Clicnat, le « Picardie GO ! » libre et plus vrai que nature…

Clicnat, une application pour trouver les plages naturistes cet été ? Pas vraiment, c’est plutôt le Pokemon Go de Picardie…

Mais un Pokemon Go en réalité réelle (même pas besoin de l’augmenter :p) et avec des bestioles de toutes sortes : grâce à l’association Picardie Nature, vos balades peuvent alimenter les données naturalistes locales, et en plus, c’est libre !

Notre Fred avait rencontré l’été dernier (lors des RMLL de Beauvais) la joyeuse troupe de cette association, mais (tout au peaufinage de son polar) il n’a pas pu réaliser l’interview.

Qu’à cela ne tienne, l’intrépide Tripou, un des Framacolibris furetant sur le forum des bénévoles de Framasoft, a pris le relais, et est allé interroger Picardie Nature pour qu’ils nous en apprennent plus sur Clicnat.

cliquez sur la capture d'écran pour découvrir Clicnat
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Pourquoi avoir choisi le libre pour Clicnat ?

C’est déjà un réflexe naturel, Picardie Nature utilise du logiciel libre et partage ce qu’elle produit, la plus grande partie des postes de travail est sous Ubuntu. Mais aussi parce qu’on a souhaité qu’il soit accessible à d’autres et au-delà de la Picardie. De cette façon, l’effort qu’on a fourni pour le créer ne devrait pas être à nouveau mobilisé et l’énergie qu’on y apportera doit servir à en faire quelque chose de mieux.

Ceux que ça intéresse peuvent aussi regarder comment c’est fait, comment ça marche et il y a aussi forcément l’argument économique qui va devenir prépondérant dans le contexte actuel où la fonte de nos subventions est indexée à celle des glaciers.

C’est pour nous aussi un moyen d’indépendance, le maintien en ligne uniquement pour la saisie des données peut ne coûter qu’une machine et un peu de temps bénévole. C’est le travail de développement, d’animation, de mise en circulation des données qui sera impacté, l’existant peut être préservé et on pourra toujours continuer à noter nos observations.

Est-ce parce que Sterne et BDN (utilisés à l’ONF) ne vous convenaient pas, que vous avez choisi de développer une application libre?

Avant de se lancer on a testé plusieurs outils, on a pu accéder au code et en installer certains. Ces applications ont certainement eu une évolution depuis mais a ce moment-là pour nous elles étaient, selon nous, trop orientées vers un public scientifique et leur module cartographique ne nous satisfaisait pas. On s’approchait de ce qu’on voulait faire mais sans l’atteindre.

Clicnat a été créé avec des logiciels libres, lesquels ? (OpenLayers pour la cartographie, mais encore) ?

Clicnat est principalement écrit en PHP, pour la base de données c’est PostgreSQL avec PostGis et on utilise également MongoDB. Sur l’interface on a effectivement OpenLayers pour la cartographie et aussi l’incontournable jQuery. En ce moment on commence à introduire React dans les interfaces, on s’attaque aussi au développement pour les mobiles avec Cordova en utilisant toujours React et OpenLayers.

Il n’y a pas encore de standard d’échange de données dans le monde naturaliste. Comment fait-on, alors ?

On parle souvent de la même chose, au minimum, une date, un lieu, une espèce ou taxon. Pour les deux premiers on s’en sort bien, c’est une fois qu’on discute de l’espèce ou du taxon que ça commence à se compliquer.

Les noms changent régulièrement au fil du temps, certains peuvent être regroupés ou séparés en plusieurs nouveaux taxons, c’est là qu’il faut s’entendre sur un référentiel, Clicnat a son propre référentiel et on utilise le référentiel taxonomique TAXREF, qui est géré par le Muséum national d’histoire naturelle, pour les échanges, et qui devient maintenant un standard.

En France le Muséum national d’histoire naturelle propose aussi un standard d’échange, et travaille à la mise en place du SINP pour faire circuler les données. Au niveau international il y a le Système mondial d’information sur la biodiversité (GBIF) qui existe aussi, on peut accéder aux données via des API (interface de programmation applicative), c’est très ouvert.

Qui rédige les fiches espèces auxquelles on peut accéder ?

Principalement des naturalistes picards, les textes pour les oiseaux viennent du livre Les oiseaux de Picardie. Certains ont été écrits par des stagiaires ou CDD, c’est un exercice que l’on peut faire pour acquérir la connaissance locale pour une espèce qui va faire l’objet d’une étude.

Si on ne connaît pas l’espèce que l’on croise, c’est gênant pour alimenter Clicnat ?

Ça n’est pas gênant, il y a des processus de validation et de contrôle, votre observation ne fera pas obstacle à la construction d’une autoroute si elle est farfelue. L’erreur est permise et c’est aussi un des premiers contacts que vous aurez avec un humain qui va vous questionner sur votre observation peut-être inhabituelle.

Et selon le contexte d’utilisation on va adapter le niveau d’exigence pour une donnée d’observation, dans le cadre d’une action en justice ou pour évaluer l’impact d’un projet on va regarder à la loupe ce qui est rapporté. Si on ne connaît pas l’auteur, que la présence de cette bestiole implique de gros enjeux, on va vous demander d’étayer éventuellement avec une photo et de répondre à quelques questions pour évacuer une confusion avec une autre espèce par exemple et on saura dire si ça tient la route ou pas.

Quelle est cette bestiole ? Un Chenipan ? Un Flambé ? Un autre chose ? Picard-e-s, voyez si il y en a près de chez vous grâce à Clicnat !
Quelle est cette bestiole ? Un Chenipan ? Un Flambé ? Un autre chose ? Picard-e-s, voyez si il y en a près de chez vous grâce à Clicnat !

 

La donnée devient fiable à quel moment ? C’est à dire on observe un animal à un endroit précis, on va l’inscrire sur Clicnat et on sait que tel jour à tel moment un éléphant était devant la poste ?

Une fois que deux utilisateurs validateurs ont donné un avis favorable ou que le coordinateur du réseau faunistique concerné l’a validée manuellement dans un lot.

L’accumulation des données est traitée différemment ? Un troupeau d’éléphants passe chaque année à cette période devant la poste ?

Non, Clicnat est principalement un entrepôt et une ressource pour ceux qui vont écrire un article. Le travail d’étude est principalement fait en dehors de Clicnat mais il commence par une extraction de données de celui-ci. Et plus il y a de données, mieux c’est. Ça va permettre d’affiner les dates d’arrivée et de départ de certaines espèces, de détecter des régressions ou progressions d’espèces, de mesurer l’impact du réchauffement climatique.

C’est aussi un point d’échange, en Picardie et en Normandie les plateformes regroupent plusieurs structures qui mettent leur données en commun sur leur plateforme.

Existe-t-il un équivalent pour la flore ?

Oui, il y a Digitale 2 qui est porté par le CBNBL dans le Nord Ouest mais qui n’est pas libre.

Ça peut être pas mal pour alimenter la page Wikipédia sur la faune de Picardie dont les références les plus récentes datent de 1994. C’est prévu ou vous allez laisser faire les particuliers ?

L’article sur Picardie Nature a été supprimé de Wikipédia parce qu’on manque de notoriété d’après les critères wikipédiesques. Ça nous a laissé un goût amer, pour l’instant ça n’est pas prévu de notre côté.

Sur la carte on peut voir que Rouen ne participe pas du tout au référencement… à tous les coups son excuse sera probablement que ce n’est pas le même département…tst.

C’est normal on couvre la Picardie. Mais c’est une autre instance de Clicnat quand même. Le GONm utilise aussi Clicnat, on est encore dans une phase de déploiement pour la partie restitution. On a dû faire pas mal de modifications pour que le projet puisse tourner sur une autre région. Il y avait pas mal de choses dans le code qui nous étaient spécifiques et on a dû procéder à pas mal de nettoyage. Ça nous a servi de leçon et maintenant on est plus générique sur la façon de développer.

C’est le hasard mais j’ai entendu parler d’un système similaire il y a quelques jours : Silène, qui référence également la faune et la flore dans le sud de la France, vous vous inspirez entre vous, vous discutez, ou c’est cloisonné ?

Il n’y a pas beaucoup d’échanges entre bases, c’est vrai que c’est plutôt cloisonné. On regarde évidemment ce que les autres font, j’aime ce que fait Sigogne par exemple. Sinon les attentes des utilisateurs suffisent pour nourrir la réflexion et faire germer les idées.

Y’a t-il ce genre de système dans chaque région ?

Oui, pour ceux portés par des associations de naturalistes, le plus répandu est Visionature, ensuite il y a des choses comme Clicnat (Picardie, Normandie) et SIRF (Nord Pas de Calais)

D’autres régions/départements vous ont-elles contacté pour mettre en place ce type de dispositif ?

Évidemment la Normandie, on a aussi Faune-et-route, un morceau de Clicnat dédié au collisions routières, qui est porté également à présent par le CPIE de la Mayenne. On commence à être sollicité par d’autres régions et de temps en temps quelqu’un demande à accéder au dépôt du code.

Clicnat permet également de produire des synthèses, c’est-à-dire ?

C’est ce qu’on appelle entre nous le site public, il permet à tout le monde de consulter et télécharger les données de répartition des espèces.

Alors, si je comprends bien, étant braconnier revendeur d’espèces en danger, je peux aller sur Clicnat pour m’informer des meilleurs endroits pour les choper ?

Non, parce qu’on va flouter géographiquement la localisation sur des mailles de 5km2 et parfois ne pas indiquer les communes. On ne dévoile pas les indices de reproduction ou le comportement des espèces qui pourraient dire dans quel milieu elles se trouvaient.

Quand on travaille avec des bureaux d’études ou avec les fonctionnaires qui instruisent des dossiers liés à l’environnement, on passe au kilomètre carré. Et ensuite au cas par cas, pour de la rédaction d’articles, pour la contribution à un projet particulier ou pour des actions en justice, on peut extraire les données brutes avec un maximum de précision.

elephant pokemon

Sur quel animal menacé voudriez-vous attirer l’attention ?

Aucun, ils sont tous intéressants et méritent tous notre attention. Une espèce commune aujourd’hui pourra devenir menacée demain, et si personne ne prend le temps de les noter régulièrement on le verra pas venir. Quand on soupçonnera qu’il se passe quelque chose, on ne pourra pas étayer d’hypothèse avec des observations.

 

Pour aller plus loin :




À la recherche du téléphone libre… et sans Google !

Vous connaissez l’adage ? « Si le téléphone est intelligent, c’est que l’utilisateur est stupide. » Malheureusement, il se vérifie dans la manière dont les entreprises qui conçoivent ces ordinateurs de poche (avec option téléphone) nous traitent…

Entre la prison dorée qu’est l’Iphone d’Apple (qu’il nous faut « jailbreaker » pour un tout petit peu plus de contrôle, ce qui signifie en Français qu’on en « brise les barreaux »), l’espionnage total de Google sur les Android, les autorisations hallucinantes que nous demandent les applications propriétaires, l’esclavagisme qui se cache derrière les matériaux et la construction, l’obsolescence programmée… difficile de trouver un ordiphone qui convient à nos choix éthiques.

Gee, notre illustrateur-auteur-docteur maison, est parti à la quête d’un smartphone (et de ses logiciels) qui respecterait ce lourd cahier des charges. Nous reproduisons ici un article (libre, bien entendu) paru sur son blog, qui nous offre un retour d’expérience très personnel.

N’hésitez pas à ajouter vos astuces, alternatives, choix et bonnes adresses dans les commentaires !

Photo © Fairphone, c'ets pour cela qu'il y a du Google de partout. Le reste des images de cet article est CC-BY-SA Gee
Photo © Fairphone, c’est pour cela qu’il y a du Google de partout.
Le reste des images de cet article est CC-BY-SA Gee

Fairphone : un téléphone pour libriste ?

Aujourd’hui, je vous propose un petit retour sur le Fairphone 2 qui est devenu mon téléphone il y a un mois de cela. Bon, je n’ai jamais fait d’article de ce genre alors désolé si c’est un peu décousu. Je précise d’emblée que ce n’est absolument pas un article sponsorisé ou commandé, c’est juste un retour spontané parce que je pense que cela peut en intéresser certains (les libristes en premier lieu mais pas seulement).

By Gee

Mon problème avec les smartphones

Au départ, c’est tout bête : un téléphone vieillissant mal et la volonté d’en changer. Sauf que les smartphones, outre leurs avantages (oui parce que si j’en ai un, ça reste un choix), m’ont toujours dérangé pour plusieurs choses :

  • ils sont chers (je n’ai jamais été très à l’aise à l’idée de me trimbaler avec des objets de plusieurs centaines d’euros dans la poche ou à la main) ;
  • ils sont fragiles et conçus pour durer le moins de temps possible (jusqu’à la sortie du modèle suivant, en gros), obsolescence programmée, tout ça ;
  • ils sont ultra-verrouillés. Firefox OS plus ou moins enterré, Ubuntu Touch à peine existant, c’est encore Android (et dérivées) qui se rapproche le plus du libre (c’est dire dans quelle merde on est).

Pour le prix, je m’étais toujours dirigé vers du milieu de gamme en faisant des concessions sur les perfs (je ne joue que très peu et ne regarde pas de vidéos de manière prolongée dessus, ça aide).

Pour le second, malgré tous mes efforts pour en prendre soin et pour ne conserver un système stable dans le temps, je n’ai jamais réussi à garder un smartphone bien longtemps. Le dernier en date (Sony Xperia J) va avoir 3 ans et honnêtement, il a déjà des soucis depuis facilement 1 an, c’est justement par pragmatisme que je l’ai gardé. Vous allez me dire, j’aurais pu mettre plus cher et avoir un truc plus solide. M’enfin ma sœur a réussi à péter un Samsung à 500€ avec une Chupa Chups, alors vous m’excuserez si je suis sceptique.

Pour le troisième point, il y a la solution de se lancer dans les joyeusetés du root et de l’install de ROM custom. J’ai testé avec CyanogenMod sur mon Xperia, eh bien c’est incroyablement chiant et compliqué (et je dis ça du point de vue d’un mec qui installe des GNU/Linux tous les 4 matins sur des appareils plus ou moins exotiques). Des ROMS hébergées sur d’immondes sites de direct download (avec 1 tiers de liens morts), des forums à inscription obligatoire pour lire les tutos, des utilitaires Windows-only à tous les étages. Yark. Et après on va me dire que Gnunux, c’est trop compliqué.

Le Fairphone

Bref, l’idée de changer de smartphone ne m’enchante pas vraiment. Forcément, j’en viens à chercher des choses comme « smartphone alternatif » sur Internet. C’est comme ça que je retombe sur le Fairphone (dont j’avais déjà entendu parlé d’une oreille distraite avant). Je ne vous refais pas la description, en gros un smartphone qui se veut un peu plus responsable que la moyenne : pas d’exploitation d’enfants pour l’extraction des matières premières, des circuits type commerce équitable, possibilité de facilement réparer et remplacer les pièces du smartphone pour ne pas devoir le jeter au premier souci, etc. Tout de suite, ça me tente bien.

Mais voilà, tout cela a un prix : 525€. Aïe. Bien plus cher que des téléphones aux caractéristiques équivalentes d’autres marques. Rien de surprenant, quand on paie correctement les travailleurs et qu’on essaie d’avoir des pratiques éthiques, on arrive forcément à un prix total plus élevé que des entreprises sans scrupules plus habituées aux filets anti-suicide pour les exploités au bout de la chaîne et du rouleau à la fois. Mais on est bien au-dessus de mon budget habituel. Non pas que je n’en aie pas les moyens, mais comme je l’ai dit, me balader avec des centaines d’euros à la main ou dans la poche, ça m’embête un peu.

Et là je tombe sur le truc qui va faire basculer ma décision : le Fairphone est vendu de base avec un Android classique… mais ils fournissent également une version d’Android Open Source débarrassée de toutes les apps non libres (dont toutes celles de Google, y compris Play Store). Oh. Alors certes, un Android Open Source, ce n’est pas Fairphone qui l’a inventé. Mais là, on parle d’un truc :

  • supporté officiellement par le constructeur et prévu pile pour le téléphone en question ;
  • qui ne fera donc pas péter la garantie si on l’installe ;
  • qui est (visiblement) installable en un clic (hallelujah hare krishna).

Je demande quelques conseils sur Diaspora* et devant les avis majoritairement positifs, je saute le pas. C’est cher, mais après tout j’aurais réglé 2 de mes 3 problèmes avec les smartphones (l’obsolescence et le verrouillage) en faisant une concession sur le troisième (le prix).

Est-ce que ça marche ?

En bref : oui. Premier allumage, je rentre toutes mes infos, je zappe les parties Google et je remplace direct Android par la version open Source fournie par Fairphone. Deuxième allumage, un Android parfaitement fonctionnel sans Google et avec juste ce qu’il faut (applications téléphone, appareil photo, galerie, musique, etc.). Quand on est habitué au merdier que les constructeurs ajoutent habituellement dans leurs Androids personnalisés, c’est presque reposant.

 

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Côté matos, rien à redire. On n’est sans doute pas au top de la technologie actuelle, mais pour quelqu’un comme moi habitué à du milieu de gamme, c’est parfait. Je ne vous fais pas la fiche technique, c’est dispo partout sur le web.

L’autonomie (le point qui laisse à désirer dans tous les tests) n’est pas fabuleuse mais rien de catastrophique non plus. En utilisation modérée (un peu de communication, quelques SMS, lire ses mails, ses tweets et ses forums de temps en temps), il peut tenir 2 jours voire 3 en utilisation très modérée. Après si on se lance dans les jeux ou de la navigation un peu intensive, on est plus sur 1 jour, c’est vrai. À part ça, il est stable, fluide, aucun ralentissement, appareil photo très performant (deux exemples ci-dessous). L’écran n’est pas mat mais l’affichage est de très bonne qualité.

