Framaconfinement Jour 02 – Prendre la mesure

L’association Framasoft tient à partager, même de manière irrégulière et foutraque, le résumé de ce qu’il se passe lorsqu’on héberge des outils d’échange et de collaboration en ligne en pleine période de confinement.

Ce journal, nous l’écrivons pour lever un coin de voile sur Framasoft, mais aussi pour nous, parce que ça nous fait du bien. Ne vous attendez donc pas à ce que tous les éléments de contextes vous soient systématiquement donnés, on livrera les choses comme elles viennent, plus cathartiquement que pédagogiquement.

L’accès à l’ensemble de articles : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/

 

Notre article d’hier s’est fait modérer-censurer sur FB, pour infraction au copyright.
Du coup il n’y aura pas de mème dans cet article.
Pas un seul.

Voici notre journée d’hier vue par Pyg, dans un texte dont il a fini le premier jet à 3h du mat’.

Prendre la mesure

Ce monde marche à l’envers.

D’habitude, c’est Pouhiou, mon collègue et ami qui use de sa plus belle plume pour écrire les billets du Framablog, et moi qui envoie des listes à puces aux bénévoles ou aux collègues à longueur de journée.
Mais en ce moment, le monde marche à l’envers.

Le premier billet de ce journal de bord aura donc été une liste à puces faite par Pouhiou. Et ce second billet, puisque nous avons décidé d’alterner les auteurs, sera plutôt une introspection. Ou une extraspection (oui, ça n’existe pas, mais à l’heure où je rédige ce billet, c’est encore mon anniversaire, alors je fais ce que je veux).

Sur le plan purement technique, cette deuxième journée de confinement aura, un peu, ressemblé à la précédente. On a couru de partout, en essayant non plus d’avoir le moins de casse possible (ça c’était hier), mais de commencer à voir comment on pouvait mettre les étais qui nous aideraient à continuer à être utiles.

Concrètement, Luc (notre adminsys) a commencé à migrer l’instance semestriel.framapad.org vers un des serveurs dédiés loué en urgence hier sur laquelle elle sera isolée, afin de laisser mensuel.framapad.org, toute surchargée qu’elle est, prendre ses aises sur le serveur où elles étaient toutes les deux. Il s’est aussi assuré que l’infra tenait bon, car il n’y a pas que les pads qui aient souffert, et à installé et configuré un serveur Mumble pouvant accueillir 1200 personnes en temps réel.

C’est peut être un biais, mais j’associe souvent Luc au mécanicien en fond de cale du rafiot, à serrer les boulons, à remettre de l’huile, à jouer de l’extincteur sur une pièce qui a trop chauffé. Mauvais caractère, râleur, mais sans lui nous ne serions rien.

Un jour, les admin-sys domineront le monde.
Mais pas demain : demain, y’a migration.

Suite à la remise en page expresse hier des pages d’accueil framapad et framatalk, tcit, qui développait jusqu’à la semaine dernière Mobilizon a lui aussi prêté main forte sur l’infra, et aux collègues qui en avaient besoin. Notamment, il a mis à jour Framadrive, et Framagenda. C’est le genre de personne tellement compétente que lorsque vous lui demandez si une tâche peut être faite à 17h14, il vous répond dans l’instant que ça a été fait à 17h10. Je crois qu’il a aidé chacun⋅e d’entre nous aujourd’hui, y compris Théo (stagiaire INSA qui travaille sur Framaforms). Discrètement, efficacement. Sans lui, nous ne serions rien.

L’envol vers l’auto-suffisance numérique, allégorie.

Chocobozzz, tout comme tcit, a dû temporairement arrêter (ou fortement ralentir) le développement de PeerTube. Depuis jeudi dernier, date de migration du serveur framatalk, il travaille avec Luc à mettre en place un JitsiMeet qui tienne la route (et d’après les au moins 752 messages lus sur le canal « Tech » de notre framateam, j’ai cru comprendre au milieu de leurs échanges en jargon-Klingon avec Luc que la doc de Jitsi était quand même franchement, franchement pas claire). Luc est actuellement en train de monter un autel à sa gloire dans son bureau, tant son travail sur Jitsi a été salutaire 🙇. Sans lui nous ne serions rien.

JosephK, notre développeur frontend, est lui, épargné (en quelque sorte) puisqu’il avait posé 4 semaines de congés pour finir les travaux de son écoquille, dans un coin reculé de la France. Il est censé revenir la semaine prochaine, mais avec des enfants à charge (et donc confinés), je ne sais pas encore s’il pourra (et pourtant il est clair qu’un peu d’air frais et d’énergie soulagerait bien les collègues). On ne sait pas. On verra. Sans lui, nous ne serions rien.

 

Les nouvelles machines framatalk tiennent la charge… tant que vous ne vous connectez pas à plusieurs dizaines dessus !

Mais Framasoft, ça n’est pas que de la technique (et les humains qui vont avec)

C’est aussi du support, de l’accompagnement, des échanges avec la communauté, pour la communauté.

SpF, par exemple, l’homme de l’ombre, celui qui a traité, je viens de vérifier, 28 122 tickets de support (oui, parce qu’un spam en faux positif, il faut bien le traiter aussi). Celui qui répond patiemment quand vous nous engueulez parce que votre mot de passe ne fonctionne plus (alors qu’en fait ça fait 5 fois que vous l’écrivez en majuscules au lieu de minuscules, que vous l’expliquer génère 6 messages de support, et quand, enfin, il vous montre – patiemment et poliment – que vous vous étiez trompé, vous ne vous fendez que rarement d’un « désolé » ou d’un simple « Merci »). C’est lui, aussi, qui vous retrouve le pad-absolument-vital dont vous avez perdu l’adresse (et là, parfois, vous vous répandez en louanges à son égard, merci). J’ai évidemment une pensée particulière pour lui car il n’a jamais caché qu’il était hypocondriaque (un vrai, pas un qui fait rire comme dans les films). Alors on essaie de dédramatiser à coup de « Comment ça va ? » « Bof, comme un hypocondriaque en pleine pandémie »… BaDoum Tss…

Aujourd’hui, SpF a réalisé un tutoriel Mumble qui pourra sans doute être fort utile pour celles et ceux qui veulent garder un contact audio en ces temps troublés. Sans lui, nous ne serions rien.

Désormais, le support pour nos services passe en priorité par le forum.

Une partie des communautés libristes a vu, au départ, la situation de pandémie comme une façon de prouver que le libre était LA solution aux défis techniques que nous rencontrons, tout en bottant le cul des GAFAM. Et beaucoup de gens ont tourné leur regard vers nous, comme si nous pouvions réellement changer la donne. Malheureusement, non, Framasoft seule est impuissante. Nous avons dit et répété que nous voulions participer à changer le monde, un octet à la fois, mais qu’il était hors de question de prendre sur nos épaules l’injonction de le sauver. Ben voilà, on ne le sauvera pas. Notre seul espoir à mon avis, et cela même en dehors du numérique, va résider dans notre capacité à faire, et faire ensemble. Plutôt que d’attendre un hypothétique sauveur.

Faire ensemble, c’est justement ce pourquoi nous avons initié le collectif CHATONS. Hier, c’était un peu le grand test : le « S » de CHATONS qui signifie « Solidaires », c’est pour de vrai ou c’est pour la gloriole et pour du beurre ?

Force est de constater que les chatons ont répondu à l’appel : en 24h, le collectif a pu rassembler des listes de plusieurs de dizaines de structures prêtes à proposer qui des pads, qui du Jitsi, qui de la VM, qui du Nextcloud, etc.

Le tout avec des valeurs de transparence, de respect des données personnelles, d’engagement à n’utiliser que du libre, et, ces structures l’ont démontrées hier, de la solidarité.

C’est « CHATONS », avec un « S » comme « Solidaires »

Mais organiser un tel foisonnement n’est pas simple : on a beau être plus « bazar » que « cathédrale », s’organiser c’est essayer de mettre de l’ordre dans le chaos, c’est trouver quelles sont les urgences et mettre en œuvre des plans d’actions.

Et ça, ça a été une partie du boulot d’Angie sur cette journée. Elle a ouvert des pages wiki, réorganisé des catégories du forum, modéré des messages. Bref, elle a essayé de canaliser les énergies pour qu’elles ne se dispersent pas dans l’agitation extrême d’hier. En parallèle, elle a travaillé avec le collectif spontané « Continuité pédagogique » pour relayer leur appel sur le framablog, qui vient de paraître aujourd’hui. Et elle doit autant que possible, continuer à prendre en charge les stages de Lise (sur CHATONS) et d’Arthur (en charge de nos traductions). Je partageais mon bureau avec elle et Anne-Marie. Ne plus l’entendre pester contre Drupal me manque déjà. Sans elle, nous ne serions rien.

 

Ah si les CHATONS avaient les moyens d’Oprah…

Pouhiou, lui, n’est pas que la plume de Framasoft. Il en est le panache. Une force motrice. Toujours à l’écoute et attentionné. Et quand je dis attentionné, on est loin des 2 minutes d’attention avant de passer à autre chose. C’est plutôt du genre à détecter si je vais bien ou pas rien qu’à ma façon d’écrire  « Hello World! » sur le tchat des salarié⋅es le matin. Je connais ses forces, mais aussi ses fragilités. Je sais que le confinement ne lui pèsera pas vraiment (nous sommes nombreux dans l’équipe à pratiquer le télétravail depuis des années). Mais je sais que son empathie naturelle va le conduire à s’inquiéter pour ses proches, dont nous sommes.

Pouhiou, hier comme chaque jour, a animé – avec Angie – nos médias sociaux, a rédigé un mail-bilan à l’asso, mail qu’il a repris sur le blog sous la forme du premier billet de ce journal. Il a aussi animé une réunion à distance avec SpF et Maiwann (en formation au CNAM en ergonomie, et qui travaille sur la question de la pénibilité du support) sur la refonte nécessaire de notre plateforme de support face à l’afflux de visiteurs et visiteuses. Enfin, surtout, il a pris soin de nous. Il est resté toute une partie de la journée à l’écoute, sur le Mumble (un tchat audio) de l’association, à dire bonjour ou à prendre des nouvelles qui passait par là. Sans lui, nous ne serions rien.

