Geektionnerd : DRM-Free

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Source : New DRM-Free Label (Defective by Design)

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Ce qui s’est passé la nuit dernière, dans un cinéma de Melbourne

Inauguré en 1936, L’Astor Theatre est un cinéma bien connu des habitants de Melbourne. En janvier dernier on y a programmé un film qui a bien failli ne pas être projeté.

Pourquoi ? Parce que le cinéma actuel est en train de faire sa « révolution numérique » et que comme on peut dès lors facilement copier un film, les distributeurs ont mis plus un système complexe de protection (l’équivalent des DRM pour la musique) qui peut s’enrayer et laisser les propriétaires des salles démunis et impuissants face au problème.

C’est le témoignage d’une des personnes qui gèrent le cinéma Astor que nous vous proposons ci-dessous[1].

Thomas Hawk - CC by-nc

Ce qui s’est passé la nuit dernière

What Happened Last Night

Tara Judah – 26 janvier 2012 – The Astor Theatre Blog
(Traduction Framalang : Antistress, Lamessen, Penguin, HgO, Étienne, ZeHiro, kabaka, Penguin, Lamessen)

Nous avons tous des nuits que nous préférerions oublier. Mais parfois, il est préférable d’en parler le lendemain matin. Et étant donné que nous avons une relation étroite (nous le cinéma, vous le public), c’est probablement mieux de vous dire ce qui s’est passé et, plus important, pourquoi ça c’est passé ainsi.

La nuit dernière nous avons eu un retard imprévu, non désiré et désagréable lors de notre projection de Take Shelter – la première partie de notre mercredi de l’horreur.

J’utilise les mots imprévu, non désiré et désagréable parce que nous aimerions que vous sachiez que c’était aussi désagréable pour vous que pour nous – et aussi que c’était quelque chose de totalement hors de notre contrôle. En tant que cinéma il y a de nombreux aspects de votre expérience que nous maîtrisons et qui sont sous notre responsabilité ; l’atmosphère des lieux lorsque vous vous rendez à l’Astor est quelque chose sur lequel nous travaillons dur et pour lequel nous déployons tout notre talent, même si là aussi de nombreux facteurs extérieurs entrent en jeu. Mais parfois ces facteurs extérieurs que nous essayons d’accommoder sont tels que la situation nous échappe et, par conséquent, tout ce que nous pouvons faire est d’essayer de corriger le problème du mieux que nous le pouvons et le plus rapidement possible.

Le paysage de l’industrie cinématographique change rapidement. La plupart d’entre vous le sait déjà parce que nous partageons avec vous ces changements sur ce blog. L’année dernière, nous avons ainsi installé un nouveau projecteur numérique ultramoderne, un Barco 32B 4K. Les raisons qui nous y ont conduit étaient multiples et variées. Qu’elles aient été endommagées voire détruites avec le temps, ou rendues, volontairement ou non, indisponibles par leur distributeurs, un nombre croissant de bobines 35 mm disparaît réduisant ainsi le choix de notre programmation (et je ne vous parle même pas des différents problèmes de droits de diffusion des films).

L’arrivée de la projection numérique et l’accroissement de la disponibilité de versions numériques des films cultes et classiques nous ont effectivement offerts quelques belles opportunités de vous présenter des films autrement confinés au petit écran (dont Taxi Driver, Docteur Folamour, South Pacific, Oklahoma ! et Labyrinthe, pour n’en citer que quelques uns). Les grands studios des industries culturelles sont donc en train de se diriger vers ce qui a été salué comme étant une « révolution numérique ». Le terme lui-même est effrayant. Tandis que la projection numérique possède de nombreux avantages, elle recèle également des pièges. Ce que nous observons en ce moment est le retrait des bobines de film de 35 mm en faveur de la projection numérique, le plus souvent au format DCP (Digital Cinema Package).

Or contrairement aux pellicules de 35mm qui sont des objets physiques, livrés en bobines et qui sont projetées grâce à un projecteur mécanique, les DCP sont des fichiers informatiques chargés à l’intérieur d’un projecteur numérique qui, par bien des aspects, se résume à un ordinateur très sophistiqué. Puisque le fichier est chargé dans le projecteur, le cinéma peut en conserver une copie ad vitam aeternam, s’il y a assez d’espace sur son serveur. C’est pourquoi, après avoir eux même engendré cette situation, les studios et les distributeurs verrouillent les fichiers pour qu’ils ne puissent être projetés qu’aux horaires planifiés, réservés et payés par le cinéma. Ceci signifie que chaque DCP arrivé chiffré que vous ne pouvez ouvrir qu’avec une sorte de clé appelée KDM (Key Delivery Message), Le KDM déverrouille le contenu du fichier et permet au cinéma de projeter le film. Il dépend évidemment du film, du projecteur du cinéma mais aussi de l’horaire, et n’est souvent valide qu’environ 10 min avant et expire moins de 5 min après l’heure de projection programmée. Mis à part le fait évident que le programme horaire des projections doit être précisément suivi, cela signifie aussi que le projectionniste ne peut ni tester si le KDM fonctionne, ni vérifier la qualité du film avant le début de la projection. Ce n’est à priori pas un probléme. Mais lorsqu’il y en a un…

Lorsqu’il y a un problème, nous obtenons ce qui s’est produit la nuit dernière.

Le KDM que nous avions reçu pour Take Shelter ne fonctionnait pas. Nous avons découvert cela dix minutes environ avant la projection. Comme nous sommes un cinéma, et que nous avons des projections le soir, nous ne pouvions pas simplement appeler le distributeur pour en obtenir un nouveau, car ils travaillent aux horaires de bureau. Notre première étape fut donc d’appeler le support téléphonique ouvert 24h sur 24 aux Etats-Unis. Après avoir passé tout le processus d’authentification de notre cinéma et de la projection prévue, on nous a dit que nous devions appeler Londres pour obtenir un autre KDM pour cette séance précise. Après avoir appelé Londres et avoir authentifié de nouveau notre cinéma et notre projection, on nous a dit qu’ils pouvaient nous fournir un autre KDM, mais pas avant que le distributeur ne l’autorise aussi. Cela voulait dire un autre délai de 5-10 minutes pendant que nous attendions que le distributeur confirme que nous avions en effet bien le droit de projeter le film à cet horaire. Une fois la confirmation reçue, nous avons attendu que le KDM soit émis. Le KDM arrive sous la forme d’un fichier zip attaché dans un mail, qui doit donc être ensuite dézippé, sauvegardé sur une carte mémoire et copié sur le serveur. Cela prend à nouveau 5-10 minutes. Une fois chargé, le projecteur doit reconnaître le KDM et débloquer la séance programmée. Heureusement, cela a fonctionné. Néanmoins, jusqu’à ce moment-là, nous ne savions absolument pas, tout comme notre public, si le nouveau KDM allait fonctionner ou non, et donc si la projection pourrait ou non avoir lieu.