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Après quelques semaines d’utilisation, je m’y sens chez moi. Il y a déjà eu une mise à jour de l’OS depuis que je l’ai installé. Espérons que le support dure.

Android sans Google ?

Cette partie ne concerne pas spécifiquement le Fairphone. Comment on se débrouille avec Android sans compte et sans appli Google ? Comment on se débrouille avec Android quand on veut au maximum utiliser du logiciel libre ?

Déjà, un grand classique que tous les libristes connaissent : F-Droid. C’est un app center alternatif à Google Play Store promu par la Free Software Foundation Europe. Parfait pour n’installer que des applications alternatives et libres. Le logiciel n’est pas des plus sexy (pas de doute, on est bien chez la FSF 🙂 ) mais il fait le boulot très bien. Le plus gros manque, à mon sens, c’est un système de classement : quand on recherche une app, on voudrait savoir laquelle est la plus appréciée ou la plus téléchargée et ce n’est pas possible. On finit toujours par chercher sur le web « best open source photo gallery app android » par exemple. Dommage. Pour le reste, c’est clair, épuré, on installe/désinstalle en un clic, des messages avertissent si l’appli est partiellement non-libre ou promeut des services non-libres, etc. Bref, F-Droid, c’est la supérette bio d’Android.

Ensuite, eh bien il faut juste trouver les applis qui vous conviennent. Le site Droid Break est très bien et donne quelques alternatives à des applications connues.

Un aperçu des applications installées sur mon téléphone :

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Bien sûr, dans le tas, il y a des applis pour se connecter à des services non-libres (Twitter, YouTube, etc.). Mais contrairement aux applis officielles, elles ont tendance à vous demander sacrément moins d’autorisations, c’est déjà un plus. En vrac :

  • TTRSS-Reader : lecteur de flux RSS spécialisé pour Tiny Tiny RSS (branché dans mon cas sur mon compte Framanews) ;
  • Diaspora : branché sur mon compte Framasphère. Dispensable puisque la version web de Diaspora* est très satisfaisante ;
  • Twidere : appli alternative pour gérer ses comptes Twitter. Pas de publications promotionnelles, pas de timeline et tout marche bien (manque les sondages pour l’instant). Rien à redire ;
  • LeafPic : galerie photo bien foutue (je n’étais pas très satisfait de la galerie de base) ;
  • Firefox : inutile de le présenter mais le panda roux / renard de feu (choisissez votre camp, perso j’en ai rien à carrer) marche bien aussi sur mobile ;
  • K-9 Mail : excellente appli pour gérer des comptes mails multiples. Les fans de Dr Who apprécieront la référence (perso je n’en ai – encore une fois – rien à carrer) ;
  • GBCoid : émulateur de GameBoy qui marche très bien et qui est très configurable. Oui, je disais que je ne jouais pas sur smartphone, mais c’est à moitié vrai. Disons que je suis plutôt retrogaming, ce qui se satisfait de perfs modestes en général. Les boutons émulés sur l’écran tactile, faut s’y faire (surtout pour les jeux d’adresse) mais c’est sympa d’avoir un téléphone qui fait GameBoy ;
  • ScummVM : pour faire tourner les point’n’click des années 90 (particulièrement ceux de LucasArts) dont je suis un fan absolu. Je viens tout juste de me refaire tout Monkey Island 2 (et là je refais le un, OUI C’EST DANS LE DÉSORDRE ET ALORS) ;
  • NewPipe : lecteur pour YouTube. Simple et efficace ;
  • Wikipédia : rien à redire, ça marche nickel. J’aime particulièrement le fait que cliquer sur un lien interne ouvre un petit onglet de prévisualisation en bas au lieu d’ouvrir l’article directement ;
  • Barcode Scanner : lecteur de QR-Code et assimilés. Le genre d’appli que j’utilise toutes les morts d’évêques mais qu’il est bien pratique d’avoir quand même ;
  • Turbo Editor : éditeur de texte. Je n’en ai pas une grande utilisation (éditer du texte sur un smartphone, faut être motivé), mais ça dépanne bien ;
  • Tomdroid : gestionnaire de notes. Bien pour relever les compteurs, noter un numéro, etc. Les linuxiens reconnaîtront Tomboy ;
  • OsmAnd~ : cartes et navigation basé sur OpenStreetMap avec stockage des cartes en local. Une très bonne appli qui mériterait d’être plus connue, parfaite pour remplacer Google Maps ;
  • ShoLi : gestionnaire de liste de courses. C’est tout con mais c’est très pratique (on prépare une liste puis on coche les éléments en tapotant dessus) et je m’en sers tout le temps ;
  • DAVdroid : pour gérer les contacts et calendrier de mon compte Owncloud (sur Framadrive) ;
  • RedReader : pour gérer un compte Reddit ;
  • ownCloud : client OwnCloud (pour la partie fichiers donc), branché aussi sur mon Framadrive ;
  • Amaze : l’appli est installée de base, c’est un bon explorateur de fichiers.

Et la petite appli « L’espace client » dont je n’ai pas parlé ? Eh bien là, c’est la solution de secours en l’absence d’alternative : utiliser un marque-page Firefox et en faire une icône. Là, il s’agit du portail web mobile de ma banque. Ils fournissent une appli non-libre sur le Play Store et c’est typiquement le genre de d’appli que, pour des raisons de sécurité, je n’irai pas télécharger en APK directement sur n’importe quel site venu. Bref, le web mobile, c’est bien, ça marche (quand c’est fait correctement).

Comme ça a tendance à manquer un peu, quelques captures d’écran de la plupart de ces applis :

#gallery-3 { margin: auto; } #gallery-3 .gallery-item { float: left; margin-top: 10px; text-align: center; width: 33%; } #gallery-3 img { border: 2px solid #cfcfcf; } #gallery-3 .gallery-caption { margin-left: 0; } /* see gallery_shortcode() in wp-includes/media.php */

Bilan

Alors, est-ce qu’au final, Android sans les applis fermées et sans Google, c’est faisable ? Bien sûr ! Et ça marche même très bien.

Mais est-ce que c’est pareil ? Aussi facile à utiliser ? Aussi pratique ? Alors là, je vais être un peu abrupt : la réponse est non.

Mais au bout d’un moment, il va falloir faire le deuil de ce genre de problématique. Aucune alternative libre n’a la puissance de frappe d’un GAFAM, il est illusoire d’espérer en obtenir la même chose. J’ai parlé de F-Droid comme de la supérette bio d’Android, et ce n’est pas un hasard : je pense que le choix du Libre en informatique, c’est comme le choix du bio en nourriture. Quand tu décides de manger bio, tu sais que les KitKats c’est terminé, tu sais que tes légumes seront peut-être moins brillants et que tu auras moins de choix en prenant des produits locaux (normal, on ne produit pas des bananes n’importe où et à n’importe quel moment de l’année). Mais tu manges bio parce que, quelque part, tu es prêt à faire des concession pour avoir accès à des choses plus saines et que tu sais qu’au final, tu restes « gagnant » par rapport à la bouffe industrielle. Et jamais tu n’exigeras autant de choix et de flexibilité à ta supérette bio qu’au Géant Casino d’à côté.

Le Libre, c’est pareil. Non, je n’aurai pas la dernière appli qui défonce tout, oui je me prive de certaines fonctionnalités hyper-pratiques (Google Maps et Waze pour t’aider à éviter les bouchons quand t’habites près de Nice, c’est un bonheur pourtant). Mais ça vaut le coup. Avoir un téléphone qui vous fout la paix, qui ne vous espionne pas. Des applis qui demandent juste les autorisations qu’il leur faut (c’est-à-dire souvent pas grand-chose). Pas de pub, pas de fonctionnalités payantes cachées, pas de connexion centralisée avec Google, Facebook ou qui sais-je encore. Juste des applis simples qui font le boulot et qui manquent parfois un peu de polish.

On ne démantèlera pas Géant Casino ou Carrefour avec nos petites paluches. Mais, supérette bio après supérette bio, on participe à une alternative de plus en plus viable. C’est pareil pour GAFAM et les petites alternatives qui ne paient pas de mine.

Et comme indiqué au-dessus, ça n’implique pas nécessairement de se couper totalement des services non-libres (type Twitter) dont on reste parfois encore dépendants (je n’ai pas la prétention d’être blanc comme neige sur ce point, je fais comme la plupart des gens : au mieux).

Je conclurais bien en disant que ça me rappelle un certain projet de dégooglisation, mais zut, on va encore dire que je fais de la promo pour les copains 🙂

 

Pour aller plus loin




Ce que valent nos adresses quand nous signons une pétition

Le chant des sirènes de la bonne conscience est hypnotique, et rares sont ceux qui n’ont jamais cédé à la tentation de signer des pétitions en ligne… Surtout quand il s’agit de ces « bonnes causes » qui font appel à nos réactions citoyennes et humanistes, à nos convictions les mieux ancrées ou bien sûr à notre indignation, notre compassion… Bref, dès qu’il nous semble possible d’avoir une action sur le monde avec un simple clic, nous signons des pétitions. Il ne nous semble pas trop grave de fournir notre adresse mail pour vérifier la validité de notre « signature ». Mais c’est alors que des plateformes comme Change.org font de notre profil leur profit…

Voilà ce que dénonce, chiffres à l’appui, la journaliste de l’Espresso Stefania Maurizi. Active entre autres dans la publication en Italie des documents de Wikileaks et de Snowden, elle met ici en lumière ce qui est d’habitude laissé en coulisses : comment Change.org monétise nos données les plus sensibles.

Dans le cadre de notre campagne Dégooglisons, nous sommes sensibles à ce dévoilement, c’est un argument de plus pour vous proposer prochainement un Framapétitions, un outil de création de pétitions libre et open source, respectueux de vos données personnelles…

 

Voilà comment Change.org vend nos adresses électroniques

par Stefania Maurizi

Article original paru dans L’Espresso : Così Change.org vende le nostre email

Traduction Framalang : Marie-Odile, Vincent, goofyLyn.

stefaniaMauriziL’Espresso a obtenu les tarifs de l’entreprise (de 1,50 euro à 85 centimes) et a contacté certains clients. Entre les réponses embarrassées et les reconnaissances du bout des lèvres, nous avons étudié l’activité de l’« Amazon des pétitions en ligne ». Elle manipule des données extrêmement sensibles telles que les opinions politiques et fait l’objet en Allemagne d’une enquête sur le respect de la vie privée.

On l’a appelée le « Google de la politique moderne ». Change.org, la plateforme populaire pour lancer des pétitions sur les questions politiques et sociales, est un géant qui compte cent cinquante millions d’utilisateurs à travers le monde et ce nombre augmente d’un million chaque semaine : un événement comme le Brexit a déclenché à lui seul 400 pétitions. En Italie, où elle a débarqué il y a quatre ans, Change.org a atteint cinq millions d’utilisateurs. Depuis la pétition lancée par Ilaria Cucchi pour demander l’approbation d’une loi sur la torture, qui a jusqu’à présent recueilli plus de 232 000 signatures, jusqu’à celle sur le référendum constitutionnel, que celui qui n’a jamais apposé une signature sur Change.org dans l’espoir de faire pression sur telle ou telle institution pour changer les choses lève la main. Au 21e siècle, la participation démocratique va inévitablement vers les plateformes en ligne. Et en effet on ne manque pas d’exemples dans lesquels ces pétitions ont vraiment déclenché des changements.

Il suffit de quelques clics : tout le monde peut lancer une pétition et tout le monde peut la signer. Mais il y a un problème :  combien de personnes se rendent-elles compte que les données personnelles qu’elles confient à la plateforme en signant les soi-disant « pétitions sponsorisées » — celles qui sont lancées par les utilisateurs qui paient pour les promouvoir (https://www.change.org/advertise) — seront en fait vendues et utilisées pour les profiler ? La question est cruciale, car ce sont des données très sensibles, vu qu’elles concernent des opinions politiques et sociales.

L’Espresso est en mesure de révéler les tarifs que Change.org applique à ceux qui lancent des pétitions sponsorisées : des ONG aux partis politiques qui payent pour obtenir les adresses électroniques des signataires. Les prix vont de un 1,5 € par adresse électronique, si le client en achète moins de dix mille, jusqu’à 85 centimes pour un nombre supérieur à cinq cent mille. Notre journal a aussi demandé à certaines des ONG clientes de Change.org s’il est vrai qu’elles acquièrent les adresses électroniques des signataires. Certaines ont répondu de façon trop évasive pour ne pas susciter d’interrogations. D’autres, comme Oxfam, ont été honnêtes et l’ont confirmé.

tarifs1 tarifs2

Pour Change.org, voici combien vaut votre adresse électronique

 

Beaucoup croient que Change.org est une association sans but lucratif, animée d’idéaux progressistes. En réalité, c’est une véritable entreprise, Change.org Inc, créée dans le Delaware, un paradis fiscal américain, dont le quartier général est à San Francisco, au cœur de cette Silicon Valley où les données ont remplacé le pétrole. Et c’est vrai qu’elle permet à n’importe qui de lancer gratuitement des pétitions et remplit une fonction sociale : permettre jusqu’au dernier sans domicile fixe de s’exprimer. Mais elle réalise des profits avec les pétitions sponsorisées, là où le client paie pour réussir à contacter ceux qui seront probablement les plus enclins à signer et à donner de l’argent dans les campagnes de récolte de fonds. Comment fait Change.org pour le savoir ? Chaque fois que nous souscrivons à un appel, elle accumule des informations sur nous et nous profile. Et comme l’a expliqué clairement la revue américaine Wired : « si vous avez signé une pétition sur les droits des animaux, l’entreprise sait que vous avez une probabilité 2,29 fois supérieure d’en signer une sur la justice. Et si vous avez signé une pétition sur la justice, vous avez une probabilité 6,3 fois supérieure d’en signer une sur la justice économique, 4,4 d’en signer une sur les droits des immigrés et 4 fois d’en signer une autre encore sur l’éducation. »

Celui qui souscrit à une pétition devrait d’abord lire soigneusement les règles relatives à la vie privée, mais combien le font et combien comprennent réellement que, lorsqu’ils signent une pétition sponsorisée, il suffit qu’ils laissent cochée la mention « Tenez-moi informé de cette pétition » pour que leur adresse électronique soit vendue par Change.org à ses clients qui ont payé pour cela ? Ce n’est pas seulement les tarifs obtenus par L’Espresso qui nous confirment la vente des adresses électroniques, c’est aussi Oxfam, une des rares ONG qui a répondu de façon complètement transparente à nos questions : « c’est seulement au moment où les signataires indiquent qu’ils soutiennent Oxfam qu’il nous est demandé de payer Change.org pour leurs adresses », nous explique l’organisation.

Nous avons demandé ce que signifiait exactement « les signataires ont indiqué vouloir soutenir Oxfam », l’ONG nous a répondu en montrant la case cochée par le signataire, par laquelle il demande à rester informé de la pétition. Interpellée par L’Espresso, l’entreprise Change.org n’a pas démenti les tarifs. De plus elle a confirmé qu’ « ils varient selon le client en fonction du volume de ses achats » ; comme l’a expliqué John Coventry, responsable des Relations publiques de Change.org, une fois que le signataire a choisi de cocher la case, ou l’a laissée cochée, son adresse électronique est transmise à l’organisation qui a lancé la pétition sponsorisée. Coventry est convaincu que la plupart des personnes qui choisissent cette option se rendent compte qu’elles recevront des messages de l’organisation. En d’autres termes, les signataires donnent leur consentement.

 

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Capture d’écran sur le site Change.org

 

Depuis longtemps, Thilo Weichert, ex-commissaire pour la protection des données du Land allemand de Schleswig-Holstein, accuse l’entreprise de violation de la loi allemande en matière de confidentialité. Weichert explique à l’Espresso que la transparence de Change.org laisse beaucoup à désirer : « ils ne fournissent aucune information fiable sur la façon dont ils traitent les données ». Et quand nous lui faisons observer que ceux qui ont signé ces pétitions ont accepté la politique de confidentialité et ont donc donné leur consentement en toute conscience, Thilo répond que la question du consentement ne résout pas le problème, parce que si une pratique viole la loi allemande sur la protection des données, l’entreprise ne peut pas arguer du consentement des utilisateurs. En d’autres termes, il n’existe pas de consentement éclairé qui rende légal le fait d’enfreindre la loi.

Suite aux accusations de Thilo Weichert, la Commission pour la protection des données de Berlin a ouvert sur Change.org une enquête qui est toujours en cours, comme nous l’a confirmé la porte-parole de la Commission, Anja-Maria Gardain. Et en avril, l’organisation « Digitalcourage », qui en Allemagne organise le « Big Brother Award » a justement décerné ce prix négatif à Change.org. « Elle vise à devenir ce qu’est Amazon pour les livres, elle veut être la plus grande plateforme pour toutes les campagnes politiques » nous dit Tangens Rena de Digitalcourage. Elle explique comment l’entreprise s’est montrée réfractaire aux remarques de spécialistes comme Weichert : par exemple en novembre dernier, celui-ci a fait observer à Change.org que le Safe Harbour auquel se réfère l’entreprise pour sa politique de confidentialité n’est plus en vigueur, puisqu’il a été déclaré invalide par la Cour européenne de justice suite aux révélations d’Edward Snowden. Selon Tangens, « une entreprise comme Change.org aurait dû être en mesure de procéder à une modification pour ce genre de choses. »

L’experte de DigitalCourage ajoute qu’il existe en Allemagne des plateformes autres que Change.org, du type Campact.de : « elles ne sont pas parfaites » précise-t-elle, « et nous les avons également critiquées, mais au moins elles se sont montrées ouvertes au dialogue et à la possibilité d’opérer des modifications ». Bien sûr, pour les concurrents de Change.org, il n’est pas facile de rivaliser avec un géant d’une telle envergure et le défi est presque impossible à relever pour ceux qui choisissent de ne pas vendre les données des utilisateurs. Comment peuvent-ils rester sur le marché s’ils ne monétisent pas la seule denrée dont ils disposent : les données ?

