Le petit scarabée et la copie privée

Fesoj - CC byLorsque, par exemple, vous achetez une Framakey Ubuntu-fr Remix dans notre boutique, il y a 0,60€ qui sont prélevés au titre de l’exception pour copie privée. Vous n’y trouverez évidemment pas d’iPod dernier cri, mais si tel avait été le cas on aurait alors dépassé les 20€ de copie privée !

Qu’est-ce donc que cette taxe particulière ? Il y a Wikipédia mais il y a aussi le site officiel dédié du gouvernement : « Compenser financièrement le préjudice subi par les titulaires de droits d’auteur et de droits voisins afin de maintenir l’exception de copie privée au bénéfice du consommateur, tel est l’objectif du système de la rémunération pour copie privée. »

On notera d’ailleurs que ce site est sous le très libre Spip, dont la communauté ne demande aucune compensation financière, mais un don est toujours le bienvenu. Parenthèse fermée.

Cette compensation a rapporté rien moins que 173 millions d’euros en 2008, plus d’un milliard de nos anciens francs pour une seule année ! Il faut dire qu’elle ratisse très large, le nombre de produits taxés donne un peu le vertige.

Et pourquoi pas taxer Google tant qu’on y est ?!

Personnellement il peux m’arriver d’acheter un disque dur externe, une clé, des CD ou DVD vierges, une mémoire supplémentaire pour mon appareil photo, voire peut-être un jour un smartphone, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir un jour utilisé tout ceci dans le but de faire la moindre copie « d’œuvres protégées ». Et mon baladeur audio ne contient que des podcasts radios et de la musique en libre diffusion. Moralité, je finance indirectement les industries culturelles sans aucun avantage en retour et alors même que, Hadopi oblige, je suis en complet désaccord avec leurs politiques actuelles vis-à-vis du numérique.

Admettons cependant qu’il me prenne soudainement l’envie de faire des copies privées.

Toujours sur le site officiel : « L’exception pour copie privée, faculté accordée à l’acquéreur légitime d’une oeuvre, couvre tout acte de copie d’une oeuvre sur un autre support, pour son propre usage. Cette exception est une restriction apportée au droit de reproduction de l’auteur ou du titulaire de droits voisins d’interdire ou d’autoriser une copie de son oeuvre ainsi que le droit d’en percevoir, en contrepartie, une juste et équitable rémunération. »

J’ai souligné en gras le passage parce que la moindre des choses c’est alors de pas bloquer techniquement la possibilité de faire des copies privées. Sinon c’est la double peine : la taxe pour autoriser une pratique impossible à effectuer !

Or c’est exactement ce qui est arrivé à A. Salaün dans le récit ci-dessous qui ne manque pas d’humour. Parce qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer…

Je voulais juste sauver mon DVD

URL d’origine du document

A. Salaün – 20 janvier 2010 – Creative Commons By-Sa

Voici mon histoire, au cours de laquelle je cherchais à copier, pour le sauvegarder, un DVD que j’avais acheté dans le commerce sur un DVD+R que j’avais aussi acheté dans le commerce en France et tout bien payé ce que je devais sur ce DVD d’un (très mais alors très) grand musée public national français, moi le petit français utilisateur de Gnu/linux. Et d’abord après avoir constaté que ma copie ne marchait pas, j’ai donc dû faire une plongée dans le système d’exploitation des forces du mal pour essayer de comprendre et de faire cette copie de sauvegarde de MON DVD. C’est alors que j’ai pu constater que ce DVD était protégé par un système appelé « StarForce » qui empêche d’ en faire une copie valide. Enfin on peut mais c’est très compliqué et surtout interdit. Je me suis renseigné, en voici la preuve :

« Mais dis donc Nicolas (j’ai choisi ce prénom au hasard et par goût parce que je trouve que c’est un vraiment très beau prénom que j’aurai voulu m’appeler comme ça mais pas de peau moi c’est un autre que je dis pas, on sait jamais, fin de la parenthèse) je paie une taxe pour droit de copie privée moi ? Et pourquoi je ne peux pas copier mon DVD que j’ai payé et toussa alors ?

— Parce que, petit scarabée récalcitrant[1], tu serais alors un malfrat.

— Oh ! Mais grand maître ! Puisque j’ai payé la taxe du droit kivabien !

— Tu insistes lourdement, petit scarabée récalcitrant et puant, et comme tous les petits scarabées récalcitrants et puants, tu ne comprend pas la LOI : ça n’est pas parce qu’il existe une taxe copie privée et que tu l’as payée que tu as le droit de copier privativement !

— Mais quand même oh ! grand-maître-qui-sent-si-bon ! Pourquoi payer un droit si on ne peut l’exercer ?

— Aaaahhhh ! Petit sacarabée récalcitrant, puant et lourdingue, parce qu’il y a sur ce DVD une mesure de protection des droits, et qu’il est interdit de la contourner, car ainsi tu deviendrais un pirate ! Et avant que tu n’insistes encore, sache que tu ne peux ABSOLUMENT PAS contourner cette mesure, même si elle t’empêchait d’exercer ton droit à copie privée, car vois-tu, petit scarabée récalcitrant, puant, lourdingue et un peu con, ce droit n’en est pas réellement un, c’est juste une tolérance et tu ne peux donc t’en prévaloir !

— Mais oh ! mon-maître-si-tellement-élevé-à-la-pensée-profonde-et-affutée-et- qui-sent-si-bon puisque c’est écrit que j’ai payé un droit pourquoi ne l’est-il pas. N’est-ce pas contradictoire ? Et votre deuxième loi ne contredit-elle pas alors la première ?

— Dis donc ! Petit scarabée récalcitrant, puant, lourdingue , un peu con et hors-la-loi, tu te crois peut-être plus compétent et intelligent que les experts réunis en commissions, Grenelles et autre symposium ? Plus compétent que les JUGES qui en ont ainsi décidé. Remettrais-tu en cause la LOI ? N’aurais-tu pas tenté de contourner cette protection pour être si bien au fait de tout cela. Tu l’as fait c’est certain ! Sinon tu ne serais pas aussi renseigné ! Et en plus tu as l’audace de t’en vanter ! De réclamer ! Alors que tu as, c’est sûr maintenant, piraté la sacro-sainte propriété intellectuelle et ses mesures de protection, piétiné et bafoué la loi-du-peuple-et-ou-de-ses-représentants-démocratiquement-zélus ! Peut-être même as-tu attenté à la sécurité nationale ou penses-tu le faire, ce qui est presque la même chose, essayé de faire déraillé nos trains, pire ! nos T.G.V ! Voire t’être affilié à un-mouvement-d’ultra-gauche-qui-cherche-à-destabilser-la-démocratie-fleuron-de-le-France-éternelle-et-des-lumières ! Écoute bien, petit bousier récalcitrant, puant, lourdingue , un peu con, hors-la-loi, anarcho-gauchiste et crypto-terroriste sais-tu bien que je pourrais te livrer à l’Hadopi ?

Elle seule pourra alors constater à quel point tu as pêché ! Elle retournera tes disques durs, y installera des espions logiciels, te confisquera tes biens informatiques, te livrera aux mains de ses miliciens les plus féroces et déterminés, te fera dire la VÉRITÉ tu entends ! LA VÉRITÉ ! Et si tu avoues tu seras alors puni mais pardonné et tu pourras reprendre place dans le monde des citoyens-numériques.

Mais si tu t’obstines à nier, c’est l’ENFER numérique que je te promets ! Tu seras banni, tes biens confisqués, tes blogs effacés, tes opinions oubliées, tes articles et leurs archives annihilés., même la vieille presse écrite ne te connaîtra plus ! Et si tu viens à trépasser avant que ne sois absous, point n’auras le droit d’ être de jour et par tes amis et commensaux enterré en hors-sol numérique, et ton avatar errera à jamais dans les réseaux infernaux du monde warez des succubes ! »

Alors là, je l’avoue j’ai eu peur et j’ai abandonné. Tant pis. si j’abîme mon DVD je paierai à nouveau, mais je suis bien content de l’avoir échappé belle. Ouf ! ! Je ne suis pas un héros … heu… non… pardon,pardon je ne savais pas que c’était copyrighté, j’ai barré, j’ai barré…

…Je suis bien content oui ! bien content… Vive la France ! Oui vive la France !

A. Salaun
(comme dit plus haut je ne donne pas mon prénom … on ne sait jamais…)

Notes

[1] Crédit photo : Fesoj (Creative Commons By)




Pour que La Quadrature du Net continue à écrire la doc et les pages man d’Internet

La Quadrature va-t-elle jetter l’éponge ? C’est le cri qu’a poussé Benjamin Bayart hier sur son blog.

Rien de tel que de se remémorer alors son intervention, en juillet dernier aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre de Nantes, où il explique pourquoi La Quadrature a besoin de notre soutien.

Et de laisser ensuite la parole à un Jérémie Zimmermann éloquent quant au sens donné à leur action : « S’appuyer sur notre expertise pour écrire la doc et les pages man de l’outil que l’on a bâti et que l’on veut préserver : Internet ».

PS : Et comme on ne peut plus s’en passer, il y a également une vidéo bonus de Stallman en fin d’article 😉

—> La vidéo au format webm

Transcript

Jérémie Zimmermann : Je pense que les sociologues, ethnologues et autres bidulogues se pencheront sur la question, s’ils ne le font pas déjà. De voir que c’est nous, la bande de geeks, qui allons retourner les parlements.

Alors nous la bande de geeks, on est ceux qui connaissons le mieux Internet, ceux qui l’utilisons tous les jours depuis plus longtemps que tout le monde, et ceux qui en quelque sorte l’avons fabriqué. Et donc on peut dire sans se vanter qu’on a une expertise en la matière, un expertise en matière d’Internet et des technologies numériques.

Et c’est intéressant de voir que l’on utilise spécifiquement notre expertise dans quelque chose que l’on a bâti. Pour le préserver tel qu’on le connaît aujourd’hui et tel qu’on aime à l’utiliser aujourd’hui.

Et j’aimerais me livrer ici a un parallèle peut-être un petit peu hasardeux. Je sais que pas grand monde aime la politique, ou en tout cas la politique telle qu’elle existe aujourd’hui, à base de spectacle et de petites phrases, de connards bronzés qui ne connaissent pas leurs dossiers et qui raisonnent à coups de sondages, etc.

Mais la politique, la vraie, c’est pas ça. C’est s’intéresser à la vie de la cité. Et pour s’intéresser à la vie de la cité, pour participer, il faut précisément transmettre son expertise, transmettre sa connaissance.

Et donc notre rôle, ce que l’on fait tous les jours dans ces campagnes, on transmet l’expertise que l’on a de l’outil que l’on veut préserver.

Mais transmettre de l’expertise, c’est un petit peu de la communication, et c’est un petit peu un truc que les geeks ne savent pas bien faire en général.

Et le parallèle hasardeux que je vais faire, c’est dire qu’en gros ce que l’on est en train de faire. c’est faire la doc et faire les pages man qui vont avec l’outil qu’on a développé.

Et que nous les geeks, on sait qu’on n’aime pas faire les pages man, et qu’on n’aime pas rédiger la doc. Et le problème c’est que si on ne les fait pas, le projet ne va pas décoller et il n’ira pas très loin. Et donc voilà, à vos éditeurs de texte quoi !

Benjamin Bayart : On ne peut pas laisser les parlementaires écrire tout seul le manuel d’Internet, ça ça va pas être bon, va falloir qu’on s’en mêle…

Soutien de Richard Stallman à La Quadrature du Net

—> La vidéo au format webm




Les 7 péchés de Windows parlent déjà 7 langues

Techedlive - CC by-saNous reproduisons un communiqué de l’April dans la mesure où nous sommes directement impliqués.

Il s’agit de l’annonce de la traduction en plusieurs langues de la campagne « Les 7 péchés de Windows » de la Free Software Foundation.

Nous en avions parlé ici-même à l’occasion de la sortie, il y a trois mois, de la première traduction en date, la française justement (travaillée en collaboration avec l’April, via notre groupe Framalang)[1].

Pour rappel, ces 7 péchés sont l’empoisonnement de l’éducation, l’invasion de la vie privée, le comportement monopolistique, le verrouillage, le blocage abusif des standards, le soutien des DRM, les menaces sur la sécurité de l’usager.

La campagne « Les 7 péchés de Windows »

Coup d’envoi des démarches de sensibilisation à l’échelle internationale

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BOSTON, Massachusetts, USA – Vendredi, 22 janvier 2010 – La Fondation pour le Logiciel Libre (Free Software Foundation, FSF) a annoncé aujourd’hui l’extension internationale de sa campagne Les 7 Péchés de Windows pour la défense des libertés des utilisateurs d’ordinateurs, avec des traductions et des communiqués de presse disponibles dans plus de huit langues. Des traductions dans d’autres langues sont aussi en cours.

La campagne Les 7 Péchés de Windows met en lumière sept domaines principaux dans lesquels les logiciels propriétaires, et plus particulièrement Microsoft Windows, portent atteinte à tous les utilisateurs d’ordinateurs : en envahissant la vie privée, en contaminant l’éducation, en enfermant les utilisateurs, en ne respectant pas les normes, en profitant de comportements monopolistiques, en appliquant des verrous numériques (DRM) et en portant atteinte à la sécurité des utilisateurs.

Ces éléments sont mis en avant dans un courrier que les organisateurs de la campagne ont déjà envoyé aux dirigeants des 500 plus grandes entreprises du classement Fortune ainsi qu’aux plus grandes ONG des États-Unis. Cette lettre met en garde les dirigeants concernés par Windows 7 à propos de "l’absence de sécurité, de liberté et de respect de la vie privée" à laquelle ils s’exposeraient s’ils venaient à adopter Windows 7, et elle soutient qu’ils devraient à la place adopter des solutions libres comme le système d’exploitation GNU/Linux et la suite logicielle bureautique OpenOffice.org.

