7 qualités de l’Open Source, entre mythes et réalités

UGArdener - CC by-nc« Nous avons tous intérêt à défendre l’Open Source contre les forces qui l’affaiblissent », nous affirme ici Matthew But­t­er­ick, juriste et passionné de typographie[1].

Constatant que de nombreux projets se disent open source alors qu’ils n’en possèdent pas les caractéristiques, il nous propose ici de le définir en sept points, distinguant la réalité de ce qu’il appelle sa dilution.

Vous ne serez pas forcément d’accord, surtout si vous êtes plus « logiciel libre » (version canal historique Richard Stallman) que « Open Source ». Mais on devrait pouvoir en discuter sereinement dans les commentaires 🙂


Sept qualités essentielles à l’Open Source

Seven essential qualities of open source

Matthew But­t­er­ick – Janvier 2012 – TypographyForLawyers.com
(Traduction Framalang : Goofy, OranginaRouge, antistress)


Les citations tronquées déforment les propos. Beaucoup connaissent la fameuse citation de Stew­art Brand selon laquelle « l’information veut être gratuite » (NdT : « infor­ma­tion wants to be free. »). Cette phrase, prise isolément, est souvent citée à l’appui de thèses selon lesquelles toute contrainte sur l’information numérique est futile ou immorale.

Mais peu ont entendu la deuxième partie du propos, rarement citée, qui prend le contrepied de la première partie : « l’information veut être hautement valorisée » (NdT : « infor­ma­tion wants to be expen­sive. »). Lorsque l’on reconstitue le propos dans son entier, il apparait que Brand veut illustrer la tension centrale de l’économie de l’information. Lorsque le propos est tronqué, sa signification en est changée.

Les citations tronquées ont aussi déformé le sens de « Open Source ». Au fur et à mesure que le monde de l’Open Source prenait de l’ampleur, il a attiré davantage de participants, depuis les programmeurs individuels jusqu’aux grandes entreprises. C’était prévisible. Tous ces participants ne sont pas d’accord sur le sens donné à l’Open Source. Ça aussi c’était prévisible. Certains participants influents ont tenté de diluer l’idée de l’Open Source, usant d’un raccourci réducteur pour décrire une démarche méthodique. Ça aussi, on pouvait s’y attendre.

Mais même si cela était à prévoir, il est toujours payant de combattre cette dilution. Sur le long terme, cela est néfaste à l’Open Source. Et pas seulement pour des raisons éthiques ou morales mais aussi pour des raisons pratiques et de viabilité. Si on laisse l’Open Source se diluer en acceptant de revoir à la baisse les attentes, ceux d’entre nous qui jouissent des avantages de l’Open Source seront perdants à terme. De la même façon, ceux qui contribuent à des projets pseudo-Open Source risquent de dépenser leur énergie au profit de causes douteuses. C’est pourquoi nous avons tous intérêt à défendre l’Open Source contre les forces qui l’affaiblissent.

Dans le même esprit, voici sept qualités que je considère comme essentielles pour définir l’identité de l’Open Source, par opposition aux formes diluées que revêt généralement ce mouvement. L’objectif de cet exercice n’est pas d’offrir une caractérisation univoque de l’Open Source. Ce serait à la fois présomptueux et impossible. L’Open Source est hétérogène par essence, comme tout ce qui apparaît sur la place publique.

Pourtant, le fait que nous puissions parler de l’Open Source en général signifie qu’il doit y avoir des caractéristiques irréductibles. Des gens raisonnables, par exemple, peuvent avoir des conceptions différentes de l’art. Mais qui irait contester la qualité de Mona Lisa ? De la même façon, s’il n’est pas raisonnable de parler de l’Open Source comme d’un bloc monolithique, il est tout aussi déraisonnable de prétendre que c’est un concept complètement subjectif. L’Open Source doit pouvoir être défini sinon le terme lui-même n’a pas de sens.

Pourquoi rédiger un essai sur l’Open Source sur un site Web traitant de typographie ? Premièrement parce que les outils open source prennent une part de plus en plus importante dans la conception des polices (citons par exemple Robo­Fab). Deuxièmement parce que des polices soi-disant open source sont en train d’être produites à une cadence accélérée. Troisièmement parce que l’approche utilisée pour l’Open Source est de plus en plus appliquée aux projets issus des domaines du design ou du droit. Quatrièmement parce que je m’intéresse personnellement de longue date à l’Open Source, ayant par exemple travaillé pour Red Hat (ajoutons que ce site tourne avec Word­Press, un moteur de blog open source).

Qualité essentielle n°1

  • Dilution : L’Open Source émane d’un esprit de liberté et de coopération.
  • Réalité : L’Open Source émane d’un esprit de compétition capitaliste.

L’Open Source, en tant que méthode de conception d’un logiciel, permet l’émergence de produits compétitifs sans les besoins en capitaux et main-d’œuvre inhérents aux méthodes traditionnelles de développement des logiciels propriétaires. La plupart des projets open source à succès sont conçus comme des substituts de logiciels propriétaires à succès. Il n’y a pas de coïncidence. La demande en logiciels propriétaires est aussi ce qui créée la demande pour des alternatives open source.

De plus, le succès d’un projet open source dépend de sa capacité à rivaliser avec l’alternative propriétaire. Le temps, c’est de l’argent. Les logiciels open source qui ne remplissent pas leur office ne font pas des bonnes affaires au final. Bien que certains choisiront le logiciel open source pour des raisons purement politiques, les clients rationnels se prononceront sur la base d’un bilan coûts/avantages.

Qualité essentielle n°2

  • Dilution : Les développeurs de logiciels open source travaillent gratuitement.
  • Réalité : Les développeurs de logiciels open source sont rémunérés.

Personne ne travaille sur des projets open source gratuitement. Peut-être un petit groupe de développeurs contribue t-il à des projets open source pour se distraire au lieu de collectionner des timbres par exemple. Il s’agit là d’une minorité. La plupart du travail open source est réalisé par des développeurs professionnels qui sont rémunérés à un tarif professionnel.

C’est forcément vrai, et ce pour deux raisons.

Premièrement, les développeurs ne sont pas altruistes. Comme n’importe qui d’autre sur le marché du travail, ce sont des acteurs rationnels, et bien payés avec ça. Il n’y a aucune raison pour que ces développeurs se consacrent au développement de logiciels open source moyennant un salaire de misère alors qu’il existe plein d’entreprises qui accepteraient de les payer pour le même travail.

Deuxièmement, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, le logiciel open source ne peut réussir que s’il a les moyens de rivaliser avec les alternatives propriétaires. Et il ne peut rivaliser avec les logiciels propriétaires que s’il parvient à attirer des développeurs de même niveau. Et la seule façon d’attirer ces développeurs est de les rémunérer au prix du marché. De la même façon qu’il n’y a pas de déjeuner gratuit, il n’y a pas d’avantage de logiciel gratuit.

Qualité essentielle n°3

  • Dilution : L’Open Source rend les choses gratuites.
  • Réalité : L’Open Source redéfinit ce qui a de la valeur.

Les développeurs de logiciels open source ne travaillent pas gratuitement, mais il existe un corollaire à cette affirmation : les projets open source bénéficient, pour une valeur équivalente, à ceux qui financent ce travail de développement — habituellement les employeurs des développeurs.

Si vous croyez que les entreprises de technologies sont des acteurs rationnels de l’économie, vous avez certainement raison. Une société investira son capital dans les activités les plus rentables qu’elle pourra trouver. Si une entreprise finance des projets open source, elle en espère un retour sur investissement supérieur aux autres options.

Alors que les défenseurs des logiciels libres ou open source tentent parfois d’en illustrer l’idée avec ces comparaisons : libre comme dans « entrée libre » ou comme dans « expression libre » (NdT : « free as in beer » et « free as in speech », deux images souvent utilisées en anglais pour distinguer les deux sens du mot « free », respectivement gratuit et libre), un ingénieur de Red Hat me l’a un jour plus exactement décrit de cette façon : « gratuit comme un chiot ». Certes vous ne payez pas les logiciels open source. Mais vous ne bénéficiez pas des avantages habituels des logiciels propriétaires : facilité d’installation, support d’utilisation, documentation, etc. Soit vous payez avec votre temps, soit vous payez quelqu’un pour ces services. Le résultat est que le coût des services liés au logiciel est déplacé à l’extérieur du logiciel lui-même au lieu d’être inclus dans son prix. Mais ce coût est seulement déplacé, et non supprimé.