Pour Rena Tagens l’ambition de l’entreprise Change.org, qui est de devenir l’Amazon de la pétition politique et sociale, l’a incitée à s’éloigner de ses tendances progressistes initiales et à accepter des clients et des utilisateurs dont les initiatives sont douteuses. On trouve aussi sur la plateforme des pétitions qui demandent d’autoriser le port d’armes à la Convention républicaine du 18 juillet, aux USA. Et certains l’accusent de faire de l’astroturfing, une pratique qui consiste à lancer une initiative politique en dissimulant qui est derrière, de façon à faire croire qu’elle vient de la base. Avec l’Espresso, Weichert et Tangens soulignent tous les deux que « le problème est que les données qui sont récoltées sont vraiment des données sensibles et que Change.org est située aux Etats-Unis », si bien que les données sont soumises à la surveillance des agences gouvernementales américaines, de la NSA à la CIA, comme l’ont confirmé les fichiers révélés par Snowden.

Mais Rena Tangens et Thilo Weichert, bien que tous deux critiques envers les pratiques de Change.org, soulignent qu’il est important de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, car ils ne visent pas à détruire l’existence de ces plateformes : « Je crois qu’il est important qu’elles existent pour la participation démocratique, dit Thilo Weichert, mais elles doivent protéger les données ».


Mise à jour du 22 juillet : la traduction de cet article a entraîné une réaction officielle de Change.org France sur leur page Facebook, suite auquel nous leur avons bien évidemment proposé de venir s’exprimer en commentaire sur le blog. Ils ont (sympathiquement) accepté. Nous vous encourageons donc à prendre connaissance de leur réponse, ainsi que les commentaires qui le suivent, afin de poursuivre le débat.




Le chiffrement ne suffira pas

Le chiffrement, s’il n’est pas encore dans tous nos usages — et loin s’en faut, chez la plupart des utilisateurs, est nettement devenu un argument marketing et une priorité pour les entreprises qui distribuent logiciels et services. En effet, le grand public est beaucoup plus sensible désormais à l’argument de la sécurité de la vie privée. Donc les services qui permettent la communication en ligne rivalisent d’annonces pour promettre et garantir une sécurité toujours plus grande et que l’on puisse activer d’un simple clic.

Que faut-il croire, à qui et quoi pouvons-nous confier nos communications ?

L’article de Hannes Hauswedell que nous avons traduit nous aide à faire un tri salutaire entre les solutions logicielles du marché, pointe les faux-semblants et les failles, puis nous conduit tranquillement à envisager des solutions fédérées et pair à pair reposant sur des logiciels libres. Des réseaux de confiance en somme, ce qui est proche de l’esprit de l’initiative C.H.A.T.O.N.S portée par Framasoft et qui suscite déjà un intérêt grandissant.

Comme d’habitude les commentaires sont ouverts et libres si vous souhaitez par exemple ajouter vos découvertes à ce recensement critique forcément incomplet.

 

Préserver sa vie privée, au-delà du chiffrement

par Hannes Hauswedell

d’après l’article publié sur son blog : Why Privacy is more than Crypto

Traduction Framalang : egilli, Lumi, goofy, roptat, lyn, tchevalier, touriste, Edgar Lori, Penguin

Au cours de l’année dernière on a pu croire que les poules avaient des dents quand les grandes entreprises hégémoniques comme Apple, Google et Facebook ont toutes mis en œuvre le chiffrement à un degré ou un autre. Pour Facebook avec WhatsApp et Google avec Allo, le chiffrement de la messagerie a même été implémenté par rien moins que le célèbre Moxie Marlinspike, un hacker anarchiste qui a la bénédiction d’Edward Snowden !
Donc tout est pour le mieux sur le front de la défense de la vie privée !… Euh, vraiment ?

Sommaire

1. Le chiffrement
2. Logiciels libres et intégrité des appareils
3. Décentralisation, contrôle par les distributeurs et métadonnées
4. En deux mots (pour les moins courageux)

J’ai déjà développé mon point de vue sur la sécurité de la messagerie mobile et j’en ai parlé dans un podcast (en allemand). Mais j’ai pensé qu’il fallait que j’y revienne, car il existe une certaine confusion sur ce que signifient sécurité et confidentialité (en général, mais particulièrement dans le contexte de la messagerie), et parce que les récentes annonces dans ce domaine ne donnent selon moi qu’un sentiment illusoire de sécurité.

Je vais parler de WhatsApp et de Facebook Messenger (tous deux propriétés de Facebook), de Skype (possédé par Microsoft), de Telegram, de Signal (Open Whisper systems), Threema (Threema GmbH), Allo (possédé par Google) et de quelques clients XMPP, je dirai aussi un mot de ToX et Briar. Je n’aborderai pas les diverses fonctionnalités mêmes si elles sont liées à la confidentialité, comme les notifications évidemment mal conçues du type « le message a été lu ». Je n’aborderai pas non plus les questions d’anonymat qui sont connexes, mais selon moi moins importantes lorsqu’il s’agit d’applis de substitution aux SMS, puisque vous connaissez vos contacts de toutes façons.

Le chiffrement

Quand on parle de confidentialité ou de sécurité des communications dans les messageries, il s’agit souvent de chiffrement ou, plus précisément, du chiffrement des données qui se déplacent, de la protection de vos messages pendant qu’ils voyagent vers vos contacts.

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Il existe trois moyens classiques pour faire cela :

  1. pas de chiffrement : tout le monde sur votre réseau WIFI local ou un administrateur système quelconque du réseau internet peut lire vos données
  2. le chiffrement en transit : la connexion au et à partir du fournisseur de service, par exemple les serveurs WhatsApp, et entre les fournisseurs de services est sécurisée, mais le fournisseur de service peut lire le message
  3. le chiffrement de bout en bout : le message est lisible uniquement par ceux à qui la conversation est adressée, mais le moment de la communication et les participants sont connus du fournisseur de service

Il y a aussi une propriété appelée « confidentialité persistante » (perfect forward secrecy en anglais) qui assure que les communications passées ne peuvent être déchiffrées, même si la clef à long terme est révélée ou volée.

À l’époque, la plupart des applications, même WhatsApp, appartenaient à la première catégorie. Mais aujourd’hui presque toutes les applications sont au moins dans la deuxième. La probabilité d’un espionnage insoupçonné en est réduite (c’est toujours possible pour les courriels par exemple), mais ce n’est évidemment pas suffisant, puisque le fournisseur de service peut être malveillant ou forcé de coopérer avec des gouvernements malveillants ou des agences d’espionnage sans contrôle démocratique.

C’est pour cela que vous voulez que votre messagerie fasse du chiffrement de bout en bout. Actuellement, les messageries suivantes le font (classées par taille supposée) : WhatsApp, Signal, Threema, les clients XMPP avec GPG/OTR/Omemo (ChatSecure, Conversations, Kontalk).

Les messageries qui disposent d’un mode spécifique (« chat secret » ou « mode incognito ») sont Telegram et Google Allo. Il est vraiment dommage qu’il ne soit pas activé par défaut, donc je ne vous les recommande pas. Si vous devez utiliser l’un de ces programmes, assurez-vous toujours d’avoir sélectionné le mode privé. Il est à noter que les experts considèrent que le chiffrement de bout en bout de Telegram est moins robuste, même s’ils s’accordent à dire que les attaques concrètes pour récupérer le texte d’un message ne sont pas envisageables.

D’autres programmes populaires, comme la messagerie de Facebook ou Skype n’utilisent pas de chiffrement de bout en bout, et devraient être évités. Il a été prouvé que Skype analyse vos messages, je ne m’attarderai donc pas sur ces deux-là.

Logiciels libres et intégrité des appareils

Donc maintenant, les données sont en sécurité tant qu’elles voyagent de vous à votre ami. Mais qu’en est-il avant et après leur envoi ? Ne pouvez-vous pas aussi tenter d’espionner le téléphone de l’expéditeur ou du destinataire avant qu’elles ne soient envoyées et après leur réception ? Oui c’est possible et en Allemagne le gouvernement a déjà activement utilisé la « Quellen-Telekommunikationsüberwachung » (surveillance des communications à la source) précisément pour passer outre le chiffrement.

Revenons à la distinction entre (2) et (3). La différence principale entre le chiffrement en transit et de bout en bout est que vous n’avez plus besoin de faire confiance au fournisseur de service… FAUX : Dans presque tous les cas, la personne qui fait tourner le serveur est la même que celle qui fournit le programme. Donc forcément, vous devez croire que le logiciel fait bien ce qu’il dit faire. Ou plutôt, il doit y avoir des moyens sociaux et techniques qui vous donnent suffisamment de certitude que le logiciel est digne de confiance. Sinon, la valeur ajoutée du chiffrement de bout en bout est bien maigre.

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La liberté des logiciels

C’est maintenant que le logiciel libre entre en jeu. Si le code source est publié, il y aura un grand nombre de hackers et de volontaires pour vérifier que le programme chiffre vraiment le contenu. Bien que ce contrôle public ne puisse vous donner une sécurité parfaite, ce processus est largement reconnu comme étant le meilleur pour assurer qu’un programme est globalement sûr et que les problèmes de sécurité sont découverts (et aussi corrigés). Le logiciel libre permet aussi de créer des versions non officielles ou rivales de l’application de messagerie, qui seront compatibles. S’il y a certaines choses que vous n’aimez pas ou auxquelles vous ne faites pas confiance dans l’application officielle, vous pourrez alors toujours en choisir une autre et continuer de chatter avec vos amis.

Certaines compagnies comme Threema qui ne fournissent pas leurs sources assurent évidemment qu’elles ne sont pas nécessaires pour avoir confiance. Elles affirment que leur code a été audité par une autre compagnie (qu’ils ont généralement payée pour cela), mais si vous ne faites pas confiance à la première, pourquoi faire confiance à une autre engagée par celle-ci ? Plus important, comment savoir que la version vérifiée par le tiers est bien la même version que celle installée sur votre téléphone ? (Vous recevez des mises à jours régulières ou non ?)

Cela vaut aussi pour les gouvernements et les entités publiques qui font ce genre d’audits. En fonction de votre modèle de menace ou de vos suppositions sur la société, vous pourriez être enclins à faire confiance aux institutions publiques plus qu’aux institutions privées (ou inversement), mais si vous regardez vers l’Allemagne par exemple, avec le TÜV il n’y a en fait qu’une seule organisation vérificatrice, que ce soit sur la valeur de confiance des applications de messagerie ou concernant la quantité de pollution émise par les voitures. Et nous savons bien à quoi cela a mené !

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Jeu gratuit à imprimer du site turbulus.com

La confiance

Quand vous décidez si vous faites confiance à un tiers, vous devez donc prendre en compte :

  • la bienveillance : le tiers ne veut pas compromettre votre vie privée et/ou il est lui-même concerné
  • la compétence : le tiers est techniquement capable de protéger votre vie privée et d’identifier et de corriger les problèmes
  • l’intégrité : le tiers ne peut pas être acheté, corrompu ou infiltré par des services secrets ou d’autres tiers malveillants

Après les révélations de Snowden, il est évident que le public est le seul tiers qui peut remplir collectivement ces prérequis ; donc la mise à disposition publique du code source est cruciale. Cela écarte d’emblée WhatsApp, Google Allo et Threema.

« Attendez une minute… mais n’existe-t-il aucun autre moyen de vérifier que les données qui transitent sont bien chiffrées ? » Ah, bien sûr qu’il en existe, comme Threema le fera remarquer, ou d’autres personnes pour WhatsApp. Mais l’aspect important, c’est que le fournisseur de service contrôle l’application sur votre appareil, et peut intercepter les messages avant le chiffrement ou après le déchiffrement, ou simplement « voler » vos clés de chiffrement. « Je ne crois pas que X fasse une chose pareille. » Gardez bien à l’esprit que, même si vous faites confiance à Facebook ou Google (et vous ne devriez pas), pouvez-vous vraiment leur faire confiance pour ne pas obéir à des décisions de justice ? Si oui, alors pourquoi vouliez-vous du chiffrement de bout en bout ? « Quelqu’un s’en apercevrait, non ? » Difficile à dire ; s’ils le faisaient tout le temps, vous pourriez être capable de vous en apercevoir en analysant l’application. Mais peut-être qu’ils font simplement ceci :

si (listeDeSuspects.contient(utilisateurID))
 envoyerClefSecreteAuServeur() ;

Alors seules quelques personnes sont affectées, et le comportement ne se manifeste jamais dans des « conditions de laboratoire ». Ou bien la génération de votre clé est trafiquée, de sorte qu’elle soit moins aléatoire, ou qu’elle adopte une forme plus facile à pirater. Il existe plusieurs approches, et la plupart peuvent facilement être déployées dans une mise à jour ultérieure, ou cachée parmi d’autres fonctionnalités. Notez bien également qu’il est assez facile de se retrouver dans la liste de suspects, car le règlement actuel de la NSA assure de pouvoir y ajouter plus de 25 000 personnes pour chaque suspect « originel ».

À la lumière de ces informations, on comprend qu’il est très regrettable que Open Whisper Systems et Moxie Marlinspike (le célèbre auteur de Signal, mentionné précédemment) fassent publiquement les louanges de Facebook et de Google, augmentant ainsi la confiance en leurs applications [bien qu’il ne soit pas mauvais en soi qu’ils aient aidé à mettre en place le chiffrement, bien sûr]. Je suis assez confiant pour dire qu’ils ne peuvent pas exclure un des scénarios précédents, car ils n’ont pas vu le code source complet des applications, et ne savent pas non plus ce que vont contenir les mises à jour à l’avenir – et nous ne voudrions de toutes façons pas dépendre d’eux pour nous en assurer !

La messagerie Signal

« OK, j’ai compris. Je vais utiliser des logiciels libres et open source. Comme le Signal d’origine ». C’est là que ça se complique. Bien que le code source du logiciel client Signal soit libre/ouvert, il dépend d’autres composants non libres/fermés/propriétaires pour fonctionner. Ces composants ne sont pas essentiels au fonctionnement, mais ils (a) fournissent des métadonnées à Google (plus de détails sur les métadonnées plus loin) et (b) compromettent l’intégrité de votre appareil.

Le dernier point signifie que si même une petite partie de votre application n’est pas digne de confiance, alors le reste ne l’est pas non plus. C’est encore plus critique pour les composants qui ont des privilèges système, puisqu’ils peuvent faire tout et n’importe quoi sur votre téléphone. Et il est particulièrement impossible de faire confiance à ces composants non libres qui communiquent régulièrement des données à d’autres ordinateurs, comme ces services Google. Certes, il est vrai que ces composants sont déjà inclus dans la plupart des téléphones Android dans le monde, et il est aussi vrai qu’il y a très peu d’appareils qui fonctionnent vraiment sans aucun composant non libre, donc de mon point de vue, ce n’est pas problématique en soi de les utiliser quand ils sont disponibles. Mais rendre leur utilisation obligatoire implique d’exclure les personnes qui ont besoin d’un niveau de sécurité supérieur (même s’ils sont disponibles !) ; ou qui utilisent des versions alternatives plus sécurisées d’Android, comme CopperheadOS ; ou simplement qui ont un téléphone sans ces services Google (très courant dans les pays en voie de développement). Au final, Signal créé un « effet réseau » qui dissuade d’améliorer la confiance globale d’un appareil mobile, parce qu’il punit les utilisateurs qui le font. Cela discrédite beaucoup de promesses faites par ses auteurs.

Et voici le pire : Open Whisper Systems, non seulement, ne supporte pas les systèmes complètements libres, mais a également menacé de prendre des mesures légales afin d’empêcher les développeurs indépendants de proposer une version modifiée de l’application client Signal qui fonctionnerait sans les composants propriétaires de Google et pourrait toujours interagir avec les autres utilisateurs de Signal ([1] [2] [3]). À cause de cela, des projets indépendants comme LibreSignal sont actuellement bloqués. En contradiction avec leur licence libre, ils s’opposent à tout client du réseau qu’ils ne distribuent pas. De ce point de vue, l’application Signal est moins utilisable et moins fiable que par exemple Telegram qui encourage les clients indépendants à utiliser leurs serveurs et qui propose des versions entièrement libres.

Juste pour que je ne donne pas de mauvaise impression : je ne crois pas qu’il y ait une sorte de conspiration entre Google et Moxie Marlinspike, et je les remercie de mettre au clair leur position de manière amicale (au moins dans leur dernière déclaration), mais je pense que la protection agressive de leur marque et leur insistance à contrôler tous les logiciels clients de leur réseau met à mal la lutte globale pour des communications fiables.

Décentralisation, contrôle par les distributeurs et métadonnées

Un aspect important d’un réseau de communication est sa topologie, c’est-à-dire la façon dont le réseau est structuré. Comme le montre l’image ci-dessous, il y a plusieurs approches, toutes (plus ou moins) largement répandues. La section précédente concernait ce qui se passe sur votre téléphone, alors que celle-ci traite de ce qui se passe sur les serveurs, et du rôle qu’ils jouent. Il est important de noter que, même dans des réseaux centralisés, certaines communications ont lieu en pair-à-pair (c’est-à-dire sans passer par le centre) ; mais ce qui fait la différence, c’est qu’il nécessitent des serveurs centraux pour fonctionner.

