iPad et éducation sont des mots qui ne vont pas bien ensemble

Rego - CC by-saLe site OpenSource.com étant soutenu par Red Hat qui soutient également le projet OLPC, il n’est guère étonnant de les voir réagir lorsque l’on se permet d’affirmer que l’iPad pourrait être meilleur que le petit ordinateur vert pour enfants pour lutter contre la fracture numérique.

Difficile de leur donner tort.

Il faut dire que d’un côté on a un produit pensé pour les enfants (cf cet extrait vidéo de Télématin et l’interface pédagogiquement révolutionnaire Sugar) et de l’autre un énième produit Apple aussi beau dehors que totalement vérrouillé dedans[1].

L’éducation et l’architecture de contrôle de l’iPad

Education and the iPad’s architecture of control

Gunnar Hellekson – 4 février 2010 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : Poupoul2 et Daria)

Comme la plupart des travaux de Jonathan Ive, l’iPad est beau. Comme la plupart des réalisations d’Apple, cet appareil me met également mal à l’aise. Je m’apprêtais à rédiger quelque chose à propos de ce sentiment d’inconfort, lorsque j’ai découvert avec plaisir que Timothy B. Lee et d’autres avaient déjà fait cela pour moi. Dans « Pourquoi les Geeks détestent l’iPad, « Le Crépuscule des bidouilleurs et « Rien de créatif, nous sommes entraînés dans une analyse minutieuse de ce que nous sacrifions lorsqu’Apple nous contraint à échanger flexibilité et liberté contre une nouvelle machine qui brille. Je crois qu’on peut appliquer la même analyse à l’iPhone, l’iTouch, ainsi qu’à toute l’électronique grand public qui trône sur les étagères d’Apple.

En d’autres termes, l’iPad et ses frères ne sont pas des ordinateurs personnels. Ce sont les ordinateurs d’Apple. Le matériel lui-même est hermétiquement fermé, décourageant ainsi quiconque souhaitant l’améliorer ou savoir comment il fonctionne. La plateforme logicielle est largement propriétaire. Le si vanté AppStore, qui a apporté à l’informatique grand public la même simplicité d’installation et de gestion des applications que celle dont bénéficie les utilisateurs de logiciel libre depuis des années, est strictement contrôlé au profit des intérêts d’Apple. Posez la question à Google !

Pour autant, cela ne fait pas d’Apple le diable. Ils ont bien sûr le droit de produire autant d’appareils beaux et verrouillés qu’ils le souhaitent. Il est pourtant important de comprendre ce que vous abandonnez en adoptant l’architecture de contrôle douillette d’Apple. Dans ce contexte, Andrea Di Maio, du Gartner Group, nous propose une argumentation étrange : « l’iPad d’Apple pourrait faire plus pour les gouvernements que l’OLPC ». Je pardonne à DiMaio son enthousiasme pour l’iPad (il a certes un joli look), mais sa suggestion que l’iPad est supérieur à l’OLPC en matière d’éducation démontre une très sérieuse méconnaissance du projet OLPC.

En bref, son argument est le suivant : « Il est bon marché, et suffisamment simple d’utilisation; les gouvernements pourraient donc l’utiliser pour vaincre la fracture numérique dans l’éducation.»

L’OLPC a été conçu dans le but de fournir aux étudiants une plateforme créative, pas uniquement un ordinateur portable bon marché. Il ne s’agit pas de proposer aux étudiants une copie bon marché de Microsoft Office et un portable à 100$. L’OLPC est passionnant parce que les principes de bidouillabilité et de partage sont au cœur du projet. Le portable lui-même a été conçu avec du logiciel libre, garantissant que la collaboration et l’innovation pouvaient s’étendre au plus profond de ses tripes. L’innovant réseau maillé a supprimé le besoin d’une infrastructure centralisée ; les étudiants sont automatiquement connectés les uns aux autres, et si un étudiant dispose d’une connexion à Internet, tous en bénéficient. Les connexions sont ad hoc, le partage est disponible par défaut, et les applications fournies par l’OLPC ont été réalisées collaborativement. Exception faite de la viabilité commerciale, je crois qu’il s’agit là d’une expérience pédagogique passionnante. Les fruits de cette expérience sont visibles au Brésil sur cette vidéo.

Imaginez un moment l’iPad comme plateforme pour l’éducation. Comment les enfants peuvent-ils collaborer sur une telle plateforme ? Comment peuvent-ils, comme M. Lee, triturer ses entrailles ? Comment les étudiants peuvent-ils construire leurs propres applications ? Les étudiants ne peuvent rien faire de tel sans autorisation d’Apple. C’est inquiétant.

De la même manière, l’exploitation par les fournisseurs de services et de contenus est aussi un motif d’inquiétude sur une plateforme aussi fermée que l’iPad. Une plateforme fermée simplifie la mise en place de contrôles rigides sur le type de contenu proposé aux étudiants. Pensez simplement à la mainmise d’AT&T sur le service iPhone, et étendez cela aux livres de toute une académie. Ce contrôle monopolistique est déjà un problème pour les consommateurs de technologies aisés et raffinés. C’est un désastre pour les moins nantis et c’est catatrophique pour les pays en voie de développement. Livrer 100 iPad à un village de l’Ouest africain ou à une école qui essaie d’émerger dans l’académie du Mississippi, ce n’est pas de la charité, c’est une paire de menottes.

Alors, lorsque M. Di Maio suggère que l’iPad est supérieur à l’OLPC pour l’éducation, je m’interroge ! Qu’espère-t-il d’un programme de formation certifiée Apple tel que One to One ? L’objectif est-il de mettre un appareil connecté dans les mains de chaque étudiant, quel qu’en soit le prix pour la liberté de l’école et de l’étudiant, ou devrions-nous plutôt fournir des outils qui encouragent les étudiants à apprendre les uns des autres, à partager leurs succès, et à permettre de créer un environnement dans lequel ils peuvent résoudre eux-mêmes leurs propres problèmes ? Je crois que l’éducation, c’est de la créativité, de l’ingéniosité et du partage ; toutes ces caractéristiques étant bien plus puissantes qu’un navigateur Web portable, aussi joli soit-il.

Notes

[1] Crédit photo : Rego (Creative Commons By-Sa)




Des statistiques plus qu’encourageantes pour OpenOffice.org

viZZZual.com - CC byUn site allemand a réalisé une étude originale sur l’usage planétaire et comparée des différentes suites bureautiques, MS Office et OpenOffice.org en tête.

L’échantillon est relativement faible (200 000 personnes) et la méthode pas forcément très fiable (à partir des polices installées sur les ordinateurs, sachant de plus qu’installation n’équivaut pas forcément à utilisation au quotidien), mais il n’empêche qu’elle dessine une carte du monde où OpenOffice.org possède une non négligeable part de marché[1].

Et qu’est-ce qui l’empêcherait de suivre la même dynamique ascendante que Firefox ? s’exclame alors un Glyn Moody des plus enthousiastes !

Remarque : Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, je signale également, mais vous le saviez déjà, que la version 3.2 vient de voir le jour avec plein d’intéressantes améliorations dedans.

L’irrésistible ascension d’OpenOffice.org a-t-elle commencé ?

Has the Irresistible Rise of OpenOffice.org Begun?

Glyn Moody – 8 février 2010 – ComputerWorld
(Traduction Framalang : Julien et Martin)

OpenOffice.org - StatistiquesLes lecteurs assidus de ce blog savent déjà que je suis un grand fan d’OpenOffice.org, et que je pense qu’il a le potentiel pour percer auprès du grand public. Peut-être que cette percée a déjà commencé, à en juger par ces récents chiffres (ci-contre) de Webmasterpro.de :

« Les statistiques ont été recueillies au moyen d’une nouvelle méthodologie : plus de 200 000 visiteurs du monde entier ont été analysés par le service de statistiques FlashCounter. En listant (via l’utilisation de Javascript) quelles polices de caractères étaient installées sur le système, nous avons pu identifier les suites bureautiques installées. »

Même répartis tout autour de la planète, ces 200 000 utilisateurs ne sont pas très nombreux, donc je prendrais ces chiffres avec des pincettes. Mais même dans leur orientation générale, ils sont assez significatifs. Par exemple, la Pologne compte 22% pour OpenOffice.org contre les 68% de Microsoft Office ; la République Tchèque compte aussi 22% contre 76% ; tandis que l’Allemagne fait bien avec 21% et 72%. Les pays suivants en ordre décroissant sont la France, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, la Belgique, la Suède et l’Autriche.

Le Royaume-Uni, c’est presque inutile de le préciser, tourne misérablement avec 9% – comme les États-Unis – aux côtés d’un massif et moutonnier 80% d’utilisation de Microsoft Office (75% aux États-Unis). La honte.

Ce qui est intéressant dans ces chiffres – en particulier les nombres élevés dans certains pays – est que cela place OpenOffice.org dans la même position de parts de marché que Firefox occupait il y a quelques années. Ce qui soulève deux questions intéressantes. Premièrement, sommes-nous en train d’assister à l’émergence du même type de trajectoire ascendante, et deuxièmement, comment la communauté open source peut-elle propulser plus rapidement OpenOffice.org le long de cette trajectoire ?

Comme Simon Phipps l’a à juste titre souligné sur Twitter, cette rapide évolution n’est pas le meilleur moment pour qu’Ubuntu retire OpenOffice.org de sa prochaine édition pour Netbook : au contraire, il devrait faire tout son possible pour promouvoir cette suite bureautique si son souci affirmé est d’élargir l’écosystème du logiciel libre. Peut-être bien que c’est quelque chose à quoi devrait réfléchir Matt Asay dans la première semaine de sa prise de fonction en tant que Directeur général de Canonical…

Notes

[1] Crédit photo : viZZZual.com (Creative Commons By)




iPad is iBad for freedom

iPad is iBad for freedomLa présentation de l’iPad par Steve Jobs le 27 janvier dernier à San Fransisco a fait grand bruit dans la presse.

Personne n’a évoqué les quelques hurluberlus du groupe Defective by Design qui sont venus, pancartes à la main, sur le perron de la conférence pour tenter, non pas de perturber la grand-messe, mais d’alerter les invités sur les dangers du modèle Apple.

C’était peine perdue mais c’était courageux. En cliquant sur l’image ci-contre vous aurez un agrandissement de cette pancarte.

« Vous entrez dans une zone restreinte contrôlée par Apple où le logiciel libre, le partage et l’installation libre d’applications depuis Internet n’existent pas, sachant de plus qu’Apple peut à tout moment décider de modifier ou supprimer le contenu de votre appareil. Votre ordinateur est notre ordinateur. »

Tel était en substance le message.

Un message corroboré par ce communiqué de la Free Software Foundation que nous vous proposons traduit ci-dessous et dont on peut retenir la citation suivante : « C’est un énorme pas en arrière dans l’histoire de l’informatique ».

iPad’libertés pour les utilisateurs

iPad is iBad for freedom

John Sullivan – 27 janvier 2010 – Communiqué de la FSF
(Traduction Framalang : Olivier)

Avec sa nouvelle tablette tactile, Apple profite de la sortie d’un nouveau type d’appareil pour verrouiller plus que jamais un ordinateur grand public.

iPad is iBad for freedomAu moment où Steve Jobs et Apple s’apprêtaient à présenter leur tablette, des activistes opposés aux Mesures Techniques de Privations (MTP)[1] du groupe Defective by Design tentaient eux d’attirer l’attention des médias sur les restrictions toujours plus contraignantes qu’Apple impose sur ses produits grand public. Le groupe avait mis en place des « Périmètres de restriction Apple » sur le chemin menant au Yerba Buena Center for Arts à San Francisco, informant les journalistes, sur le point de pénétrer dans la salle de conférence, des concessions qu’ils devaient accepter au nom d’Apple.