Qualité essentielle n°4

  • Dilution : Il n’y a pas de barrière pour participer à l’Open Source.
  • Réalité : L’Open Source s’appuie sur la méritocratie.

L’Open Source ne pourrait pas fonctionner sans un filtrage méritocratique. Ce principe découle de l’idée que l’Open Source est une méthode pour créer des produits compétitifs. Pour obtenir des résultats de haute qualité, les projets open source doivent mettre l’accent sur les contributions de haute qualité, et rejeter le reste. Les projets open source sont ouverts à tous dans le sens où n’importe qui peut suggérer des changements dans le code source. Mais ces changements peuvent toujours être rejetés ou annulés.

L’idée de l’Open Source est mal employée quand elle est appliquée à des projets qui n’ont pas ce filtrage méritocratique et auxquels n’importe qui peut contribuer. Ces projets sont plutôt décrit comme du « partage de fichiers ». Ce qui distingue la méthode open source est son appui sur une communauté de développeurs pour trouver les meilleures idées. Cela signifie donc que la plupart des idées sont rejetées.

Qualité essentielle n°5

  • Dilution : L’Open Source est démocratique.
  • Réalité : L’Open Source s’appuie sur des dictateurs bienveillants.

Les projets open source sont menés par des développeurs qui sont parfois appelés des « dictateurs bienveillants ». Habituellement il s’agit de ceux qui ont démarré le projet et qui sont considérés comme détenant la vision de l’avenir du projet.

Ils ne sont pas élus mais, d’un autre côté, il ne sont autorisés à rester au pouvoir que tant que les autres participants y consentent. C’est le principe de l’Open Source : n’importe qui peut récupérer le code source et l’utiliser pour démarrer un nouveau projet (cette pratique a pour nom le « forking »).

Cela arrive rarement. En fin de compte, les participants à un projet open source ont davantage à gagner à conserver le projet intact sous la direction d’un dictateur bienveillant plutôt que le fragmenter en de multiples projets. (notons ici encore l’influence des incitations rationnelles). De même, le dictateur a intérêt à rester bienveillant puisque le projet pourrait à tout moment se dérober sous ses pieds.

Qualité essentielle n°6

  • Dilution : Un projet open source peut n’avoir qu’un développeur.
  • Réalité : Un projet open source nécessite plusieurs développeurs.

Cette exigence découle de l’idée que l’Open Source est une méritocratie. Il ne peut y avoir de filtrage méritocratique si toutes les contributions viennent d’une seule personne. Parfois certains publieront leur projet personnel et annonceront « Hé, c’est maintenant open source ».

Cela ne le rend pas pour autant open source, pas plus qu’acheter un pack de bières et des chips suffisent à faire une soirée. Vous aurez toujours besoin d’invités. De même pour créer une pression méritocratique, les projets open source ont besoin de plusieurs développeurs (pour créer une émulsion d’idées) et d’un dictateur éclairé (pour choisir parmi ces idées). Sans cette pression, on a affaire à du partage de fichiers, pas de l’Open Source.

Qualité essentielle n°7

  • Dilution : Un projet logiciel peut devenir open source à tout moment.
  • Réalité : L’Open Source est inscrit dans l’ADN du projet ou ne l’est pas.

Comme l’Open Source rencontre un succès grandissant, de plus en plus de projets de logiciels propriétaires ont été « convertis » en logiciels open source. Cela revient à greffer des ailes à un éléphant dans l’espoir qu’il volera.

L’Open Source est une manière de produire des logiciels (entre autres). Cela inclut certaines valeurs et en exclut d’autres. Cela n’est ni intrinsèquement meilleur que le développement de logiciels propriétaires ni applicable à tous les projets. Mais la décision de développer un projet open source n’a du sens qu’au démarrage du projet. De cette manière, le dirigeant, la communauté des développeurs et le code pourront évoluer autour des ces principes.

Un projet propriétaire démarre avec des principes radicalement différents et évolue autour de ces principes. Et il ne pourra pas devenir plus tard un projet open source, pas plus qu’un éléphant ne peut devenir un aigle. Néanmoins, ceux qui convertissent des projets propriétaires en projets open source suggèrent le plus souvent que cela offre le meilleur des deux mondes : une manière de partager les bénéfices d’un développement propriétaire avec une communauté open source.

Mais cela offre presque toujours le pire des deux mondes : l’ouverture des sources n’est qu’une manière cynique d’exporter les problèmes d’un projet propriétaire. Malheureusement c’est ce qui se produit la plupart du temps car des projets propriétaires qui fonctionnent n’ont rien à gagner à devenir open source. Les développeurs n’adoptent pas votre technologie propriétaire ? Ramenez son prix à zéro et renommez le « Open Source ». Votre logiciel propriétaire est rempli de mystérieux bogues insolubles ? Rendez le « Open Source » et peut-être que quelqu’un d’autre résoudra ces problèmes. Votre technologie est sur le point de devenir obsolète car vous avez été trop lent à la mettre à jour ? Peut-être que la rendre open source allongera sa durée de vie. Les entreprises refourguent leurs logiciels à la communauté open source quand elles n’ont plus rien à perdre.

Cependant cette technique n’a jamais payé. Les projets open source qui fonctionnent ont appliqué cette méthodologie très tôt et s’y sont tenu. Le simple engagement en faveur de l’open source n’est pas un gage de succès bien qu’il soit nécessaire.


La plupart de mes explications ci-dessus ont été formulées en termes de développement logiciel. Mais ce message a une portée qui va au delà du simple logiciel. Je pense que « l’Open Source » vient du monde du logiciel, et restera certainement plutôt adapté à ce type de projet, mais il n’y a aucune raison à ce qu’il ne convienne pas à d’autres types de projets. C’est déjà ce qui se passe.

La principale difficulté est d’appliquer de façon méticuleuse et réfléchie le modèle open source. Au fur et à mesure que l’Open Source s’étend et s’éloigne de ses racines traditionnelles, il va devoir faire face à un risque grandissant de dilution. Encore une fois, je ne prêche pas une définition canonique de l’Open Source. Peut-être que le meilleur que nous pouvons espérer est que ceux qui souhaitent qualifier leur projet d’open source apprendront d’eux-mêmes les caractéristiques qui font le succès de ce type de projet. Si vous n’aimez pas mon résumé de ces qualités essentielles, alors apprenez-en suffisamment à propos de l’Open Source pour venir avec le vôtre. Et ne vous sentez pas obligé, ne prenez pas cela comme un devoir à la maison — faites cela dans votre propre intérêt.

Ça ne peut pas faire de mal de se pencher sur les autres projets open source pour comprendre comment ils ont réussi. Une fois cet examen réalisé, si vous voulez modifier les grands principes pour votre propre projet, allez-y ! Je ne m’en plaindrai pas.

Et accordez-moi une faveur : n’appelez pas cela Open Source.

Notes

[1] Crédit photo : UGArdener (Creative Commons By-Sa)




L’iPhone et l’enfant de 13 ans travaillant 16h par jour pour 0,70 dollars de l’heure

Il est possible qu’un enfant chinois de 13 ans, travaillant 16h par jour pour 0,70 dollars de l’heure, se cache dans votre magnifique iPhone ou iPad. Et quand bien même nous ne soyons pas de ce cas extrême, les conditions sociales de tous ceux qui les produisent loin de chez nous demeurent épouvantables à nos yeux[1].

Ainsi va le monde d’aujourd’hui. Apple n’est qu’un exemple parmi tant d’autres mais il en est un bien triste symbole.

Aaron Shumaker - CC by-nd

Votre iPhone a été fabriqué, en partie, par des enfants de 13 ans travaillant 16 heures par jour pour 0,70 dollars de l’heure

Your iPhone Was Built, In Part, By 13 Year-Olds Working 16 Hours A Day For 70 Cents An Hour

Henry Blodget – 15 janvier 2012 – BusinessInsider.com
(Traduction Framalang/Twitter : HgO, goofy, Maïeul, Mogmi, oli44, Gatitac, popcode, Spartition, MaxLath, kadmelia)

Nous aimons nos iPhones et nos iPads.

Nous apprécions les prix de nos iPhones et iPads.

Nous sommes admiratifs des marges de profit très élevées d’Apple, Inc., le créateur de nos iPhones et iPads.

Et c’est pourquoi il est déconcertant de se rappeler que les bas prix de nos iPhones et iPads — ainsi que les marges de profits très élevées d’Apple — sont possibles parce qu’ils sont fabriqués dans des conditions de travail qui seraient jugées illégales aux États-Unis.

