Ouvrir le code des algorithmes ? — oui, mais… (2/2)

Voici le deuxième volet (si vous avez raté le premier) de l’enquête approfondie d’Hubert Guillaud sur l’exploration des algorithmes, et de son analyse  des enjeux qui en découlent.


Dans le code source de l’amplification algorithmique : que voulons-nous vraiment savoir ?

par Hubert GUILLAUD

Que voulons-nous vraiment savoir en enquêtant sur l’amplification algorithmique ? C’est justement l’enjeu du projet de recherche qu’Arvind Narayan mène au Knight Institute de l’université Columbia où il a ouvert un blog dédié et qui vient d’accueillir une grande conférence sur le sujet. Parler d’amplification permet de s’intéresser à toute la gamme des réponses qu’apportent les plateformes, allant de l’amélioration de la portée des discours à leur suppression, tout en se défiant d’une réduction binaire à la seule modération automatisée, entre ce qui doit être supprimé et ce qui ne doit pas l’être. Or, les phénomènes d’amplification ne sont pas sans effets de bord, qui vont bien au-delà de la seule désinformation, à l’image des effets très concrets qu’ont les influenceurs sur le commerce ou le tourisme. Le gros problème, pourtant, reste de pouvoir les étudier sans toujours y avoir accès.

Outre des analyses sur TikTok et les IA génératives, le blog recèle quelques trésors, notamment une monumentale synthèse qui fait le tour du sujet en expliquant les principes de fonctionnements des algorithmes (l’article est également très riche en liens et références, la synthèse que j’en propose y recourra assez peu).

Narayan rappelle que les plateformes disposent de très nombreux algorithmes entremêlés, mais ceux qui l’intéressent particulièrement sont les algorithmes de recommandation, ceux qui génèrent les flux, les contenus qui nous sont mis à disposition. Alors que les algorithmes de recherche sont limités par le terme recherché, les algorithmes de recommandation sont bien plus larges et donnent aux plateformes un contrôle bien plus grand sur ce qu’elles recommandent à un utilisateur.

La souscription, le réseau et l’algorithme

Pour Narayan, il y a 3 grands types de leviers de propagation : la souscription (ou abonnement), le réseau et l’algorithme. Dans le modèle par abonnement, le message atteint les personnes qui se sont abonnées à l’auteur du message. Dans le modèle de réseau, il se propage en cascade à travers le réseau tant que les utilisateurs qui le voient choisissent de le propager. Dans le modèle algorithmique, les utilisateurs ayant des intérêts similaires (tels que définis par l’algorithme sur la base de leurs engagements passés) sont représentés plus près les uns des autres. Plus les intérêts d’un utilisateur sont similaires à ceux définis, plus il est probable que le contenu lui sera recommandé.

À l’origine, les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter ne fonctionnaient qu’à l’abonnement : vous ne voyiez que les contenus des personnes auxquelles vous étiez abonnés et vous ne pouviez pas republier les messages des autres ! Dans le modèle de réseau, un utilisateur voit non seulement les messages créés par les personnes auxquelles il s’est abonné, mais aussi les messages que ces utilisateurs choisissent d’amplifier, ce qui crée la possibilité de cascades d’informations et de contenus “viraux”, comme c’était le cas de Twitter jusqu’en 2016, moment où le réseau introduisit le classement algorithmique. Dans le modèle algorithmique, la souscription est bien souvent minorée, le réseau amplifié mais surtout, le flux dépend principalement de ce que l’algorithme estime être le plus susceptible d’intéresser l’utilisateur. C’est ce que Cory Doctorow désigne comme « l’emmerdification  » de nos flux, le fait de traiter la liste des personnes auxquelles nous sommes abonnés comme des suggestions et non comme des commandes.

Le passage aux recommandations algorithmiques a toujours généré des contestations, notamment parce que, si dans les modèles d’abonnement et de réseau, les créateurs peuvent se concentrer sur la construction de leur réseau, dans le « modèle algorithmique, cela ne sert à rien, car le nombre d’abonnés n’a rien à voir avec la performance des messages » (mais comme nous sommes dans des mélanges entre les trois modèles, le nombre d’abonnés a encore un peu voire beaucoup d’influence dans l’amplification). Dans le modèle algorithmique, l’audience de chaque message est optimisée de manière indépendante en fonction du sujet, de la « qualité » du message et d’un certain nombre de paramètres pris en compte par le modèle.