Apple utilise les MTP pour restreindre les libertés des utilisateurs de diverses manières. Ainsi, pour ne citer que deux exemples, il est impossible d’installer un logiciel ne provenant pas de l’App Store officiel et l’usage que vous faites des films achetés sur iTunes est surveillé. Et, qui plus est, Apple affirme que le contournement de ces restrictions est un acte criminel, même à des fins légales au regard du droit d’auteur.

Organisateur de la manifestation, John Sullivan, responsable des opérations à la Free Software Foundation (FSF) déclarait : « Notre campagne Defective by Design n’en est pas à son coup d’essai contre Apple et elle a déjà porté ses fruits. Nous avons déjà organisé des actions à l’extérieur des Apple Stores pour protester contre les MTP limitant la musique sur iTunes et sous la pression Steve Jobs a abandonné les MTP sur la musique. Aujourd’hui, nous sommes présents pour répéter le même message concernant les autres restrictions qu’Apple impose sur les logiciels, les livres électroniques et les films. Si créativité, liberté et individualité signifient quelque chose pour Jobs et Apple, ils devraient le prouver en abandonnant les restrictions qui rendent la créativité et la liberté illégales.»

Le groupe fait signer une pétition aux citoyens pour pousser Steve Jobs a retirer les MTP des appareils Apple.
Vous pouvez trouver cette pétition à l’adresse http://www.defectivebydesign.org/ipad.

Myuibe - CC by« Notre société est de plus en plus dépendante de son infrastructure informatique, nous nous devons d’être vigilant. Par le passé, nous avons vu comment des défenseurs des Droits de l’Homme et de la démocratie se sont fait piéger par les sociétés qui fournissent les biens et les services dont ils dépendent. Vous seul devriez avoir le contrôle de votre ordinateur. Avec ces restrictions, Steve Jobs établit un précédent dangereux pour notre liberté au nom de ses profits.» poursuit Peter Brown, directeur exécutif de la FSF[2].

D’autres opposants des MTP ont soutenu qu’Apple n’est pas seul responsable, que ce sont les éditeurs qui imposent ces restrictions. Pourtant, sur son iPhone et sur sa nouvelle tablette, Apple n’offre pas aux éditeurs le choix d’appliquer ou non ces restrictions, idem pour les auteurs de logiciels libres ou de culture libre qui auraient désiré donner la permission légale aux utilisateurs de partager leurs travaux.

« C’est un énorme pas en arrière dans l’histoire de l’informatique » conclut Holmes Wilson, de la FSF. « Si les premiers ordinateurs personnels avaient dépendu de l’autorisation du constructeur pour chaque nouveau programme ou chaque nouvelle fonctionnalité, l’histoire de l’informatique serait aussi lamentablement totalitaire que l’image qu’en renvoyait la célèbre publicité[3] Apple du Superbowl ».

Notes

[1] NdT : Les fameux DRM qui de Digital Rights Management deviennent les Digital Restrictions Management.

[2] Crédit photo : Myuibe (Creative Commons By)

[3] NdT : Pour mémoire, la vidéo en question sur YouTube.




Passage télé de Benjamin Bayart sur la Loppsi

Vendredi dernier, Benjamin Bayart était invité au journal du soir de Public Sénat pour venir s’exprimer sur la loi Loppsi (dont les débats commencent aujourd’hui à l’Assemblée nationale et que l’on peut suivre par exemple sur Numérama).

Le récent et édifiant livre d’InLibroVeritas dont il est question dans l’interview est Confession d’un pédophile, l’impossible filtrage du web.

—> La vidéo au format webm

Transcript de l’intervention de Benjamin Bayart

La Chaîne Parlementaire – Journal de 22h – Vendredi 5 février 2010
(Transcript récupéré et modifié sur BàB : L’Blog à Birdy)

À partir de mardi, les députés entameront l’examen du projet de Loi d’Orientation de Programmation pour la Performance de la Sécurité Intérieure, un nom à rallonge qui est en général résumé par le petit nom de Loppsi et pour en parler nous sommes avec Benjamin Bayart. Bonsoir.

Bonsoir,

Vous êtes expert en communication, président de FDN. C’est le plus ancien, j’ai lu, fournisseur d’accès Internet en France.

Oui.

Alors, la LOPPSI, pour la résumer, prévoit une mutualisation et une coopération entre les forces de sécurité, donc la police et la gendarmerie, et une modernisation de leurs moyens, notamment en ayant recours aux nouvelles technologie pour être plus efficace, notamment contre la cybercriminalité. Mais cette loi inquiète les associations internautes qui la jugent liberticide. Pourquoi ?

Alors il faut comprendre que toute la loi n’inquiète pas les associations internautes. Elle est très longue je n’ai pas eu le temps de la lire en entier, alors que dieu sait que je passe énormément de temps sur les questions législatives.

Il y a une mesure précisément qui vous inquiète.

Il y a un article très précis qui nous pose problème, qui est l’article 4, tel qu’il était proposé et rédigé par le gouvernement. Il prévoyait que sur décret du ministère de l’Intérieur, les fournisseurs d’accès internet auraient obligation d’empêcher l’accès à certains sites Web, que la liste…

Lesquels, les sites pornographiques ?

Ce que prévoit le texte de loi ce sont les site pédopornographiques. Mais ce que prévoit aussi le texte et ses conditions d’application évidentes, c’est que la liste des sites doit être secrète, sinon c’est un annuaire des sites pédoporno, c’est un truc inconcevable. Donc la liste est secrète, elle aurait été publiée par le ministère de l’Intérieur et je dois dire que censure secrète sur le ministère de la police, c’est quand même curieux dans un pays normalement démocratique. Ça c’était vraiment le point de départ tel que ca sortait vu par le gouvernement, visiblement les députés ont bien compris ce qu’il leur est arrivé dans l’affaire Hadopi, ils ont relu la décision du Conseil Constitutionnel…

Donc il y a eu un amendement.

Ils ont décidé qu’on ne pouvait pas filtrer Internet n’importe comment. Et pour le moment, dans l’état des discussions, on en est a : y’aura un juge dans la boucle.

Donc ça, ça vous rassure ?

Donc c’est plutôt rassurant.

Mais c’est vrai que, quand même, Internet peut être un lieu de danger. Il y a la pédopornographie, y’a aussi les escroqueries, le terrorisme etc. Est ce qu’il ne faut pas instaurer des filtres ?

Instaurer des filtres, je sais pas. La bonne façon de comprendre ça c’est qu’Internet est un lieu public, et donc jouer sur les peurs, légitimes, les crimes abominables comme la pédopornographie, ca fait peur de manière légitime et logique. Mais jouer sur les peurs des gens pour instaurer un tout sécuritaire, c’est quelque chose de dangereux. Ça met en place des dérives qui sont malsaines. Internet est un lieu public comme les autres, il y a des pédophiles sur Internet exactement comme il y a des pédophiles dans la rue et on filtre pas la rue. On ne met pas un policier tous les trois mètres pour surveiller tout le monde. De la même manière, pour les mêmes raisons, cette tendance de fond qui est de vouloir contrôler Internet, dénote fondamentalement quelque chose d’assez précis, qui est que basiquement les hommes politiques n’ont pas bien compris ce qu’était Internet et qu’ils commencent par contre à comprendre un élément là-dedans : c’est que ça les gêne.

Mais il y a des moyens de contourner ce filtre par exemple ?

Oh oui, de manière très efficace et très simple. Il faut comprendre que les… il y a un livre qui est paru récemment aux éditions InLibroVeritas sur le sujet qui explique assez bien, y compris détaillé par des gens de la gendarmerie spécialisés dans le domaine, que le monde du pédoporno mafieux, business, etc, a déja trois guerres d’avance sur ce genre de sujets là, et se diffuse indépendamment de ce qu’on sait faire de manière simple comme filtre.

Donc liberticide et inefficace, nous dites-vous ?

Donc particulièrement inefficace puisque lorsque l’on interroge la police et la gendarmerie sur le sujet, comme j’en ai eu l’occasion de le faire lors d’une réunion, petit un, il n’y a pas de sites pédos en France, ça c’est très clair, il y en a deux ou trois qui ouvrent temporairement tous les ans, fermés dans la semaine avec les gens derrière qui finissent en prison. Et surtout quand on leurs demande ce que ça a donné comme effet positif dans les pays où cela a été mis en place, par exemple en Australie, par exemple en Grande Bretagne, ils ne savent pas donner de chiffres. On leur demande quelle influence, en quoi est-ce que ça a fait baisser la délinquance, parce que c’est quand même ca le but. Réponse : néant.

Il n’y a pas d’efficacité prouvée. Merci beaucoup Benjamin Bayart d’être venu nous expliquer ce que vous redoutez dans cette loi.




Microsoft en Afrique : Un véritable système d’exploitation ?

OLPC - CC byDans un récent billet nous évoquions la stratégie planétaire de Microsoft dans le secteur éducatif en nous focalisant sur une école française prise consciemment ou non dans les mailles du filet.

Voici que le blog d’André Cotte apporte de l’eau à notre moulin, en signalant et hébergeant un document intéressant rédigé par Marc-Antoine Daneau, étudiant québécois en économie et politique.

Son article évoque en effet les comportements et agissements de la société dans cette région du monde[1]. Un altruisme de façade dont s’accommode souvent fort bien les hommes au pouvoir qui ont du mal à voir plus loin que le court terme. L’état des caisses de l’État faisant le reste…

Et ce n’est pas seulement le logiciel libre qui s’en trouve bloqué mais peut-être aussi le continent tout entier.

Vous trouverez dans le document d’origine une bibliographie non reproduite ici.

L’imposition d’une dépendance : les actions de Microsoft en Afrique

URL d’origine du document (pdf)

Marc-Antoine Daneau – 24 novembre 2009
GNU Free Documentation License

Avec la bulle internet de 1995 à 2000, les technologies de l’information sont entrées de plein fouet dans la culture des pays développés. D’un réseau militaire à un réseau de recherche universitaire, l’internet s’est imposé dans les années 90 telle une révolution informationnelle encore plus rapide que celle imposée par la télévision.

Tout maintenant se trouve et se fait en ligne. Le changement a été tellement rapide qu’on ne conçoit plus la vie sociale et économique sans ce formidable moyen de communication, pis encore, moins d’une génération est passée entre l’apparition des premiers hackers[2] de Berkeley et la normalisation de l’internet en occident.

Cependant et sans grande surprise, ce qui fut une révolution dans les pays développés fut l’établissement d’un retard technologique dans les pays qui le sont moins ou ne le sont tout simplement pas.

La fracture numérique

Le territoire le plus en retard au niveau des technologies de communication est bien évidemment l’Afrique. Dans ce continent où il n’y a rien, tout est à construire, tellement que dans le domaine de la technologie informatique, on y parle de fracture numérique[3]. À propos de l’informatique et d’internet précisément, l’Afrique est terriblement en retard[4][5]. Ce problème se conçoit de deux façons, pour les Africains, il importe de réduire cette fracture numérique pour profiter de la technologie existante; pour les pays développés, il convient de voir l’Afrique comme un marché à développer.

Plus précisément, ce texte porte sur les actions la firme américaine Microsoft en Afrique. Est-ce le fait que Microsoft veuille conquérir le marché africain est à l’avantage des Africains eux-mêmes ou s’agit-il de l’exploitation classique du nord envers le sud ? Ce texte tentera de démontrer qu’agissant ainsi, une firme très importante d’un pays riche tente d’exporter une vieille et désuète technologie dans des pays pauvres.