Réseaux centralisés

Les réseaux centralisés sont les plus courants : toutes les applications mentionnées plus haut (WhatsApp, Telegram, Signal, Threema, Allo) reposent sur des réseaux centralisés. Bien que beaucoup de services Internet ont été décentralisés dans le passé, comme l’e-mail ou le World Wide Web, beaucoup de services centralisés ont vu le jour ces dernières années. On peut dire, par exemple, que Facebook est un service centralisé construit sur la structure WWW, à l’origine décentralisée.

Les réseaux centralisés font souvent partie d’une marque ou d’un produit plus global, présenté comme une seule solution (au problème des SMS, dans notre cas). Pour les entreprises qui vendent ou qui offrent ces solutions, cela présente l’avantage d’avoir un contrôle total sur le système, et de pouvoir le changer assez rapidement, pour offrir (ou imposer) de nouvelles fonctionnalités à tous les utilisateurs.

Même si l’on suppose que le service fournit un chiffrement de bout en bout, et même s’il existe une application cliente en logiciel libre, il reste toujours les problèmes suivants :

métadonnées : le contenu de vos messages est chiffré, mais l’information qui/quand/où est toujours accessible pour votre fournisseur de service
déni de service : le fournisseur de service ou votre gouvernement peuvent bloquer votre accès au service

Il y a également ce problème plus général : un service centralisé, géré par un fournisseur privé, peut décider quelles fonctionnalités ajouter, indépendamment du fait que ses utilisateurs les considèrent vraiment comme des fonctionnalités ou des « anti-fonctionnalités », par exemple en indiquant aux autres utilisateurs si vous êtes « en ligne » ou non. Certaines de ces fonctionnalités peuvent être supprimées de l’application sur votre téléphone si c’est du logiciel libre, mais d’autres sont liées à la structure centralisée. J’écrirai peut-être un jour un autre article sur ce sujet.

Métadonnées

Comme expliqué précédemment, les métadonnées sont toutes les données qui ne sont pas le message. On pourrait croire que ce ne sont pas des données importantes, mais de récentes études montrent l’inverse. Voici des exemples de ce qu’incluent les métadonnées : quand vous êtes en ligne, si votre téléphone a un accès internet, la date et l’heure d’envoi des messages et avec qui vous communiquez, une estimation grossière de la taille du message, votre adresse IP qui peut révéler assez précisément où vous vous trouvez (au travail, à la maison, hors de la ville, et cætera), éventuellement aussi des informations liées à la sécurité de votre appareil (le système d’exploitation, le modèle…). Ces informations sont une grande menace contre votre vie privée et les services secrets américains les utilisent réellement pour justifier des meurtres ciblés (voir ci-dessus).

La quantité de métadonnées qu’un service centralisé peut voir dépend de leur implémentation précise. Par exemple, les discussions de groupe avec Signal et probablement Threema sont implémentées dans le client, donc en théorie le serveur n’est pas au courant. Cependant, le serveur a l’horodatage de vos communications et peut probablement les corréler. De nouveau, il est important de noter que si le fournisseur de service n’enregistre pas ces informations par défaut (certaines informations doivent être préservées, d’autres peuvent être supprimées immédiatement), il peut être forcé à enregistrer plus de données par des agences de renseignement. Signal (comme nous l’avons vu) ne fonctionne qu’avec des composants non-libres de Google ou Apple qui ont alors toujours une part de vos métadonnées, en particulier votre adresse IP (et donc votre position géographique) et la date à laquelle vous avez reçu des messages.

Pour plus d’informations sur les métadonnées, regardez ici ou .

Déni de service

Un autre inconvénient majeur des services centralisés est qu’ils peuvent décider de ne pas vous servir du tout s’ils le veulent ou qu’ils y sont contraints par la loi. Comme nombre de services demandent votre numéro lors de l’enregistrement et sont opérés depuis les États-Unis, ils peuvent vous refuser le service si vous êtes cubain par exemple. C’est particulièrement important puisqu’on parle de chiffrement qui est grandement régulé aux États-Unis.

L’Allemagne vient d’introduire une nouvelle loi antiterroriste dont une partie oblige à décliner son identité lors de l’achat d’une carte SIM, même prépayée. Bien que l’hypothèse soit peu probable, cela permettrait d’établir une liste noire de personnes et de faire pression sur les entreprises pour les exclure du service.

Plutôt que de travailler en coopération avec les entreprises, un gouvernement mal intentionné peut bien sûr aussi cibler le service directement. Les services opérés depuis quelques serveurs centraux sont bien plus vulnérables à des blocages nationaux. C’est ce qui s’est passé pour Signal et Telegram en Chine.

Réseaux déconnectés

Lorsque le code source du serveur est libre, vous pouvez monter votre propre service si vous n’avez pas confiance dans le fournisseur. Ça ressemble à un gros avantage, et Moxie Marlinspike le défend ainsi :

Avant vous pouviez changer d’hébergeur, ou même décider d’utiliser votre propre serveur, maintenant les utilisateurs changent simplement de réseau complet. […] Si un fournisseur centralisé avec une infrastructure ouverte modifiait affreusement ses conditions, ceux qui ne seraient pas d’accord ont le logiciel qu’il faut pour utiliser leur propre alternative à la place.

Et bien sûr, c’est toujours mieux que de ne pas avoir le choix, mais la valeur intrinsèque d’un réseau « social » vient des gens qui l’utilisent et ce n’est pas évident de changer si vous perdez le lien avec vos amis. C’est pour cela que les alternatives à Facebook ont tant de mal. Mme si elles étaient meilleures sur tous les aspects, elles n’ont pas vos amis.

Certes, c’est plus simple pour les applications mobiles qui identifient les gens via leur numéro, parce qu’au moins vous pouvez trouver vos amis rapidement sur un nouveau réseau, mais pour toutes les personnes non techniciennes, c’est très perturbant d’avoir 5 applications différentes juste pour rester en contact avec la plupart de ses amis, donc changer de réseau ne devrait qu’être un dernier recours.

Notez qu’OpenWhisperSystems se réclame de cette catégorie, mais en fait ils ne publient que des parties du code du serveur de Signal, de sorte que vous ne soyez pas capables de monter un serveur avec les mêmes fonctionnalités (plus précisément la partie téléphonie manque).

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Centralisation, réseaux déconnectés, fédération, décentralisation en pair à pair

La fédération

La fédération est un concept qui résout le problème mentionné plus haut en permettant en plus aux fournisseurs de service de communiquer entre eux. Donc vous pouvez changer de fournisseur, et peut-être même d’application, tout en continuant à communiquer avec les personnes enregistrées sur votre ancien serveur. L’e-mail est un exemple typique d’un système fédéré : peu importe que vous soyez tom@gmail.com ou jeanne@yahoo.com ou même linda@serveur-dans-ma-cave.com, tout le monde peut parler avec tout le monde. Imaginez combien cela serait ridicule, si vous ne pouviez communiquer qu’avec les personnes qui utilisent le même fournisseur que vous ?

L’inconvénient, pour un développeur et/ou une entreprise, c’est de devoir définir publiquement les protocoles de communication, et comme le processus de standardisation peut être compliqué et très long, vous avez moins de flexibilité pour modifier le système. Je reconnais qu’il devient plus difficile de rendre les bonnes fonctionnalités rapidement disponibles pour la plupart des gens, mais comme je l’ai dit plus haut, je pense que, d’un point de vue de la vie privée et de la sécurité, c’est vraiment une fonctionnalité, car plus de gens sont impliqués et plus cela diminue la possibilité pour le fournisseur d’imposer des fonctionnalités non souhaitées aux utilisateurs ; mais surtout car cela fait disparaître « l’effet d’enfermement ». Cerise sur le gâteau, ce type de réseau produit rapidement plusieurs implémentations du logiciel, à la fois pour l’application utilisateur et pour le logiciel serveur. Cela rend le système plus robuste face aux attaques et garantit que les failles ou les bugs présents dans un logiciel n’affectent pas le système dans son ensemble.

Et, bien sûr, comme évoqué précédemment, les métadonnées sont réparties entre plusieurs fournisseurs (ce qui rend plus difficile de tracer tous les utilisateurs à la fois), et vous pouvez choisir lequel aura les vôtres, voire mettre en place votre propre serveur. De plus, il devient très difficile de bloquer tous les fournisseurs, et vous pouvez en changer si l’un d’entre eux vous rejette (voir « Déni de service » ci-dessus).

Une remarque au passage : il faut bien préciser que la fédération n’impose pas que des métadonnées soient vues par votre fournisseur d’accès et celui de votre pair. Dans le cas de la messagerie électronique, cela représente beaucoup, mais ce n’est pas une nécessité pour la fédération par elle-même, c’est-à-dire qu’une structure fédérée bien conçue peut éviter de partager les métadonnées dans les échanges entre fournisseurs d’accès, si l’on excepte le fait qu’il existe un compte utilisateur avec un certain identifiant sur le serveur.

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Alors est-ce qu’il existe un système identique pour la messagerie instantanée et les SMS ? Oui, ça existe, et ça s’appelle XMPP. Alors qu’initialement ce protocole n’incluait pas de chiffrement fort, maintenant on y trouve un chiffrement du même niveau de sécurité que pour Signal. Il existe aussi de très bonnes applications pour mobile sous Android (« Conversations ») et sous iOS (« ChatSecure »), et pour d’autres plateformes dans le monde également.

Inconvénients ? Comme pour la messagerie électronique, il faut d’abord vous enregistrer pour créer un compte quelque part et il n’existe aucune association automatique avec les numéros de téléphone, vous devez donc convaincre vos amis d’utiliser ce chouette nouveau programme, mais aussi trouver quels fournisseur d’accès et nom d’utilisateur ils ont choisis. L’absence de lien avec le numéro de téléphone peut être considérée par certains comme une fonctionnalité intéressante, mais pour remplacer les SMS ça ne fait pas l’affaire.

La solution : Kontalk, un client de messagerie qui repose sur XMPP et qui automatise les contacts via votre carnet d’adresses. Malheureusement, cette application n’est pas encore aussi avancée que d’autres mentionnées plus haut. Par exemple, il lui manque la gestion des groupes de discussion et la compatibilité avec iOS. Mais Kontalk est une preuve tangible qu’il est possible d’avoir avec XMPP les mêmes fonctionnalités que l’on trouve avec WhatsApp ou Telegram. Selon moi, donc, ce n’est qu’une question de temps avant que ces solutions fédérées ne soient au même niveau et d’une ergonomie équivalente. Certains partagent ce point de vue, d’autres non.

Réseaux pair à pair

Les réseaux pair à pair éliminent complètement le serveur et par conséquent toute concentration centralisée de métadonnées. Ce type de réseaux est sans égal en termes de liberté et il est pratiquement impossible à bloquer par une autorité. ToX est un exemple d’application pair à pair, ou encore Ricochet (pas pour mobile cependant), et il existe aussi Briar qui est encore en cours de développement, mais ajoute l’anonymat, de sorte que même votre pair ne connaît pas votre adresse IP. Malheureusement il existe des problèmes de principe liés aux appareils mobiles qui rendent difficile de maintenir les nombreuses connexions que demandent ces réseaux. De plus il semble impossible pour le moment d’associer un numéro de téléphone à un utilisateur, si bien qu’il est impossible d’avoir recours à la détection automatique des contacts.

Je ne crois pas actuellement qu’il soit possible que ce genre d’applications prenne des parts de marché à WhatsApp, mais elles peuvent être utiles dans certains cas, en particulier si vous êtes la cible de la surveillance et/ou membre d’un groupe qui décide collectivement de passer à ces applications pour communiquer, une organisation politique par exemple.

 

En deux mots

  • La confidentialité de nos données privées est l’objet d’un intérêt accru et les utilisateurs cherchent activement à se protéger mieux.
  • On peut considérer que c’est un bon signe quand les distributeurs principaux de logiciels comprennent qu’ils doivent réagir à cette situation en ajoutant du chiffrement à leurs logiciels ; et qui sait, il est possible que ça complique un peu la tâche de la NSA.
  • Toutefois, il n’y a aucune raison de leur faire plus confiance qu’auparavant, puisqu’il n’existe aucun moyen à notre disposition pour savoir ce que font véritablement les applications, et parce qu’il leur reste beaucoup de façons de nous espionner.
  • Si en ce moment vous utilisez WhatsApp, Skype, Threema ou Allo et que vous souhaitez avoir une expérience comparable, vous pouvez envisager de passer à Telegram ou Signal. Ils valent mieux que les précédents (pour diverses raisons), mais ils sont loin d’être parfaits, comme je l’ai montré. Nous avons besoin à moyen et long terme d’une fédération.
  • Même s’ils nous paraissent des gens sympas et des hackers surdoués, nous ne pouvons faire confiance à OpenWhisperSystemspour nous délivrer de la surveillance, car ils sont aveugles à certains problèmes et pas très ouverts à la coopération avec la communauté.
  • Des trucs assez sympas se préparent du côté du XMPP, surveillez Conversations, chatSecure et Kontalk. Si vous le pouvez, soutenez-les avec du code, des dons et des messages amicaux.
  • Si vous souhaitez une approche sans aucune métadonnée et/ou anonymat, essayez Tor ou ToX, ou attendez Briar.

 




AbulÉdu : début d’une renaissance ?

Si vous vous intéressez au libre pour l’école primaire, vous connaissez forcément AbulÉdu. Si ce n’est pas le cas, vous pouvez vous rafraîchir la mémoire avec les précédents articles parus ici même : le premier et le deuxième.
Deux grosses annonces sont tombées ces derniers jours dans l’écosystème AbulÉdu ; une mauvaise et une bonne qui, nous l’espérons, deviendra excellente. Pour nous expliquer tout cela, rencontrons les membres de l’association AbulEdu-fr

Commençons tout de suite par la mauvaise nouvelle, la société RyXeo, qui édite la solution libre AbulÉdu, est en liquidation judiciaire après 13 ans d’existence. Pour quelles raisons ?

RyXéo, la fin d'une histoire, mais l'aventure continue !
RyXéo, la fin d’une histoire, mais l’aventure continue !

Les grandes catastrophes sont souvent provoquées par une multitude de petits problèmes, c’est ce qui est arrivé à RyXéo :

  • un projet sans doute trop grand pour une petite équipe de 8 personnes sans ressource financière autre que ses clients et quelques petites subventions alors que le budget annuel devrait tourner dans les 500 000 €, on s’en est tiré avec à peu près la moitié,
  • des partenaires qui ne portent pas les valeurs du libre et avec lesquels nous avons perdu beaucoup de temps à essayer de faire comprendre que c’est pourtant la seule chose importante pour l’école,
  • des clients (mairies) qui n’utilisent pas ce pourquoi ils paient et ont tendance à chercher où gratter quelques centaines d’euros par an pour réduire leurs dépenses (réduction liée à la baisse des dotations de l’état)
  • des politiques publiques chaotiques : parfois on annonce que le libre est une bonne chose (1er ministre) et ensuite on signe un partenariat avec Microsoft (Éducation nationale), les utilisateurs sont perdus et les responsables des commandes publiques ne savent plus ce qu’il faut faire ;
  • il en va de même sur les annonces des dotations budgétaires : exemple le 2 juin le président annonce que finalement la dotation aux mairies sera réévaluée … conséquence les mairies ne savent pas si elles peuvent investir ou non, et l’école passe souvent dans les derniers choix d’investissements… et l’informatique scolaire encore bien après,
  • une « trop grande » éthique de la part de nos relais à l’intérieur de l’institution qui sont toujours un peu embêtés lorsqu’ils parlent d’AbulÉdu et ont l’impression d’être le « commercial de RyXéo » alors que leurs collègues ne se privent pas de faire de la pub pour les GAFAM à tour de bras. La fin de Ryxeo va leur donner beaucoup d’oxygène, ils ne risqueront plus d’être coincés entre leur devoir de réserve de fonctionnaire et l’existence d’une société commerciale qui vend AbulÉdu,
  • quasi zéro budget communication pour Ryxeo, seul le bouche à oreille nous a permis de nous développer,
  • une trop grande gentillesse et « compréhension » pour toutes ces « petites mairies à petit budget » à qui nous avons consenti des heures de hotline sans les facturer alors qu’il fallait bien payer les salaires correspondant à ce service,
  • l’impossibilité de licencier un membre de l’équipe, chacun étant indispensable et surtout le coût lié à un licenciement économique n’était pas possible (ce genre de calcul est un peu complexe à comprendre mais grosso-modo quand on licencie un salarié pour raison économique, il coûte d’un coup environ 4 mois de salaire… ce qui représente une dépense instantanée souvent impossible à assumer sur la trésorerie disponible),
  • le lancement des tablettes, produit super prometteur mais pour lequel nous avions besoin d’un investissement … qui n’est jamais venu.

Bref, tout ceci mis bout à bout nous a conduit à la catastrophe qu’on connaît. Ajoutez une baisse d’implication commerciale du patron de la boite qui s’est recentré sur la technique depuis plusieurs mois et vous avez malheureusement un cocktail détonant.

 

Une des difficultés n’est-elle pas également de s’adresser aux écoles primaires et donc aux mairies ? Les sociétés qui proposent des solutions aux collèges et lycées ont plus de facilité.

Je ne pense hélas pas que nous verrons beaucoup de collèges équipés avec des solutions basées sur le logiciel libre. Effectivement certains collèges sont équipés avec des serveurs basés sur des solutions libres mais la plupart des postes individuels sont sous windows. Et le récent accord n’est pas prêt de changer la donne.