Il ne s’agit que d’un incident dans un cinéma. Il y a des milliers et des milliers de projections dans des cinémas comme le nôtre à travers le monde, qui rencontrent les mêmes problèmes. Si nous avions projeté le film en 35 mm, il aurait commencé à l’horaire prévu. Le projectionniste aurait préparé la bobine, l’aurait mise dans le projecteur et alignée correctement avant même que vous vous ne soyiez assis, zut, avant même que nous n’ayions ouvert les portes pour la soirée. Mais c’est une situation que l’industrie du cinéma a créée et qu’elle va continuer de vendre comme étant supérieure au film 35mm.

Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’avantages au cinéma numérique, mais je dis qu’il y a aussi des problèmes. Et pire encore, des problèmes qui sont hors de notre contrôle et qui nous font paraître incompétents.

Nous employons des projectionnistes parfaitement formés au cinéma Astor, vous savez, le genre qui ont plus de 20 ans d’expérience chacun, qui avaient une licence de projectionniste (à l’époque où ce genre de chose existait), et si une bobine de film venait à casser, ou que le projecteur avait besoin de maintenance, ou si une lampe devait être changée, ils étaient qualifiés et capables de résoudre le problème sur le champ.

Avec le numérique cependant, il n’existe pas de compétence dans la résolution des problèmes : cela nécessite avant tout des appels téléphoniques, des e-mails et des délais. Le fait que moi, qui n’ai reçu que la formation la plus élémentaire et la plus théorique en projection, je sois capable d’être une partie de la solution à un problème, démontre clairement comment l’industrie s’est éloigné de l’essence même du média cinéma.

Nous ne disons pas que le numérique c’est le mal, mais nous voulons que vous sachiez ce qui est en jeu. L’industrie du cinéma est déterminée à retirer les pellicules de la circulation, ils déclarent ouvertement qu’il n’y aura plus de pellicules dans le circuit de distribution cinématographiques dans quelques années. Il existe déjà des cas aux Etats-Unis où certains studios ont refusé d’envoyer des bobines de films 35 mm aux cinémas. La pression mise sur les cinémas indépendants pour, dixit, se convertir au numérique est un sujet qui mérite toutefois un autre billet, mais une autre fois.

Ce que j’aimerais vous apporter ici, c’est notre ressenti de la nuit dernière : l’industrie cinématographique est en train de changer et ce changement nous fait aujourd’hui perdre le contrôle. Nous sommes en relation avec vous, notre public, mais j’ai l’impression que quelqu’un essaie de nous séparer. Nous voulons continuer à vous donner l’expérience que vous attendez et que vous méritez quand vous venez dans notre cinéma, et nous voulons que vous sachiez que, même si on ne peut pas vous promettre que cela ne se reproduira pas, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour continuer à nous battre pour cette relation, et le premier pas pour réparer les dégâts causés par la nuit dernière est d’être honnête sur ce qui s’est passé, et pourquoi cela s’est passé ainsi.

Ecrit par Tara Judah pour le cinéma Astor.

Notes

[1] Crédit photo : Thomas Hawk (Creative Commons By-Nc)




Salut à toi mélomane, téléchargeur, pirate, pseudo-criminel…

Benn Jordan est musicien et président fondateur du modeste label indépendant Alphabasic Records.

En janvier 2008, et contrairement à ce qu’il se produisait d’habitude, il fut surpris de constater l’absence de son nouvel album sur les sites de torrents et P2P !

Alors il décida de prendre lui-même les devants en téléversant ses propres fichiers audios sur les sites de partage, mais en les accompagnant d’un court texte que nous avons décidé de traduire ci-dessous tant il nous semble original et révélateur de la situation actuelle.

Ainsi tout « pirate » téléchargeant l’album se retrouvait avec un petit fichier HTML contenant le message. Libre alors à lui de le lire et d’agir en conséquence.

Remarque : On pourra trouver le bilan de cette action dans le billet From Pirates To Profit. Et si vous voulez écouter quelques extraits de l’album en question il y a ce lien YouTube.

Benn Jordan

Bonjour mélomane… téléchargeur… pirate… pseudo-criminel…

Hello listener…downloader…pirate…pseudo-criminal…

Benn Jordan – janvier 2008 – Alphabasic Records
(Traduction : Ælfgar, Kiwileaks, Marwan, Thb0c, Gordon, Hikou, Chk, Coyau, axx et autres anonymous)

Bonjour mélomane… téléchargeur… pirate… pseudo-criminel…

Si vous êtes en mesure de lire ceci, alors il est plus que probable que vous ayez téléchargé cet album depuis un réseau pair à pair ou un torrent.


Vous vous attendez probablement à ce que le reste de ce message vous dise que vous êtes en train de faire du mal aux musiciens et de contrevenir à plus ou moins toutes les lois en vigueur sur la copie. Ce ne sera pas le cas ici.

Ce que j’aimerais vous dire, c’est que mon label comprend que beaucoup de gens piratent de la musique parce que c’est plus simple que de l’acheter. Les CD se rayent facilement, la plupart des sites de téléchargement avec paiement à l’acte proposent une faible qualité accompagnée de merdiques protections par DRM, et les vinyles sont quasiment impossibles à trouver ou expédier simplement.

Je me demande même souvent pourquoi les gens achètent encore des CD. Certains apprécient le fait d’avoir une vraie pochette physique, d’autres ne se sont pas encore adaptés aux MP3, mais la plupart le font parce qu’ils aiment passionnément la musique et veulent soutenir les artistes qui la font. Ça vous redonne foi en l’humanité l’espace d’un instant, hein !

Ok donc, on fait quoi maintenant ?
Vous aimez l’album ? Vous voulez « soutenir l’artiste » sur iTunes ?
Eh bien, ne le faites pas !
Alphabasic est en ce moment même en pleine bataille juridique contre Apple parce qu’AUCUN de nos contenus (le catalogue Sublight Records compris) n’a reçu le moindre centime de royalties par rapport au grand nombre de ventes qu’iTunes a généré en utilisant notre contenu.

