Monsieur Thierry Stœhr, l’ami des formats ouverts

Dans la série « Passe à ton voisin »

Thierry Stœhr est aux formats ouverts (du monde francophone) ce que Richard Stallman est aux logiciels libres (du monde entier) : un infatigable arpenteur qui cent fois sur le métier remet son ouvrage pour expliquer avec pédagogie aux foules (en délire) de quoi il en retourne et pourquoi il est nécessaire si ce n’est de soutenir la cause tout du moins de se poser quelques questions.

Je ne sais combien de fois il a dû intervenir en public pour évoquer ces satanés formats mais, ce n’est pas de sa faute, ses conférences sont d’une telle qualité qu’il est constamment sollicité. Il faut dire qu’il a une manière bien à lui d’expliquer clairement les choses tout en dénonçant au passage de purs scandales sans jamais abandonner le ton aimable et policé du gendre idéal 😉

Il est donc possible voire probable, chez fidèle visiteur du Framablog, que vous ayez déjà eu l’honneur et le plaisir d’assister à l’un de ses one-man-show. Mais pas forcément vos proches qui ne demandent peut-être eux aussi qu’à être informés (et quand bien même, comme il se bonifie à chaque itération, ce n’est jamais inintéressant de l’écouter plusieurs fois).

—> La vidéo au format webm

Une conférence donnée à Paris le 4 novembre 2007 dans le cadre des Ubuntu Party à la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette. L’occasion d’annoncer, toujours en compagnie de Thierry Stœhr, la prochaine party qui aura lieu au même endroit les 7 et 8 juin prochain pour fêter comme il se doit la sortie de la dernière version d’Ubuntu la 8.04 LTS Hardy Heron.




OOXML – Le discours d’Oslo

Le Framablog arrive un peu après la bataille pour ce qui concerne la triste nouvelle de la normalisation du format OOXML de Microsoft par l’ISO le 29 mars dernier.

Mais si nous avons perdu une bataille nous n’avons pas forcément perdu la guerre. Une guerre qui n’est pas dirigée contre Microsoft mais contre ses pratiques et pour la défense d’une certaine liberté.

C’est le sens et l’espoir porté par le discours[1] donné à Oslo juste après la normalisation par Steve Pepper accompagné de quelques manifestants légitimement scandalisés par les conditions générales du vote dont la Norvège ne fut pas la dernière à être soupçonnée d’irrégularité.[2]

OOXML Oslo Speech

Manifestation OOXML à Oslo : Le discours

OOXML demonstration in Oslo: The speech

Steve Pepper – 9 avril 2008 – Geir Isene

La manifestation a pris fin il y a à peu près une heure, nous en reparlerons (avec des photos). Je vous retranscris ici le discours que Steve Pepper a tenu durant la manifestation, il résume très bien toute l’histoire de la normalisation d’OOXML :

Amis, bloggers, codeurs libres, défenseurs des standards ouverts !

Nous ne sommes pas ici pour cracher sur Microsoft.

Nous sommes ici car nous croyons aux standards ouverts.

Nous ne sommes pas ici aujourd’hui parce que nous sommes opposés à OOXML.

Nous sommes là car nous sommes opposés à OOXML en tant que standard ISO.

Nous ne sommes pas là pour discréditer l’ISO.
Nous sommes ici parce que nous voulons défendre l’intégrité de l’ISO.

Nous ne sommes pas là pour attirer l’attention sur le comportement scandaleux des membres de Standard Norway dont le métier est de représenter les utilisateurs et les vendeurs de logiciels norvégiens.

Et nous sommes ici car nous voulons empêcher l’adoption d’un standard numérique nuisible en Norvège.

Je reviendrai à cela rapidement. Je voudrais d’abord prendre quelques minutes pour rappeler un peu le contexte aux personnes qui ne comprennent pas les tenants et les aboutissants du problème. Accrochez vous.

Ce problème ce rapporte entièrement aux documents, aux documents numériques pour être précis.