 

Treize ans, cela reste une superbe aventure. Une anecdote, un souvenir particulier à nous faire partager ?

Des tonnes. La plus intéressante c’est l’anecdote qui porte le nom de… RyXéo tout simplement : c’est qu’on a prouvé que c’était possible de vivre correctement d’un rêve, d’une utopie, qu’on peut facturer pour du logiciel libre, qu’on peut le faire, qu’il ne faut pas être résigné à acheter des produits en conserve et à les consommer comme des programmes télévisés. Qu’on peut se prendre en main et qu’on peut prendre en main l’avenir numérique des outils d’éducation de nos enfants… C’est possible, on l’a fait, on le prouvait jour après jour. Une boite de 8 personnes qui tient plus de 10 ans c’est pas une coïncidence, c’est pas un hasard, c’est pas un « accident », c’est que ça marche pour de vrai.

 

RyXeo étant en liquidation, c’est la fin d’AbulÉdu ?

Le projet AbulÉdu n’est pas mort, c’est un projet issu du monde associatif et porté par une communauté. RyXéo en était certes le moteur, puisqu’il a permis de salarier développeurs et graphistes et de faire avancer ce projet tout en le rendant attractif, mais il continuera sa route avec deux autres moteurs identifiés, les associations AbulÉdu-fr et Abul et peut-être d’autres. C’est une des forces du logiciel libre, il nous permet cette continuité et de rebondir.

 

Quel va être justement le rôle de l’association AbulÉdu-fr ?

Pour être complet, il y a deux associations qui unissent leurs forces pour la continuité du projet AbulÉdu : l’association AbulÉdu-Fr mais aussi l’Abul qui compte parmi les pionniers dans la promotion du logiciel libre en France. Dans cette nouvelle gouvernance qu’il va falloir inventer, AbulÉdu-fr peut s’appuyer sur son savoir faire autour des usages et des relations avec les utilisateurs, l’Abul quant à elle pourra se concentrer sur l’infrastructure technique.

Abul et AbulÉdu-fr : deux associations pour soutenir le projet AbulÉdu avec vous.
Abul et AbulÉdu-fr : deux associations pour soutenir le projet AbulÉdu avec vous.

 

Sans être exhaustif, pouvez-vous nous présenter quelques grands projets mis en place par AbulÉdu-fr ?

Le premier qui me vient à l’esprit est Babytwit tant son succès a été rapide et grandissant. Il s’agit d’un site de micro-blogging libre et éthique dédié principalement à la communauté éducative. Une alternative à Twitter dont la publicité est absente et où les données personnelles des utilisateurs ne sont pas monnayées. Je pourrais également citer QiRo, site de questions-réponses où tout le monde peut poser une question ou apporter une réponse. Comment ne pas également parler de data.abuledu.org, banque de ressources brutes sous licences libres (dont Framasoft héberge d’ailleurs un miroir) ?

À ce propos, j’aimerais souligner la partie plus « invisible » de l’activité des membres de l’association : « data » rassemble 30 000 ressources qui ont toutes été proposées, décrites, indexées et modérées par la communauté. Certains membres de l’association accompagnent régulièrement des classes dans la mise en œuvre de projets numériques, d’autres sont très présents sur Babytwit et y animent des activités ou répondent aux messages des élèves.

Comme il ne s’agit pas d’être exhaustif, je ne parlerai pas de la rédaction de tutoriels ou de documentations, des comptes-rendus d’expérimentation, de la prescription de nouveaux services…

Qiro, le service de questions / réponses de l'association AbulÉdu-fr
Qiro, le service de questions / réponses de l’association AbulÉdu-fr

 

Vous lancez donc, et c’est la bonne nouvelle, une campagne de financement participatif. Avec quels objectifs ?

L’enjeu primordial est de rendre accessibles un ensemble de ressources pédagogiques et d’outils numériques en dehors de toutes pressions commerciales, au nom de la neutralité, de l’éthique et de l’idée que l’on se fait de l’éducation. Pour y contribuer nous pensons essentiel de passer d’un modèle économique d’éditeur de logiciels à un modèle associatif où chaque nouveau développement ne sera financé qu’une seule fois pour être ensuite disponible pour tous. Cela implique de trouver d’autres moyens de développement de nos ressources, mais aussi d’adapter les ressources actuelles à ce nouveau fonctionnement. C’est pourquoi nous visons deux paliers (l’un à 25000€ et l’autre à 50000€) dont vous trouverez les détails ici sur la page de la campagne.

Il faut sauver AbulÉdu et nous avons besoin de votre aide financière pour cela.

Campagne de financement participatif pour le projet AbulÉdu.
Campagne de financement participatif pour le projet AbulÉdu.

 

Cette année (oui, dans l’éducation nationale on parle en année scolaire) on a beaucoup entendu parler de l’éducation nationale pour ses liens très étroits avec des logiciels privateurs. Le ministère a-t-il connaissance du projet AbulÉdu et de sa pertinence pour ses écoles ?

Oui, le projet AbulÉdu est connu au ministère. Le serveur AbulÉdu par exemple est référencé dans le guide pratique de mise en place du filtrage des sites Internet sur le site EducNet.

De plus, suite à l’accord passé entre Microsoft et le ministère au mois de novembre dernier nous avons écrit au ministère pour exprimer notre sentiment vis à vis de ce partenariat et également rappeler l’existence du projet AbulÉdu. Au mois de janvier nous avons été reçus par un représentant de la Direction du Numérique Éducatif. Nous avons pu présenter le projet AbulÉdu dans son ensemble, notre interlocuteur était très attentif. Enfin, nous avons constitué un dossier de demande de subvention au mois de mars. La balle est maintenant dans le camp du ministère, nous saurons prochainement si un projet tel qu’AbulÉdu a sa place dans les écoles françaises.

 

À votre avis, quels sont les principaux freins de la percée du logiciel libre dans l’éducation ?

À mon avis, le souci principal est lié au « point de vue » ou plutôt au paradigme : le logiciel libre porte des valeurs là où le logiciel propriétaire s’appréhende d’un point de vue économique. Le logiciel libre ouvre son code source pour que chacun puisse se l’approprier, le modifier selon ses besoins et bien sûr le redistribuer là où le logiciel propriétaire verrouille tout, empêche toute diffusion autrement que par ses réseaux et tant pis s’il ne correspond pas tout à fait à tes besoins : soit tu changes de besoin, soit tu achètes la prochaine version.

Le logiciel libre refuse l’exploitation et la revente des données des utilisateurs, là où le logiciel propriétaire en fait un commerce démesuré.

Malheureusement, de nos jours, on préfère parler de données économiques brutes que de valeurs éthiques.

 

Comme vous le savez, à Framasoft, on essaie de sensibiliser à l’emprise croissante des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) dans tous les aspects de notre vie. Quand on parle GAFAM et éducation, on pense naturellement à Microsoft ou Apple. Mais Google perce de plus en plus avec des solutions comme Classrooms ou OpenOnline. Pour l’instant, Google Education vise plutôt le marché universitaire, mais n’a pas caché son ambition de couvrir l’ensemble des cycles. Les solutions Google commencent-elles à apparaître sur vos radars ?

Actuellement, le 1er degré (élèves de maternelle jusqu’au CM2) n’est pas concerné par Google Classrooms ou OpenOnline. Je devrais dire, n’est pas encore concerné. En effet, un appel à projet visant l’équipement des collégiens et des écoliers en EIM (équipement mobile individuel) a été lancé par le ministère, on en est maintenant à la 3e phase. Il y a fort à parier que de nombreux équipements seront basés sur Android offrant ainsi à Google une porte d’entrée dans les écoles.

 

Merci à l’équipe d’AbulÉdu pour cet entretien.

Soutenir AbulÉdu sur sa page de financement participatif.




Pour un requiem libre et athée

La tradition musicale du requiem est dès l’origine inhérente à la liturgie chrétienne au point qu’il faut attendre le XVIIIe siècle pour assister à la création de requiems « de concert », donc exécutés en dehors d’une célébration funèbre à caractère religieux.

Aujourd’hui, Denis Raffin propose d’aller plus loin encore et vient de passer plusieurs années à l’élaboration d’un requiem athée, qui comme il nous l’explique, vise à rendre hommage au souvenir des disparus en exaltant plutôt… la vie, hors de toute transcendance.

Qui plus est, sa création musicale est non seulement libre de références à la divinité mais aussi libre de droits et élaborée avec des logiciels libres. De bonnes raisons pour lui donner la parole et prêter une oreille curieuse à son requiem.

Peux-tu te présenter brièvement et nous dire par quel parcours tu en arrivé à ce projet un peu surprenant ?

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Je suis un compositeur amateur, épris de musique classique depuis mon enfance. Jusqu’à présent, j’ai surtout composé de courtes pièces pour mon entourage. C’est la première fois que je me lance dans une œuvre d’une telle ampleur. J’ai composé les premières notes en 2013 (il y a 3 ans, oui oui…) et je viens enfin de terminer d’ébaucher les 5 mouvements qui constituent l’œuvre.

Justement, en prenant connaissance de ton projet, maintenant en phase finale, on ne peut s’empêcher de se dire que tu es soit très courageux soit inconscient : s’attaquer à un tel format musical demande de l’estomac, non ? et je ne parle même pas des monuments du genre (Mozart, Brahms, Berlioz, Verdi et tant d’autres… ) qui peuvent impressionner. Tu veux t’inscrire dans l’histoire de la musique à leur suite ?

J’ai toujours adoré les grandes œuvres religieuses, notamment funèbres. On y trouve une noirceur plus ou moins désespérée, mêlée à un fort besoin de consolation et de lumière (de résilience). Il y a peut-être un peu de mégalomanie dans mon projet, je ne le nie pas. Mais en réalité, il s’agit surtout de répondre à un double besoin : celui de m’obliger à dépasser le stade de compositeur du dimanche et celui d’aborder frontalement un thème qui me hante depuis mon adolescence : celui de la finitude de nos existences. J’ai voulu célébrer par une œuvre monumentale un événement très important dans ma propre existence : j’ai fini par admettre que j’allais mourir.

Brrr ce n’est pas très gai tout ça… On peut concevoir le désir de rendre hommage aux disparus, mais pourquoi célébrer la mort ?

Attention, pas de contre-sens ! Je ne célèbre pas la mort ! Mais assumer ma finitude m’a permis de comprendre des choses simples. D’abord que la vie est un bien précieux car éphémère et fragile. En ce sens, il faut savoir la respecter, la protéger, refuser de se contenter d’une vie où on se « laisse vivre ». Et surtout résister aux vols de nos existences que constituent le sur-travail, les guerres, la consommation, etc. Ensuite, nos existences si courtes prennent beaucoup plus de sens quand on les replace au sein de cycles naturels et historiques qui les dépassent. J’appelle, dans Un requiem athée, à « cultiver le grand jardin du monde ». À agir, humblement, chacun à son échelle, à construire un monde meilleur, tout en profitant au mieux de celui qui nous est offert. Il n’y a rien de morbide dans tout ça, non ?

Un requiem athée et libre, mais pas triste !
Un requiem athée et libre, mais pas triste !

 

Comme tu l’exposes en détails sur cette page tu n’es pas le premier à vouloir créer un Requiem athée. Pourquoi ajouter ta version, est-ce qu’il te semble qu’il y a ces dernières années une urgence (la question toujours vive de la laïcité ?) ou bien la naissance de ton projet correspond-elle à un cheminement plus personnel ?

La question de la laïcité, et en particulier de la cohabitation entre religieux et non-religieux, ne fait pas partie de ma démarche. Simplement, il y avait un manque dans l’histoire de la musique : il existe très peu d’œuvres athées traitant du thème de la mort.

Parler aux athées en général n’est d’ailleurs pas une mince affaire, car les athées ne constituent pas une école de pensée homogène. Le cheminement que je propose dans le texte est nécessairement très personnel. Par exemple dans sa dénonciation de l’immanence ou dans son appel non voilé à la rébellion (« La colère de l’Homme »). Cela dit, je n’ai pas hésité à réécrire le 2e mouvement de mon requiem (« Non credo ») lorsque ceux qui ont suivi sa composition l’ont accusé d’un trop grand dogmatisme. J’espère sincèrement que mon texte ne constitue pas un obstacle à l’appréciation de la musique, quels que soient les points de désaccord que puissent avoir mes auditeurs avec mes idées.

Comment définirais-tu ta musique ? On dit souvent que la musique contemporaine est difficile d’accès pour les oreilles non-initiées, est-ce le cas pour ton requiem ?

Pour les connaisseurs, il s’agit d’une écriture qui s’autorise tous les langages : tonal, modal, chromatique et atonal. Pour ceux qui ne sont pas habitués à écouter de la musique classique, disons que c’est une œuvre globalement facile à suivre, mais avec des passages assez ouvertement dissonants. La durée totale est raisonnable pour le néophyte (environ 45 minutes), tout en laissant le temps de s’imprégner d’un univers musical que je souhaite assez riche.

Pourquoi faire le choix de logiciels libres et placer ton œuvre en gestation dans le domaine public ?

Faire-part de liberté sur le site du projet
Faire-part de liberté sur le site du projet

La principale raison du choix de la licence CC-0 est philanthropique : c’est un cadeau que je souhaite faire à l’humanité. Par ailleurs, je suis intimement convaincu que le modèle actuel des droits d’auteur freine la création au lieu de la protéger. Il y a une excellente conférence de Pouhiou sur ce thème.

D’ailleurs, c’est un peu grâce à Pouhiou que je me suis décidé à créer un blog pour présenter ma composition en cours de réalisation. Dans son premier tome du cycle des Noénautes, il expose les interactions qu’il a pu avoir avec ses lecteurs sur son blog tout au long de l’écriture du roman et je me suis dit : et pourquoi pas utiliser ce dispositif pour mon requiem aussi ? Pour ceux que ça intéresse, j’ai exposé ma position dans cet article : vive la musique libre, à bas les droits d’auteur !

Pour ce qui est du choix des logiciels libres pour composer, il s’est imposé de lui-même : j’ai toujours milité pour la diffusion des logiciels libres (y compris dans l’Éducation Nationale à l’époque où j’y ai travaillé) et ça n’aurait pas été cohérent d’utiliser des logiciels privateurs pour réaliser une telle œuvre, non ? J’utilise essentiellement Musescore. même si les fonctionnalités sont un peu limitées par rapport aux gros logiciels payants du commerce. J’envisage d’utiliser Lilypond pour les dernières étapes de la composition (orchestration, cadences non mesurées, mise en page, etc.).

requiem-guitare

Tu as une formation musicale (on s’en doutait) et tu as donc été un temps professeur dans l’Éducation Nationale, mais en ce moment de quoi vis-tu, car on imagine bien que créer un requiem n’est pas une activité très lucrative ?

J’ai été successivement ingénieur du son, professeur de physique-chimie en collège et grand voyageur. Je suis actuellement ouvrier agricole (dans le maraîchage bio). Je compose sur mes temps libres, soir et week-end. Au début du projet, je m’étais mis à temps partiel pour trouver le temps de composer. Clairement, j’aimerais consacrer plus de temps à la composition dans les années qui viennent. Pour une raison simple : si je ne prends pas le temps de composer mes œuvres, qui le fera à ma place ?

De quoi as-tu besoin maintenant pour mener ton projet vers sa phase finale : de contributions techniques, musicales, d’interprètes, d’argent… ? C’est le moment de lancer un appel…

L’étape la plus importante est terminée : toute l’œuvre est ébauchée. On peut d’ailleurs écouter des exports (avec des sons synthétiques) sur le site du projet. Il reste deux étapes avant de pouvoir entendre l’œuvre pour de bon.

D’abord, il faut que j’écrive l’orchestration de l’œuvre. Je n’ai encore jamais eu à faire ça et c’est assez technique. J’apprécierai une aide pour cette étape : j’ai besoin de quelqu’un d’un peu expérimenté pour me relire, me corriger, me faire des suggestions, etc. Je pense m’adresser aux classes d’orchestration des conservatoires pour trouver ce genre de profils.
Ensuite, il faudra réunir des interprètes. Et là, les choses se compliquent… Car il faudra trouver de l’argent pour rémunérer tout ce monde (un orchestre, un chœur et 4 solistes). J’ai plus de questions que de réponses : mon œuvre pourrait-elle intéresser une institution ? Aurais-je un public suffisamment motivé pour réussir un crowdfunding ? J’avoue que ça me soulagerait grandement si quelqu’un de plus compétent que moi pouvait prendre en charge cette partie-là du travail !

Allez on s’écoute le « Non credo » ? Les autres mouvements sont disponibles sur le site de Denis.

Que nos lecteurs mélomanes et musiciens se manifestent et fassent passer le mot : ce projet original et libre mérite d’aboutir à des interprétations publiques et pourquoi pas des enregistrements. À vous de jouer ♫ !




Un guide Framabook pour les communautés

Une communauté, comment ça marche ?
Et surtout comment faire pour que ça marche bien, que ça s’épanouisse et que ça dure ?