Vous voulez acheter un CD uniquement pour témoigner de votre soutien ?
Si vous n’aimez pas particulièrement les CD, ne vous prenez pas la tête.
Les grandes enseignes comme Best Buy et Amazon font tellement monter les prix que leurs parts sont souvent huit fois plus élévées que celle de l’artiste. En plus, la plupart des CD sont fait de plastique non-recyclable et sont de ce fait écologiquement nuisibles.

Si vous aimez vraiment les CD, achetez les directement auprès du label (dans notre cas, alphabasic.com). Après récupération des coûts de production, nos artistes reçoivent habituellement plus de 90% de l’argent venant de votre portefeuille.
J’ajoute que tous nos produits physiques sont réalisés à partir de matériaux 100% recyclés.

Vous souhaitez soutenir sans aimer les CD ?
Allez ici et faites le tour de notre catalogue de téléchargements audio sans perte et sans DRM.
Vous l’avez déjà fait ?
Alors n’hésitez pas à faire un don du montant de votre choix à votre artiste préféré. Il lui reviendra à 100%.
Franchement, vous pouvez même donner ne serait-ce qu’un euro pour remercier l’artiste.

Si par exemple vous aimez vraiment « The FlashbulbSoundtrack To A Vacant Life » et voulez nous soutenir sans que l’argent s’en aille vers des détaillants et des distributeurs cupides, ou des représentants et intermédiaires cocaïnomanes, alors cliquez sur ce lien.

Si de plus vous voulez bien renseigner votre adresse postale, Alphabasic pourra vous envoyer occasionnellement quelques goodies (surplus de stock, stickers, et même parfois des CD rares ou inédits) en guise de reconnaissance.

Merci d’avoir pris le temps de lire ce message.

Qui sait si mon petit modèle économique permettra de financer de nouveaux albums, mais même l’échec vaut mieux que le système de distribution pourri dont les artistes souffrent depuis plus de cinquante ans.
Nous espérons que vous apprécierez la musique autant que nous l’apprécions en la créant .

Enfin un tout dernier point. Si vous envisagez de partager cette musique, merci de conserver et d’y inclure ce texte. La seule raison de sa présence est de montrer à l’auditeur où et comment il peut soutenir son artiste favori !

Benn Jordan
PDG d’Alphabasic Records




Des e-books sans DRM ? C’est possible même chez les grands éditeurs !

L’écrivain Cory Doctorow, l’un des auteurs les plus traduits sur le Framablog, se félicite ici qu’un grand éditeur de livres numériques ose enfin faire sauter le verrou des DRMJohn Blyberg - CC by.

En espérant que d’autres suivent, ce qui va, à priori, dans le sens de l’Histoire mais qui peut prendre un certain temps tant sont grandes les résistances du vieux monde économique…

[1]

Aux éditions Tor, les livres se délivrent complètement des DRM

Tor Books goes completely DRM-free

Cory Doctorow – 24 avril 2012 – BoingBoing
(Traduction Framalang : e-Jim, Goofy)

Aujourd’hui, Tor Books, le plus important éditeur de science-fiction au monde, a annoncé que dorénavant tous ses e-books seraient complètement libres de DRM. Cette annonce fait suite à six semaines d’action antitrust contre la société-mère de Tor, Macmillan USA, poursuivie pour entente illicite sur les prix avec Apple et Amazon.

Maintenant qu’un premier éditeur de poids s’est débarrassé des DRM (et d’autres vont suivre, j’en suis convaincu ; j’ai eu des contacts avec des décideurs de haut niveau chez deux autres des six acteurs majeurs de l’édition[2]), il existe tout à coup un marché pour des outils de conversion et téléchargement automatique des e-books de différents formats et distributeurs.

Par exemple, j’espère que quelqu’un aura l’idée de créer un plugin pour navigateur qui propose un bouton « Achetez ce livre sur BN.com » sur les pages d’Amazon (et réciproquement) , ce qui faciliterait la conversion automatique entre les formats. J’aimerais aussi que BN.com élabore un « kit de transfert » pour les propriétaires de Kindle qui voudraient adopter un Nook et vice-versa.

Je crois que ça pourrait être le grand tournant pour les ebooks sous DRM, le moment décisif à partir duquel tous les ebooks seront finalement libérés des DRM. Voilà une bonne journée.

Tom Doherty Associates, du groupe des éditions Tor, Forge, Orb, Starscape et Tor Teen, a annoncé aujourd’hui que début juillet 2012, la totalité de leur catalogue d’ebooks serait disponible sans DRM.

« Nos auteurs et nos lecteurs l’ont réclamé depuis longtemps », a déclaré l’éditeur et président Tom Doherty. « C’est un public techniquement très averti, et à leurs yeux les DRM sont une source constante de tracas. Ces verrous les empêchent d’utiliser de façon parfaitement légale des ebooks acquis tout aussi légalement, par exemple en les déplaçant d’un type de liseuse à l’autre ».

Les ouvrages sans DRM de Tom Doherty Associates seront disponibles chez les principaux détaillants qui vendent aujourd’hui des ebooks. De plus, l’entreprise espère lancer la vente de titres par des détaillants qui ne proposent que des ebooks sans DRM.

Notes

[1] Crédit photo : John Blyberg (Creative Commons By)

[2] Hachette, Macmillan, Penguin Group, HarperCollins, Random House et Simon & Schuster




DRM et e-book : la preuve par l’absurde

La gestion des droits numériques ou (DRM) a pour objectif de contrôler par des mesures techniques de protection, l’utilisation qui est faite des œuvres numériques, nous dit Wikipédia. Dans la pratique il s’agit surtout ici de rendre artificiellement sa rareté à un produit culturel qui se diffusait auparavant sur support physique (disque, dvd, livre…) afin, pense-t-on, de lui conférer ainsi une plus grande valeur commerciale.

Le problème c’est que le contrôle finit toujours par compliquer la tâche de l’utilisateur qui avant même de songer à partager souhaite juste jouir de son bien sur le périphérique de son choix (ordinateur, lecteur, baladeur, smartphone…). On ne sait plus trop alors ce qu’on achète finalement car on est plus dans la location temporaire fortement balisée que dans la propriété sans entrave[1].

Et d’aboutir à ce témoignage absurde et révélateur où ce sont ceux-là mêmes qui placent les DRM qui décident de tenter illégalement de s’en débarrasser une fois passés de l’autre côté de la barrière, c’est-à-dire simple client.