Et il est aussi déconcertant de remarquer que les gens qui fabriquent nos iPhones et iPads non seulement n’en possèdent pas (parce ce qu’ils n’en ont pas les moyens), mais, dans certains cas, qu’ils ne les ont même jamais vus.

C’est un problème complexe. Mais c’est aussi un problème important. Et cela va devenir de plus en plus préoccupant à mesure que les économies mondiales continuent à être de plus en plus interconnectées.

(C’est un problème qui concerne beaucoup de multinationales, et pas seulement Apple. La plupart des fabricants de produits éléctroniques font leurs business en Chine. Cependant, une des spécificités d’Apple, c’est l’importance de ses marges. Apple pourrait augmenter le salaire de ses employés ou leur garantir de meilleures conditions de travail tout en conservant son extrême compétitivité ainsi que sa rentabilité.)

La semaine dernière, l’émission radiophonique américaine This American Life a proposé une édition spéciale sur les industries Apple. L’émission a diffusé (entre autres) le reportage de Mike Daisey, l’homme à l’origine du one-man-show « L’extase et l’agonie de Steve Jobs », avec Nicholas Kristof, dont l’épouse est issue d’une famille chinoise.

Vous pouvez lire ici une retranscription de l’ensemble. Voici quelques détails :

  • La ville chinoise de Shenzhen est située là où la plupart de nos « merdes » sont fabriquées. Il y a 30 ans, Shenzhen était un petit village sur une rivière. Maintenant, c’est une cité de 13 millions de d’habitants — plus grande que New York.
  • Foxconn, l’une des sociétés qui fabriquent les iPhones et les iPads (et aussi des produits pour un certain nombre d’autres entreprises d’électronique), possède une usine à Shenzhen qui emploie 430 000 personnes.
  • Il y a 20 caféterias à l’usine Foxconn Shenzen. Elle servent chacune 10 000 personnes.
  • Mike Daisey a interviewé une employée, à l’extérieur de l’usine gardée par des hommes armés, une jeune fille âgée de 13 ans. Chaque jour, elle lustrait des milliers d’écrans du nouvel iPhone.
  • La petite de 13 ans a expliqué que Foxconn ne vérifiait pas vraiment l’âge. Il y a parfois des inspections, mais Foxconn est toujours au courant. Avant que les inspecteurs n’arrivent, Foxconn remplace les employés qui semblent trop jeunes par des plus âgés.
  • Durant les deux premières heures devant les portes de l’usine, Daisey a rencontré des travailleurs qui lui ont dit qu’ils avaient 14, 13 et 12 ans (en plus de ceux qui étaient plus âgés). Daisey estime qu’environ 5% des travailleurs avec lesquels il a discuté étaient en-dessous de l’âge minimum.
  • Daisey suppose que Apple, obsédée comme elle l’est des détails, doit le savoir. Ou, s’ils ne le savent pas, c’est parce qu’ils ne veulent pas le savoir.
  • Daisey a visité d’autres usines de Shenzhen, se faisant passer pour un acheteur potentiel. Il a découvert que la plupart des étages des usines sont de vastes salles comprenant chacune entre 20 000 et 30 000 travailleurs. Les pièces sont silencieuses : il n’y a aucune machine-outil, et les discussions ne sont pas autorisées. Quand la main d’œuvre coûte si peu cher, il n’y a aucune raison de fabriquer autrement que manuellement.
  • Une « heure » chinoise de travail dure effectivement 60 minutes — contrairement à une « heure » américaine, qui en général comprend les pauses pour Facebook, les toilettes, un appel téléphonique et quelques conversations. Le temps de travail journalier officiel est de 8 heures en Chine, mais la rotation standard des équipes de travail est de 12 heures. En général, la rotation s’étend jusqu’à 14-16 heures, en particulier lorsqu’il y a un nouveau gadget à fabriquer. Pendant que Daisey était à Shenzhen, un ouvrier de Foxconn est mort en travaillant 34 heures d’affilée.
  • Les chaînes d’assemblage ne peuvent pas aller à un rythme supérieur à celui de l’ouvrier le plus lent, les ouvriers sont par conséquent observés (à l’aide de caméras). La plupart travaillent debout.
  • Les ouvriers résident dans des dortoirs. Dans un cube de béton de 12 mètre de côté qui leur sert de chambre, Daisey compte 15 lits, empilés comme des tiroirs jusqu’au plafond. Un Américain de taille moyenne n’y tiendrait pas.
  • Les syndicats sont interdits en Chine. Quiconque est surpris à monter un syndicat est envoyé en prison.
  • Daisey a interviewé des douzaines d’anciens ouvriers qui soutiennent secrètement un syndicat. Un groupe raconte avoir utilisé de l’« hexane », un nettoyeur d’écran d’iPhone. L’ hexane s’évapore plus rapidement que les autres nettoyeurs d’écran, ce qui permet à la chaîne de production d’aller plus vite. L’hexane est également un neurotoxique. Les mains de l’ouvrier qui lui en a parlé tremblaient de manière incontrôlée.
  • Certains ouvriers ne peuvent plus travailler, leurs mains ayant été détruites par ces mêmes gestes répétés des centaines de milliers de fois durant de nombreuses années (syndrome du canal carpien). Cela aurait pu être évité si les ouvriers avaient simplement changé de poste. Dès que les mains des ouvriers ne fonctionnent plus, ils sont évidemment jetés.
  • Une ancienne ouvrière a demandé à son entreprise de payer les heures supplémentaires, et lorsque la société a refusé, elle est allée au comité d’entreprise. Celui-ci l’a inscrite sur une liste noire qui a circulé parmi toutes les entreprises de la région. Les travailleurs sur une liste noire sont fichés comme « fauteurs de troubles / agitateurs » et les compagnies ne les embauchent pas.
  • Un homme s’est fait écraser la main par une presse à métal chez Foxconn. Foxconn ne lui a dispensé aucun soin médical. Quand sa main a été guérie, il ne pouvait plus travailler et a donc été renvoyé. (Heureusement, l’homme fut capable de trouver un nouveau travail dans une entreprise de menuiserie. Les horaires y sont bien meilleurs dit-il, seulement 70 heures par semaine).
  • Cet homme fabriquait d’ailleurs les coques en métal d’iPads chez Foxconn. Daisey lui montra son iPad. Il n’en avait jamais vu auparavant. Il le prit et joua avec. Il raconta trouver cela « magique ».

Il convient cependant de rappeler que les usines du Shenzhen, aussi infernales soient-elles, ont été une bénédiction pour le peuple chinois. C’est ce que dit l’économiste libéral Paul Krugman. C’est ce que dit Nicholas Kristof, chroniqueur au New York Times. Les ancêtres de la femme de Kristof sont originaires d’un village proche de Shenzhen. Il sait donc de quoi il parle. Pour Kristof, les « malheurs » de l’usine valent toujours mieux que les « malheurs » des rizières.

Donc, de ce point de vue, Apple aide à transférer de l’argent de riches consommateurs américains et européens vers des pauvres travailleurs de Chine. Sans Foxconn et les autres usines d’assemblage, les travailleurs chinois seraient encore en train de travailler dans des rizières, gagnant 50$ par mois au lieu de 250. (C’est l’estimation de Kristof. En 2010, selon Reuters, les employés de Foxconn ont obtenu une augmentation totalisant 298$ par mois, soit 10$ par jour, soit moins d’un dollar par heure.) Avec cet argent, ils s’en sortent bien mieux qu’autrefois. En particulier les femmes, qui ont peu d’autres possibilités.

Mais, bien sûr, la raison pour laquelle Apple assemble ses iPhones et ses iPads en Chine au lieu des États-Unis, c’est que l’assemblage ici ou en Europe coûterait cher, bien plus cher – même compte-tenu des frais d’expédition et de transport. Et cela coûterait beaucoup, beaucoup plus parce qu’aux États-Unis et en Europe, nous avons établi des conditions de travail et de salaire minimales acceptables pour les travailleurs.

Foxconn, inutile de le préciser, n’essaye absolument pas de tendre vers ces conditions minimales.

Si Apple avait décidé de fabriquer les iPhones et les iPads pour les Américains en utilisant les conditions de travail américaines, deux choses pourraient arriver :

  • Le prix des iPhones et des iPads augmenterait
  • Les marges de profit d’Apple diminueraient

Aucun de ces éléments ne serait bénéfique à un consommateur américain ou à un actionnaire d’Apple. Mais ils pourraient ne pas être si terribles que ça non plus. Contrairement à certains fabricants d’électronique, les marges de profit sont si élevées qu’elles pourraient beaucoup baisser et rester tout de même élevées. Et certains utilisateurs américains auraient probablement meilleure conscience si on leur disait que ces produits ont été construits dans les conditions de travail de leur propre pays.

