Geektionnerd : e-G8
Le e-G8 vient de s’achever et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a laissé un sentiment mitigé.
Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)
Le e-G8 vient de s’achever et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a laissé un sentiment mitigé.
Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)
« Un certain nombre de forces convergentes vont faire passer la fabrication personnelle, ou autofabrication, du statut de technologie marginale utilisée par les seuls pionniers et passionnés à un outil quotidien pour le consommateur et l’entreprise lambda.
Dans quelques années, on trouvera des technologies de fabrication dans les petites entreprises et établissements scolaires.
Dans dix ou vingt ans, tous les foyers et bureaux posséderont leur machine d’autofabrication.
Dans une génération, on sera bien en peine d’expliquer à ses petits-enfants comment on a pu vivre sans son autofabricateur, et qu’on devait commander des biens préfabriqués en ligne et attendre qu’ils nous arrivent dans notre boîte au lettre livrés par la Poste. »
Cette citation qui claque est extraite d’un passionnant rapport américain d’une centaine de pages sur l’émergence de la fabrication personnelle.
Commandé par l’Office of Science and Technology Policy américain, on y expose clairement de quoi il s’agit tout en proposant d’importantes recommandations pour encourager et accompagner le mouvement.
Vous en trouverez le résumé et les principales recommandations traduits ci-dessous[1].
On ne s’étonnera pas de constater que l’accent est avant tout mis sur l’éducation, en relation avec les futurs petite entreprises qui immanquablement sortiront des garages des fab labs pour proposer localement leurs services et redessiner une économie plus humaine[2].
Certains nous reprochent notre idéalisme ou notre irréalisme, mais, telle l’impression 3D qui n’est qu’un élément du mouvement, comment ne pas voir ici l’un des plus grands espoirs d’un avenir incertain ?
Et pendant ce temps-là en France me direz-vous ? Vu comment l’Éducation nationale méprise superbement le logiciel libre et sa culture depuis plus d’une décennie, ce n’est pas demain la veille qu’on rédigera une telle étude et qu’on verra arriver des laboratoires de fabrication personnelle dans nos établissements scolaires. Quitte à prendre encore plus de retard sur le véritable train du futur et du progrès.
Pour en savoir plus sur le sujet, InternetActu est un excellent point de départ : Les enjeux de la fabrication personnelle, La prochaine révolution ? Faites-là vous-mêmes !, FabLabs : refabriquer le monde, Makers (1/2) : Faire société, Makers (2/2) : Refabriquer la société.
Factory@Home : The Emerging Economy of Personnal Manufacturing
Hod Lipson & Melba Kurman – décembre 2010 – OSTP
(Traduction Framalang : Lolo le 13 et Yonnel)
Ce rapport souligne l’émergence des technologies de fabrication personnelle, décrit leur potentiel économique, leurs bénéfices sociaux et recommande des mesures que le gouvernement devrait prendre en considération pour développer leur potentiel.
Les machines de fabrication personnelle, parfois appelées « fabber », sont les descendantes des grandes machines de production de masse des usines, mais de taille minuscule et à faible coût. Ces machines à fabriquer à l’échelle individuelle utilisent les mêmes méthodes de fabrication que leurs ancêtres industrielles mais sont plus petites, meilleur marché et plus faciles à utiliser.
Les machines à la taille du foyer telles que les imprimantes 3D, les découpeuses laser et les machines à coudre programmables, combinées avec plan conçu sur ordinateur (en CAO), permettraient aux gens de produire des produits fonctionnels à la maison, sur demande, en appuyant simplement sur un bouton. En quelques heures, ces mini-usines pourront fabriquer un objet simple comme une brosse à dents, reproduire des pièces d’une machine complexe, créer des bijoux comme un artisan ou réaliser des ustensiles ménagers. En quelques années, les machines de fabrication personnelle pourraient être suffisamment sophistiquées pour permettre à n’importe qui de fabriquer des objets complexes tels que des appareils avec de l’électronique intégrée.
Un certain nombre de forces convergentes sont en train d’amener la conception et la production industrielles à un point critique où elles deviendront peu chères, fiables, faciles et suffisamment versatiles pour une utilisation personnelle.
L’adoption des technologies de fabrication personnelle est accelérée par les machines à bas coût, les communautés d’utilisateurs sur Internet, des logiciels de Conception Assistée par Ordinateur (CAO) d’usage plus aisé, un nombre grandissant de plans de CAO disponibles en ligne et des matières premières de plus en plus accessibles.
Les technologies de fabrication individuelle auront un impact profond sur notre façon de concevoir, fabriquer, transporter et consommer les produits physiques. En suivant le même chemin que l’ordinateur devenu personnel, les technologies de fabrication passeront de l’usine à la maison. Ces outils de production personnalisés permettront aux consommateurs, aux écoles et aux entreprises de travailler et de jouer différemment.
Ces technologies de fabrication naissantes introduiront une évolution industrielle qui réunira le meilleur de la production de masse et de la production artisanale, avec le potentiel d’inverser en partie le mouvement de délocalisation.
Les technologies de fabrication personnelle feront émerger des marchés mondiaux pour des produits personnalisés (sur le modèle de la longue traîne), dont les volumes de vente seront assez rentables pour faire vivre des entreprises spécialisées (fabrication de niche,design…). Les communautés mal desservies ou isolées géographiquement auront la possibilité de concevoir et fabriquer localement leurs propres matériel médical, jouets, pièces mécaniques et autres outils, en utilisant les matériaux présents sur place.
À l’école, les outils de fabrication à petite échelle encourageront une nouvelle génération d’innovateurs et cultiveront l’intéret des élèves pour les cours de sciences, de technologie, d’ingéniérie et de mathématiques.
Nombre d’obstacles qui découragent leur généralisation à la maison, à l’école et dans les entreprises se trouvent sur le chemin de l’adoption par le grand nombre des technologies de fabrication personnelle.
Un obstacle majeur est le classique paradoxe de l’œuf et de la poule : les marchés actuels pour les technologies de fabrication personnelles à destination des consommateurs et de l’enseignement sont trop petits pour attirer l’attention d’entreprises, ce qui décourage les investissements dans la création de produits et de services qui donc ne parviennent pas à attirer plus de consommateurs.
Les autres barrières sont les questions de sécurité, les défis de la standardisation des pièces et des contrôles de versions, les problèmes de propriété intellectuelle et un manque de contrôles adaptés sur la sécurité et la réglementation.