La mémoire étant courte, et les mêmes causes produisant les mêmes effets on attend avec impatience le Napster ou le Megaupload du livre numérique

PS : Chez Framabook non seulement il n’y a pas de DRM mais la version électronique des livres est librement téléchargeable sur le site du projet 🙂

Daniel Sancho - CC by

« Pourquoi je casse les DRM sur mes e-books » : un cadre du monde de l’édition s’exprime

“Why I break DRM on e-books”: A publishing exec speaks out

Laura Hazard Owen – 24 avril 2012 – paidContent.org
(Traduction Framalang : e-Jim, Evpok, Goofy)

Les appels aux poids lourds de l’édition pour qu’ils abandonnent les DRM se sont multipliés ces dernières semaines, coïncidant avec le procès antitrust intenté par le Département de la Justice (NdT: à Apple et plusieurs éditeurs) pour entente sur les prix. Beaucoup d’observateurs craignent que ce procès n’ait en réalité pour effet de réduire la compétition sur le marché de l’e-book, en bétonnant la position d’Amazon comme acteur dominant ; et ils se demandent si les DRM ne sont pas simplement une arme supplémentaire de l’arsenal d’Amazon, puisqu’ils enferment les consommateurs dans leur Kindle Store.

Emily Gould et Ruth Curry, de la librairie électronique indépendante Emily Books ont estimé dans nos colonnes que les DRM étouffent les libraires en ligne indépendants. Et la vice-présidente d’Hachette Digital, Maja Thomas, a récemment décrit les DRM comme des « ralentisseurs » n’empêchant pas le piratage.

Pourtant il pourrait se passer un sacré bout de temps entre ce débat et le moment où la première des grosses pointures de l’édition supprimera effectivement les DRM de ses e-books.Pour l’instant, de nombreux lecteurs savent qu’ils peuvent télécharger des outils gratuits qui leur permettent de lire un livre provenant de chez Barnes & Nobles sur un Kindle, ou un ouvrage issu de l’iBookstore d’Apple sur un Nook, ou encore un Google book sur un Kobo. J’ai utilisé ces outils. J’ai récemment acheté un Google book sur le site d’une librairie indépendante, cassé les DRM, et l’ai converti pour pouvoir le lire sur mon Kindle.

Récemment, j’ai commencé à discuter de ce problème avec un cadre de l’industrie de l’édition. Cette personne, appelons-là Cadre, voulait apprendre comment casser les DRM des e-books. Environ un mois plus tard, Cadre était converti et désireux de témoigner de son expérience, à la condition que son anonymat soit préservé. Je ne pense pas que Cadre soit la seule personne dans l’industrie de l’édition à casser les DRM des livres qu’elle achète… et celles qui ne le font pas encore pourraient être tentées d’essayer, ne serait-ce que pour voir ce que les lecteurs endurent.

Voici son histoire :

« J’en arrivais à la conclusion que je voulais commencer à casser les DRM sur les e-books que j’achetais afin de pouvoir les lire sur n’importe quelle liseuse, mais ce qui m’a fait franchir le pas, c’est un formidable article intitulé Cutting their own throats (NdT: Ils se coupent eux-même la gorge) que l’auteur de science-fiction Charlie Stross a publié sur son blog. Il y soutient que les DRM sont une façon pour tous les Amazon du monde d’enchaîner les utilisateurs à leur plateforme.

À l’époque, j’avais déjà acheté plusieurs dizaines d’e-books chez Amazon, et comme les plateformes importantes avaient toutes des applications Kindle, je ne me sentais pas enfermé. Mais qu’arriverait-il si Amazon décidait de ne pas prendre en charge une plateforme particulière. Ou si de nouvelles fonctions étaient rendues disponibles pour les liseuses Kindles, mais pas pour les applications ?

J’avais aussi acheté un e-book chez Apple, et j’avais vite compris que les options étaient encore plus limitées. On ne verra pas d’application iBook pour Android de sitôt, par exemple. J’ai décidé qu’il était temps pour moi de reprendre le contrôle, et d’empêcher les vendeurs de me limiter.

J’avais déjà pensé à casser les DRM, mais je n’avais jamais sauté le pas. La raison principale était que je ne voulais pas bafouer les droits des éditeurs. Mais en y pensant à deux fois, j’ai réalisé que puisque j’avais acheté ce livre,il était légitime de vouloir le lire sur l’appareil de mon choix.

Je veux qu’il soit bien clair que je ne partage ces livres avec personne. Ils sont juste destinés à mon usage personnel. Je n’en fais pas de torrents et je ne les partage ni avec ma famille, ni avec mes amis.

Je pense que c’est justifié : quand j’achète un livre à Amazon, j’achète en fait une licence, pas le contenu. C’est assez stupide d’ailleurs. J’ai l’impression que les vendeurs d’e-books se servent de cet argument pour forcer l’utilisation des DRM et décourager les éditeurs qui les refusent. Je ne veux pas dire où je travaille, ou quoi que ce soit à propos de ma société, mais je peux dire que je ne pense pas que les DRM soient une bonne chose, ni pour l’éditeur, ni pour l’auteur, ni pour le lecteur. Pourquoi les éditeurs pro-DRM ne se rendent-ils pas compte que c’est la principale source de mécontentement de leurs clients ? Énormément de consommateurs me disent à juste titre que le prix des e-books devrait être plus bas puisqu’ils n’achètent qu’un accès au contenu sans en être propriétaire. Cette situation doit changer.

En pratique, casser les DRM est assez simple. Il y a quantité de tutoriels, qui ne demandent qu’une simple recherche Google pour les trouver. J’ai ainsi déverrouillé des livres d’Amazon et Apple. Il y eut bien apparition de quelques bugs mineurs mais là encore Internet et quelques amis de confiance m’ont facilement permis de les résoudre. Ces livres sont maintenant lisibles sur tous les appareils que je veux. Mon conseil aux petits nouveaux est de surtout ne pas renoncer. Si vous rencontrez un problème, regardez autour de vous, je suis sûr que vous trouverez la réponse sur le web. La plupart des lecteurs peuvent y arriver facilement. Il faut juste être préparé à mener l’enquête, et ne pas renoncer devant les difficultés.

Est-ce que je me sens coupable ? Non, pas vraiment. Si je distribuais ces livres, oui ; mais je suis le seul à m’en servir.

Je ne sais pas si d’autres éditeurs le font. Mais je suis certain que, comme moi, ils préfèrent que cela reste confidentiel. Et je pense que tous devraient essayer, pour voir quel gâchis sont les DRM. En l’espace de quinze minutes, n’importe qui peut déverrouiller n’importe quel e-book.

