partenaire

Pouvons-nous alors imaginer une nouvelle sorte d’état ? C’est là qu’entre en scène le concept d’État Partenaire ! L’État Partenaire, théorisé par le scientifique et politique italien Cosma Orsi1, est une forme d’état qui permet et renforce la création de valeur sociale par ses citoyens. Il protège l’infrastructure de coopération qui est le pilier de la société.

L’État Partenaire peut exister à n’importe quel niveau territorial comme un ensemble d’institutions qui protège le bien commun et permet aux citoyens de créer de la valeur. Il reproduit sur une échelle territoriale ce que les institutions à but lucratif font à l’échelle d’un projet. Pendant que les associations à but lucratif travaillent pour les commoners en tant que contributeurs et participants à des projets précis, l’État Partenaire travaille pour les citoyens.

Ceci est nécessaire car, tout comme la « main invisible » du marché est un mythe, la main invisible des communs l’est tout autant. Les commoners ont tendance à se sentir concernés par leurs communs, mais non pas par la société dans sa globalité. Cette considération spécifique de la totalité requiert son propre ensemble spécifique d’institutions !

La bonne nouvelle, c’est qu’un tel État Partenaire existe déjà, et nous avons pu le voir en action, au moins sous une forme embryonnaire et locale. Il y a quelques années, j’ai pu visiter la ville française de Brest. Brest n’est pas une belle ville, mais elle se situe dans une région naturelle magnifique. Elle a été bombardée lors de la Seconde guerre mondiale et de nombreux logements sociaux, peu attrayants, ont été construits conduisant à une anomie sociale. Michel Briand, adjoint au maire, ainsi que son équipe d’employés municipaux ont eu une idée brillante : pourquoi ne pas utiliser le virtuel pour améliorer la vie sociale réelle au sein de la ville ?

L’équipe a créé des versions locales de Facebook, YouTube et Flickr, a aidé les associations locales à développer leur présence en ligne, a investi énormément dans la formation et a même construit une vraie bibliothèque où les citoyens pouvaient emprunter du matériel de production. L’un de leur projet a été de redynamiser les vieux « sentiers des douaniers » dans le but d’attirer des foules de randonneurs. Ils ont alors décidé « d’enrichir virtuellement » les chemins de randonnée.

Et c’est ici que l’innovation sociale entre en jeu : le conseil municipal n’a pas effectué cela en se substituant lui-même à l’ensemble des citoyens (à la manière de l’état pourvoyeur), ni en demandant au secteur privé de mener ce projet à bien (privatisation ou partenariat public-privé). Ce qu’il a fait, c’est donner aux équipes locales de citoyens les moyens de créer de la valeur ajoutée.

Cela s’est fait sous différentes formes comme la création de galeries de photos de monuments remarquables, des collections d’histoires orales, et bien d’autres choses. Même « l’enregistrement des chants d’oiseaux » était au programme ! L’État Partenaire c’est cela, à savoir des autorités publiques qui créent le bon environnement et la bonne infrastructure de soutien pour que les citoyens puissent produire, entre pairs, de la valeur dont toute la société bénéficie.

L’État Partenaire stimule une économie locale prospère tout comme des entrepreneurs locaux créent une valeur ajoutée sur le marché et attirent plus de touristes. Michel Briand et son équipe ont travaillé sans relâche « pour le bénéfice des citoyens », améliorant leur capacité à créer de la valeur civique. Évidemment, la connaissance et la culture créées ont constitué des communs dynamiques. Si nous élargissons cela à une échelle nationale voire supra-nationale, nous obtenons un État qui pratique « les biens communs », c’est-à-dire qui promeut les communs et les commoners créateurs de valeur.

Il existe bien sûr d’autres exemples qui méritent d’être mentionnés. La région autrichienne de Linz s’est elle-même déclarée région de biens communs. La ville de Naples a créé la fonction d’« assistant du maire pour les biens communs », et San Francisco a créé un groupe de travail afin de promouvoir l’économie collaborative.

Cependant un danger guette ici, illustré par le programme Big Society au Royaume-Uni qui utilise un langage superficiel similaire d’autonomie et d’action civiques, mais cache une pratique complètement différente, c’est-à-dire qui repose sur une stratégie de continuation de l’affaiblissement de l’État-providence et de ce à quoi il pourvoit. Un État Partenaire ne peut pas se fonder sur la destruction de l’infrastructure publique de coopération.

Cela n’a sûrement pas été l’intention première de Philipp Blond et de sa société orientée vers la société civile dans son livre Red Tory, mais ce fut certainement ce que le gouvernement de David Cameron a mis en pratique avec la Big Society. La production entre pairs d’une valeur commune requiert une richesse civique ainsi que des institutions civiques puissantes ! Autrement dit, le concept d’État partenaire transcende et inclut le meilleur de l’État providence, c’est-à-dire des mécanismes de solidarité sociale, un niveau élevé d’éducation et une vie culturelle dynamique et soutenue par le public.

Ce que les conservateurs britanniques ont fait, c’est d’utiliser la rhétorique de la Big Society pour tenter d’affaiblir davantage les vestiges de la solidarité sociale et de renvoyer les gens à leur propre sort sans aucun soutien. Ce qui ne leur donnait ni pouvoir ni valorisation, mais plutôt l’inverse.

Alors que la production entre pairs apparaîtra aussi et sans aucun doute comme un moteur de résilience en période de crise, une société réellement prospère fondée sur le bien commun nécessite un État partenaire, c’est-à-dire un réseau d’institutions démocratiques d’utilité publique, qui protège le bien commun à l’échelle territoriale.

5. Une crise des valeurs de l’économie capitaliste

La production entre pairs existe en relation avec une coalition entrepreneuriale qui crée de la valeur marchande en plus des communs. Cependant, la croissance exponentielle dans la création de valeur utilisateur par des publics productifs, ou produsers comme Axel Bruns les appelle, n’est pas sans créer des problèmes et des contradictions pour l’économie politique actuelle.

En fait, cela crée un énorme problème pour le système capitaliste, mais aussi pour les travailleurs, au sens traditionnel du terme, parce que les marchés sont définis comme une manière d’allouer des ressources rares. De plus, le capitalisme n’est pas seulement un système d’allocation de la rareté mais en réalité un système de conception de cette rareté. Il ne peut accumuler du capital qu’en reproduisant et augmentant constamment les conditions de rareté. Là où il n’y a pas de tension entre l’offre et la demande, il ne peut y avoir de marché ni accumulation de capital.

Ce que les producteurs entre pairs font, pour le moment principalement dans la sphère immatérielle de production de connaissances, de logiciel et de conception, c’est créer une abondance d’informations facilement reproductibles et un savoir exploitable, qui ne peuvent pas être directement traduits en valeur marchande, car ils ne sont pas du tout rares, mais au contraire, surabondants. Et cette activité est créée par des professionnels de la connaissance, qui sont maintenant produits si massivement, que leur surnombre les transforme aussi en travailleurs précaires.

D’où un exode accru des capacités de production, sous la forme d’une production de valeur à usage direct, en dehors du système de monétisation existant, qui n’opère qu’en marge de celui-ci. Dans le passé, lorsque de tels exodes ont eu lieu – les esclaves lors de la décadence de l’Empire romain, ou les serfs lors du déclin du Moyen Âge – c’est précisément à ce moment que les conditions étaient réunies pour des transitions sociétales et économiques de grande ampleur mais aussi fondamentales.