Logiciels libres versus logiciels propriétaires

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de présenter les deux modèles économiques existant actuellement en informatique.

Le premier modèle économique est celui qui domine actuellement le marché résidentiel et commercial, soit celui du logiciel propriétaire à code source fermé. Le code source, ce qui est écrit par les programmeurs, n’est pas disponible et gardé secret, ce qui permet aux fabricants de logiciels de vendre des exécutables, des logiciels d’installation autrement dit. La logique de cette mise en marché sous-tend une affirmation générale que l’acheteur doit avoir une confiance absolue envers le fabricant de logiciels. Ce dernier affirmera, à tort ou à raison, que son logiciel est le meilleur du marché, le plus sécuritaire, le plus efficace, le moins gourmand en ressource informatique, etc. La frontière entre la véracité de ces affirmations et la publicité est bien mince et en pratique souvent impossible à déterminer. Le plus gros fabricant de logiciels au monde est Microsoft, que ce soit par son système d’exploitation, le très populaire Windows ou par sa suite bureautique aussi très populaire, Office. Il est à noter que la structure de prix des produits Microsoft maximise leur marge de profits, en étant en situation de quasi-monopole, ils vendent une trop petite quantité trop cher en plus de faire de la discrimination par les prix.

Le modèle économique[6] opposé est celui du logiciel libre, à code source ouvert, ou Linux[7]. Il est reconnu que le logiciel libre est plus stable, plus rapide et plus sécuritaire que les logiciels propriétaires du type de ceux fournis par Microsoft, en plus d’être gratuit et modifiable. Ce que vendent les compagnies qui travaillent avec du logiciel libre, c’est le service. Ce qui différencie les deux modèles au niveau de leur conception est que quand le code source est confidentiel, il est produit par une petite équipe, quand il est ouvert, tout le monde peut l’améliorer ou y ajouter des fonctions, ce qui fait que la progression du logiciel libre est beaucoup plus rapide que celle du logiciel propriétaire.

Ce sont ces deux modèles économiques qui s’affrontent pour le marché africain, d’un côté une firme américaine devenue un monstre multinational qui voit dans le lent développement de l’Afrique une occasion à ne pas manquer pour placer les Africains en position de dépendance informatique[8] s’assurant ainsi un profit maximum à long terme, de l’autre un modèle axé sur l’indépendance informatique, gratuit et adaptable selon les divers besoins. Ce qui revient à la phrase célèbre de Conficius : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson ».

Un patrimoine de l’humanité fragile

Depuis 1998, l’UNESCO supportait les logiciels libres et en 2003 lui octroya ses titres de noblesse en les classant patrimoine mondial de l’humanité[9]. Néanmoins, le principal intéressé de ce progrès, Richard Stallman et la Free Software Foundation, mettait en garde contre la perte de liberté, du combat à mener pour l’indépendance logicielle dans une lettre adressée à l’Unesco :

But our freedom is not permanently assured. The world does not stand still, and we cannot count on having freedom five years from now, just because we have it today. Free software faces difficult challenges and dangers. It will take determined efforts to preserve our freedom, just as it took to obtain freedom in the first place[10].

Malheureusement, Stallman avait raison, mais en ayant surestimé le temps de réponse de l’industrie du logiciel propriétaire, la charge vint le 17 novembre 2004. En cette date, Microsoft devint un partenaire de l’Unesco, ce qui allait en direction opposée du constat émis par la Cnuced dans un rapport parut en 2003 qui conseillait : « aux pays en développement d’envisager d’adopter les logiciels libres en tant que moyen de combler le fossé numérique »[11].

Avec la signature de cet accord, « Microsoft va ainsi contribuer à la réduction de la fracture numérique » de quatre manières : recyclage de vieux ordinateurs personnels, formation d’enseignants en informatique dans les pays en voie de développement, ouverture d’un centre de ressources informatiques dans le Maghreb et la mise en place d’une « plate-forme pour le partage de contenus numériques ».

Avec cet accord, Microsoft s’engageait aussi à livrer des ordinateurs dans tous les pays d’Afrique, l’Unesco, toujours selon cet accord ferait en sorte que Microsoft en livre partout en Afrique même là où son intérêt économique serait diminué[12].

Il importe ici d’apporter une nuance essentielle, les enseignants qui seront formés par Microsoft le seront en fonction des produits de cette même firme, pas en fonction de l’informatique ou du fonctionnement d’un ordinateur en soit. Ainsi, quand ces enseignants feront leur boulot, ils enseigneront le fonctionnement des produits Microsoft, ils agiront comme formateurs bénévoles au profit de Microsoft et transmettront leur dépendance informatique à leurs élèves.

Cette même date, lors d’une conférence de presse à Paris, Koïchito Matsuura, directeur général de l’Unesco, affirma que « l’ONU avait reconnu le rôle du secteur privé pour lutter contre la fracture numérique »[13]. Loin de nous ici de douter des mauvaises intentions de l’ONU dans ce dossier, l’Unesco est tributaire des fonds qu’on daigne bien lui alouer, sans plus. Cependant, il est raisonnable de penser que les Africains qui voyaient dans le logiciel libre une façon de se défaire de la dépendance de ce continent sous-développé envers la monde industrisé y ont vu au pire une défaite dans ce combat de la part de leur allié que devrait être l’Unesco, au mieux une instrumentalisation de l’Unesco par Microsoft[14].

Le point de vue des activistes du logiciel libre

Cet accord ne tarda pas à faire réagir. Un peu plus d’une semaine après l’accord parait sur internet un article sur les réactions des activistes du logiciel libre à l’endroit de l’accord. Benoît Sibaud, président de l’April[15], affirmait que l’Unesco « sous-traite ses valeurs au secteur privée » et que « Microsoft détient là une bonne manière de s’infiltrer dans les pays en voie développement. Et ça ne lui coûte pas grand-chose, car il peut se rattraper sur la marge qu’il réalise sur le prix de ses licences dans les pays du Nord »[16]. L’article se termine sur l’affirmation que tant l’April que l’Unesco « s’accordent à dire que si les logiciels propriétaires peuvent aider au développement, ils ne contribuent certainement pas au développement durable ».

C’est bien là tout le problème, qu’un organisme de la trempe de l’Unesco soit pret à permettre un développement qu’il sait voué à l’échec à long terme puisque n’étant pas durable. Janvier 2005, une lettre d’opinion scandalisée est publiée par Benoît Sibaud, Frédéric Couchet[17] et Sergio Amadeu da Silveira[18] dans Libération. Ceux-ci affirment qu’« en faisant le choix du logiciel propriétaire, un État se limite à louer une technologie » au lieu de se l’approprier et de la développer. Ces 3 spécialistes et militants en faveur des logiciels libres mentionnent les spécificités linguistiques de l’Afrique et de ses multiples langues. À titre d’exemple, les auteurs de la lettre d’opinion mentionnent que le navigateur internet Mozilla Firefox a été traduit en luganda[19] « par une petite équipe de huit … utilisateurs motivés … sans financement et sans organisation formelle »[20].

En matière de sécurité informatique, les trois spécialistes cités ci-haut mentionnent que les États qui se fient à Microsoft vont même jusqu’à abdiquer une partie de leur souveraineté étant donné le caractère fermé du code de Microsoft. En effet, comme il est impossible de savoir ce qu’il contient, la sécurité et l’intégrité des données sont remises entre les mains de Microsoft à qui il faut faire confiance[21]. Il apparaît en effet inconcevable qu’un continent qui essaie de se sortir du sous-développement, et donc qui veut prendre la place qui lui revient sur les marchés, et donc dans le domaine de la recherche et du développement (R&D) puissent penser sérieusement pouvoir le faire avec des outils informatiques qui n’assurent en rien la confidentialité ou même l’intégrité de leurs données. Il est clair que d’un point de vue de la sécurité, les pays africains qui font ou feront confiance à Microsoft ouvre la porte à l’espionnage économique.

À ce sujet, la ville de Munich a parfaitement compris et mis en application ce principe, parut en 2008 sur papier, mais se préparant depuis 2001, elle a émis une “Declaration of Independence” informatique, “rather than lowering the IT costs, the main motive is the desire for stratregic independence from software suppliers”[22].

Toujours au niveau de la sécurité informatique, l’affirmation la plus surprennante arrive de la NSA : “Unfortunately, existing mainstream operating systems lack the critical security feature required for enforcing separation: mandatory access control”[23].

C’est dans cette optique qu’il est possible de conclure qu’un pays développé exporte ses vieilles technologies désuètes dans les pays en développement. Les éléments stratégiques de la sécurité nationale américaine sont protégés autant que possible par Linux, mais en même temps, une entreprise de ce même pays exporte dans des pays déjà en difficulté un produit, Microsoft Windows, qui officiellement selon le gouvernement américain n’est pas sécuritaire. Combiné à la publicité de Microsoft et d’un point de vue stratégique, il s’agit de leur vendre un produit qu’on affirme miraculeux, mais qui est dans les faits déficient et dangereux[24].

Ce qui revient à faire payer les Africains pour qu’ils obtiennent le droit à une position de faiblesse au niveau de l’espionnage économique, scientifique et politique.

Le point de vue de Microsoft

La réponse de Microsoft aux accusations d’impérialisme fut pour le moins douteuse, publiée sur le réputé site de nouvelles informatiques Zdnet.com. Le responsable de Microsoft Nigéria, Gerald Ilukwe, affirmait sans gène que le “cost is not important” pour les gouvernements africains, tout en reconnaissant que le salaire moyen d’une Africain résidant dans l’ouest du continent est de 160 dollars américains par année.

Tout comme Neil Holloway, président de Microsoft en Europe, M.Ilukwe maintient que le problème est la connaissance des technologies, et donc implicitement, que la propriété des outils de l’information est accessoire. Tel un missionnaire généreux baignant dans l’altruisme, M.Holloway affirmait “It’s not about the cost of software, it’s about how you take your expertise to people. We are sharing our expertise…”[25].

La campagne de marketing de Microsoft continua inexorablement, toujours avec le même message, Cheick Diarra, responsable des opérations de la firme en Afrique, affirma pour répondre à ses détracteurs que “I try to advise Microsoft, as an ambassador from Africa…”[26], donc, de la manière la plus sérieuse possible, le responsable des opérations africaines de Microsoft affirma être l’ambassadeur des Africains en matière de besoin informatique auprès de la firme qui le rémunère justement pour extraire de l’Afrique le peu de profit, à court terme, qu’il soit économiquement possible d’en tirer.

L’affirmation de M.Diarra dépasse largement le stade du sophisme par l’absence de logique circulaire de son affirmation. L’image que Microsoft veut avoir en Afrique est celle d’une multinationale qui agit pour le bien et le progrès de l’humanité, sans égards à sa marge de profit. Comme si l’entreprise avait une conscience morale, qui en plus d’exister, serait tournée vers l’humanitaire.

Un article du Wall Street Journal qui donne le ton

S’il y a lieu de douter des bonnes intentions de Microsoft, encore faut-il le prouver. Malheureusement, les faits sont récents, les soupçons généreux et cette firme n’ira pas tout bonnement avouer dans un communiqué qu’elle a le comportement colonial et qu’elle tente par la fourberie d’acquérir le marché[27] africain du logiciel.

Néanmoins, un article paru dans le prestigieux Wall Street Journal sous la plume de Steve Stecklow le 28 octobre 2008[28] nous en apprend beaucoup sur les méthodes et les agissements de Microsoft en Afrique.