Depuis un mois, casser les DRM fait partie de ma routine d’e-lecteur. Je ne me pose même plus la question de savoir si je peux lire mes livres sur une autre plateforme. Je peux le faire. À partir de maintenant, je déverrouillerai tous les livres que j’achète. »

Notes

[1] Crédit photo : Daniel Sancho (Creative Commons By)




Tu ne partageras pas ta carte marine, nous raconte La Pérouse en 1787

Norman B. Leventhal Map Center at the BPL - CC byQuand on n’y connaît rien en informatique, il est difficile de s’émouvoir du discours passionné d’un utilisateur de logiciels libres détaillant avec emphase les quatre libertés garanties par leur licence.

Le libriste pédagogue aura donc souvent recours à des analogies pour éclairer son auditoire, la plus courue étant sûrement celle de la recette de cuisine. Dans ce billet nous nous proposons d’y ajouter l’exemple, ou plutôt le contre-exemple, des cartes marines[1].

Plongeons-nous, c’est le cas de le dire, plusieurs siècles en arrière pour retrouver un observateur sceptique face aux règles mises en place par les grandes compagnies maritimes de l’époque pour protéger la connaissance et en tirer profit face à la concurrence.

En effet, j’ai lu récemment et avec beaucoup de plaisir le « Voyage autour du monde sur l’Astrolabe et la Boussole » du grand navigateur Jean-François de La Pérouse qui mena une campagne d’exploration scientifique du Pacifique de 1785 à 1789.

Ce récit est empreint d’humanisme, d’intelligence et de générosité. Le voyage s’est déroulé sur un bateau en bois et à voiles, du temps où ordinateur, GPS et autres balise Argos n’existaient évidemment pas. Mais, d’un certain point de vue, ces marins avaient un savoir et un savoir-faire supérieurs aux nôtres car ils ne pouvaient avoir recours à ces outils en cas de problèmes.

Dans son journal, La Pérouse note que les capitaines hollandais partant de Batavia vers le Japon devaient prêter serment, à leur compagnie, de ne pas divulguer leurs cartes marines. Ces cartes qui compilaient l’ensemble des informations collectées par les voyageurs précédents, dans ces terres inconnues où le moindre récif pouvait amener le naufrage.

La Pérouse - Gallica - Domaine Public

Extrait du livre issu de Gallica, le service numérique en libre accès de la Bibliothèque Nationale de France.

Pour les compagnies, l’enjeu était de taille : elles vivaient du commerce des produits du Japon. Elles cherchaient à avoir une position exclusive, pour s’assurer des bénéfices maxima. Afin d’empêcher la concurrence, elles privaient les autres marins de leurs avancées cartographiques, et elles interdisaient d’éventuels rivaux par des contrats bilatéraux avec les dirigeants locaux.

Le serment des capitaines n’était pas sans conséquence. Un officier de marine convaincu d’avoir permis la consultation de ses cartes à un tiers aurait été dégradé, privé de commandement, banni de son pays.

Mais une autre conséquence c’est que chaque compagnie devait créer ses propres cartes et malheur à celle qui envoyait ses bateaux dans des zones non encore renseignées chez elle.

Le logiciel libre est issu de l’informatique mais aussi de tous ceux qui, avant lui, se sont battus pour la non appropriation des biens communs.

Notes

[1] Crédit photo : Norman B Leventhal Map center at the BPL (Creative Commons By)




Avec Uniflow, Canon invente la photocopieuse qui espionne, refuse et dénonce

Timshell - CC-by-nd En l’absence de l’habituel maître des lieux
Les lutins du Framablog font bien de leur mieux
Écumant le web, en quête de sujets sérieux
Ils espérent que ces billets vous rendront joyeux
À défaut de nous aider à ouvrir les yeux
Sur des technologies qui derrière un vœu pieu
Menacent nos libertés et nos échanges précieux

« On arrête pas le progrès » aimait à répéter mon grand père, mais aujourd’hui, je me demande ce qu’il aurait pensé des dernières inventions de Canon…

En effet, si l’esprit du hacker est de bidouiller une technologie pour en trouver de nouveaux usages, les grandes firmes s’ingénient elles bien souvent à limiter les possibilités de leurs produits, pour créer une illusion de contrôle.

Dans notre cas, Canon a créé des photocopieuses qui inspectent au plus près les documents qu’on leur donne à reproduire, et s’y refusent si ces derniers contiennent l’un des mots de la liste noire située sur le serveur central des installations Uniflow.

Tout d’abord, ces photocopieuses illustrent exactement la menace qui plane sur la neutralité d’Internet. Imaginez qu’il ne soit plus possible de se parler qu’à l’aide de textes envoyés d’une photocopieuse à une autre et vous aurez un bon aperçu de comment fonctionne Internet. En effet, chaque message y circule, par petits bonds, d’un ordinateur à un autre entre votre machine et celle à laquelle vous tentez d’accéder de l’autre côté du réseau. Chaque machine rencontrée photocopie simplement les messages qu’elle reçoit vers la sortie qui les rapprochera de leur destination. Pour l’instant, les routeurs de l’Internet transportent les messages de manière aussi neutre qu’une simple photocopieuse, sans le moindre soupçon d’analyse de contenu. Mais Canon vient donc de briser la neutralité des photocopieuses, en créant un système de « deep photocopy inspection » bien sûr associés à un système centralisé de censure.

Ensuite, comme le remarquait Benoit Sibaud sur Identi.ca, nous nous trouvons là devant un cas concret d’informatique déloyale, telle que définie par l’April, où des utilisateurs se trouvent confrontés à des systèmes soit-disant « de confiance », et qui sous prétexte de sécurité ne remplissent tout simplement plus la tâche pour laquelle ils sont conçu si les conditions arbitraires d’une entité tierce de contrôle ne sont pas réunies.

Je parlais d’une illusion du contrôle, car comme toujours le moyen mis en œuvre pour « sécuriser l’usage » est aisément contournable, les documents n’étant (pour l’instant) analysés qu’à l’aide d’un logiciel OCR, incapable donc de percevoir les notes manuscrites, ou les mots (volontairement) mal orthographiés.

Alors à quoi bon mettre en place des systèmes aux performances finalement ridicules au regard du niveau stratégique de l’objectif ? Et quel peut être l’objectif d’imprimantes allergiques à certains mots ?

Tout d’abord, déployer un système à l’efficacité embryonnaire c’est toujours faire un premier pas, ça finance la génération suivante et ça piège les non avertis… [1] Ensuite dans le cas présent, on peut pallier les manques du système en contraignant le reste de l’environnement, et si on trouve une application admise par les contrôleurs et les contrôlés ça pourrait même rendre service.