En effet, sans une dépendance de base du capital, des marchandises et du travail, il est difficile d’imaginer une continuation du système capitaliste.

Le problème de la création de valeur d’usage que la collaboration sur Internet a permise, c’est qu’elle contourne complètement ce fonctionnement normal. Le fonctionnement normal de notre système économique voudrait qu’un accroissement de la productivité soit d’une manière ou d’une autre récompensé, et que ces récompenses permettent aux consommateurs d’en dégager un revenu et d’acheter des produits.

Mais ce n’est plus le cas. Les utilisateurs de Facebook et de Google créent une valeur commerciale pour leurs plateformes, mais uniquement sous une forme indirecte et ils ne sont pas du tout récompensés pour la création de leur propre valeur. Comme ce qu’ils créent n’est pas marchandisé sur le marché des biens rares, il n’y a pas retour sur investissement pour ces créateurs de valeur. Ce qui veut dire que les médias sociaux mettent en lumière une faille importante de notre système.

L’actuelle soi-disant économie de la connaissance est par conséquent une imposture et une chimère, car l’abondance de biens ne fonctionne pas correctement dans l’économie de marché. Pour éliminer la précarité croissante qui attend les travailleurs du monde, y a-t-il une solution à ce casse-tête ? Pouvons-nous restaurer la boucle de rétroaction qui a été rompue ?

Un exemple de recherche d’une autre gouvernance, par l’Assemblée des communs francophones, image extraite de ce diaporama.




Framapétitions est mort, vive Pytition !

Dans le cadre de notre campagne « Dégooglisons Internet », nous nous étions engagés à produire, parmi 30 autres services, une alternative aux plateformes de pétitions telles que Change ou Avaaz. Cet engagement n’a pas été tenu. Pourquoi ?

Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.

Il était une fois les outils libres de pétitions

Les pétitions sont devenues monnaies courantes sur Internet. On peut en trouver sur à peu près tous les sujets, et elles peuvent être initiées par à peu près n’importe qui.

Évidemment, il pourra nous être opposé que ces pétitions n’ont aucun effet, si ce n’est de (se) donner bonne conscience (« J’ai signé, donc j’ai agi, donc je peux passer à autre chose »). Ou, au contraire, qu’il s’agit d’un outil de mobilisation fort utile permettant de se compter, et de récolter des contacts d’allié⋅es afin de pouvoir s’organiser collectivement. Au fond peu importe, nous faisons le constat que ces outils sont là, et qu’ils sont plébiscités par beaucoup d’internautes.

Le souci, c’est qu’il demeure forcément un flou autour de l’utilisation de nos données (très) personnelles par des plateformes dont le code n’est pas accessible, et qu’on ne peut donc utiliser ou installer pour soi en toute confiance. Ces entreprises peuvent nous jurer, la main sur le cœur, qu’elles ne font pas d’utilisation commerciale de nos données, le fait est qu’elles possèdent des données extrêmement sensibles sur nous (noms, adresses, emails, objets de militances, etc.) et que l’histoire nous montre chaque jour à quel point nous devons nous méfier des plateformes (si ce n’est pas le cas, lire notre veille hebdomadaire devrait vous en convaincre rapidement !).

Or, les outils libres de pétitions, qui permettraient de déléguer notre confiance en celles et ceux qui font tourner la plateforme, ne sont pas légion.

On peut citer par exemple l’outil de la Maison Blanche « We The People », dont le code est présent sur Github depuis des années, mais absolument plus maintenu, ce qui pose d’énormes problèmes de sécurité.

Paradoxalement, un des outils les plus solides que nous avions repéré est ce bon vieux SPIP (un logiciel français-oui-monsieur-oui-madame qui a motorisé l’annuaire Framasoft pendant plusieurs années à nos débuts). Cependant, SPIP permettant 1 000 autres choses, son interface de gestion ne nous a pas paru adaptée pour de simples pétitions, et nous avions identifié par ailleurs plusieurs problèmes potentiels dans le cadre d’un usage « multi-organisations ».

Framapétitions dans Contributopia
Framapétitions dans Contributopia (CC-By David Revoy)

Framapétitions : paf, pastèque !

Framapétitions et Framamail resteront les deux engagements non tenus de notre campagne « Dégooglisons Internet ».

Autant pour le Framamail, c’était un choix de notre part (trop coûteux à mettre en place et maintenir, et trop de risque de créer une dépendance à Framasoft), autant pour Framapétitions, il ne manquait pas grand-chose pour y parvenir.

En effet, Framapétitions devait être un « sous produit » de Framaforms, développé par Pierre-Yves Gosset (« pyg » pour les intimes), le directeur et délégué général de Framasoft. Comme ce dernier l’indiquait en 2016

[…] en fait Framaforms servira aussi de « bêta test grandeur nature » à un autre projet « Dégooglisons » de Framasoft, à savoir Framapétitions. Si mes choix tiennent la route, alors je pense que je pourrai me relancer un nouveau défi : réaliser Framapétitions en moins de 4 jours ETP (Équivalent Temps Plein) et 0 ligne de code 🙂

Et alors… ? Et bien « paf-pastèque », comme on dit chez nous ! Il faut croire qu’être directeur de Framasoft ne lui aura pas permis, en trois ans, de trouver une semaine pour s’abstraire du monde et aller coder dans une grotte.

En conséquence, Framapétitions fut sans cesse repoussé au profit d’autres urgences professionnelles ou personnelles.

Une rencontre opportune (et opportuniste)

Début 2018, alors que notre pyg national se demandait encore quand il allait pouvoir trouver le temps de se remettre à Framapétitions, nous avons eu la chance de croiser le chemin d’une autre association : « Résistance à l’Agression Publicitaire » (R.A.P.). Bien qu’ayant un objet de militance a priori éloigné du logiciel libre (la lutte contre le système publicitaire et ses effets négatifs), nous avons vite accroché avec cette association dont les valeurs et les modalités d’actions nous semblent proches des nôtres.

Lors d’une discussion informelle autour de l’intérêt de mettre en place une instance PeerTube au sein de R.A.P. (ce que l’association a fait depuis, bravo à elle !), pyg a évoqué sa frustration concernant Framapétitions. La réaction fut aussi surprenante qu’intéressante : « Ha mais nous on a développé notre propre outil de pétitions, et on l’a mis sous licence libre. »

 

Site web de Résistance à l'Agression Publicitaire
Site web de Résistance à l’Agression Publicitaire

 

Les discussions commencèrent alors avec Yann, le développeur de cet outil, nommé Pytition (car le logiciel est développé en langage Python).

Nous avons alors convenu d’un partenariat informel entre nos deux structures : Yann continuerait le développement de Pytition (notamment en y ajoutant une couche permettant de gérer de multiples organisations) et Framasoft participerait à la communication et à l’agrandissement de la communauté de cet outil.

L’intérêt pour R.A.P., c’est que leur projet ne reste pas dans un tiroir et puisse servir à d’autres structures amies, tout en ayant une certaine pérennité.

L’intérêt pour Framasoft, c’est qu’on ne charge pas sur nos épaules le développement et le maintien d’une application de plus (on rame déjà suffisamment avec celles qu’on propose, merci 🙂 ).