Premièrement illustration la plus grossière, ils ont embauché des gens bien placés en Namibie. Ils ont engagé Sean Nicholson, auparavant “adviser to Namibia’s Ministry of Education, promoting open-source software” et toujours en ce même pays, Kerii Tjitendero “as a contractor to help in (the) process”. Cependant, M.Tjitendero est le fils de Mose Tjitendero, “formerly speaker of Namibia’s national assembly, who signed the government’s Pathfinder agreement with Microsoft”. Malgré une telle proximité qui serait bannie de facto dans les pays développés, Microsoft affirma que “Kerii had the professional background that made him a good fit for this role”.

Toujours du même article, Microsoft tenta au Nigéria d’acheter pour 400 000 dollars[29] le remplacement de Linux sur les ordinateurs portables des écoles par des produits Microsoft.

Au sujet du Pathfinder, le plan d’action de Microsoft en Afrique, l’article de Stecklow nous apprend que dans une école de Namibie en 2004, à Katima Mulilo, Eric Kouskalis, alors étudiant à Harvard, était enseignant pour l’organisation WorldTeach. Il affirma des ordinateurs fournis par Microsoft qu’ils “weren’t being used at all” bien qu’il “spent weeks fixing software and hardware problems”. Et il en rajoute, si plus d’un étudiant voulait accéder à l’encyclopédie de Microsoft, Encarta, “everything would freeze up”.

Donc, de cette expérience, deux constats peuvent être tirés, soit qu’en fournissant sa propre Encyclopédie aux Africains, Microsoft leur fourni la vision américaine de l’histoire mondiale et des connaissances en général, et aussi que les problèmes logiciels que les produits Microsoft font subir aux consommateurs occidentaux sont les mêmes éprouvés par les Africains, soit l’instabilité et la médiocrité naturelle et intrinsèque de leurs produits. Quant bien même Microsoft leur vendrait un “special $3 Windows package”[30][31], avoir des ordinateurs, mais être bloqué par les logiciels ne vaut pas 3 dollars.

Néanmoins, en juin 2005, Microsoft déclara que Pathfinder était “a success” pour par la suite promettre 4000 ordinateurs usagés à la Namibie, sur ce nombre, 1300 ont été livrés. L’école de Katima Mulilo en reçut 20, le directeur de l’école, Fias Geel, affirma au sujet des ordinateurs reçus que “all but four were broken”. Un autre directeur d’école de la région, Paul Damaseb, affirma qu’aucun de ses 565 étudiants ne pouvait utiliser les ordinateurs “because of a server crash”. Par la suite, Microsoft admit que l’expérience de PathFinder était un processus d’apprentissage “valuable”, ce qui n’empêcha pas le gouvernement de la Namibie de stopper l’action des professeurs de ses écoles qui installaient Linux pour promettre 200 ordinateurs et finalement n’en livrer que 55, “all containing Microsoft software, says a person familiar with the matter”.

PathFinder et Unlimited Potential

Depuis, avec le succès limité, aux yeux de Microsoft, de PathFinder, la firme a lancé un autre programme à la conquête du marché africain, Unlimited Potential. Bien que trop récent pour pouvoir le juger, notons cependant que les éléments avec lesquels Microsoft présente Unlimited Potential sont fondamentalement les mêmes qu’avec Pathfinder, soit à l’aide d’un vocabulaire positif portant sur les engagements Microsoft à l’égard de l’avancement des Africains ou encore des phrases creuses comme “training to its next generation of citizens”, pour être bien certains qu’ils ne connaissent de l’informatique que les produits Windows. La seule différence entre les deux programmes de mise en marché est que maintenant Microsoft légitimise son action avec l’appui reçu par l’Onu[32] et l’Unesco.

La firme clame en effet qu’elle veut “supports and accelerates Africa’s progress toward the Millennium Development Goals”[33]. Quand Microsoft affirme : “… we are working to enable sustained social and economic opportunity for everyone”[34], il serait plus juste de lire qu’ils travaillent pour le profit, comme n’importe quelle entreprise privée, la satisfaction des clients ou la fonctionnalité des produits n’a pas d’importance, pour autant que les clients paient.

Cela dit, face à la critique, Microsoft par l’intermédiaire de son responsable pour le continent africain, M.Diarra, tente de faire croire qu’il ne s’agit que d’un problème de communication, “… it’s sad that sometimes reality has a hard time catching up with perception … we are competing respectfully and openly; you can verify that everywhere”, il rajoute comme pour marteler le message à propos des actions de Microsoft en Afrique “we always try to empower those communities”[35].

Cela dit, en plus de ce qui est documenté, comme la corruption en Namibie, ce qui est douteux comme le fait qu’une entreprise affirme avoir à coeur le bien-être des plus exploités de la planète au cours des derniers siècles, comme si Microsoft n’agissait pas accord avec la continuité historique des rapports nord-sud, il y a ce qui est étrangement circonstanciel. Par exemple, en recoupant les informations vagues[36] disponibles sur le site de la Bill & Melinda Gates Foundation et les pays dans lesquels il y a moyen de savoir avec assurance que Microsoft travaille[37], on arrive à la conclusion qu’environ le deux tiers des pays où la fondation est active sont des pays où Microsoft l’est aussi.

Conclusion

En 2007, l’ampleur du désastre se mesurait, selon les affirmations officielles de Microsoft, par la conquête de “15 African countries: Angola, Burkina Faso, Gabon, Ghana, Kenya, Madagascar, Mozambique, Namibia, Nigeria, Rwanda, Senegal, Seychelles, Uganda, Botswana and South Africa, and to date has trained 200,000 teachers and reached 21 million students”[38]. C’est 21 millions de personnes, en plus des fonctionnaires des différentes administrations publiques africaines, que Microsoft a placées sous son contrôle. Il s’agit ici d’une forme lourde de dépendance au sentier, un sentier par ailleurs, sombre, sinueux et vaseux, où s’en sortir requière pour une société des coûts supérieurs à ce qu’aurait été l’investissement initial de l’éviter.

En faisant le choix des logiciels propriétaires de Microsoft au détriment des logiciels libres et gratuits GNU/Linux, les pays africains choisissent de payer pour un produit dont la qualité est plus que douteuse au niveau de l’efficacité informatique et carrément incertaine en ce qui a trait à la sécurité des informations gérées. De plus, ces pays n’auront pas le choix de payer pour les autres logiciels, comme des antivirus qui sont nécessaires avec Windows, ou payeront en temps, puisque Windows est impérativement plus lent que Linux, et ainsi de suite.

Bref, les logiciels propriétaires ne peuvent qu’être un mauvais choix pour toutes les administrations publiques et spécialement pour celles des pays en voie de développement, qui n’ont pas d’argent. Selon la formule rependue sur les blogues portant sur le sujet, « l’Afrique a déjà assez de problèmes comme ça, n’y ajoutez pas Microsoft” »[39]. Clairement, entre la dépendance que leur offre Microsoft et l’indépendance que leur offre Linux, les Africains et leurs gouvernements auraient tout avantage à choisir l’indépendance.

En conclusion, quand Microsoft parle de Windows comme d’un système d’exploitation, la firme a entièrement raison et est pour une fois honnête, car c’est tout ce que c’est : un système d’exploitation.

Notes

[1] Crédit photo : One Laptop per Child (Creative Commons By)

[2] Le terme hacker a une connotation négative depuis le milieu des années 80. Le terme se référait plutôt à ce qu’il est convenu d’appeler un bidouilleur. L’industrie informatique en générale doit beaucoup à ses hackers, que l’on pense seulement aux fondateurs de Apple ou au célèbre Captain Crunch. Ce dernier, John Drapper de son vrai nom, découvrit qu’un jouet contenu dans une boite de céréales émettait exactement la même fréquence que celle utilisée par AT&T pour indiquer qu’une ligne de téléphone est disponible, ce qui lui permit de faire des appels sans payer. Il inventa par après la blue box, un générateur de fréquences avec laquelle il testa les limites du système téléphonique de AT&T. Résultat, les compagnies de téléphone durent revoir à la hausse la sécurité de leurs réseaux de télécommunications.

[3] La définition de Statitics Canada au sujet de la fracture numérique, parue dans l’introduction d’un document de recherche intitulé The Digital Divide in Canada, est particulièrement pertinente : “Commonly understood as the gap between ICT ‘haves’ and ‘have-nots’, it serves as an umbrella term for many issues, including infrastructure and access to ICTs, use and impediments to use, and the crucial role of ICT literacy and skills to function in an information society.” ICT réfère à “information and communications technologies”.

[4] Les statistiques de l’ONU sont à ce sujet très claires. Aucun calcul n’est nécessaire pour constater qu’il y avait plus d’ordinateurs par 100 habitants aux États-Unis ou au Canada il y a 20 ans qu’il y en a maintenant par 100 habitants dans les pays africains. Concernant le nombre d’habitants qui accèdent à internet, les données de l’ONU, toujours par 100 habitants, nous indiquent que le niveau d’accès à internet est actuellement en Afrique ce qu’il était il y a 15 ans aux États-Unis et au Canada. Voir Millennium Development Golas Indicators, Internet users per 100 population et Personal computers per 100 population.

[5] En septembre dernier, une compagnie sud-africaine, Durban IT a testé la vitesse du réseau de Telkom, le plus gros fournisseur d’accès internet en Afrique du Sud. Ils ont, au même moment, lancé un transfert de 4Gb sur le réseau ADSL de Telkom tout en relâchant un pigeon sur lequel était attaché une clé usb de 4Gb. “Winston the pigeon took two hours to carry the data 60 miles – in the same time the ADSL had sent 4% of the data”. Source : BBC, 10 septembre 2009.

[6] Le Rapport sur le commerce électronique et le développement de la Cnuced en 2003 nuance avec les propos suivants : « Les logiciels libres ne devraient pas différent. Ils sont un moyen différent d’élaborer, de préserver et de modifier les règles qui régissent les flux d’information. Ils bouleversent la conception que l’on a de l’écriture de logiciels ? des personnes habilitées à les modifier et sous quelles conditions ? ainsi que des libertés et des responsabilités y afférentes. Ils donnent aux peuples et aux nations non seulement la possibilité, mais aussi, de manière plus importante, le pouvoir de gérer eux-mêmes le développement des TIC. » p.21.

[7] Il est nécessaire ici de noter, sans entrer dans les détails, qu’il existe plusieurs types de licences concernant les logiciels libres. Autrement dit, il y a des schismes au sein de la communauté des logiciels libres concernant certaines nuances à propos des droits d’auteurs des logiciels libres. Loin de nous l’idée d’entrer dans ce débat, la définition des logiciels libres qui sera utilisée est celle qui est la moins restrictive possible, soit tout ce qui est disponible sans payer ou enfreindre les droits d’auteurs des fabricants de logiciels. À titre d’exemple seulement, il est impossible d’écouter un fichier mp3 ou d’écrire ce texte en Times New Roman, comme le requière le Département de science politique, sur Linux sans enfreindre des lois de propriétés intellectuelles. La définition orthodoxe du logiciel libre définit par Richard Stallman et la Free Software Foundation se lit comme suit : « L’expression « Logiciel libre » fait référence à la liberté pour les utilisateurs d’exécuter, de copier, de distribuer, d’étudier, de modifier et d’améliorer le logiciel ». La définition complète est disponible à http://www.gnu.org/philosophy/free-sw.fr.html.

[8] Le phénomène de l’enfermement propriétaire est bien connu et pas seulement dans le domaine informatique. Dans ce domaine précis, l’UNESCO définie le mécanisme du Vendor Lock-In comme étant le fait que “While the software industry will continue to innovate, some product categories are reaching maturity and users should not be driven to pay for new features and product versions that have minimal impact on their needs”.