Mais pourquoi empêcher d’imprimer ? Pour pallier, d’une certaine manière, au « trou analogique ». Le trou analogique c’est le nom donné à un phénomène simple : aussi sophistiqué que puisse être le système de protection d’un fichier (chiffrement, DRM), pour qu’il soit lu il faut bien à un moment le rendre présentable pour un humain. Et à partir de là, il est toujours possible de renumériser les données… Un MP3, même plombé par un DRM, quand il finit par être lu, rien ne m’empêche de l’enregistrer avec un dictaphone, si j’ai peur de ne pas m’en souvenir tout seul. Dans notre cas, l’intérêt est donc de combler en partie le trou analogique, en évitant que des copies papiers de documents identifiés comme « secrets » ne soient créées.

Toutefois, ça peut vite devenir comique, si une entreprise empêche l’impression de documents contenant le nom de ses clients par exemple, espérons qu’ils ne traitent pas avec Apple, Orange ou même Canon, sinon ils vont vite finir par ne plus pouvoir imprimer grand chose.

Néanmoins, après les imprimantes qui mentent sur leur niveau d’encre et les imprimantes qui laissent des micro-traces pour s’identifier sur toutes leurs copies, Canon invente aujourd’hui les imprimantes qui choisissent ce qu’elles impriment… [2]

Canon promet une sécurisation à base de mots-clés pour ses scanners et imprimantes

Canon promises keyword-based document scanning and printing security

Alan Lu – 12 octobre 2010 – ITPro.co.uk
Traduction Framalang : Siltaar, Julien R., KooToX, Daria

Canon a fait une démonstration d’Uniflow 5, la dernière version de son système de gestion de documents, capable d’empêcher les utilisateurs d’imprimer ou de copier des documents contenant certains mots, grâce à un système de sécurité intelligent basé sur des mots-clés.

Uniflow est un système de gestion de documents qui permet, depuis longtemps, de contrôler imprimantes, scanners et photocopieurs de manière centralisée. Cela permet de conserver le compte des impressions de chaque utilisateur à des fins de facturation. C’est indispensable dans les professions qui facturent les clients à l’heure ou à la quantité de travail, comme les avocats et les architectes. Le système requiert à la fois un serveur Uniflow sur votre réseau et des périphériques d’imagerie Canon, compatibles Uniflow.

La dernière version d’Uniflow possède un système de sécurité intelligent, basé sur des mots-clés. Une fois configuré par un administrateur, le système peut empêcher un utilisateur d’imprimer, scanner, copier ou faxer un document contenant un des mots-clés prohibés, tel que le nom d’un client ou le nom de code d’un projet.

Le serveur enverra alors par courriel à l’administrateur une copie PDF du document en question, au cas où un utilisateur s’y essaie. Le système peut aussi optionnellement informer l’utilisateur par courriel que sa tentative a été bloquée, mais sans identifier le mot-clé responsable, maintenant ainsi la sécurité du système.

La détection des mot-clés d’Uniflow 5 se base sur un système de reconnaissance optique de caractères (OCR), dont la licence est détenue par la firme belge Iris. Cette technologie est plus communément utilisé pour retranscrire des documents scannés en textes éditable sur ordinateur. Canon Angleterre a confirmé qu’un utilisateur éclairé et déterminé ayant repéré un des mots-clés peut contourner le système en remplaçant une lettre par une autre ou un chiffre ressemblant comme avec « z00 » au lieu de « zoo ».

Néanmoins, l’intérêt de cette fonctionnalité est immédiatement perceptible pour les secteurs traitant des documents sensibles, que se soit pour des raisons légales, concurrentielles ou commerciales. Les représentants de Canon n’ont pu avancer de date quant à la commercialisation des produits Uniflow 5.

Notes

[1] Toute ressemblance avec une loi visant à contrôler les usages sur Internet serait fortuite.

[2] Crédit photo : Timshell (Creative Commons Attribution NoDerivs).




L’échec des DRM illustré par les « Livres numériques » de Fnac.com

Cher Framablog,
En raison de l’absence du maître de céans,
Les lutins qui veillent à ton bon fonctionnement,
Ont œuvré pour publier le billet suivant,
Par votre serviteur, introduit longuement.

Témoignage d’un lecteur loin d’être débutant,
Il retrace un épique parcours du combattant,
Pour un livre « gratuit » en téléchargement,
Que sur son site web, la Fnac, propose au chaland.[1]

xverges - CC by Récemment[2] sur rue89.com, on pouvait lire : « Nothomb, Despentes : la rentrée littéraire se numérise un peu ». Et pour un fan de technologie comme je suis, ce titre résonnait plutôt comme « la rentrée littéraire se modernise un peu ». En effet, des livres numériques il en existait déjà au siècle dernier…

Côté libre, il faut avouer qu’on est plutôt bien servi. Citons par exemple cette excellente trilogie de Florent (Warly) Villard « le Patriarche » débutée en 2002, à l’occasion de son « pourcentage de temps réservé aux projets libres personnels » chez MandrakeSoft à l’époque. Citons encore la collection Framabook et ses 7 ouvrages[3], citons aussi la forge littéraire en-ligne InLibroVeritas.net et ses 13500 œuvres sous licence libre[4], ou encore le projet Gutenberg et ses 33 000 œuvres élevées au domaine public, Wikisource.org et ses 90 000 œuvres réparties sur plus de 10 langues et pour finir le portail Gallica de la BnF donnant accès à plus d’1,2 millions d’œuvres numérisées[5]… Ces livres, on peut les télécharger en un clic depuis son navigateur, les transférer dans son téléphone portable[6] en un glissé-déposé, et les lire tranquillement dans le métro, même là où ça ne capte pas[7].

Dans ces conditions, que demander de plus que de faire sa rentrée littéraire sur un écran d’ordinateur ? Pourtant, ces conditions, elles ne sont pas évidentes à rassembler. Évacuons tout de suite la question du matériel. Alors que la plupart des téléphones de dernière génération sont dotés d’un navigateur web, tous ne sont pas utilisables comme de simple clé USB, et y transférer des fichiers peut s’avérer impossible pour certains ! Je n’insisterai pas non plus sur les autres équipements proposés spécifiquement pour cet usage, et qui se révèlent le plus souvent considérablement limités. Après tout, n’importe quel ordinateur devrait pouvoir faire l’affaire.