Nous sommes bien placés pour le savoir à Framasoft, la vie quotidienne d’une communauté se fait le plus souvent en mode bazar — peut-être devrais-je dire à la gauloise — jusqu’à ce qu’une bonne volonté à l’esprit plus cartésien prenne en charge une mise en ordre efficace, avec processus, deadline et animation d’une équipe (nous appelons ça des « comités »). Heureusement notre projet pluriannuel et planétaire dégooglisons internet nous fixe les grandes lignes d’une action qui reste empirique au jour le jour. Heureusement aussi que nous pouvons compter sur vous pour nous propulser, car c’est ainsi que nous avançons.
Bref, nous avons beaucoup à apprendre du nouveau Framabook que nous vous présentons aujourd’hui, car il s’agit d’un ouvrage fondé sur l’expérience et des cas concrets, et dont la démarche est celle d’un guide pas à pas pour une gestion optimale d’une communauté autour d’un projet libre. Vous allez le découvrir dans ce précieux manuel, les trois compères qui l’ont conçu n’ont rien oublié, car tous les détails qu’ils abordent peuvent s’avérer décisifs pour une communauté.
Avant d’ouvrir le Framabook qui vous attend, faisons connaissance avec Patrick et les deux Stéphane qui nous viennent d’INRIA, nous en saurons plus sur leurs motivations et l’esprit dans lequel ils ont travaillé.

Vous publiez aujourd’hui un guide très complet et riche en recommandations sur la façon d’animer une communauté. Selon votre expérience, on innove plus facilement à partir d’organisations communautaires qu’à partir de structures verticales et officielles ?

Les communautés de pratique qui se construisent autour de projets ouverts font partie des structures humaines les plus fécondes en innovations que l’on connaisse. Je dirais que l’on innove plus facilement avec des structures de type communautaire, pair à pair, encore faut-il qu’elles soient dynamiques.

Une des clés de succès est de bien choisir son modèle de gouvernance. Le modèle de gouvernance en « approche descendante » (top down) est souvent un frein à l’émergence de nouveautés, c’est même un puissant stérilisateur d’innovation. Cependant, les organisations qui ont choisi ce modèle sont alors davantage utilisatrices et/ou consommatrices d’innovation… Il est important de collaborer aussi avec ces structures. Une fois que les projets ont pris de l’élan, elles peuvent avoir du sens car elles permettent d’institutionnaliser les innovations produites.

Je crois que ces deux modes d’organisation sont complémentaires, à la condition cependant de laisser les inventions germer puis se transformer en innovations selon leur mouvement naturel qui est bottom-up.

Et dans l’institut de haut niveau où vous travaillez, on est plutôt bottom-up ou top-down ?

Le modèle Inria est selon nous à la fois une structure top down et une structure bottom up. L’écosystème bottom up est constitué des chercheurs et ingénieurs de recherche alors que le top down est représenté par les équipes de valorisation. L’organisation bottom up (accompagnée d’actions encourageant la prise d’initiatives) facilite l’émergence de projets très divers et dont l’usage dans la société est insoupçonné (quel impact ?)… en somme la structure bottom up produit de l’innovation et la structure top down pioche dedans. Tel est le cas pour Inria, pas forcément pour les projets FLOSS…

Vous publiez un guide dont le sous-titre est « Animer une communauté autour d’un projet ouvert », c’est parce que vous trouvez que les communautés libristes ne sont pas bien « animées » ?
Pas du tout ! Il nous semblait d’une part que ce sujet n’était pas encore largement traité et d’autre part que la diffusion et la mise en commun de nos expériences pouvaient être utiles. Stéphane Ribas apporte, en tant qu’expert en management de communautés, une assistance à l’ensemble des équipes de recherche et aux projets de développement logiciel au sens large chez Inria. Comme la demande est bien trop large pour être traitée par un seul spécialiste, ce guide a été écrit pour tenter d’amplifier la diffusion des quelques principes de base de la gestion de communauté.

On sent une volonté d’éducation populaire à la lecture de ce guide, qui dépasse le seul cadre du développement logiciel…

Éduc pop… oui. On est animés par une motivation intrinsèque incroyable : transmettre le savoir et le savoir-faire, se rendre utiles. Disons qu’on se rend bien compte de l’utilité de ce que l’on fait et c’est extrêmement motivant.

Ce guide est le fruit d’un travail collaboratif de longue haleine, qu’il a fallu coordonner et mener à terme, pas trop compliqué ?

Stéphane Ribas — Eh bien mes deux collègues ont dû supporter mon hyperactivité pendant presque 6 ans… Les périodes de disponibilité et les phases de l’écriture n’étaient pas toujours les mêmes, du coup la plupart des solutions sont venues d’un effort de coordination : calage de journées de travail dédiées au guide, Skype, etc. Il faut dire que la rédaction de ce guide est venue se superposer à des vies déjà bien remplies…

Patrick Guillaud — Notre proximité et le partage quotidien de nos interrogations, préoccupations et parfois de nos succès nous ont permis de finalement partager une vision commune et cohérente à partir de trois prismes ou angles de vue un peu décalés.

Est-ce que le choix de Framabook comme éditeur découle de l’aspect collaboratif de ce guide ou y a-t-il d’autres raisons qui vous ont poussés à placer cet ouvrage dans les communs ?
Patrick G. — Je crois que l’une des raisons qui nous poussent à agir est justement le fait que nous sommes de fervents supporters de la philosophie du libre, car nous sommes convaincus de son efficacité. Il ne faut pas oublier non plus que nous avons la chance de travailler dans un institut public de recherche, ce qui nous place dans des conditions idéales pour mettre cette philosophie en action, même si l’on voit de plus en plus d’entreprises privées y venir également. Cependant, après des années à travailler dans ce domaine, je crois que nos convictions vont bien au-delà, et nous sommes sûrement davantage aujourd’hui des supporters du mouvement appelé openness … D’ailleurs les conseils prodigués dans le guide Logiciels et Objets Libres s’appliquent aussi à d’autres domaines. On a mis un peu beaucoup d’openness dans ce guide (désolé pour l’anglicisme).

Il ne faut pas empêcher la transmission du savoir et du savoir-faire. À l’époque de la recherche de phénomènes autour de l’électricité, certains « scientifiques » présentaient des expériences au public comme des phénomènes magiques. C’était une mise en scène sans grande explication sur la logique de fonctionnement, l’explication était réservée à une toute petite partie de l’élite. Une deuxième école de pensée existait déjà, elle avait pour objectif de transmettre ce savoir au plus grand nombre, de pratiquer une sorte de médiation scientifique, de vulgarisation de la science. C’est bien sûr dans cette démarche que s’inscrit notre travail.

Le choix de la triple licence : LAL 1.3, GNU FDL 1.3 et CC By-SA 3.0, c’est par gourmandise ou par militantisme ?

Patrick Guillaud — Gourmandise ou militantisme ? Si je revendique le premier terme sans complexe, j’associerais volontiers celui d’activisme au second. En effet, l’un des principes qui fondent nos activités est celui d’action dont je dirais même qu’il précède notre discours militant et nous permet de le construire. On aurait pu aussi remplacer gourmandise par recherche du plaisir et militantisme par conviction.

Plus sérieusement, comment et pourquoi avez-vous choisi ces licences ?
En fait, nous avons suivi les conseils de Framasoft, mais en même temps nous convaincre était facile : nous avons plusieurs éditeurs dans le monde de la recherche qui ont mis en place des licences qui ne favorisent pas si facilement le partage et la diffusion, ou ne laissent pas de place à la reconnaissance de l’auteur… Nous avons donc très naturellement accepté la proposition de Christophe.

Vous donnez dans cet ouvrage des interviews et des cas concrets qui sont intéressants et qui complètent utilement les recommandations théoriques. Mais chez Inria, qui est une très vaste structure collaborative, comment se passe « l’animation » de la communauté ?

Patrick G. — Au sein d’Inria l’animation des communautés (je le mets au pluriel parce qu’elles sont nombreuses) se faisait au gré des vents et des courants et dépendait entièrement du contexte : lorsque l’équipe comptait un leader, charismatique et bon manager, elle était parfaite, mais parfois c’était plus compliqué. Dans ce genre de cas, un brin de méthode — on appelle ça « les bonnes pratiques » — ne peut pas faire de mal. Et c’est la fonction principale de Stéphane Ribas que d’améliorer les choses en la matière. Cela ne permet certainement pas de tout régler partout, mais cela permet de limiter la casse dans certains contextes difficiles, et surtout, à travers des activités de diffusion et « d’évangélisation », cela peut aider significativement les communautés un peu livrées à elles-mêmes de monter en compétence sur ce sujet et donc de gagner en efficience.

Stéphane R. — Il faut aussi ajouter le rôle très important de Stéphane Ubéda et de son rôle au sein d’Inria en 2011, qui ont grandement facilité la mise en place d’un service autour de la gestion de communauté, de manière plus formelle que cela ne se pratiquait auparavant au sein de l’institut. Patrick était responsable de l’animation de plusieurs projets clés dans les domaines de la science et de la société et il a beaucoup travaillé sur l’attractivité de l’institut auprès des étudiants et jeunes diplômés. En somme il a fait le community manager pour plusieurs projets structurants.

Il existe une différence sensible entre les deux exemples de cas concrets, très structurés et se déroulant dans le milieu de la recherche universitaire et/ou industrielle, et les deux projets exposés en interviews, Mozilla et Debian, pour lesquels un certain degré d’empirisme est de mise, avec un mode d’organisation non-directif qui laisse davantage de place à l’autonomie. Est-ce que vous ne voyez pas là une différence entre les projets du monde du Libre associatif et ceux du monde universitaire ?
Stéphane R. (rire) — En fait je ne suis pas sûr que la vision extérieure que l’on peut avoir d’Inria corresponde tout à fait à ce qui se passe à l’intérieur de l’institut. Les infrastructures sont entièrement au service de ses équipes de recherche, 200 environ, réparties dans et autour des huit centres implantés au niveau national. Les actions menées depuis le top management de l’institut ont plus pour but de coordonner que de contrôler. Du coup ce sont en réalité les chercheurs qui dirigent leur barque et les velléités de comportement exagérément top down sont assez efficacement filtrées. Il est permis de supposer que c’est l’un des facteurs qui font que l’institut conserve un niveau de pointe en recherche.

Vous parlez des bonnes pratiques et vous faites état de réussites (AspireRFID, Poppy Project) mais ne peut-on aussi tirer des leçons utiles des échecs ? Pour prendre à l’envers la démarche de votre ouvrage, qu’est-ce qui est défaillant lorsqu’une communauté ne fonctionne pas ?
Pour tout dire nous avons commis un article (publié chez OSS 2011) intitulé Comment tuer une communauté avec un diaporama

Vous ne craignez pas de décourager un peu ceux qui voudraient débuter dans la gestion-animation de communauté ? Parce que, dites donc, c’est copieux tout ce processus idéal… et ça prend du temps ! Ce n’est pas possible pour une communauté de bénévoles, si ?

Oui, cette question de savoir quoi mettre et où s’arrêter a été souvent débattue. Pour l’anecdote, au départ l’idée était de produire un petit document d’une vingtaine de pages maximum, vite écrit (mouahahaha), facile à diffuser et à lire, ne donnant que quelques principes-clés. Aujourd’hui on en rit mais au milieu du gué, euh…

On a voulu faire simple mais à la fois complet. On pense que vous pouvez créer une communauté de 10 membres comme une communauté de 800 membres et plus… Le guide s’adresse à ces deux possibles configurations. On peut le lire de différentes manières : on peut s’arrêter au premier chapitre qui donne les grandes lignes de la méthode. On peut aussi, si on le souhaite, rentrer dans les détails grâce à une lecture plus approfondie du reste des chapitres. Mais on peut aussi lire ce guide en picorant certains passages, certains chapitres. Il faut prendre ce guide comme une sorte de « bible » qui vous suivra tout au long de votre vie de Community Manager.

ensemble

Votre ouvrage s’adresse à des communautés institutionnelles assez structurées pour avoir une personne ou une équipe dédiée à l’animation, mais que conseilleriez-vous à des petites associations ?
Notre idée, souvent débattue également, c’est que, compte tenu du fléchage et des redites d’un chapitre sur l’autre qui permettent une lecture fractionnée ou partielle, le guide devrait être compatible avec de tout petits groupes.

D’ailleurs nous avons appliqué certaines parties pratiques du guide à un projet regroupant 5 à 7 personnes (un logiciel de preuves mathématiques) pour qu’il grossisse ! Nous avons suggéré au chef de ce projet de faire une journée de conférence à Paris où il a invité ses coopétiteurs dans le domaine, et l’avons incité à organiser une journée d’échange avec eux.

Au départ le porteur du projet n’en menait pas large mais il a trouvé l’idée intéressante. Finalement cette journée s’est avérée un joli succès : pleine d’échanges, de prises de contacts, bref, tout ce petit monde s’est retrouvé en mode coopération/compétition et le soir tout le monde était à la fois enchanté et ami. Suite à cette conférence, la communauté à plus que doublé, elle regroupe à présent vingt personnes à travers une liste de diffusion dynamique, où les collaborations sont quotidiennes. Cela peut prêter à sourire, mais ce qui nous importe c’est que le chef de projet soit heureux d’avoir créé une dynamique sur un sujet très, très pointu. Bien sûr, on en peut comparer un tel projet avec un projet grand public.

Je conseille d’utiliser ce guide comme un patchwork… à vous de picorer… picorer, picorer ! C’est vraiment un guide pour débutant, gourmand et grand spécialiste. Il est fait pour un large public et l’élaboration de mini-projets, de projets de taille moyenne, et de grands projets !

 Si vous aviez eu plus de temps/espace de publication, quel autre aspect auriez-vous abordé ? Ce sera pour une prochaine publication ?

Personnellement, je reviendrais sur la méthode pour choisir une licence, il manque des éléments tel que prendre en compte les objectifs du projet, ce que l’on veut partager et les valeurs que l’on veut transmettre. Je compléterais donc bien cette partie même si nous expliquons dans les deux cas concrets comment nous avons choisi les licences : selon les objectifs, le partage, les valeurs.

Nous sommes en 2016, et il y a encore beaucoup de mythes autour de ce sujet ! Je pense que les licences FLOSS décrivent suffisamment de règles pour ne pas ajouter des couches supplémentaires. Beaucoup trop de personnes se focalisent aussi sur le modèle économique au lieu de mettre en œuvre une gouvernance appropriée (avec le partage et les valeurs qui correspondent). On peut changer plus facilement de modèle économique que de modèle de gouvernance ou de licence. D’ailleurs je déconseille de tomber amoureux de son modèle économique ! Je compléterais bien le guide avec un chapitre sur le modèle économique appelé « consortium ».

Quelles sont les utilisations et/ou transformations que vous espérez pour ce guide ? Qui, selon vous, pourrait s’en emparer voire l’adapter ou le modifier ?

1erecouvlogicieletobjetslibres
Ce nouveau guide est maintenant disponible sur Framabook

J’aimerais aussi travailler sur les communautés d’apprentissage telles qu’on les retrouve dans le monde éducatif. Il y aurait de quoi écrire un autre guide, qui ne serait pas redondant avec celui-ci : les techniques pour motiver et faire collaborer un monde de professeurs entre eux ne sont pas si simples et ne correspondent pas toujours aux motivations des communautés de pratique.

Enfin et surtout, on aimerait que les gens réagissent sur un wiki à propos du guide et nous donnent leur avis, ajoutent leurs conseils, leurs expériences… Et pourquoi pas faire une version 2 annotée avec les avis du public ?

Nous lançons aussi un appel à contribution pour nous aider à traduire le livre en espagnol, en anglais, en italien…

Nous vous laissons « 3 mots de la fin »…

— À plusieurs on est meilleurs !
— Community over code !
— Doing business on Open Source is not selling a code that we did not pay but earn his life around a code that is not sold.




Minetest, piochez en toute liberté

MIcrosoft a acheté Minecraft, le fameux jeu « bac à sable », à son créateur. Et pour une petite fortune ! Forcément, l’ogre de Redmond avait une idée derrière la tête…

Dans ce long article traduit par le groupe Framalang, Paul Brown propose une alternative pour pouvoir piocher en paix, et utiliser la puissante idée de Markus Persson en toute liberté.

 

Minetest, un serious game pour l’éducation

par Paul Brown

Article original Mining for education

Traduction Framalang : Pouhiou, MagicFab, touriste, audionuma, lamessen, LaPalice, line, Qwerty, Bromind, line, goofy, Frédéric V., Penguin, Isammoc, roptat, Meridel, galadas, Frederic V., Valdo, Roka, Vincent + 14 contributeurs anonymes

Sommaire

Ce billet est très long, et peut-être qu’une bonne partie ne vous concerne pas. Si vous voulez aller directement aux parties qui vous intéressent, voici le sommaire :

  1. Pourquoi utiliser Minecraft comme outil pédagogique est une mauvaise idée
  2. Pourquoi utiliser Minetest comme outil pédagogique est une bien meilleure idée (et comment débuter)
  3. Tout est dans les mods
  4. Jouer au jeu
  5. Mettre un serveur en place
  6. Minetest comme outil pédagogique
  7. Blocs de construction
  8. Mises en garde
  9. Conclusion

Quelle serait votre réaction si tous les menus de la cantine de votre enfant étaient livrés par un seul et unique fournisseur de plats préparés et de boissons sucrées ? Que diriez-vous si le régime alimentaire de votre enfant était limité à des chips, des tortillas goût fromage et des boissons sucrées gazeuses, sans possibilité d’alternative plus saine ?

Étant parent moi-même, je suppose que vous trouveriez épouvantable l’idée que l’école n’offre que de la malbouffe à votre enfant, à tel point que vous seriez prêt à envisager de le changer d’établissement. Mais que faire si c’était la même chose dans tout le pays ?

Ce n’est pas tout, imaginez qu’en plus le fournisseur de malbouffe ait apposé son logo partout : sur les tasses, les assiettes et sur les affiches qui décorent les murs des classes. D’ailleurs, en parlant de salles de classe, quand arrive le moment de l’apprentissage des bases de la nutrition, les chapitres du manuel scolaire s’avèrent rédigés par le service marketing de cette même entreprise qui fournit déjà les repas.