L’intérêt commun, c’est de démontrer qu’il est possible, pour une structure qui n’est pas spécialisée dans le numérique, de malgré tout produire et se réapproprier ses propres outils !

Si R.A.P. peut produire son outil de pétitions, pourquoi Greenpeace, par exemple, ne pourrait-elle pas produire un outil libre de crowdfunding ? Ou la Ligue des Droits de l’Homme développer un outil libre de gestion de revue de presse ?

Pytition avance, et a besoin de vous

Bonne nouvelle : Yann a bien avancé depuis notre première rencontre. Le logiciel fonctionne bien, puisqu’il est utilisé actuellement en production en version 1.x par R.A.P. Pytition est même très, très proche d’une version 2.0 (il ne manque plus que votre aide : voyez comment en bas de cet article !).

Capture écran Pytition v1
Capture écran Pytition v1 depuis le site de R.A.P.

 

Mais Yann a cependant besoin d’aide pour parachever cette version 2.0. Afin qu’elle puisse être proposée au public et surtout aux associations qui voudraient l’installer et gérer leurs propres pétitions.

Le mieux est sans doute de lui donner la parole !

Interview de Yann Sionneau, développeur de Pytition

Bonjour Yann, peux-tu te présenter ?

Bonjour, exercice difficile !

J’ai 31 ans, j’habite Grenoble depuis bientôt 1 an, avant j’étais sur Paris. Je contribue bénévolement au monde associatif depuis quelques années. Bénévole de l’association Résistance à l’Agression Publicitaire depuis 2016 (loi travail), je suis membre du conseil d’administration de l’association depuis 1 an et je viens de m’y faire ré-élire le week-end dernier lors de l’assemblée générale a Lyon pendant les « rencontres intergalactiques ».

Trompettiste sur mes heures perdues (qui sont plus rares que je ne voudrais =)), je profite aussi des montagnes grenobloises pour faire de l’escalade.
Professionnellement je suis développeur de logiciel embarqué dans une boite qui fait du semi conducteur, je bosse principalement sur le kernel Linux, la libc, et je commence à mettre les mains dans la toolchain (gcc, binutils).

Tout ça, comme tu peux le voir est bien loin du développement web, matière ou je suis plutôt novice et en cours d’auto-formation 🙂

Pourquoi t’es tu lancé dans le développement de Pytition ?

Il faut savoir qu’à R.A.P. (Résistance à l’Agression Publicitaire), on essaie d’être le plus « propre » qu’on peut dans notre démarche militante et les moyens qu’on met en place pour atteindre nos buts.

Par exemple on a une vraie réflexion sur l’usage des réseaux sociaux, sur les aspects vie privée, et publicité, mais aussi sur la culture de l’instantané et l’économie de l’attention.

A partir de là, il faut quand même être pragmatique et quand on veut toucher les gens avec nos articles, nos communiqués et nos pétitions, il est clairement plus efficace d’utiliser les réseaux sociaux hégémoniques.

Un compromis a dû être mis en place chez R.A.P., on a donc écrit une charte d’utilisation des réseaux sociaux qu’on essaie de respecter le plus possible.

En l’occurrence, on s’autorise à poster sur les réseaux sociaux propriétaires/publicitaires, avec des liens vers nos sites et vers les autres réseaux alternatifs. Mais on s’interdit de ramener des gens vers les réseaux propriétaires en faisant des liens de notre site vers eux. Donc pas de lien d’antipub.org vers f*cebook, mais on va faire des billets f*cebook avec des liens vers nos articles R.A.P..

Un jour, Khaled (ancien président de R.A.P., aujourd’hui salarié) me demande si je peux regarder si je trouve un moyen pour que RAP puisse auto-héberger ses pétitions en ligne vu que nous nous interdisions d’utiliser des plateformes telles que « change dot org ».

Le module WordPress utilisé à l’époque étant peu satisfaisant en termes de fonctions et d’interface.

On a regardé, et on n’a rien trouvé qui répondait à nos besoins.

J’étais chaud pour me lancer dans l’écriture d’une solution ad-hoc pour R.A.P., mais dans le doute quand même avant de commencer j’ai contacté Framasoft pour savoir s’il n’y avait pas un Framapétitions prêt à sortir. Dans ce cas j’aurais attendu un peu, mais on m’a plutôt encouragé à développer une solution pour R.A.P., quitte à ensuite la rendre plus générique pour étendre son usage au delà de la galaxie RAP.
On avait besoin d’un système de pétitions « pour dans 2 mois ».

J’ai donc écrit, à la va-vite, depuis 0, un système très basique, uniquement destiné à l’usage de R.A.P., dans un langage que je connaissais bien : Python (avec le framework web Django).

Au final ça a été rapidement mis en production, et cette v1.0 héberge déjà 9 pétitions, consultables ici : https://petition.antipub.org/

Pytition, tu en es où, tu veux aller où ?

Par rapport à la v1.0, on a fait beaucoup de chemin.

  • L’interface a été entièrement revue ;
  • Il y a maintenant un « tableau de bord » qui permet d’avoir une interface d’administration de ses pétitions ;
  • La v1.0 ne proposait aucun « backend » et on était obligé d’utiliser l’interface d’administration fournie par Django, qui est assez limitée ;
  • Une création plus rapide des pétitions grâce à un « Wizard » ;
  • Le support multi-organisations, qui permet à la même instance d’héberger non seulement plusieurs utilisateurs mais aussi plusieurs organisations ;
  • La gestion des perma-links (ou slugs) : chaque pétition peut avoir plusieurs « liens » permalinks avec le texte souhaité. Plus joli qu’un lien se terminant par [...]/petitions/12 ;
  • Gestion des traductions via i18n, tout le site peut être traduit (mais pas le contenu des pétitions) ;
  • Le support de re-transmission des mails refusés par le SMTP via un framework de « mail queue ». (Notre hébergeur associatif ouvaton.org refuse des mails si on en envoie trop dans un petit laps de temps) ;
  • L’interface est plus responsive (s’adapte aux smartphones), mais ça n’est pas encore parfait.

Les plans pour le futur ?

  • Bosser sur l’accessibilité du site (navigation par lecteur d’écran).
  • Possibilité d’ajouter un captcha pour la signature et la création de compte (pas celui de g**gle, un auto-hébergé).
  • Possibilité de créer une pétition « sans compte » (avec juste une adresse e-mail).
  • Ajouter des « thèmes » (templates Django) de pétitions différents, sélectionnable par pétition.
  • Donner la possibilité de choisir la liste des champs à renseigner pour signer, par pétition.
  • Ajouter des boutons optionnels de partage de réseaux sociaux (Mastodon, Diaspora).
  • Permettre la traduction des contenus (les pétitions) en plusieurs langues.
  • Réfléchir à la possibilité de réduire voir de supprimer l’usage du JavaScript (pour permettre la navigation via Tor configuré de façon très stricte).

Capture écran Pytition v2 bêta
Capture écran du tableau de bord Pytition v2 bêta

 

On peut tester Pytition ?

Oui !

Une version de démonstration de la v2.0, en bêta, est disponible ici : https://pytitiondemo.sionneau.net/

C’est uniquement disponible pour jouer avec, car la base de donnée sera effacée régulièrement au gré des mises à jour. Ne pas s’en servir pour une vraie pétition 😉

Comment peut-on t’aider ?