En d’autres termes, Apple pourrait certainement se permettre de respecter des conditions de travail américaines pour fabriquer ses iPhones et iPads, sans pour autant détruire son modèle économique.

On peut alors raisonnablement se demander pourquoi Apple a choisi ici de ne PAS faire ainsi.

(Ce n’est pas qu’Apple soit la seule entreprise qui ait choisi de contourner la législation du travail et les coûts de la main d’œuvre américaine, bien sûr – presque toutes les entreprises industrielles qui veulent survivre, ou tout simplement se développer, doivent abaisser les normes et leurs coûts de productions en faisant fabriquer leurs produits ailleurs.)

Au final les iPhones et les iPads coûtent ce qu’ils coûtent parce qu’ils sont fabriqués selon des conditions de travail qui seraient illégales dans notre pays – parce que les gens de notre pays considèrent ces pratiques comme scandaleusement abusives.

Ce n’est pas un jugement de valeur. C’est un fait.

La prochaine fois que vous vous saisirez de votre iPhone ou de votre iPad, pensez un peu à tout cela.

Notes

[1] Crédit photo : Aaron Shumaker (Creative Commons By-Nd)




Le matériel libre à l’aube d’une nouvelle ère de l’innovation

Le logiciel libre a été un moteur de l’innovation de ces dix dernières années, permettant à de petites structures, telle que Google à ses débuts, d’émerger en investissant à moindre coût. Suivant son sillage, il en ira de même avec la matériel libre pour la prochaine décennie[1].

Telle est l’hypothèse de Joi Ito, actuel directeur du MIT Media Lab et qui possède l’un des plus beaux CV d’Internet.

Windell Oskay - CC by

Joi Ito : le matériel open source est une évidence

Joi Ito: Open-source hardware is a no brainer

Barb Darrow – 11 janvier 2012 – GigaOM
(Traduction Framalang/Twitter : Goofy, FredB, Albahtaar, Luc, Ipos, Antistress)

Le matériel libre est sur les rails, et il va nourrir une nouvelle ère d’innovation, si on en croit Joichi « Joi » Ito, directeur du MIT Media Lab.

Selon Ito, l’émergence de plans de matériels disponibles librement et de composants quasi-libres va propulser l’innovation technologique, comme a pu le faire le logiciel libre il y a une dizaine d’années.

« Si vous voulez fabriquer une caméra, un jour vous pourrez vous procurer toutes les pièces standard, les plans seront accessibles gratuitement en ligne et vous n’aurez qu’à concevoir les seules parties du produit qui vous intéressent » a déclaré Ito au cours de discussions dans le cadre de MITX à Cambridge (Massachussets).

Les développeurs pourront concentrer leur attention sur la partie la plus importante du matériel qu’ils construiront à partir de cette base standard, tout comme les développeurs de logiciels écrivent des logiciels spécialisés qui tournent sur Linux et le middleware open source plutôt que sur des systèmes d’exploitation propriétaires Unix ou Windows ou que sur les plateformes applicatives Weblogic d’Oracle ou Websphere d’IBM.

L’industrie a débuté les discussions autour du matériel libre grâce à la fondation Open Compute qui se concentre sur les serveurs des centres de traitement des données. Ito évoque des applications bien plus larges.

Ito a cité la naissance de Google comme exemple de créativité rendue possible par le logiciel libre. Si les cofondateurs de Google, Sergey Brin et Larry Page, avaient débuté sans l’open source, ils auraient dû dépenser des sommes considérables en systèmes d’exploitation et autres logiciels commerciaux pour pouvoir faire ce qu’ils ont fait, explique-t-il. Mais grâce à l’open source, « tout ce qu’ils ont eu à faire c’est d’écrire un petit programme et le connecter au réseau universitaire, tout ça pour quelques milliers de dollars ».

L’avènement du logiciel libre a divisé par dix les coûts d’entrée des sociétés éditrices de logiciels, provoquant « l’explosion de l’innovation dans la vallée parce que vous pouviez tout essayer » précise-t-il.

De la même manière, l’adoption du modèle open source réduira les coûts de conception du matériel car les entreprises n’auront pas à consacrer autant d’argent à l’équipement. Elles pourront télécharger les plans des matériels pour les construire elles-mêmes ou pour en sous-traiter la fabrication.

Les économies vont pousser les innovations matérielles « dans les petites et moyennes entreprises, dans les laboratoires académiques et dans les garages, » déclare Ito.

Les avancées de l’impression 3D vont également faciliter et faire baisser pour les entreprises les plus petites le coût de création de prototypes à partir de leurs plans , supprimant ainsi un autre obstacle.

Ito indique que « l’idée d’imprimer des gadgets n’est pas si loin… pas autant que vous le pensez, ».

Tout cela signifie que des sociétés plus petites qui innovent peuvent subvenir à leurs besoins tout en restant petites. « Les investisseurs en capital risque pouvaient sournoisement faire remarquer au sujet d’un produit que ça ne suffisait pas à faire une entreprise. Les produits et les entreprises devaient habituellement être imposants, comme AOL. Mais vous pouvez aujourd’hui avoir de très petites sociétés spécialisées. »

Et c’est dans les petites entreprises, a-t-il dit, que l’innovation se développe.

Notes

[1] Crédit photo : Windell Oskay (Creative Commons By)




Le prix à payer de la gratuité de Facebook ? Notre Internet défiguré par la publicité !

Karrie Nodalo - CC byLes utilisateurs de Facebook veulent le beurre et l’argent du beurre. Non seulement ils exigent la gratuité totale du service mais en plus ils poussent des cris d’orfraie dès que Facebook a l’outrecuidance de lorgner sur leurs données personnelles.

La question de savoir comment un site qui avoisine le milliard d’utilisateurs fait pour se maintenir, se développer et gagner des sous ne les effleure même pas.

Le problème c’est que, là encore, nous ne sommes pas dans le monde des Bisounours. Et la gratuité affichée au grand jour s’accompagne inévitablement, tôt ou tard, par de la publicité.

Une publicité pas toujours assumée qui s’accapare alors plus ou moins pernicieusement nos informations, ce que l’on résume souvent ainsi : « si vous ne payez pas pour le produit, c’est que vous êtes le produit ». Une publicité qui représente la principale source de revenus de ces services gratuits, acquérant par là-même un pouvoir qui tend à dénaturer Internet.

Les idiots utiles que nous sommes n’avons que ce que nous méritons.

Le couple gratuité/publicité, potentiellement mortifère pour le Net, tel est donc le thème de la traduction du jour[1].

La solution prônée par l’auteur de l’article ci-dessous serait de revenir à un système plus sain qui consiste à payer pour le service, sachant qu’avec les effets d’échelle une somme infime serait demandée (pour faire tourner Facebook, rien de plus que le prix d’un café par an). Facebook, Gmail, Twitter… ce serait légitime pourtant vu le temps que nous passons dessus au quotidien.

Raisonnement logique mais complexe voire naïf car la gratuité est devenue plus qu’une (mauvaise) habitude, ce serait presque un dû. Et malheur à la startup qui proposerait dès le départ son service Web payant.

Sauf bien sûr si l’on choisit l’option Libre.

Lorsque Jimmy Wales lance son appel pour la campagne de dons Wkipédia, il insiste justement sur le fait qu’il est important de préserver le site de la publicité.

On notera en passant qu’environ 0,1% des visiteurs de l’encyclopédie la soutiennent financièrement. C’est ridicule et ça en dit long sur la prégnance du gratuit dans les pratiques du Web. Mais cela suffit pourtant pour collecter plusieurs millions d’euros et faire vivre le projet.

Libre ne veut décidément pas dire gratuit…

Le toujours tout gratuit : quand les pubs Facebook nous dévoilent le triste état de l’Internet

Everything for free, always: how Facebook ads show us the sad state of the Internet

Rian van der Merwe – 26 décembre 2011 – Elezea – CC By-Nc-Sa
(Traduction Framalang : Clochix, Goofy, Don Rico et Martin)

Je n’aime pas les sources anonymes, mais ce billet d’« un ancien DSI qui a été informé de la stratégie publicitaire de Facebook » a retenu l’attention de beaucoup de gens la semaine dernière. Ce paragraphe se détache particulièrement :

Ce que la plupart des utilisateurs ignorent, c’est que les nouvelles fonctionnalités introduites ont toutes pour mission d’augmenter la valeur de Facebook pour les annonceurs, au point que des représentants de Facebook ont promu l’idée que la nouvelle Timeline consiste en fait à redéfinir les utilisateurs selon leurs préférences de consommateurs, ou comme ils disent, « les marques constituent maintenant une partie essentielle de l’identité des gens ».