Je vous parle de la manière d’enregistrer les documents et de comment nous échangeons les documents entre nous. Je parle de ces documents que vous créez tous les jours : rapports, lettres, articles, dissertations, livres, thèses, feuilles de calculs et autres grâce à des programmes comme Microsoft Word et Excel.

Mais oublions les documents un instant et parlons plutôt de sèches-cheveux.

Voici un sèche-cheveux ordinaire que j’ai acheté dans un magasin ici en Norvège. Il a une prise. La prise a deux broches. Je peux brancher ce sèche-cheveux dans n’importe quelle prise électrique n’importe où en Norvège.

OOXML Oslo Speech

Si je peux le faire c’est parce que toutes les prises électriques sont les mêmes. Il existe un standard pour les prises électriques en Norvège.

Le même standard est utilisé dans une grande partie de l’Europe et même ailleurs dans le monde : si je vais au Danemark, je peux emmener ce sèche-cheveux, le brancher et il fonctionnera.

Ca serait pareil en Finlande, Suède, Allemagne et dans plein d’autres pays. J’ai juste à le brancher et il marche.

Mais si je vais en Angleterre je ne peux pas simplement le brancher parce que les prises électriques là-bas sont différentes. Elles ont trois broches carrées à la place de deux rondes.

Si je vais aux Etats-Unis ou au Japon je ne peux pas simplement le brancher parce que leurs prises électriques sont également différentes. Elles ont deux broches plates à la place de deux broches rondes.

Les documents sont comme les sèches-cheveux. On voudrait pouvoir les brancher dans n’importe quelle logiciel et pouvoir travailler dessus. Mais ce n’est pas possible aujourd’hui. Si vous créez un document avec Microsoft Word et que vous l’envoyez à quelqu’un d’autre, cette personne ne peut rien en faire à moins qu’elle ait Microsoft Word.

Je crois que ça n’est pas normal.

OOXML Oslo Speech

Les gens ne devraient pas avoir à donner de l’argent à Microsoft pour pouvoir lire des documents. Dans l’état actuel des choses, Microsoft a en réalité le contrôle sur les documents que vous et moi créons.

Il ne devrait pas en être ainsi.

Des standards ouverts peuvent résoudre ce problème et c’est pourquoi je crois en ces formats. C’est pourquoi j’ai passé ces 13 dernières années à représenter la Norvège en tant que volontaire dans un comité de standardisation international. J’ai travaillé sur plusieurs standards, dont SGML, XML et Topic Maps, et j’ai été Président du comité ISO norvégien depuis 1995.

Il y a deux ans, mon comité a approuvé la normalisation d’un standard ouvert pour les documents de bureau appelé ODF. ODF a été développé de manière ouverte et démocratique par une organisation appelée OASIS.

L’objet d’ODF était de proposer une alternative à ce que nous appelons les formats "propriétaires". Plutôt que des formats de documents qui sont détenus et contrôlés par une seule entreprise et qui vous obligent à utiliser un logiciel particulier, les gens à l’origine d’ODF voulaient définir un format ouvert qui permettrait de connecter vos documents à n’importe quel logiciel.

ODF a été développé, comme je l’ai dit, de manière ouverte et démocratique. Mais un membre important ne faisait pas partie du processus. Le vendeur qui domine le marché, Microsoft, a refusé d’y participer et il a refusé de supporter ODF depuis qu’il est devenu un standard.

Ils ont à la place décidé de créer un standard concurrent appelé OOXML et d’utiliser l’Ecma pour s’introduire à la dérobé dans l’ISO.

C’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui.

OOXML Oslo Speech

Nous ne sommes pas contre OOXML en lui-même. En fait nous sommes reconnaissant envers Microsoft pour, après vingt années de domination du marché, avoir documenté son format avec des spécifications ouvertes.