La FSF demande aux citoyens qui se sentent concernés d’aider à diffuser ce message en soumettant de nouveaux dirigeants d’organisations qui sont aussi concernés par Windows 7 afin qu’ils reçoivent eux aussi une version de la lettre. Le directeur exécutif de la FSF, Peter Brown, explique que « de nombreuses personnes sont frustrées par les organisations avec lesquelles ils interagissent et par le soutien qu’elles apportent à une industrie du logiciel qui oeuvre contre les libertés des citoyens. Nos instances dirigeantes, tant au plan national que local, les ONG ainsi que les universités et les écoles publiques qui utilisent des logiciels propriétaires vont ainsi à l’encontre de l’intérêt public, le plus souvent du fait de leur méconnaissance du logiciel libre ou d’un égarement quant aux valeurs qu’elles sous-tendent. Nous espérons alerter ces décideurs de la contribution bénéfique qu’ils peuvent apporter à la société en faisant migrer leurs organisations vers le logiciel libre. »

« En traduisant Les 7 Péchés de Windows dans autant de langues que possible, nous faisons de cette campagne une mobilisation internationale pour défendre les libertés des utilisateurs d’ordinateurs », a ajouté Matt Lee, le responsable de la campagne au sein de la FSF. En plus des traductions du site web, la FSF distribue aussi ce communiqué de presse dans ces mêmes langues, aux représentants locaux de chacune des zones linguistiques concernées.

Coordonnés par les permanents de campagne de la FSF qui travaillaient avec des traducteurs bénévoles, les efforts de traduction ont été déployés au cours des derniers mois, en utilisant des logiciels libres et en collaborant au moyen de l’outil GNU Mailman. La première traduction à être publiée a été la française, traduite par les membres des associations française du logiciel libre, April et Framasoft.

Toute partie intéressée peut rejoindre les efforts de traduction en visitant http://meta.windows7sins.org. Le site a déjà été traduit de l’anglais vers l’arabe, le français, l’italien, le russe, l’espagnol et l’allemand.

« Les traductions permettent aux lecteurs non-anglophones de comprendre les enjeux de la campagne de la FSF. L’April et Framasoft encouragent leurs membres et les communautés francophones du logiciel libre à profiter de la sortie de Windows Seven pour informer leurs amis, famille, collègues, connaissances… sur les dangers du logiciel propriétaire, les pratiques abusives de Microsoft et sur l’existence du logiciel libre » ont indiqué Frédéric Couchet de l’April et Alexis Kauffmann de Framasoft.

Les volontaires qui souhaiteraient traduire dans leur langue Les 7 Péchés de Windows ainsi que d’autres documents de la FSF peuvent nous écrire.

Notes

[1] Crédit photo : Techedlive (Creative Commons By-Sa)




L’école Châteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratégie planétaire Microsoft

Lee Carson - CC by-saLe saviez-vous ? Grâce à la caution de partenaires associatifs et institutionnels a priori au dessus de tout soupçon, Microsoft entre comme dans du beurre (ou presque) à l’Éducation nationale, en déployant tranquillement son vaste et ambitieux programme globalisé « Innovative Schools ».

Si il ne s’agissait que de se substituer financièrement à un État de plus en plus désargenté, ce serait déjà grave, mais on en profite également pour marquer voire manipuler les esprits, sous le vernis d’un discours pédagogique soit disant progressiste et « innovant » (adjectif préféré du département marketing de la société).

Principales victimes collatérales : non seulement le logiciel libre et sa culture mais aussi et surtout les enseignants et donc les élèves[1], à qui on ne donne pas accès à cette culture.

Attention, cette histoire est un peu longue et un peu triste. Mais elle se termine bien à la fin !

Mondialisation mon amour

Qu’est-ce que le programme « Innovative Schools » ? C’est un peu le jeu des poupées russes, car il s’insère dans le programme « Partners in Learning », lui-même intégré au programme « Unlimited Potential ».

Commençons par la plus grande poupée, telle que décrite sur le site de Microsoft :

Microsoft Unlimited Potential vise à aider les personnes et les communautés du monde entier à réaliser leurs objectifs et leurs rêves par l’intermédiaire de la mise à disposition de technologies adaptées, accessibles et abordables. Nous nous sommes fixé pour mission d’ouvrir de nouvelles voies de développement social et économique, en particulier pour les cinq milliards de personnes qui, selon les estimations, ne bénéficient pas encore des avantages des nouvelles technologies. Avec nos partenaires publics comme privés, nous axons notre action sur la transformation de l’éducation, la stimulation de l’innovation locale et le soutien à la création d’emplois et de débouchés afin de créer un cercle vertueux de croissance économique et sociale durable pour tous.

Poursuivons en donnant quelques chiffres significatifs avec cette présentation maison du programme « Partners in Learning » :

Microsoft Partners in Learning est une initiative internationale conçue pour rendre la technologie plus accessible aux écoles, à stimuler des conceptions innovatrices de l’éducation et à fournir aux éducateurs les outils pour gérer et mettre en oeuvre des changements. Depuis sa création en 2003, le programme Partenaires en apprentissage a bénéficié à plus de 123 millions de professeurs et d’étudiants dans 103 pays. Microsoft apporte un soutien financier continu à cette initiative depuis déjà cinq ans, et l’investissement d’une durée de dix ans atteint presque 500 millions USD, ce qui témoigne de l’engagement de la société à rendre la technologie plus adaptée et plus accessible à chacun grâce à des programmes, des formations et des partenariats de licence abordables.

Un demi-milliard de dollars… Ne cherchez pas plus loin la réponse à la question de la légitimité d’une entreprise américaine de logiciels que rien ne prédisposait au départ à vouloir ainsi participer à « transformer l’éducation » à l’échelle mondiale. Ce n’est pas avec le vinaigre des beaux discours philanthropiques (cf ci-dessus) que l’on attrape les mouches, mais bien avec cet argument massue d’un compte en banque qui donne le vertige.

Toujours est-il que c’est dans le cadre du programme « Microsoft Partners in Learning », que l’on trouve le réseau des « Microsoft Innovative Teachers », enseignants cooptés en charge notamment de mettre chaque année en place dans leur propre pays des « Microsoft Innovative Teachers Forums », dont le point d’orgue est le « Microsoft Innovative Education Forum » où sont invités tous les lauréats des forums nationaux (en 2009 c’était au Brésil).

C’est également dans ce cadre que s’inscrivent les « Microsoft Innovative Schools ». Il s’agit d’investir un établissement scolaire et d’en faire une école pilote de l’innovation à la sauce Microsoft, en mettant là encore le paquet sur les moyens.

Une nouvelle fois, tout réside dans l’art de présenter la chose :

Le programme « Écoles Innovantes » fait partie de l’initiative internationale « Partners in Learning » au travers de laquelle Microsoft engage d’importants investissements matériels et financiers pour développer la formation dans le domaine des TICE , la personnalisation de l’enseignement, le support technique et, plus généralement, l’accès aux technologies informatiques de pointe dans l’éducation. Dans ce cadre, le projet « Écoles innovantes» fondé sur l’innovation pédagogique et l’utilisation des technologies de l’information, a été lancé au niveau mondial. La première « Ecole innovante» a ouvert ses portes au début de l’année 2006 à Philadelphie. Douze autres établissements à travers le monde font aujourd’hui partie de ce projet. L’objectif de ce projet est d’accompagner les établissements et plus largement l’institution dans son évolution vers l’école du XXIème siècle.

Du discours et de la méthode

Les citations ci-dessus donnent déjà une bonne idée de l’enrobage, pour ne pas dire de l’enfumage, d’un discours faussement lisse, neutre et consensuel dont l’objectif est de rencontrer l’adhésion des enseignants.

La société a évolué et l’école se doit de se mettre au diapason, mais cet inéluctable modernisme, où la technique semble omniprésente, ne doit en rien être anxiogène, c’est au contraire une formidable opportunité d’innovation. Ne vous inquiétez pas, Microsoft est là pour vous faciliter la tâche, accompagner votre créativité et vous aider à vous concentrer sur votre seule préoccupation : la pédagogie et la réussite de vos élèves.

Le mantra est le suivant : l’important ce n’est pas la technique, c’est l’usage que l’on en fait, si possible « innovant ».

L’informatique en tant que telle est volontairement occultée. Parce que si elle se fait oublier alors son choix n’a plus aucune importance. Et dans ces cas-là autant prendre « naturellement » les produits et les logiciels du généreux mécène (qui n’a absolument pas besoin de les mettre en avant, et il s’en garde bien, ça se fait tout seul !).

Concentrons-nous donc sur les pratiques. Rassurons les enseignants et montrons-leur ce que l’on peut faire aujourd’hui de « formidable » avec les nouvelles technologies (ils se trouvent que les démonstrations se font avec des logiciels Microsoft mais c’est à peine si on a besoin de l’évoquer, c’est juste que c’est plus pratique et qu’on les avait sous la main). Mieux encore, construisons ensemble des « écoles 2.0 », mettons les enseignants en relation et organisons de grandes manifestations où les plus dynamiques d’entre eux auront l’occasion de se rencontrer pour échanger, et éventuellement recevoir la « Microsoft Innovative Médaille du Mérite ».

Deux conséquences (fâcheuses)

Puisque l’informatique est un sujet plus que secondaire qui se doit de s’effacer pour être pleinement au service de la pédagogie, il n’y a pas lieu d’en parler, et moins encore d’en débattre. Il n’y a pas de choix à faire et le logiciel libre n’est ni cité, critiqué ou comparé, il est tout simplement nié. Jamais, ô grand jamais, vous n’y verrez la moindre référence sur les sites officiels des programmes « Microsoft Innovative MachinChose ».

Soit, le logiciel libre n’existe pas. Ce n’est pas si grave après tout si on a l’assurance que nos élèves sont entre les bonnes mains des professeurs innovants. Sauf que malheureusement ça ne peut pas être véritablement le cas, parce que ces professeurs sont sans le savoir handicapés car manipulés.

En effet, le logiciel libre à l’école va bien au delà du souhait d’installer et d’utiliser telle application plutôt que telle autre dans son ordinateur. Pris au sens large, c’est d’une véritable culture dont il s’agit, englobant les formats ouverts, les ressources en partage, les pratiques collaboratives spécifiques, la vigilance sur la propriété intellectuelle et la neutralité du réseau, etc.

Il me revient en mémoire cette citation extraite d’un billet sur la politique pro-active du Canton de Genève :

Dans sa volonté de rendre accessibles à tous les outils et les contenus, le « libre » poursuit un objectif de démocratisation du savoir et des compétences, de partage des connaissances et de coopération dans leur mise en œuvre, d’autonomie et de responsabilité face aux technologies, du développement du sens critique et de l’indépendance envers les pouvoirs de l’information et de la communication.

Pensez-vous que ces objectifs soient important et qu’ils aient toute leur place dans une « école du XXIème siècle » ? Si oui, alors ne comptez ni sur Microsoft ni sur ses enseignants sous influence pour sensibiliser réellement nos élèves sur ces questions pourtant devenues majeures aujourd’hui.

Autonomie et responsabilité face aux technologies, mais surtout sens critique et indépendance envers les pouvoirs, sont autant de thèmes qui ne font pas partie de la stratégie éducative de Microsoft. Et pour cause, ils risqueraient de dévoiler quelque chose que l’on cherche pernicieusement à cacher aux enseignants et à leurs élèves : le fait qu’une autre informatique soit possible, impliquant par là-même une autre pédagogie. Et, ne vous en déplaise, cette prise de conscience est déjà « innovante » en soi.

De la déclinaison française du programme

Et en France me direz-vous ?

Je ne connais pas l’étendue du programme « Microsoft Partners in Learning » de notre beau pays. Mais pour avoir ici-même participé à lever certains lièvres par le passé, je puis toutefois émettre quelques solides hypothèses.

Les « Microsoft Innovative Teachers » c’est avant tout l’équipe du Café pédagogique. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais le site officiel répertoriant pays par pays les membres de ce réseau d’enseignants. Lorsque vous cliquez sur « France », vous êtes automatiquement renvoyé sur la page d’accueil du Café.

Le Café est accompagné par l’association d’enseignants Projetice (lire à ce sujet Projetice ou le cas exemplaire d’un partenariat très privilégié entre Microsoft et une association d’enseignants), dont la création a, semble-t-il, été directement souhaité et suggéré par Microsoft.

En toute logique, c’est à eux qu’il incombe de monter les « Microsoft Innovative Teachers Forums » dont la création a, c’est certain, été directement souhaité et suggéré par Microsoft. Nous avons ainsi eu Rennes en 2008 et Roubaix en 2009 (lire à ce sujet Du premier Forum des Enseignants Innovants et du rôle exact de son discret partenaire Microsoft et surtout le fort instructif Forum des Enseignants Innovants suite et fin).

Quant à la grande messe qui réunit les lauréats des forums du monde entier, vous pouvez compter sur le Café pour nous en faire de magnifiques et élogieux reportages, comme le dernier en date à Salvador de Bahia (lire à ce sujet En réponse au Café Pédagogique).

Pour le supérieur, il pourrait également y avoir les chercheurs du Groupe Compas (cf la présentation Microsoft) dont la création, elle aussi, aurait été fortement souhaité et suggéré par Microsoft, mais là je manque clairement d’informations.

Toujours est-il qu’on retrouve bien tout ce petit monde dans les encadrés de la brochure commerciale Microsoft 2010 en direction des établissements scolaires.

Un petit monde que l’on peut mobiliser à tout moment, comme par exemple lorsqu’il s’agit de relayer une campagne médiatique autour d’un nouveau produit de la société (lire à ce sujet L’influence de Microsoft à l’école n’est-elle pas disproportionnée ?, campagne qui valu à Microsoft de recevoir le Grand Prix « Acquisition et Fidélisation Clients »).

L’école Châteaudun ou la « Microsoft Innovative School » de chez nous

Pour compléter cet impressionnant dispositif Microsoft, il ne manquait plus que « l’École Innovante ». Et c’est à l’école publique Châteaudun d’Amiens qu’est revenu cet insigne honneur, et ce depuis deux ans déjà.