Mais concernant l’œuvre elle même, il faut qu’elle soit libre, ou librement téléchargeable, ou au moins librement « lisible » pour que ça marche. Et pour le coup, on s’attaque à une pelote de laine particulièrement épineuse à dérouler. Avant qu’on les propose sous forme numérique, pour lire les livres d’Amélie Nothomb il fallait en acheter une copie papier, un objet physique qui coûte à produire, transporter, stocker et présenter dans des rayons. Il fallait donc payer pour obtenir un feuilleté de cellulose, qui s’use, se perd, se brûle… et se prête aussi. Et de cette somme d’argent, après avoir largement rémunéré les intermédiaires, une petite portion était finalement reversée à l’auteur. Et ça, la rémunération de l’auteur, c’est le petit détail qui manque au tableau dépeint quelques paragraphes plus haut. Si je lis « Le Prince » de Nicolas Machiavel, mort en 1527 à Florence, l’ouvrage s’est élevé au domaine public depuis fort longtemps maintenant, et la question ne se pose pas. L’auteur n’aurait plus l’usage d’une rémunération aujourd’hui. Par contre, après avoir lu « Le Patriarche » de Florent Villard, j’ai tellement aimé le bouquin que j’ai spontanément envoyé un chèque à l’auteur, pour l’encourager à écrire la suite[8]. Mais dans le cas d’Amélie malheureusement, sa maison d’édition n’a pas voulu parier sur la philanthropie des futurs lecteurs.

Les autres maisons d’éditions non plus d’ailleurs, et cette question de la rémunération des auteurs, elle se pose en France et partout dans le monde depuis des années, depuis l’arrivée du numérique. Il y a eu des hauts et débats (selon la formule consacrée) pour y répondre, mais il y a malheureusement aussi eu des bas, comme les lois DADVSI et HADOPI 1 et 2…

Les lois HADOPI, on peut les évacuer rapidement : pas une ligne de leur texte ne porte sur la rémunération des auteurs, contrairement à ce qui a pu être clamé. Avec cette initiative législative, les représentant des ayants droit et de la distribution tentèrent juste une fois de plus de plier l’économie numérique de l’abondance aux lois qui régissent l’économie des biens physiques, basée sur le contrôle matériel de l’accès aux œuvres. Au lieu de s’adapter à un marché qui évolue, les moines copistes de DVD[9] tentent encore et toujours de retenir le progrès des technologies de diffusion pour rester rentiers.

Manu_le_manu - CC by nc sa

La loi DADVSI était elle encore plus simple à comprendre. Elle avait déjà pour objectif, 4 ans plus tôt, d’essayer d’imposer une forme de contrôle à la distribution d’œuvres sur Internet, via l’utilisation de verrous numériques aussi nommés DRM. Un procédé saugrenu, consistant à couper les ailes de l’innovation, en tentant de limiter les possibilités des ordinateurs et l’usage de certains fichiers, de telle sorte qu’on ait à considérer ces fichiers comme autant d’objets unitaires et non comme une simple suite d’octets duplicables plusieurs millions de fois par secondes, d’un bout à l’autre de la planète[10], ce qu’ils sont pourtant. En permettant à chaque distributeur de restreindre le nombre de copies possibles pour un fichier, on nous promettait le décollage des offres légales de contenus numériques. Ce fut un échec assez cuisant, rien n’a décollé et encore moins côté bouquin. C’est pourtant pas faute d’avoir expliqué, déjà à l’époque, que mettre des bâtons dans les roues de ses clients n’est pas un plan d’affaires viable.[11]

Ce fut un échec mémorable, chaque distributeur ayant adopté son propre système de « complication d’usage », tenu secret et dont l’étude était punie d’emprisonnement[12], et donc bien évidement incompatible avec ceux des autres distributeurs. Des systèmes à la fois contournables en s’en donnant la peine, et compliqués à mettre en œuvre dans le cadre d’une « consommation » courante… Microsoft à même réussi la prouesse de commercialiser à l’époque des lecteurs incompatibles avec son propre système de verrous numériques[13].

Du côté « pas libre » donc, la situation des livres numériques a souffert d’une orientation stratégique contraire à l’intérêt général, d’une mise en œuvre partielle et désorganisée et globalement d’une incompréhension des technologies numériques. Des caractéristiques qui ne sont pas sans rappeler le fiasco des porte-monnaie Monéo, lancés en 1999. Vous vous souvenez sûrement de ce nouveau moyen de paiement qui devait permettre aux banques de gérer votre monnaie en plus de votre épargne (au lieu de la laisser dormir dans un fourre tout près de la porte d’entrée), et qui fut conçu de manière à coûter moins cher aux banques qu’une carte de crédit classique. Il n’était donc pas sécurisé (pas de code à taper), mais surtout, il rendait l’argent de votre compte en banque « physique », dans la carte. Si elle tombait dans une flaque d’eau, vous perdiez le montant de son rechargement. Sans parler du fait que la carte se mettait dès lors à intéresser des voleurs potentiels, attirés par les 100€ que son porte monnaie intégré (de gré ou de force) pouvait contenir. Évidemment, ce système n’a pas, non plus, rencontré le succès escompté par ses créateurs.

Et pourtant, ces deux fantômes du début de la décennie, DRM et Monéo, reviennent hanter notre univers dématérialisé ces jours-ci. Le premier dans les offres de livres numériques de cette rentrée littéraire, le second imposé dans les restaurants universitaires. Et il ne serait pas étonnant de voir bientôt à la Fnac des bornes de distribution de livres numériques infestés de DRM, et imposant (comme dans les restaurants universitaires) les paiements par Monéo.

Aujourd’hui, alors que des systèmes alternatifs et innovant se mettent en place pour permettre la rémunération des auteurs dans une économie numérique, nous avons testé pour vous l’enfer dans lequel s’entêtent les entreprises « majeures » de la distribution de culture.

Livre numérique sur Fnac.com : le parcours du vieux con battant

D’après l’expérience de Fredchat – 13 septembre 2010

J’ai testé pour vous (avec un succès modéré) le service « Livres numériques » de la Fnac.

Cherchant sur le site de cet important distributeur français un livre de Maupassant, je suis tombé sur une annonce pour un « ebook » en téléchargement gratuit. L’offre a l’air honnête et puis c’est le livre que je cherchais, alors je me dis :

« Essayons voir ce service épatant que tout le monde marketing nous pousse à consommer : le livre électronique. »

Aussi simple que télécharger un fichier ?

Je me lance donc dans l’aventure et il faut, pour commencer, valider une commande sur le site Fnac.com, pour débloquer le téléchargement d’un fichier gratuit. Ça commence donc bien, il faut avoir un compte à la Fnac. Bon, ce n’est plus vraiment gratuit, mais c’est presque de bonne guerre.