Nous sommes cependant contre l’approbation par l’ISO de OOXML. La raison est simple : il n’est pas dans l’intérêt des utilisateurs comme vous et moi d’avoir deux standards pour le même objet. Ca serait un peu comme si Microsoft venait ici et commençait à installer des prises électriques à 3 broches plutôt que 2 et qu’ils nous forcent ensuite à acheter leurs sèches-cheveux.

Nous ne sommes pas contre l’ISO non plus. Non protestons contre la manière dont a été corrompu par une grande multinationale ce qui jusque là avait toujours été une organisation transparente et démocratique où chaque pays a un vote.

Je ne hais pas Microsoft. J’aimerai accueillir Microsoft dans la communauté des standards, mais uniquement si Microsoft respecte les règles et en particulier l’esprit du processus de standardisation.

Microsoft a une mauvaise réputation dans la communauté des standards. Ils représentent le grand méchant loup, tout comme IBM il y a 20 ans. Mais IBM a prouvé qu’il est possible de changer.

J’espère que Microsoft aussi changera. Je pense que c’est possible. Mais cela ne se produira que si nous, les utilisateurs, les forçons à changer.

Microsoft a besoin de notre aide. Nous devons leur dire d’arrêter de se comporter comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Nous devons les aider à comprendre que le travaille sur les standards se fait dans la coopération, pas par le conflit. Les standards ne devraient pas être créés par la guerre. Ils devraient être créés grâce à la collaboration.

Microsoft a beaucoup à apprendre et cela prendra du temps. Ca prendra aussi du temps pour que Microsoft gagne la confiance de tous ceux dont ils ont saboté le travail durant ces vingt dernières années.

Microsoft affirme qu’ils croient maintenant aux standards ouverts. Il faut qu’ils comprennent qu’il faudra du temps avant que tout le monde ne leur fasse vraiment confiance. Ils doivent commencer par se montrer moins arrogants et plus humbles et ils doivent prouver par la pratique qu’ils pensent vraiment ce qu’ils disent.

Ils peuvent faire le premier pas en admettant s’être trompé en ne supportant pas ODF.

OOXML Oslo Speech

J’en appelle à Microsoft, qu’ils admettent que tenter de forcer OOXML par la procédure rapide de l’ISO était une erreur et j’attends d’eux qu’ils supportent ODF.

J’attends d’Ecma qu’ils retirent OOXML de l’ISO et qu’ils en gardent le contrôle. Nous en avons besoin pour les documents anciens.

J’attends de Standard Norway qu’ils admettent qu’ils ont eu tort d’outrepasser la décision de leur propre comité d’experts et qu’ils modifient le vote de la Norvège du Oui en Non.

J’attends du gouvernement norvégien qu’il se montre fort face à Microsoft et qu’il n’approuve pas OOXML comme un standard norvégien.

Finalement, j’attends des utilisateurs de part le monde qu’ils tournent leur regard vers la Norvège et qu’ils suivent notre exemple. A votre tour de manifester ! Révélez les irrégularités qui se sont produites dans votre pays ! Exigez de vos gouvernements qu’ils modifient leur vote pour qu’il reflète les intérêts des gens ordinaires et non les intérêts des monopolistes et des bureaucrates.

Kjære nordmenn, vi er ikke alene. Chers norvégiens, nous ne sommes pas seuls.

Les pays représentants la majorité de la population du monde ont voté Non à OOXML et ils ont eu raison.

OOXML Oslo Speech

Permettez moi de citer juste un exemple. Il est tiré d’un discours donné par la Ministre Sud-africaine du Service Public et de l’Administration, Mme Geraldine J. Fraser-Moleketi. Elle l’a donné à la Conference on the Digital Commons and Open Source Software à Dakar au Sénégal il y a tout juste trois semaines. Voilà ce qu’elle disait :

« L’adoption de standards ouverts par les gouvernements est un facteur clé dans la construction de systèmes d’information interopérables qui sont ouverts, accessibles, justes et qui renforcent la culture démocratique et les pratiques de bonne gouvernance.