Le Café pédagogique en a parlé ici, , et tout récemment . Rien d’anormal à cela puisque le Café étant la tête de pont des « Microsoft Innovative Teachers » français, c’est bien le moins que de relayer les annonces de cette grande famille. C’est du reste cette dernière annonce, vendredi 15 janvier, qui a motivé la rédaction de cet article (d’autant plus que chez eux, il est impossible de commenter). Et plus particulièrement cette histoire de « fées autour du berceau ».

À l’origine de ce projet, la rencontre entre le directeur de l’école primaire qui voulait améliorer l’expression écrite et orale de ses élèves, son maire, ministre de l’éducation à ce moment, et le groupe Microsoft qui soutient plusieurs écoles innovantes dans le monde avec le projet d’observer et retenir les innovations. Voilà beaucoup de fées autour du berceau et cela a joué sur le projet car l’équipe éducative a été très sollicitée par les accompagnateurs du projet.

Abondance de fées pourrait-elle nuire ? En tout cas, il y a une fée singulièrement différente des autres, et l’on pourra toujours évoquer une « rencontre » entre les différents acteurs, c’est bien plus sûrement la fée Microsoft, en pleine « Innovative Prospection », qui a su murmurer de manière convaincante à l’oreille du ministre (en l’occurrence, à l’époque, c’était Gilles de Robien).

On remarquera donc d’emblée que les fées du projet et l’équipe éducative sont deux entités bien distinctes. Des fées qui savent manifestement manier leur baguette avec, quand il le faut, l’autorité nécessaire, puisque la décision est venue d’elles, c’est-à-dire d’en haut, et non du terrain, c’est-à-dire des professeurs qui auraient eu vent des « Microsoft Innovative Schools » et qui auraient choisi d’inscrire collectivement et spontanément leur école.

Pour plus de détails sur le projet, il y a, avec toutes les précautions d’usage quant à leur objectivité, cette présentation sur le site de Microsoft (voir aussi ce reportage vidéo interne, au format propriétaire wmv) et cette visite du Café pédagogique.

On pourra également se rendre sur le blog et le site de l’école, créés à l’occasion, dont je vous laisse juge de la qualité et du dynamisme (reposant tous deux sur des solutions libres soit dit en passant).

Quant à la communication, il faut croire qu’avoir aussi bien le ministre que Microsoft penchés au dessus du berceau, aident à la mise en lumière médiatique du projet, avec titres et contenus qui ont dû faire plaisir aux fées : La première école innovante de France (Le Point – février 2008) et Amiens invente l’école numérique de demain (Le Figaro – mai 2008). Ajoutez juste un mot de plus au titre du Point et vous obtenez quelque chose qui oriente sensiblement différemment la lecture : « La première école innovante Microsoft de France ».

Mais plus intéressant et a priori plus rigoureux, on a surtout ce rapport tout chaud réalisé par l’INRP, c’est-à-dire rien moins que l’Institut National de Recherche Pédagogique. Aujourd’hui c’est donc l’heure d’un premier bilan et c’était bien là le motif principal de l’annonce du Café.

Première phrase du rapport : « Cette étude a bénéficié du soutien de Microsoft Éducation ». Et un peu après :

Sollicité par Microsoft Éducation France pour être évaluateur du projet Innovative Schools, d’une durée de deux ans (de septembre 2007 à décembre 2009), au niveau national et international, l’INRP a signé une convention de recherche-évaluation pour (…) faire un suivi du projet et du process des 6i

On retrouve notre constante : c’est toujours Microsoft qui sollicite et non l’inverse. Quant au « process des 6i », c’est absolument fascinant car il s’agit d’un véritable choc culturel.

Nous connaissons un peu les américains. Ils raffolent de ces méthodes en plusieurs points censés améliorer notre vie professionnelle, personnelle ou spirituelle (un exemple parmi d’autres, les douze étapes des Alcooliques Anonymes). On ne le leur reprochera pas, c’est dans leur ADN et certaines méthodes sont au demeurant tout à fait efficaces.

Et c’est ainsi que Microsoft, dans sa volonté universalisante (et uniformisante) de « transformer l’éducation » de ce nouveau millénaire, nous a pondu ce processus à 6 niveaux, ainsi résumé sur cette page :

Cette méthode, les 6i, se déroule en 6 étapes réparties sur 2 années scolaires. Le processus des 6i (Introspection, Investigation, Inclusion, Innovation, Implémentation, Insight) de Microsoft, est un plan de route sur l’élaboration, la mise en œuvre et la gestion des changements basés sur les TIC. Il constitue un guide à l’intention des leaders scolaires pour mettre en place des changements éducatifs sur la base d’approches éprouvées.

Pour ceux que cela intéresse, Microsoft donne plus de détails sur son site anglophone (mais, là encore, méfiance, l’enfer est pavé de bonnes intentions pédagogiquement innovantes).

Le problème (enfin, ça dépend pour qui) c’est qu’à l’école française on n’est pas forcément familier avec cette manière d’appréhender les choses. Je vous laisse imaginer la tête du professeur des écoles, qui pour rappel a subi et non voulu le projet, lorsqu’on lui met une telle méthode entre les mains ! Euh… ça veut dire quoi « Insight » déjà ?

Toujours est-il que malgré le fait que ce « process des 6i » figurait donc noir sur blanc sur la feuille de route de l’étude commandé, le rapport n’en parle presque pas. Il se contente de le décrire à un moment donné (p. 18 à 21) mais sans que cela ait visiblement donné lieu à la moindre tentative d’application avec l’équipe pédagogique puisqu’on n’y revient plus par la suite. Pour tout vous dire, on sent l’INRP comme un peu gêné aux entournures ici (comme ailleurs du reste).

Résistance passive

Les rapports au sein de l’Éducation nationale, c’est tout un poème. Il faut parfois avoir le décodeur, en particulier lorsque l’on évoque les TICE où très souvent, politique moderne oblige, aussi bien l’auteur que le lecteur ont intérêt à ce que l’on décrive, quoiqu’il arrive, une situation positive et un projet réussi. Le projet fonctionne ? On dira qu’il fonctionne très bien. Il ne fonctionne pas ? Et l’on dira alors qu’il est un peu tôt pour en faire un bilan, ou que les conditions d’observation n’étaient pas optimales, etc., mais que malgré quelques « résistances », on note d’ores et déjà de significatives avancées, etc.

Et d’ailleurs, petite parenthèse, lorsqu’il s’agit d’un projet d’envergure dont le rapport remonte en passant par les indispensables étapes de la hiérarchie, on peut se retrouver au final avec un beau décalage entre ce qui se trouve sur le bureau du Ministre et la réalité du terrain (le B2i fournissant à cet égard un excellent exemple, on tient certainement là une cause principale de son étonnante longévité).

Bref ici, je vous invite à lire la conclusion du rapport (muni du fameux décodeur). Entre les lignes, on ne décrypte pas un échec patent mais on ne peut pas dire non plus, et loin de là, que ce soit l’enthousiasme qui prédomine.

Cette conclusion comporte deux parties (c’est déjà mauvais signe) : « Quelques failles constitutives sont repérables pour diverses facettes de l’opération » (on craint le pire), mais heureusement il y a aussi « Les avancées d’une école innovante ».

Morceaux choisis :

Les circonstances de la mise en œuvre de l’innovation dans l’école observée n’ont pas été idéales de ces points de vue et sont, sans l’ombre d’un doute, à l’origine des difficultés éprouvées à la fois par les acteurs locaux et par tous ceux qui ont été chargés de les suivre. L’empilement de dispositifs, de choix, de procédures, jamais clairement négociés avec les enseignants, a pu dérouter. Pour autant, les bénéfices de la démarche d’innovation sont visibles à l’échelle de l’école et encouragent à poursuivre.

On retrouve le plan d’un rapport-type tel que décrit théoriquement ci-dessus.

L’initiative est venue du ministre de l’Éducation nationale lui-même, maire de la ville. Le faible nombre d’enseignants réellement engagés dans l’opération traduit des réticences face à une opération (…)

La forme recherche-évaluation choisie par le Stanford Research Institute (SRI) comme cadre général du pilotage de l’innovation est très éloignée des principes courants d’observation et de suivi habituellement mis en œuvre en France.

C’est peu de le dire. Mais quand on s’embarque ainsi avec des américains, il faut en être bien conscient au départ. Là c’est un peu tard et il convient donc d’assumer.


La charge de travail imposée aux acteurs de l’école, dépassant de très loin la mise en place de l’innovation elle-même, a d’autant plus vite atteint un niveau insupportable qu’elle était inattendue et incompréhensible faute d’avoir été expliquée à l’avance.

L’extrême médiatisation de l’opération (à l’échelle locale puis nationale), avec ses inexactitudes, ses excès, ses effets pervers a achevé d’exacerber une situation dont la dimension politique était relancée par le changement de majorité municipale aux élections du printemps 2008.

Rien d’étonnant à ce que ces dispositions aient accentué la circonspection des enseignants et aient pu conduire au refus de toute observation de situations de classe à partir du mois d’avril 2008. Pour autant de nombreux aspects authentiquement innovants sont apparus dans le déroulement du projet d’école.

Ce dernier paragraphe est symptomatique. Des enseignants ont carrément refusé de jouer le jeu. C’est une lourde et concrète information impossible à censurer. Mais elle est tout de suite suivie et contre-balancée par un argument positif vague et flou, que vient corroborer l’ultime phrase du rapport :

L’innovation est ainsi reconnue et même souhaitée. Ce n’est pas l’innovation en tant que telle qui est recherchée, mais c’est, bien davantage, l’amélioration des résultats de tous les élèves, y compris les moins performants, qui est attendue. Cette exigence s’inscrit dans la droite ligne de l’histoire de notre école républicaine.

Certes, certes. Mais pourquoi notre école républicaine à la si riche histoire aurait-elle besoin de s’appuyer ici sur la « méthode des 6i » tout droit sortie de la cuisse de la multinationale Microsoft ?

Et le Café pédagogique, de s’adonner lui aussi à la conclusion positive aux forceps :

S’il est trop tôt selon l’étude pour constater des changements chez les élèves, elle confirme l’impact sur l’équipe pédagogique. Le projet a bien développé sa capacité d’adaptation aux changements – une faculté tant individuelle que collective qu’exige une société en constante évolution. Ça donne déjà une longueur d’avance à cette école.

En gros, on est venu perturber des professeurs qui n’avaient au départ rien demandé. Et comme il a bien fallu qu’ils s’adaptent, on les félicite d’avoir fait face aux changements. Que l’adaptation ait été vécue positivement ou négativement ne compte pas, c’est une qualité en soi. Voilà une bien maigre « longueur d’avance ».

Et pour en avoir le cœur net, l’idéal serait de recevoir dans les commentaires de ce billet, quelques témoignages de professeurs de cette école.

Parce que, autant appeler un chat un chat , malgré la débauche d’énergies et de moyens matériels et humains mis à disposition, l’expérience Innovative School Châteaudun d’Amiens n’a semble-t-il pas forcément donné tous les résultats escomptés. Microsoft pourra toujours cocher la case « école française » sur sa jolie mappemonde, on ne m’ôtera pas de l’idée que nous sommes face à une belle déception qui ne veut dire son nom.

Résistance active

Mais il y a des résistances bien moins passives et donc bien plus intéressantes que celles de l’école Châteaudun d’Amiens.

Infiltrer une école primaire ne suffisait semble-t-il pas aux responsables de Microsoft France Éducation. Il leur fallait également un établissement du secondaire pour parfaire le tableau.

Ils avaient ainsi repéré un lycée de l’Académie de Créteil. Et là encore il s’agissait de faire passer le projet par le haut, sans en référer au préalable à l’équipe pédagogique de l’établissement.

Mais il y eut un magnifique grain de sable, quelque chose d’imprévisible et inattendu s’est alors produit. Deux enseignantes ont pris leur plume pour courageusement protester publiquement sur le site d’informations rue89. Ce qui a donc donné l’article Pour ses « innovations », l’Éducation nationale s’en remet à Microsoft, qui figure en bonne place dans ma rétrospective personnelle de l’année 2009.

Je vous invite à le lire dans son intégralité (on notera que le logiciel libre y est évoqué et même souhaité), mais je n’ai pu résister à en reproduire ici la percutante introduction :

Nous sommes professeurs de lettres et de philosophie dans un établissement public de France et nous voulons dire notre tristesse. Notre colère. Nous avons appris, il y a peu, que notre établissement déposait un projet d’« école innovante » auprès du rectorat, mené en partenariat avec Microsoft !

Les établissements publics français ont une mission publique d’éducation. Ils doivent, cela va sans dire, évoluer avec leur société : si l’on tient absolument au novlangue actuellement en vigueur à l’Éducation nationale, disons qu’ils doivent « innover » ; mais quel besoin de le faire sous le coaching de Microsoft ?

Que vient donc faire une multinationale dans nos innovations pédagogiques ? Et comment comprendre que ce soit le responsable des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) au rectorat, autrement dit l’Éducation nationale elle-même, qui encadre ce « partenariat » ?

Nous, enseignantes du service public français, sommes choquées d’avoir à innover par la « méthode des 6i » (« introspection, investigation, inclusion, innovation, implémentation, insight ») mise au point – et brevetée ! – par le groupe Microsoft pour pouvoir formater de façon homogène l’innovation pédagogique de pays différents, et faire émerger l’école du XXI siècle, comme on peut le lire sur le site de Microsoft.

Quelle éloquence, mais surtout quelle évidence !

On remarquera que l’INRP s’est quant à elle tout à fait accommodée de la « méthode des 6i » à Châteaudun. Les « experts pédagogiques » sont semble-t-il plus flexibles et malléables que les profs d’en bas.

Suite à cette tribune, l’une des auteurs m’a contacté pour échanger, voire prendre conseil, parce que figurez-vous qu’elle subissait du coup menaces et pressions de la part de sa hiérarchie !

Mais la hiérarchie s’est ravisée. Je pense qu’elle a réalisé que plus cette histoire allait se médiatiser, plus sa position deviendrait intenable, car les collègues se rangeraient plus que majoritairement derrières les arguments des enseignants.

Autrement dit, victoire, on n’a plus du tout entendu parler de ce projet Microsoft depuis ! La prochaine « Innovative School » française devra attendre. Comme quoi quand on veut…

Et l’article de s’achever ainsi :

L’école en a, des profs « innovants », si l’on tient absolument à les appeler ainsi.