Il y a plus de trente ans, notre nation a conduit le mouvement de la révolution de l’informatique personnelle. Aujourd’hui, nous devons nous assurer que nous conduirons le mouvement de la révolution de la fabrication personnelle. Des investissements gouvernementaux réfléchis et visionnaires sont nécessaires pour garantir que les États-Unis resteront compétitifs dans l’ère de la fabrication personnelle et tireront les bénéfices potentiels des technologies de la fabrication personnelle.
Ce rapport recommande les actions suivantes :
1. Créer un laboratoire de fabrication personnelle dans chaque école.
2. Former les enseignants aux technologies de conception et de fabrication en relation avec les matières scientifiques et technologiques.
3. Créer des cursus scolaires de grande qualité avec des modules optionnels de fabrication.
4. Inclure la conception et la fabrication dans les cours de soutien après l’école.
5. Allouer des ressources publiques afin d’initier les entreprises locales à la production numérique en partenariat avec les établissements scolaires locaux.
6. Encourager la publication des spécifications matérielles.
7. Développer les formats de fichiers ouverts pour les plans de CAO.
8. Créer une base de données de fichiers CAO utilisés par les pouvoirs publics.
9. Imposer la publication des sources/de la géométrie pour les ressources gouvernementales publiques.
10. Mettre en place un « Programme de Recherche et d’Innovation Individuelle » pour les entrepreneurs du DIY (Do It Yourself).
11. Donner la priorité lors d’appels d’offres aux entreprises qui utilisent la fabrication personnelle.
12. Établir un « bouclier anti-propriété intellectuelle » pour les agrégateurs et les producteurs ponctuels.
13. Explorer les microbrevets comme une unité de propriété intellectuelle plus petite, plus simple et plus agile.
14. Revisiter les réglementations sur la sécurité pour les produits fabriqués individuellement.
15. Introduire une définition plus granulaire d’une « petite » entreprise industrielle.
16. Encourager la création de Fab Labs.
17. Les avantages fiscaux accordés aux « entreprises propres » devraient également concerner les entreprises de fabrication personnelle.
18. Accorder des réductions d’impôts sur les matières premières aux entreprises de fabrication personnelle.
19. Financer une étude du Département d’éducation sur la fabrication personnelle dans les matières scientifiques et technologiques.
20. Renforcer la connaissance et l’apprentissage sur la conception de produit.
[1] Dans l’idéal nous souhaiterions traduire l’intégralité du rapport, s’il y a des volontaires qu’ils n’hésitent pas à se manifester via le formulaire de contact.
[2] Crédit photo : Fluid Forms (Creative Commons By)
En février dernier nous mettions en ligne un extrait du film Patent Absurdity où Richard Stallman prenait appui sur la musique pour illustrer les dangers d’une dérive des brevets.
Au départ, il s’agissait de protéger et développer l’innovation, mais aujourd’hui, à force d’avoir laissé breveter un peu tout et n’importe quoi, on ne peut que constater la stricte inversion des rôles. Et ceci est particulièrement vrai dans le domaine des brevets logiciels[1].
Il va falloir continuer à faire pression sur le politique pour qu’il cesse de démissionner face à l’économique, sinon c’est bien un monde bloqué et sous contrôle que l’avenir nous réserve…
Chris – 28 mars 2011 – StormDriver.com
(Traduction Framalang : Brandelune)
Start-ups in the maze of software patents
Vous est-il déjà venu à l’idée de breveter une fenêtre popup, un système de sondages en ligne, un tableau de score pour jeu en réseau ou un système d’ouverture d’application en cliquant une icône ? J’ai de mauvaises nouvelles pour vous, c’est impossible. Non parce que les revendications sont stupides, mais parce que ces systèmes sont déjà brevetés (voir ici, ici, ici et ici).
Et tout ça est très rigolo jusqu’au jour où vous vous trouvez dans le rôle d’une start-up informatique à galérer dans le long tunnel des brevets logiciels qui va vousun mener de la station Tout Est Super à la station Prend Toi Le Mur.
Les débats sur le système des brevets logiciels vont et viennent, prennent parfois de l’ampleur lors de brèves controverses quand deux géants se mettent à se jeter leurs brevets au visage lors de batailles rangées en public. On en fait des films (et vous devriez vraiment voir celui-ci), on en écrit des articles et le public a petit à petit appris à considérer ces brevets comme quelque chose qui fait partie du paysage, comme la guerre des navigateurs ou le lancement de nouvelles machines. En apparence, rien ne change.
Malheureusement, les brevets ont une propriété qui semble avoir échappé à tout le monde : ils se multiplient. Et ils le font avec une rapidité qui surprendrait nos plus chauds lapins comme ce tableau vous le démontre.
Si vous développez une application et que vous souhaitez le faire en toute légalité, je vais vous décevoir. Il est strictement impossible que vous puissiez créer quoi que ce soit qui ne soit pas en violation d’au moins un brevet existant puisqu’ils vous interdisent désormais d’utiliser la plupart des techniques de base. Il est même probable que vous avez déjà violé une douzaine de brevets tout simplement en pensant à votre application. Chaque jour, le Bureau américain des brevets publie près de 3000 nouveaux brevets, une grande partie d’entre eux étant à portée excessive, génériques ou tout simplement ridicules. Une grande partie de ces brevets ont créé des labyrinthes légaux où il est impossible de trouver son chemin même pour les entreprises qui emploient des armées de clones génétiquements modifiés de super-avocats. Il vous suffit de regarder la tempête de papiers qui souffle devant le nez de l’Android de Google.
La vie d’un dévelopeur de start-up n’est même plus une course à l’aveuglette à travers un champ de mines, parce que même les yeux fermés, vous avez au moins une chance de traverser un champ de mines sain et sauf.
Le problème vient du fait que la plupart des brevets logiciels attribués sont sans intérêt. Par exemple, Amazon a réussi à obtenir un brevet pour une caisse d’achat en-ligne qui est violé par pratiquement tous les magasins en-ligne du monde. Une petite entreprise possède un brevet pour créer un fichier unique à partir de plusieurs fichiers source. Aussi bien WinZip que WinRAR violent ce brevet sans doute possible. Il existe même un brevet pour des réponses courriel automatiques, son propriétaire a fait un procès à AOL, Amazon, Yahoo et de nombreux autres.