Brent Simmons a émis une réponse lapidaire à cette dernière formule : « À gerber »

Je suis d’accord.

Et John Gruber a mis un lien vers une page créée par Facebook pour expliquer comment ils gagnent de l’argent. Facebook déclare ainsi que faire tourner et maintenir son site coûte désormais plus d’un milliard de dollars par an. Une coquette somme, c’est sûr. Mais c’est vraiment une honte que la publicité soit le seul et unique moyen valable qu’ait trouvé Facebook pour payer l’addition.

Facebook se targue de compter plus de huit cent millions d’utilisateurs actifs, et que « plus de la moitié d’entre eux se connectent sur Facebook chaque jour ». À titre d’exemple, supposons qu’environ cinq cent millions d’utilisateurs consultent Facebook tous les jours. Si chacun d’eux payait Facebook deux dollars par an, le chriffre d’affaires couvrirait le coût de maintenance du site. Si l’on passait à trois dollars par an, soit 25 cents par mois, on atteindrait d’un coup un revenu d’un milliard et demi de dollars par an (soit à peu près cinq cents millions de dollars de bénéfices, selon les estimations que fait Facebook de ses coûts de fonctionnement). Soyons tout à fait clair : il ne s’agit que du prix d’un café par an.

C’est malheureusement un raisonnement naïf, car cela ne se produira jamais. La plupart des utilisateurs ne sont en effet pas disposés à payer pour les services et les contenus d’Internet. Ils veulent, pour ne pas dire exigent, la gratuité tout en demandant aux entreprises et aux Marques™ de se tenir à distance de leur vie privée et de leurs données confidentielles. Ce n’est pas un souhait réaliste : si personne ne veut payer pour quoi que ce soit, il faut bien se rattraper ailleurs. Mais rares sont ceux qui y réfléchissent assez pour en avoir conscience.

Un article publié récement sur le blog Pinboard m’a vraiment interpellé, et vu comme il s’est répandu sur Twitter, je sais qu’il a touché une corde sensible chez beaucoup d’autres. Voici ce que dit cet article, intitulé « Ne soyez pas un utilisateur gratuit » :

Que faire si un site que vous appréciez n’a pas de modèle économique ? Gueulez sur les développeurs ! Expliquez-leur que vous êtes fatigués des bons projets qui ferment, et que vous voulez payer en monnaie sonnante et trébuchante pour éviter que ça arrive à leur site. Pas besoin de facturer un prix prohibitif par utilisateur pour qu’un projet ne soit pas déficitaire. Il suffit d’une somme supérieure à zéro.

Dans le cas de Facebook, cette « somme supérieure à zéro » s’élève à 3$ par an (avais-je précisé que c’était par an ?). Mais les utilisateurs non geeks ne se posent pas ces questions. Ils ne pensent pas aux concepteurs et aux développeurs qui créent les applications et ont besoin d’une rétribution financière pour que le service continue à vivre. Payer 99 cents pour un jeu iPhone, c’est déjà trop . Ils piquent une crise chaque fois que Facebook modifie quelque chose, ignorant toujours totalement qu’ils ne sont pas les clients de Facebook, mais seulement le produit que Facebook vend aux annonceurs. Tout ce qui les intéresse, c’est d’avoir leur Facebook gratuit pour envoyer des messages à leurs amis en vue de préparer la fête du lendemain. « Payer pour ça ? Et puis quoi encore ? Je sais pas comment vous maintenez le site en ligne, et je m’en contrefiche. Ah, au fait. Je vous prierai de respecter ma vie privée, et je ne veux pas voir l’ombre d’une pub. » Tel est leur discours.

C’est à s’arracher les cheveux.

Je crains que nous nous soyons enfermés dans ce modèle gratuit et que le seul moyen d’en sortir soit de vendre nos identités aux Marques™. Steve Jobs y a fait allusion lorsqu’il négociait avec le New York Times et refusait de leur donner accès aux informations des utilisateurs. D’après sa biographie, il aurait déclaré :

Si cela ne vous convient pas, ne passez pas par nous. Ce n’est pas moi qui vous ai mis dans ce pétrin. C’est vous qui avez passé les cinq dernières années à filer votre journal en ligne gratos sans collecter la moindre carte de crédit.

C’est nous qui avons créé cette culture. C’est nous qui, au cours de la dernière décennie, avons mis en ligne des tonnes de choses accessibles gratuitement, sans demander à quiconque sa carte de crédit. Nous avons conditionné les utilisateurs au fait que tout devrait toujours être gratuit. Ce qui a donné aux annonceurs la haute main sur toutes les négociations, parce qu’ils savent parfaitement qu’ils sont le seul moyen pour la plupart des sites de gagner de l’argent.

Pourquoi est-ce si important ? De la publicité contextuelle pertinente, ça n’est pas mal, n’est-ce pas ? Pas même avec modération, non (cf The Deck ). Parce que quand la pub devient le seul moyen de s’en sortir et que ce sont les annonceurs qui dictent leur loi, alors ce sont toujours les utilisateurs qui en pâtissent. C’est une question de principe, je crois fermement qu’il vaut mieux payer directement les créateurs plutôt qu’à travers un mécanisme pernicieux alambiqué de publicités.

On ne peut pas vraiment en vouloir à Facebook d’avoir choisi la voie de moindre résistance. C’est celle que nous lui avons ouverte par la culture que nous avons engendrée. Mais je continue d’espérer que les nouveaux services feront payer pour ce qu’ils offrent. Et de commencer alors lentement à définir nos identités sans que les Marques™ essaient de nous dire qui nous sommes.

Notes

[1] Crédit photo : Karrie Nodalo (Creative Commons By)




Don’t panic, un indie capitalisme à visage humain est en train de voir le jour !

Paul Stein - CC by-saAttention billet miné et sujet à polémiques !

Il constate, avec optimisme, qu’un nouveau capitalisme se met lentement mais sûrement en place, en prenant appui sur des exemples qui font le lien entre les fab labs et les indignés. Il stipule donc aussi tacitement au passage que ce n’est pas le capitalisme qui est un problème en soi mais ses dérives actuelles[1].

Il l’appelle « indie capitalism », un peu comme la musique indépendante coexiste avec celle des Majors.

Il s’agit d’une traduction d’un article de Bruce Nussbaum et c’est évidemment très américain dans le fond comme dans la forme. D’après lui, « ce nouveau système n’est pas fait que de start-ups et de capital-risqueurs, il est construit sur une communauté de créateurs ».

Désolé mais pour les partisans des lendemains qui chantent mais ce sera une réforme et non une révolution 😉

4 raisons pour lesquelles le futur du capitalisme sera fait maison, à petite échelle et indépendant.

4 Reasons Why The Future Of Capitalism Is Homegrown, Small Scale, And Independent

Bruce Nussbaum – 6 décembre 2011 – FatCoDesign.com
(Traduction Framalang / Twitter : JoKoT3, Kull, Lolo le 13, Ambidoxe et DonRico)

Ce nouveau système, d’après Bruce Nussbaum, n’est pas fait que de start-ups et de capital-risqueurs. Il est construit sur une communauté de créateurs.

On ne vous apprendra rien à ce sujet dans les écoles de commerce, on ne vous en parlera pas à Wall Street, vous ne verrez rien de semblable à Palo Alto (Ndt : Palo Alto est considérée comme le berceau de la Silicon Valley). Mais si vous passez du temps à Bushwick, à Brooklyn, ou dans Rivington Street à Manhattan, il est possible que vous distinguiez les contours d’un indie capitalism (NdT: capitalisme indé) émergeant. Dans cette nouvelle forme de capitalisme, il n’est pas seulement question de start-ups, de technologie et de capital-risqueurs. Si l’on assemble toutes les tendances de fond qui apparaissent en ce moment, je pense que l’on entrevoit le début d’un phénomène original, et potentiellement formidable. Il se pourrait bien que l’on tienne là l’antidote économique et social au capitalisme financier qui a échoué et au capitalisme népotique qui ne dégage désormais plus de valeur économique en terme d’emploi, de salaire et d’impôts pour les Américains.