Dites-le avec des paillettes.

Enfin, il y a Anne-Marie. L’invisible ou presque pour qui ne connaît pas Framasoft « In Real Life ». Secrétaire administrative et financière de l’association (oui, merci, nous sommes bien conscient⋅e⋅s de la position genrée de l’association et on y travaille :-/ ), c’est elle qui saisit les dons, fait une grande partie de la compta, passe nos commandes, expédie les colis, organise les A.G., etc. Je partage son bureau depuis maintenant plus de 4 ans, à LocauxMotiv. Et je m’inquiète pour elle. Parce que je la connais. Parce que je sais pour elle l’importance du « réseau social » (pas celui de Twitter ou Mastodon, vous ne l’y trouverez pas) : celui des ami⋅e⋅s, des collègues, de voisin⋅e⋅s de bureaux de LocauxMotiv, lieu dans lequel elle s’est beaucoup impliquée et fermé depuis hier. Et l’imaginer confinée chez elle, à Lyon, me fait… eh bien me fait mal, en fait. Car je sais que j’aurais beau l’appeler tous les jours, ou qu’elle peut entrer en contact avec n’importe lequel de ses collègues à n’importe quel moment, par n’importe quel moyen (téléphone, tchat, Mumble, visio, email, etc), pour elle, ça ne sera pas pareil. Pas juste différent. Moins bien. Beaucoup moins bien. Difficile sans doute. Douloureux peut-être. Sans elle, nous ne serions rien.

Tentative d’illustrer la classe d’AnMarie.

Prendre la mesure

Et moi, dans tout ça ?

Je me sens privilégié. J’étais à la campagne avec mon amoureuse le WE dernier, nous avons décidé d’y rester. Nous n’avons qu’une pièce chauffée, mais c’est tout à fait suffisant. Un jardin, des forêts. Nos proches vont bien. Une connexion internet 4G dont on n’a pas – pour l’instant – explosé le forfait. Bref, pour l’instant, le confinement je le vis plutôt bien, mais il faut dire que j’ai plusieurs années de télétravail derrière moi (alors que j’étais le premier et l’unique salarié de Framasoft).

Par contre, j’essaie de prendre la mesure de ce qui nous arrive. Et je n’y parviens pas.

Cela fait 12 ans que je suis salarié de Framasoft, d’abord en tant que délégué général, puis – suite au départ d’Alexis Kauffmann de l’association en 2014 – en tant que directeur. J’en ai vu passer des situations. Des ubuesques, des tendues, des tordues, des exaspérantes, des désespérantes. Mais là, on est face à autre chose. Et j’ai l’impression qu’il faudrait faire comme si rien n’avait changé.
J’ai bien compris l’intérêt des mesures de confinement (et de distanciation sociale, les copains de Datagueule expliquent ça très bien). Et je respecte ces mesures.

Merci de faire tourner cette vidéo de DataGueule, publiée sur leur chaîne PeerTube

Je veux bien être un bon petit soldat. Je veux protéger mes proches, les inconnu⋅e⋅s, les soignant⋅e⋅s.

Mais j’ai vraiment du mal avec des termes comme « Plan de Continuité d’Activité » ou « Continuité Pédagogique ».

Parce que, non, l’activité ne « continue » pas. Elle s’est pris une tarte dans la gueule, un coup de massue même, et ça n’est pas parce qu’elle bouge encore qu’elle « continue ».

J’ai fait ma part du job. J’ai produit (presque pour me détendre) un mémo sur le télétravail (publication demain a priori), parce que je sais que balancer des centaines de milliers de personnes en télétravail du jour au lendemain, c’est d’une violence inouïe pour un grand nombre d’entre elles. J’ai dû prendre des dizaines ou des centaines de décisions chaque jour depuis jeudi pour que Framasoft reste à flot, sans même savoir si ces décisions auraient du sens ou le moindre impact le lendemain. J’ai accompagné mes collègues comme j’ai pu, et je continuerai à le faire.

Mais qu’on ne me dise pas que l’activité « continue ».

Je sais que notre décision d’indiquer aux enseignant⋅es et aux élèves qu’ils et elles n’étaient plus les bienvenus chez nous a heurté. Cette décision, la mienne au départ, puisque je l’ai imposée d’urgence avant de pouvoir la faire valider par l’asso dont les membres avaient des urgences plus personnelles. Et elle n’a pas été facile à prendre. « « FRA » et « MA », c’est pour FRAnçais et MAthématiques », ai-je répété des milliers de fois ces dernières années. Donc, dire « non » aux profs est un crève-cœur pour moi. Mais, comme nous l’avons expliqué, même une infime portion de 800 000 enseignant⋅e⋅s et de 12 000 000 d’élèves, c’est trop pour nous. Cela se ferait au détriment des associations, collectifs, syndicats, TPE, particuliers, etc qui utilisent nos services et qui n’ont pas les moyens du plus gros Ministère de France. Alors certes, on va bricoler des trucs avec les CHATONS, et peut être le collectif « Continuité Pédagogique » va réussir son challenge, évitant à des EdTech affichant aujourd’hui leur solidarité de devenir les prédatrices de demain en poursuivant le processus déjà bien entamé de marchandisation de l’éducation.

Mais j’ai comme un doute.

Pourquoi chercher à tout prix à « continuer » ? On est coincés pour « 15j au moins » ©

Je me mets à la place de gamins qui ont entendu « Nous sommes en guerre » 4 ou 5 fois d’affilée par la plus haute autorité du pays [NDLR : 6 fois, en fait, il l’a dit 6 fois]. Qui sont enfermés chez eux. Qui ont interdiction de jouer avec ou de toucher leurs copains et copines… Et le problème, ça serait que de savoir comment des profs peuvent faire cours à 30 gamins en visioconférence, comme s’ils étaient encore en classe ? Comme si on « continuait » ?

Ça me paraît dingue. Le Ministère (avec qui nous ne sommes effectivement plus en très bons termes) s’acharne à tenter d’imposer des solutions techniques pour faire respecter la sacro-sainte « continuité pédagogique ». Je ne dis pas qu’à aucun moment ils ne pensent aux impacts psychologiques du confinement chez les enfants, mais de ce que j’en vois, vu d’ici, ça semble passer bien après le fait de leur fournir « la solution technique qui marche ». Je leur conseillerai bien de s’arrêter, de respirer un coup, et de changer d’attitude en passant de « donneur d’ordres » à « fournisseurs de ressources » en faisant confiance à chaque enseignant⋅e, individuellement, pour s’organiser collectivement avec ses collègues (et/ou avec les parents) afin d’apporter la meilleure solution selon les cas spécifiques, en lâchant prise sur le fait que pour le moment, personne ne maîtrise plus rien. Si on est prêt à confier nos enfants 7h par jour à des presque inconnu⋅es, je ne vois pas pourquoi on refuserait de leur faire confiance pour s’organiser dans le chaos ambiant. Mais je ne bosse pas au Ministère, et je suis fatigué de cette attitude du  « Un qui sait, tous qui appliquent ».

Cette désorganisation globale causée par le caractère – forcément – impromptu de la crise sanitaire actuelle semble se retrouver dans tous les domaines de l’État. Tout est flou. « On vous dira demain ».
Je ne pointe pas du doigt l’impréparation de l’État (qui me semble réelle, mais ça n’est pas le sujet), mais le fait que ce dernier entretienne un discours de « directives au jour le jour » qui freinent la mise en place de dynamiques collectives locales, puisqu’on attend la grand messe du lendemain. Il y a bien sûr l’urgence médicale. Il y a aussi l’urgence sociale (« Lavez-vous fréquemment les mains », « Restez chez vous », c’est simple quand on est SDF ?). L’urgence éducative (que je différencie de l’urgence scolaire). L’urgence culturelle. L’urgence associative (les associations palliaient à bien des manques de l’État et se retrouvent aujourd’hui sans réelle capacité d’action, et avec des incertitudes fortes sur leur avenir).  Etc.

Ce n’est pas un coup de gueule : j’ai conscience que c’est le bordel pour tout le monde, hein. Notamment pour toutes les professions qui (comme par hasard) avaient des régimes spéciaux : soignant⋅e⋅s, profs, cheminots, transports routiers, etc. Et je ne cherche pas de coupables.

Mais j’aimerais qu’on arrête de me dire qu’il faut que ça « continue ». Le monde a changé. Peut être temporairement, peut-être pas. Mais du coup, nous devons changer nous aussi.

Évidemment, je suis conscient que ce n’est pas la fin du monde (peut-être la fin d’un monde), et qu’on s’en relèvera. Et il me paraît normal, et sain, que certain⋅e⋅s aient besoin de « continuer » pour pouvoir sortir du sentiment d’angoisse ou d’irréalité dans lequel beaucoup d’entre nous sont plongés. Mais demain, une fois sorti de l’état de sidération, il faudra prendre la mesure de ce qui a changé. Retrouver et redonner du sens à nos actions. Et agir. Agir là où l’on se sent utile. Nous réorganiser.

Voilà une vérité qui dérange, ouuuuuuuuh ! :p

 

Concernant Framasoft, cela signifie qu’on ne sait plus rien. Inutile de venir me demander « Quand PeerTube supportera-t-il le live streaming ? », « Est-ce que Mobilizon sortira en juin comme prévu ? », « On aurait besoin d’un cloud en urgence pour qu’un médecin puisse être en liaison avec le SAMU, vous pouvez fournir ? ». Avant, je savais. On me payait pour savoir. Aujourd’hui, je ne sais plus.

Et ce n’est pas si grave, peut être.

Voyons cela comme un reboot. Un reset. L’occasion de repenser les choses sous d’autres angles.

Mes collègues et moi, mais aussi les 25 membres bénévoles de l’association (que des pétales de roses fleurissent sous leurs pieds pour les 18 prochaines générations) ferons de notre mieux, mais pas plus. Parce qu’il va falloir apprendre et découvrir, avec vous, ce que ça fait de louer des serveurs quand il faut imprimer une attestation puis faire 2h de queue pour aller acheter un paquet de pâtes.