ODF est un standard ouvert développé par un comité technique au sein du consortium OASIS. L’Afrique du Sud a rejoint les rangs grandissants des gouvernements nationaux à avoir adopté ODF l’année passée.

Il est malheureux que le numéro un sur le marché des logiciels de bureautique, qui jouit d’une domination considérable du marché, ait choisi, plutôt que de participer et de supporter ODF dans ses produits, de développer son propre standard de document concurrent.

Si ce format rencontre le succès, il est difficile d’imaginer comment le chevauchement de ces deux standards ISO va profiter aux consommateurs. Je me tourne vers les vendeurs pour leur demander d’être attentifs aux demandes des consommateurs mais aussi à celles des développeurs de logiciels libres. Je vous en prie, travaillez ensemble pour produire des standards de documents interopérables. La prolifération de standards dans ce domaine est déroutante et coûteuse. »

Madame Fraser-Moleketi : Le peuple de Norvège est avec vous et nous vous demandons pardon pour le comportement inacceptable de notre organisme de normalisation.

Notre victoire à l’ISO nous a été volée de 3 petits votes.

Sans les irrégularités en Norvège, on n’en serait plus qu’à 2 votes. On entend parler d’irrégularités similaires dans d’autres pays comme la France ou le Danemark. Changeons ces votes non-représentatifs. Evinçons OOXML de l’ISO.

Microsoft pense avoir remporté une bataille, mais je déclare que ce n’est pas encore terminé.

Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué et cet ours est encore bien vivant.

OOXML Oslo Speech

Notes

[1] Une traduction Olivier (Framalang).

[2] Les photographies de la manifestation sont toutes issues du groupe OOXML du site Flickr.com.




VidToMP3.com ou la grande hypocrisie collective

Copie d'écran - YouTube - Tryad

Dans la série « je donne des leçons en criant dans le désert »…

Un nouveau site outil de type MFA[1] vient de sortir VidToMP3.com. Il propose tout simplement de ripper, c’est-à-dire récupérer, les pistes sons de n’importe quelle vidéo des plate-formes YouTube, Dailymotion, MySpace, etc.

J’ai fait le test avec le morceau Bluetooth des sympathiques bobos de la Chanson du Dimanche. Il vous suffit d’aller sur YouTube, de copier l’URL de la vidéo recherchée et d’y coller le tout dans VidToMP3.com. Il ne vous reste alors plus qu’à cueillir sur le site, après un court laps de temps, un mp3 de qualité tout à fait correcte prêt à s’ajouter à la playlist de votre baladeur musical préféré.

C’est… cool n’est-ce pas ?!

Et comme il est désormais quasi impossible qu’une chanson un tant soit peu connue ne se retrouve pas d’une manière ou d’une autre sur ces plate-formes vidéos, ben vous tenez là un système parfait pour alimenter votre baladeur avec la musique de votre choix.

Vraiment super top cool !!!

Un système d’autant plus parfait qu’il est… sans risque. Parce que le hic c’est que ce que j’ai fait pour la Chanson du Dimanche est tout à fait illégal. Bien qu’il s’agisse d’un groupe un peu particulier puisque né sur internet grâce à la mise en ligne de leurs vidéos, il est formellement interdit de faire ce que j’ai fait, puisqu’en l’absence de licence associée à leurs vidéos c’est le copyright classique qui s’applique.

Et il en va bien entendu de même pour les autres chansons (en pire même lorsqu’il s’agit de groupes sous contrat avec les Majors).

Du coup cela me fait dire péremptoirement qu’on nage dans l’hypocrisie collective. Une hypocrisie qui, comme la valse, se décline en trois temps.