Vous pouvez m’aider de plein de manières différentes :

  • Essayez Pytition (https://pytitiondemo.sionneau.net) et faites-moi des retours (par mail ou via https://github.com/pytition/pytition/issues ) ;
  • Installez Pytition et dites-moi comment ça se passe ;
  • Contribuer à une documentation d’installation ;
  • Contribuer à une documentation d’utilisation ;
  • Traduire le logiciel dans une langue qui vous est familière ;
  • Rapportez des bogues, proposer des améliorations ;
  • Améliorez l’interface graphique ;
  • M’aider à rendre l’interface « accessible » ;
  • Contribuez avec du code pour corriger les bugs et rajouter des fonctionnalités.

J’ai aussi besoin d’aide pour financer le développement du projet, vous pouvez faire des dons ici :

 

Quelque chose à ajouter ?

Je suis ravi qu’on puisse tisser des liens entre le monde de l’anti-pub et celui du logiciel libre. Deux mondes a priori distincts mais qui en réalité s’entrecroisent de bien des manières.

Dans un deuxième temps, je profite de cet espace de parole qui m’est laissé pour passer un petit coup de gueule.

Je voudrais pointer du doigt ce qui m’apparaît comme une montée en puissance de la répression vis à vis des mouvements sociaux en général et du monde associatif en particulier. On voit de plus en plus d’associations comme Attac, ANV/Alternatiba ou RAP dernièrement (mais aussi entre autre des groupes informels féministes qui dénoncent les féminicides, le collectif Vérité pour Adama, …) qui subissent de sérieuses tentatives d’intimidation suite à leurs actions. Ce genre d’actions, il n’y a pas si longtemps, ne déclenchait pas tous ces mécanismes : interpellations, contrôles d’identité, gardes à vue, souvent suivis de procédures judiciaires. Il devient très compliqué de faire avancer les sujets de société sans se trouver rapidement confronté à la police et à la justice. Je trouve ça très dommageable pour notre démocratie. Celle-ci ne s’arrête en théorie pas au simple fait de voter pour l’exécutif et le législatif mais inclut aussi la participation directe des citoyen⋅ne⋅s : dans les échanges, le plaidoyer, la mobilisation, la sensibilisation, la co-construction d’alternatives et bien d’autres modes d’actions.

Je déplore la radicalisation de l’exécutif, qui s’isole de plus en plus de l’effervescence politique du reste de la population. J’aimerais que l’exécutif s’inspire beaucoup plus de ce qu’il se passe dans la société civile plutôt que de rester dans la confrontation. Pour finir sur une note plus positive, je pense que malgré les difficultés posées par le contexte répressif, il faut continuer d’œuvrer pour construire la société dans laquelle nous souhaitons vivre.

[Note de Framasoft : pour celles et ceux que le sujet intéresse, nous reparlerons spécifiquement de ce rétrécissement de l’espace démocratique et des formes de répressions envers les associations dans quelques semaines sur le Framablog.]

Framasoft : Merci Yann d’avoir répondu à nos questions, et d’avoir développé Pytitions ! Nous encourageons les lectrices et lecteurs du Framablog à soutenir Yann, que ça soit sous forme financière pour qu’il puisse se dégager du temps, en l’aidant sur le logiciel (documentation, développement, etc.), ou tout simplement en le remerciant et en l’encourageant à poursuivre ce travail.

Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.

Soutenir Framasoft

Illustration d’entête : CC-By David Revoy




Vers une société contributive de pair à pair -2

Et si le pair-à-pair devenait le modèle et le moteur d’une nouvelle organisation sociale ? – Deuxième volet de la réflexion de Michel Bauwens (si vous avez raté le début, c’est par ici).

Source : Blueprint for P2P Society par Michel Bauwens

Traduction Framalang : Fabrice, goofy, jums, CLC, avec l’aimable contribution de Maïa Dereva.

2. Les relations entre la communauté et la coalition d’entrepreneurs

Quelles sont les relations entre cette coalition d’entrepreneurs et les communs dont ces entrepreneurs retirent leur valeur ? La coalition subvient aux besoins vitaux des « commoners » et soutient parfois financièrement l’institution à but lucratif. IBM, par exemple, verse un salaire aux développeurs/commoners qui contribuent à l’environnement Linux ainsi que des aides à l’association à but non lucratif (la Fondation Linux). Ainsi, les coalitions entrepreneuriales co-produisent et financent les biens communs sur lesquels leur succès est bâti.

Il est vrai qu’en agissant de la sorte, ils font par ailleurs de Linux un « commun d’entreprises », comme l’a expliqué Doc Searls :

Le rédacteur en chef du Linux Journal explique que « Linux est devenue une entreprise économique commune (une joint venture) composée d’un certain nombre de sociétés, tout comme Visa est une entreprise commune à un certain nombre de sociétés financières. Comme le montre le rapport de la Fondation Linux, ces sociétés participent au projet pour des raisons commerciales diverses et variées ».

Dans un rapport de la Fondation Linux sur le noyau de Linux, il est dit clairement :

Plus de 70 % des développements du noyau sont visiblement réalisés par des développeurs qui sont rémunérés pour ce travail. Plus de 14 % vient de contributions de développeurs qui sont connus pour ne pas être rémunérés et être indépendants, et 13 % sont produits par des gens qui peuvent ou non être rémunérés, donc la contribution faite par des travailleurs rémunérés peut atteindre jusqu’à 85 %. Par conséquent, le noyau Linux est largement produit par des professionnels, et non par des bénévoles.

Mais ce n’est pas là toute l’histoire. Thimothy Lee explique que la transformation de Linux en entreprise n’a pas changé son modèle d’organisation sous-jacente:

… l’important est la manière dont les projets open source sont organisés en interne. Dans un projet logiciel traditionnel, il y a un responsable projet qui décide des fonctionnalités dont bénéficiera le produit, et affecte du personnel pour travailler sur ces différentes fonctionnalités. En revanche, personne ne dirige le développement général du noyau Linux. Oui, Linus Torvalds et ses lieutenants décident quels correctifs iront finalement dans le noyau, mais les employés de Red Hat, IBM et Novell qui travaillent sur le noyau Linux ne reçoivent pas d’ordre de leur part. Ils travaillent sur ce qu’ils (et leurs clients respectifs) pensent être le plus important, et la seule autorité que possède Torvalds est celle de décider si le correctif qu’ils soumettent est suffisamment bon pour être intégré au noyau.

Clay Shirky, auteur de « Here Comes Everybody: The Power of Organizing Without Organisations [NdT : Voici venir tout le monde: le pouvoir de s’organiser sans les organisations] souligne que les entreprises qui travaillent avec Linux, comme IBM, « ont abandonné le droit de gérer les projets pour lesquels ils payent, et que leurs concurrents ont accès immédiatement à tout ce qu’ils font. Ce n’est pas un produit IBM. »

C’est donc là où je veux en venir : même avec des sociétés d’actionnaires alliées à la production entre pairs, la création de valeur de la communauté reste toujours au cœur du processus, et la coalition entrepreneuriale, jusqu’à un certain point, suit déjà cette nouvelle logique, dans laquelle la communauté prime, et où le business est secondaire. Dans ce modèle, la logique d’entreprise doit s’accommoder de la logique sociale. En d’autres termes, c’est avant tout une « économie éthique ».