Notre priorité sera d’abord de prendre soin de nous et de nos proches, et sans doute alors trouverons-nous comment être de nouveau vraiment utiles dans ce nouveau monde.

Librement,

pyg, La Vineuse sur Fréguande, anciennement Donzy-Le-National (ça ne s’invente pas), le 17 mars 2020.

 

Note de Fred : et dans ce foutoir il y a aussi nous, les bénévoles, qui sommes en train d’écoper le bazar dans nos boulots respectifs en télétravail ou pas (une pensée pour Framatophe qui bosse au CHU de Strasbourg où ça ne doit pas être facile en ce moment) et qui trouvons quelques minutes pour venir fermer les parenthèses que pyg ouvre en masse et ne referme pas toujours, insensible qu’il est aux courants d’air, notre ours d’airain qui porte tant de monde sur ses solides épaules. Oui, chez Frama, on s’aime, et on aime aussi la typo propre.




Une mobilisation citoyenne pour la continuité pédagogique

Nous vivons depuis quelques jours une situation tout à fait exceptionnelle. Parmi les multiples décisions prises, il y a notamment celles de fermer écoles, collèges et lycées. 800 000 enseignant⋅e⋅s et 12 millions d’élèves sont donc invité⋅e⋅s à faire cours depuis chez eux

Framasoft accueillait, ces derniers mois, environ 700 000 personnes par mois sur ces différents services. Cependant, pour de multiples raisons évoquées ici, nous souhaitons privilégier le modèle décentralisé. Face à la situation, nous avons bien évidemment fait le choix d’être responsables et solidaires et d’augmenter les capacités de certains de nos services, et nous préparons différentes actions qui seront annoncées dans les jours à venir. Cependant, nous savons que nous ne sommes pas en mesure de fournir les outils qui permettraient la « continuité pédagogique » souhaitée par le Ministère de l’Éducation Nationale.

D’autres structures et collectifs font le choix de prendre à bras le corps cette problématique. Nous avons ainsi été contactés par le collectif encore en construction Continuité Pédagogique qui souhaite rassembler une communauté citoyenne composée de volontaires (Éducation nationale ou non), qui souhaiteraient mettre leurs compétences (techniques, pédagogiques, didactiques) au service de ce défi. Nous relayons ici leur appel.


Une communauté de citoyen·nes qui soutiennent les enseignant·es dans leurs pratiques numériques pour assurer (au mieux) la continuité pédagogique durant l’épidémie du coronavirus en France.

  • Vous êtes développeur⋅se et vous souhaitez proposer une application web ?
  • Vous faites partie de la communauté éducative (enseignant⋅es, référent⋅es numériques, formateur⋅ices, militant⋅es dans l’éducation populaire, entrepreneurs dans une Edtech, etc.) et vous enseignez avec le numérique ?
  • Vous êtes étudiant⋅es, parents, et vous savez utiliser les outils numériques et vous souhaitez mettre du temps à disposition des enseignant⋅es ?

Rejoignez-nous !

 

Parce que la mobilisation de la communauté éducative depuis le 13 mars prouve – s’il en était besoin – l’énorme engagement des enseignant·es, leur expertise et leur volonté de faire vivre les liens éducatifs avec tous leurs élèves.

Parce que nous savons que ces liens peuvent être entretenus, en co-éducation avec les parents, dans un écosystème éducatif numérique libre, neutre, décentralisé, loin de toute tentative de marchandisation ou de récupération.

Parce que nous voulons apporter notre pierre à l’édifice, pour assurer la continuité du service public d’éducation, à partir de celles et ceux qui la font : les 880 000 enseignant⋅es de France.

Nous avons créé la plateforme continuitepedagogique.org pour mobiliser massivement des personnes doté⋅es de compétences numériques, pour aider les enseignant⋅es en demande de conseils à se former à l’usage d’outils en ligne ainsi que des développeur⋅ses et les designers qui auraient des idées pour d’autres outils d’accompagnement.

Nous appelons donc à une mobilisation citoyenne pour aider les enseignants à se former rapidement aux usages pédagogiques du numérique.

Retrouvez l’appel à mobilisation en intégralité sur https://www.continuitepedagogique.org/.




Framaconfinement, jour 01 (lundi 16 mars)

Lorsque l’on crée un logiciel ou une œuvre libre, un des réflexes, c’est de documenter nos expériences et nos processus. Tenir un journal, un log, permet de partager l’expérience de ce que l’on vit, une expérience dont d’autres pourraient s’inspirer.

L’association Framasoft tient à partager, même de manière irrégulière et foutraque, le résumé de ce qu’il se passe lorsqu’on héberge des outils d’échange et de collaboration en ligne en pleine période de confinement.

Ce journal, nous l’écrivons pour lever un coin de voile sur Framasoft, mais aussi pour nous, parce que ça nous fait du bien. Ne vous attendez donc pas à ce que tous les éléments de contextes vous soient systématiquement donnés, on livrera les choses comme elles viennent, plus cathartiquement que pédagogiquement.

L’accès à l’ensemble de articles : https://framablog.org/category/framasoft/framaconfinement/

Pour rappel, Framasoft, c’est :

D’après une infographie de Geoffrey Dorne, CC-By-SA. (soon to be translated into English)

 

Pour ce premier jour du journal de notre confinement, nous reproduisons ci-dessous le bilan du lundi 16 mars envoyé par Pouhiou à la liste des membres de l’association.

C’est parti pour la liste des décisions prises hier en urgence par l’équipe salariée, ainsi qu’un résumé de la journée vécue en mode #ListeàPucesPowaaaa.

Relations Humaines

  • (rappel) Framasoft fait passer l’humain avant tout, d’autant plus dans des périodes comme celles ci ;
  • Les salarié·es lyonnais·es passent en télétravail selon les modalités de l’email de Pyg de ce week-end ;
  • La réunion Mumble hebdomadaire de l’équipe salariée (rompue au télétravail) n’a duré que 2 heures, comme les autres semaines, ce qui tient du miracle compte tenu des circonstances ;
  • AnMarie se charge d’annuler les déplacements et hébergements prévus pour le SalarioCamp et les JDLL ;
  • Le moral est bon, même si la situation donne parfois un sentiment d’irréel ;
  • Le Mumble interne reste ouvert, on essaie d’y avoir une présente constante, pour que chaque membre de l’asso puisse venir papoter si envie ou besoin ;
  • Luc ne peut pas avoir de rdv médecine du travail en visio (iels le font pas pour l’instant), donc on va aménager son temps de travail par décision interne pour parer au plus pressé en respectant sa demande (bosser moins mais bosser quand même) ;
  • On voit tous les petits mots d’encouragements par liste email, canal Framateam, groupe Signal : c’est cool ! ;
  • On envisage de lancer des framapapotes hebdomadaires pour toustes les membres de l’asso durant cette période de confinement.
Je Veux Télétravailler, un tube de JC Frog

Organisation interne

  • Nous remettons à « plus tard » l’ensemble de nos tâches courantes pour gérer la montée en charge sur nos services ;
  • Non parce qu’après la vague Italienne, on a la vague Française avec l’EN et le supérieur qui fonce sur Framatalk et Framapad, et les serveurs se font bien, bien défoncer comme il faut ;
  • Cela signifie que les développements de Mobilizon et PeerTube vont être retardés, que notre calendrier des projets va être remis en question, on gèrera : nous avons besoin de tcit et chocobozzz sur l’administration des serveurs ;
  • Positionnement : les enseignant·es et élèves ne sont pas les bienvenu·es sur les services de Framasoft (qui ne peut pas parer aux carences du ministère) ;
    • C’est dur, mais même pour une petite partie des 800 000 enseignant·es et 12 000 000 d’élèves, on ne peut pas assurer sans cramer le service pour tous les autres ;
    • Or ces usages dépendent d’un ministère, avec ses moyens (72 milliards d’€, c’est le budget de l’EN, autant vous dire qu’avec 0,0002% de cette somme, ils pouvaient très bien proposer des pads pour 12 millions d’élèves), pas de notre asso loi 1901 ;
  • Donc on réserve l’usage de nos services à qui n’a pas les moyens d’un ministère derrière soi (PME/SCOP, Assos, Collectifs et communautés, familles, personnes isolées, etc.).

Le Meme-of-the-Day de notre canal framateam « pourrisage Gif/ meme » est signé Spf

Administration des Systèmes et Tech

  • Location de 7 nouveaux gros serveurs pour avoir de la puissance sous le capot ;
  • Énorme travail de l’équipe technique hier sur la configuration de Jitsi Meet (Framatalk) qui est bien revêche ;
  • Énorme travail aussi sur le serveur et les plugins de Framapad, qui a bien chargé ;
  • Beaucoup de libristes, le collectif CHATONS en tête, proposent leurs instances, mais il fallait trouver comment décentraliser ;
  • Désormais les formulaires pour créer des nouveaux pads (Framapad) et rooms de visio confs (Framatalk) renvoient vers une sélection d’instances de confiance ;
  • C’est le temps qu’on migre sur des serveurs qui poutrent ;
  • Du coup, sur les pages Framapad et Framatalk, ajout d’un message expliquant la surcharge, et le refus de parer aux carences du MEN.

Non mais tout. va. bien.

Support

  • Les utilisateurices novices posent des questions de novices et induisent un besoin d’accompagnement… Mais d’habitude ils découvrent les outils frama au fil de l’eau, or là c’est la ruée, donc il faut réagir ;
  • Intuition : présenter d’abord un espace « entraide sur le forum », pour réserver le support aux questions où on traite de données personnelles / usages ;
  • Autre Intuition : on ne peut plus donner via les tickets les réponses qui sont déjà dans la FàQ, il faut donc la rendre incontournable ;
  • Préparation d’une nouvelle catégorie « Entraide » sur Framacolibri, de sa description et d’un nouveau message de réponse automatique à la création de ticket RT ;
  • Réunion avec Maiwann : les intuitions correspondent à peu près aux préconisations tirées de son travail d’ergonomie avec Spf \o/ ! ;
  • On a donc ajusté ensemble pour que les messages et le workflow du support (dont la page Contact) correspondent encore mieux à leur préconisations ;
  • Réunion prévue mardi matin avec Maiwann, Spf et Tcit pour tout vérifier avant d’entériner tout ça ;
  • Il va donc y avoir besoin d’un max d’entre nous pour répondre aux nouveaux sujets qui seront postés ici (et pour y migrer des sujets anciens d’autres catégories).