Les acteurs importants sur le marché du logiciel contournent ce problème en s’autorisant réciproquement l’utilisation de leurs brevets. C’est leur seul moyen de fonctionner. Par exemple, Microsoft a dû « emprunter » des brevets pour de nombreuses parties de l’interface homme-machine de Windows ou de son code. Mais ces autorisations réciproques créent d’autres problèmes car quand il s’agit des conditions d’utilisation de leurs paquets de brevets, les entreprise sont particulierement ingénieuses. Les accords brevets de Microsoft interdisent aux autres entreprises d’utiliser une forme quelconque du noyau Linux à moins qu’elles payent Microsoft pour quelque chose que Microsoft n’a pas créé et qui est de fait un logiciel libre.
Laissez-moi vous donner un example clair de ce qui ne va pas avec le système actuel de brevets. Microsoft est un géant du brevet : il en possède 17258 valables alors qu’il n’a développé aucune inovation logicielle significative dans toute son histoire, n’hésitez pas à consulter cette liste très intéressante.
Mais ce n’a pas toujours été comme ça. Il y a longtemps, au début de l’âge des technologies de l’information, il n’était pas possible de breveter un algorithme. Depuis, les entreprises ont découvert qu’elles pouvaient faire passer leur brevet en substituant au terme « algorithme » les termes « système et méthode » ou en brevetant un ordinateur qui exécute l’algorithme, une manière sournoise de donner la forme d’une invention à un morceau de code trivial. Elles ont aussi appris à déposer leurs brevets là où les juges fédéraux sont connus pour laisser passer n’importe quelle revendication. Petit à petit, les digues qui nous protégeaient des mauvais brevets ont été rompues.
La meilleure analogie pour ces brevets sauvages est la création musicale. Un programme informatique et une composition musicale partagent de nombreuses similarités. Ils reflètent tous deux des lois fondamentales et mathématiques. Ils sont tous deux créés à partir de blocs de base qui peuvent être combinés de certaines manières. S’il est possible de breveter une fenêtre pop-up ou un algorithme de vérification de boîte à lettres alors pourquoi ne serait-il pas possible de breveter des crescendos, tremolos et autres combinaisons de notes ? S’il est possible de breveter des « systèmes et méthodes » pour créer un tableau de score, pourquoi pas un brevet de « systèmes et méthodes » pour créer un morceau de rock ?
Imaginez un monde où Elvis ne pourrait pas jouer à cause d’un brevet Rock and Roll possédé par Jackie Brenston, un monde où Eric Clapton aurait été condamné à la non-existence par la Fondation pour l’héritage de Lonnie Mack, un monde où Iron Maiden n’existerait pas parce que Black Sabbath n’aurait pas autorisé l’utilisation du brevet pour le Heavy Metal.
Dans le monde des brevets, il ne peut y avoir qu’une idée. Bien souvent, la meilleure implémentation d’une idée n’est pas celle qui est apparue la première. J’en ai déjà parlé plus haut. Avant Facebook il y a eu quantité de réseaux sociaux qui n’ont pas pris. Le problème c’est que dans quelques années, un début à la Zuckerberg ne sera plus possible à cause de la multiplication infinie des brevets.
Retournons à notre start-up. Il est clair que quoi que vous fassiez, vous allez violer la propriété intellectuelle de quelqu’un. Dans l’idéal, avant même de commencer à travailler, vous devriez déposer quelques brevets à portée excessive pour avoir des munitions pendant les batailles de paperasses que vous allez avoir à mener. Et même avec ça, soyez prêt à affronter vague sur vague de trolls à brevets. Il sera impossible de négocier une utilisation réciproque avec eux ou de les menacer de vos propres brevets, car ils ne produisent rien. Il vous sera impossible de négocier des accords raisonnables avec eux car ils vous demanderont des millions de dollars en compensation. Certains d’entre eux sont particulièrement vicieux, comme une certaine entreprise texane qui a finalement révélé un ancien brevet pour le géo-marquage et qui a porté plainte contre 397 entreprises différentes, y compris Google et Microsoft.
Même si vous avez une taille suffisante pour ne pas craindre ces trolls, des poissons plus gros vous attendent dans la mare. Un peu comme Unisys l’a fait à des entreprises qui utilisaient les formats TIFF ou GIF parce qu’ils utilisaient une méthode de compression brevetée par Unisys. Ou comme Yahoo l’a fait à Xfire pour permettre d’envoyer des messages à ses amis lorsqu’ils se connectent à un jeu en réseau, même si la plupart des jeux en ligne massivement multijoueurs font exactement la même chose sans payer un centime à Yahoo.
Alors, comme les start-ups peuvent-elles gérer cette situation ? Elle ne le font pas. Car le seul moyen d’avancer c’est d’ignorer l’existence du droit des brevets. Et il semble que ceci soit même recommandé par les experts de l’industrie. J’ai beau essayer de trouver une autre activité économique où le non respect de la loi fait partie du « business model » et à part une longue liste d’activités louches qui peuvent vous amener droit en prison, je ne trouve rien. À part écrire des logiciels.
Bien sûr, votre situation sera considérablement plus sûre si vous développez à l’étranger, dans des environnements plus libéraux mais cela ne fera que différer vos problèmes jusqu’au jour où vous passerez à l’international, parce qu’il ne faut pas se leurrer, la base utilisateur américaine est d’une importance clé pour la plupart des start-ups.
La morale de cette histoire est qu’après des années d’autorisation de brevets à portée excessive ou évidents, tout ce que qui peut vous passer par la tête est déjà breveté et tout ce que vous faites est très certainement illégal. La seule chose que vous puissiez espérer est que personne ne fera attention ou ne s’intéressera à votre application de start-up, ou que les trolls à brevet meurent sous les coups de ses propres armes – Haliburton a fait le premier pas vers un brevetage du trollage par brevet.
Vous pourriez probablement contribuer à la lutte en brevetant l’idée de breveter l’évident. Mais soyez rapide, parce que mon dépot est déjà parti en direction du Texas.
[1] Crédit photo : Opensourceway (Creative Commons By-Sa)
Le monde de plus en plus numérique qui se met en place présente le risque et le paradoxe de nous déposséder d’une part de nous-mêmes, celle qui laisse toujours plus de traces sur le réseau.
Dans un récent article publié par le New York Times, le professeur économiste Richard Thaler en appelle à plus de transparence quant à l’utilisation commerciale de nos données[1].