Non, ce n’est vraiment pas le désir d’inventer et de créer qui manque, à l’Éducation nationale.

Mais un prof qui s’entend dire qu’il devra accepter comme une condition nécessaire pour accéder aux moyens de mettre en œuvre ses projets de travailler avec telle entreprise privée, sous sa direction et dans son formatage, dans l’idéologie de ce que doit être l’école du XXIe siècle (sic) selon ladite entreprise, ce prof, dès lors, ne sent plus tellement en lui le désir d’« innover ».

Parce qu’il pressent qu’« innover » dans ces conditions impliquera qu’il abdique une part de sa liberté pédagogique au nom du modèle idéologique en question.

Ce sera également notre conclusion.

Notes

[1] Crédit photo : Lee Carson (Creative Commons By-Sa)




Le Monde et Libé main dans la main pour nous pondre des éditos serviles et crétins

Hamed Saber - CC byJe me souviens d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C’était avant Internet. La presse avait un surnom : le quatrième pouvoir. Et il me plaisait d’y croire à ce contre-pouvoir, face aux autres pouvoirs incarnés par l’État.

Aujourd’hui, j’ai de plus en plus de peine à y croire. Jusqu’à ne plus y croire du tout lorsqu’il s’agit d’aborder « Internet ».

Que Sarkozy s’empare d’un rapport pour venir nous faire une proposition qui frise le ridicule avec sa « taxe Google », nous y sommes malheureusement désormais habitués, Hadopi étant encore (et pour longtemps) dans toutes les mémoires. Mais que des journaux aussi prestigieux que Le Monde et Libération, reprennent le même jour, sans aucun recul, cette proposition, en tentant bien maladroitement de la justifier, c’est nouveau et c’est plus que décevant[1].

Mais qu’est-ce donc que cette « taxe Google » ?

Florent Latrive (journaliste à… Libération !) la résume fort bien dans son excellent et cinglant billet La taxe Google, symbole cache-misère sur son blog Caveat Emptor :

Il n’est surtout nulle part question que cette taxe soit une source de revenus supplémentaires pour les artistes et créateurs. Elle vise simplement à compenser dans le budget de l’Etat une série de dépenses en faveur des industries culturelles, et notamment la carte jeune musique ou l’extension du crédit d’impôt pour la production musicale. Si ces dépenses auront, c’est le minimum, pour effet indirect d’assurer quelques rentrées à la filière, on ne trouve pas là trace d’une nouvelle ligne de recettes susceptibles d’apporter un revenu pérenne et conséquent aux créateurs. On taxe la pub, et on subventionne la vente de musique. Il ne s’agit pas là de rémunérer la filière sur la base d’une nouvelle circulation des oeuvres et de nouveaux partages de la valeur ajoutée, mais d’instaurer un micro-bricolage fiscal, tout en continuant, via Hadopi, la guerre au public et à ses pratiques de partage sur les réseaux.

Et Guillaume Champeau de surenchérir sur Numerama, un brin énervé :

Puisque la France et l’Europe sont incapables de favoriser l’émergence de grands acteurs de l’internet, autant taxer les sucess stories américaines pour financer ses industries vieillissantes.

Ajoutons à cela qu’elle s’annonce techniquement inapplicable (ça ne vous rappelle rien ?), puisque comme nous le précise Rue89, il sera fort délicat, pour ne pas dire impossible, de tout aussi bien choisir les sites à taxer, empêcher l’évasion fiscale et dénombrer les internautes français.

L’idée est donc définitivement mauvaise. Et, même si ça n’est pas forcément agréable à lire, on ne s’étonnera pas de se faire plus ou moins gentiment chambrer par le reste du monde.

Mais nos deux grands quotidiens ont eux décidé de passer outre…

Qu’est-ce que l’éditorial, ou l’édito, d’un journal ? C’est en quelque sorte la « signature » du journal, voire même parfois sa « vitrine idéologique ». Et comme c’est important, on ne va pas en confier la plume à n’importe qui : ce sont souvent les directeurs ou les rédacteurs en chef qui s’y collent.

Or donc ici, c’est rien moins que l’éditorial de ces deux journaux qui est sollicité pour jouer, j’exagère à peine, les porte-paroles du gouvernement. Les titres de l’un comme de l’autre sont évocateurs et en parfaite symbiose : « Juste » pour Libération et « Une taxe juste » pour Le Monde. Le parallèle est saisissant, à croire qu’ils se sont passés le mot.

L’édito de Libération : « Juste »

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Par Laurent Joffrin (directeur du journal) – 8 janvier 2010

Internet, notre ennemi ? Voilà bien la manière la plus niaise de poser le problème de la création et de la presse en ligne. Le réseau mondial porte en lui un tel progrès de civilisation – culture et information à la disposition de tous sur un simple clic – qu’il est ridicule d’invoquer cette dichotomie sommaire.

Ce serait effectivement ridicule, mais alors pourquoi le rappeler en introduction ? On est à la limite de la faute avouée à moitié pardonnée.

Non, l’ennemi est plus insidieux, et plus dangereux : c’est le tout gratuit, en ligne ou ailleurs.

Qu’est-ce que le « tout gratuit » ? Je n’en ai personnellement aucune idée. Toujours est-il que « l’ennemi » est donc désigné et que l’on se trouve face à une autre dichotomie sommaire dans laquelle on souhaiterait nous enfermer : gratuit contre payant. Le refrain est désormais connu, occultons totalement la constitution de biens communs, le partage de ressources sous licences libres et ouvertes (gratuites ou payantes) et les échanges non marchands. C’est pourtant aussi et surtout là qu’Internet est susceptible d’être un « progrès de civilisation ».

Pendant des lustres, les ravis de la fausse modernité nous ont expliqué que la gratuité totale, par des sources principalement publicitaires, créerait son modèle économique. On s’aperçoit aujourd’hui que cette prophétie n’a aucune réalité pour les producteurs de contenus culturels (musique, livres, cinéma, information…)

Merci de cet aveu. Il fallait effectivement être bien naïf pour croire ces « ravis de la fausse modernité » (on veut des noms !).

Quelques géants, agrégateurs comme Google ou fournisseurs d’accès Internet, ont capté l’essentiel des revenus. Le libre marché a créé cette originale répartition des tâches : les créateurs de contenu supportent les dépenses, les diffuseurs perçoivent les recettes.

Mélangeons allègrement deux entités aussi hétéroclites que Google et un fournisseur d’accès pour en faire d’étranges boucs émissaires à qui on reproche d’avoir « capté » les revenus des contenus.

Les premiers subissent déficits, précarité et licenciements, les autres amassent des montagnes d’argent.

Non, non, on ne nous parle pas de la crise des subprimes mais bien de la crise des industries culturelles (qui, contrairement à la première, n’inquiète qu’elles-mêmes). Toujours est-il que « les autres », vautrés sur des montagnes d’argent injustement récolté, sont coupables. Il est alors sain et logique de les punir par une taxe en faveur des pauvres victimes.

Dès lors, le rapport Zelnik est dans le vrai quand il cherche le moyen de rééquilibrer une situation qui mènera sans cela à l’anémie et au formatage des contenus.

Classique. On confond un problème (réel) avec l’une des solutions (plus que discutable) pour le traiter. On ne s’y est pas pris autrement pour justifier l’Hadopi. « Dès lors… », le raisonnement est un peu court et l’affirmation péremptoire. Si vous ne voulez pas d’une presse malade (anémie) et uniforme (formatage des contenus) alors vous ne pouvez qu’adhérer au rapport Zelnik et à sa taxe Google. La ficelle est un peu grosse mais CQFD.

Et ce qui vaut pour la musique vaut, a fortiori, pour l’information, dont le rôle civique est évident.

Journalisme et musique, même combat dans l’adversité, d’où l’existence de cet édito. Et c’est encore pire avec le journalisme dont l’évidence du rôle civique est telle qu’il convient tout de même de le rappeler.

A moins de considérer, dans un rêve ultralibéral, qu’en raison d’un commandement du Saint Marché, créateurs et journalistes doivent désormais vivre d’amour et d’eau fraîche.

J’ai connu Libération moins critique vis-à-vis de l’économie de marché. Mais résumons-nous : Internet tend vers un tout gratuit capté par un Google causant tristesse et désolation dans le monde des « vrais » producteurs de contenus culturels. La taxe est juste, la taxe est la solution.

L’édito du Monde : « Une taxe juste »

URL d’origine du document
Non signé – 8 janvier 2010

Taxer Google. En prenant position, jeudi 7 janvier, lors de ses voeux à la culture, en faveur d’une fiscalisation des revenus publicitaires en ligne des géants d’Internet, Nicolas Sarkozy fait-il preuve de démagogie ou, au contraire, de cohérence ? Un peu des deux. Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain. Les maisons de disques, par exemple, ont longtemps refusé de prendre au sérieux les évolutions technologiques, préférant profiter des revenus considérables qu’elles tiraient du CD.

Départ identique à l’édito précédent (Internet n’est pas l’ennemi, etc.). On est lucide parce qu’on a bien compris la démagogie de la proposition, mais comme c’est aussi de nous, les journalistes et notre avenir dont il s’agit, on va tenter malgré tout de vous en montrer sa cohérence (si possible sans recourir aux forceps).

D’un autre côté, la position des moteurs de recherche, Google en tête – l’immense majorité des internautes français entrent sur la Toile avec lui -, devient intenable.

Intenable pour qui exactement ? On pourrait d’ailleurs faire également le même procès à Microsoft et ses ventes liées (lui aussi basé fiscalement en Irlande soit dit en passant). Ce qui donne alors : « D’un autre côté, la position des systèmes d’exploitation, Windows en tête – l’immense majorité des utilisateurs français entrent en informatique avec lui -, devient intenable ».

Depuis des années, Google profite de contenus qu’il n’a pas créés et qui ne lui appartiennent pas : musiques, films, livres, presse, produits audiovisuels… Google ne paie presque rien et il rend les contenus gratuits. Pire, il capte des pages de publicité, et donc des revenus, qui devraient aller à d’autres.

Pareil que tout à l’heure. Google capte, profite sans donner, et rend tout gratuit. On ne va pas dire que Google est un voleur, mais on en a tout de même fortement envie. « Il est facile de pointer uniquement le grand méchant loup américain », disait-on pourtant en préambule. Que Google pose de nombreuses questions et de nombreux problèmes est une évidence, mais aborder aussi radicalement le débat ne risque pas de faire avancer les choses.

Le résultat est ravageur : hormis le cinéma, qui se porte bien – la magie de la salle opère toujours -, la musique est sinistrée, la presse souffre, le livre est menacé.

Et n’oublions pas aussi qu’en 2012 c’est l’Apocalypse. Et il semblerait, mais c’est à vérifier, que Google n’y soit cette fois-ci pour rien.

Comment convaincre des consommateurs de musique de payer pour un produit qu’ils peuvent trouver gratuitement ? Lorsque l’on a 20 ans, que l’on a grandi une souris à la main, que le plaisir d’un meilleur son ou d’une belle pochette de disque compte moins, la mission paraît impossible.

J’invite l’éditorialiste du Monde, fin connaisseur de la jeunesse, à lire l’article de Jean-Pierre Archambault, Gratuité et prix de l’immatériel, pour constater qu’à l’impossible nul n’est tenu.

Ces dernières années, les gouvernements ont, pour punir les fraudeurs, multiplié les textes de loi et accumulé les maladresses. La filière musicale, elle, a pris beaucoup de retard dans la mise en place d’une offre riche et attractive.

Donc, en toute logique, si on tire les leçons du passé, il n’y a aucune raison de ne pas se trouver en face d’une nouvelle maladresse. Mais pas du tout…

Dès lors, les mesures incitatives, préconisées par le rapport de la mission Création et Internet, présidée par l’éditeur Patrick Zelnik, sont justes. Et juste aussi l’idée de financer celles-ci par une taxe sur la publicité en ligne. Le rapport aurait pu aller plus loin en mettant à contribution les autres grands bénéficiaires du système que sont les fournisseurs d’accès.

Le mimétisme avec Joffrin me laisse songeur. Ils ont dû s’enfermer ensemble dans une pièce commune pour nous rédiger cela, c’est la seule explication. Jusqu’à la même locution « Dès lors… ». En tout cas, le raisonnement (bancal) et la conclusion (partiale) sont en tout point identiques, jusqu’à l’inclusion des fournisseurs d’accès dans le même galère que Google.

Restent deux difficultés. La faisabilité, d’abord. Dans un monde dématérialisé, évaluer les recettes spécifiquement françaises et contraindre des entreprises étrangères à acquitter leur dû fiscal en France ne sera pas simple.

Cette première difficulté est une impossibilité.

Cela suppose aussi de bouleverser la philosophie d’Internet, réseau créé pour permettre la circulation libre du savoir. Pour les artistes et auteurs, ce serait justice. Pour les utilisateurs, ce sera une révolution culturelle.

Pincez-moi ! Suis-je bien en train de lire un éditorial du Monde ? S’en prendre à la libre circulation du savoir sur Internet serait une nouvelle « révolution culturelle » ???

Une partie de moi-même s’en trouve glacé d’effroi ! (surtout la partie « bobo de gauche », qui n’a pas encore totalement disparue)

On pourrait en rire si ça n’était point si grave. Parce que, mine de rien, ces deux éditos, consciemment ou non, nous préparent magnifiquement à l’épisode suivant qui participe du même état d’esprit, à savoir la mise en place du filtrage du Net et la remise en cause de sa neutralité.

La peur est décidément mauvaise conseillère. Monsieur Joffrin, vous aviez raison tantôt de rappeler le rôle civique de la presse, parce qu’il y a des jours, comme ce 8 janvier 2010, où il peut nous être permis d’en douter.