Un petit message léger et subtil sur notre page de Contact.

Communication

  • Wouhou ! Cay le bordayl ! ;
  • Travail de prépa des textes autour du support et du positionnement « on ne peut pas accueillir l’EN » ;
  • Un double pouet/tweet, où on demande aux grosses boites/institutions de ne pas se décharger sur nous, qui a fait du bruit bien comme il faut https://twitter.com/framasoft/status/1239492922988527616 ;
  • Beaucoup de propositions d’aide, d’instances, de rassembler les énergies : c’est à la fois très beau à voir et impossible de répondre à tout le monde tout en se consacrant aux urgences ;
  • Toujours ce même problème de Frama trop visible/central alors qu’on refuse un quelconque rôle de « représentant du Libre FR » (et faut continuer à refuser !) ;
  • Énormément de bienveillance (sauf pour les personnes qui ne peuvent pas comprendre nos positionnements tant elles ne partagent pas nos valeurs, mais bon c’est legit…) ;

Le double tweet en question, très repris.

Partenariats/réseaux/collectifs

  • Gros travail d’animation du collectif CHATONS par Angie, Pyg et Lise ;
  • Du coup la solidarité du collectif fait encore plus sens dans ces périodes : ça donne du sens au collectif qui s’empare du Wiki, du forum, etc. ;
  • Un collectif nommé « continuité pédagogique » veut lancer sur le Framablog un appel à une « réserve civique numérique » ;
  • Travail de Pyg et Angie avec ce collectif pour préciser nos limites (nous ne pouvons pas faire partie de cette réserve) mais aussi les aider (à travailler leur appel, l’article, etc.).

Framasoft et les CHATONS, allégorie.

Voilà pour cette grosse première journée, qui fait qu’un certain nombre de salarié·es ont fini sur les rotules, quand même. Mais on va faire en sorte de prendre soin de nous.

À demain, ou bientôt, pour un journal un poil moins long, j’espère.




Ouverture du MOOC CHATONS : Internet, pourquoi et comment reprendre le contrôle

C’est officiel, le premier module de notre parcours pédagogique pour favoriser l’émancipation numérique est désormais complet. À vous de vous en emparer, de le partager… et pourquoi pas de l’enrichir !

Prendre le temps de co-construire un MOOC avec soin

Nous vous en parlions en décembre dernier lors d’un point d’étape, la publication du premier module de ce MOOC est l’aboutissement d’un projet né il y a plus de 3 ans !

C’est en 2016 que la fédération d’éducation populaire La Ligue de l’Enseignement nous propose un partenariat autour de cette idée de cours ouverts en ligne à suivre librement pour cheminer vers l’émancipation numérique. En 2018, un financement de la fondation AFNIC nous permet de rassembler des ressources existantes et d’en créer de nouvelles pour les organiser en un séquençage pédagogique.

Seulement voilà, en plus de la loi de Murphy qui génère des retards, il faut bien avouer que c’est notre premier module de notre premier MOOC. Il nous a donc fallu du temps et des expérimentations (et quelques errements…) avant de parvenir au résultat que nous avons mis en ligne sur notre plateforme Moodle.

C’est donc avec beaucoup de modestie (et d’enthousiasme !) que nous vous présentons ce premier module, co-conçu avec la Ligue de l’Enseignement, que vous pouvez parcourir sur mooc.chatons.org.

Décrire le monde numérique d’aujourd’hui, sans drama ni paillettes

Intitulé « Internet, pourquoi et comment reprendre le contrôle », ce premier module se donne pour objectif de permettre à chacun⋅e d’entre nous de devenir des acteurs et actrices d’un Internet « bien commun », respectueux de l’individu et du collectif.

Pour être en capacité d’agir, nous pensons qu’il faut d’abord avoir une vision claire du monde sur lequel on veut agir. Chacune des trois séquences de ce premier module cherche à nous dépeindre comment le paysage numérique actuel s’est construit et où sont nos espaces d’action.

Pour le plaisir, voici la première vidéo de ce MOOC

La première séquence, « Internet, pourquoi et comment », revient en 4 leçons aux sources de notre monde numérique, de la création d’Internet aux problèmes posés par les réseaux sociaux et plateformes.

La séquence suivante, intitulée « Les GAFAM, c’est quoi ? Et en quoi c’est un problème ? » essaie en cinq leçons de dresser un portrait sans fard des géants du Web, de leur domination sur notre société et du système qui les porte : le capitalisme de surveillance.

Enfin, la séquence « C’est quoi les solutions ? » cherche à expliquer en cinq leçons les leviers d’action qui peuvent nous permettre de changer le paysage numérique, de sortir du rôle de consommateurs isolés et de créer des communautés d’acteurs.

Un module accessible à toutes, à tous, sans expertise requise

Le cours est déjà ouvert, et chacun·e peut y participer quand bon lui semble : il n’y a pas de période d’inscription à respecter. Le maître-mot, ici, c’est l’autonomie. Nous voulons laisser aux apprenant·es un maximum de libertés dans leur parcours pédagogique, quitte à ne pas mettre en place de système de certification.

Ainsi, les contenus pédagogiques ont été pensés pour être accessibles à toute personne voulant découvrir le cours, quel que soit son niveau de connaissances sur le numérique. Ni Framasoft, ni la Ligue de l’Enseignement n’assureront d’accompagnement pédagogique contraint à un calendrier : chacune et chacun peut suivre les leçons à son rythme, et gérer son temps consacré à ce MOOC.

Cliquez sur le panneau pour aller découvrir la plateforme mooc.chatons.org et vous inscrire au premier module (en construction).

Pour faciliter cette auto-gestion, chacune des séquences pédagogiques est accompagnée d’un questionnaire à choix multiples. Ainsi, chaque apprenant·e pourra auto-évaluer les connaissances acquises. Par ailleurs l’ensemble du module est accompagné d’un glossaire (pour se remettre en tête les termes et personnes-clés) ainsi que d’un forum d’entraide (où, par contre, nous essayerons d’être régulièrement présent·es).

Il est possible d’accéder aux contenus sans inscription, afin de pouvoir les partager librement. Nous vous conseillons cependant de vous créer un compte (c’est gratuit aussi), ce qui vous permettra justement de bénéficier de ces fonctionnalités avancées :

 

  • accès aux exercices d’autoévaluation avec les QCM ;
  • possibilité de suivre l’avancement de votre parcours de formation (pour reprendre une leçon là où vous vous étiez arrêté ou pour suivre vos résultats aux évaluations) ;
  • possibilité de gagner des points d’expérience au fur et à mesure de la réalisation du module ;
  • recevoir un badge en fin de parcours pédagogique, indiquant que vous avez bien réalisé l’ensemble du module ;
  • accès au forum d’entraide ;
  • accès aux annonces spécifiques du site (nouveautés, alertes, etc.).

 

Comme un logiciel libre, ce MOOC va évoluer

Comme d’habitude avec Framasoft, et en accord avec la Ligue de l’Enseignement, tous les contenus créés pour ce MOOC sont placés sous licence libre CC-By-SA (certaines images et vidéos sont issues de sites tiers, et signalées comme telles). Car nous espérons bien qu’il va évoluer, notamment grâce aux contributions et retours sur le forum d’entraide, ainsi qu’avec les apports des membres du collectif CHATONS.

Programme de la deuxième séquence de ce premier module.

Il faut donc voir ce MOOC comme un commun, organique, vivant : il grandit si l’on en prend soin. S’il manque des ressources, si un exercice est à côté de la plaque, si une leçon est trop longue, nous vous invitons à partager votre avis sur le forum d’entraide et à contribuer (comme pour un logiciel libre, tiens !).

Chez Framasoft, nous sommes bien conscient·es de ne pas avoir la science infuse. Il est donc très important que quiconque puisse remettre en question nos choix dans la forme comme dans le fond de ce MOOC. Si vous prenez le temps de rédiger un retour sur le forum d’entraide, vous nous apporterez une précieuse contribution. C’est la première fois que nous réalisons un tel contenu, nous avons donc beaucoup à apprendre !

C’est un petit pas pour les MOOC, mais un grand pas dans Contributopia

Pour l’instant, les modules suivants (sur la structuration et l’animation communautaire d’un membre de CHATONS d’une part, et sur la gestion de l’infrastructure technique informatique d’autre part) ne sont pas financés. Nous n’avons donc pas prévu de les faire en 2020. C’est aussi une chance : il nous faut attendre de voir comment sera reçu ce premier MOOC, afin de tirer les leçons de cette expérience.

Monde de l’éducation Populaire dans Contributopia.
Illustration de David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Cependant, s’il y a de la demande (et des moyens) pour que l’on poursuive cette aventure, nous pourrons tenter le coup à partir de 2021… Car nous n’avons pas oublié que, dans notre feuille de route Contributopia, il y a le projet fou d’une Université Populaire du Libre, Ouverte, Autonome et Décentralisée (« UPLOAD »)…

Si la route vers cette UPLOAD est encore longue, la voie est libre… et un des premiers pas est certainement la sortie de ce premier module du MOOC CHATONS. À vous de le partager !

Pour aller plus loin




Sortir du cadre, un documentaire sur les artistes et les œuvres sous licences libres et ouvertes

Pablo et Tristan ont choisi de suivre des artistes qui publient sous licence libre et de les interviewer face caméra.

Pour faire vivre ce projet ambitieux, qui sera également diffusé sous licence libre, ils ont lancé une campagne de financement participatif qui court jusqu’au 2 mars 2020… Un pari qui est déjà presque réussi !

Nous avons posé quelques questions à ces hérauts de la culture libre.

 

Bonjour. Pouvez-vous nous présenter en quelques phrases le projet ? Est-ce un documentaire, une série ?