L‘indie capitalism est local, pas mondial, il se préoccupe de la communauté et des emplois, et annonce la couleur dès le départ. Des personnes visibles, que l’on peut rencontrer, fabriquent localement des produits de qualité. L’accent mis sur le local fait de l‘indie capitalism un mode de production intrinsèquement durable – si l’énergie est économisée, c’est le résultat d’un mode de vie, pas le fruit d’un effort pour atteindre un but précis et difficile.

L‘indie capitalism n’est pas transactionnel, mais social. Social au sens plus personnel que l’internet social et les amis par milliers. Prenons l’exemple de Kickstarter, où les internautes subventionnent de la musique, des livres et des produits dont ils peuvent suivre le développement. Dans ce modèle, consommateur, investisseur, public, fan, contributeur et producteur se confondent. Ils se procurent et préparent leur nourriture de la même manière qu’ils se procurent et préparent leur musique. Ensuite, ils partagent le tout.

Avant de chercher à vendre, les gens créent. L‘indie capitalism est d’abord un système économique de fabricants établi sur la création de valeur, et non sur l’échange d’une valeur existante. Il englobe toutes les composantes de la culture de la fabrication personnelle – nourriture, musique indé, fabrication maison, artisanat, fabrication numérique 3D, bio-hacking, conception d’applications, modélisation assistée par ordinateur, robotique, bricolage. La fabrication personnelle n’est pas une représentation exceptionnelle jouée par quelques-uns, mais un numéro répétitif auquel tout un chacun contribue. La création et l’utilisation d’outils participent d’une existence pleine de sens. Les outils passent alors d’une présence rituelle à une utilité quotidienne. Avoir de bons outils et créer de grandes choses commencent à remplacer la consommation comme une fin en soi. Wieden + Kennedy (NdT : agence de publicité américaine) a compris cela avec sa publicité pour Chrysler. « Imported from Detroit » (NdT : Importé de Detroit) marque un changement de sensibilité vers le « local ». Le slogan « The Things We Make, Make Us » (NdT : Ce que nous créons nous définit) de Jeep s’accorde à la nouvelle culture créative. « Depuis toujours, nous sommes une nation de bâtisseurs. D’artisans, hommes et femmes, pour qui les coutures droites et les soudures propres sont source de fierté personnelle… Ceci, notre dernière progéniture, a été imaginée, dessinée, sculptée, estampée, taillée et forgée ici en Amérique ».

Dan Provost, qui avec Tom Gerhardt a lancé son projet Glif (un pied d’appareil-photo pour iPhone) sur Kickstarter, résume parfaitement cette nouvelle perspective : « Ce qui nous a énormément plus à Tom et moi à propos du succès de ce projet, c’est sa simplicité inhérente : nous sommes juste deux amis qui avons créé un produit que les gens veulent acheter, et nous le leur vendons. Pas d’intermédiaire, pas de grosses sociétés, pas de capital-risque, pas d’investissements. Je pense qu’au dela de Glif, les gens aiment connaître la provenance de ce qu’ils achètent, et l’histoire qui se cache derrière la fabrication. »

Autre caractéristique de l‘indie capitalism : accorder un sens plus important aux matériaux et aux produits. Il est important de fabriquer moins, mais de meilleure qualité et plus utile. On valorise la réutilisation et le partage de produits de qualité. La sensation que procurent les objets, qu’il s’agisse des produits Apple, des jeans Levi’s vintage, ou des robes de belle facture (mais non griffées), est importante. La notion de marque tout entière est renversée dans l‘indie capitalism, remplacée par l’environnement communautaire de création d’un produit ou d’un service. Dans bien des cas, c’est l’authenticité qui devient la « marque ».

Il y a quelque temps, le visionnaire Paulo Saffo prédisait une nouvelle « économie des créateurs » qui remplacerait les économies industrielles et consuméristes. Ce terme me plaît, mais préfère celui d‘indie capitalism, parce qu’il définit mieux le contexte social et les valeurs de cette nouvelle économie. Je pense qu’il est suffisamment différent de la culture start-up, entrepreneuriale, de Standford et de la Silicon Valley, pour avoir droit à son propre terme. Celui-ci sonne plus 21e siècle, alors que start-up rappelle le 20e siècle. Il est plus social que technologique, plus centré sur l’artiste/le concepteur que sur l’ingénierie. J’aime particulièrement le mot indie car la scène musicale indépendante reflète de nombreuses structures sociales et distributives de cette forme émergente de capitalisme. Ce n’est pas par hasard que Portland et New York accueillent une scène musicale indé très dynamique et soient aussi les centres de l’émergence d’un nouvel indie capitalism.

Occupy Wall Street est le mouvement le plus puissant de ces dernières décennies, et sa remise en question des fondations du capitalisme mondial des grosses multinationales arrive au moment où les commentateurs traditionnels mettent en doute l’efficacité et la légitimité de notre système économique. La Harvard Business Review publie une série d’articles qui critique le capitalisme financier. Foreign Affairs dénonce le paradoxe entre les énormes bénéfices des entreprises et la destruction d’emplois dont souffrent les États-Unis. Même les journalistes financiers des chaînes de télévision évoquent publiquement l’échec de Wall Street à s’acquitter de la tâche qui lui incombe traditionnellement, à savoir financer la création d’entreprise. Et que l’on soit adepte du Tea Party ou partisan du mouvement Occupy, on entend les pleurs du capitalisme népotique.

Qu’en pensez-vous ?

Notes

[1] Crédit photo : Paul Stein (Creative Commons By-Sa)




L’industrie du Copyright – Un siècle de mensonge

Jonathan Powell - CC byDepuis plus d’un siècle les chiens du copyright aboient, la caravane qui transporte la création passe…

Piano mécanique, gramophone, radio, film parlant, télévision, photocopieuse, cassette audio, mp3, internet… à chaque fois qu’est apparu une nouvelle technologie, elle a drainé inévitablement avec elle sa cohorte de réactionnaires hostiles[1].

C’est alors toujours la même rengaine : on brandit la menace de la mort du message alors qu’il ne s’agit que de la mort des messagers qui profitaient du système précédent et qu’il y aura toujours des auteurs de messages.

Une nouvelle traduction de notre ami Rick Falkvinge qui rend optimiste quant à l’issue du combat actuel.

L’industrie du Copyright – Un siècle de mensonge

The Copyright Industry – A Century Of Deceit

Rick Falkvinge – 27 novembre 2011 – Torrent Freak
(Traduction Framalang / Twitter : Kamui57, Yoha, Goofy, Jean-Fred, e-Jim et FredB)

On dit qu’il faut étudier l’Histoire pour ne pas être condamné à répéter les erreurs du passé. L’industrie du copyright a ainsi appris qu’elle pouvait profiter de sa position de monopole et de rentière à chaque apparition d’une nouvelle technologie, simplement en se plaignant assez fort auprès des législateurs.

Ces cent dernières années ont vu l’apparition de nombreuses avancées techniques en matière de diffusion, de duplication et de transmission de la culture. Mais cela a également induit en erreur les législateurs, qui tentent de protéger l’ancien au détriment du nouveau, simplement parce que le premier se plaint. D’abord, jetons un œil à ce que l’industrie du copyright a tenté d’interdire, ou du moins taxer au seul motif de son existence.

Cela a commencé vers 1905, lorsque le piano mécanique est devenu populaire. Les vendeurs de partitions de musique ont affirmé que ce serait la fin de l’art s’ils ne pouvaient plus gagner leur vie en étant l’intermédiaire entre les compositeurs et le public, alors ils ont demandé l’interdiction du piano mécanique. Une célébre lettre de 1906 affirme que le gramophone et le piano mécanique seraient la fin de l’art, et de fait, la fin d’un monde vivant et musical.

Dans les années 1920, alors que la radiodiffusion émergeait, une industrie concurrente demanda son interdiction car elle rognait ses bénéfices. Les ventes de disques ont chuté de 75 millions de dollars en 1929 à 5 millions seulement 4 ans plus tard — une chute bien plus forte que ce que connaît actuellement l’industrie du disque. (à noter que la chute des bénéfices coïncide avec la crise de 1929) L’industrie du copyright a attaqué en justice les stations radio, et les entreprises de collecte ont commencé à récolter une part des bénéfices des stations sous couvert de frais de diffusion. Des lois ont proposé d’immuniser le nouveau médium de diffusion qu’était la radio contre les propriétaires des droits d’auteur, mais elles n’ont pas été votées.