Mais il en appelle surtout à la possibilité de réutiliser nous-mêmes nos propres données, ce qui est loin d’être le cas actuellement.
Et la situation ne pourra évoluer que si les utilisateurs sont de plus en plus nombreux à prendre conscience du problème en mettant alors la pression sur les structures qui exploitent ces données.
Show Us the Data. (It’s Ours, After All.)
Richard Thaler – 23 avril 2011 – The New York Times
(Traduction Framalang : Goofy et Don Rico)
Nul ne sait mieux que moi ce que j’aime.
Cette affirmation peut passer pour une évidence, mais la révolution des technologies de l’information a généré une liste croissante d’exceptions. Votre épicier sait ce que vous aimez manger et peut probablement vous donner des conseils judicieux et appropriés sur d’autres aliments qui pourraient vous plaire. Votre opérateur téléphonique sait qui vous appelez, et votre téléphone sait où vous êtes allé. Quant à votre moteur de recherche, il peut anticiper vos désirs avant même que vous ayez achevé de les saisir au clavier.
Les entreprises accumulent des masses considérables d’informations sur ce qui vous plaît ou pas. Mais ce n’est pas seulement parce que vous êtes digne d’intérêt. Plus elles en savent sur vous, plus cela leur rapporte d’argent.
La récolte et la diffusion de ces informations soulève une quantité de problèmes de confidentialité, bien entendu, et un tandem de sénateurs des deux camps, John Kerry et John McCain, a proposé de les régler avec leur Commercial Privacy Bill of Rights (Ndt : Déclaration des Droits à la confidentialité dans le commerce). Protéger notre vie privée est important, mais la démarche des deux sénateurs fait l’impasse sur un problème plus important : elle n’inclut pas le droit d’accès à nos propres données personnelles. Non seulement nos données devraient être protégées, mais elles devraient aussi être disponibles pour que nous puissions les utiliser selon nos propres besoins. Après tout, ces données nous appartiennent.
Voici un principe de base : si une entreprise commerciale collecte électroniquement les données des utilisateurs, elle devrait leur fournir une version de ces informations facile à télécharger et à exporter vers un autre site Web. On peut résumer cette démarche ainsi : vous prêtez vos données à une entreprise, et vous en voudriez une copie pour votre usage personnel.
Le gouvernement de la Grande-Bretagne vient d’annoncer une initiative intitulée « mydata » qui va dans ce sens (j’ai travaillé comme consultant pour ce projet). Bien que les lois britanniques demandent déjà aux entreprises de donner à leurs clients des informations sur l’utilisation de ces données, le programme vise à fournir des données accessibles via un ordinateur. Pour commencer, le gouvernement travaille en concertation avec plusieurs grandes banques, les émetteurs de cartes de crédit, les opérateurs et revendeurs de téléphones mobiles.
Pour comprendre comment un tel programme pourrait améliorer la façon dont fonctionne le marché, songez par exemple à la façon dont vous choisissez un nouvel abonnement à un service de téléphonie mobile. Deux études ont démontré que les consommateurs pouvaient économiser plus de 300 dollars chaque année en souscrivant un abonnement mieux adapté. Mais pour cela, il faut être capable d’estimer ses besoins en termes de services : SMS, médias sociaux, musique en streaming, envoi de photos, etc.
Il se peut que vous ne soyez pas en mesure de traduire tout cela en mégaoctets, mais votre opérateur lui, en est capable. Bien que certaines informations soient déjà disponibles en ligne, elles ne se trouvent généralement pas encore disponibles dans un format exportable – vous ne pouvez pas les couper-coller facilement sur un autre site, un comparateur de prix par exemple – et elles ne se présentent pas de telle manière qu’il vous soit facile de calculer quel est le meilleur abonnement pour vous.
Si l’on suit la règle que je propose, votre opérateur vous donnerait accès à un fichier comprenant toutes les informations qu’il a récoltées depuis que vous avez un mobile, ainsi que toutes les factures en cours pour chacun des services que vous utilisez. Les données vous seraient remises dans un format utilisable par les créateurs d’applications, si bien que de nouveaux services pourraient voir le jour, proposant aux consommateurs des conseils pratiques (pensez à Expedia, par exemple). Ainsi, ce cercle vertueux créerait des emplois pour ceux qui ne rêvent que de lancer ce genre de nouveaux sites Web.
Avant de se plaindre qu’il est difficile de se soumettre à une telle règle, les entreprises devraient jeter un coup d’œil à une initiative du gouvernement fédéral appelée Blue Button. Cette procédure déjà en vigueur offre aux anciens combattants et bénéficiaires de Medicare (NdT : programme de sécurité sociale pour personnes âgées) la possibilité de transmettre leur dossier médical à un organisme de confiance (le nom « Blue Button » fait allusion au bouton bleu sur lequel peut cliquer l’utilisateur qui désire récupérer ses données).
L’initiative Blue Button se répand déjà dans les applications du secteur privé. Northrop Grumman a développé une application pour smartphone qui permet aux anciens combattants d’accéder à leur dossier médical et de recevoir sur leur téléphone des conseils de santé pour être en bonne forme. HealthVault, un site Microsoft pour l’organisation de ses soins de santé, permet également aux utilisateurs de Blue Button d’y rechercher leurs informations médicales. La possibilité d’accéder à ces différents types de services pourrait sauver des vies en cas d’urgence.
Si le gouvernement est capable de collecter et restituer des informations confidentielles de manière sécurisée et utile, les entreprises privées peuvent en faire autant, ce qui donnera davantage de chances aux consommateurs d’être des clients plus avisés.
Revenons à l’exemple des smartphones. Une fois que le propriétaire d’un téléphone fournit ses informations personnelles à des sites Web tiers, ceux-ci (BillShrink, par exemple) peuvent l’aiguiller vers les abonnements de meilleur rapport qualité/prix. Vous envisagez de changer votre téléphone ? Les sites tiers peuvent vous avertir si votre utilisation risque de s’accroître, en se basant sur l’expérience d’utilisateurs qui ont fait avant vous le même changement.
Si les données personnelles sont accompagnées d’informations détaillées sur les coûts, comme je l’écrivais dans mon dernier article, les consommateurs connaîtront mieux la façon dont ils utilisent vraiment les services, ainsi que leur coût réel. La tarification transparente, elle, donnera un avantage compétitif aux fournisseurs honnêtes et de qualité sur ceux qui ont des pratiques opaques. Ces éléments permettront une croissance économique saine.