T : Le projet de base est de réaliser un long-métrage documentaire sur les artistes et les œuvres sous licences libres et ouvertes dans l’art. Seront notamment abordées les questions de rémunération des artistes, du droit d’auteur, des licences libres, de la création artistique et de sa diffusion. On essaye depuis plusieurs années d’expliquer aux personnes faisant des films l’intérêt des licences, avec très peu de résultats. On s’est dit qu’avec un film, on aurait un support permettant de prendre le temps d’expliquer et de comprendre le sujet dans sa complexité.

P : L’idée de la série nous est venue quand on s’est rendu compte que toute la matière qu’on récoltait en allant interroger des militant⋅e⋅s du libre reflétait une multitude de points de vue, tous aussi intéressants les uns que les autres. On ne pourra clairement pas tout mettre dans le film alors on s’est dit, « pourquoi pas une série ? ». Ça serait dommage de garder tous ces outils de pensée pour nous, on veut que tout le monde puisse en profiter. C’est aussi ça l’esprit du libre non ?

T : Donc Sortir du cadre, c’est un projet de film et de série documentaire.

 

Le choix de la vidéo n’est-il pas une grosse contrainte pour faire évoluer votre travail par la suite ? Par exemple, nous, chez Framasoft, nous produisons surtout du texte parce que c’est plus facile à mettre à jour (et puis parce qu’on est des vieux dans notre tête ^^).

P : La forme du documentaire vidéo nous est venue assez naturellement. D’abord parce que l’association qu’on a fondée ensemble – Lent ciné – est une association de diffusion et de production audiovisuelle. Mais aussi parce nous sommes tous les deux des réalisateurs. Personnellement, c’est la forme que je préfère pour m’exprimer. On veut aussi montrer de manière très pragmatique que oui, c’est possible de faire du cinéma et du libre en même temps. C’est sûr que nos idées continueront de cheminer, que la situation évoluera par la suite et peut-être que notre documentaire deviendra obsolète sur certains points. Si les choses vont dans le bon sens, on l’espère même. Et puis, ce sera l’occasion d’en faire un nouveau !

T : Les entretiens que nous réalisons, nous les mettons par écrit. Cela nous permet de faire un pré-montage à partir du texte. La matière étant là, si cela intéresse quelqu’un⋅e, nous la rendrons disponible sous licence libre une fois le tournage terminé.

Vous avez décidé de traiter du droit d’auteur et de la situation économique des artistes, exclusivement ?

P : Non, c’est le point de départ du documentaire. Ce qu’on aimerait partager c’est l’idée qu’il est possible de faire autrement, que le système actuel du droit d’auteur n’est qu’une possibilité parmi tant d’autres. On aimerait faire bouger les imaginaires, montrer que le nerf de la guerre, ce n’est peut-être pas les œuvres en elles-mêmes mais les personnes qui créent. Donnons des droits aux artistes et libérons les œuvres.

T : En plus des entretiens, nous allons filmer des artistes au travail, en train de créer, pour montrer ce qu’on ne voit jamais ou presque : l’acte créatif. Nous allons également suivre une artiste, qui place ses œuvres sous licence libre, pendant plusieurs jours, pour en quelque sorte rentrer dans son quotidien, dans sa vie. La regarder travailler, la faire parler de ses expériences, de ses créations artistiques, de sa relation avec le public. Voir comment, concrètement, elle vit aussi. Pour rendre palpable une personne derrière les licences, derrière les œuvres, derrière la création.
En faisant cela, nous souhaitons réfléchir à ce qu’est un⋅e artiste, à qui se dit artiste et pourquoi. Nous ce qu’on pense, c’est que tout le monde devrait être artiste, devrait avoir la possibilité de créer.

Parmi les intervenants, il n’y a aucun écrivain (Gee étant cité pour ses bédés), est-ce lié au hasard ou il s’en trouve moins qui publient sous licences libres que dans les autres arts ?

P : Rien d’intentionnel de notre part, nous n’avons pas encore fait le tour des artistes qui utilisent les licences libres. Mais rien n’est totalement fixé encore, il est fort probable qu’on intègre un·e écrivain·e dans le film. Il reste d’ailleurs l’artiste principal⋅e à trouver…

T : En ce qui concerne la description de Gee, on s’est limité à « auteur-dessinateur de BD » parce qu’avec toutes ses casquettes, cela aurait pris trop de place. Blague à part, pour l’instant, nous étions contraints par les moyens financiers, puisque jusque-là nous avons autofinancé le projet. Le financement participatif va nous donner de l’air et nous ouvrir des perspectives. On aimerait aussi plus de diversité quant aux personnes interrogées : on sait qu’il n’y a pas que des hommes blancs qui produisent des œuvres sous licence libre, et on aimerait que cela se voie dans le film.

Avez-vous prévu d’interroger des artistes qui vivent du droit d’auteur « classique » (comme de la SACEM, par exemple) pour confronter leur avis ?

P : C’est une question qu’on s’est posée au début, quand on a commencé à écrire. On a finalement préféré se concentrer sur les auteurs qui utilisent des licences libres ou de libre diffusion. On estime que c’est leur parole et leurs expériences qui se font rare dans le débat public. Les auteurs qui vivent du droit d’auteur sont une minorité mais on a l’habitude de les entendre ou de les voir dans les médias. On veut que l’attention se porte sur d’autres personnes.

Est-ce que vous traitez de l’existant, de l’histoire, ou des alternatives en construction ?

P : On veut plutôt se baser sur les alternatives en construction. Des documentaires ou des livres sur la création du droit d’auteur, il en existe déjà plein ! Évidemment, si on veut être clair pour tout le monde, nous devrons obligatoirement faire un point sur ce qui existe actuellement et comment ça fonctionne mais l’objectif du documentaire est de montrer qu’il est possible de dépasser ça et que certaines personnes sont déjà en train de le faire.

T : L’idée, c’est un peu de faire un constat : l’existant ne fonctionne pas, ou seulement pour une minorité, à l’image du système capitaliste dans son ensemble. Et à partir de là, de voir ce que certain⋅e⋅s font pour dépasser cela, pour sortir de ces logiques privatives, individualistes et mercantiles et aller vers du don, du collectif, de l’humain.

Quel support de diffusion envisagez-vous ?

P : Pour l’instant on aimerait que le documentaire soit visible sur Internet mais surtout, on veut organiser une tournée de projections à travers la France pour le montrer un maximum et pouvoir en discuter avec les spectateurs. Après tout dépendra du budget qu’on réussira à rassembler.

T : L’intérêt de placer un documentaire sous licence libre, c’est qu’il pourra être facilement vu et diffusé, avec ou sans nous. J’ai espoir que la diffusion de ce film nous dépasse, que des projections soient organisées partout en France et ailleurs, par des collectifs et des assos. Après, c’est sûr qu’on préférerait y assister pour en discuter.

Vous envisagez de passer sur Netflix pour toucher un plus large public ? Plus sérieusement, si une chaîne mainstream décidait de diffuser le film sans vous rémunérer, qu’en penseriez-vous ?

P : Si une chaîne mainstream s’intéresse au sujet, ça sera déjà une victoire ! Le film sera sous licence Art Libre et CC-BY-SA 4.0 mais licence libre n’est pas synonyme de gratuité. Si un diffuseur qui a les moyens veut montrer le film, on ne lui épargnera pas les frais de diffusion. Jusqu’à preuve du contraire, il aura besoin d’une copie adaptée à son format de diffusion et devra donc obligatoirement passer par nous. Ce n’est pas parce que nous produisons des films libres qu’il faut brader le travail des artistes. Surtout quand on en a les moyens.

Vous n’avez pas peur que votre choix de diffusion limite son audience à la microsphère libriste ?

P : C’est toujours un risque mais c’est pour ça que le sujet du documentaire traite de sujets plus larges que les licences libres dans les domaines artistiques. Nous voulons aussi parler des artistes, de l’art et de notre système économique et culturel plus globalement.

T : Au contraire, l’idée d’organiser une tournée de projections permettra de toucher un public large. Par exemple, parce qu’il parle aussi de la précarité des artistes, on pourra peut-être le montrer à la cité internationale de la BD à Angoulême, et parce qu’il parle de la diffusion des œuvres, auprès de personnes aimant le cinéma, la littérature, la musique, bref, à un public large.

Vous indiquez vouloir mettre à disposition la série sous une double licence libre LAL/CC BY SA, cela concernera le produit fini ou vous envisagez de partager aussi les sources, rushes non montés voire tournages non dérushés ?

T : L’idée est que tout soit sous licence libre, jusqu’aux transcriptions des entretiens. Après cela pose la question de la mise à disposition de tout ce matériau. Nous n’avons ni les capacités techniques, ni les moyens de mettre à disposition sur internet des centaines de gigaoctets de vidéos et de sons. Le matériau sera donc à disposition, mais pas en ligne.
C’est aussi pour cela que nous souhaitons réaliser une série : rendre accessible au plus grand nombre ce que nous trouvons le plus intéressant.

Vous êtes en pleine campagne de financement en ce moment, avec un montant très raisonnable eu égard au travail à fournir. Vous allez recommencer à l’avenir pour la suite, ou essayer de trouver d’autres sources de financement ?

P : C’est la première campagne de financement. Avec ça, on espère pouvoir se lancer mais aussi se faire connaître. Si ça fonctionne bien, on reviendra par la suite en partageant notre avancée à tout le monde ! On est aussi en train de chercher d’autres financements plus classiques, notamment en région.

T : 2 500 €, ça correspond au minimum pour qu’on puisse mener à terme le tournage. Sans nous rémunérer pour le travail fourni. On a calculé qu’au minimum du minimum, il nous faudrait 7 500 € pour mener à bien la postproduction (montage, mixage, étalonnage) et terminer le film. Toujours sans nous rémunérer, mais en rémunérant (pas assez) des techniciens.

Du coup, est-ce que ce n’est finalement pas ça le plus gros problème des artistes : trouver des sous pour pouvoir travailler ?

P : Tu as tout à fait raison ! C’est le plus gros problème et c’est pour ça qu’il faut trouver d’autres solutions qu’aller se vendre sur un marché de l’art sur lequel les artistes n’ont aucun contrôle.