La plupart des parents, je l’espère, trouveraient cela scandaleux. Pourtant, on n’entend pas beaucoup de protestations véhémentes quand il se passe exactement la même chose dans un cours d’informatique et même pendant une session d’apprentissage assisté par ordinateur.

Les élèves n’apprennent pas à se servir d’un traitement de texte, ils apprennent Microsoft Word. Il n’apprennent pas à concevoir des présentations, ils apprennent Microsoft PowerPoint. On leur demande de présenter leurs travaux, que ce soit une rédaction, un diaporama, ou un graphique, dans l’un des formats propriétaires de Microsoft, de les enregistrer sur des clés USB formatées suivant le système de fichiers breveté par Microsoft. C’est ça et rien d’autre.

Voici comment Microsoft souhaite rentrer dans les écoles...
Voici comment Microsoft souhaite rentrer dans les écoles…

Pour une gigantesque entreprise comme Microsoft, c’est tout à fait logique. Non seulement le marché de l’éducation est immense et juteux en soi, mais transformer des élèves en futurs travailleurs, managers et entrepreneurs qui ont appris à la lettre et de façon formelle à dépendre exclusivement de ses produits, voilà une perspective qui doit être irrésistible.

Mais tandis que les produits Microsoft prédominent dans l’enseignement secondaire et universitaire, il manquait encore à l’entreprise la principale part du gâteau de l’éducation. En tant que manipulateur aguerri du marché, Microsoft reconnaît que le lavage de cerveau fonctionne d’autant mieux que vous commencez jeune. Mais jusqu’à ces dernières années, ils n’avaient tout simplement pas le produit pour capter cette tranche d’âge.

Maintenant, si. Maintenant, ils ont Minecraft.

Pour détruire tout espoir que ce logiciel immensément populaire soit un jour publié sous licence libre (comme Markus « Notch » Persson a prétendu jadis qu’il pourrait l’être), Microsoft a déboursé 2,5 milliards de dollars en 2014 pour le jeu de Persson et s’est immédiatement attelé à le rendre encore plus attrayant grâce à la conclusion d’un accord avec Lego qui a fait du jeu la star de sa technologie Hololens, grâce aussi à la réalisation d’un film, en limitant toutefois les fonctionnalités dans le même temps.

Ah bon, vous n’aviez pas entendu parler de ce dernier point ? Je dois vous révéler que dès que vous faites abstraction du nouvel emballage attrayant et du tapage médiatique, vous pouvez enfin voir ce que Microsoft entend faire de Minecraft. En simplifiant le jeu pour l’adapter à sa version mobile, et en ne le faisant plus tourner sous Java, Microsoft peut mieux contrôler sur quelles plateformes il pourra fonctionner (vous savez que Minecraft fonctionne bien sous GNU/Linux parce qu’il est écrit en Java ? C’est la première chose qui sera supprimée), et tuer d’un coup tout l’écosystème de mods non validés par Microsoft.

C’est ainsi que les choses se profilent. Avant que tout ne parte en vrille, la question est de savoir si la communauté du logiciel libre a un plan B. Existe-t-il un logiciel libre susceptible de rivaliser avec Minecraft ?

Une solution ouverte

Cet article serait bien court si la réponse était « non ».

Pour être certain de ne pas me fourvoyer, j’ai passé la majeure partie des quatre dernières semaines à la recherche d’alternatives. N’ayant pas eu beaucoup d’expérience avec les jeux d’origine (Infiniminer et Dwarf Fortress), j’ai appris les rudiments du minage et de l’artisanat (du crafting), puis davantage. J’ai discuté avec des développeurs et des utilisateurs sur leurs canaux IRC – principalement pour demander de l’aide quand j’étais bloqué. J’ai aussi appelé en renfort des joueurs expérimentés de Minecraft (en l’occurrence, mon fils et ses copains) pour tester différentes versions libres et à code source ouvert de ce genre de jeux, afin qu’ils me fassent part de leurs commentaires.

Le verdict est tombé. La réponse est Minetest.

Le soleil se lève sur un lagon de Minetest. toutes les images sont CC-BY-SA Paul Brown / OCSMag
Le soleil se lève sur un lagon de Minetest.
toutes les images sont CC-BY-SA Paul Brown / OCSMag

Je ne vais pas enfoncer des portes ouvertes et vous dire que Minetest est libre tant au sens de « liberté d’expression » qu’au sens d’« entrée libre », c’est-à-dire gratuit. Il ne vous coûtera pas un sou pour être en droit de le télécharger, de le partager et d’y jouer ; vous n’aurez pas à endurer la moindre magouille de la part d’un vendeur ; il est soutenu par une communauté qui veut simplement construire un jeu vraiment amusant et y jouer, par conséquent de nouvelles fonctionnalités ont tendance à s’ajouter au fil du temps, et aucune ne sera supprimée de façon arbitraire. Je ne veux pas répéter ici ce qui est commun à la plupart des projets de logiciels libres… Bon, trop tard, je viens de le faire. Mais outre tout ce qui précède, Minetest est assez impressionnant par lui-même.

Pour commencer, il est écrit en C/C++, ce qui le rend plus léger et plus rapide que Minecraft. Mais surtout, il fonctionne plus ou moins partout (voyez sa page de téléchargements), que ce soit sur les ordinateurs fonctionnant avec FreeBSD, Windows, GNU/Linux (cherchez-le dans vos dépôts logiciels) et MacOS X ; sur les téléphones Android ; et, chose importante pour l’éducation, il fonctionne aussi sur le Raspberry Pi.

Minetest sur le Raspberry Pi

Faire tourner Minestest sur Raspbian pour Raspberry Pi est relativement simple. Commencez par ouvrir un terminal et saisissez :

sudo apt-get update
sudo apt-get upgrade

pour être certain que le système est bien à jour. Puis installez Minetest avec :

sudo apt-get install minetest

Vous pouvez aussi installer un serveur, des créatures (« MOBs ») et des mods pour étendre les capacités du jeu original. Recherchez-les avec :

apt-cache search minetest

et choisissez ce dont vous pensez avoir besoin.

Une fois que votre gestionnaire de logiciels en a terminé avec l’installation, Minetest devrait être disponible dans le sous-menu Jeux. Mais vous ne pourrez pas y jouer tout de suite !

Minetest nécessite OpenGL, une collection de bibliothèques 3D libres. Pour activer OpenGL, lancez :

sudo raspi-config

Sélectionnez Options avancées, puis AA GL Driver, Activer et OK. Ceci démarrera le pilote expérimental OpenGL pour votre bureau.

Redémarrez votre Pi. Quand vous serez de retour sur votre bureau, vous pourrez démarrer Minetest normalement.

N.B. : Il se peut que vous ayez besoin de désactiver le pilote OpenGL pour pouvoir jouer à Minecraft.

Ce qui est bien, c’est que mises à part certaines fonctionnalités pour la gestion des écrans tactiles, ça reste le même jeu. Même la version pour Raspberry Pi est exactement identique à la version PC. Cela constitue déjà un bon atout par rapport à Minecraft qui, sur Raspberry Pi, est très limité et ne fournit pas du tout la même expérience que son équivalent sur PC. Je le sais, car à une époque, j’ai écrit à propos de Minecraft sur le Pi, et depuis, les choses n’ont pas changé d’un iota.

Vous pouvez télécharger Minetest pour votre système d’exploitation, ou si vous avez la chance d’utiliser une distribution GNU/Linux, laisser votre gestionnaire de logiciels faire le gros du travail à votre place. Vous pourrez aussi trouver quelques extras dans les dépôts de votre distribution : un serveur Minetest évidemment, et des paquets de mods fournissant des créatures, une météo, etc.

 

Tout est affaire de Mods

C’est l’une des principales différences entre Minecraft et Minetest : dans ce dernier, presque tout est un mod. En fait, si vous lanciez Minetest sans aucun mod, vous vous retrouveriez à vagabonder dans un monde constitué exclusivement de blocs de pierre. Le jeu Minetest standard est principalement un catalogue de mods, de blocs (« nodes » dans le jargon Minetest), de textures et de sons ajoutés au moteur de jeu. Jetez un coup d’œil dans le dossier games/minetest_game situé dans le dossier partagé minetest/ et vous comprendrez ce que je veux dire.

Vous pouvez installer de nouveaux mods en les téléchargeant depuis le wiki du site Minetest. Ensuite, vous les déposez dans le dossier mods/ (créez-le s’il n’existe pas) situé dans votre dossier minetest/. Veuillez noter que sous GNU/Linux, le dossier peut être caché, dans ce cas recherchez .minetest/ dans votre dossier home.

Admettons que vous vouliez une météo, de la pluie, de la neige et des choses du genre, dans votre monde ? Allez dans votre dossier minetest/mods/

cd minetest/mods/

ou bien

cd .minetest/mods/

et téléchargez le mod météo :

git clone https://github.com/Jeija/minetest-mod-weather.git

Le mod est maintenant installé. C’était facile, non ?

Tout ce qu’il vous reste à faire, c’est de l’activer.

Un dépôt de Mods pour Minetest

Si vous exécutez la version 0.4.10 de Minetest, vous avez peut-être remarqué un bouton Online mod repository sous l’onglet Mods du menu.
Lorsque vous cliquez dessus, il ne se passe pas grand-chose. Si vous consultez le fichier debug.txt dans votre répertoire minetest, vous constaterez que le programme essaie de se connecter à une page web des forums Minetest qui n’existe plus. Selon les développeurs, le dépôt de mods, ainsi que l’installation de ceux-ci à partir du jeu lui-même, sont actuellement une expérimentation infructueuse, mise en pause jusqu’à ce qu’ils trouvent quelqu’un pour implémenter un modèle fonctionnel et évolutif.
Dans la version de développement 0.4.13 de Minetest, ce bouton n’existe plus.
Bonne nouvelle pour les utilisateurs de Minetest sous Android néanmoins : il existe une application qui installe les mods de façon transparente sur votre mobile. Elle est disponible sur Google Play et marche très bien.

Démarrez Minetest, et si ce n’est déjà fait, créez un nouveau monde en cliquant sur le bouton Nouveau dans l’onglet Solo. Une nouvelle boîte de dialogue apparaît. Donnez un nom à votre monde et laissez le reste tel quel. Cliquez sur Créer.

Une fois votre monde sélectionné, cliquez sur le bouton Configurer. Cela vous affiche une liste des mods disponibles. Double-cliquez sur weather et il passera du blanc au vert. Cela signifie que ce mod sera activé quand vous lancerez votre monde.

Cliquez sur Jouer et le mod weather ouvrira les canalisations d’eau de temps en temps. Si vous êtes impatient, vous pouvez faire pleuvoir en ouvrant le HUD ([F10]) et en saisissant :

/setweather rain

ou bien

/setweather snow

à l’invite de commande.

Pour l’arrêter, saisissez :/setweather none

Si un message d’erreur apparaît et vous indique que vous n’avez pas les permissions pour démarrer et arrêter la pluie, essayez de vous les octroyer vous-même en saisissant :

/grant [votre nom de joueur] weather

dans le HUD.

Faites tomber la neige avec le mod weather
Faites tomber la neige avec le mod weather

Quasiment toutes les touches de F1 à F12 ont une fonction, chacune peut être consultée sur le site de Minetest, en même temps que les autres paramètres du clavier. Parmi les plus utiles, on trouve :

Touche Fonction 2nd appui
F5 Affiche les coordonnées du joueur Affiche les statistiques du serveur
F7 Modifie la vue caméra Cycle parmi les vues caméra
F9 Ouvre une mini-carte Agrandit le zoom
F10 Ouvre le HUD Ferme le HUD
F12 Prend une capture d’écran

 

En parlant du HUD… De toutes les touches ci-dessus, F10 est peut-être celle qui mérite que l’on s’y attarde. Le HUD, ou Head Up Display (affichage tête haute), vous permet de saisir des messages dans le chat ou des commandes qui vous permettent de faire davantage de choses qu’avec de simples appuis de touches.
En saisissant :

/teleport 500,5,500

par exemple, vous pouvez directement vous rendre aux coordonnées (500, 5, 500) – si vous avez le pouvoir de téléportation, je précise.

/time 9:00

réglera l’heure du jour sur 9 heures du matin.

Utilisez le HUD pour tchater ou taper des commandes
Utilisez le HUD pour tchater ou taper des commandes

/sethome

Cette commande définit un point, par exemple, là où vous avez construit votre refuge, où vous pouvez toujours vous téléporter avec la commande :

/home

…utile si vous êtes perdu ou en danger.

Pour envoyer un message à un autre joueur, vous pouvez utiliser :

/msg [nom du joueur] [message]

La commande :

/msg Paul Bonjour Paul !

envoie « Bonjour Paul ! » au joueur de ce nom. Vous pouvez également envoyer des messages à tous les joueurs ou des messages privés comme décrit ci-dessus en appuyant sur la touche `t` (pour talk, parler en anglais).

Si vous administrez votre propre monde, vous pouvez utiliser le HUD pour envoyer des instructions afin de contrôler les joueurs indisciplinés, ainsi que des commandes spécifiques à certains mods (telles que la commande /setweather que nous avons vue plus haut). Pour obtenir la liste complète des commandes, saisissez :

/help all

 

Jouer au jeu

Créez un fourneau pour transformer les minerais en lingots.
Créez un fourneau pour transformer les minerais en lingots.

Est-ce vraiment différent de jouer à Minetest, en comparaison d’avec Minecraft ? Très peu en fait. La plupart des raccourcis clavier sont exactement les mêmes et, bien sûr, il y a toute la partie fabrication. Vous n’avez pas besoin de session d’apprentissage dans Minetest. Appuyez simplement sur la touche [i] et vous accéderez à tous les emplacements contenant les matériaux et objets que vous transportez avec vous, ainsi qu’une grille de fabrication. Cela dit, vous aurez besoin de construire un fourneau pour fondre le minerai en lingots.

À côté des haches, des pelles et des épées, un autre outil très utile (et spécifique à Minetest) que vous devriez construire est le tournevis. C’est une bonne idée d’en fabriquer un assez tôt dans le jeu, dès que vous avez du bois et du fer. Le tournevis vous permet de changer l’orientation des autres objets. Si vous fabriquez des escaliers, par exemple, et que vous les disposez dans le mauvais sens, placez le tournevis dessus et vous pourrez les faire tourner sur eux-mêmes.

Différents mods ajoutent de nouveaux objets que vous pourrez fabriquer et de nouveaux matériaux bruts ou transformés. Le module Technic, par exemple, ajoute toutes sortes de trucs hi-tech, depuis le fil en cuivre pour les circuits électriques, jusqu’aux forets en diamant. Ce mod est continuellement mis à jour. L’un des plus récents ajouts est le réacteur nucléaire, qui est utile, mais aussi dangereux !

Bien que l’intérêt de Minetest ne réside pas tant dans le combat contre des monstres (et c’est pour ça que les créatures ne sont pas incluses par défaut) que dans la construction, la présence de créatures menaçant votre propriété peut certainement rendre les choses plus amusantes. Mais ce qui est encore plus amusant cependant, c’est de construire et protéger sa propriété avec des amis.

Serveur Minetest

Monter un serveur Minetest pour vos amis, vos collègues ou votre école est facile. Minetest est constitué de deux parties : le client, qui est le programme avec lequel vous interagissez directement, et un serveur, qui génère le monde, gère les joueurs, leur localisation et leur inventaire, et avec lequel vous interagissez indirectement.
Lorsque vous jouez en solo, vous faites tourner un serveur pour vous seul. En fait, si vous voulez inviter des amis dans le monde dans lequel vous jouez, vous pouvez quitter votre partie et revenir au menu, et dans l’onglet « Serveur », cocher l’option « Public ». Si vos amis sont sur le même réseau, il leur suffira de se connecter à votre adresse IP avec leurs propre clients et de commencer à jouer.

Un serveur dédié

Bien que vous puissiez vouloir éviter de faire tourner un serveur Minetest pour votre organisation en arrière-plan sur le poste de travail de quelqu’un, vous n’avez pas besoin d’une machine exclusivement dédiée à Minetest. Minetest est conçu pour être léger et, avec la puissance du matériel moderne et les capacités disque qui de nos jours atteignent le téraoctet, une tour standard suffira.

Héberger un serveur Minetest sur votre serveur de fichiers ou d’impression fera probablement l’affaire, tant que vous faites attention à sa sécurisation (voir ci-dessous).

Même un Raspberry Pi conviendra pour servir de façon réactive une demi-douzaine d’utilisateurs environ. Cependant, s’il y a beaucoup plus de joueurs, des créatures errant ici et là, de nombreuses fabrications et que de vastes explorations ont lieu, vous pourriez trouver que le Pi commence à ramer et vous devrez alors opter pour une configuration plus musclée.

Si vous prévoyez quelque chose de plus ambitieux, peut-être un serveur public ou un serveur pour votre école entière, vous devriez envisager une machine sur laquelle le serveur Minetest pourra tourner sans interface graphique.

Sur Debian GNU/Linux ou sur un système basé sur cette distribution (comme Ubuntu, Mint ou Raspbian), saisir :
su
apt-get install minetest-server

sur Debian, ou bien :
sudo apt-get install minetest-server
pour Ubuntu, Raspbian et Linux Mint pour installer le serveur autonome.

Vous pouvez démarrer le serveur à la main sans être administrateur en saisissant :
minetestserver --info
Le paramètre –info vous informera des problèmes éventuels et affichera aussi des événements, par exemple quand un utilisateur se connecte au serveur pour jouer.