D’après une diapositive exposée par M. Dereva à l’occasion de la manifestation Le cloud de Numerique en Commun[s] – sept. 2018 (CC BY-NC-SA 4.0)
3. La logique démocratique des institutions à but lucratif

La production entre pairs repose aussi sur une infrastructure de coopération parfois coûteuse. Wikipédia n’existerait pas sans le financement de ses serveurs, pas non plus de logiciel libre ou de matériel ouvert sans mécanisme de support similaire. C’est pour cela que les communautés open source ont créé une nouvelle institution sociale : les associations à but lucratif.

Encore une fois, c’est une innovation sociale importante car, contrairement aux institutions à but non-lucratif ou non-gouvernementales, elles ne fonctionnent pas du point de vue de la rareté. Les ONG classiques fonctionnent encore comme d’autres institutions industrielles à l’instar de l’entreprise ou de l’état-marché, car elles estiment que les ressources doivent être mobilisées et gérées.

À l’inverse, celles qui ont un but lucratif ont uniquement un rôle actif qui permet et favorise la coopération au sein de la communauté, qui fournit les infrastructures, sans pour en diriger les processus de production. Ces associations existent dans le seul but de bénéficier à la communauté dont elles sont l’expression, et c’est la bonne nouvelle, elles sont souvent gérées de manière démocratique. Et elles doivent l’être, car une institution non démocratique découragerait les contributions de sa communauté de participants.

Maintenant, le hic est de savoir comment appeler une institution responsable du bien commun de tous les participants, en l’occurrence, pas les habitants d’un territoire, mais les personnes impliqués dans un projet similaire ? Je rétorquerais que ce type d’institution à but lucratif possède une fonction très similaire aux fonctions normalement dévolues à l’État.

Bien que la forme étatique soit toujours aussi une institution de classe qui défend un arrangement particulier de privilèges sociaux, elle ne peut jamais être un simple instrument de règle de privilégié à elle seule, mais doit aussi gérer le commun. Si l’on considère cette dernière option, la plupart des gens la verrait comme acceptable, voire bonne. En revanche, si l’on considère que l’État échoue dans cette gestion, alors il perd sa légitimité et il est vu de plus en plus comme une source d’oppression par une minorité.

En général, un État reflète l’équilibre des forces à l’œuvre dans une société donnée. L’État providence était une forme acceptable puisqu’il reposait sur un compromis et sur la force d’un puissant mouvement de travailleurs ouvriers, alors que « la peur de Dieu » était instillée dans les milieux privilégiés par la possibilité d’un modèle alternatif d’État qui aurait pu faire disparaître la loyauté de leurs citoyens.

Cette alternative s’est effondrée en 1989, et avec elle les mouvements sociaux occidentaux. Elle a d’autant plus été affaiblie par les choix sociaux, politiques et économiques de désindustrialiser le Nord depuis les années 1980. Depuis, l’État providence a peu à peu laissé sa place à l’État providence contemporain des multinationales (parfois appelé « l’État marché »), qui aide uniquement les privilégiés, détruit les mécanismes de solidarité sociaux, et appauvrit la majorité de la population, et a fortiori affaiblit fatalement la classe moyenne.

Malheureusement, un tel système ne peut avoir aucune une légitimité à long terme, et rompt tout contrat social qui peut garantir la paix sociale. Il est compliqué d’établir une loyauté sur la perspective d’une souffrance toujours plus grande !

Cela signifie que nous assistons non seulement à la mort réelle de l’État providence social, mais aussi à la mort et à l’impossibilité logique de l’État-marché. Nous pourrions ajouter que même l’État providence est devenu problématique. La raison principale en est que sa base sociale, la classe ouvrière occidentale et ses mouvements sociaux, sont devenues des minorités démographiques en Occident, et que ses mécanismes, même lorsqu’ils fonctionnaient, ne contribueraient pas beaucoup à aider la majorité sociale actuelle, c’est-à-dire les travailleurs de la connaissance et des services, souvent indépendants et précaires.

De plus, le fonctionnement paternaliste et bureaucratique de beaucoup d’États providence devient inacceptable face à la demande émergente d’autonomie sociale et personnelle qui est l’un des principaux désirs sociaux de la nouvelle classe des travailleurs de la connaissance. La plupart des autres fonctions sociales de l’État providence ont été affaiblies par les réformes néolibérales du « New Labour » qui tendent à introduire la logique du secteur privé dans le monde du secteur public.




Vers une société contributive de pair à pair – 1

Et si le pair-à-pair n’était pas seulement un moyen pratique d’échanger des fichiers mais aussi le modèle et le moteur d’une nouvelle organisation sociale ? Michel Bauwens a un plan…

Ah le P2P, que de souvenirs pour les moins jeunes… Napster, Gnutella, eDonkey et d’autres qui faisaient la nique aux droits d’auteur et nous permettaient de récupérer comme de transmettre toutes sortes de ressources numériques par nos ordinateurs individuels, avec la technique simple et efficace du Pair à pair : puisque nos ordinateurs ont la possibilité d’entrer en contact les uns avec les autres, pourquoi donc passer par un point central et demander une permission ?

Les logiciels et réseaux de P2P ont disparu après des poursuites judiciaires, mais le protocole BitTorrent est toujours disponible et encore utilisé par exemple pour la distribution massive de logiciels libres ou open source. Faut-il rappeler aussi que PeerTube, maintenant en version 1.4.1, utilise le protocole WebTorrent qui repose sur le principe du pair-à-pair ?

Cette technologie déjà ancienne semble toujours promise à un bel avenir, dans le mouvement général de re-décentralisation (le navigateur Beaker, le protocole //:dat, et encore tout cela

… mais élargissons un peu le champ et voyons comment Michel Bauwens a envisagé une pratique sociétale du pair-à-pair, lui qui déclarait dès 2012 :

« Le P2P est le socialisme du XXIᵉ siècle ! » et « La révolution induite par le P2P aura des effets similaires à ceux provoqués par l’apparition de l’imprimerie au XVe siècle » (source)

Michel Bauwens n’est pourtant ni un redoutable révolutionnaire ni un prophète gourou à la barbe fleurie. C’est un tranquille soixantenaire qui avec sa Fondation P2P s’active sérieusement pour proposer de changer de monde.

Comme vous allez peut-être le découvrir à travers notre traduction de cette page wiki de la fondation P2P, c’est toute une conception raisonnée de la société qu’il expose en prenant appui (quelle surprise) sur les Communs et les logiques collaboratives déjà à l’œuvre dans le Libre. Voici aujourd’hui une première partie, les autres suivront. Vous trouverez au bas de cet article des liens vers des ressources complémentaires, ainsi que la possibilité de commentaires qui sont comme toujours, ouverts et modérés.

Traduction Framalang : CLC, goofy, mo, Delaforest, avec l’aimable contribution de Maïa Dereva

 

Photo de Michel Bauwens, la soixantaine, souriant derrière ses lunettes
Photo par gullig / Jane Mejdahl [CC BY-SA 2.0]
Un nouveau mode de production est en train d’apparaître, c’est-à-dire une nouvelle façon de produire tout ce que l’on veut, que ce soit du logiciel, de la nourriture ou des villes. Nous découvrons maintenant (la plupart du temps c’est en fait une redécouverte) comment réaliser, grâce à la libre association de pairs, tout ce qui nécessitait autrefois des organisations rigides et une société structurée par une conception pyramidale.