Les applications possibles sont innombrables. Les supermarchés, par exemple, savent déjà qu’ils peuvent attirer plus de clients dans leurs clubs de consommateurs en offrant des réductions exclusives à ceux qui en font partie. Ce qui permet aux magasins de connaître les habitudes de consommation des clients et de cibler les bons de réduction d’après leurs achats. Les clients peuvent se désinscrire – mais alors ils perdront leurs réductions.
Exigeons donc que ce soit à double sens. Pourquoi ne pas vous donner, à vous consommateur, quelque chose en échange de votre participation ? Exigez du supermarché qu’il vous fournisse l’historique de vos achats. Il ne se passera pas longtemps avant qu’un entrepreneur astucieux ne vous concocte une application capable de vous indiquer des solutions de remplacement moins coûteuses et plus saines, qui seront aussi bonnes pour votre ligne que pour votre compte en banque. Les applications ne servent pas qu’à économiser de l’argent ; elles pourraient aussi avertir les clients souffrant d’allergies, par exemple, qu’ils achètent des aliments contenant des ingrédients auxquels ils sont sensibles, comme les arachides ou le gluten.
La capacité qu’ont les entreprises à surveiller notre comportement fait déjà partie de notre quotidien, et ce n’est qu’un début. Nous devons évidemment protéger notre droit à la confidentialité, mais si nous sommes malins, nous utiliserons également les données qui sont collectées pour améliorer notre existence.
J’espère que les entreprises américaines suivront l’exemple de leurs homologues britanniques et coopèreront au programme « mydata ». Sinon, nous exigerons des entreprises qu’elles nous indiquent ce qu’elles savent déjà sur nous. Pour paraphraser Moïse, demandons-leur : « laisse aller mes données, afin qu’elles me servent »
Richard H. Thaler est professeur d’économie et des sciences du comportement à l’école de commerce Booth de l’Université de Chicago.
[1] Crédit photo : Ernst Vikne (Creative Commons By-Sa)
Nous nous faisons régulièrement l’écho de la concurrence entre les navigateurs Mozilla Firefox et Google Chrome, et ce au sein même de la communauté du Libre.
Faites comme vous voulez mais ce petit rappel sur les réelles motivations de Google n’est pas inutile, car on comprend alors mieux pourquoi Google fournit tant d’efforts pour développer et faire connaître son navigateur[1].
Et nous sommes tout d’un coup bien loin du Mozilla Manifesto…
Why is Chrome so important to Google? It’s a ‘locked-in user’
Larry Dignan – 14 avril 2011 – ZDNet
(Traduction Framalang : Vincent, Don Rico et Goofy)
Au départ, le navigateur Chrome n’est apparu que comme un projet secondaire de plus pour l’entreprise Google. Bien sûr, c’est un navigateur rapide. Bien sûr, Google a engrangé d’impressionnantes parts de marché en un temps record. Et bien sûr Google a donné un coup de fouet au développement des navigateurs.
Mais l’importance véritable de Chrome – qui explique pourquoi Google fait un tel battage publicitaire pour son navigateur dans le monde entier –, se résume à la valeur du capital client (NdT : customer lifetime value) de l’utilisateur de Chrome.
Au cours d’une conférence de presse sur les revenus de l’entreprise, on a demandé au directeur financier Patrick Pichette quelle était l’importance de Chrome, et sa réponse est édifiante.
En fait, Chrome a deux aspects distincts. Côté pile c’est une arme tactique, côté face c’est une arme stratégique. Chrome bouscule vraiment le Web et il offre un avantage extraordinaire : dès qu’un internaute l’adopte, il accède directement à ses requêtes Google via la barre d’adresses au lieu d’avoir à trouver la barre de recherche. D’un point de vue stratégique, il est intégré dans le système d’exploitation Chrome OS. D’un point de vue tactique, nous avons la garantie que tous les utilisateurs de Chrome restent captifs du moteur de recherche Google.
Nikesh Arora, directeur commercial chez Google, a lui aussi donné son analyse du retour sur investissement du marketing de Chrome.
Nous avons plus de 120 millions d’utilisateurs quotidiens et 40% d’entre eux sont arrivés récemment après notre campagne de publicité. L’usage de Chrome a progressé de 30% d’un trimestre à l’autre. Je pense donc que la stratégie de Chrome est la bonne. Voilà comment nous diffusons Chrome : soit les gens l’adoptent d’eux-mêmes, soit ils le font suite à nos efforts de marketing, ou bien encore nous travaillons avec des partenaires qui nous aident à le promouvoir.
Dans ce contexte, nous avons donc estimé que la campagne marketing produit finalement un retour sur investissement bien meilleur que lorsque nous devons passer des accords de partenariat. Vous verrez un jour ou l’autre que les coûts d’acquisition du trafic et celui du marketing de Chrome sont interchangeables. Quand nous investissons dans le marketing de Chrome, c’est autant que nous n’avons pas à sortir pour le coût d’acquisition du trafic. Vous pouvez donc vous attendre à ce que nous continuions à mener cette stratégie pour Chrome parce qu’il ne s’agit pas seulement pour nous d’un avantage spécifique de Chrome, mais parce que nos autres produits liés à Chrome en bénéficient. Le temps consacré à Chrome par chaque utilisateur a donc pour nous une valeur phénoménale.
Si l’on extrait l’essentiel de ces commentaires, voici ce qu’on peut retenir de Chrome :
Au passage, Chrome permet aussi à Google de mieux faire respecter les standards des navigateurs, mais ce retour sur investissement semble décidément bien naïf comparé au profit que représente le temps de cerveau disponible de l’utilisateur de Chrome.
[1] Crédit photo : Elliott Brown (Creative Commons By-Sa)
En référence directe à ce billet du Framablog : Quand Calysto passe au lycée, les élèves se demandent s’il ne faut pas arrêter Internet !
Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)
Il est des billets que l’on n’aime pas avoir à publier. Celui-ci en fait clairement partie tant il m’irrite au plus haut point !
Il illustre malheureusement une nouvelle fois l’incapacité chronique de l’école à comprendre et former aux nouvelles technologies et aux enjeux de demain.
C’est donc l’histoire d’un lycée qui souhaite organiser une journée de sensibilisation sur le thème « Réseaux sociaux, gérer son identité numérique ». Louable intention s’il en est. Et l’on imagine fort bien que derrière ce titre se cache l’ombre de Facebook, devenu effectivement omniprésent chez les ados avec toutes les questions et conséquences que cela implique[1].