Notes

[1] Crédit photo : Hamed Saber (Creative Commons By)




Ne pas entrer à reculons dans la société et l’économie numériques

Tibchris - CC by« Il est possible de rémunérer les auteurs, de payer le juste prix et de ne pas payer ce qui est devenu gratuit. Et il est important de cesser d’entrer à reculons dans la société et l’économie numériques. »

Telle est la conclusion de Gratuité et prix de l’immatériel, le nouvel article de Jean-Pierre Archambault que nous vous proposons aujourd’hui. Il n’apporte fondamentalement rien de plus que ce que tout lecteur du Framablog connaissait déjà. Mais l’agencement des faits, la pertinence des exemples et l’enchaînement des arguments en font une excellente synthèse en direction du grand public. Á lire et à faire lire donc[1].

Je ne résiste d’ailleurs pas à vous recopier d’emblée cette petite fiction que l’on trouvera dans le paragraphe en faveur de la licence globale, histoire de vous mettre l’eau à la bouche : « Supposons que, dans le monde physique, ait été inventée une technologie miracle qui permette de remplacer immédiatement, à l’identique et sans aucun coût, tout CD retiré des bacs d’une surface de distribution. Dans un tel monde, il apparaîtrait impensable que des caisses soient disposées en sortie de magasin afin de faire payer les CD emportés par les clients : celui qui part avec 100 CD cause en effet exactement le même coût que celui qui part avec 10 CD ou encore que celui qui part avec 1 000 CD, c’est à dire zéro ! En revanche, personne ne comprendrait que des caisses ne soient pas installées à l’entrée, afin de facturer l’accès à une telle caverne d’Ali Baba. »

Gratuité et prix de l’immatériel

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Jean-Pierre Archambault – CNDP et CRDP de Paris – Chargé de mission Veille technologique et coordonnateur du Pôle de compétences logiciels libres du SCÉREN – Médialog n°72 – Décembre 2009

Internet bouleverse les modalités de mise à disposition des biens culturels et de connaissance. Dans l’économie numérique, le coût de production d’une unité supplémentaire d’un bien (musique, film, logiciel…) étant, pour ainsi dire, nul, que doit-on payer ?
La réflexion sur les logiciels libres, biens communs mis à la disposition de tous, peut contribuer à éclairer la question des relations complexes entre gratuité, juste prix et légitime rémunération des auteurs.

Le thème de la gratuité est omniprésent dans nombre de débats de l’économie et de la société numériques, qu’il s’agisse de morceaux de musique, de films téléchargés, ou de logiciels qui, on le sait, se rangent en deux grandes catégories : libres et propriétaires. Les débats s’éclairent les uns les autres, car ils portent sur des produits immatériels dont les logiques de mise à disposition ont beaucoup de points communs.

Concernant les logiciels, « libre » ne signifie pas gratuit. La méprise peut venir de la double signification de free en anglais : libre, gratuit. À moins que son origine ne réside dans le fait qu’en pratique il y a toujours la possibilité de se procurer un logiciel libre sans bourse délier. Il peut s’agir également d’une forme d’hommage à la « vertu » des logiciels libres, et des standards ouverts. En effet, à l’inverse des standards propriétaires qui permettent de verrouiller un marché, ceux-ci jouent un rôle de premier plan dans la régulation de l’industrie informatique. Ils facilitent l’entrée de nouveaux arrivants, favorisent la diversité, le pluralisme et la concurrence. Ils s’opposent aux situations de rentes et de quasi monopole. De diverses façons, les logiciels libres contribuent à la baisse des coûts pour les utilisateurs. Par exemple, l’offre gratuite, faite en 2008 par Microsoft, sur sa suite bureautique en direction des enseignants, mais pas de leurs élèves, est une conséquence directe de la place du libre en général, d’OpenOffice.org en particulier, dans le paysage informatique. Et, c’est bien connu, les logiciels libres sont significativement moins chers que leurs homologues propriétaires.

Gratuit car payé

Il peut arriver que la gratuité brouille le débat. Elle n’est pas le problème. Les produits du travail humain ont un coût, le problème étant de savoir qui paye, quoi et comment. La production d’un logiciel, qu’il soit propriétaire ou libre, nécessite une activité humaine. Elle peut s’inscrire dans un cadre de loisir personnel ou associatif, écrire un programme étant un hobby comme il en existe tant. Elle n’appelle alors pas une rémunération, la motivation des hackers (développeurs de logiciels dans des communautés) pouvant résider dans la quête d’une reconnaissance par les pairs. En revanche, si la réalisation se place dans un contexte professionnel, elle est un travail qui, toute peine méritant salaire, signifie nécessairement rémunération. Le logiciel ainsi produit ne saurait être gratuit, car il lui correspond des coûts. Et l’on sait que dans l’économie des biens immatériels, contrairement à l’économie des biens matériels, les coûts fixes sont importants tandis que les coûts marginaux (coûts de production et diffusion d’un exemplaire supplémentaire) sont peu élevés. Dupliquer un cédérom de plus ou fabriquer un deuxième avion, ce n’est pas la même chose. Télécharger un fichier ne coûte rien (sauf l’accès au réseau).

Mais, même quand un logiciel n’est pas gratuit, il le devient lorsqu’il a été payé ! Enfin, quand il est sous licence libre. Qu’est-ce à dire ? Prenons le cas d’un client qui commande la réalisation d’un logiciel à une société et la lui paye intégralement, dans une relation de sous-traitance. Un travail a été fait et il est rémunéré. Si, en plus, le client a conservé ses droits de propriété sur le logiciel et décide de le mettre à disposition des autres sous une licence libre, le dit logiciel est alors librement et gratuitement accessible pour tout un chacun. Exit les licences par poste de travail. Bien commun, un logiciel libre est à la disposition de tous. À charge de revanche, mais c’est l’intérêt bien compris des uns et des autres de procéder ainsi, même s’il est vrai qu’il n’est pas toujours évident d’enclencher pareil cycle vertueux… Autre chose est de rémunérer des activités de service sur un logiciel devenu gratuit (installation, adaptation, évolution, maintenance…). Même si, ne versons pas dans l’angélisme, la tentation existe de ne pas développer telle ou telle fonctionnalité pour se ménager des activités de service ultérieures.

Il en va pour l’informatique comme pour les autres sciences. Les mathématiques sont libres depuis vingt-cinq siècles. Le temps où Pythagore interdisait à ses disciples de divulguer théorèmes et démonstrations est bien lointain ! Les mathématiques sont donc libres, ce qui n’empêche pas enseignants, chercheurs et ingénieurs d’en vivre.

Argent public et mutualisation

Le libre a commencé ses déploiements dans les logiciels d’infrastructure (réseaux, systèmes d’exploitation). Dans l’Éducation nationale, la quasi totalité des logiciels d’infrastructure des systèmes d’information de l’administration centrale et des rectorats sont libres. Il n’en va pas (encore…) de même pour les logiciels métiers (notamment les logiciels pédagogiques), mais cette situation prévaut en général, que ce soit dans les entreprises, les administrations, les collectivités locales ou dans des filières d’activité économique donnée.

Dans L’économie du logiciel libre[2], François Elie, président de l’Adullact (Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales), nous dit que l’argent public ne doit servir à payer qu’une fois ! Comment ne pas être d’accord avec pareille assertion ? En effet, si des collectivités territoriales ont un besoin commun, il n’y a aucune raison pour qu’elles fassent la même commande au même éditeur, chacune de son côté dans une démarche solitaire, et payent ce qui a déjà été payé par les autres. François Elie propose la mutualisation par la demande.

L’Éducation nationale est certes une « grande maison » riche de sa diversité, il n’empêche qu’il existe des besoins fondamentalement communs d’un établissement scolaire à l’autre, par exemple en matière d’ENT (espaces numériques de travail). Pourquoi des collectivités territoriales partiraient-elles en ordre (inutilement trop) dispersé ? Alors, qu’ensemble, elles peuvent acheter du développement partagé ou produire elles-mêmes. Et, dans tous les cas, piloter et maîtriser les évolutions. Ce qui suppose d’avoir en interne la compétence pour faire, ou pour comprendre et « surveiller » ce que l’on fait faire, aux plans technique et juridique. Dans le système éducatif, les enseignants ont la compétence métier, en la circonstance la compétence pédagogique, sur laquelle fonder une mutualisation de la demande, la production par les intéressés eux-mêmes se faisant dans des partenariats avec des éditeurs publics (le réseau SCÉREN) et privés. L’association Sésamath en est l’illustration majeure mais elle n’est pas seule : il y a aussi AbulEdu, Ofset, les CRDP…[3].

L’argent public ne doit servir qu’une fois, ce qui signifie une forme de gratuité selon des modalités diverses. C’est possible notamment dans l’équation « argent public + mutualisation = logiciels libres ». Le libre a fait la preuve de son efficacité et de ses qualités comme réponse à la question de la production de ce bien immatériel particulier qu’est le logiciel. Rien d’étonnant à cela. La production des logiciels restant une production de connaissances, contrairement à d’autres domaines industriels, elle relève du paradigme de la recherche scientifique. L’approche du logiciel libre, à la fois mode de réalisation et modalité de propriété intellectuelle, est transférable pour une part à d’autres biens, comme les ressources pédagogiques. Le logiciel libre est également « outil conceptuel » pour entrer dans les problématiques de l’économie de l’immatériel et de la connaissance.

Gratuité et rémunération

Revenons sur les coûts fixes et marginaux dans l’économie à l’ère du numérique. L’économie de l’information s’est longtemps limitée à une économie de ses moyens de diffusion, c’est-à-dire à une économie des médias. Elle ne peut désormais plus se confondre avec l’économie du support puisque les biens informationnels ne sont plus liés rigidement à un support donné. L’essentiel des dépenses était constitué par les coûts de production, de reproduction matérielle et de distribution dans les divers circuits de vente. Aujourd’hui, les techniques de traitement de l’information, la numérisation et la mise en réseau des ordinateurs permettent de réduire les coûts de duplication et de diffusion jusqu’à les rendre à peu près nuls. Dans ces conditions, la valeur économique de l’information ne peut plus se construire à partir de l’économie des vecteurs physiques servant à sa distribution. De nouvelles sources de valeur sont en train d’apparaître. Le modèle économique de mise en valeur de l’information déplace son centre de gravité des vecteurs physiques vers des services annexes ou joints dont elle induit la consommation ou qui permettent sa consommation dans de bonnes conditions (services d’adaptation d’un logiciel au contexte d’une entreprise, de facilitation de l’accès à des ressources numérisées, commerce induit sur des produits dérivés, etc.).

Le copyright, qui défend principalement l’éditeur contre des confrères indélicats, aussi bien que le droit d’auteur, qui défend principalement l’auteur contre son éditeur, ont ceci en commun qu’ils créent des droits de propriété sur un bien abstrait, l’information[4]. Tant que cette information est rigidement liée à un vecteur physique, c’est-à-dire tant que les coûts de reproduction sont suffisamment élevés pour ne pas être accessibles aux particuliers, ces droits de propriété peuvent être imposés aisément. Mais le monde bouge…

Les débats sur la loi Création et Internet dite « loi Hadopi » ont tourné autour de la gratuité et de la rémunération des auteurs (et des éditeurs !). Face aux difficultés de recouvrement du droit d’auteur dans l’économie numérique, certains pensent manifestement que la solution réside dans le retour au modèle classique de l’information rigidement liée à son support physique, ce que certaines techniques de marquage pourraient permettre, annulant ainsi les bienfaits économiques de la numérisation et de la mise en réseau. Mais le rapide abandon des DRM (Digital Rights Management ou Gestion des Droits Numériques en français) qui se sont révélés inapplicables (après le vote en 2006 de la transposition en France de la directive européenne DADVSI[5] ) aurait tendance à démontrer le caractère illusoire de ce genre d’approche. Beaucoup pensent qu’un sort identique arrivera aux dispositions contenues dans la « loi Hadopi », que ces façons (anciennes) de poser les problèmes (nouveaux) mènent à une impasse. Pour, entre autres, les mêmes raisons de non faisabilité : le droit se doit d’être applicable. On sait, par ailleurs, que le Conseil constitutionnel a, dans un premier temps censuré le volet sanction de la « loi Hadopi », considérant que le droit de se connecter à Internet relève de la liberté de communication et d’expression et que ce droit implique la liberté d’accès à Internet (seule une juridiction peut être habilitée à le suspendre). Il a estimé que le texte conduisait à instituer une présomption de culpabilité.

Dans le cas d’un transfert de fichier, nous avons déjà signalé que le coût marginal est nul. Que paye-t-on ? Une part des coûts fixes. Mais il arrive un moment où la réalisation du premier exemplaire est (bien) amortie. D’où ces situations de rentes dans lesquelles on paye un fichier téléchargé comme s’il était gravé sur un support physique qu’il aurait fallu fabriquer et acheminer. De plus, l’économie générale des productions (les best sellers et les autres titres) d’un éditeur évolue avec Internet. Dans son ouvrage La longue traîne, Chris Anderson[6] théorise le principe de la longue traîne dans lequel la loi des 20/80 (20% des produits font 80% du chiffre d’affaires) disparaît avec Internet qui, en réduisant les coûts de fabrication et de distribution, permet à tous les produits qui ne sont pas des best-sellers (qui constituent des longues traînes) de rapporter parfois jusqu’à 98% du chiffre d’affaires.

Une licence globale

Il y a donc des questions de fond. Quel est le prix des biens culturels dématérialisés ? Quels doivent être leurs modes de commercialisation ? Alain Bazot, président de l’UFC-Que choisir, les pose[7]. Rappelant qu’un support physique a un coût et qu’il est « rival »[8], que l’on peut multiplier les fichiers numériques d’une oeuvre pour un coût égal à zéro, il en tire la conclusion que « la dématérialisation, parce qu’elle permet un partage sans coût de la culture, parce qu’elle constitue un accès à l’information et à l’art pour tous, remet fondamentalement en cause les modèles économiques existants. Dès lors, il apparaît essentiel de proposer de nouvelles formes de rémunération pour allier les avantages d’Internet à une juste rétribution des artistes/créateurs ». Et comme « dans une économie de coûts fixes, distribuer un ou 10 000 MP3 ne fait pas varier le coût de production », il est plus pertinent « de faire payer l’accès et non pas la quantité. Ce mode de commercialisation, apparu avec la commercialisation de l’accès à internet (le forfait illimité), est le modèle consacré par l’économie numérique ».