Dans les années 1930, les films muets ont été supplantés par les films avec des pistes audio. Chaque cinéma employait jusque-là un orchestre pour jouer la musique accompagnant les films muets ; désormais, ceux-ci étaient au chômage. Il est possible que cela fût le pire développement technologique pour les musiciens et interprètes professionnels. Leurs syndicats demandèrent des emplois garantis pour ces musiciens, sous différentes formes.

Dans les années 1940, l’industrie du cinéma s’est plainte de ce que la télévision entraînerait la mort du cinéma, alors que les recettes de l’industrie cinématographique avaient plongé de 120 millions de dollars à 31 millions en cinq ans. Une citation célèbre : « Pourquoi payer pour aller voir un film lorsque vous pouvez le regarder gratuitement chez vous ? »

En 1972, l’industrie du copyright a tenté d’interdire la photocopieuse. Cette campagne venait des éditeurs de livres et magazines. « Le jour n’est peut-être pas loin où personne n’aura à acheter de livres. »

Les années 1970 ont vu l’arrivée de la cassette audio, et c’est à cette période que l’industrie du copyright s’est acharnée à revendiquer son dû. Des publicités scandant « L’enregistrement maison tue la musique ! » étaient diffusées partout. Le groupe Dead Kennedys est connu pour y avoir répondu en changeant subtilement le message en « L’enregistrement maison tue les profits de l’industrie musicale », et « Nous laissons cette face (de la cassette) vierge, pour que vous puissiez aider.»

Les années 1970 ont également été un autre tournant majeur, où les DJ et haut-parleurs ont commencé à prendre la place des orchestres de danse. Les syndicats et l’industrie du copyright sont devenus fous furieux et ont suggéré une « taxe disco » qui serait imposée aux lieux qui diffusent de la musique disco enregistrée, pour être collectée par des organisations privées sous mandat gouvernemental et redistribuées aux orchestres. Cela fait rire de bon cœur de nos jours, mais les rires tournent court lorsqu’on apprend que la taxe disco a réellement été créée, et existe toujours.

Les années 1980 sont un chapitre singulier avec l’apparition des enregistreurs sur cassettes. Depuis cette période, la célèbre citation du plus haut représentant de l’industrie du copyright prononcée au Congrès des États-Unis d’Amérique « Le magnétoscope est aux producteurs et au public américain ce que l’Étrangleur de Boston est à la femme seule au foyer » est entrée dans la légende. Malgré tout, il faut garder à l’esprit que l’affaire Sony-Betamax est allée jusqu’à la Cour suprème des Etats-Unis, et que le magnétoscope n’a jamais été aussi proche d’être écrasé par l’industrie du copyright : l’équipe du Betamax a gagné l’affaire par 5 votes à 4.

Toujours à la fin des années 1980, nous avons assisté au flop complet de la Digital Audio Tape (DAT), principalement parce que l’industrie du copyright a été autorisée à orienter la conception en faveur de ses intérêts. Cette cassette, bien que techniquement supérieure à la cassette audio analogique, empêchait délibérément la copie de musique, à un point tel que le grand public la rejeta en bloc. C’est un exemple de technologie que l’industrie du copyright a réussi à tuer, bien que je doute que cela ait été intentionnel : on a simplement exaucé leurs vœux sur le fonctionnement du matériel afin de ne pas perturber le statu-quo.

En 1994, la Fraunhofer-Gesellschaft publia un prototype d’implémentation de sa technique de codage numérique qui devait révolutionner l’audio numérique. Elle rendait possible des fichiers audio de qualité CD n’occupant qu’un dixième de cet espace, ce qui était très apprécié à cette époque où un disque dur typique ne faisait que quelques gigaoctets. Connu sous le nom technique de MPEG-1 Audio Layer III, il a rapidement été connu sous le nom de « MP3 » dans la vie courante. L’industrie du copyright s’est encore plainte, le qualifiant de technologie ne pouvant être utilisée qu’à des fins criminelles. Le premier lecteur de MP3 à succès, le Diamond Rio, a vu le jour en 1998. Il avait 32 mégaoctets de mémoire. Malgré des bonnes ventes, l’industrie du copyright a attaqué son créateur, Diamond Multimedia, jusqu’à l’oubli : alors que le procès était invalidé, l’entreprise ne s’est pas remise du fardeau de sa défense. Les avocats de ces industries ont agressivement tenté d’obtenir l’interdiction des lecteurs MP3.

À la fin du siècle, les apôtres du copyright firent pression en faveur d’une nouvelle loi aux États-Unis, le Digital Millennium Copyright Act (DMCA), qui aurait tué Internet et les média sociaux en introduisant la responsabilité de l’intermédiaire — tuant dans l’œuf les réseaux sociaux. C’est seulement avec de gros efforts que l’industrie technologique a évité le désastre en introduisant une « responsabilité amoindrie » qui protège les hébergeurs à condition que ceux-ci dénoncent les utilisateurs finaux sur demande. Internet et les media sociaux ont échappé de très peu au massacre opéré par l’industrie du copyright, et n’en sont pas encore pleinement remis.

Juste après le début du nouveau siècle, l’utilisation des enregistreurs numériques était considérée comme du vol car elle permettait d’éviter les coupures publicitaires (comme si personne ne faisait cela avant).

En 2003, l’industrie du copyright a tenté de s’immiscer dans le design de la HDTV, avec un « broadcast flag » (littéralement « marqueur de diffusion ») qui aurait rendu illégale la fabrication de matériel capable de copier des films ainsi marqués. Aux États-Unis, la FCC (« Federal Communications Commission » ? « Commission fédérale des communications ») a miraculeusement accédé à cette demande, mais le projet a été réduit en cendres par les juges, qui ont déclaré qu’elle avait outrepassé ses prérogatives.

Ce que nous avons là, c’est un siècle de mensonges, un siècle qui met au grand jour la culture interne propre à l’industrie du copyright. Chaque fois qu’une nouveauté est apparue, l’industrie du copyright a appris à pleurer comme un bébé affamé, et a presque à chaque fois réussi à faire en sorte que le législateur dirige vers elle l’argent du contribuable ou restreigne les industries concurrentes. Et à chaque fois que l’industrie du copyright réussit à le faire, ce comportement s’en est trouvé encore renforcé.

Il est plus que temps que l’industrie du copyright perde ses privilèges, chacune des redevances qu’elles perçoit et qu’elle soit expulsée de son nid douillet pour se mettre au boulot et apprendre à opérer sur un marché libre et équitable.

Notes

[1] Crédit photo : Jonathan Powell (Creative Commons By)




L’Islande, la crise, la révolution et moi

Laurent Gauthier - CC byL’article que nous vous proposons traduit aujourd’hui est hors-sujet par rapport à ce que nous publions habituellement. Il est de plus sujet à caution car certainement un peu simpliste voire angélique dans son propos et ses arguments.

Il n’empêche qu’il a été aussitôt retweeté cet été par Naomi Klein : « #Iceland is proving that it is possible to resist the Shock Doctrine, and refuse to pay for the bankers crisis ».

Il n’empêche surtout qu’il s’est passé des choses intéressantes en Islande depuis la crise monétaire de 2008. Et il est étonnant de constater le peu d’entrain de nos grands médias pour en parler, alors que c’est nous que la crise frappe désormais de plein fouet.

En agissant en conséquence, peut-on dire symboliquement « non à la Banque, oui à la Démocratie ! » comme on dirait « non au Logiciel Propriétaire, oui au Logiciel Libre ! » ou encore « non à l’Hadopi, oui au Partage ! » ?

Il fallait oser cette dernière phrase ! J’ai osé, en cherchant (désespérément) le lien avec la ligne éditoriale du Framablog 🙂

Une oppression, suivie de tentatives de libération témoignant qu’il est possible de s’engager dans une autre direction. Ce que nous dit l’Islande[1] ici c’est qu’il n’y a pas forcément une fatalité à subir les logique de la finance mondiale et qu’on peut rebondir en impliquant les citoyens.

Ou alors continuons à laisser les experts travailler, ces gens sérieux qui eux seuls savent ce qui est bon pour nous…

Pour en savoir plus (rapidement) sur ce projet de nouvelle « Constitution collaborative », on pourra voir ce reportage glané sur YouTube et parcourir ce récent billet beaucoup plus pragmatique que romantique d’Owni. N’oublions pas non plus que l’Islande se trouve à la pointe des expérimentation sur la liberté d’expression à l’ère d’Internet.