Amplification et viralité

La question de l’amplification interroge la question de la viralité, c’est-à-dire le fait qu’un contenu soit amplifié par une cascade de reprises, et non pas seulement diffusé d’un émetteur à son public. Le problème de la viralité est que sa portée reste imprévisible. Pour Narayan, sur toutes les grandes plateformes, pour la plupart des créateurs, la majorité de l’engagement provient d’une petite fraction de contenu viral. Sur TikTok comme sur YouTube, 20 % des vidéos les plus vues d’un compte obtiennent plus de 70 % des vues. Plus le rôle de l’algorithme dans la propagation du contenu est important, par opposition aux abonnements ou au réseau, plus cette inégalité semble importante.

Parce qu’il est particulièrement repérable dans la masse des contenus, le contenu viral se prête assez bien à la rétropropagation, c’est-à-dire à son déclassement ou à sa suppression. Le problème justement, c’est qu’il y a plein de manières de restreindre le contenu. Facebook classe les posts rétrogradés plus bas dans le fil d’actualité qu’ils ne le seraient s’ils ne l’avaient pas été, afin que les utilisateurs soient moins susceptibles de le rencontrer et de le propager. À son tour, l’effet de la rétrogradation sur la portée peut être imprévisible, non linéaire et parfois radical, puisque le contenu peut devenir parfaitement invisible. Cette rétrogradation est parfaitement opaque, notamment parce qu’une faible portée n’est pas automatiquement suspecte, étant donné qu’il existe une grande variation dans la portée naturelle du contenu.

Amplification et prédiction de l’engagement

Les plateformes ont plusieurs objectifs de haut niveau : améliorer leurs revenus publicitaires bien sûr et satisfaire suffisamment les utilisateurs pour qu’ils reviennent… Mais ces objectifs n’aident pas vraiment à décider ce qu’il faut donner à un utilisateur spécifique à un moment précis ni à mesurer comment ces décisions impactent à long terme la plateforme. D’où le fait que les plateformes observent l’engagement, c’est-à-dire les actions instantanées des utilisateurs, comme le like, le commentaire ou le partage qui permettent de classer le contenu en fonction de la probabilité que l’utilisateur s’y intéresse. « D’une certaine manière, l’engagement est une approximation des objectifs de haut niveau. Un utilisateur qui s’engage est plus susceptible de revenir et de générer des revenus publicitaires pour la plateforme.  »
Si l’engagement est vertueux, il a aussi de nombreuses limites qui expliquent que les algorithmes intègrent bien d’autres facteurs dans leur calcul. Ainsi, Facebook et Twitter optimisent les « interactions sociales significatives », c’est-à-dire une moyenne pondérée des likes, des partages et des commentaires. YouTube, lui, optimise en fonction de la durée de visionnage que l’algorithme prédit. TikTok utilise les interactions sociales et valorise les vidéos qui ont été regardées jusqu’au bout, comme un signal fort et qui explique certainement le caractère addictif de l’application et le fait que les vidéos courtes (qui ont donc tendance à obtenir un score élevé) continuent de dominer la plateforme.

En plus de ces logiques de base, il existe bien d’autres logiques secondaires, comme par exemple, pour que l’expérience utilisateur ne soit pas ralentie par le calcul, que les suggestions restent limitées, sélectionnées plus que classées, selon divers critères plus que selon des critères uniques (par exemple en proposant des nouveaux contenus et pas seulement des contenus similaires à ceux qu’on a apprécié, TikTok se distingue à nouveau par l’importance qu’il accorde à l’exploration de nouveaux contenus… c’est d’ailleurs la tactique suivie désormais par Instagram de Meta via les Reels, boostés sur le modèle de TikTok, qui ont le même effet que sur TikTok, à savoir une augmentation du temps passé sur l’application)… 

« Bien qu’il existe de nombreuses différences dans les détails, les similitudes entre les algorithmes de recommandation des différentes plateformes l’emportent sur leurs différences », estime Narayan. Les différences sont surtout spécifiques, comme Youtube qui optimise selon la durée de visionnage, ou Spotify qui s’appuie davantage sur l’analyse de contenu que sur le comportement. Pour Narayan, ces différences montrent qu’il n’y a pas de risque concurrentiel à l’ouverture des algorithmes des plateformes, car leurs adaptations sont toujours très spécifiques. Ce qui varie, c’est la façon dont les plateformes ajustent l’engagement.

Comment apprécier la similarité ?