Soit, les enseignants ne sont pas tous des spécialistes du numérique, mais il doit bien y avoir dans une équipe pédagogique quelques compétences en la matière. Donc logiquement cela devrait pouvoir se préparer en interne. Mais non, on fait appel à une société privée.
Calysto se définit comme « une agence qui concentre son activité dans la maîtrise des enjeux liés aux usages de l’Internet et aux Technologies de l’Information et de la Communication ». Et, via son site TousConnectes.fr, elle propose aux établissements scolaires des journées d’information « dans le cadre de son partenariat avec le ministère de l’Education nationale ».
Voici la page de présentation de l’offre pour le lycée, sachant qu’il en coûtera à l’établissement (et donc au contribuable) 376 euros par jour. Elle commence ainsi : « Les lycéens se sont largement appropriés l’univers de l’Internet et du téléphone mobile dont les usages sont en constante évolution. S’ils en sont très souvent les prescripteurs, certaines notions leur échappent et nécessitent d’être approfondies. »
Calysto propose également de conférences pour les parents et se targue d’avoir déjà organisé plus de 230 conférences ayant touché plus de 22 000 adultes.
J’ai fait une rapide recherche Web et il semblerait que beaucoup établissements scolaires aient déjà fait appel aux services de Calysto, qui, il y a à peine une semaine, a même eu l’honneur d’un article dans le journal Sud Ouest. Extrait : « De nombreux contenus multimédias sont soumis à des droits d’auteur, la récente loi Hadopi a été mise en place pour les protéger (…) On peut retrouver n’importe quel internaute par son adresse IP ».
Cet extrait anxiogène n’est qu’un avant-goût de ce qui va suivre.
Calysto est passée tout dernièrement dans un lycée dont nous tairons le nom. C’est le témoignage édifiant d’un enseignant présent ce jour-là que nous vous proposons ci-dessous.
Parents vous pouvez dormir tranquille, la police de la pensée veille sur vos enfants ! Sauf que les enfants ne sont pas dupes, et leurs réactions radicales au sortir de la journée donnent paradoxalement espoir : « On fait quoi ? Il faut tout arrêter ? On ne va pas arrêter de vivre quand-même. Dans ce cas il faut interdire Internet ».
Quant à nous (nous Framasoft, mais aussi April, Quadrature, Wikipédia, etc.), il faut absolument que l’on s’organise pour proposer des journées alternatives, bénévoles et gratuites, afin d’opposer à un tel discours notre propre approche et culture du Net.
Par un enseignant, quelque part en France
À l’initiative des documentalistes et des CPE dans mon lycée se sont tenus des débats-conférences autour des dangers de l’internet et des réseaux sociaux. Ils ont fait appel à la société privée Calysto qui propose des solutions « clé en main ».
J’y ai assisté avec mes élèves de Seconde, et là je dois dire que j’ai été atterré.Le débat n’avait rien de participatif, l’intervenant faisait réagir les élèves avec des images chocs mais ne poussait pas la réflexion. Nous avons eu droit à une succession à un rythme effréné de faits divers et d’anecdotes. Le discours était très culpabilisant, ce qui est contre-productif avec les ados, « C’est interdit, c’est pas bien, vous n’avez pas lu les conditions d’utilisations, et oui, faut lire ».
Voici mon témoignage mais je dois préalablement dire que parmi mes collègues certains trouvaient d’une part que ça avait le mérite de lancer le débat et qu’il fallait donner une suite avec les profs, et que d’autre part tout le monde n’est pas spécialiste du sujet et qu’il faut passer par des simplifications et des abus de langage. Et qu’un discours policé de spécialiste n’aurait pas eu d’effet sur le public ado.
Lors de la conférence il y a des oppositions franches sur des faits précis. L’intervenant soutenait certains propos que je lui disais être faux. Il a insisté et à aucun moment n’a montré le moindre doute du genre « je ne suis plus sûr du chiffre exact, il faudrait vérifier ». J’ai du prouver mon point de vue sourcé a posteriori à mes collègues pour démontrer qu’il s’était manifestement trompé et qu’il a soutenu le contraire, quitte à me faire passer pour un incompétent.
Lui – Vous avez un compte Facebook par exemple ? Mains levées. Avez-vous lu les conditions d’utilisation ? Mains baissées. Eh oui faut lire !
Moi, me mettant dans la peau d’un élève – Mais encore ? Une fois qu’on l’a lu, on fait quoi s’il y a un truc qui nous gène ? On n’a pas le choix ?
Lui, véhément – Je ne peux vous laisser dire ça, on a toujours le choix, il faut lire les clauses c’est votre responsabilité, blabla…
C’était ma première intervention je ne pensais vraiment pas à mal, au contraire c’était pour lancer le débat.
Moi, dans mon idée faire émerger l’e-citoyen – Bien sûr mais ce que je veux dire, c’est s’il y a parfois des clauses abusives on fait quoi, les CLUF sont rédigés par des armées d’avocats qui se sont blindés ! N’est-ce pas à la loi, à nos députés, aux associations de consommateurs de nous protéger ?
(Et je ne parle même pas de class-action qu’on n’a pas en France.)
Lui, impatient ne voulant pas aller dans cette direction et voulant reprendre le fil de son intervention formatée et bien rodée – Non vous avez accepté c’est trop tard.
À partir de là il me suggère franchement de me taire, je lui réponds que j’ai été invité avec mes élèves et l’intitulé de l’invitation était Conférence, débat et échanges, là-dessus, il me mouche en me disant « oui, mais avec les élèves. » Je suis passablement énervé. J’ironise en disant que j’avais bien lu les CLUF pourtant.
Lui – L’Hadopi a faim, ils veulent rentrer dans leurs frais ça coûte cher, elle a condamné 75 000 internautes depuis le mois d’août.
Moi – Personne n’a été condamné, des mails d’avertissements ont été envoyés mais à ce jour aucun accès internet n’a été coupé !
Lui – Si il y a eu 75 000 condamnations et pas plus tard que …. il y a avait un jeune de 19 ans qui s’est fait coupé son accès.
Moi – Il y a eu 75 000 mails envoyés je vous l’accorde mais aucune coupure.
Lui – Nous avons les chiffres, mon collègue de Calysto va à l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) tout le temps alors…
Grosso-modo on sait mieux que vous.