T : La manière dont on fait ce film est une mise en abyme : on montre des artistes qui veulent faire autrement mais qui, on ne va pas se le cacher, galèrent. Tout ça, en galérant. Mais cette campagne de financement participatif, ça nous fait du bien, ça nous rassure. Et ça donne du sens à ce qu’on fait. Et à comment on le fait aussi. Tous ces dons, qu’il s’agisse d’argent ou de temps – un nombre incalculable de gens a relayé l’information –, nous prouve que le capitalisme n’est pas encore partout, qu’il reste des marges, des interstices, qui ne demandent qu’à s’agrandir. À l’image de votre travail bénévole pour qu’on puisse s’exprimer ici. Alors merci.

On a l’habitude laisser le mot de la fin aux écrivains dont on présente le travail dans Framabook, on va faire pareil avec vous.

T : Nous faisons partie de l’association Lent ciné, qui produit et diffuse des films sous licences libres et de libre diffusion et promeut le libre. On essaye de faire plein de chose en plus de réaliser des films (un festival annuel, Nos désirs sont désordres, des projections, une plateforme de films…). Malheureusement nous sommes très peu (les doigts d’une main suffisent pour nous compter). Donc n’hésitez pas à regarder ce qu’on fait sur notre site et à nous contacter si vous voulez participer.

P : Je voulais dire que le tournage des premiers entretiens et le lancement de la campagne de financement participatif nous ont montré à quel point la sphère libriste est accueillante. On reçoit des encouragements et on sent que les gens sont prêts à s’investir.
Et sinon, comme je le disais plus haut, on est toujours à la recherche de notre personnage principal, on aimerait que ce soit un⋅e artiste qui place tout ou une partie de son travail sous licence libre. Si vous avez des idées de personnes que ça pourrait intéresser, n’hésitez pas à nous contacter !

 

En savoir plus




Laurent Chemla propose : exigeons des GAFAM l’interopérabilité

« Il est évidemment plus qu’urgent de réguler les GAFAM pour leur imposer l’interopérabilité. » écrit Laurent Chemla. Diable, il n’y va pas de main morte, le « précurseur dans le domaine d’Internet » selon sa page Wikipédia.

Nous reproduisons ici avec son accord l’article qu’il vient de publier sur son blog parce qu’il nous paraît tout à fait intéressant et qu’il est susceptible de provoquer le débat : d’aucuns trouveront sa proposition nécessaire pour franchir une étape dans la lutte contre des Léviathans numériques et le consentement à la captivité. D’autres estimeront peut-être que sa conception a de bien faibles chances de se concrétiser : est-il encore temps de réguler les Gafam ?

Nous souhaitons que s’ouvre ici (ou sur son blog bien sûr) la discussion. Comme toujours sur le Framablog, les commentaires sont ouverts mais modérés.

Interopérabilitay

« Interopérabilité » : ce mot m’ennuie. Il est moche, et beaucoup trop long.

Pourtant il est la source même d’Internet. Quasiment sa définition, au moins sémantique puisqu’il s’agit de faire dialoguer entre eux des systèmes d’information d’origines variées mais partageant au sein d’un unique réseau de réseaux la même « lingua franca » : TCP/IP et sa cohorte de services (ftp, http, smtp et tant d’autres) définis par des standards communs. Des machines « interopérables », donc.

Faisons avec.

L’interopérabilité, donc, est ce qui a fait le succès d’Internet, et du Web. Vous pouvez vous connecter sur n’importe quel site Web, installé sur n’importe quel serveur, quelle que soit sa marque et son système d’exploitation, depuis votre propre ordinateur, quelle que soit sa marque, son système d’exploitation, et le navigateur installé dessus.

Avant ça existaient les silos. Compuserve, AOL, The Microsoft Network en étaient les derniers représentants, dinosaures communautaires enterrés par la comète Internet. Leur volonté d’enfermer le public dans des espaces fermés, contrôlés, proposant tant bien que mal tous les services à la fois, fut ridiculisée par la décentralisation du Net.

Ici vous ne pouviez échanger qu’avec les clients du même réseau, utilisant le même outil imposé par le vendeur (« pour votre sécurité »), là vous pouviez choisir votre logiciel de mail, et écrire à n’importe qui n’importe où. Interopérabilité.

Ici vous pouviez publier vos humeurs, dans un format limité et imposé par la plateforme (« pour votre sécurité »), là vous pouviez installer n’importe quel « serveur web » de votre choix et y publier librement des pages accessibles depuis n’importe quel navigateur. Interopérabilité.

Bref. Le choix était évident, Internet a gagné.

Il a gagné, et puis… Et puis, selon un schéma désormais compris de tous, le modèle économique « gratuité contre publicité » a envahi le Web, en créant – une acquisition après l’autre, un accaparement de nos données après l’autre – de nouveaux géants qui, peu à peu, se sont refermés sur eux-mêmes (« pour votre sécurité »).

Il fut un temps où vous pouviez écrire à un utilisateur de Facebook Messenger depuis n’importe quel client, hors Facebook, respectant le standard (en l’occurrence l’API) défini par Facebook. Et puis Facebook a arrêté cette fonctionnalité. Il fut un temps où vous pouviez développer votre propre client Twitter, qui affichait ses timelines avec d’autres règles que celles de l’application officielle, pourvu qu’il utilise le standard (encore une API) défini par Twitter. Et puis Twitter a limité cette fonctionnalité. De nos jours, il devient même difficile d’envoyer un simple email à un utilisateur de Gmail si l’on utilise pas soi-même Gmail, tant Google impose de nouvelles règles (« pour votre sécurité ») à ce qui était, avant, un standard universel.

On comprend bien les raisons de cette re-centralisation : tout utilisateur désormais captif devra passer davantage de temps devant les publicités, imposées pour pouvoir utiliser tel ou tel service fermé. Et il devra – pour continuer d’utiliser ce service – fournir toujours davantage de ses données personnelles permettant d’affiner son profil et de vendre plus cher les espaces publicitaires. Renforçant ainsi toujours plus les trésoreries et le pouvoir de ces géants centralisateurs, qui ainsi peuvent aisément acquérir ou asphyxier tout nouveau wanabee concurrent, et ainsi de suite.

C’est un cercle vertueux (pour les GAFAM) et vicieux (pour nos vies privées et nos démocraties), mais c’est surtout un cercle « normal » : dès lors que rien n’impose l’interopérabilité, alors – pour peu que vous soyez devenu assez gros pour vous en passer – vous n’avez plus aucun intérêt à donner accès à d’autres aux données qui vous ont fait roi. Et vous abandonnez alors le modèle qui a permis votre existence au profit d’un modèle qui permet votre croissance. Infinie.

Imaginez, par exemple, qu’à l’époque des cassettes vidéo (respectant le standard VHS) un fabricant de magnétoscopes ait dominé à ce point le marché qu’on ait pu dire qu’il n’en existait virtuellement pas d’autres : il aurait évidemment modifié ce standard à son profit, en interdisant par exemple l’utilisation de cassettes d’autres marques que la sienne (« pour votre sécurité »), de manière à garantir dans le temps sa domination. C’est un comportement « normal », dans un monde libéral et capitaliste. Et c’est pour limiter ce comportement « normal » que les sociétés inventent des régulations (standards imposés, règles de concurrence, lois et règlements).

Et il est évidemment plus qu’urgent de réguler les GAFAM pour leur imposer l’interopérabilité.

Nous devons pouvoir, de nouveau, écrire depuis n’importe quel logiciel de messagerie à un utilisateur de Facebook Messenger, pourvu qu’on respecte le standard défini par Facebook, comme nous devons écrire à n’importe quel utilisateur de Signal en respectant le standard de chiffrement de Signal. Il n’est pas question d’imposer à Signal (ou à Facebook) un autre standard que celui qu’il a choisi (ce qui empêcherait toute innovation), pourvu que le standard choisi soit public, et libre d’utilisation. Mais il est question de contraindre Facebook à (ré)ouvrir ses API pour permettre aux utilisateurs d’autres services d’interagir de nouveau avec ses propres utilisateurs.

Au passage, ce point soulève une problématique incidente : l’identité. Si je peux écrire à un utilisateur de Messenger, celui-ci doit pouvoir me répondre depuis Messenger. Or Messenger ne permet d’écrire qu’aux autres utilisateurs de Messenger, identifiés par Facebook selon ses propres critères qu’il n’est pas question de lui imposer (il a le droit de ne vouloir admettre que des utilisateurs affichant leur « identité réelle », par exemple : ce choix est le sien, comme il a le droit de limiter les fonctionnalités de Messenger pour lui interdire d’écrire à d’autres : ce choix est aussi le sien).

Il est donc cohérent d’affirmer que – pour pouvoir écrire à un utilisateur de Messenger depuis un autre outil – il faut avoir soi-même un compte Messenger. Il est donc logique de dire que pour pouvoir lire ma timeline Twitter avec l’outil de mon choix, je dois avoir un compte Twitter. Il est donc évident que pour accéder à mon historique d’achat Amazon, je dois avoir un compte Amazon, etc.

capture d’écran, discussion sur Twitter
capture d’écran, discussion avec L. Chemla sur Twitter. cliquez sur cette vignette pour agrandir l’image

L’obligation d’avoir une identité reconnue par le service auquel on accède, c’est sans doute le prix à payer pour l’interopérabilité, dans ce cas (et – au passage – c’est parce que la Quadrature du Net a décidé d’ignorer cette évidence que j’ai choisi de quitter l’association).

Ce qui ne doit évidemment pas nous obliger à utiliser Messenger, Amazon ou Twitter pour accéder à ces comptes: l’interopérabilité doit d’accéder à nos contacts et à nos données depuis l’outil de notre choix, grâce à l’ouverture obligatoire des API, pourvu qu’on dispose d’une identité respectant les standards du service qui stocke ces données.

On pourrait résumer ce nouveau type de régulation avec cette phrase simple :

« si ce sont MES données, alors je dois pouvoir y accéder avec l’outil de MON choix ».

Je dois pouvoir lire ma timeline Twitter depuis l’outil de mon choix (et y publier, si évidemment j’y ai un compte, pour que les autres utilisateurs de Twitter puissent s’y abonner).

Je dois pouvoir consulter mon historique d’achats chez Amazon avec l’outil de mon choix.

Je dois pouvoir écrire à (et lire les réponses de) mes contacts Facebook avec l’outil de mon choix.