Et, pour illustrer le propos, Alain Bazot s’appuie sur une fiction fort pertinente de Nicolas Curien : « Supposons que, dans le monde physique, ait été inventée une technologie miracle qui permette de remplacer immédiatement, à l’identique et sans aucun coût, tout CD retiré des bacs d’une surface de distribution. Dans un tel monde, il apparaîtrait impensable que des caisses soient disposées en sortie de magasin afin de faire payer les CD emportés par les clients : celui qui part avec 100 CD cause en effet exactement le même coût que celui qui part avec 10 CD ou encore que celui qui part avec 1 000 CD, c’est à dire zéro ! En revanche, personne ne comprendrait que des caisses ne soient pas installées à l’entrée, afin de facturer l’accès à une telle caverne d’Ali Baba. »[9]

On retrouve donc la « licence globale », financée par tous les internautes ou sur la base du volontariat, mais également financée par les fournisseurs d’accès qui ont intérêt à avoir des contenus gratuits pour le développement de leurs services. En effet, comme le dit Olivier Bomsel[10], la gratuité est aussi un outil au service des entreprises, pour conquérir le plus rapidement possible une masse critique d’utilisateurs, les innovations numériques voyant leur utilité croître avec le nombre d’usagers, de par les effets de réseau.

Des créateurs ont déjà fait le choix du partage volontaire de leurs oeuvres numériques hors marché. Philippe Aigrain envisage une approche partielle (expérimentale dans un premier temps ?) dans laquelle les ayants droit qui « refuseraient l’inclusion de leurs oeuvres dans un dispositif de partage hors marché garderaient le droit d’en effectuer une gestion exclusive, y compris par des mesures techniques de protection ou par des dispositifs de marquage des oeuvres protégés contre le contournement ». Mais, « ils devraient cependant renoncer à imposer des dispositifs destinés à leurs modèles commerciaux dans l’ensemble de l’infrastructure des réseaux, appareils ou procédures et sanctions. »[11]

Enfin, s’il existe des modèles économiques diversifiés de l’immatériel, il ne faut pas oublier certains fondamentaux. C’est le reproche que Florent Latrive fait à Chris Anderson, « archétype du Californien hype », en référence à son livre paru récemment Free : « Dans son monde, les modèles économiques ne sont l’affaire que des seules entreprises. C’est un monde qui n’existe pas. Chris Anderson zappe largement le rôle de l’État et de la mutualisation fiscale dans sa démonstration. C’est pourtant fondamental : cela fait bien longtemps que l’importance sociale de certains biens, matériels ou immatériels, justifie l’impôt ou la redevance comme source de financement principale ou partielle. La santé gratuite en France n’implique pas le bénévolat des infirmières et des médecins. La gratuité de Radio France ne fait pas de ses journalistes des crève-la-faim »[12]. Effectivement, la santé et l’éducation représentent des coûts importants (des investissements en fait). La question posée n’est donc pas celle de leur gratuité mais celle de l’organisation de l’accès gratuit pour tous aux soins et à l’éducation. La réponse s’appelle sécurité sociale et école gratuite de la République financée par l’impôt.

Il est possible de rémunérer les auteurs, de payer le juste prix et de ne pas payer ce qui est devenu gratuit. Et il est important de cesser d’entrer à reculons dans la société et l’économie numériques.

Notes

[1] Crédit photo : Tibchris (Creative Commons By-Sa)

[2] François Elie, L’économie du logiciel libre, Eyrolles 2009.

[3] Voir J-P. Archambault, « Favoriser l’essor du libre à l’École » , Médialog n°66 et J-P Archambault, « Un spectre hante le monde de l’édition », Médialog n°63.

[4] Concernant la rémunération des auteurs, rappelons qu’elle ne représente en moyenne que 10% du prix d’un produit.

[5] Droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information

[6] Chris Anderson, La longue traîne, 2ème édition, Pearson 2009.

[7] Alain Bazot, « La licence globale : il est temps d’entrer dans l’ère numérique ! », billet posté sur le blog Pour le cinéma – La plateforme des artistes en lutte contre la loi Hadopi

[8] Un bien rival (ou bien privé pur) est un bien pour lequel une unité consommée par un agent réduit d’autant la quantité disponible pour les autres agents.

[9] Nicolas Curien, « Droits d’auteur et Internet : Pourquoi la licence globale n’est pas le diable ? », Janvier 2006.

[10] Olivier Bomsel, Gratuit ! Du développement de l’économie numérique, Folio actuel, 2007.

[11] Philippe Aigrain Internet & création, InLibroVeritas, 2008.

[12] Le modèle économique est un choix éditorial




L’avenir d’Internet selon Laurent Chemla

Roby Ferrari - CC by-saÉcrivain, informaticien et cofondateur du registrar français Gandi, Laurent Chemla est l’une des rares personnes en France capables de véritablement « penser l’Internet », et ce depuis ses origines ou presque.

Je me souviens ainsi avoir particulièrement apprécié son livre Confessions d’un voleur : Internet, la liberté confisquée et la vision pertinente qu’il donnait alors du réseau. Et son article, plus de dix ans déjà, Internet : Le yoyo, le téléporteur, la carmagnole et le mammouth demeure pour moi une solide référence.

C’est pourquoi je félicite InLibroVeritas d’avoir eu la bonne idée de le solliciter pour conclure l’excellent livre chorale La bataille Hadopi. Et pour se rappeler que ce livre, tout comme l’Agenda 2010 Wikimedia d’ailleurs, est plus que jamais disponible à la vente (et au bénéfice de La Quadrature du Net), nous avons choisi d’en reproduire donc ci-dessous ce deuxième extrait, après La neutralité du réseau de Benjamin Bayart.

L’article est, par sa longueur (et non sa pertinence), à la limite du format blog, puisqu’il dépasse allègrement, pensez-donc, la centaine de messages Twitter à lui tout seul ! Mais, que vous le parcouriez ici ou ailleurs, il vaut la peine de s’extirper quelques minutes du flux pour faire le point et tenter d’anticiper ensemble un avenir qui s’annonce mouvementé pour les uns et passionnant pour les autres[1].

Analyse, Synthèse, Prospective

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Laurent Chemla – Octobre 2009 – La Bataille Hadopi (InLibroVeritas)
Licence Creative Commons By-Sa et Licence Art Libre

Je l’avoue, j’ai vu le film « District 9 » un mois avant sa sortie en France, en version Hadopisée.

Certes, les extra-terrestres étaient sous-titrés en russe, mais la bande-son était bien en français. Et il s’agissait d’un « cam », c’est à dire d’une capture faite dans une salle de cinéma dans des conditions plus ou moins bonnes et un cadrage quelquefois défaillant.

Est-ce que je le regrette ? Pas davantage que quand je regardais sur ma petite télévision noir et blanc d’étudiant des films que je n’avais pas pu aller voir sur un grand écran en couleurs. Dans les deux cas, l’œuvre est dénaturée, redécoupée, adaptée à un usage qui n’est pas celui que l’auteur avait prévu.

J’ai économisé le prix de la place : pour un film que je n’ai pas aimé et que je n’aurais pas été voir en salle, je ne vois pas très bien où est le problème. Il me semble d’ailleurs que le statu quo ante, même s’il était passé dans les mœurs, n’était peut-être pas si normal que ça : quand j’achète un produit qui s’avère défectueux, ou qui ne convient pas à l’usage que le vendeur m’avait promis (ici : me divertir), je suis en règle générale remboursé… Payer pour voir, je veux bien le faire au poker – c’est un jeu – mais pas pour mes loisirs : quand je paie ma place de cinéma, je ne vois pas au nom de quel droit je devrais avoir une chance de perdre.

Pourtant, c’est illégal. Aujourd’hui.

Les lois changent. Elles naissent, vivent, et meurent. Elles suivent l’évolution des pratiques sociales et des connaissances scientifiques. L’esclavage a existé pendant des millénaires, et le statut de l’esclave a fait l’objet de bien des lois, mais personne, aujourd’hui, n’oserait s’attribuer la propriété d’un autre être humain. Le droit d’auteur n’existe comparativement que depuis peu, mais les tenants de l’ordre établi semblent vouloir absolument qu’il n’évolue que dans le sens où l’auteur aurait toujours plus de droits sur son œuvre et la société toujours moins. Est-ce bien raisonnable ?

À première vue ça semble une évidence : l’auteur est le propriétaire de ce qu’il crée. Mais si on creuse un peu ?

Sans tous ceux qui l’ont précédée et inspirée, une œuvre pourrait-elle exister ? Et sans la société qui l’entoure, ses modes, ses espérances et ses souffrances, l’auteur pourrait-il puiser dans sa seule expérience ce qui fera que son émotion sera partagée par le plus grand nombre ? Bien sûr que non, et c’est la raison pour laquelle les premières lois encadrant le droit d’auteur, à commencer par le statut d’Anne en 1710, étaient des lois d’équilibre entre les intérêts de l’auteur et ceux de la société.

Depuis, loi après loi, siècle après siècle, cet équilibre a largement été rompu au profit non seulement des auteurs mais aussi de tous leurs représentants, au point peut-être de nuire – bien plus que le piratage – à la diffusion de la culture. Que penser par exemple de la durée de protection des œuvres après la mort de l’auteur : passée de 5 ans à l’époque de Mirabeau, 50 ans au 19ème siècle et dans la convention de Berne, puis 70 ans en Europe aujourd’hui, ces durées excessives créent des rentes de situation pour des éditeurs qui ont, du coup, bien d’avantage intérêt à rééditer des ouvrages déjà rentabilisés que de risquer la publication d’œuvres nouvelles. Elle est loin l’époque du Front Populaire où Jean Zay prévoyait – avant d’être assassiné par la milice de Vichy – de limiter de nouveau à 10 ans cette durée avant laquelle un livre pouvait être diffusé par n’importe qui.

Il semble pourtant qu’un tel rééquilibrage soit non seulement devenu nécessaire, mais surtout résolument inévitable.

Et pour commencer : si les privilèges excessifs des auteurs n’étaient pas si criants, il est probable que je me sentirais bien plus coupable lorsque je bafoue leurs droits. Car la loi ne fait pas tout, et l’éthique, ici, pourrait jouer un bien plus grand rôle si seulement le public ne se sentait pas lui-même bafoué. Devenu par la volonté des producteurs un simple consommateur d’une œuvre transformée en produit de supermarché, comment s’étonner s’il ne respecte pas davantage une chanson qu’une pomme tombée d’un étalage ? Et quand a-t’on vu un chanteur ou un acteur remercier lors d’une remise de prix – au-delà de sa famille et de ses amis – la société qui a rendu sa création possible ?

Les droits de paternité de la société sur les œuvres qu’elle produit sont niés, refusés, abrogés au point que l’on oublie jusqu’à leur existence. Mais ils se rappellent d’eux-mêmes au bon souvenir de chacun par le biais de la morale. Car qui se sent aujourd’hui coupable de pirater une chanson dont l’auteur a vendu des millions d’exemplaires et qui fera la fortune de ses enfants et de ses petits-enfants après lui, quelle que soit la quantité de copies illicites qui seront diffusées ? Qui se sent coupable de regarder sans payer un blockbuster qui a déjà plus que largement été un succès outre-atlantique ?

On aura beau agiter l’épouvantail ridicule de la fin de toute création (il suffit de s’être connecté un jour à Internet pour constater de soi-même l’inanité de cet argument, la création est partout et n’a jamais été aussi vivante) : le public, lui, sent bien qu’il ne commet là rien de répréhensible, et aucune loi ne peut aller contre un tel sentiment de justice.

Il faudra donc, si le monde de la culture ne veut pas se couper définitivement de sa base populaire et voir ainsi disparaître le lien qui fait qu’on a envie de rémunérer celui qui nous montre une image de ce que nous sommes, que quelque chose change. Et justement, quelque chose a changé.

Par sa seule existence, Internet a plusieurs effets incontournables : la disparition des intermédiaires, la disparition des frontières, un modèle déflationniste et une nature décentralisée qui le rend non régulable.

D’abord, il tend à faire disparaître les intermédiaires. Ce qui aura surtout des effets dans le monde de la musique et de l’édition. Pourquoi en effet s’encombrer d’un éditeur ou d’une maison de disque quand on peut distribuer soi-même son livre, ou son album, à la terre entière ? Et se faire connaître sur YouTube en filmant un clip suffisamment décalé pour créer du buzz ; et en multipliant ses contacts sur FaceBook et ses followers sur Twitter, et en publiant des billets bien cinglants sur son blog de manière à préparer la sortie de son livre sur InLibroVeritas ?

Bien sûr, ces pratiques ne concernent pas encore la grande majorité des œuvres. Mais la tendance est là pourtant. Sans vouloir être exhaustif, on peut citer des artistes comme Yelle, les Artic Monkeys, Lilly Allen, Lorie et encore beaucoup d’autres qui sont arrivés dans le show business sans passer par les voies habituelles. Et ça ne fait que commencer bien sûr.

Et que dire de la diminution drastique des ventes de musique physique : ironiquement ce sont les majors qui ont initié le mouvement. En préférant la grande distribution aux réseaux de petits disquaires (ils étaient près de 3000 dans les années 70, il n’en restait que moins de 300 à l’aube du 21ème siècle), l’industrie musicale a choisi de pouvoir mieux contrôler les offres de têtes de gondole sans avoir à passer par la critique d’un vendeur passionné. Seulement voilà : Internet se développe, et la logique de concentration de l’offre disparaît du jour au lendemain. à l’espace physique limité dans les bacs des hypermarchés et des FNAC répond la mise à disposition de tous les trésors de nos discothèques, depuis longtemps sortis des stocks et introuvables légalement. Ces albums, qui auraient pu continuer à être vendus par des petites échoppes spécialisées, ont disparu partout, sauf sur Internet. Et Internet fait, bien sûr, de la concurrence à ces chaînes de distribution contrôlées, menant à une réaction toute logique de la grande distribution : ce qui ne se vend plus n’est plus mis en rayon. Le disque se vendant moins, la surface qu’il occupait dans les supermarchés diminue, créant de nouveau un appel d’air pour la distribution en ligne. C’est un cercle vertueux qui lui aussi ne fait que commencer.