Mais la grande question à laquelle tous tentent de répondre est la même : « Comment les utilisateurs similaires à cet utilisateur ont-ils réagi aux messages similaires à ce message ?  »

Si cette approche est populaire dans les traitements, c’est parce qu’elle s’est avérée efficace dans la pratique. Elle repose sur un double calcul de similarité. D’abord, celle entre utilisateurs. La similarité entre utilisateurs dépend du réseau (les gens que l’on suit ou ceux qu’on commente par exemple, que Twitter valorise fortement, mais peu TikTok), du comportement (qui est souvent plus critique, « deux utilisateurs sont similaires s’ils se sont engagés dans un ensemble de messages similaires  ») et les données démographiques (du type âge, sexe, langue, géographie… qui sont en grande partie déduits des comportements).

Ensuite, il y a un calcul sur la similarité des messages qui repose principalement sur leur sujet et qui repose sur des algorithmes d’extraction des caractéristiques (comme la langue) intégrant des évaluations normatives, comme la caractérisation de discours haineux. L’autre signal de similarité des messages tient, là encore, au comportement : « deux messages sont similaires si un ensemble similaire d’utilisateurs s’est engagé avec eux ». Le plus important à retenir, insiste Narayan, c’est que « l’enregistrement comportemental est le carburant du moteur de recommandation ». La grande difficulté, dans ces appréciations algorithmiques, consiste à faire que le calcul reste traitable, face à des volumes d’enregistrements d’informations colossaux.

Une histoire des évolutions des algorithmes de recommandation

« La première génération d’algorithmes de recommandation à grande échelle, comme ceux d’Amazon et de Netflix au début des années 2000, utilisait une technique simple appelée filtrage collaboratif : les clients qui ont acheté ceci ont également acheté cela ». Le principe était de recommander des articles consultés ou achetés d’une manière rudimentaire, mais qui s’est révélé puissant dans le domaine du commerce électronique. En 2006, Netflix a organisé un concours en partageant les évaluations qu’il disposait sur les films pour améliorer son système de recommandation. Ce concours a donné naissance à la « factorisation matricielle », une forme de deuxième génération d’algorithmes de recommandation, c’est-à-dire capables d’identifier des combinaisons d’attributs et de préférences croisées. Le système n’étiquette pas les films avec des termes interprétables facilement (comme “drôle” ou “thriller” ou “informatif”…), mais avec un vaste ensemble d’étiquettes (de micro-genres obscurs comme « documentaires émouvants qui combattent le système ») qu’il associe aux préférences des utilisateurs. Le problème, c’est que cette factorisation matricielle n’est pas très lisible pour l’utilisateur et se voir dire qu’on va aimer tel film sans savoir pourquoi n’est pas très satisfaisant. Enfin, ce qui marche pour un catalogue de film limité n’est pas adapté aux médias sociaux où les messages sont infinis. La prédominance de la factorisation matricielle explique pourquoi les réseaux sociaux ont tardé à se lancer dans la recommandation, qui est longtemps restée inadaptée à leurs besoins.

Pourtant, les réseaux sociaux se sont tous convertis à l’optimisation basée sur l’apprentissage automatique. En 2010, Facebook utilisait un algorithme appelé EdgeRank pour construire le fil d’actualité des utilisateurs qui consistait à afficher les éléments par ordre de priorité décroissant selon un score d’affinité qui représente la prédiction de Facebook quant au degré d’intérêt de l’utilisateur pour les contenus affichés, valorisant les photos plus que le texte par exemple. À l’époque, ces pondérations étaient définies manuellement plutôt qu’apprises. En 2018, Facebook est passé à l’apprentissage automatique. La firme a introduit une métrique appelée « interactions sociales significatives » (MSI pour meaningful social interactions) dans le système d’apprentissage automatique. L’objectif affiché était de diminuer la présence des médias et des contenus de marque au profit des contenus d’amis et de famille. « La formule calcule un score d’interaction sociale pour chaque élément susceptible d’être montré à un utilisateur donné ». Le flux est généré en classant les messages disponibles selon leur score MSI décroissant, avec quelques ajustements, comme d’introduire de la diversité (avec peu d’indications sur la façon dont est calculée et ajoutée cette diversité). Le score MSI prédit la probabilité que l’utilisateur ait un type d’interaction spécifique (comme liker ou commenter) avec le contenu et affine le résultat en fonction de l’affinité de l’utilisateur avec ce qui lui est proposé. Il n’y a plus de pondération dédiée pour certains types de contenus, comme les photos ou les vidéos. Si elles subsistent, c’est uniquement parce que le système l’aura appris à partir des données de chaque utilisateur, et continuera à vous proposer des photos si vous les appréciez.