À ce moment là j’abandonne vu la réaction d’un de mes collègues (mais c’est du détail les batailles de chiffres), au même moment un autre collègue avec son iPhone se connecte sur le site de l’Hadopi et me dit qu’il doit confondre condamnations et recommandations ! Effarant.
Là en se moquant de moi il me demande si je n’ai pas une pause à aller prendre.
On passe à des copies d’écrans de sites pro-ana, les images choquent et font réagir les élèves. Il demande le silence, les menace de ne plus laisser parler si ils sont aussi bruyants.
Un autre prof pose la question suite aux diapos concernant le streaming et le direct download, peut-on (les autorités) aller voir dans mon disque dur ?
Lui – Oui bien sûr !
Moi, me sentant obligé de réagir alors que je ne voulais plus – Non c’est faux, il faut l’avis d’un juge, la police ou la gendarmerie doit avoir une commision rogatoire pour examiner le contenu de votre ordinateur.
Lui – Et non monsieur c’est LOPPSI 2, vous n’avez pas lu dans le journal : Les dictateurs en rêvaient Sarkozy l’a fait ! ?
Moi, j’ai un doute j’avoue que je n’avais pas potassé la loi LOPPSI2 – La LOPPSI2 n’est pas encore entrée en vigueur, elle vient juste d’être votée, aucun décret d’application n’a été publié.
Lui poursuit sans tenir compte de ma réponse, alors dans la tête des élèves ça donne ceci : « la police, les gendarmes peuvent se connecter même de l’extérieur comme ils veulent à notre ordinateur et accéder à son contenu ».
Après avoir fait quelques recherches ils se trouve que la LOPPSI 2 est actuellement visée par le Conseil constitutionnel et sur Wikipédia (à vérifier) j’ai pu lire que : « La police, sur autorisation du juge des libertés, pourrait utiliser tout moyen (physiquement ou à distance) pour s’introduire dans des ordinateurs et en extraire des données dans diverses affaires, allant de crimes graves (pédophilie, meurtre, etc.) au trafic d’armes, de stupéfiants, au blanchiment d’argent, mais aussi au délit « d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée », sans le consentement des propriétaires des ordinateurs. »
Nos ados téléchargeurs illégaux seraient-ils des terroristes trafiquants de stupéfiants ?
Après ça, c’en était trop je suis sorti une dizaine de minutes de la salle, puis je suis revenu m’installer tout au fond pour ne plus rien dire jusqu’à la fin. Pendant ce temps on assistait à d’autre passes d’armes moins intenses avec un autre collègue.
Et bien surprise il y en avait un peu. C’était pas le top mais quand même. On a eu droit à une diapo sur les contenus Creative Commons, mais sans rentrer dans les détails. « Il existe des contenus libres de droits comme le portail Jamendo pour la musique. »
Lui – Jamendo où ce sont des artistes pas connus qui partagent le contenu, c’est financé par la pub.
Moi – On peut aussi donner pour soutenir un artiste qu’on aime… aller à ses concerts.
Lui – Oui c’est comme Grégoire, vous misez sur un artiste en espérant que…
j’ai voulu dire que MyMajorCompany et Jamendo ce n’était pas la même chose, mais je n’ai pu le confier qu’à mon voisin car il était déjà reparti sur un autre sujet.
On a vu aussi un slide sur le P2P avec trois contenus Batman_origin.avi, Firefox, Adobe Reader et il a demandé si c’était du piratage ? Oui pour Batman mais non pour Firefox et Acrobat Reader qui sont gratuits mais nous ne sommes pas rentrés dans les différences entre ces deux contenus « gratuits ».
Lui qui disait qu’il fallait absolument lire les CLUF pour savoir à quoi s’en tenir apparemment ne le savait pas. Et préalablement il a bien dit que l’outil P2P avait été conçu pour partager des fichiers et que ce sont certains utilisateurs qui s’en servent pour partager des contenus qui ne respectent pas le droit d’auteur.
Je pense vraiment que l’intervenant était un animateur commercial formé sur le sujet à la va-vite, utilisant des techniques de communication éprouvées : frapper les esprits, faire réagir (rires) puis engueuler méchamment, culpabiliser, provoquer un sentiment de honte (en invoquant par exemple la sexualité hésitante des ados), affirmer sa connaissance sans faille en invoquant des sources bétons mais invérifiables, et abuser des arguments d’autorité sans justifier leur raison d’être.
Le thème que nous voulions traiter était « Réseaux sociaux, gérer son identité numérique ». J’ai eu l’occasion de parler avec quelques élèves par la suite, ils sont sortis de là en se disant « On fait quoi ? Il faut tout arrêter ? On ne va pas arrêter de vivre quand-même. Dans ce cas il faut interdire Internet ».
Peut-être que c’est ce qui nous attend si ce genre d’idées simplistes continue à se diffuser.
Bientôt on aura le droit un avertissement du type : « Internet tue, provoque la dépendance, l’isolement ».
Et nous rajouterons : « et libère des peuples ».
[1] Crédit photo : Prakhar Amba (Creative Commons By)
Si l’économie est, dans son acception commune, l’activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l’échange et la consommation de biens et de services, alors le logiciel libre propose effectivement une organisation originale et alternative à l’économie informatique, le bien étant bien commun et le service véritablement au service de ses utilisateurs.
Il serait un peu rapide et hasardeux d’affirmer que la coopérative est à l’entreprise ce que le logiciel libre est au logiciel.
Il n’en demeure pas moins vrai que les deux mouvements présentent certaines similitudes, à commencer par celle de vouloir se protéger d’un monde qui perd son humanité en se reliant aux autres pour donner sens à son action[1].
Si vous voulez changer le monde, cela passe désormais bien moins par le politique que par l’économique. C’est pourquoi les tentatives pour faire sortie de l’ombre un autre possible en entreprise nous semblent si ce n’est à encourager tout du moins à diffuser et à débattre.
À la limite de la ligne éditoriale de ce blog, ce document de fin de colloque nous semble une bonne base de réflexion aussi bien pratique que théorique.
Déclaration du « Forum pour une autre économie »
Faite à Nîmes le 16 janvier 2011
La participation réelle des salariés à la gestion de leur entreprise est une exigence croissante dans la société moderne, pour combler le vide actuellement laissé par les actionnaires dormants à une oligarchie financière qui trop souvent ne gère plus que pour elle-même, sans plus prendre en compte les exigences de l’emploi et de la pérennité réelle des entreprises .