On peut sans grand risque parier que, dans un futur proche, l’offre physique aura ainsi presque totalement disparu. Mais elle ne disparaîtra pas seule.

Car qui dit disparition des intermédiaires dit aussi et très logiquement baisse des coûts. Là où il fallait presser des milliers de disques pour être présent dans tous les points de vente physiques en nombre suffisant, il n’y aura plus que de petits pressages, destinés aux passionnés qui ne se satisferont pas de la dématérialisation totale de l’œuvre numérique. Un stock réduit, donc, qui entraînera avec lui quelques industriels spécialisés dans le packaging des CD. Et puisque les majors n’auront plus à leur service une chaîne de distribution captive, il leur deviendra bien difficile de diriger le client vers le dernier chanteur sorti du néant pour vendre de la soupe industrielle préformatée. Alors, que va-t’il se passer ?

D’abord, il faudra bien que soit répercutée sur le prix public la disparition des intermédiaires et des stocks. Le client n’est pas idiot, et si on persiste à vouloir lui vendre de simples fichiers de musique compressée au prix où on lui vendait dans le passé un objet physique de qualité supérieure et disponible immédiatement là où il avait l’habitude de faire ses courses, il n’aura pas de scrupule à aller voir du côté de l’offre pirate. Faire payer autant pour un service et une qualité moindres, c’est à l’évidence un non-sens commercial qui ne pourra que se retourner contre ses tenants.

Ensuite, il faudra bien que les majors acceptent de s’adapter à la réalité plutôt que de vouloir plier celle-ci à des modèles dépassés. Quand dans le passé un artiste devait accepter des contrats léonins pour avoir une chance de convaincre une maison de disque de le « signer », il est probable que dans le futur le rapport de force soit inversé.

L’auteur, surtout celui qui aura pu commencer à se faire un nom sans l’aide de personne, sera dès lors courtisé par des éditeurs qui auront grand intérêt à écumer le web pour ne pas rater la future star. Et il faudra lui offrir autre chose qu’un simple réseau de distribution pour le convaincre : si elle ne lui offre pas des services bien réels, un musicien talentueux n’aura aucune raison de traiter avec une major. Il faudra que celle-ci lui accorde non seulement de bien meilleures conditions, tant matérielles que techniques, mais aussi qu’elle assure sa promotion autrement qu’en lui promettant la tête d’une gondole qui aura coulé depuis longtemps.

C’est ainsi que, probablement, on verra les petits labels indépendants prendre de plus en plus d’importance. Ironiquement, ce sont ceux qui souffrent le plus de la situation actuelle – ils sont bien plus précaires que ces intermédiaires inutiles qui se plaignent de voir fondre leurs bénéfices – auront leur revanche. Une infrastructure moins lourde et plus à même de naviguer dans les réseaux sociaux et les nouveaux médias à la mode, une spécialisation qui leur permettra de cibler un public moins large, mais plus fidèle, et qui leur sera reconnaissant de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie, des packagings innovants pour ceux qui souhaitent posséder un objet physique et une qualité d’enregistrement supérieure pour ceux qui se satisferont de musique dématérialisée, tels seront les atouts de nouveaux intermédiaires à valeur ajoutée.

Encore plus important pour l’avenir : la disparition des frontières de l’information.

On mesure encore mal toutes les implications d’une telle révolution. Encore aujourd’hui, il n’est pas rare par exemple de trouver le même disque, le même DVD, pour un tarif 2 ou 3 fois moins élevé sur la version grand-bretonne d’Amazon que sur son équivalent français (le dernier disque du duo « Basement Jaxx, « Scars », sorti le mois dernier, coûte 11 euros sur amazon.co.uk contre 17 euros sur amazon.fr). La preuve est ainsi faite que l’internaute moyen n’est pas encore très au fait du fait qu’il est libre de comparer les prix bien au-delà de ses propres frontières nationales, puisque les marchands n’hésitent pour le moment pas à établir des tarifs en fonction des marchés nationaux.

Mais les choses changeront vite et j’en veux pour preuve l’émergence de services tels que « myus.com », qui permettent aux plus malins de déjouer les tentatives des marchands d’interdire l’achat à qui ne dispose pas d’une adresse postale sur leur territoire. Il semble bien que – même pour les biens matériels – la notion de territoire n’en ait plus pour très longtemps.

Et dans les nombreux effets qu’une telle disparition va causer, il y aura la révolution de ce qu’on appelle la « chronologie des médias », qui va toucher de plein fouet l’industrie cinématographique.

Mise en place dans les années 1980 pour protéger les exploitants de salles de cinéma de la concurrence de la télévision et des supports enregistrés, cette « chronologie » établit une durée minimale entre la sortie d’un film en salle et sa diffusion sous forme d’abord de DVD ensuite télévisuelle.

Dans un monde de frontières intangibles, il fallait pour voir un film avant sa sortie en France se déplacer physiquement dans un pays où il était déjà diffusé (et de préférence en comprendre la langue). Dans le monde où Internet abolit toute notion de frontière physique pour les contenus culturels, il ne passe pas 24 heures avant qu’un petit malin n’enregistre discrètement sur sa caméra vidéo ce qui passe sur le grand écran qu’il regarde. Et pas plus d’une semaine avant que des équipes de toutes nationalités ne sous-titrent le film ainsi mis à la disposition de tous sur les réseaux P2P.

Et c’est ainsi que je peux regarder « District 9 » un mois avant sa sortie en France.

Alors, bien sûr, on pourrait mieux surveiller toutes les salles obscures de tous les pays en y mettant quelques forces de l’ordre chargées d’interdire l’enregistrement du film, on pourrait ensuite faire fermer tous les sites web qui diffusent des liens vers la copie pirate, on pourrait enfin interdire la traduction et punir les gens qui auront téléchargé le film.

On pourrait faire tout ça, mais force est de dire que ce serait très difficile, pour ne pas dire impossible. Alors qu’il serait si simple d’abolir, purement et simplement, toute cette notion de « chronologie des médias ».

C’est entendu : le producteur d’un film ou d’une série américaine aurait dès lors bien du mal à vendre son produit aux télévisions étrangères pour une diffusion décalée dans le temps. Mais ce type de commerce avait un sens lorsqu’il n’existait pas de moyens de diffusion planétaire : aujourd’hui qu’est-ce qui empêcherait – sinon les usages établis – la chaîne Fox de diffuser via son site web des versions de bonne qualité, et sous-titrées dans toutes les langues, de sa série « Dr House » ? Des accords commerciaux, d’accord, mais nul n’oblige cette chaîne à passer de tels accords dans le futur pour ses prochaines séries.

On verrait alors des coupures de publicité – pourquoi pas spécifiques à telle ou telle langue – dans les fichiers librement diffusés par leurs auteurs, sur des serveurs à fort débit. Rien de bien différent de ce qui se passe sur leur télévision nationale, donc. Quant aux diffuseurs des autres pays, il leur restera la possibilité de diffuser des versions doublées plutôt que sous-titrées, ou mieux encore ils feront le choix de créer eux-mêmes des séries d’une qualité suffisante pour attirer un public devenu mondial. C’est la conséquence logique d’une disparition des frontières, et tout mouvement pour contrer cette pente naturelle finira tôt ou tard par se heurter au réel. La chaîne CBS semble l’avoir compris la première, elle qui a récemment annoncé qu’elle n’avait pas l’intention de demander le retrait des séries diffusées sans autorisation sur YouTube : selon elle, la diffusion pirate n’a causé aucun préjudice à l’audience.

Quant aux films de cinéma, qui font de plus en plus souvent l’objet de sorties mondiales, il deviendra de plus en plus difficile de retarder de plusieurs années leur diffusion sur d’autres médias : il existera toujours une attente pour voir sur petit écran des films même pendant qu’ils seront diffusés en salles obscures. L’évolution la plus probable est peut-être à chercher du côté du film de Yann Arthus Bertrand : « Home » a en effet été diffusé dans le même temps à la télévision et sur grand écran, et cela dans tous les pays à la fois. Ce qui ne l’a pas empêché d’être un succès en salle, et d’être pendant plusieurs semaines en tête des ventes de DVD à la FNAC alors même qu’il était parallèlement disponible gratuitement sur Internet. De quoi réfléchir à un futur de la diffusion cinématographique moins sclérosé ?

On entend souvent, comme justification pour la loi Hadopi, qu’il faut absolument empêcher le piratage pour qu’une offre légale puisse se développer. Selon les tenants de cet argument, il serait impossible d’offrir une offre payante s’il existe en face une offre gratuite.

Ca semble logique, mais est-ce pour autant recevable ? Cet état de fait n’est nullement limité aux industries culturelles. Partout, depuis l’avènement du Web, les offres payantes sont concurrencées par des alternatives gratuites. L’information, en premier lieu, en sait quelque chose : toujours à la recherche d’un modèle économique qui tienne un peu la route, les sites d’information payants doivent tous faire face à la diversité et à la gratuité des sources. Et que dire de l’industrie du logiciel commercial, qui doit faire face à la concurrence de plus en plus importante du logiciel libre ? Faudrait-il aussi interdire Linux pour que Windows puisse rester payant ? Et quid des sites de petites annonces, de comparaison des prix et de la qualité des produits… La liste serait aussi longue que celle des activités commerciales au-delà des seuls biens matériels.

Il est bien rare qu’il n’existe aucune contrepartie gratuite, créée par des passionnés, ou financée par d’autres moyens, d’autres modèles économiques, à un site payant. Pour autant, nul n’oserait affirmer qu’à cause de cette concurrence aucun site payant ne peut exister : là encore le réel viendrait démentir lourdement l’argument. Mais il est certain que cet état de fait pousse l’offre commerciale vers la plus grande valeur ajoutée possible – pour se démarquer des offres gratuites moins étoffées – et vers des tarifs toujours plus bas : c’est l’effet déflationniste d’Internet.

Alors, bien sûr, on rétorquera que Linux n’est pas une copie de Windows et qu’à ce titre il n’enfreint pas les lois sur la propriété intellectuelle. Outre qu’une telle affirmation devrait être fortement nuancée (on vient par exemple d’apprendre que certains brevets de Microsoft avaient été rachetés par les grands groupes qui soutiennent Linux pour éviter de futurs procès), la question n’est pas tant la contrefaçon en elle-même que dans le mensonge sous-tendant l’argument de l’impossibilité d’une offre dite « légale » en face de l’offre dite « pirate ».

En 2003 – 6 ans déjà – Philippe Chantepie, alors chargé de mission au ministère de la Culture, affirmait « Il ne s’agit pas d’interdire le P2P, mais d’imaginer une offre alternative cohérente ». On mesure là non seulement l’immense recul de la réflexion politique depuis que le problème se pose, mais surtout le retard pris par l’industrie du disque dans la mise en place d’une telle offre.

Car si l’on reprend les différents modèles des services payants d’Internet, il n’est pas difficile de voir comment une offre légale cohérente pourrait prendre toute sa place sans pour autant légiférer dans l’urgence pour interdire toute alternative comme condition d’une telle offre.

D’abord, le maximum de valeur ajoutée, ensuite un tarif cohérent avec l’existence d’une offre gratuite. Or, que manque-t’il à l’offre « pirate » ? Pas mal de choses en réalité.

À l’évidence, sinon une centralisation de l’offre contraire aux usages d’Internet, au moins la mise en place d’un index centralisé permettant de savoir où acheter la version numérisée du disque que l’on cherche : que ce soit sur le site de l’artiste ou chez un revendeur, il sera nécessaire de faciliter l’achat en laissant à Google le soin de se charger – forcément moins bien – de l’offre concurrente.

Ensuite il faut bien entendu qu’à chaque titre de l’album soient attachées les paroles (s’il y a lieu), mais aussi l’index du titre dans l’album, la date de publication, le genre musical… Et qu’à chaque album soient attachés l’image de la jaquette ainsi que tous les textes et photos présents dans le boitier du CD physique. Bref, tout ce qui fera la différence entre une offre professionnelle et la numérisation faite au bon gré des amateurs qui ne prendront jamais le temps d’être aussi complets que des professionnels.

Il faudra aussi passer aux oubliettes le format MP3 : quelle que soit la qualité de numérisation choisie, ce format implique une perte de qualité par rapport à l’original numérique. Or si la compression des fichiers ainsi obtenue avait une raison d’être il y a quelques années, l’énorme augmentation de la taille de stockage des disques durs ainsi que de la bande passante des accès modernes ne nécessite plus depuis longtemps qu’on se contente d’une qualité moindre. Il faudra donc que les industriels se mettent d’accord sur un format « sans perte » qui sera adopté n’en doutons pas très rapidement par les fabricants de lecteurs portables.

Enfin, bien entendu, il faudra revoir à la baisse le prix d’un album numérique. Outre le fait qu’il coûte moins cher à produire que le disque physique – fait qui à lui seul devrait impliquer un tarif largement moindre – il faudra aussi que ce prix prenne en compte la disparition des intermédiaires que l’on a déjà vue, et qu’en soit donc déduite la part qui leur revenait.

Ainsi, si l’industrie musicale cessait de croire qu’elle pourra forcer le monde à faire marche arrière, on voit aisément la forme que devrait avoir la fameuse « offre légale » pour concurrencer avec succès tout ce que le monde de la flibusterie pourra lui opposer : l’exhaustivité de l’offre, des albums numériques aussi complets que leur équivalent physique, d’une qualité numérique irréprochable et à un prix « défiant toute concurrence ». Là sera le salut du modèle payant, et certainement pas dans la lutte illusoire pour faire disparaître toute concurrence.

Gageons qu’un jour viendra bientôt où nos majors cesseront de dépenser leur fortune en lobbying pour enfin se mettre au travail et nous présenter une alternative payante digne de ce nom. Il est plus que temps. Car, pendant qu’elles combattent des moulins à vent, l’offre pirate de qualité s’étoffe et – surtout – les artistes, auteurs, interprètes qu’elles avaient laissés de côté ont bel et bien commencé à s’organiser pour diffuser leurs albums sur les plates-formes de musique libre (dogmazic, jamendo, magnatune…) et pour mettre en place des systèmes de rémunération innovants (SARD).