« Si l’on pousse cette logique jusqu’à sa conclusion naturelle, il ne devrait pas être nécessaire d’ajuster manuellement la formule en fonction des affinités. Si les utilisateurs préfèrent voir le contenu de leurs amis plutôt que celui des marques, l’algorithme devrait être en mesure de l’apprendre ». Ce n’est pourtant pas ce qu’il se passe. Certainement pour lutter contre la logique de l’optimisation de l’engagement, estime Narayan, dans le but d’augmenter la satisfaction à long terme, que l’algorithme ne peut pas mesurer, mais là encore sans que les modalités de ces ajustements ne soient clairement documentés.

Est-ce que tout cela est efficace ?

Reste à savoir si ces algorithmes sont efficaces ! « Il peut sembler évident qu’ils doivent bien fonctionner, étant donné qu’ils alimentent des plateformes technologiques qui valent des dizaines ou des centaines de milliards de dollars. Mais les chiffres racontent une autre histoire. Le taux d’engagement est une façon de quantifier le problème : il s’agit de la probabilité qu’un utilisateur s’intéresse à un message qui lui a été recommandé. Sur la plupart des plateformes, ce taux est inférieur à 1 %. TikTok est une exception, mais même là, ce taux dépasse à peine les 5 %. »

Le problème n’est pas que les algorithmes soient mauvais, mais surtout que les gens ne sont pas si prévisibles. Et qu’au final, les utilisateurs ne se soucient pas tant du manque de précision de la recommandation. « Même s’ils sont imprécis au niveau individuel, ils sont précis dans l’ensemble. Par rapport aux plateformes basées sur les réseaux, les plateformes algorithmiques semblent être plus efficaces pour identifier les contenus viraux (qui trouveront un écho auprès d’un grand nombre de personnes). Elles sont également capables d’identifier des contenus de niche et de les faire correspondre au sous-ensemble d’utilisateurs susceptibles d’y être réceptifs. » Si les algorithmes sont largement limités à la recherche de modèles dans les données comportementales, ils n’ont aucun sens commun. Quant au taux de clic publicitaire, il reste encore plus infinitésimal – même s’il est toujours considéré comme un succès !

Les ingénieurs contrôlent-ils encore les algorithmes ?

Les ingénieurs ont très peu d’espace pour contrôler les effets des algorithmes de recommandation, estime Narayan, en prenant un exemple. En 2019, Facebook s’est rendu compte que les publications virales étaient beaucoup plus susceptibles de contenir des informations erronées ou d’autres types de contenus préjudiciables. En d’autres termes, ils se sont rendu compte que le passage à des interactions sociales significatives (MSI) a eu des effets de bords : les contenus qui suscitaient l’indignation et alimentaient les divisions gagnaient en portée, comme l’a expliqué l’ingénieure et lanceuse d’alerte Frances Haugen à l’origine des Facebook Files, dans ses témoignages. C’est ce que synthétise le tableau de pondération de la formule MSI publié par le Wall Street Journal, qui montrent que certains éléments ont des poids plus forts que d’autres : un commentaire vaut 15 fois plus qu’un like, mais un commentaire signifiant ou un repartage 30 fois plus, chez Facebook. Une pondération aussi élevée permet d’identifier les messages au potentiel viral et de les stimuler davantage. En 2020, Facebook a ramené la pondération des partages à 1,5, mais la pondération des commentaires est restée très élevée (15 à 20 fois plus qu’un like). Alors que les partages et les commentaires étaient regroupés dans une seule catégorie de pondération en 2018, ils ne le sont plus. Cette prime au commentaire demeure une prime aux contenus polémiques. Reste, on le comprend, que le jeu qui reste aux ingénieurs de Facebook consiste à ajuster le poids des paramètres. Pour Narayan : piloter un système d’une telle complexité en utilisant si peu de boutons ne peut qu’être difficile.

Le chercheur rappelle que le système est censé être neutre à l’égard de tous les contenus, à l’exception de certains qui enfreignent les règles de la plateforme. Utilisateurs et messages sont alors rétrogradés de manière algorithmique suite à signalement automatique ou non. Mais cette neutralité est en fait très difficile à atteindre. Les réseaux sociaux favorisent ceux qui ont déjà une grande portée, qu’elle soit méritée ou non, et sont récompensés par une plus grande portée encore. Par exemple, les 1 % d’auteurs les plus importants sur Twitter reçoivent 80 % des vues des tweets. Au final, cette conception de la neutralité finit par récompenser ceux qui sont capables de pirater l’engagement ou de tirer profit des biais sociaux.