[9] Cette année là, le logiciel libre est devenu pour l’UNESCO une partie du patrimoine mondial : “Moreover, free software gives independence, from governments, from companies, from political groups, etc. And better, an economical independence: it isn’t plagued by compulsory profit. In fact, Free software is already the heritage of mankind, in the common sense”.

[10] Richard Stallman, 2003. UNESCO and Free Software. Disponible dans les archives des communications de l’UNESCO.

[11] Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), 2003. Rapport sur le commerce électronique et le développement. p.21.

[12] Citations et information depuis un article de Marc Cherki, parut dans Le Figaro le 17 novembre 2004, Microsoft devient partenaire de l’Unesco.

[13] Citation depuis un article de Capucine Cousin, parut dans Les Echos le 17 novembre 2004, L’Unesco compte sur le privé pour former les enseignants aux nouvelles technologies.

[14] À ce sujet, on peut prendre pour exemple le fait que les documents statistiques de l’ONU soient disponibles en 3 formats Microsoft Office Excel, XML et CVS. Les deux derniers sont des formats textes standards, mais qui ne peuvent être lus sans quelques contorsions ou connaissances informatiques précises. Le format Excel quant à lui est propriétaire, c’est-à-dire qu’il faut avoir acheté un programme pour le lire les informations qu’il contient. L’ONU ne fournit malheureusement rien en format OpenOffice, qui aurait le mérite de pouvoir être lu correctement, facilement et sans devoir payer pour le logiciel. Il n’y a bien sûr pas de lien direct entre cette observation et les liens qui unissent Microsoft et l’Unesco depuis 2004, cependant, ça permet de constater l’incompréhension de la question des logicielles de la part de l’ONU.

[15] April, acronyme de l’Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre.

[16] Selon un article d’Yves Drothier, dans le Journal du Net, 26 novembre 2004.

[17] Fondateur de l’April et président de la Fondation des logiciels libres (Free Software Foundation, branche française) de 2004 à 2007.

[18] Président de l’Institut national de technologie et de l’information du Brésil.

[19] Langue parlée par 10 millions de personnes en Ouganda.

[20] Sérgio Amadeu da Silveira, Benoît Sibaud et Frédéric Couchet. 5 janvier 2005, La Libération. Bill Gates à la conquête du sud : Le partenariat entre Microsoft et l’Unesco risque d’assujetir les pays en développement.

[21] Les auteurs mentionnent sur ce point qu’en 2000, un rapport de la Délégation des affaires stratégiques du ministère français des Armées mentionnait, prudemment et sans accusé directement, la collusion entre la National Security Agency (NSA) et Microsoft. Aussi en 2004, un « rapport parlementaire sur l’intelligence stratégique … soulignait les mêmes dangers attachés au logiciel propriétaire en matière de dépendance informationnelle ».

[22] Declaration of Independence: The LiMux Project in Munich. Ville de Munich, 2008.

[23] Citation complète : “End systems must be able to enforce the separation of information based on confidentiality and integrity requirements to provide system security. Operating system securitymechanisms are the foundation for ensuring such separation. Unfortunately, existing mainstream operating systems lack the critical security feature required for enforcing separation: mandatory access control. As a consequence, application security mechanisms are vulnerable to tampering and bypass, and malicious or flawed applications can easily cause failures in system security”. Depuis le site de la National Security Agency, http://www.nsa.gov/research/selinux/.

[24] Il est de notoriété publique que des agents de la NSA travaillent chez Microsoft, eux affirment que c’est pour renforcer la sécurité des produits de Microsoft, il y a naturellement lieu d’en douter. L’affaire éclata en septembre 1999, quand une mystérieuse clé de cryptage nommé _NSAKEY fut découverte dans Windows NT4, puis dans Windows 95, 98 et 2000. On peut lire sur le site de CNN “Microsoft operating systems have a backdoor entrance for the National Security Agency, a cryptography expert said … but the software giant denied the report and other experts differed on it”. Il n’y a donc rien de certain en ce sens, mais Microsoft a par la suite été incapable d’expliquer de manière convaincante ce qu’était cette _NSAKEY.

[25] Ingrid Marson, 18 octobre 2005, Microsoft: Africa doesn’t need free software.

[26] Nancy Gohring, 25 septembre 2008, PC World, Microsoft’s Africa Chairman Tackles Access Problems.

[27] À titre indicatif, rappelons que Microsoft a été condamnée par l’Union européenne en février 2008 à payer 899 millions d’euros, qui « s’ajoutent à une première amende de 497 millions d’euros donnée à Microsoft en mars 2004 pour « abus de position dominante » ». Selon un article parut dans Branchez-Vous!, le site qui s’occupe des nouvelles technologiques pour Le Devoir. Si Microsoft agit de telle manière dans un marché lourdement réglementé, il est possible d’imaginer ce qu’il fait sur un continent comme l’Afrique où les États sont faibles.

[28] Microsoft Battles Low-Cost Rival for Africa, 28 octobre 2008, The Wall Street Journal.

[29] Extrait de l’article : “In Nigeria, Microsoft proposed paying $400,000 last year under a joint-marketing agreement to a government contractor it was trying to persuade to replace Linux with Windows on thousands of school laptops. The contractor’s former chief executive describes the proposal as an incentive to make the switch – an interpretation Microsoft denies.”

[30] Toujours du même article de Stecklow : “Some of Africa’s poorest countries also have discovered that they can’t meet the terms of a special $3 Windows package for "underserved" students around the world, announced last year by Microsoft Chairman Bill Gates.”

[31] Pour 3$, les étudiants africains obtiennent les logiciels suivants Microsoft Learning Essential 2.0, Microsoft Math 3.0, Microsoft Office, Windows Live Mail, qui est en fait Hotmail et Windows XP Starter Edition. Cette version de Windows est conçue pour les ordinateurs peu puissants et limite plus que ne le fait la version normale de Windows XP ce que les utilisateurs peuvent faire avec leurs ordinateurs. Autrement dit, c’est le meilleur moyen d’handicaper un étudiant, surtout que le terme “Starter” signifie implicitement que ce n’est qu’un début, qu’une fois formés avec les produits Microsoft et en fonction de ceux-ci, ils devront payer pour obtenir la version normale des systèmes d’exploitation de Microsoft. Il est à noter que des distributions Linux spécialisées dans l’éducation existent, par exemple EduLinux conçue entièrement au Québec, à l’Université de Sherbrooke. Plus populaire, il y a Edubuntu, qui est disponible dans de multiples langues. Edubuntu est devenue la norme dans tous les ordinateurs des écoles primaires et secondaires de la République de Macédoine, cette distribution Linux serait définitivement meilleure pour les étudiants africains que Windows XP Starter Edition.

[32] United Nations Press Release  : United Nations hosts launch of Microsoft Programmes. Extrait  : “Amir Dossal, Executive Director of the United Nations Office for Partnerships, and Akhtar Badshah, Senior Director of Community Affairs, Microsoft Corp., welcomed participants. Mr. Dossal underscored that public-private partnerships were the key to the achievement of the Millennium Development Goals.”

[33] Microsoft, Realizing Unlimited Potential in Africa, 2009.

[34] Microsoft, Microsoft Unlimited Potential Enables Social and Economic Opportunity, 2009.

[35] Alka Marwaha, BBC News, The hi-tech battle for Africa, 2009.

[36] La plupart des liens sur la carte de l’Afrique ne fonctionnent pas, de plus les liens sont parfois situés sur des frontières. http://www.gatesfoundation.org/regions/Pages/default.aspx?4#/?action=region&id=africa

[37] Angola, Burkina Faso, Gabon, Ghana, Égypte, Kenya, Madagascar, Mozambique, Namibie, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Ouganda, Botswana et Afrique du Sud.

[38] Microsoft, Unlimited Potential Engagement in Africa, 2007.

[39] J’ignore de qui est cette citation, elle se retrouve en anglais avec quelques variantes sur plusieurs blogues et forums de discussion. Il s’agit cependant de ma traduction.




Ubuntu et Mozilla : l’inévitable alliance pour résister à Google ?

Jane Rahman - CC byJe suis de ceux qui pensent que le futur Chrome OS de Google est susceptible de bousculer les hiérarchies établies.

Pour rappel Chrome OS sera un système d’exploitation reposant uniquement sur le navigateur Chrome. Tout se fera en ligne, dans les nuages, et si vous n’allumez plus votre machine que pour aller sur Gmail, Reader, Twitter ou Facebook, alors vous êtes une cible toute indiquée.

Imaginons en effet que les premiers ordinateurs Chrome OS, prévus pour la fin de l’année 2010, soient un succès. Hypothèse plausible parce qu’un netbook sexy, peu cher, rapide au boot (on parle de 5 secondes) et rapide à la navigation (et encore plus rapide sur les services Google : Gmail, Docs, YouTube, Maps,etc), ça peut tenter même les plus rétifs.

Si le succès est donc au rendez-vous alors vous pourrez toujours arriver avec vos beaux (mais anciens) discours de migration vers des alternatives libres (change ton Internet Explorer pour Firefox, change ton Windows pour GNU/Linux), les gens s’en foutront complètement. Cela n’aura aucune prise sur eux, s’ils ont déjà entre les mains ce nouveau terminal véloce et sécurisé, qui se met à jour tout seul, et qui ne demande aucune installation classique du moindre logiciel (du reste la notion même de logiciel disparait, quant à nos bons vieux fichiers ils ne se portent guère mieux).

D’ailleurs si on se regarde un peu le nombril, c’en est également fini du service global que rend le réseau Framasoft, mais j’y reviendrai dans un futur billet[1].

La menace est réelle (d’autant que Google met le paquet comme jamais niveau marketing pour le faire connaître). Il eut été rassurant qu’elle vienne du Grand Méchant Microsoft, mais c’est ici bien plus complexe que ça, puisque c’est du plus grand contributeur mondial open source qu’il s’agit. Et pour couronner le tout il existe une version libre du navigateur Chrome et de Chrome OS avec la sous-couche Chromium.

Certes, en terme de parts de marché, le navigateur Chrome tient toujours une place modeste. Mais comparons les statistiques du Framablog il y a un an : Firefox 68%, Internet Explorer 21% et Chrome 1% à celles d’aujourd’hui : Firefox 66%, Internet Explorer 14% et Chrome 7%. La croissance est significative. Bien sûr c’est avant tout Internet Explorer qui en a pâti, mais Firefox a stagné et même, pour la première fois, un peu baissé.

Or le public de ce blog est un public disons… « averti ». Il est sensibilisé au Libre et compte aujourd’hui, parmi ses visiteurs, 32% de GNU/Linux. Comment expliquer cette forte avancée de Chrome au détriment de Firefox ? J’ai un peu peur d’en connaître la raison : bien que fort jeune Chrome est déjà un excellent navigateur qui dépasse techniquement et ergonomiquement Firefox dans bien des domaines (surtout ne l’essayez pas sous Linux avec la rapidité de Firefox en tête !). D’accord, le panda roux vient de sortir en version 3.6 mais Chrome n’est pas en reste puisque son nouveau millésime 4.0 vient faire tomber l’un des dernières barrières que constituait l’absence d’extensions.

Donc la qualité est là. Et puisque nos usages informatiques se concentrent désormais presque exclusivement sur Internet, la situation est mûre pour que Chrome OS vienne se faire rapidement une place au soleil, en court-circuitant complètement le parcours balisé qui souhaitait inciter les utilisateurs à substituer leur Windows pour du GNU/Linux. Comme dans le même temps Mac OS X continue sa progression (10% sur le Framablog), on pourrait bien se retrouver à terme avec une situation où les trois géants que sont Microsoft, Apple et Google se partagent le marché des OS grand public en laissant totalement à la marge GNU/Linux.