Une fois passé ce premier écueil, et une fois la commande validée, le site me donne un lien vers une page de téléchargement. À ce point-là, moi qui aime faire les choses simplement quand c’est possible, je découvre avec désarroi que ce n’est pas le livre qu’on me propose de télécharger sur cette page. Point de fichier PDF, ePub ou d’un quelqu’autre format standard et reconnaissable (voire normalisé), comme les petites icônes vantaient dans les rayons du site. Au lieu de cela, on me propose un tout petit fichier, affublé de l’extension exotique .amsc et qui se révèle ne contenir que quelques lignes de XML. Ce fichier ne contient en fait pas grand chose de plus que l’URL d’un autre fichier à télécharger, un PDF cette fois. J’ai alors l’impression d’avancer vers le but, même si je m’embête rarement autant, dans la vie, pour télécharger un simple fichier, gratuit qui plus est. Seulement voilà, on ne peut pas le télécharger directement ce PDF ! Ils sont très forts à la Fnac, leur fichier gratuit m’a déjà coûté plus de vingt minutes… et je suis toujours bredouille.

Je me renseigne plus avant sur la procédure à suivre, et au cours de cette petite séance de lecture j’apprend qu’il faut obligatoirement passer par un logiciel Adobe, lui-même tout aussi gratuit mais uniquement disponible sous Microsoft Windows et Mac OS X… Linuxiens passez votre chemin.

Mais ce n’est pas tout…

Le logiciel Adobe en question interprète le XML, détecte les informations qui vont bien et, alors que le suspens est à son comble et que l’on croit toucher au but, surprise, le texte qui apparaît enfin n’est pas celui du livre. À la place, on tombe sur un charabia composé d’explications toutes aussi surprenantes que liberticides, avec un bouton « Accepter » en bas de l’écran. Pour un téléchargement gratuit, je me retrouve donc à vendre une deuxième fois mon âme au diable.

En substance, on m’explique que pour avoir accès au livre il me faut en autoriser la lecture sur l’ordinateur en cours d’utilisation, et pour cela, je dois obligatoirement avoir un identifiant Adobe. Cet identifiant, on l’ obtient en s’inscrivant à un « club » géré par l’éditeur du logiciel et qui requiert pour son inscription toute une bordée d’informations personnelles que l’on ne m’a jamais demandées pour acheter un livre… (qui devait être gratuit, excusez-moi d’insister).

Cela fait maintenant près de 40 minutes que je m’acharne sur ma commande Fnac.com d’un livre gratuit et à ce stade, je me surprends moi-même d’avoir trouvé à franchir tous les obstacles. Mais ça y est, je le vois le livre et il commence à en avoir de la valeur à mes yeux ce fichier PDF vu le temps que j’y ai consacré. Toutefois, téléchargeable et lisible uniquement via un logiciel propriétaire Adobe, ce n’est plus vraiment un fichier PDF…

D’ailleurs, alors que je m’apprête à copier ledit fichier vers un périphérique plus adéquat à sa lecture, une petite voix me prévient que je ne peux en autoriser la lecture, via le logiciel propriétaire, que sur un maximum de 6 périphériques, et qu’il faut donc que je m’assure de vouloir vraiment le copier quelque part et entamer le décompte. Je ne suis plus à ça près.

Conclusion

Résultat des courses, je suis fiché chez deux grandes entreprises (avec les dérives d’exploitation de mes données personnelles que cela permet), je ne peux pas lire le livre sous Linux. J’ai perdu mon après-midi et je ne peux pas partager le fichier gratuit, d’une œuvre libre de droits, avec mes amis pour leur épargner l’improbable et complexe procédure de téléchargement que j’ai subie. C’est sûr, avec Fnac.com on comprend vraiment la différence entre gratuit, et libre.

Toutefois, si vous êtes séduit, vous pourrez bientôt acheter le Petit Prince dans cet alléchant format, pour la modique somme de 18€…

Épilogue

Finalement, je crois que je vais rester un vieux con et garder mes livres papier. Au moins, dans ce format je peux les lire où je veux (dans un fauteuil, dans mon lit, sur les toilettes, au bord d’une piscine, etc.), quand je veux, que je sois en-ligne ou pas, et les prêter à mes amis.

Sinon, quand je serai remis de cette mésaventure, j’irai jeter un œil sur Wikisource ou sur le projet Gutenberg, il paraît qu’on y trouve des livres numériques libres, téléchargeables en un clic et dans des formats ouverts et normalisés…

Notes

[1] Crédit photo : xverges (Creative Commons By)

[2] Introduction rédigée le 23 septembre 2010.

[3] Attention, ce qui suit dévoile des moments clés de l’intrigue : bientôt 10 😉

[4] Libres à divers degrés suivant les variations permises par les licences Creative Commons, rendant l’œuvre modifiable ou non et commercialisable ou non.

[5] Pour la plupart du domaine public, librement lisibles, mais pas librement réutilisables. Il faut en effet s’acquitter d’une licence auprès de la Bibliothèque nationale de France pour pouvoir faire un usage commercial des fichiers obtenus depuis le portail. Ça fait quand même une sacrée bibliothèque… Merci à Christophe de l’avoir rappelé dans les commentaires.

[6] Par exemple sous la forme de pages webs, débitées en tranches de 450ko, sinon le téléphone en question sature sa mémoire vive s’il s’agit d’un N95…

[7] Ou encore, en réponse anticipée à un bout de la conclusion du texte présenté, partout où un chargeur solaire parviendra à maintenir l’engin allumé…

[8] Pour la petite histoire, j’ai même envoyés deux chèques, un après la lecture du 1er tome, et un autre à la fin de la 1ère trilogie (c’est prévu pour être une longue histoire). Or, l’auteur se sentant coupable de délaisser son ouvrage n’a encaissé que le 1er chèque, et c’était il y a plus d’un an maintenant. Toutefois, de récentes mises à jour sur le site du livre laissent espérer que la suite pourrait venir sous peu.

[9] Pour reprendre l’expression de Nicolas Dupont-Aignan.

[10] Oui, je sais qu’une sphère n’a pas à proprement parler de bouts, mais elle n’a pas non plus de côtés, et … revenons à nos moutons.

[11] Crédit photo : Manu_le_manu (Creative Commons By NC SA)

[12] Peine disproportionnée que les juges n’appliquèrent pas, et qui fut limitée par le Conseil d’État deux ans plus tard, interrogé par l’April sur le sujet

[13] Comme l’analysaient Formats-Ouverts.org, PCINpact.com, Clubic.com, Numerama.com