Outre cette neutralité, un deuxième grand principe directeur est que « l’algorithme sait mieux que quiconque ». « Ce principe et celui de la neutralité se renforcent mutuellement. Le fait de confier la politique (concernant le contenu à amplifier) aux données signifie que les ingénieurs n’ont pas besoin d’avoir un point de vue à ce sujet. Et cette neutralité fournit à l’algorithme des données plus propres à partir desquelles il peut apprendre. »
Le principe de l’algorithme qui sait le mieux signifie que la même optimisation est appliquée à tous les types de discours : divertissement, informations éducatives, informations sur la santé, actualités, discours politique, discours commercial, etc. En 2021, FB a fait une tentative de rétrograder tout le contenu politique, ce qui a eu pour effet de supprimer plus de sources d’information de haute qualité que de faible qualité, augmentant la désinformation. Cette neutralité affichée permet également une forme de désengagement des ingénieurs.

En 2021, encore, FB a entraîné des modèles d’apprentissage automatique pour classer les messages en deux catégories : bons ou mauvais pour le monde, en interrogeant les utilisateurs pour qu’ils apprécient des contenus qui leurs étaient proposés pour former les données. FB a constaté que les messages ayant une plus grande portée étaient considérés comme étant mauvais pour le monde. FB a donc rétrogradé ces contenus… mais en trouvant moins de contenus polémique, cette modification a entraîné une diminution de l’ouverture de l’application par les utilisateurs. L’entreprise a donc redéployé ce modèle en lui donnant bien moins de poids. Les corrections viennent directement en conflit avec le modèle d’affaires.

Illustration par Jason Alderman « Those Algorithms That Govern Our Lives – Kevin Slavin« . (CC BY 2.0)

Pourquoi l’optimisation de l’engagement nous nuit-elle ?

« Un grand nombre des pathologies familières des médias sociaux sont, à mon avis, des conséquences relativement directes de l’optimisation de l’engagement », suggère encore le chercheur. Cela explique pourquoi les réformes sont difficiles et pourquoi l’amélioration de la transparence des algorithmes, de la modération, voire un meilleur contrôle par l’utilisateur de ce qu’il voit (comme le proposait Gobo mis en place par Ethan Zuckerman), ne sont pas des solutions magiques (même si elles sont nécessaires).

Les données comportementales, celles relatives à l’engagement passé, sont la matière première essentielle des moteurs de recommandations. Les systèmes privilégient la rétroaction implicite sur l’explicite, à la manière de YouTube qui a privilégié le temps passé sur les rétroactions explicites (les likes). Sur TikTok, il n’y a même plus de sélection, il suffit de swipper.

Le problème du feedback implicite est qu’il repose sur nos réactions inconscientes, automatiques et émotionnelles, sur nos pulsions, qui vont avoir tendance à privilégier une vidéo débile sur un contenu expert.

Pour les créateurs de contenu, cette optimisation par l’engagement favorise la variance et l’imprévisibilité, ce qui a pour conséquence d’alimenter une surproduction pour compenser cette variabilité. La production d’un grand volume de contenu, même s’il est de moindre qualité, peut augmenter les chances qu’au moins quelques-uns deviennent viraux chaque mois afin de lisser le flux de revenus. Le fait de récompenser les contenus viraux se fait au détriment de tous les autres types de contenus (d’où certainement le regain d’attraits pour des plateformes non algorithmiques, comme Substack voire dans une autre mesure, Mastodon).

Au niveau de la société, toutes les institutions sont impactées par les plateformes algorithmiques, du tourisme à la science, du journalisme à la santé publique. Or, chaque institution à des valeurs, comme l’équité dans le journalisme, la précision en science, la qualité dans nombre de domaines. Les algorithmes des médias sociaux, eux, ne tiennent pas compte de ces valeurs et de ces signaux de qualité. « Ils récompensent des facteurs sans rapport, sur la base d’une logique qui a du sens pour le divertissement, mais pas pour d’autres domaines ». Pour Narayan, les plateformes de médias sociaux « affaiblissent les institutions en sapant leurs normes de qualité et en les rendant moins dignes de confiance ». C’est particulièrement actif dans le domaine de l’information, mais cela va bien au-delà, même si ce n’est pas au même degré. TikTok peut sembler ne pas représenter une menace pour la science, mais nous savons que les plateformes commencent par être un divertissement avant de s’étendre à d’autres sphères du discours, à l’image d’Instagram devenant un outil de communication politique ou de Twitter, où un tiers des tweets sont politiques.