GNU/Linux abandonnerait alors son ambition grand public pour revenir à la case départ des serveurs et n’être plus qu’un OS pour « experts bidouilleurs », ce qu’il avait un peu cessé d’être pourtant avec l’avènement de la populaire distribution Ubuntu.

C’est pourquoi non seulement Firefox est en danger mais également Ubuntu. Du coup, l’article ci-dessous tire le bilan de la nouvelle donne et suggère fortement une association Mozilla Ubuntu pour tenter de contrarier la marche triomphante de Google (on aurait pu s’attendre à une association Mozilla Canonical plutôt, soit dit en passant).

Ce n’est pas idiot. Pour Mozilla et Ubuntu d’abord, mais aussi pour le logiciel libre dans son ensemble qui a beaucoup à perdre dans l’histoire. Parce qu’au final quelle est la plus grande différence entre Mozilla et Google ? Comparer Le Manifeste de l’un et Les conditions d’utilisation de l’autre vous donnera peut-être un début de réponse…

Ubuntu et Mozilla : L’inévitable alliance

Ubuntu and Mozilla: The inevitable alliance

Ronnie Whisler – décembre 2009 – Buntufu.com
(Traduction Framalang : Olivier et Goofy)

Les spéculations sont au journalisme technique ce que sont les prophéties à la religion. Elles n’ont d’importance, de crédibilité ou de génie que si elles se révèlent exactes. Il ne nous viendrait toutefois pas à l’idée de publier un article technique sans y risquer quelques spéculations. Spéculez sur quelques idées folles, c’est l’étincelle qui enflammera la créativité de certains individus ou de certaines entreprises. Vous voyez où je veux en venir ? Tant mieux, parce que cet article est entièrement conçu à partir de cela. En d’autres termes, tout ce que vous trouverez dans cet article n’est que pure spéculation, je n’ai aucune preuve pour étayer mes dires.

Commençons par une revue des forces en présence. À ma droite, vous avez Mozilla qui nous a prouvé que la guerre des navigateurs n’est pas terminée et que Microsoft n’est pas intouchable. À ma gauche, vous avez Ubuntu qui nous a prouvé que Linux sur l’ordinateur personnel n’est pas une utopie, qu’il peut être simple et populaire. Et finalement, il y a Google qui s’est inspiré des succès des deux autres protagonistes et qui travaille sur son propre système d’exploitation basé sur Linux, dont la pièce maîtresse est le navigateur Chrome.

Certains vous diront que c’est l’évolution. J’appelle plutôt ça tacler ses concurrents en s’appuyant sur leurs points forts et en insistant bien sur le fait que c’est un système d’exploitation tourné vers le Web dédié aux netbooks. Ça n’est, pour moi, rien d’autre qu’un stratagème pour éviter que la concurrence ne réagisse en formant des alliances avant que Chrome OS ne dévoile tout son potentiel.

Est-ce à dire que je pense que Google c’est le mal ? Non. Cependant, un grand pouvoir implique de lourdes responsabilités, mais leur puissance est telle que céder à la tentation serait facile. La tentation étant ici de tuer toute compétition pour faire rentrer plus d’argent plus facilement et faire gonfler les bénéfices. Dieu seul sait le retard qu’a pris l’Ère du Numérique parce que les hommes et les femmes à la tête de certaines grosses entreprises ont cédé à la tentation. Honte à vous tous.

Ceci étant dit, considérons les points de friction qui pourraient naître entre Google d’un côté et Mozilla et Ubuntu de l’autre si le système d’exploitation Chrome OS devenait populaire. On pense évidemment en premier lieu aux revenus de Mozilla, dont Google est la principale source. Google pourrait commencer à réduire sa rétribution au clic ou à la recherche. Google pourrait étoffer les fonctionnalités de Google search et réserver ses innovations à son navigateur pour vous pousser à utiliser Chrome, etc. On pourrait encore spéculer longtemps comme ça. Mais on a mieux à faire, non ?

La situation entre Google et Ubuntu me rappelle celle de Microsoft et Sega. Vous souvenez-vous de ce qui s’est passé quand Microsoft a aidé Sega à créer la Dreamcast ? Moi je m’en souviens ! Sega n’a pas tenu longtemps et Microsoft a lancé la Dreamcast 2… pardon, la Xbox. Quelque chose me dit que ce scénario pourrait bien se reproduire ici. Canonical devrait rester sur ses gardes. Rien n’empêcherait Google de racheter Ubuntu/Canonical évidemment. Ça ne serait pas si surprenant, après tout, si Mark Shuttleworth sait faire quelque chose, c’est bien créer une société avec le vent en poupe et la revendre avec un joli profit.

Maintenant, si Mozilla et Ubuntu/Canonical venaient à s’allier, ils devraient avoir le poids pour rivaliser avec Google ou n’importe qui d’autre. De toutes façons face aux autres grosses entreprises, ils ne peuvent pas se contenter d’être passifs au risque de se faire écarter du marché qu’ils ont aidé à créer. Fini le temps des « On verra ». L’heure est venue de se préparer pour le futur et de choisir des alliés solides.

Notes

[1] Crédit photo : Jane Rahman (Creative Commons By)




Rencontre avec Jean-Christophe Frachet et Valentin Villenave du Parti Pirate

Parti Pirate - Affiche élections régionales 2010Ce blog tente modestement d’en témoigner au quotidien, quelque chose d’important est en train de se jouer actuellement autour d’Internet et des nouvelles technologies.

En caricaturant à l’extrême, on pourrait, c’est maladroit et réducteur mais c’est parlant, poser la question ainsi : souhaitons-nous, pour aujourd’hui et pour demain, vivre dans un monde « inspiré par l’Hadopi » ou dans un monde « inspiré par le logiciel libre » ?

Politiques, industriels, juristes, financiers, publicitaires, grands médias… les tenants d’un « monde Hadopi » sont nombreux et puissants. Structurellement et culturellement issus du millénaire précédent, ils ont toutes les peines du monde à comprendre pourquoi on leur répond partage quand ils nous disent consommation. Ils ont une bonne longueur d’avance parce qu’ils possèdent pouvoir, argent, monopoles, brevets ou propriété intellectuelle, et influencent plus ou moins directement tous les moyens de communication de masse, permettant ainsi trop souvent de modeler ou endormir les esprits (qui ne se réveillent que pour les soldes).

Tous les moyens de communication sauf un. Ils ont mis du temps à comprendre mais ils ont désormais pris la mesure de la menace et ils ne s’en laisseront pas compter.

C’est dans ce contexte qu’une « minorité d’agités avant-gardiste » a décidé d’entrer en résistance pour préserver tous les possibles qu’offre potentiellement Internet (normalement, là, la musique de Star Wars devrait se déclencher).

Les modalités d’actions sont diverses et variées. Cela peut par exemple prendre la forme d’un réseau de sites et de projets collaboratifs qui placeraient subversivement toutes ses ressources sous licence libre. Cela peut également prendre la forme d’un groupe de pression qui, de Paris à Strasbourg en passant par Bruxelles, obligerait les élus du peuple à se rappeler au bon souvenir de leurs responsabilités et obligations citoyennes.

Mais cela peut aussi, et pourquoi pas, prendre carrément la forme d’un parti politique, original et différent, qui viendrait se mêler à la cour des grands pour y apporter sa fraîcheur et sa vision.

Telle est mon introduction toute personnelle du Parti Pirate, qui après une sorte de galop d’essai remarqué lors d’une législative partielle dans les Yvelines, a décidé de déployer ses voiles à l’occasion des prochaines élections régionales, où tout le monde peut encore être candidat à la candidature (on appréciera au passage la déclaration d’intention de Perline, tête de liste à Paris).

Le connaissant finalement assez peu, j’ai décidé d’en savoir plus en interviewant deux de ses membres ci-dessous.

Entretien croisé avec Jean-Christophe Frachet et Valentin Villenave

Bonjour Jean-Christophe, bonjour Valentin, pouvez-vous vous présenter rapidement ?

Jean-Christophe – Je m’appelle Jean-Christophe Frachet, j’ai 44 ans. J’ai récemment démissionné du MRC de Jean-Pierre Chevènement, où j’étais responsable de fédération, et délégué national aux TIC. J’ai, de plus, été élu à Paris dans le 2e arrondissement délégué au TIC et au développement économique de 2001 à 2008. J’ai été PDG d’un groupe de communication pendant 10 ans ; je suis aujourd’hui responsable de la mission TIC à la direction générale d’un département d’Île-de-France. Je suis au Conseil d’administration de la FING et de Silicon Sentier. J’ai une petite fille de 18 mois, et je joue de la guitare basse dans un groupe.

Valentin – Je m’appelle Valentin Villenave, j’ai 25 et je suis musicien. J’ai découvert les licences libres grâce à Framasoft, et je suis très vite devenu activiste du Libre, tant dans le domaine culturel qu’informatique (je suis contributeur du projet GNU LilyPond). J’ai rejoint le Parti Pirate dès son apparition en juin 2006, et au fil du temps, je me suis retrouvé parmi l’équipe dirigeante : je suis aujourd’hui trésorier du parti.

Qu’est-ce que le Parti Pirate ? Quel est son programme, sa motivation ?

Valentin – L’histoire du Parti Pirate commence comme une blague, un soir de réveillon (trop ?) arrosé. Un programmeur suédois qui, sur un coup de tête et pour épater ses amis, ouvre une page web avec simplement « Parti Pirate » en noir sur fond blanc. La blague marche au-delà de toute attente : des dizaines de milliers de citoyens accourent, parce qu’il y a longtemps qu’ils ne se reconnaissent plus dans les partis politiques traditionnels, parce qu’ils n’en peuvent plus d’être traités, à longueur de médias, de « pirates » pour un oui ou pour un non, et parce qu’ils y voient, enfin, l’espoir de se réapproprier une vie politique qui leur est étrangère. Rien qu’en 2006, une vingtaine de Partis Pirates apparaissent, en Europe puis dans le monde (il y en a aujourd’hui deux fois plus). En France, l’indignation suscitée par la loi « DADVSI » est grande, et les débuts du Parti Pirate seront volontiers provocateurs ; il faudra quelques semaines pour que se stabilisent une idée-force simple et évidente : il faut réaffirmer les Droits de l’homme et les valeurs citoyennes dans la société d’aujourd’hui, en tirant pleinement parti des possibilités ouvertes par le progrès technologique.

Cela passe, notamment, par un accès plus transparent, plus immédiat et universel à l’information, à la culture et à la connaissance. Le droit de la « Propriété Intellectuelle », ces deux derniers siècles, s’est transformé en un outil d’asservissement, de maintien de monopoles et de raréfaction artificielle (alors que, nous le savons bien, les richesses immatérielles peuvent aisément être partagées à l’infini). Le droit (originellement) « d’auteur », par exemple, happe les artistes dans un engrenage d’intermédiaires et d’industriels qui, de fait, les dépossède du contrôle de la façon dont est diffusé le fruit de leur travail.

Autre exemple, le système des brevets tourne en circuit fermé (ex: brevets logiciels), s’étend à tout et n’importe quoi (ex: brevets sur le vivant), et ce au détriment des régions déshéritées du monde (ex: les brevets pharmaceutiques qui empêchent l’accès au soin). Enfin, il est urgent de s’interroger sur l’avenir qui se dessine, aussi bien dans « nos » démocraties occidentales que dans le monde entier : les citoyens doivent faire entendre leur voix, partout, pour que la technologie soit un outil d’émancipation et d’enrichissement, et non d’asservissement ou de flicage. Pas besoin d’aller chercher loin pour en trouver des exemples : ici-même, sous nos yeux, la neutralité du réseau, l’accessibilité et la transparence de l’information, les libertés civiques les plus fondamentales (liberté d’expression, droit à la vie privée) sont constamment rognées sous des prétextes de lutte contre le terrorisme, contre la pédophilie,… sans oublier les vilains « pirates » !