Et pour une critique directe de l’article ci-dessous, on pourra lire A Deconstruction of “Iceland’s On-going Revolution”.

La révolution en marche de l’Islande

Iceland’s On-going Revolution

Deena Stryker – 1 août 2011 – Daily Kos
(Traduction Framalang : Lolo le 13, Goofy, Pandark et Yonnel)

Un reportage à la radio italienne à propos de la révolution en cours en Islande est un exemple frappant du peu d’intérêt de nos médias pour le reste du monde. Les Américains se rappeleront peut-être qu’au début de la crise financière de 2008, l’Islande a littéralement fait banqueroute. Les raisons ont été indiquées seulement en passant, et depuis, ce membre peu connu de l’Espace économique européen est retourné aux oubliettes de l’info.

Alors même que l’un après l’autre chaque pays européen tombe ou risque de tomber, mettant en péril l’euro, avec des répercussions dans le monde entier, la dernière chose que les puissants souhaitent est que l’Islande devienne un exemple. Voici pourquoi.

Cinq ans de régime néo-libéral strict avaient fait de l’Islande (dont la population compte 320 000 habitants, et qui n’a pas d’armée) un des pays les plus riches au monde. En 2003 toutes les banques du pays furent privatisées, et dans un effort pour attirer les investisseurs étrangers, elles ont proposé des services en ligne dont le faible coût permettait d’offrir des taux de rendement relativement élevés. Les comptes titres, appelés IceSave, attiraient énormément de petits épargnants anglais et néerlandais. mais à mesure que les investissements croissaient, la dette extérieure des banques augmentait aussi. En 2003 la dette de l’Islande équivalait à 200 fois son PNB, et en 2007, elle était de 900%. La crise financière mondiale de 2008 fut le coup de grâce. Les trois principales banques islandaises, Landbanki, Kapthing and Glitnir, se retrouvèrent sur la paille et furent nationalisées, pendant que la couronne islandaise perdait 85% de sa valeur par rapport à l’euro. À la fin de l’année l’Islande se déclara en banqueroute.

Contrairement à ce qu’on pouvait imaginer, la crise finit par permettre aux Islandais de retrouver leurs droits souverains, grâce à un processus de démocratie participative directe qui aboutit à une nouvelle constitution. Mais ce ne fut pas sans mal.

Geir Haarde, le premier ministre de la coalition gouvernementale social-démocrate, négocia un prêt de deux millions cent mille dollars, auquel les pays scandinaves ajoutèrent deux autres millions et demi. Mais les marchés financiers firent pression sur l’Islande pour lui imposer des mesures drastiques. Le FMI et l’Union européenne voulaient récupérer sa dette, prétendant que c’était la seule façon pour le pays de rembourser les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, qui avaient promis de rembourser leurs citoyens.

Les manifestations et les émeutes continuèrent, et finirent par contraindre le gouvernement à démissionner. Des élections anticipées eurent lieu en avril 2009, portant au pouvoir une coalition de gauche qui condamnait le système économique néolibéral, mais qui posa comme exigence immédiate que l’Islande devrait rembourser un montant de trois millions et demi d’euros. Ce qui revenait à demander à chaque citoyen islandais la somme de 100 euros par mois pendant quinze ans, à un taux de 5,5%, pour rembourser une dette contractée par des sociétés privées auprès d’autres acteurs privés. C’était la goutte d’eau qui fit déborder le vase.

Ce qui s’ensuivit fut extraordinaire. On croyait que les citoyens devaient payer pour les erreurs des monopoles financiers, et qu’une nation tout entière devait subir des impôts pour rembourser des dettes privées, mais ce mythe vola en éclats. Cela changea complètement la relation entre les citoyens et leurs institutions politiques et en définitive les dirigeants islandais se retrouvèrent du côté de leurs électeurs. Le chef d’État, Olafur Ragnar Grimsson, refusa de ratifier le décret qui aurait rendu les citoyens islandais responsables des dettes des banques, et il accepta de recourir à un référendum.

Bien sûr, la communauté internationale ne fit qu’augmenter la pression sur l’Islande. La Grande-Bretagne et la Hollande la menacèrent d’affreuses représailles qui isoleraient le pays. Alors que les Islandais allaient voter, les banquiers étrangers menacèrent de bloquer toute aide du FMI. Le gouvernement britannique menaça de geler l’épargne et les comptes courants islandais. Comme l’a dit Grimsson : « On nous avait dit que si nous refusions les conditions de la communauté internationale, nous deviendrions le Cuba du Nord. Mais si nous avions accepté, nous serions devenu le Haïti du Nord » (combien de fois ai-je écrit que les Cubains se considèrent chanceux en voyant l’état de leur voisin Haïti).

Au référendum de mars 2010, il y eut 93% des votes contre le remboursement de la dette. Le FMI gela immédiatement son prêt. Mais la révolution (bien que non télévisée aux États-Unis) ne saurait être intimidée. Avec le soutien des citoyens furieux, le gouvernement lança une procédure civile et pénale contre les responsables de la crise financière. Interpol lança un mandat d’arrêt international contre l’ex-président de Kaupthing, Sigurdur Einarsson, alors que les autres banquiers impliqués dans le krach fuyaient le pays.

Mais les Islandais ne s’arrêtèrent pas là : ils décidèrent de jeter les bases d’une nouvelle constitution qui libèrerait le pays du pouvoir outrancier de la finance internationale et de l’argent virtuel (la constitution en vigueur datait de l’époque où l’Islande avait acquis son indépendance vis-à-vis du Danemark, en 1918, et la seule différence avec la constitution danoise était que le mot « président » remplaçait le mot « roi »).

Pour écrire la nouvelle constitution, les Islandais élirent 25 citoyens parmi 522 adultes qui n’appartenaient à aucun parti mais étaient recommandés par au moins 30 citoyens. Ce document n’était pas le travail d’une poignée de politiciens, mais fut écrit sur Internet. Les réunions de la constituante sont diffusées en streaming et des citoyens peuvent envoyer leurs commentaires et suggestions, assistant à l’élaboration du document pas à pas. La constitution qui émergera finalement de ce procédé démocratique participatif sera soumise à l’approbation du parlement après les prochaines éléctions.

Certains lecteurs se souviendront que l’effondrement de l’économie agraire de l’Islande au neuvième siècle était détaillée dans le livre de Jared Diamond du même nom. Aujourd’hui, ce pays se relève de son effondrement financier par des moyens diamétralement opposés à ceux que l’on considère généralement inévitables, comme l’a confirmé hier la nouvelle présidente du FMI Christine Lagarde à Fareed Zakaria. On a dit au peuple grec que la privatisation de son secteur public était la seule solution. Et les peuples d’Italie, d’Espagne et du Portugal doivent faire face à la même menace.

Ils devraient jeter un coup d’œil du côté de l’Islande. En refusant de courber l’échine face aux intérêts étrangers, ce petit pays a fait savoir haut et fort que ce sont les peuples qui commandent.

Voilà pourquoi on n’en entend plus parler aux infos.

Notes

[1] Crédit photo : Laurent Gauthier (Creative Commons By)




Le produit « Don » vaut vingt mille euros sur la boutique EnVenteLibre !

Don à Framasoft - EnVenteLibreInitiée par Framasoft en partenariat avec Ubuntu-fr, la boutique en ligne EnVenteLibre vole désormais de ses propres ailes et poursuit tranquillement son bonhomme de chemin (en accueillant depuis peu des articles de l’April et de La Mouette).

Entre les CD, clés, tee-shirts, peluches, livres et autres affiches, il existe un produit un peu particulier qui s’appelle « Don à Framasoft » ou « Don à Ubuntu-fr ».

Concrètement lorsque le visiteur fait ses achats dans la boutique, il peut, comme n’importe quel autre article, ajouter dans son panier le produit « Don », en fixant le montant de la donation qui par défaut est à un euro.

Rien n’oblige le client à acheter ce drôle de produit fantoche. Il se trouve pourtant que depuis l’ouverture de la boutique un client sur quatre en fait l’acquisition pour un don moyen d’un peu moins de dix euros. Et c’est ainsi que près de vingt mille euros ont déjà été distribués aux associations Framasoft et Ubuntu-fr.

Nous tenions à pointer ici l’originalité du procédé et à témoigner de la générosité de ces étranges clients qui, contrairement à toute bonne logique marchande, acceptent ici de payer plus pour le même service 🙂