  • Les plate-formes vidéos d’abord. YouTube, MySpace, Dailymotion… aucun de ces sites n’associent de licence claire et individuelle aux vidéos proposées. Du coup c’est le Term of Use (indigeste voire incompréhensible) qui s’applique par défaut et si on le suit à la lettre alors on ne peut télécharger sur le site que des vidéos qui nous appartiennent en propre. Oui pour votre bébé au rire communicatif ou vos vacances en Asie en compagnie d’éléphants savants (et encore faut s’assurer de l’autorisation de l’éléphant, quoiqu’ici c’est plus facile puisque sachant dessiner il doit bien savoir parapher). Mais non pour le dernier clip-vidéo à la mode ou l’extrait d’une récente émission de télé dont ces sites sont pourtant truffés.[2]. J’avais déjà évoqué ce problème dans un billet au titre délicat Est-ce que YouTube nous entube ? où je préconisais plutôt l’utilisation de Blip.tv (qui, vous avez dit bizarre, n’est d’ailleurs pas encore dans la liste de VidToMP3.com). Depuis force est de constater que rien n’a bougé du côté de YouTube. Et ceci oblige des groupes libres comme Tryad à faire mention de la licence à même le descriptif de la vidéo qu’il faut dérouler qui plus est (voir illustration ci-dessus qui ouvre le billet). Ce n’est tout simplement pas sérieux messieurs de chez YouTube donc de chez Google.
  • Le site VidToMP3.com ensuite. Voilà un site qui colle de la pub partout avec son modèle économique qui est clairement l’affluence (voir ma note ci-dessous) et qui vient nous dire en petit et en bas de page : Only rip the sound from none-copyrighted sources. C’est ç’là oui, on va t’écouter mon grand et du coup plus personne ne viendra sur ton site !
  • La blogosphère ensuite. Vite, vite, faisons un billet avec VidToMP3.com dans le titre pour être bien référencé, extasions-nous sur l’utilité du service et taisons les problèmes liés aux absences de licences (si tant est que les blogueurs en question aient la moindre culture des licences). Que ne ferions-nous pas pour chouchouter nos fidèles lecteurs…

Je ne nie pas que le service puisse être parfois utile (au format audio ouvert ogg ce serait encore mieux) mais si, comme tente modestement de le faire ce blog, on se place dans une problématique de sensibilisation à la culture libre alors on n’est pas à Houston mais on a visiblement un problème.

Un problème de licences ou plutôt d‘éducation aux licences qui, si il était plus médiatisé, obligerait tout ce petit monde (visiteurs inclus) à mieux se positionner. Quitte, si entêtement et bornitude[3] il y a, à faire découvrir les douces mélopées de la musique en libre diffusion que l’on trouve sur des Dogmazik et autres Jamendo.

Quitte aussi à rencontrer les logiciels libres. Parce que dès que vous commencez à vous préoccuper des questions de licences à l’ère du numérique ils ne sont pas bien loin…

Notes

[1] MFA est l’acronyme de Made For Adsense. Un site MFA signifie qu’il a été conçu avec l’objectif non dissimulé de faire des sous avec la régie publicitaire de Google. Pour le site qui nous concerne il y a d’autres bannières mais le modèle est bien présent : proposer un service qui amènera beaucoup de visiteurs qui engendreront beaucoup de revenus publicitaires. Et, si j’ose dire, tout le monde s’y retrouve puisque cela permet au service de rester tranquillement gratuit.

[2] Pour les clip-vidéos ou passages télés c’est à nuancer parce que les ayants droits négocient au cas par cas avec les plates-formes vidéos, ce qui vient passablement compliquer la situation. Mais ce qui est sûr c’est que vous, visiteur YouTube, vous n’avez pas le droit de les récupérer.

[3] La bornitude caractérise l’attitude bornée d’une personne ou d’un groupe d’individus. Exemple : Ségolène Royal a fait preuve de bornitude en tentant de justifier sa bravitude.




Guerre contre l’Empire – épisode 37 – formats ouverts – ODF vs OOXML

C’est toujours un peu la même histoire… Une histoire qui risque bien d’être au cœur politique, économique, écologique et social de ce siècle : un monde non marchand qui cherche à se faire une place dans des espaces toujours plus réduits et convoités par un monde marchand. Une histoire où le logiciel libre a son mot à dire en affirmant, confiant mais lucide, que la route est longue mais la voie est libre

L’épisode du jour c’est la question des formats, véritable ligne de front entre le monde libre et le monde propriétaire. Les enjeux sont en effet plus qu’importants : la transparence, l’interopérabilité et la pérennité de nos données numériques (qui à l’avenir seront presque synonymes de nos données tout court !).