Jean-Christophe. – Après trois ans et demi d’existence en France, j’ai proposé au Parti Pirate de se doter d’un premier texte fondateur, que nous avons rédigé ensemble pour récapituler nos positions et nous permettre de nous exprimer dans différents domaines. Nous en avons assez de la politique purement gestionnaire qui navigue à vue. On arrive à des absurdités où l’on se plaint qu’on ne vend pas assez de voitures mais il ne faut pas s’en servir parce que ça pollue ! On appuie sur le frein et l’accélérateur en même temps.

Le Parti Pirate défend les valeurs de Liberté, Egalité et Fraternité, que l’on pourrait appeler le socle Républicain. Il est le seul qui prend aujourd’hui en compte le bouleversement de l’arrivée de l’internet et des nouvelles technologies avec tout ce que cela modifie dans nos sociétés et nos organisations. Le « développement durable » est aussi une dimension très présente, qui complète notre réflexion. C’est sur ces trois piliers que s’articulent nos prises de positions et propositions.

Est-ce à dire que les partis traditionnels déjà en place ne remplissent pas toutes leurs responsabilités ? Se coupent-ils de la jeune génération ?

Jean-Christophe – Je pense que les Partis « traditionnels » ne prennent pas en compte les bouleversements de l’arrivée des TIC. Nous avons des générations d’hommes et de femmes au pouvoir qui sont nés dans l’illusion d’abondance de ressources et d’énergie, mais dans une rareté de l’information. Cependant c’est aujourd’hui le contraire : il y a pénurie de ressources et d’énergie, alors que l’information est accessible au plus grand nombre. Je crois aux fondamentaux Républicains et à ce projet de société. Pour moi, c’est un projet collectif au service des individus. Mais si on prend en compte le passage de l’ère industrielle à la société de l’information, beaucoup de paradigmes sont remis en question (biens dématérialisés, temps, espaces, citoyenneté, sphère privée,…). Il ne faut pas chercher les solutions de demain avec le contexte d’hier. Je pense que la fracture est là.

Valentin – Nous n’avons pas la prétention d’être un parti générationnel ! Il est certain qu’une certaine partie de la population s’est déjà rendu compte des formidables opportunités nouvelles qu’ouvre, par exemple, Internet ; nous ne devons pas nous en réjouir, mais faire en sorte que cette connaissance s’étende le plus vite possible au reste des citoyens ! En ce qui concerne les partis traditionnels, nous avons bon espoir qu’ils comprendront tôt ou tard qu’il n’y a pas de sens à s’accrocher à un édifice républicain « pyramidal ». Cette prise de conscience a déjà commencé, et se traduit par des réactions de peur, ou de convoitise. Nous voulons croire que peu à peu la notion d’intérêt général prédominera. Le but ultime du Parti Pirate… c’est qu’il n’y ait plus besoin de Parti Pirate !

Et êtes-vous réellement si différent d’un parti écologiste par exemple ? Et que feriez-vous si un tel parti, ou un autre, adoptait en bloc votre programme ?

Valentin – Cela a déjà commencé, très tôt. Nous nous en réjouissons, même si nous regrettons souvent que nos propositions les plus marquantes (par exemple, légalisation du P2P) soient reprises sans les questions fondamentales qui vont avec : à aucun prix nous ne voulons devenir un simple distributeur à buzzwords. Nous cherchons à inventer et proposer un modèle de société, pas à fournir des concepts creux pour communicants de tous poils. Tu évoques les mouvements écologistes ; il est vrai qu’on nous en rapproche parfois, et d’ailleurs les députés européens Pirates siègent avec le groupe parlementaire des Verts. Mais nous osons croire que (tout comme nos préoccupations) le souci des générations futures et du Tiers-monde ne sont pas l’apanage d’un parti quel qu’il soit !

Jean-Christophe – Avant tout, nous défendons des idées. Les idées appartiennent à ceux qui les mettent en œuvre en politique. Il me semble néanmoins qu’il est nécessaire d’avoir une vision politique au delà de telle ou telle proposition. Certains points peuvent nous rapprocher effectivement d’un parti écologiste, mais je ne vois pas pourquoi seulement de ce type de parti. Mon modeste parcours en politique m’a appris à me méfier des étiquettes. J’ai tellement rencontré, par exemple, de militants ou d’élus qui se réclamaient de Gauche et qui avaient oublié l’intérêt général et la défense des services publics ! C’est pour ça qu’au delà des Partis, il y a les idées et les actes.

Jean-Christophe, tu te présentes aux prochaines régionales en tête de la liste Île de France du Parti Pirate. Quelles sont les spécificités de cette région par rapport aux thèmes qui vous sont chers ?

Jean-Christophe. – Avec la réforme territoriale, la Région va prendre de plus en plus d’importance. Et l’Île de France, à ce titre, est symbolique de par son rayonnement national et international. Les problématiques de transport, de logement ou d’éducation y prennent des proportions considérables. Je ne pense pas qu’il y ait un seul domaine qui ne puisse pas être regardé sans tenir compte de l’arrivée des nouvelles technologies et du développement durable. C’est transversal, général et inéluctable.

Par exemple, passer du transport à la mobilité. Comment rendre utile le temps de transport et favoriser le télétravail plutôt que multiplier le nombre de routes ou bien la taille des trains. Cela ne suffira jamais avec l’évolution de la démographie. La spécificité de l’ïle de France, c’est 20% de la population Française, un territoire parmi les plus visités au monde et un rayonnement international.

Valentin – D’une façon générale, les régions sont un espace de choix pour implémenter une politique publique d’accès aux infrastructures, au savoir (lycées, portails Internet, information du grand public,…) et à la culture. Et elles ont également un rôle primordial à jouer dans la défense des libertés civiques : ainsi, la région Île-de-France est particulièrement mise à contribution de la politique sécuritaire que prévoit le projet de loi « Loppsi », que nous avons lu très attentivement et dont nous serons amenés à beaucoup reparler dans les semaines à venir…

Ce n’est pas la première expérience électorale nationale du Parti Pirate puisqu’il y a eu la législative partielle de la 10ème circonscription des Yvelines en septembre dernier. Quels enseignements en avez-vous tiré ? La petit polémique qui a suivi était-elle infondée ?

Jean-Christophe – Même si je suivais déjà tout ça avec attention, je n’étais pas encore au Parti Pirate à cette époque. Valentin ?

Valentin – Ah, les Yvelines… Une bonne surprise au premier tour (où nous avons fait plus de 2%), une mauvaise surprise au second tour (où l’UMP s’est maintenue, à 5 voix près !). Notre candidat Maxime Rouquet n’avait pas voulu donner de consigne explicite, mais avait signalé que le choix de nos électeurs serait « décisif, et pourrait faire basculer cette circonscription » en faveur de la candidate écologiste. D’aucuns ont accusé le Parti Pirate d’avoir fait le jeu de la droite, d’où cette « tempête dans un Vert d’eau » à laquelle tu fais allusion.

Mon principal regret est que cette campagne tout entière ait été submergée par la loi «Hadopi», ce qui a notamment permis au député UMP sortant de brouiller les pistes en s’achetant une vocation de anti-hadopiste de la onzième heure. Il n’en demeure pas moins que le (relatif) enthousiasme provoqué au premier tour par la présence du Parti Pirate ne pouvait que s’estomper lors d’un second tour entre deux partis plus traditionnels.

Nous avons d’ailleurs tenu à rencontrer les Verts par la suite, pour réaffirmer clairement que notre propos n’est pas de faire obstacle à un parti en particulier, et certainement pas au leur. Bien au contraire, comme je le disais plus haut, nous ne pouvons qu’appeler de nos vœux une remise en question profonde des partis traditionnels, que nous souhaiterions plus proches des citoyens, plus ouverts à la société et au monde d’aujourd’hui. Et il sera à ce titre particulièrement intéressant de voir dans quel sens les Verts ont la volonté (et la capacité) d’évoluer.

Comment s’inscrit le Parti Pirate au sein des autres partis pirates nationaux ? Je pense notamment au suédois qui a fait grand bruit aux dernières élections européennes. Et d’ailleurs que fait-il ce Piratpartiet suédois depuis qu’il siège au parlement ?

Valentin – Le mouvement Pirate a ceci d’intéressant (et d’inédit) qu’il a commencé à exister au niveau international avant même le niveau national. Le Parti Pirate International, comme il convient aujourd’hui de l’appeler, est un agrégat à la fois disparate et surprenamment uni ; non en ce qu’il n’y a pas de débats animés, mais qu’on trouvera souvent plus de dissensions entre deux pirates d’un même pays qu’entre des pirates des quatre coins du monde ! Premier parti pirate historiquement, le Piratpartiet est aujourd’hui l’un des partis les plus importants de Suède. Outre son efficacité et le talent de ses membres, il a bénéficié (comme nous-même avec Hadopi) de la politique inique et choquante du gouvernement : la mascarade de procès The Pirate Bay, etc.

Vous apportez un regard nouveau à notre fameuse devise républicaine sur votre site. Or Richard Stallman commence toujours ses conférences en français par : « Je puis définir le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité… ». Dans la mesure où Framasoft sort en ce moment un livre qui lui est consacré, que vous inspirent cette personnalité et sa croisade pour le logiciel libre ?

Jean-Christophe – Je trouve l’analogie avec les fondamentaux républicains très intéressante. En effet, le logiciel libre regroupe ces concepts. Richard Stallman est « un grand bonhomme », qui a fait beaucoup pour apporter une vision politique, même si cela n’est pas vu comme tel pour une « population » qui, même si elle est militante, se défend d’être politisée. Je pense que c’est dans quelques années que le grand public se rendra compte de l’apport théorique qu’il a apporté à cette société de l’information qui se met en place. Va-t-on revenir aux deux blocs de la guerre froide, du moins sur le plan idéologique ?

Valentin – RMS est sans aucun doute le participant le plus éminent des discussions du Parti Pirate International, dont il ne loupe pas une miette, toujours avec la patience et la minutie qui le caractérisent. J’ai deux grandes fiertés : la première est de pouvoir entretenir, grâce à notre Parti Pirate frenchy, une relation privilégiée avec lui ; nous avons d’ailleurs été les premiers à prendre en compte ses remarques sur la réforme du copyright. La seconde, bien moins anecdotique, est qu’il est également indéniable que l’apparition du Parti Pirate a visiblement nourri la pensée de rms lui-même, et contribue à donner corps à ce qu’il avait pressenti dès le début : « le logiciel Libre est un mouvement social ».

Lorsqu’il nous a rejoints cet automne, Jean-Christophe a été (agréablement, je crois) surpris de constater combien nous étions attachés aux valeurs citoyennes de Liberté, Égalité, Fraternité. De fait, c’est peut-être là l’extraordinaire convergence que permet de réaliser le Parti Pirate : offrir aux communautés du Libre, du P2P, aux artistes, aux citoyens de tous horizons une base commune de dialogue, de réflexion et d’action. Mes collègues du PP vont probablement me dire que ce sont de bien grands mots, mais c’est exactement cette convergence qui m’a amené à tenir bon, contre vents et marées, depuis près de quatre ans, en tant que contributeur Libriste, enseignant, auteur, et citoyen avant tout, le Parti Pirate est presque un résumé de ma vie 🙂

Et d’ailleurs que vous inspire la citation qui orne le Framablog : « …mais ce serait peut-être l’une des plus grandes opportunités manquées de notre époque si le logiciel libre ne libérait rien d’autre que du code » ?