Il y aura, évidemment, des résistances.

On nous dira (« pour votre sécurité ») que c’est dangereux, parce que nos données personnelles ne seront plus aussi bien protégées, dispersées parmi tellement de services décentralisés et piratables. Mais je préfère qu’une partie de mes données soit moins bien protégée (ce qui reste à démontrer) plutôt que de savoir qu’une entreprise privée puisse vendre (ou perdre) la totalité de ce qui est MA vie.

On nous dira que c’est « excessivement agressif pour le modèle économique des grandes plateformes », alors qu’évidemment c’est justement le modèle économique des grandes plateformes qui est excessivement agressif pour nos vies privées et nos démocraties, d’une part, et que d’autre part l’interopérabilité ne modifie en rien ce modèle économique : dès lors qu’elles stockent toujours une partie de nos données elles restent (hélas) en capacité de les vendre et/ou de les utiliser pour « éduquer » leurs IA. Tout au plus constateront-elles un manque-à-gagner comptable, mais ne gagnent-elles pas déjà largement assez ?

À ce jour, l’interopérabilité s’impose comme la seule solution réaliste pour limiter le pouvoir de nuisance de ces géants, et pour rétablir un peu de concurrence et de décentralisation dans un réseau qui, sinon, n’a plus d’autre raison d’être autre chose qu’un simple moyen d’accéder à ces nouveaux silos (qu’ils devraient donc financer, eux, plutôt que les factures de nos FAI).

À ce jour, l’ARCEP, la Quadrature du Net (même mal), l’EFF, le Sénat, et même l’Europe (Margrethe Vestager s’est elle-même déclarée en faveur de cette idée) se sont déclarés pour une obligation d’intéropérabilité. C’est la suite logique (et fonctionnelle) du RGPD.

Qu’est-ce qu’on attend ?

Édit. de Laurent suite à la publication de l’article sur son blog

Suite à ce billet des discussions sur Twitter et Mastodon, indépendamment, m’ont amené à préciser ceci : prenons par exemple mamot.fr (l’instance Mastodon de la Quadrature) et gab.ai (l’instance Mastodon de la fachosphère). Mamot.fr, comme nombre d’autres instances, a refusé de se fédérer avec Gab. C’est son droit. En conséquence, les utilisateurs de Gab ne peuvent pas poster sur Mamot, et inversement.

Pour autant, les deux sont bel et bien interopérables, et pour cause : elles utilisent le même logiciel. Gab pourrait parfaitement développer un bout de code pour permettre à ses utilisateurs de publier sur Mamot, pour peu qu’ils s’y soient identifiés (via une OAuth, pour les techniciens) prouvant ainsi qu’ils en acceptent les CGU.

Ce qu’elles ne sont pas, c’est interconnectées : il n’est pas possible de publier sur l’une en s’identifiant sur l’autre, et inversement.

Je crois qu’au fond, les tenants de l’idée qu’on devrait pouvoir publier n’importe quoi n’importe où, sans identification supplémentaire, confondent largement ces deux notions d’interconnexion et d’interopérabilité. Et c’est fort dommage, parce que ça brouille le message de tous.

 

Pour aller plus loin dans la technique, vous pouvez aussi lire cette réponse de Laurent dans les commentaires de NextINpact.




Publicité segmentée : la méthode Cacarico

Aujourd’hui, c’est une interview de Franck Riester sur France Inter (et particulièrement ce passage sur la publicité segmentée) qui a fait réagir notre grisebouilleur Gee…

Publicité segmentée : la méthode Cacarico

La semaine dernière, une séquence issue d’une interview de Franck Riester par Sonia Devillers sur France Inter a retenu l’attention de pas mal d’internautes.

Le Geek demande : « C'est qui lui, déjà ? » La Geekette répond : « Notre Ministre de la Culture. » Le Geek : « Ah. » La Geekette : « Et rapporteur de la loi Hadopi, à l'époque. » Le Geek : « Oula. Mais ils le savaient, ça, au moment de le nommer Ministre ?  Parce que moi, t'as ça sur ton CV? tu gicles direct… »

Le sujet était la publicité segmentée, c’est-à-dire ciblée selon le profil du spectateur ou de la spectatrice

(âge, catégorie sociale, habitudes de consommation, etc.),

déjà largement répandue sur Internet et qui devrait être mise en place pour la télé via une prochaine réforme audiovisuelle.

Les citations sont d'origine. À la radio, Riester explique : « Quand vous allez sur Internet, tous les jours, c'est ce qu'il vous arrive. » Devillers : « Ouais. » Riester : « Et c'est quelque chose qui est demandé, d'ailleurs, la plupart du temps, par les internautes. » Devillers : « Ouais. »

« Ouais » ?

« OUAIS » ?

Comment ça, « ouais » ?!

Pardon, mais la seule réaction appropriée, ça aurait dû être celle-là :

Cette fois les citations ne sont plus d'origine. Devillers éclate de rire et dit : « Hahahahahahahahaha ! “Demandé par les internautes” ! La pub ! Demandée ! Hahahahaha ! Et le flicage aussi ! Hahaha, quel déconneur, ce Francky !  Hahahahaha !  La vache, je la ressortirai aux repas de famille, celle-là ! Vas-y, t'en as pas une autre ? “Demandé !” Hahaha !  Oh le con ! J'ai mal aux côtes, LE CON ! » Elle tape sur la table de rire. Le smiley, souriant : « Ah bah le mec d'Hadopi, il a forcément de l'humour. »

Je m’en veux de péter tes rêves, Francky, mais :

Le Geek lit un journal : « Selon un sondage IFOP de 2013, 47 % des Français pensent que la publicité sur Internet est une assez mauvaise chose, et 17 % que c'est une TRÈS mauvaise chose.  Ça fait quand même quasiment 2 tiers d'opinions défavorables, hein… » La Geekette lit également et poursuit : « J'ai aussi un sondage OpinionWay de 2017 qui dit que 89 % des Français se rendent dans une autre pièce pendant les coupures pub à la télé.  Un amour aussi fou pour la pub, vraiment, c'est émouvant. »

Bref, ce qui est « demandé par les internautes », mon petit lapin de 6 semaines, c’est surtout des bloqueurs de pubs.

Et des chiottes pas trop loin du salon, mais c’est un autre sujet.

Le Geek est allongé par terre, tremblant et transpirant, l'air terrifié. Le Nerd : « Qu'est-ce qu'il lui arrive ? » La Geekette : « Sans faire gaffe, il a navigué sur Internet sans bloqueur de pub… » Le Geek s'exclame : « MAIS Y'A DES GENS QUI SUPPORTENT CETTE HORREUR ?! TOUS LES JOURS ?! »

Passée la tranche de rigolade, le contexte est posé : les géants du web (les GAFAM par chez nous) se torchent tranquillement avec nos vies privées pour nous gaver de publicités ciblées.

Imaginons 5 minutes qu’on soit dans une démocratie saine, avec des ministres qui agiraient dans l’intérêt du peuple. Une réaction raisonnable serait celle-ci :

Un faux ministre à la radio dit : « Par conséquent, on va renforcer la législation sur la protection de la vie privée sur Internet pour contrer le capitalisme de surveillance et empêcher les GAFAM de vendre la vie privée de nos concitoyens et concitoyennes sur l'autel de la sauvagerie publicitaire. » La présentatrice est en larmes : « La vache, c'est beau, c'que vous dites, monsieur l'Ministre. »

Bien sûr, en réalité, voilà ce que notre champion national a déclaré :

Citation originale à nouveau. Riester au micro de la radio : « Il y avait une inéquité de traitement entre les chaînes de télévision et les acteurs de l'Internet, au détriment du financement des chaînes de télévision qui ont un rôle majeur à jouer dans le paysage audiovisuel de nos compatriotes… et notamment qui permet de financer la création française en matière de cinéma et d'audiovisuel. Et donc là on donne simplement la possibilité à la télévision d'avoir les mêmes outils modernes de publicité pour augmenter leur volume de publicité, pour pérenniser leur modèle économique. » La présentatrice, blasée : « Nia vache, chéboskevou dit essie ulmi ns trr rr… »

Comme ça n’est pas la première fois qu’on voit ce genre d’argument, je propose qu’on nomme cette méthode de résolution des problèmes : la méthode Cacarico.

La télévision française est représentée par un panneau « Temps de cerveau disponible pas cher » (bof bof). Les GAFAM sont représentés par un caca. Riester regarde et dit : « Mince, il y a un gros problème ! »

La télévision française est remplacée par un caca avec un drapeau français. Riester, pouce en l'air : « Et voilà, c'est réparé !  La Méthode Cacarico : c'est caca, oui, mais c'est français, monsieur ! »

Quant à « pérenniser leur modèle économique », le problème est le même qu’il s’agisse de la télé, de la presse écrite ou de la presse en ligne : est-ce qu’un modèle économique basé sur l’assujettissement aux intérêts privés des multinationales est un modèle souhaitable et donc un modèle que l’on peut souhaiter pérenniser ?

Question pas du tout orientée, je sais.

Riester s'exclame : « Maaiheuuu, la pub, c'est bien ! Ça permet d'avoir des services gratuits ! » Gee réplique : « C'est pas gratuit : les coûts de la pub sont répercutés sur les prix des produits, c'est pas de l'altruisme de la part des entreprises… En fait c'est comme une grosse TVA mais privatisée et sans décision démocratique sur la façon dont elle est redistribuée.  Le rêve, quoi. »

Pour finir, Franck Riester s’est bien sûr voulu rassurant sur les éventuelles atteintes à la vie privée :

Nouvelle citation originale à la radio de Riester : « C'est tout le travail qui va être conduit avec le CSA, avec les opérateurs de télécommunication… pour arriver à avoir un dispositif qui est protecteur de la vie privée de nos compatriotes. » Devillers : « Dispositif que vous n'avez pas encore. » Riester : « Euuuh, pas en détail. »

Je suis hyper rassuré.

La vie privée est bien sûr au centre des préoccupations des entités qui veulent étendre le domaine d’application de la publicité segmentée.