Il est désormais de plus en plus clair que l’entrée dans une ère qui se définit par une philosophie associant liberté d’association de pairs et horizontalité n’implique pas que la structure institutionnelle en tant que telle doive disparaître : celle-ci va simplement subir des transformations profondes. Dans le modèle émergeant de la production entre pairs, très présent dans l’industrie du logiciel libre, nous pouvons observer des interactions entre trois types de partenaires :

  • une communauté de contributeurs qui créent des communs de la connaissance sous forme de logiciels ou de design ;
  • une coalition d’entrepreneurs qui créent une valeur marchande en prenant appui sur ces biens communs ;
  • un ensemble d’institutions à but non lucratif qui gèrent « l’infrastructure de la coopération ».

Il existe une nette division du travail institutionnel entre ces trois acteurs.

Les contributeurs créent une valeur d’usage qui réside dans l’innovation partagée de communs de la connaissance, de design ou de code.

L’association à but non lucratif gère et défend l’infrastructure générale de la coopération qui rend le projet soutenable « collectivement ». Par exemple, la Fondation Wikimedia collecte les fonds qui servent à financer l’espace nécessaire de serveurs sans lequel le projet Wikipédia ne pourrait exister.

La coalition d’entrepreneurs rend viable l’activité des contributeurs individuels en leur fournissant un revenu et, bien souvent, elle apporte aussi les moyens financiers qui permettent d’assurer la pérennité des associations à but non lucratif.

Par ailleurs, pouvons-nous acquérir des connaissances sur l’organisation de ce nouveau mode de création de valeur, apprendre quelque chose d’utile, non seulement à ces communautés, mais aussi à la société dans son ensemble ? Ces nouvelles pratiques sociales pourraient-elles faire apparaître une nouvelle forme de pouvoir et un nouveau modèle de démocratie pouvant servir de réponse à la crise de la démocratie que nous connaissons actuellement ? Je répondrais résolument par un OUI à cette question et, plus encore, je dirais que nous assistons à la naissance d’une nouvelle forme d’État, un État « P2P » si l’on veut.

Examinons les mécanismes du pouvoir et les stratégies de la production entre pairs.

1. La logique post-démocratique de la communauté

Précisons avant tout, et c’est plutôt surprenant, que ces communautés ne sont pas des démocraties. Pourquoi donc ? Tout simplement parce que la démocratie, le marché et la hiérarchie sont des modes de répartition de ressources limitées.

Dans les systèmes hiérarchiques, ce sont nos supérieurs qui décident ; sur les marchés, ce sont les prix ; dans les démocraties, c’est « nous » qui sommes les décideurs. Mais lorsque les ressources sont illimitées, comme c’est le cas pour ce qui est de la connaissance, du code ou du design, ce n’est plus véritablement utile, puisque connaissance, code ou design peuvent être copiés et partagés à un coût marginal.

Ces communautés sont de véritables « poly-archies » où le pouvoir est de type méritocratique, distribué et ad hoc. Chacun peut contribuer librement, sans avoir à demander l’autorisation de le faire, mais cette liberté de contribution a priori est contrebalancée par des mécanismes de validation communautaires a posteriori : la validation émane de ceux dont l’expertise est reconnue et qui sont acceptés par la communauté, ceux que l’on appelle les « mainteneurs » ou encore les « éditeurs ». Ce sont eux qui décident quelle part d’un logiciel ou d’un design est acceptable. Ces décisions s’appuient sur l’expertise de certains, non sur un consensus communautaire.

L’opposition entre participation inclusive et sélection pour atteindre l’excellence existe dans tout système social, mais ce problème est réglé plutôt élégamment dans le modèle de la production entre pairs. Ce qui est remarquable ce n’est pas que celui-ci permet d’éviter tout conflit, c’est plutôt qu’il rend « inutile » le conflit puisque l’objectif de la coopération est compatible avec une liberté maximale de l’individu. En fait, le modèle de production entre pairs correspond toujours à une coopération « orientée objet », et c’est cet objet spécifique qui déterminera le choix des mécanismes de « gouvernance par les pairs ».

Le principal mécanisme d’attribution dans un projet qui remplace marché, hiérarchie et démocratie repose sur une répartition des tâches. Contrairement au modèle industriel, il n’y a plus de division du travail entre les différents postes de travail, la coordination mutuelle fonctionnant via des signaux stigmergiques.

L’environnement de travail étant construit pour être totalement ouvert et transparent (on appelle cela « l’holoptisme »), chacun⋅e des participant⋅e⋅s peut voir ce qu’il est nécessaire de faire et décider alors s’il/elle apportera sa contribution spécifique au projet.

Ce qui est remarquable dans ce nouveau modèle, c’est qu’il combine une coordination mondiale et une dynamique de petits groupes caractéristiques du tribalisme primitif, et ce sans qu’aucune structure ne donne d’ordres ni n’exerce son contrôle ! En fait, on peut dire que la production entre pairs permet une dynamique de petits groupes à l’échelle mondiale.

Bien sûr, il peut y avoir des conflits entre les contributeurs puisqu’ils travaillent ensemble, et il y en a ; cependant ces conflits ne sont pas réglés de manière autoritaire mais au moyen d’une « coordination négociée ». Les différends sont « évacués » dans les forums, les listes de discussion ou les chats que ces communautés utilisent pour coordonner leur travail.

La décision hiérarchique qui demeure, celle d’accepter ou non la modification apportée à un programme, nécessaire si l’on veut préserver la qualité et l’excellence de ce qui a été produit, est contrebalancée par la liberté de « prendre une autre voie » (fork). Cela signifie que ceux ou celles qui sont en désaccord ont toujours la possibilité de partir avec le code source et de créer une autre version où leurs choix prévaudront. Ce n’est pas une décision facile à prendre mais cela permet la création d’un contre-pouvoir. Les mainteneurs savent que toute décision injuste et unilatérale peut conduire à une chute du nombre de participant⋅e⋅s au projet et/ou les amener à créer un fork.

 

[À suivre…]

Pour aller plus loin…

Titre : une société P2P ? Les opposants déjà mobilisés. Deux cathos tradis disent en brandissant un crucifix : une société de ux pères à paires, c’est contre-nature. facepalm de jeune femme à droite.
Illustration réalisée avec https://framalab.org/gknd-creator/




Mobilizon : lifting the veil on the beta release

Mobilizon is an alternative to Facebook groups and events. After a successful crowdfunding, it is time we gave you a taste of this software and updated you on its progress.

This article is a part of « Contributopia’s travel journals ». From October to December of 2019, we will assess our many (donations-founded) actions, which are tax-deductible for French taxpayers. Donate here if you can.

La version originale (en Français) de cet article est à lire ici.

An eagerly awaited alternative to Facebook events

During the Spring of 2019, we launched our Mobilizon crowfunding, to fund a free/libre software allowing communities to liberate themselves from Facebook events, groups and pages.

This crowdfunding’s aim was to produce Mobilizon and to know how far you all wanted us to go with this project. Over one thousand people funded this project, and we are very pleased to see how enthusiastic you all were: evidently, many of us are tired of Facebook’s walled garden around our events!

Thank you all for the sucess of this crowdfunding!