La science des données en ses limites

Les plateformes sont bien conscientes de leurs limites, pourtant, elles n’ont pas fait beaucoup d’efforts pour résoudre les problèmes. Ces efforts restent occasionnels et rudimentaires, à l’image de la tentative de Facebook de comprendre la valeur des messages diffusés. La raison est bien sûr que ces aménagements nuisent aux résultats financiers de l’entreprise. « Le recours à la prise de décision subconsciente et automatique est tout à fait intentionnelle ; c’est ce qu’on appelle la « conception sans friction ». Le fait que les utilisateurs puissent parfois faire preuve de discernement et résister à leurs impulsions est vu comme un problème à résoudre. »

Pourtant, ces dernières années, la réputation des plateformes n’est plus au beau fixe. Narayan estime qu’il y a une autre limite. « La plupart des inconvénients de l’optimisation de l’engagement ne sont pas visibles dans le cadre dominant de la conception des plateformes, qui accorde une importance considérable à la recherche d’une relation quantitative et causale entre les changements apportés à l’algorithme et leurs effets. »
Si on observe les raisons qui poussent l’utilisateur à quitter une plateforme, la principale est qu’il ne parvient pas à obtenir des recommandations suffisamment intéressantes. Or, c’est exactement ce que l’optimisation par l’engagement est censée éviter. Les entreprises parviennent très bien à optimiser des recommandations qui plaisent à l’utilisateur sur l’instant, mais pas celles qui lui font dire, une fois qu’il a fermé l’application, que ce qu’il y a trouvé l’a enrichi. Elles n’arrivent pas à calculer et à intégrer le bénéfice à long terme, même si elles restent très attentives aux taux de rétention ou aux taux de désabonnement. Pour y parvenir, il faudrait faire de l’A/B testing au long cours. Les plateformes savent le faire. Facebook a constaté que le fait d’afficher plus de notifications augmentait l’engagement à court terme mais avait un effet inverse sur un an. Reste que ce regard sur leurs effets à longs termes ne semble pas être une priorité par rapport à leurs effets de plus courts termes.

Une autre limite repose sur l’individualisme des plateformes. Si les applications sociales sont, globalement, assez satisfaisantes pour chacun, ni les utilisateurs ni les plateformes n’intériorisent leurs préjudices collectifs. Ces systèmes reposent sur l’hypothèse que le comportement de chaque utilisateur est indépendant et que l’effet sur la société (l’atteinte à la démocratie par exemple…) est très difficile à évaluer. Narayan le résume dans un tableau parlant, où la valeur sur la société n’a pas de métrique associée.

Graphique montrant les 4 niveaux sur lesquels les algorithmes des plateformes peuvent avoir des effets. CTR : Click Through Rate (taux de clic). MSI : Meaningful Social Interactions, interactions sociales significatives, la métrique d'engagement de Facebook. DAU : Daily active users, utilisateurs actifs quotidiens.
Tableau montrant les 4 niveaux sur lesquels les algorithmes des plateformes peuvent avoir des effets. CTR : Click Through Rate (taux de clic). MSI : Meaningful Social Interactions, interactions sociales significatives, la métrique d’engagement de Facebook. DAU : Daily active users, utilisateurs actifs quotidiens.

Les algorithmes ne sont pas l’ennemi (enfin si, quand même un peu)

Pour répondre à ces problèmes, beaucoup suggèrent de revenir à des flux plus chronologiques ou a des suivis plus stricts des personnes auxquelles nous sommes abonnés. Pas sûr que cela soit une solution très efficace pour gérer les volumes de flux, estime le chercheur. Les algorithmes de recommandation ont été la réponse à la surcharge d’information, rappelle-t-il : « Il y a beaucoup plus d’informations en ligne en rapport avec les intérêts d’une personne qu’elle n’en a de temps disponible. » Les algorithmes de classement sont devenus une nécessité pratique. Même dans le cas d’un réseau longtemps basé sur l’abonnement, comme Instagram : en 2016, la société indiquait que les utilisateurs manquaient 70 % des publications auxquelles ils étaient abonnés. Aujourd’hui, Instagram compte 5 fois plus d’utilisateurs. En fait, les plateformes subissent d’énormes pressions pour que les algorithmes soient encore plus au cœur de leur fonctionnement que le contraire. Et les systèmes de recommandation font leur entrée dans d’autres domaines, comme l’éducation (avec Coursera) ou la finance (avec Robinhood).

Pour Narayan, l’enjeu reste de mieux comprendre ce qu’ils font. Pour cela, nous devons continuer d’exiger d’eux bien plus de transparence qu’ils n’en livrent. Pas plus que dans le monde des moteurs de recherche nous ne reviendrons aux annuaires, nous ne reviendrons pas aux flux chronologiques dans les moteurs de recommandation. Nous avons encore des efforts à faire pour contrecarrer activement les modèles les plus nuisibles des recommandations. L’enjeu, conclut-il, est peut-être d’esquisser plus d’alternatives que nous n’en disposons, comme par exemple, d’imaginer des algorithmes de recommandations qui n’optimisent pas l’engagement, ou pas seulement. Cela nécessite certainement aussi d’imaginer des réseaux sociaux avec des modèles économiques différents. Un autre internet. Les algorithmes ne sont peut-être pas l’ennemi comme il le dit, mais ceux qui ne sont ni transparents, ni loyaux, et qui optimisent leurs effets en dehors de toute autre considération, ne sont pas nos amis non plus !