Un mec en costard avec un médaillon dollar autour du cou et un cigare aux lèvres : « Voilà, donc on va vendre de la cocaïne dans les écoles primaires.  Mais c'est tout le travail qui va être conduit avec l'OMS, avec les parrains de la mafia… pour arriver à avoir un dispositif qui est protecteur de la santé de nos enfants.  Au pire, en cas d'addiction, on leur fera un numéro d'appel, c'est la réponse universelle, en ce moment. »

Quant au fameux « dispositif protecteur de la vie privée », si c’est comme le logiciel de sécurisation qui devait être fourni avec la Hadopi…

Un squelette derrière son ordinateur, avec des toiles d'araignées. Une flèche indique : « Internaute attendant patiemment de pouvoir sécuriser son accès Internet avec le pare-feu OpenOffice » Le smiley ricane : « Aaaah, les blagues de 2009… increvables ! » Note : BD sous licence CC BY SA (grisebouille.net), dessinée le 19 février 2020 par Gee.

Sources :

Crédit : Gee (Creative Commons By-Sa)




Semons pour de bon et pour demain

Semer des graines de services, de savoirs et de pratiques, c’est une image familière que nous partageons avec beaucoup d’associations. Mais si nous semions vraiment, au sens propre ?

Depuis bien longtemps, Framasoft considère que le champ de la culture libre s’étend bien au-delà du code. Libérer ensemble logiciel et matériel, productions artisanales, artistiques et industrielles, documentations scientifiques et fictions sur tous les supports numériques ou non, c’est autant de petits pas qui visent à redonner à tous un peu de maîtrise sur la société pour pouvoir la transformer.

L’initiative de Bertrand dont voici l’interview vise à transformer à terme le paysage naturel où nous vivons.

L’association La Haie Donneurs vient en effet de créer WikHaiePédia, un guide libre pour expliquer comment on peut planter et verdir le monde autour de nous, pour pas un rond, pour le plaisir, et pour l’intérêt commun d’augmenter notre environnement végétal et son écosystème.

 

Bonjour, peux-tu te présenter brièvement ?

Je m’appelle Bertrand Sennegon, 41 ans, papa de deux petits garçons. J’ai mon propre job comme ouvrier tout bâtiment proposant d’accompagner les particuliers dans leurs travaux. J’utilise du libre sur mes PC (GNU/Linux) depuis de nombreuses années (j’ai installé Mandrake 😉 ) et expérimente beaucoup dans mon jardin et mon quotidien autour des principes de permaculture.

C’est quoi ce projet WikHaiepedia, c’est un wiki pour apprendre à tailler les haies ?

WikHaiePédia s’intéresse à la haie, mais pas seulement. Et plutôt que d’en tailler, le but serait plutôt d’en planter. Et pas que des haies, mais aussi des fruitiers, des arbres, tout ce qui participerait à restructurer un territoire de façon pérenne.

On parle partout de perte de biodiversité, en se demandant comment agir ! Pourtant la nature est multipliable gratuitement. Qu’est ce qui nous empêche de recréer de la biodiversité?

Il me semble que trois points nous freinent pour agir :

  1. l’accès aux terrains, l’ensemble des territoires étant actuellement gérés vers un appauvrissement de la biodiversité ;
  2. le savoir-faire pour créer nos propres micro-pépinières et créer un maximum de plants ;
  3. la conviction que chacun peut agir !

WikHaiePédia est un projet visant à agir sur ces trois freins, en cherchant à créer une communauté autour de la plantation, et une documentation la plus simple possible pour que chacun puisse créer des plants à son échelle.

Comment as-tu eu l’idée de ce projet ? Tu es tombé dedans quand tu étais petit ou bien c’est venu à la suite d’un constat sur l’état de l’environnement ?

À la base, il s’agit d’un constat sur l’environnement. Mais ma prise de conscience ne date pas d’hier. Depuis que je suis enfant, j’observe les disparitions d’espèces s’accumuler.

La France est parvenue à traverser la guerre 39-45 en s’appuyant sur une agriculture ultra-locale, des vergers pleins de fruits et des gibiers parcourant nos bocages. Or, en 70 ans, nous avons tout industrialisé. Notre alimentation repose sur une production mondiale et une consommation massive d’énergies fossiles et nos territoires ne sont plus capables de nous nourrir. Si un événement historique bloque nos approvisionnements industrialisés, aucune structure locale ne pourrait prendre la relève de ce besoin essentiel.

Il me semble donc vital de parvenir à agir sur ce point. Je ne peux pas miser l’avenir de mes enfants sur l’absence de perturbations historiques.

On ne peut pas s’empêcher en parcourant ton projet de penser au livre de Giono L’homme qui plantait des arbres  et au personnage mythique d’Elzéar Bouffier qui a suscité des dizaines d’actions de plantations. On peut voir aussi le très beau film d’animation de Frederic Back qui en est l’adaptation. Est-ce que c’est une source d’inspiration pour toi ?

Non ! 😉 J’entends parler de ce livre depuis plusieurs années, mais je ne l’ai toujours pas lu !

Peux-tu nous expliquer pourquoi l’ensemble du projet et des contributions attendues est en licence libre CC-BY-SA, c’est important pour toi ?

La notion de copyleft me fascine depuis de nombreuses années, elle me semble révolutionnaire sur bien des points et est une vraie solution pour permettre à tous d’accéder à un savoir. De plus, la nature publie son contenu sous quelle licence, puisque que je suis libre de l’étudier, la copier, la modifier ?

On n’est pas tous bien sûr⋅e⋅s d’avoir comme on dit « la main verte », tu penses vraiment que tout le monde peut contribuer à semer, planter, enrichir l’environnement végétal partout ? Même celles et ceux qui sont en plein milieu urbain et ne disposent pas de terrain pour planter ?

Je pense, mon idée à germé après deux années d’expériences dans mon jardin pour créer des arbres à partir de pépins et de noyaux. En m’amusant à semer un peu, j’ai fait pousser une bonne quinzaine d’arbres en deux ans. Depuis je sème absolument tout les pépins et noyaux des fruits locaux que je récolte, et je suis curieux de voir combien de fruitiers je parviendrais à créer.

Bertrand souriant accroupi devant une planche végétale de son jardin, montre deux demi-pommes et un petit pot avec un plant. L’image le montre comme entouré par un arceau en demi-cercle métallique probablement support d’une petite serre-tunnel.

Bertrand dans son jardin

Une jardinière sur un balcon en ville suffit à réaliser quelques semis et boutures qu’on pourrait confier ensuite à une association près de chez soi désireuse de planter. Même sans balcon, on peut participer à des plantations collectives. C’est la multiplication de ces tout petits actes qui peut créer des kilomètres de replantation nourricière pour nous et la faune qui nous entoure.

Gardener city- Œuvre de Nylnook, CC-BY-SA

 

Comment je commence ? Il faut d’abord adhérer à l’association Haie donneurs ?

Adhérer n’est pas obligatoire. Mon initiative est venue se greffer sur l’association « La Haie Donneurs » car nos envies étaient similaires : encourager chacun à agir en créant des plants. Pour cela, le site cherche à référencer toutes les initiatives (associations, groupes, particuliers) œuvrant dans ce sens.

Comment commencer ? En partageant du contenu libre sur le site (photos, textes, dessins), en essayant de réaliser des plants chez soi et/ou en participant à la petite communauté qui débute autour de ce site.

 

Yin-Yang seed – Œuvre de Nylnook, CC-BY-SA

 

Avec l’association La Haie donneurs, vous recommandez de semer des graines pour que des arbres poussent. C’est un peu bizarre, pourquoi semer des pépins de pomme et pas planter un jeune plant de pommier ou greffer un arbre fruitier ? Ça irait un peu plus vite, non ?

Plants et greffes sont issus de pépins que l’on achète à un pépiniériste qui connaît ce savoir-faire. Partir de boutures et de semis permet d’agir fortement sans utiliser d’argent, seulement du temps et des savoirs. Du coup, même si cela va moins vite, l’argent ne sera pas un frein dans ce projet.

Pour l’instant le wikhaie est appétissant mais comme tous les wikis il est évolutif et beaucoup de pages restent à compléter ou informer. Quelles sortes de contribution attends-tu pour former une plateforme et une communauté active ?

Pour agir il faut déjà documenter, puis synthétiser et enfin mettre en page des guides.

Il nous faut donc de bons botanistes (ce que je ne suis pas), des rédacteurs, des illustrateurs [regarde un peu les belles illustrations de Nylnook pour ton interview, NDLR] , des photographes, etc., amateurs ou non. L’idée de ce wiki m’apparaît importante et pertinente depuis quelques mois, mais dans mon quotidien bien rempli, je ne peux consacrer qu’environ une heure par jour sur ce projet. Ce projet ne peut donc réussir que s’il fédère une communauté. J’espère donc que cette idée parlera à d’autres qui y verront comme moi l’occasion d’agir directement par le geste (planter).

Je ne suis pas non plus un professionnel du Web, du coup les remarques, idées et retours pour faire avancer la structure et l’agencement de ce site sont bienvenus.

En fait, je débute dans la création d’arbustes, d’arbres, de haies. Mais les rapides réussites obtenues en seulement deux ans m’ont convaincu que nous pouvions tous participer.

Un pépin de pomme ou de poire par exemple, germera dans un petit pot de terreau laissé dehors au gel, on peut aussi faciliter sa germination en la trempant dans du vinaigre quelques heures pour simuler une digestion animale et le laisser deux mois au frigo si l’hiver n’est pas assez froid. C’est accessible à chacun. L’idéal étant de trouver des pommes locales adaptées à notre région.

pépins de pomme en germination
Germination de pépins de pomme, photo de Ryan Bodenstein (licence CC BY-2.0)

Mais si nous sommes nombreux à faire ces petits gestes, imagine la quantité d’arbres que nous pourrions produire.

 

Je débute, donc je suis le premier à avoir beaucoup à apprendre sur le sujet. J’invite donc tous ceux qui veulent partager leurs savoirs, leurs expériences, ou qui sont emballés par cette idée simple, mais réellement active il me semble, à s’approprier un peu de ce site qui est construit pour être ouvert comme un grand jardin. 🙂

On te laisse le mot de la fin…
— Bonnes plantations à tous ! 😉