Et pour ce qui est des formats numériques en bureautique alors là c’est carrément la guerre ouverte avec une opposition frontale entre l’OpenDocument et l’Open XML (ou OOXML) de Microsoft. Mais il y a Open et Open. Quand le premier offre de solides garanties le second ne semble être avant tout qu’une manœuvre pour conserver une position dominante de fait (dont le piratage massif de la suite Microsoft Office n’est pas étranger soit dit en passant)[1].

D’un côté le libre et ses arguments et de l’autre le propriétaire dont les arguties pseudo-pragmatiques à court terme chechent à retarder l’échéance pour continuer le plus longtemps possible à engranger des bénéfices (et rassurer les actionnaires). Nonobstant les moyens considérables à disposition de Microsoft pour faire pression sur les structures et pouvoirs en place, l’échéance est pourtant bel et bien inévitable comme nous le rappelle l’article ci-dessous.

Traduit par nos petits activistes de FramaLang[2], il nous vient de Red Hat, société (et distribution) bien connue du monde Linux et très active dans la promotion de l’OpenDocument.

Screenshot - Red Hat Magazine web site

ODF : Le format inévitable

ODF: The inevitable format

T. Colin Dodd – 25 juillet 2007 – Red Hat Magazine

En 1999, un scientifique voulut consulter des données sur les échantillons collectés sur le sol de Mars en 1975 par la sonde Viking. Il souhaitait en effet tester une théorie sur la détection de l’existence de bactéries et de microbes Martiens – en d’autres termes, trouver de la vie sur Mars. Le scientifique pensait qu’il trouverait ce qu’il cherchait quelque part sur un site de la NASA, mais ce ne fut pas si simple. Les données originales avaient été égarées, et lorsque l’on retrouva les énormes bandes magnétiques qui conservaient les données, elles étaient "dans un format si ancien que le programmeur qui le connaissait était mort." Par chance quelqu’un trouva une imposante impression papier de ces données et la compréhension de l’univers par l’humanité se développa un peu plus… Le sentiment tragique qui aurait accompagné la perte de cette connaissance est l’écho des récits de la destruction de la Bibliothèque d’Alexandrie, et probablement ce pourquoi les autodafés sont un signe certain d’une société malade.

Bien sûr, toutes les données perdues ou inaccessibles ne contiennent pas des preuves de la vie sur Mars, et toutes les bribes d’informations n’ont pas besoin de survivre à leur créateur. Beaucoup de documents illisibles ne manqueront jamais, mais une politique publique responsable demande que les documents gouvernementaux – contrats, actes notariés ou enregistrements juridiques qui font autorité pour des décades ou même des siècles – doivent être archivés et accessibles. Quel que soit le cas, quand la donnée est stockée et partagée dans un format ancien ou propriétaire disparu, elle deviendra au fil du temps onéreuse d’accès ou disparaitra entièrement à tout jamais.

Lorsque l’on parle de créer, partager ou stocker numériquement des documents, la technologie qui prévient le dépérissement des formats existe déjà et elle est largement (et de plus en plus) utilisée. Elle s’appelle l’Open Document Format (ODF) et si vous ne l’utilisez pas aujourd’hui, vous le ferez sûrement un jour.