Valentin – … Que cette phrase a une mauvaise influence sur les âmes trop sensibles, puisqu’elle m’a moi-même conduit à gaspiller bêtement quatre ans de ma vie au lieu de m’inscrire à la SACEM « comme tout le monde »… Au-delà de l’anecdote, nous espérons que le Parti Pirate pourra « hacker » la vie politique de la même façon que RMS a « hacké » le copyright lorsqu’il a rédigé la toute première licence libre. L’internet a potentiellement aboli la distance entre émetteur et récepteur, et ouvre la voie à de nouveaux modèles sociaux : contributifs, plus horizontaux et moins pyramidaux. Du reste, les mordu(e)s du Libre ne s’y trompent pas puisque Perline, grande SPIPienne devant l’Éternel, nous a également rejoints il y a peu !

Jean-Christophe – Je pense qu’en effet, il y a des modèles dans le libre qui peuvent être déclinés dans la vie matérielle. Nous avons besoin de revisiter certains fondamentaux de notre société et la société de l’information va très vite, on pourrait dire des années de chien (1 an = 7 ans) ! Il y a des modèles qui se mettent en place, évoluent, mutent et se perfectionnent ou meurs rapidement. C’est presque un laboratoire en accéléré de différents modes de société. Il me semble que l’on pourrait s’en inspirer parfois en politique.

Et pour parfaire le tableau, notre slogan : « La route est longue mais la voie est libre… »

Valentin – Je relis cette phrase avec un peu de nostalgie car elle me renvoie à une époque lointaine où l’on pouvait se dire que la vie politique française avait touché le fond… Nous étions loin du compte.

Jean-Christophe – En effet, nous n’en sommes qu’au début.

Quant à Lenine, il disait : « le communisme, c’est les soviet plus l’électricité ». Et Internet, c’est les réseaux sociaux plus l’électricité ?

Jean-Christophe – Je pense que le réseau c’est le cartographie d’un nouveau monde avec de nouvelles frontières, de nouvelles règles et de nouveaux acteurs. Il y a 15 ans, on ne se serait pas douté de ce qui advient aujourd’hui, alors dans 15 ans… Tout est possible, le meilleur comme le pire, mais à une échelle de temps très réduite.

Valentin – À titre personnel, l’expression même de « réseau social » me hérisse. Nous sommes heureusement nombreux à faire tout notre possible pour qu’Internet ait davantage à apporter aux populations du monde que des gadgets branchouilles et propriétaires.

Vous souhaitez en profiter pour lancer un appel important je crois…

Jean-Christophe – En effet, nous proposons à tout citoyen qui partage nos idées de partager les listes avec nous, sans nécessairement adhérer au Parti Pirate : nous défendons des idées, pas des étiquettes.

Nous avons fait un dossier à télécharger où tout est expliqué. Il ne faut pas trainer, les listes sont à déposer début février ! Vous pouvez en savoir plus sur : http://2010.parti-pirate-elections.fr/Etre-candidat-a-la-candidature

En tout cas, bravo pour le travail que vous faites à Framasoft, c’est utile pour aujourd’hui et pour demain. Et en plus, c’est sympa, ce qui ne gâche rien !

Valentin – Merci à toi aKa pour ton curiosité, ton dévouement et tes questions toujours pertinentes et approfondies. À très bientôt !




Le petit scarabée et la copie privée

Fesoj - CC byLorsque, par exemple, vous achetez une Framakey Ubuntu-fr Remix dans notre boutique, il y a 0,60€ qui sont prélevés au titre de l’exception pour copie privée. Vous n’y trouverez évidemment pas d’iPod dernier cri, mais si tel avait été le cas on aurait alors dépassé les 20€ de copie privée !

Qu’est-ce donc que cette taxe particulière ? Il y a Wikipédia mais il y a aussi le site officiel dédié du gouvernement : « Compenser financièrement le préjudice subi par les titulaires de droits d’auteur et de droits voisins afin de maintenir l’exception de copie privée au bénéfice du consommateur, tel est l’objectif du système de la rémunération pour copie privée. »

On notera d’ailleurs que ce site est sous le très libre Spip, dont la communauté ne demande aucune compensation financière, mais un don est toujours le bienvenu. Parenthèse fermée.

Cette compensation a rapporté rien moins que 173 millions d’euros en 2008, plus d’un milliard de nos anciens francs pour une seule année ! Il faut dire qu’elle ratisse très large, le nombre de produits taxés donne un peu le vertige.

Et pourquoi pas taxer Google tant qu’on y est ?!

Personnellement il peux m’arriver d’acheter un disque dur externe, une clé, des CD ou DVD vierges, une mémoire supplémentaire pour mon appareil photo, voire peut-être un jour un smartphone, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir un jour utilisé tout ceci dans le but de faire la moindre copie « d’œuvres protégées ». Et mon baladeur audio ne contient que des podcasts radios et de la musique en libre diffusion. Moralité, je finance indirectement les industries culturelles sans aucun avantage en retour et alors même que, Hadopi oblige, je suis en complet désaccord avec leurs politiques actuelles vis-à-vis du numérique.

Admettons cependant qu’il me prenne soudainement l’envie de faire des copies privées.

Toujours sur le site officiel : « L’exception pour copie privée, faculté accordée à l’acquéreur légitime d’une oeuvre, couvre tout acte de copie d’une oeuvre sur un autre support, pour son propre usage. Cette exception est une restriction apportée au droit de reproduction de l’auteur ou du titulaire de droits voisins d’interdire ou d’autoriser une copie de son oeuvre ainsi que le droit d’en percevoir, en contrepartie, une juste et équitable rémunération. »

J’ai souligné en gras le passage parce que la moindre des choses c’est alors de pas bloquer techniquement la possibilité de faire des copies privées. Sinon c’est la double peine : la taxe pour autoriser une pratique impossible à effectuer !

Or c’est exactement ce qui est arrivé à A. Salaün dans le récit ci-dessous qui ne manque pas d’humour. Parce qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer…

Je voulais juste sauver mon DVD

URL d’origine du document

A. Salaün – 20 janvier 2010 – Creative Commons By-Sa

Voici mon histoire, au cours de laquelle je cherchais à copier, pour le sauvegarder, un DVD que j’avais acheté dans le commerce sur un DVD+R que j’avais aussi acheté dans le commerce en France et tout bien payé ce que je devais sur ce DVD d’un (très mais alors très) grand musée public national français, moi le petit français utilisateur de Gnu/linux. Et d’abord après avoir constaté que ma copie ne marchait pas, j’ai donc dû faire une plongée dans le système d’exploitation des forces du mal pour essayer de comprendre et de faire cette copie de sauvegarde de MON DVD. C’est alors que j’ai pu constater que ce DVD était protégé par un système appelé « StarForce » qui empêche d’ en faire une copie valide. Enfin on peut mais c’est très compliqué et surtout interdit. Je me suis renseigné, en voici la preuve :

« Mais dis donc Nicolas (j’ai choisi ce prénom au hasard et par goût parce que je trouve que c’est un vraiment très beau prénom que j’aurai voulu m’appeler comme ça mais pas de peau moi c’est un autre que je dis pas, on sait jamais, fin de la parenthèse) je paie une taxe pour droit de copie privée moi ? Et pourquoi je ne peux pas copier mon DVD que j’ai payé et toussa alors ?

— Parce que, petit scarabée récalcitrant[1], tu serais alors un malfrat.

— Oh ! Mais grand maître ! Puisque j’ai payé la taxe du droit kivabien !

— Tu insistes lourdement, petit scarabée récalcitrant et puant, et comme tous les petits scarabées récalcitrants et puants, tu ne comprend pas la LOI : ça n’est pas parce qu’il existe une taxe copie privée et que tu l’as payée que tu as le droit de copier privativement !

— Mais quand même oh ! grand-maître-qui-sent-si-bon ! Pourquoi payer un droit si on ne peut l’exercer ?

— Aaaahhhh ! Petit sacarabée récalcitrant, puant et lourdingue, parce qu’il y a sur ce DVD une mesure de protection des droits, et qu’il est interdit de la contourner, car ainsi tu deviendrais un pirate ! Et avant que tu n’insistes encore, sache que tu ne peux ABSOLUMENT PAS contourner cette mesure, même si elle t’empêchait d’exercer ton droit à copie privée, car vois-tu, petit scarabée récalcitrant, puant, lourdingue et un peu con, ce droit n’en est pas réellement un, c’est juste une tolérance et tu ne peux donc t’en prévaloir !

— Mais oh ! mon-maître-si-tellement-élevé-à-la-pensée-profonde-et-affutée-et- qui-sent-si-bon puisque c’est écrit que j’ai payé un droit pourquoi ne l’est-il pas. N’est-ce pas contradictoire ? Et votre deuxième loi ne contredit-elle pas alors la première ?

— Dis donc ! Petit scarabée récalcitrant, puant, lourdingue , un peu con et hors-la-loi, tu te crois peut-être plus compétent et intelligent que les experts réunis en commissions, Grenelles et autre symposium ? Plus compétent que les JUGES qui en ont ainsi décidé. Remettrais-tu en cause la LOI ? N’aurais-tu pas tenté de contourner cette protection pour être si bien au fait de tout cela. Tu l’as fait c’est certain ! Sinon tu ne serais pas aussi renseigné ! Et en plus tu as l’audace de t’en vanter ! De réclamer ! Alors que tu as, c’est sûr maintenant, piraté la sacro-sainte propriété intellectuelle et ses mesures de protection, piétiné et bafoué la loi-du-peuple-et-ou-de-ses-représentants-démocratiquement-zélus ! Peut-être même as-tu attenté à la sécurité nationale ou penses-tu le faire, ce qui est presque la même chose, essayé de faire déraillé nos trains, pire ! nos T.G.V ! Voire t’être affilié à un-mouvement-d’ultra-gauche-qui-cherche-à-destabilser-la-démocratie-fleuron-de-le-France-éternelle-et-des-lumières ! Écoute bien, petit bousier récalcitrant, puant, lourdingue , un peu con, hors-la-loi, anarcho-gauchiste et crypto-terroriste sais-tu bien que je pourrais te livrer à l’Hadopi ?

Elle seule pourra alors constater à quel point tu as pêché ! Elle retournera tes disques durs, y installera des espions logiciels, te confisquera tes biens informatiques, te livrera aux mains de ses miliciens les plus féroces et déterminés, te fera dire la VÉRITÉ tu entends ! LA VÉRITÉ ! Et si tu avoues tu seras alors puni mais pardonné et tu pourras reprendre place dans le monde des citoyens-numériques.

Mais si tu t’obstines à nier, c’est l’ENFER numérique que je te promets ! Tu seras banni, tes biens confisqués, tes blogs effacés, tes opinions oubliées, tes articles et leurs archives annihilés., même la vieille presse écrite ne te connaîtra plus ! Et si tu viens à trépasser avant que ne sois absous, point n’auras le droit d’ être de jour et par tes amis et commensaux enterré en hors-sol numérique, et ton avatar errera à jamais dans les réseaux infernaux du monde warez des succubes ! »

Alors là, je l’avoue j’ai eu peur et j’ai abandonné. Tant pis. si j’abîme mon DVD je paierai à nouveau, mais je suis bien content de l’avoir échappé belle. Ouf ! ! Je ne suis pas un héros … heu… non… pardon,pardon je ne savais pas que c’était copyrighté, j’ai barré, j’ai barré…

…Je suis bien content oui ! bien content… Vive la France ! Oui vive la France !

A. Salaun
(comme dit plus haut je ne donne pas mon prénom … on ne sait jamais…)

Notes

[1] Crédit photo : Fesoj (Creative Commons By)