Pourtant, quoi qu’elles fassent, l’essor de la culture libre semble largement irréversible aujourd’hui, comme l’était celui du logiciel libre il y a 10 ans.

Si les informaticiens ont compris les premiers que le partage de l’information était nécessaire à la création de logiciels toujours plus innovants, ce n’est peut-être pas un hasard. Le droit d’auteur dans le domaine du logiciel est récent, et avant les années 1970 il n’était même pas certain qu’il s’y applique. D’autant plus que les fabricants d’ordinateurs, en concurrence les uns avec les autres, se devaient d’offrir à leurs clients une base logicielle la plus large possible, et à cet effet n’hésitaient pas à diffuser très largement les outils permettant de développer ces logiciels (y compris le code source de ceux qu’ils avaient eux-même développés). Aujourd’hui encore, il n’est guère surprenant de voir des fabricants comme IBM soutenir le logiciel libre : la main-mise d’un unique vendeur de logiciel – Microsoft – sur le marché qui le fait vivre est un risque industriel qu’une grande entreprise ne peut pas se permettre. Il se doit donc de faire en sorte que la concurrence s’exerce au maximum pour ne pas dépendre d’une offre unique.

L’art libre, au-delà des aspects philosophiques qui président à sa nécessaire existence, n’est lui-même pas étranger à ces notions économiques. Entre des majors toutes-puissantes et des indépendants peu connus qui ont du mal à exister dans un marché en pleine crise, les artistes ont peu de choix s’ils n’ont pas eu la chance d’être remarqués par les unes ou les autres. Ainsi, l’image du musicien qui se déplaçait avec sa maquette pour tenter d’obtenir quelque passage à la radio est désormais remplacée par celle du génie qui, par son seul talent, va émerger de la masse anonyme qui diffuse ses œuvres sur Internet.

L’histoire n’est évidemment pas si simple, et il ne suffit pas d’être excellent pour être remarqué. Il faut aussi savoir se servir de cet outil, en connaître les moteurs, comprendre comment faire du « buzz » ou disposer du temps nécessaire pour se créer peu à peu une audience, bref : être un bon commerçant de sa propre image. Là où dans le passé l’artiste se reposait sur ses producteurs pour être mis en avant, il doit désormais apprendre à faire ce travail préalable seul, à peine aidé par les plates-formes de diffusion de culture libre. Sans même parler de vendre assez pour vivre, l’urgence sur Internet est de savoir se faire connaître. Et dans cette optique, il sera mal vu de demander à ses futurs clients de payer d’abord. La culture « libre » a de beaux jours devant elle, de la même manière qu’à mon époque il fallait, pour se faire un nom dans le milieu de la programmation, faire des « démos » largement diffusées pour prouver son talent.

À cet égard, la nouvelle génération née avec un clavier d’ordinateur entre les mains aura à court terme un avantage décisif sur ses parents, et il est probable que de plus en plus de nos idoles soient issues de cette culture du libre. Rompues aux réseaux sociaux, disposant depuis toujours d’une base « d’amis » et de « suiveurs », habituées à partager leur quotidien, nos nouvelles stars n’auront pas à apprendre ces notions pour atteindre une renommée que les anciens espéraient à peine. Élevés dans la logique de partage d’Internet, nos enfants n’hésiteront pas à diffuser librement leurs œuvres tant qu’ils n’auront pas atteint la notoriété nécessaire pour vivre de leur passion. Et même alors, ils sauront sans doute éviter les pièges d’une logique entièrement commerciale tant qu’ils seront eux-mêmes concurrencés par leurs pairs et l’offre gratuite qui persistera.

Loin de risquer la sclérose annoncée par les hérauts du tout-marchand, la culture va connaître, grâce à Internet, une nouvelle Renaissance.

Reste que pour qu’il soit le moteur annoncé de l’évolution du droit d’auteur, ainsi que d’une offre culturelle plus large, moins chère et de meilleure qualité, il faudra qu’Internet ne soit pas bâillonné par des lois rétrogrades visant à empêcher son essor.

Il ne passe guère de jour sans que tel ou tel homme politique ne nous assène qu’il faut – à tout prix – réguler ce « far-west » où seule la loi du plus fort s’appliquerait.

Bien sûr, cette caricature tient beaucoup au fait que la plupart d’entre eux n’apprécient guère de se voir porter la contradiction par de simples citoyens sur la place publique, habitués qu’ils étaient à disposer seuls de l’attention des médias anciens. Mais pour certains cela va plus loin, et la volonté de contrôler tout l’espace médiatique est telle qu’ils n’hésiteront pas à tenter de museler un espace de liberté qu’ils considèrent comme un vrai danger.

Ils ont raison.

Non pas qu’Internet soit un espace de non-droit : cette idée ridicule a toujours été battue en brèche tant les divers procès qui ont accompagné son évolution ont montré que le droit s’y appliquait avec toute sa rigueur. Quant aux fantasmes du pirate néo-nazi pédophile, nos élites sont plus promptes à les dénoncer dans le cyberespace (où la très grande majorité d’entre nous ne les a jamais croisé) que dans les rangs de leurs amis politiques ou médiatiques… La démagogie a du mal à exister dans un lieu où la contradiction est accessible à tout un chacun et où rien ne s’oublie.

Non : le vrai danger, pour eux, est dans la démonstration quotidienne de leur aveuglement. Plus ils crient que la gratuité n’existe pas et que le marché est tout-puissant, plus leurs concitoyens constatent l’inverse dans ce vaste réseau de partage des connaissances et des opinions. Plus ils affirment que la liberté de parole est dangereuse pour la démocratie, plus le succès des blogs politiques augmente. Plus ils expliquent qu’ils ne maîtrisent pas ces nouveaux outils – relégués à d’obscurs assistants parlementaires, plus le nombre de familles connectées croît.

Alors ils légifèrent. Depuis 1995 et la première émission de télévision traitant du phénomène Internet, on ne compte plus les lois qui ont tenté de « réguler » (lire « contrôler ») ce nouveau média. Le premier, François Fillon avait tenté en 1997 déjà de créer un « Conseil Supérieur de l’Internet » qui devait avoir la haute main sur tout ce qui était publié sur le Web. Déjà, il fut censuré par le Conseil Constitutionnel. Vinrent ensuite diverses tentatives, de droite comme de gauche, toutes avortées. La Commission Beaussant (qui cherchait à imposer aux hébergeurs, par contrat, l’obligation de respecter les décisions d’un comité Théodule chargé de censurer les sites irrévérencieux) dont le rapport fut mis au panier. L’amendement Bloche, tellement remanié par nos deux assemblées qu’il n’en est presque rien resté après son passage devant les mêmes sages. La LCEN de 2004, si stricte dans la forme qu’elle en est presque inapplicable. Et la DADVSI de 2006, qui impose le respect de mesures de protection anti-piratage abandonnées depuis par quasiment tous les industriels…

Une longue suite d’échecs patents qui – forcément – ridiculisent par avance les tentatives futures.

Car il n’est pas facile de faire des lois (forcément nationales) pour encadrer Internet (fondamentalement international). Le réseau est mouvant, il change quotidiennement et ses usages sont loin d’être établis. Il mute bien plus vite que nos législateurs ne sont capables de le prévoir. Hadopi n’était pas encore adoptée que ses contre-mesures étaient déjà en place. Et la future LOPPSI, dernière resucée de ces tentatives de créer une police privée chargée de la censure du réseau, se heurtera sans doute et malgré le volontarisme affiché de notre Président aux mêmes écueils que ses prédécesseurs : l’article 11 de notre Constitution est difficilement contournable, et Internet n’a jamais été prévu pour être centralisé de manière à permettre quelque contrôle que ce soit.

Cependant, ces essais ont bel et bien un effet. Mais sans doute pas celui que nos gouvernants espèrent…

Il y a à ce jour 28 millions d’abonnés à Internet en France. Plus d’un foyer sur deux est connecté. Très bientôt, la majorité de nos concitoyens auront goûté à la liberté d’expression que permet (enfin) cet outil. Qui peut dire aujourd’hui ce que signifie le fait que 28 millions de personnes aient désormais, dans ce pays, accès à la parole publique ?

Que deviendront les mondes associatifs et politiques quand ils verront arriver le flux de millions de gens désormais habitués à prendre la parole ? Que sera cet avenir où tout citoyen pourra non seulement débattre publiquement de ses opinions, mais aussi apprendre à les confronter à d’autres, mais encore réussir à se convaincre que sa parole est toute aussi importante que n’importe quelle autre. Que sera un monde dans lequel les enfants n’auront plus à demander la parole pour l’obtenir, au gré des parents et des maîtres, puis des médias et des politiciens ?

En s’attaquant à la liberté d’expression sur Internet, comme ils le font en critiquant, légiférant et Hadopisant, ils ne font pas que se heurter à une technologie définitivement non régulable. Ils lèvent aussi, contre eux, toute une génération de futurs acteurs qui seront devenus conscients de leur pouvoir et de leurs actes, et qui auront été formés comme jamais au fonctionnement de nos institutions, comme le sont tous les gamins qui ont suivi les débats et les méandres du feuilleton d’Hadopi.

Ils élèvent, de fait, tous ceux qui les enterreront par des compétences acquises à la dure – et autre part que sur les bancs bien sages de Science-Po et de l’ENA. Car que dire sinon la désolation que provoque l’écoute de ces politiciens professionnels, visiblement dépassés par un dossier qu’ils ne maîtrisent pas, qui avouent leur méconnaissance totale de cet outil pourtant utilisé par la majorité de leurs électeurs, et qui tremblent de peur devant cette évolution qu’ils n’ont ni voulue ni prévue ?

Comment croyez-vous que va réagir l’étudiant né dans le monde numérique quand il écoute un député annonçant des arguments débiles (« dans 20 ans plus personne n’achètera de CD », quel visionnaire !), mauvais orateur, répétant à l’envi des antiennes largement démontrées comme étant de purs mensonges ? Que croirez-vous qu’il se dira, sinon qu’un député grassement payé à ne presque rien faire ne mérite pas son poste ?

Car c’est vers ça qu’on se dirige, si vous m’en croyez. La révolution ne viendra pas des urnes, ou pas seulement, mais bien surtout de la réaction non aux idées mais à l’indigence des débats publics quand on les compare à la richesse des débats numériques.

Combien de bloggeurs d’aujourd’hui seront nos penseurs de demain ? Et quel talent, si l’on les compare à nos tristes habitués des plateaux télé. Quel verbe que celui d’un simple utilisateur de Twitter, habitué à faire passer son opinion en seulement 140 caractères, quand on le compare aux discours mal rédigés par des attachés parlementaires bien pâlots.


Et que croyez-vous que pensent tous ces utilisateurs d’Internet, lorsqu’ils s’envoient des adresses de billets tous plus intelligents les uns que les autres, quand ils constatent la bêtise flagrante de ceux qui sont sensés les représenter mais ne représentent finalement que les intérêts des grands industriels pourvoyeurs de financements politiques et de futures reconversions dans des postes de parachutistes dorés ?

Certes, il faudra du temps. On ne passe pas du jour au lendemain de MSN à la politique. Mais ce temps-là sera passé en lutte, et ces luttes accoucheront d’hommes d’État, je veux le croire, plutôt que d’hommes politiques. Elle seront menées contre la réaction à une évolution nécessaire et inéluctable de nos sociétés, et parce qu’elle se heurteront à cette réaction, elles ne feront guère de réactionnaires. Et les premiers mouvements comme les différents « partis pirates » d’Europe ne sont que les prémices d’un futur qui balaiera je l’espère la caste des parlementaires, idiots inutiles de la République.

C’est vrai : nul ne peut dire ce qu’il adviendra. Mais je peux sans trop de risque, après avoir observé l’évolution d’Internet depuis plus de 17 ans maintenant – déjà – prédire que le futur ne sera pas rose pour ces politiciens qui n’ont jamais connu de réelle concurrence et qui vont devoir s’y résigner.

Notes

[1] Crédit photo : Roby Ferrari (Creative Commons By-Sa)




Google Chrome : All your data are belong to us !

Ma photo du gribouillage Ubuntu sur une publicité Windows ayant fait étonnamment couler beaucoup d’encre, je vous en propose une autre aujourd’hui.

Elle n’est pas de moi, ne concerne pas Microsoft, et est sur le fond certainement plus intéressante, puisqu’il ne s’agit pas ici de mettre maladroitement en valeur une alternative libre à un produit propriétaire, mais de rappeler (certes illégalement) la principale menace que représente Google.

Bisonbison - CC by-nc-sa

Ainsi donc un irrévérencieux et non invité « Toutes vos données nous appartiennent ! », s’est subrepticement intercalé dans le tentant espace vierge laissé par l’affiche. Nous ne sommes plus comme avec Ubuntu dans la substitution mais dans l’ajout d’information de type… Wikipédia (sic), à la petite différence près que l’auteur du méfait s’est inventé lui-même un bouton « modifier » 😉

Si l’on en croit les informations sur Flickr, elle a été prise par Bisonbison, le 4 janvier 2010, à Édimbourg en Écosse, via, joli paradoxe, l’objectif d’un iPhone (sous licence Creative Commons By-Nc-Sa, la photo pas l’iPhone).

Au delà de l’anecdote, c’est aussi et surtout l’occasion pour moi d’évoquer ici brièvement la campagne médiatique sans précédent engagée actuellement par Google pour faire gagner des parts de marché à son navigateur Chrome (qui, pour rappel, prépare la venue de son futur système d’exploitation du même nom).

Sur ses propres sites (moteur de recherche…), dans le métro londonien (escalators inclus) et tout récemment parisien, sur les sites des grands médias totalement encerclés (Le Figaro, Il Corriere Della Sera…), en ouverture des journaux gratuits et donc dans la rue, en simple affiche ou carrément en délirant calendrier de l’Avent qui arrête les passants !

C’est la première fois que Google sort ainsi de sa tanière du Web et cela tient de tout sauf d’un hasard