ODF, un langage de description de document basé sur le XML, a été initialement développé en 1999 par StarDivision, et ensuite par le projet OpenOffice.org de Sun Microsystem[3]. Conçu comme une alternative libre aux logiciels de gestion de documents propriétaires, qui dominaient alors le marché, la force motrice soutenant l’ODF était le besoin d’un format de document indépendant d’un éditeur et d’une application, lisible et enregistrable par tous, sans s’encombrer de royalties dues aux licences. Sa promotion se basait sur le fait que le monde des affaires et les contribuables pourraient économiser de l’argent. Un format ouvert créerait une compétition dans la sphère des applications de gestion de documents. Tous les documents pourraient être lus et partagés par quiconque. Rien ne pourrait se perdre à cause du temps ou suite à des changements dans un code propriétaire ou à des exigences de licences. Des sujets de grand intérêt public – données de recensement, données météorologiques, statistiques sur la santé publique, rapports d’enquêtes, enregistrements de tribunaux ou recherche fondamentale scientifique, tous payés par les contribuables, ne seraient plus encodés dans un format unique, propriétaire et fermé, demandant aux citoyens de payer double pour accéder à leurs propres informations. L’utilisation de l’ODF, disent ses partisans, permettrait de garder public les documents publics.

L’OASIS (Organization for the Advancement of Structured Information Standards) a été fondée en 2002 pour standardiser le format, qui a été reconnu par l’Organisation internationale de normalisation (ISO) en 2006[4]. L’Open Document Format Alliance s’est formée en mars 2006 pour promouvoir le format, et défendre le dossier public, légal et politique pour l’adoption de standards ouverts technologiques auprès des gouvernements et des institutions publiques.

"Red Hat était un membre fondateur de l’Alliance ODF et Tom Rabon (Vice-Président Corporate Affairs) est au comité exécutif," déclare Stéphanie McGarrah, ancienne Responsable des Politiques Publiques de Red Hat. "Red Hat travaille avec les autres membres du comité exécutif pour coordonner les efforts dans les discussions avec les gouvernements du monde entier à propos de l’ODF."

Bien que l’ODF ait été lancé avec beaucoup de bon sens, l’élan d’une large adoption a été entravé par l’inertie bureaucratique, les politiques locales, des idées fausses persistantes (renforcées par ses opposants) à propos de la viabilité de l’ODF et les "dangers" de son adoption. La plupart de la peur, de l’incertitude et du doute ont émané d’une source, dont les formats propriétaires constituent la plupart des documents dans le monde.

Les opposants à l’ODF ne peuvent admettre son adoption inévitable, et pratiquent un lobby actif à son encontre. Ce n’est pas que quelqu’un soit contre le format ODF en lui-même, ou trouve une quelconque vraie raison pour remettre en cause sa nécessité. La logique qui soutient l’ODF et la transparence de sa création est presque inexpugnable. Ce sont plutôt les standards ouverts sur lesquels l’ODF est bâti qui sont le plus souvent attaqués. Du point de vue de ses détracteurs, les choses sont bien telles qu’elles sont actuellement. Le « standard » est le leur. Ils ont la main mise sur le "marché" du document, et l’envisagent comme un "territoire" qu’ils ont "conquis" de façon juste. Ils ne peuvent envisager un futur sans lui (ça ne fait pas partie de leur plan stratégique), et tant que tout le monde utilise leurs applications et leurs formats, pourquoi changer ? Les opposants à l’ODF consacrent des ressources considérables à faire du lobbying auprès des législatures et des conseils d’administrations dans une tentative de les convaincre que l’adoption du format ODF limite en fait leur choix et fait du tort à l’efficacité apportée par le marché en "excluant" des éditeurs comme eux. Ils disent que la migration est coûteuse, et soutiennent même que l’adoption de l’ODF limitera l’accès public en encombrant l’environnement avec de trop nombreux formats "incompatibles". Et qui peut réellement croire tous ces "machins libres", d’ailleurs ?

Mais les partisans comme l’Alliance ODF ont leurs propres arguments, et la plupart d’entre eux sont issus de la preuve du contraire, du genre "En fait, c’est l’inverse qui est vrai…".