Today, we are keeping a promise we made during the campaign: sharing Mobilizon’s progress with you. We decided to showcase it to you as soon as possible, even though most features are not developed yet. This is precisely what a beta is: some things are still rough around the edges, the paint is fresh, not everything is in place (yet)… but you can still get a clear picture of what we have achieved and how much work still remains to be done.

A beta release to lay the foundations

Mobilizon‘s aim is to create a free/libre software allowing communities to create their own spaces to publish event.

Here is everything you can do with Mobilizon:

  • Sign up with your email and a password, then log in;
  • Receive email notifications;
  • Create and manage several identities from the same account;
    • to compartimentalize your events;
    • Every identity consists of an ID, a public name (name, nickname, username, etc.) an avatar and a bio
  • Create, edit or delete events;
    • From the identity you used to create said event;
    • You can create, keep, edit (and delete) draft events;
    • You can manually aprove (or refuse) attendance requests.
    • You can easily share by mail or on your social medias;
    • You can add events to your calendar.
  • Register for an event by choosing one of your identities;
  • Report problematic content to the instance[2] moderation;
  • Manage reports of problematic content

dessin de Mobilizon par David Revoy
Mobilizon, illustrated by David Revoy – License : CC-By 4.0

We are very enthusiastic about the ability to use different identities. Under the same account, you can compartimentalize several aspects of your social life: one identity for sports, one for family gatherings, another one for activism, etc.

This is the sort of tool Facebook & Co will never offer, as they have a vested interest in gathering every aspects of our social lives under a single, and therefore advertiser-friendly, profile… Thus, it always brings us great joy to realize that when we distance oursleves from these platforms model, we can imagine user-friendly, emancipatory tools.

Better yet, you can have a look by yourself…

test.mobilizon.org: discover the software and its features

Wait up before you organize a Last Party Before Armageddon on test.mobilizon.org: it is only a demo site! Feel free to use it however you want, to click at will: there will be no consequences as every account, event etc. will be automatically deleted every 48 hours.

Click on the screenshot to go and visit the demo of Mobilizon !

One of our promises while we were mapping out Mobilizon’s development was to create a tool by and for people, so we worked with UI/UX designers… we hope you like the result!

We have made room on our forum for your feedback. However, we will probably not be able to answer to requests pertaning to new features, as we already have much to do!

The way is already mapped out: we are Mobilized!

In the next few months, we will publish regular updates of this beta release, and show you its progress. This way, we will have time to observe and hear your feedback, up until the first fully functional release of Mobilizon, which is planned for the first semester of 2020.

Depending on your level of expertise, you may look under the hood and read Mobilizon’s source code. Nevertheless, we do not recommend installing Mobilizon on your server before we take care of its federated[1] features.

As Mobilizon is not (yet) federated[1], it is not (yet) possible, for example, to register to a Framaparty posted on Framasoft’s Mobilizon instance[2] from an account created on a UnitedUni instance, hosted by your college. Both the federeated aspect and the ability to register to an event anonymously are being developed right now. We will introduce you to them when we keep you updated on the software again, around December.

With the federation features coming next december, compass roses will multiply!
Illustration: David Revoy – License : CC-By 4.0

During 1st semester of 2020, we will publish the first stable release of Mobilizon. We will implement moderation tools as well as collaborative ones (groups, organizational spaces, private messages). We will be in touch with pioneer installers and users (the latest have probably used their pals’ servers). We will be working on technical documentation too.

We keep our promises, starting now

We at Framasoft cannot wait to see as many people as possible free themselves for Facebook events, and use Mobilizon to organize, say, an advocacy group or a Climate March.

However, we might have to wait a bit before closing down all these Facebook groups that structure part of our lives. Meanwhile, we hope this demo will show the potential of a software meant to gather, organize and mobilize… people who are trying to make the world a better place.

Have a look at Contributopia’s travel journals and discover more articles and actions made possible by your donations. If you like what you just read, please think of supporting us, as your donations are the only thing that allow us to go on. As Framasoft is a public interest organization, the real cost of a 100 € donation from a French taxpayer is only of 34 €.

Support Framasoft

Header illustration: CC-By David Revoy


Notes

[1] Federation: If my college hosts my email, and yet I can communicate with a gmail (hosted by Google), it is because they speak the same language: they are federated. The federation, here, refers to the use of a common language (a « protocol ») to be able to connect. Capacities do not rely on a single player (e.g.: Facebook for WhatsApp, Google for YouTube, etc), but rather on a multitude of companies, organizations, collectives, institutions, or even private individuals, required they posess the appropriate skills. This provides more resilience and independance to these networks, and makes them harder to control as well. Thus, in the case of Mobilizon, different instances[2] of the software (on the servers of a college, collective or organization such as Framasoft, for example) will be able to synchronize the data made public (events, messages, groups, etc.).

 

[2] Instance: an instance is one hosted installation of a federated software. This software is therefore located on a server, under the responsibility of the people who administer this server (the hosts). Each host can choose whether to connect or not its instance with others, and therefore whether or not to grant access to the information shared on said instance to its members. For example, framapiaf.org, mamot.fr and miaou.drycat.fr are three Mastodon instances (respectively from the hosts Framasoft, La Quadrature du Net and Drycat). As these 3 instances are federated, their members can communicate with each other. In the same vein, two -or even two thousand- Mobilizon instances can be connected and share events.




Mobilizon : on lève le voile sur la bêta

Mobilizon sera une alternative aux événements et groupes Facebook. Suite au succès de son financement participatif, il est temps de vous donner un avant-goût de ce logiciel et de faire le point sur l’avancement du projet.

Cet article fait partie des « Carnets de voyage de Contributopia ». D’octobre à décembre 2019, nous y ferons le bilan des nombreuses actions que nous menons, lesquelles sont financées par vos dons (qui peuvent donner lieu à une réduction d’impôts pour les contribuables français). Si vous le pouvez, pensez à nous soutenir.

An english version of this post is available here.

Une alternative très attendue aux événements Facebook

Au printemps 2019, nous avons lancé une collecte autour du projet Mobilizon, un logiciel libre qui permettra à des communautés de s’émanciper des événements, groupes et pages Facebook.

L’objectif de la collecte était de nous donner les moyens de produire Mobilizon et de savoir jusqu’où vous vouliez que nous nous engagions sur ce projet. Plus de mille personnes ont financé ce projet, avec un enthousiasme qui fait plaisir à voir : visiblement, nous sommes nombreuses et nombreux à en avoir marre que Facebook soit l’outil qui enferme les événements rythmant nos vies !

Merci d’avoir fait de cette collecte un si beau succès !

Aujourd’hui, nous tenons une promesse faite lors de la collecte : partager avec vous l’avancement de Mobilizon. Nous avons décidé de vous le montrer le plus tôt possible, même si toutes les fonctionnalités promises ne sont pas encore développées. C’est le principe d’une version bêta : c’est encore brut, la peinture est fraîche, tout n’est pas (encore) présent… mais cela permet d’avoir une bonne idée de ce qui est réalisé et du travail qu’il reste à faire.

Une première version bêta qui pose les fondations

Le projet derrière Mobilizon, c’est d’avoir un logiciel libre qui permettra à des communautés d’héberger des espaces de publication pour y annoncer des évènements.