Piwigo, la photo en liberté

Nous avons profité de la sortie d’une nouvelle version de l’application mobile pour interroger l’équipe de Piwigo, et plus particulièrement Pierrick, le créateur de ce logiciel libre qui a fêté ses vingt ans et qui est, c’est incroyable, rentable.

 

 

 

Salut l’équipe de Piwigo ! Nous avons lu avec intérêt la page https://fr.piwigo.com/qui-sommes-nous

Moi je note que «Piwigo» c’est plus sympa que « PhpWebGallery », comme nom de logiciel. Enfin, un logiciel libre qui n’a pas un nom trop tordu. Qu’est-ce que vous pouvez nous apprendre sur Piwigo, le logiciel ?

Piwigo est un logiciel libre de gestion de photothèque. Il s’agit d’une application web, donc accessible depuis un navigateur web, que l’on peut également consulter et administrer avec des applications mobiles. Au-delà des photos, Piwigo permet d’organiser et indexer tout type de média : images, vidéos, documents PDF et autres fichiers de travail des graphistes. Originellement conçu pour les particuliers, il s’est au fil des ans trouvé un public auprès des organisations de toutes tailles.

 

Le logo de Piwigo, le logiciel

 

La gestation du projet PhpWebGallery démarre fin 2001 et la première version sortira aux vacances de Pâques 2002. Pendant les vacances, car j’étais étudiant en école d’ingénieur à Lyon et j’ai eu besoin de temps libre pour finaliser la première version. Le logiciel a tout de suite rencontré un public et des contributeurs ont rejoint l’aventure. En 2009, « PhpWebGallery » est renommé « Piwigo » mais seul le nom a changé, il s’agit du même projet.

Les huit premières années, le projet était entièrement bénévole, avec des contributeurs (de qualité) qui donnaient de leur temps libre et de leurs compétences. Le passage d’étudiant à salarié m’a donné du temps libre, vraiment beaucoup. Je faisais pas mal d’heures pour mon employeur mais en comparaison avec le rythme prépa/école, c’était très tranquille : pas de devoirs à faire le soir ! Donc Piwigo a beaucoup avancé durant cette période. Devenu parent puis propriétaire d’un appartement, avec les travaux à faire… mon temps libre a fondu et il a fallu faire des choix. Soit j’arrêtais le projet et il aurait été repris par la communauté, soit je trouvais un modèle économique viable et compatible avec le projet pour en faire mon métier. Si je suis ici pour en parler douze ans plus tard, c’est que cette deuxième option a été retenue.

En 2010 vous lancez le service piwigo.com ; un logiciel libre dont les auteurs ne crèvent pas de faim, c’est plutôt bien. Est-ce que c’est vrai ? Avez-vous trouvé votre modèle économique ?

 

Le logo de Piwigo, le service

 

Pour ce qui me concerne, je ne crève pas du tout de faim. J’ai pu rapidement retrouver des revenus équivalents à mon ancien salaire. Et davantage aujourd’hui. J’estime vivre très confortablement et ne manquer de rien. Ceci est très subjectif et mon mode de vie pourrait paraître « austère » pour certains et « extravagant » pour d’autres. En tout cas moi cela me convient 🙂

Notre modèle économique a un peu évolué en 12 ans. Si l’objectif est depuis le départ de se concentrer sur la vente d’abonnements, il a fallu quelques années pour que cela couvre mon salaire. J’ai eu l’opportunité de réaliser des prestations de dev en parallèle de Piwigo les premières années pour compenser la croissance lente des ventes d’abonnements.

Ce qui a beaucoup changé c’est notre cible : on est passé d’une cible B2C (à destination des individus) à une cible B2B (à destination des organisations). Et cela a tout changé en terme de chiffre d’affaires. Malheureusement ou plutôt « factuellement » nous plafonnons depuis longtemps sur les particuliers. Nos offres Entreprise quant à elles sont en croissance continue, sans que l’on atteigne encore de plafond. Nous avons donc décidé de communiquer vers cette cible. Piwigo reste utilisable pour des particuliers bien sûr, mais ce sont prioritairement les organisations qui vont orienter notre feuille de route.