C’est une bonne méthode pour vérifier que tout fonctionne, mais les développeurs de Minetest recommandent, pour des raisons de sécurité, d’utiliser un utilisateur standard n’ayant pas les droits de super-utilisateur (sudo) pour faire tourner le serveur. Stoppez le serveur en appuyant sur les touches [Ctrl]+[c] et créez un utilisateur avec la commande suivante :

su
adduser minetest

si vous utilisez Debian, ou :

sudo su
adduser minetest

si vous utilisez Ubuntu, Mint ou Raspbian.

Définissez le mot de passe pour le nouvel utilisateur. Vous pouvez laisser tous les autres champs vides.

Quittez la session super-utilisateur (exit), connectez-vous en tant qu’utilisateur minetest et déplacez-vous dans son répertoire personnel :

exit
su minetest
[saisissez le mot de passe de minetest]
cd

Lancez à nouveau minetestserver en tant que ce nouvel utilisateur.

Vous pouvez aussi jouer sur les serveurs publics d'autres joueurs.
Vous pouvez aussi jouer sur les serveurs publics d’autres joueurs.

Le serveur Minetest écoute par défaut sur le port 30000 (bien que vous puissiez le changer avec le paramètre –port), donc vous devrez autoriser cet accès au niveau de votre pare-feu et faire suivre vers ce port au niveau de votre routeur si vous lancez le serveur sur votre réseau local et que vous voulez que des joueurs de l’extérieur puissent accéder à votre partie.

Pour installer des mods, copiez-les vers le répertoire /usr/share/games/minetest/games/minetest_game/mods/ et ils seront automatiquement chargés et activés quand le serveur tournera. Pour vérifier que les mods que vous voulez ont bien été chargés, lancez le jeu, ouvrez le HUD ([F10]) et saisissez /mods.

Si vous voulez restreindre l’accès à votre serveur, car vous ne voulez jouer qu’avec vos amis et ne souhaitez pas que des inconnus viennent gâcher la fête, créez un fichier .conf et chargez-le au moment de lancer le serveur.

Un fichier .conf Minetest est un fichier texte avec une série de paires clef = valeur sur chaque ligne. Si vous voulez limiter les utilisateurs à vos seuls amis, vous pouvez par exemple demander à ce que les joueurs utilisent un mot de passe et définir un mot de passe initial que seuls vous et vos amis connaissez. Le fichier .conf devrait ressembler à ça :

name = Mon Minetest
disallow_empty_password = true
default_password = MotDePasseSecret
motd = Si ce n'est pas déjà fait, merci de changer votre mot de passe.

où MotDePasseSecret est le mot de passe que vous communiquez à vos amis.

Cela affichera aussi un message à tous les utilisateurs leur demandant de changer leur mot de passe par défaut. Les utilisateurs peuvent changer leur mot de passe en appuyant sur [Échap] (ou sur le bouton retour sous Android) depuis le jeu et en cliquant sur le bouton Changer le mot de passe.

Changer son mot de passe depuis le menu utilisateur
Changer son mot de passe depuis le menu utilisateur

Démarrez le serveur en saisissant :

mineetestserver --config /chemin/vers/votre/fichier/de/configuration.conf

pour le forcer à charger votre fichier .conf.

Vous trouverez un exemple de fichier de configuration avec beaucoup d’autres options sur le dépôt GitHub de Minetest.

Une fois que tout est opérationnel, vous pouvez octroyer des privilèges à chaque utilisateur comme bon vous semble en éditant le fichier auth.txt que vous trouverez dans le répertoire de votre monde. Chaque ligne ressemble à ça :

Paul:x69lFMHqU/qrUHlRoCpIF34/56M:interact,shout

Vous voyez trois champs séparés par deux points (:). Vous avez d’abord le nom d’utilisateur, puis une version chiffrée de son mot de passe et enfin une liste séparée par des virgules de ses privilèges. Vous pouvez ajouter des privilèges en complétant la liste :

Paul2:x69lFMHqU/qrUHlRoCpIF34/56M:interact,shout,home

Le privilège « home » permet à un joueur d’utiliser les commandes /sethome et /home que nous avons vues précédemment.

Une autre manière d’accorder des privilèges est d’accorder le privilège « privs » à votre propre joueur. Ensuite, vous pourrez accorder de nouveaux privilèges directement depuis le HUD. La commande :

/grant [player name] home

permet d’accorder le privilège « home » à un joueur. Vous pouvez aussi vous accorder plus de privilèges de cette manière.

Vous pouvez révoquer les privilèges d’un joueur en saisissant :

/revoke [player name] [privilege]

Pour voir les privilèges dont vous disposez :

/privs

dans le HUD, ou bien :

/privs [player name]

pour voir les privilèges qu’un autre joueur possède.

Une fois que vous êtes satisfait de la configuration de votre serveur, vous pourriez souhaiter configurer votre système de façon à démarrer Minetest à chaque fois que vous allumez votre ordinateur. Pour ce faire, vous pouvez créer une tâche cron qui s’exécute au démarrage.

Accédez à votre utilisateur minetest depuis une fenêtre de terminal, et ouvrez l’éditeur crontab avec la commande :

crontab -e

Ajoutez à la fin du fichier une ligne semblable à celle-ci :

@reboot /usr/games/minetestserver --config /chemin/vers/votre/fichier/de/configuration.conf

Vous devez également ajouter toute autre option dont vous auriez besoin, comme le nom du monde que vous voulez charger au démarrage, le port sur lequel vous voulez que votre serveur écoute, etc. Pour voir une liste complète des commandes possibles, saisissez :

minetestserver --help

dans un terminal.

La plupart des distributions GNU/Linux modernes, dont Debian, Ubuntu, Mint et Raspbian, utilisent désormais systemd pour gérer des choses comme les démons et les services. Les versions futures de Minetest tireront profit de ce sous-système, installeront automatiquement les fichiers de configuration et créeront un utilisateur pour les exécuter.

Un outil pédagogique

L’argument majeur en faveur de l’utilisation de Minetest par rapport à une alternative propriétaire est sa modularité. Les débutants apprécieront le fait de pouvoir modifier toutes les caractéristiques de leur personnage et des différents objets à l’intérieur du monde qu’ils ont créé.

Même les formes des personnages peuvent être modifiées en utilisant Blender
Même les formes des personnages peuvent être modifiées en utilisant Blender

Il existe même un mod wardrobe (armoire) que l’administrateur du serveur peut remplir de textures personnalisées afin que les joueurs puissent changer leur apparence en cours de jeu.

La modularité va au delà de la simple esthétique cependant, et les développeurs de Minetest ont créé un framework complet séparé du programme principal, qui permet aux utilisateurs de créer de nouveaux blocs et d’en ajuster le comportement, de concevoir de nouveaux objets à fabriquer, et de construire pratiquement tout ce que vous pouvez imaginer. Vous pouvez également créer des mods qui affecteront le comportement du monde et vous permettre, par exemple, de créer des parties depuis le jeu Minetest lui-même.

Prenez par exemple l’ensemble de mods éducatifs listés sur le wiki de Minetest. Cela va de paquets apportant de simples blocs illustrés de lettres et de nombres, jusqu’à des mods qui rendent Minetest compatible avec l’API Python de Minecraft pour Raspberry Pi.

Voyons un exemple.

Les blocks du mod teaching
Les blocks du mod teaching

Le mod Minetest-teaching (l’apprentissage par Minetest) fournit des outils pour créer des casse-têtes arithmétiques et orthographiques. Si les élèves parviennent à les résoudre, vous pouvez les récompenser avec des objets rares ou des blocs.

Pour commencer à l’utiliser, téléchargez-le vers votre répertoire minetest/mods/ :

https://github.com/pbrown66/minetest-teaching.git

Renommez le répertoire en teaching/, sinon ça ne fonctionnera pas. Démarrez Minetest et activez le mod. Pour créer une énigme, par exemple 2+2=, entrez dans le jeu en utilisant le mode créatif et donnez-vous les privilèges de professeur. Pour cela, ouvrez le HUD ([F10]) et saisissez :

/grant [votre nom] teacher

Appuyez à nouveau sur [F10] pour fermer le HUD.

Pour mettre en place l’énigme, creusez une tranchée de 5 blocs de long. Ouvrez l’inventaire ([i]), choisissez l’onglet Nodes (Blocs) et déplacez-vous jusqu’à ce que vous voyiez les blocs d’apprentissage.

Pour l’énigme ci-dessus, vous aurez besoin de quatre blocs lab, d’un bloc checking, de deux blocs allow-dig, de deux blocs 2, d’un bloc +, d’un bloc =, d’un bloc 5 (une mauvaise réponse) et d’un bloc 4 (la bonne réponse).

Posez les quatre blocs lab dans la tranchée en commençant complètement à gauche. Dans le trou qui reste, posez le bloc checking. Placez les blocs 2, +, 2 et = sur les blocs lab comme indiqué ci-dessous.

En posant les blocs qui constituent l’énigme sur des blocs lab, vous les rendez indestructibles et les élèves ne pourront pas détruire de façon accidentelle ou volontaire l’activité proposée.

des blocs vont sur lab pour l'énigme, un emplacement cheking pour répondre, et des emplacement allow dig pour les blocs de réponses.
des blocs vont sur lab pour l’énigme, un emplacement cheking pour répondre, et des emplacement allow dig pour les blocs de réponses.

Cliquez du bouton droit de la souris sur le bloc checking à droite de la tranchée, et une boîte de dialogue apparaîtra. Utilisez-la pour indiquer au bloc quelle est la bonne réponse et lui faire offrir un nugget de sagesse et un prix. Dans l’exemple suivant, la bonne réponse est évidemment 4. Lorsque l’élève trouve la bonne réponse, le message « Bravo ! Voici un diamant. » s’affichera dans son chat et un diamant apparaîtra au-dessus du bloc de solution.

Pour résoudre l’énigme, les élèves doivent saisir les blocs de solution et placer le bon sur le bloc de vérification. Vous pouvez déposer les blocs de solution n’importe où, mais vous devez les placer sur un bloc allow-dig, sinon il deviennent indestructibles et les élèves ne pourront plus le récupérer. Donc, creusez deux trous là où vous souhaitez laisser les blocs de solution, placez un bloc allow-dig à l’intérieur de chacun d’eux, et placez les blocs 4 et 5 sur chacun des blocs allow-dig.

À présent, vous pouvez lâcher vos élèves en liberté dans votre monde.

Quand un élève place une réponse incorrecte (dans notre exemple, le bloc 5) sur le bloc de vérification, rien ne se passe. Il peut le détruire et réessayer. Mais quand il place la bonne réponse (dans notre cas, le bloc 4), l’énigme offre le prix et se verrouille, empêchant l’élève de frapper et de casser le bloc, et de le remettre sans cesse en place pour obtenir une infinité de diamants.

Et la bonne réponse, récompensée par un diamant.
Et la bonne réponse, récompensée par un diamant.

Seul le joueur possédant les droits de professeur peut réinitialiser l’énigme. Il peut effectuer cela en frappant le bloc de solution, en frappant le bloc situé en dessous du bloc de solution et en replaçant et reprogrammant le bloc de vérification.

Blocs de construction

Toute la magie du modding est obtenue grâce à l’utilisation de Lua, un langage de programmation de haut niveau ressemblant par bien des aspects à Python (le langage utilisé dans l’édition Raspberry Pi de Minecraft). C’est un bon choix, car il est clair (vous n’avez pas à vous soucier de symboles étranges comme en PERL, ou de points virgules en fin de ligne comme en C/C++). Il combine les fonctionnalités des langages orientés objet avancés et des langages fonctionnels, et il est spécialement conçu pour la programmation de jeux vidéo.

Bien que ce ne soit pas l’endroit pour enseigner le Lua (il y a déjà d’excellentes ressources en ligne), et qu’expliquer tous les tenants et aboutissants du modding de Minetest allongerait bien trop ce qui est déjà un article excessivement long, regardons au moins l’anatomie d’un mod de type Hello World pour que vous puissiez avoir une idée de la façon de vous lancer.

Ouvrez un éditeur de texte et copiez-y ce qui suit :

minetest.register_on_joinplayer(function(player)
minetest.chat_send_all("Hello " .. player:get_player_name() .. "!")
end)

Voici votre premier mod.

Pour comprendre la première ligne, songez au fait que dans Minetest, la plupart des choses s’exécutent lorsque le joueur fait quelque chose ou que quelque chose se produit dans le monde. On appelle ces choses des événements. Quand un joueur se connecte à un monde Minetest, un événement joinplayer est envoyé. « register_on_joinplayer » est une méthode intégrée qui demande à l’objet minetest de se mettre à écoute d’un tel événement et d’exécuter une fonction quand cela se produit. La fonction est ce que vous pouvez voir entre parenthèses.

Dans notre cas, la fonction prend l’objet « player » (joueur) associé à l’événement et, à la deuxième ligne, extrait le nom du joueur en utilisant la méthode intégrée « get_player_name() ». Le nom renvoyé est stocké dans une chaîne de caractères (notez que « .. » est ce que Lua utilise pour concaténer des chaînes de caractères) qui est ensuite envoyée à tous les joueurs via la méthode intégrée « chat_send_all ».

Une fois que vous avez fini de copier le code, créez un répertoire nommé hello/ dans minetest/mods/ (ou .minetest/mods/) et sauvegardez votre fichier sous le nom init.lua dans votre nouveau répertoire. Vous pouvez aussi créer un fichier texte dans le répertoire hello/ avec une brève description du module – enregistrez-le sous le nom description.txt et il apparaîtra dans l’onglet Mods du panneau de contrôle de Minetest.

Activez le mod et tous les joueurs seront salués lorsqu’ils se joindront à la partie.

Votre mod apparaîtra dans le panneau de contrôle.
Votre mod apparaîtra dans le panneau de contrôle.

Pour en savoir plus sur la manière d’écrire des mods Minetest, consultez le wiki officiel du site des développeurs et jetez un œil aux méthodes Minetest. Cela vous donnera une idée de ce que vous pouvez faire avec le framework Lua. N’oubliez pas non plus d’étudier la façon dont vous devriez organiser les bricoles à l’intérieur de votre répertoire mod.

Mises en garde

Minetest est assez génial, mais bien entendu, il n’est pas parfait. La complexité des composants logiciels sous-jacents fait que le client comme le serveur peuvent planter de temps en temps… Ou du moins, c’est ce que les développeurs me disent. Il est intéressant de noter qu’au cours des recherches consacrées à cet article, je n’ai fait l’expérience d’aucun plantage, même quand j’utilisais la branche de développement instable.

Voici un problème bien plus réel : si Minetest aspire à être utilisé en tant que logiciel éducatif, ce qui devrait être le cas, il ne doit pas seulement rivaliser avec le poids lourd Minecraft sur ses mérites, mais aussi avec le fait que Minecraft arrive pré-installé dans Raspbian pour le Raspberry Pi et avec son interface Python.

Même si l’API Lua de Minetest est bien plus puissante que le Python de Minecraft, à tel point que ce dernier passe pour un joujou en comparaison, et que Dieu me garde de préconiser l’adoption d’une technologie seulement parce que c’est le standard de fait, il faut bien prendre en compte la résistance naturelle de l’humain au changement. Demander aux professeurs de changer à la fois de jeu et de langage de programmation va être difficile à vendre.

La modularité est un autre aspect à prendre en compte. Je l’ai dit tout à l’heure, c’est l’une des raisons qui font de Minetest un jeu génial, mais elle peut être intimidante pour les nouveaux utilisateurs. Une installation basique de Minetest est un peu spartiate : pas de créatures, pas de survie, pas de nourriture, pas de météo… On excuserait facilement un nouvel utilisateur qui, y jouant pour la première fois, se dirait que Minetest n’est qu’une très pâle copie de Minecraft. Je suggérerais la création d’une « version grand public » de Minetest, qui embarquerait le plus grand nombre possible de fonctionnalités de Minecraft que les joueurs attendent de trouver, et qui par conséquent éviterait de décevoir les nouveaux venus.

Pour terminer, il y a ma bête noire que j’évoque très souvent : la documentation. J’ai souvent dû m’en remettre au canal IRC de Minetest. Les wikis de Minetest, bien qu’ils affichent un nombre d’index impressionnant, contiennent beaucoup trop de sections vides. Les exemples de code, quand ils existent, sont inexpliqués et non commentés. Il n’y a pas de tutoriels « apprendre par la pratique ». Quand vous posez la question, les moddeurs les plus expérimentés (qui sont par ailleurs très patients et serviables) mentionnent tout le temps un fichier texte spécifique qui contient des descriptions courtes et souvent énigmatiques des modules et des attributs. Encore une fois, il n’y a pas d’exemples dans ce document qui aideraient les nouveaux utilisateurs à comprendre les outils offerts par l’API.

Conclusion

Minetest a parcouru un chemin incroyable depuis la dernière fois où nous en avions parlé. Le seul fait qu’il fonctionne sur toutes les plateformes, que ce soit GNU/Linux, Windows, OS X, Android ou Raspberry Pi, le place clairement en tête de la compétition. Il a développé une communauté saine et dynamique, et étant open source et doté d’une API ouverte relativement facile à utiliser, il a bénéficié littéralement de centaines d’extensions et de mods.

En tant qu’outil éducatif/collaboratif à destination des jeunes (et des adultes), il est idéal, même meilleur que Minecraft, en raison de sa nature ouverte et libre et de la puissance du polyvalent framework Lua. C’est logique : Minecraft a été décrit à une époque comme un « Lego social » et est vénéré parce qu’il encourage la collaboration, mais qu’y a-t-il de plus social et de plus collaboratif qu’un logiciel libre ouvert jusqu’à son code source ?

Pour aller plus loin :