L’Alliance ODF défend l’idée que – au contraire – les standards ouverts encouragent le choix et la compétition entre fournisseurs en égalisant le terrain de jeu. Le standard est ouvert et disponible librement pour quiconque veut le mettre en oeuvre. Il n’y a pas de compétition autour du format, mais uniquement sur les applications qui l’utilisent. Dans cet univers, c’est la meilleure application qui gagne. L’alliance ODF souligne aussi que la mise en place ou la migration vers l’ODF n’est pas plus compliquée ou plus coûteuse que la mise à jour périodique d’une version à l’autre d’une application propriétaire, et en limitant les besoins de mises à jour futures, des réelles économies peuvent être réalisées avec le temps. À propos de l’accessibilité, Open Office (et les autres applications conformes à l’ODF) sont librement téléchargeables et prêtes à utiliser dès maintenant. Il n’y a pas de problèmes de compatibilité, disent-ils, seulement des problèmes de non coopération.

« Je pense que certains gouvernements ne sont pas au courant de l’ODF, ou n’ont pas les équipes techniques en place pour comprendre la valeur de l’ODF, » explique McGarrah. « Ainsi, c’est le travail de l’Alliance de diffuser ce message auprès des personnes au gouvernement qui prennent ces décisions ».

Mais l’argument irréfutable en faveur de l’utilisation de l’ODF pour les documents publics est le fait que c’est une meilleure affaire pour les citoyens et les contribuables sur le long terme. Utiliser des « standards » fermés, du logiciel propriétaire pour des documents publics est comme acheter le proverbial siège de toilettes à 10 000 $, ou interdire au gouvernement fédéral de négocier de meilleurs prix sur les médicaments auprès des sociétés pharmaceutiques au nom de patients de Medicaid et Medicare, ou essayer de nourrir une armée et reconstruire une zone de guerre en accordant des contrats secrets, non compétitifs et sans appels d’offre. C’est anti-compétitif dans le pire sens.

Malgré l’opposition, l’adoption de l’ODF suit une progression lente mais inexorable, et plus les politiciens prennent conscience de ce problème, plus l’ODF viendra défier l’ubiquité actuelle des formats propriétaires. Faisant un pas de plus en avant, le Japon a récemment demandé à ce que ses ministères passent des contrats avec des éditeurs de logiciels dont les applications sont bâties autour de standards ouverts. Le Brésil, la Pologne, la Malaisie, l’Italie, la Corée, la Norvège, la France, les Pays-Bas, le Danemark, la Belgique, le Commonwealth du Massachussetts, et le gouvernement de l’État de Delhi en Inde ont tous pris des engagements de principe sur l’adoption de l’ODF et, peut-être plus important, reconnaissent la nécessité d’utiliser des standards ouverts. L’Alliance ODF continue à équiper et éclairer les décisionnaires avec l’information et les outils dont ils ont besoin pour faire des recommandations et des politiques de changement, mais personne faisant la promotion de l’ODF ne pense qu’une large adoption est imminente. Cela prendra du temps.

« Ces décisionnaires ont beaucoup d’autres problèmes à gérer (par exemple : santé publique, éducation, transports, pauvreté…) et les décisions technologiques ne sont généralement pas en haut de leurs listes », déclare McGarrah. « Des progrès ont été faits dans une adoption plus large de l’ODF. Plusieurs gouvernements ont adopté l’ODF ou travaillent sur la mise en place du standard, mais il reste encore beaucoup à faire. »

ODF - Liberate your documents

Liens connexes :

Notes

[1] La situation des navigateurs web est similaire. D’un côté des navigateurs qui respectent les standards (tel Firefox) et de l’autre Internet Explorer qui ne les respecte pas et qui par là-même donne des cauchemars à tous les webmasters en les obligeant à d’usantes circonvolutions pour que leurs sites soient également compatibles visibles sur ce navigateur.

[2] Merci à VLI pour la traduction et Daria et Mben pour la relecture.

[3] NDT : suite au rachat de StarOffice par Sun.

[4] NDT : ISO/IEC 26300, Open Document Format for Office Applications (OpenDocument) v1.0.