Dans les grandes entreprises, particulièrement celles qui sont cotées, cette oligarchie a imposé un partage de la valeur bien plus favorable au capital qu’au travail , tout particulièrement depuis vingt ans. Le travail et l’emploi, ne sont plus des valeurs mais des variables d’ajustement. Par ailleurs, beaucoup de TPE et les PME souffrent indirectement de cette financiarisation du fait de leur statut de sous-traitantes voire de partenaires de groupes plus importants. Il convient donc de promouvoir toutes les solutions institutionnelles susceptibles de rendre aux individus la maîtrise de leur destin économique.
Tel a été le sens du colloque de Nîmes des 15 et 16 janvier 2011. Notre société s’engage dans l’économie de la connaissance, de l’innovation, du développement durable. La constitution de sociétés de salariés, notamment sous forme de SCOP, est une voie particulièrement efficace pour que les chercheurs du secteur privé, mais aussi du secteur public , puissent développer eux-mêmes leurs créations et innovations, dans une structure participative égalitaire ; et, plus largement, pour que les porteurs de projets concrétisent ceux-ci grâce à une structure participative et rendue durable par son système de propriété à la fois privée et collective.
L’association des travailleurs pour gérer leur avenir commun dans une société dont ils sont les propriétaires, qu’elle soit d’ailleurs ou non de forme coopérative, est une résultante légitime de l’élévation du niveau moyen de savoir. Elle est aussi, à de nombreux égards, la meilleure posture face à un avenir que la mondialisation rend particulièrement aléatoire. Qui mieux que le collectif des salariés peut se soucier de l’avenir de l’entreprise en tant qu’équipe d’hommes et de femmes dont l’intérêt n’est pas d’abord commandé par la rémunération du capital ?
La forme de la Société coopérative de production – SCOP ou coopérative de salariés (l’idée d’Entreprise à Responsabilités et Résultats Partagés a été évoquée) est une solution dotée de trois caractéristiques : la démocratie dans le choix de la stratégie et des responsables, l’équité dans la répartition du résultat, et la pérennité de l’emploi, qui la rendent à la fois crédible et fiable aux yeux de ceux qui y produisent la valeur. Elle s’adapte régulièrement aux nouveaux défis. La Société coopérative d’intérêt collectif – SCIC, qui fait entrer dans la coopérative, différentes catégories de sociétaires à côté des salariés, est un exemple de cette adaptation récente, notamment pour les dynamiques territoriales.
Sur le plan du capital , les outils dont s’est doté le mouvement coopératif avec ESFIN, et sa filiale l’IDES, le fonds de capital-risque SPOT, la société SOCODEN pour les prêts participatifs, permettent de dire qu’existent aujourd’hui la plupart des outils financiers nécessaires pour créer et développer une SCOP. Abonder plus largement ces outils, notamment dans le cadre du « Grand emprunt pour l’économie du futur », serait une condition nécessaire d’un développement plus rapide et plus large de la forme SCOP. Une somme de 100 millions d’euros a déjà été prévue pour l’économie sociale. Elle est trop faible. L’augmenter et l’utiliser pour le développement des SCOP ne dépendent que d’une volonté politique .
Remettre en valeur et assouplir la loi sur le Titre Participatif est une autre priorité. Créer des Fonds Communs de Placement dédiés à l’Économie Sociale aussi.
Dans le même sens, le rachat par les salariés d’entreprises saines, c’est-à-dire avant toute phase critique de gestion, devrait être facilité . En premier lieu, par une intervention plus ample et plus rapide, du fonds souverain français de la Caisse des dépôts ; en second lieu, par la création, dans les entreprises qui doivent envisager leur transmission, d’une réserve de transmission dont la défiscalisation serait conditionnée par le seul fait que les acheteurs sont les salariés. Par ailleurs, la formule ESOP de rachat par les salariés à l’aide de crédits à très long terme, courante aux États-Unis, mérite d’être à nouveau analysée en détail en vue d’une transposition en France . Serait-il impensable aussi de commencer à solvabiliser les salariés, pour la constitution d’un capital, en dédiant une part de la cotisation d’assurance chômage payée pour chaque salarié à la création d’un compte ou livret individuel lui permettant de participer au rachat de son entreprise ou d’en créer une ?
Mais si des outils financiers à la création de SCOP ou à la reprise d’entreprises par les salariés, existent, d’autres conditions s’imposent pour leur développement et réussite.
Résumons les en disant qu’il s’agit de diffuser la culture de l’économie coopérative, « déverrouiller » l’image des SCOP auprès de l’opinion publique en en présentant la diversité des pratiques.
Il faut d’abord que le fonctionnement de l’entreprise soit enseigné, à tous et donc dès la classe de troisième, intégrant évidemment les formes coopératives. Les départements universitaires et les grandes écoles consacrées à l’économie coopérative doivent se multiplier . Les institutions fédérales et confédérales de l’économie sociale doivent offrir, dans le cadre de la formation continue , des enseignements valorisant les pratiques coopératives ; elles doivent aussi renforcer leur expertise et leurs moyens d’appui aux entreprises de l’économie sociale, en particulier pour accompagner les transmissions d’entreprises.
Les propositions qui précèdent n’excluent en rien la poursuite et le développement de l’actionnariat salarié et de la participation, mais ces dispositifs doivent atteindre un seuil d’efficacité pour peser d’un poids suffisant dans les Conseils des entreprises, afin d’infléchir vraiment la gestion. Ceci nécessite aussi l’organisation de formes nouvelles de gestion collective de cet actionnariat.
C’est dans ce contexte que le colloque a abouti à la création d’un Observatoire des alternatives économiques, non seulement dans ce domaine de l’intervention des salariés dans la gestion, mais beaucoup plus largement, dans tous ceux qui feront l’objet des colloques suivants du Forum pour une autre économie, durable, socialement intégratrice, civiquement engagée, écologiquement acceptable.
En 2011 et 2012, cet Observatoire[2] se donnera comme priorité l’analyse des programmes politiques exposés en vue des élections de 2012, et interpellera les formations politiques et divers candidats sur leurs propositions dans ce champ des alternatives économiques. Il ambitionne d’en mesurer la pertinence et d’en proposer l’enrichissement.
[1] Crédit photo : Ernst Vikne (Creative Commons By-Sa)
[2] il sera notamment piloté par Jean Matouk, Michel Porta, Thierry Jeantet.