Voici tout ce que vous pouvez d’ores et déjà faire avec Mobilizon :

  • Créer un compte, grâce à un email et un mot de passe, et vous y connecter ;
  • Recevoir des notifications par email ;
  • Créer et gérer plusieurs identités sur un même compte ;
    • pour cloisonner vos événements ;
    • Chaque identité comprend un identifiant, un nom à afficher (nom, surnom, pseudonyme, etc.), un avatar et une description ;
  • Créer, modifier ou supprimer des événements ;
    • À partir de l’identité qui vous a servi à créer l’événement ;
    • Avec la possibilité de créer, conserver, modifier (et supprimer) des événements en mode brouillon ;
    • Avec la possibilité de valider (ou refuser) manuellement les demandes de participation ;
    • Que vous pouvez partager facilement sur vos réseaux ou par email ;
    • Que vous pouvez ajouter à votre agenda.
  • S’inscrire à un événement en choisissant une de vos identités ;
  • Signaler des contenus problématiques à la modération de l’instance[2] ;
  • Gérer les signalements de contenus problématiques.

dessin de Mobilizon par David Revoy
Mobilizon, illustré par David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Le principe d’avoir plusieurs identités est une idée qui nous enthousiasme beaucoup. Avec un seul et même compte, vous pouvez séparer divers aspects de votre vie sociale : utiliser une identité pour vos entraînements sportifs, une autre pour vos retrouvailles familiales, encore une autre pour vos actions militantes, etc.

C’est le genre d’outil que ne proposeront jamais des géants tels que Facebook, qui ont bien trop intérêt à ce que tous les aspects de votre vie sociale se fondent en un seul et unique profil publicitaire… Or, c’est toujours une joie de se rendre compte qu’en s’éloignant du modèle de ces plateformes, on arrive à imaginer des outils conviviaux et émancipateurs.

Mais le mieux, c’est encore que vous alliez voir par vous-même…

test.mobilizon.org, un site web pour découvrir le logiciel et ses fonctionnalités

Ne courez pas tout de suite y organiser la dernière fête avant la fin du monde, car test.mobilizon.org n’est qu’un site de démonstration ! Il vous permet d’y faire ce que vous voulez, de cliquer partout et n’importe où, en toute inconséquence vu que les comptes, événements, etc. y seront automatiquement effacés toutes les 48 heures.

Cliquez sur la capture d’écran pour aller sur le site de test de Mobilizon !

Mobilizon a été créé avec des designers pour concevoir l’expérience d’utilisation et l’interface graphique. C’est une des promesses que nous avions faite en dressant la feuille de route Contributopia : faire des outils pour et avec les gens, en incluant des professionel·les du design dans notre travail… Nous espérons que le résultat vous plaira !

Nous avons ouvert un espace de notre forum pour que vous puissiez exprimer vos retours sur le travail effectué. En revanche, nous ne pourrons probablement pas répondre aux demandes de fonctionnalités supplémentaires, car notre planning est déjà bien chargé !

Le chemin est tracé, et nous sommes Mobilizé·es !

Au cours des prochains mois, nous allons proposer des mises à jour régulières de cette version bêta et vous en présenter les avancées. Cela nous permettra d’avoir le temps d’observer et de recueillir vos réactions jusqu’à la première version pleinement fonctionnelle de Mobilizon, prévue pour le premier semestre 2020.

Les plus expert·es d’entre vous peuvent aller voir sous le capot et consulter ici le code source de Mobilizon. Cependant tant que nous n’avons pas finalisé l’aspect fédéré[1] de Mobilizon nous ne vous recommandons pas de l’installer sur votre serveur.

Parce que Mobilizon n’est pas (encore) fédéré[1], il n’est pas (encore) possible, par exemple, de s’inscrire à la Frama-fête publiée sur l’instance[2] Mobilizon de Framasoft, depuis un compte créé sur l’instance MobilizTaFac hébergée par votre université. La fédération, tout comme la possibilité de s’inscrire à un événement de manière anonyme, sont des fonctionnalités en cours de développement. Nous vous les présenterons lors d’un nouveau point sur le logiciel, courant décembre.

En décembre, avec la fédération, les roses des vents se multiplieront !
Illustration : David Revoy – Licence : CC-By 4.0

C’est au cours du 1er semestre 2020 que nous publierons la première version stable de Mobilizon. Nous y implémenterons des outils collaboratifs (les groupes, leur espace d’organisation, la messagerie) et des outils de modération. Nous échangerons alors avec les pionnier·es qui l’auront installée sur leurs serveurs (ou utilisée sur les serveurs des copains et copines), et nous travaillerons sur la documentation technique.

Le début d’une promesse tenue

Au sein de Framasoft, nous brûlons d’impatience, car nous avons envie de voir un maximum de monde s’émanciper des événements Facebook pour créer, grâce à Mobilizon, un groupe de plaidoyer citoyen ou une marche pour le climat.

Et pourtant, il va falloir se retenir encore un peu de fermer les groupes Facebook où s’organise une part de nos vies. En attendant, nous espérons que cette démonstration vous montrera le potentiel d’un outil qui contribuera à rassembler, à organiser et à mobilizer… celles et ceux qui changent le monde.

Rendez-vous sur la page des Carnets de Contributopia pour y découvrir d’autres articles, d’autres actions que nous avons menées grâce à vos dons. Si ce que vous venez de lire vous plaît, pensez à soutenir notre association, qui ne vit que par vos dons. Framasoft étant reconnue d’intérêt général, un don de 100 € d’un contribuable français reviendra, après déduction, à 34 €.

Soutenir Framasoft

Illustration d’entête : CC-By David Revoy

 


Notes

[1] Fédération :Si mon email hébergé par mon université peut communiquer avec un gmail hébergé par Google, c’est qu’ils parlent le même langage, qu’ils sont fédérés. La fédération, ici, désigne le fait d’utiliser un langage commun (un « protocole ») afin de se mettre en réseau. L’intérêt est que les capacités ne dépendent plus d’un seul acteur (ex: Facebook pour WhatsApp ou Facebook, Google pour YouTube, etc.), mais bien d’une multitude d’entreprises, associations, collectifs, institutions ou même particuliers en ayant les compétences. Chacun héberge une partie des données du réseau (comptes, messages, images, vidéos, etc), mais peut donner accès à d’autres parties du réseau. Cela afin de rendre l’ensemble plus résilient, plus indépendant ou plus difficile à contrôler. Ainsi, dans le cas de Mobilizon, différentes instances[2] du logiciel (sur les serveurs d’une faculté, d’un collectif ou d’une association comme Framasoft, par exemple) pourront synchroniser entre elles les données rendues publiques (événements, messages, groupes, etc). Lire cet article pour plus d’informations .

 

[2] Instance : une instance est un hébergement d’un logiciel fédéré. Ce logiciel se trouve donc sur un serveur, sous la responsabilité des personnes qui administrent ce serveur (qui ont donc le rôle d’hébergeur). Chaque hébergeur peut choisir de connecter (ou non) son instance avec d’autres, et donc de donner (ou non) un accès à ses membres aux informations qui y sont diffusées. Par exemple, framapiaf.org, mamot.fr et miaou.drycat.fr sont trois instances du logiciel Mastodon (respectivement des hébergeurs Framasoft, La Quadrature du Net et Drycat). Ces 3 instances étant fédérées, leurs membres peuvent échanger entre eux. Dans le même ordre d’idée, deux – ou même deux cents – instances Mobilizon peuvent être connectées entre elles et partager des événements.