Grâce à la réorientation de notre modèle économique, il a été possible de faire grossir l’équipe.

Donc on a Piwigo.org qui fournit le logiciel libre que chacun⋅e peut installer à condition d’en avoir les compétences, et Piwigo.com, service commercial géré par ton équipe et toi. Vous vous chargez de la maintenance, des mises à jour, des sauvegardes.

Qui est vraiment derrière Piwigo.com aujourd’hui ? Et combien de gens est-ce que ça fait vivre ?

Une petite équipe mêlant des salariés, dont plusieurs alternants, des freelances dans les domaines du support, de la communication, du design ou encore de la gestion administrative. Cela représente 8 personnes, certaines à temps plein, d’autres à temps partiel. J’exclus le cabinet comptable, même s’il y passe du temps compte tenu du nombre de transactions que les abonnements représentent…

Qu’est-ce qui est lourd ?

Certains aspects purement comptables de l’activité. La gestion de la TVA par exemple. Non pas le principe de la TVA mais les règles autour de la TVA. Nous vendons en France, dans la zone Euro et hors zone Euro : à chaque situation sa règle d’application des taxes. Les PCA (produits constatés d’avance) sont aussi une petite source de tracas qu’il a fallu gérer proprement. Jamais je n’aurais imaginé passer autant de temps sur ce genre de sujets en lançant le projet commercial.

Qu’est-ce qui est cool ?
Constater que Piwigo est leur principal outil de travail de nombreux clients. On comprend alors que certains choix de design, certaines optimisations de performances font pour eux une grande différence au quotidien.

 

Création d’un⋅e utilisateur⋅ice

 

Nous avons lancé depuis quelques semaines une série d’entretiens utilisateurs durant lesquels des clients nous montrent comment ils utilisent Piwigo et c’est assez génial de les voir utiliser voire détourner les fonctionnalités que l’on a développées.

D’un point de vue vraiment personnel, ce que je trouve cool c’est qu’un projet démarré sur mon temps libre pendant mes études soit devenu créateur d’emplois. Et j’espère un emploi « intéressant » pour les personnes concernées. Qu’elles soient participantes à l’aventure ou utilisatrices dans leur métier. Je crois vraiment au rôle social de l’entreprise et je suis particulièrement fier que Piwigo figure dans le parcours professionnel de nombreuses personnes.

Votre liste de clients https://fr.piwigo.com/clients est impressionnante…

Oui, je suis d’accord : ça claque ! et bien sûr tout est absolument authentique. Évidemment on n’affiche qu’une portion microscopique de notre liste de clients.

Recevez-vous des commandes spécifiques des gros clients pour développer certaines fonctionnalités ?

Pourquoi des « gros » ? Certaines entreprises « pas très grosses » ont des demandes spécifiques aussi. Bon, en pratique c’est vrai que certains « gros » ont l’habitude que l’outil s’adapte à leur besoin et pas le contraire. Donc parfois on adapte : en personnalisant l’interface quasiment toujours, en développant des plugins parfois. C’est moins de 5% de nos clients qui vont payer une prestation de développement. Vendre ce type de prestation n’est pas au cœur de notre modèle économique mais ne pas le proposer pourrait nuire à la vente d’abonnements, donc on est ouverts aux demandes.

Est-ce que vous refusez de faire certaines choses ?

D’un point de vue du développement ? Pas souvent. Je n’ai pas souvenir de demandes suffisamment farfelues… pardon « spécifiques » pour qu’on les refuse a priori. En revanche il y a des choses qu’on refuse systématiquement : répondre à des appels d’offre et autre « marchés publics ». Quand une administration nous contacte et nous envoie des « dossiers » avec des listes de questions à rallonge, on s’assure qu’il n’y a pas d’appel d’offre derrière car on ne rentrera pas dans le processus. Nous ne vendons pas assez cher pour nous permettre de répondre à des appels d’offre. Je comprends que les entreprises qui vendent des tickets à 50k€+ se permettent ce genre de démarche administrative, mais avec notre ticket entre 500€ et 4 000€, on serait perdant à tous les coups. Le « coût administratif » d’un appel d’offre est plus élevé que le coût opérationnel de la solution proposée. C’est aberrant et on refuse de rentrer là-dedans.

Bien que nous refusions de répondre à cette complexité administrative (très française), nous avons de nombreuses administrations comme clients : ministère, mairies, conseils départementaux, offices de tourisme… Comme quoi c’est possible (et légal) de ne pas gaspiller de l’énergie et du temps à remplir des dossiers.

Y a-t-il beaucoup de particuliers qui, comme moi, vous confient leurs photos ? Faites péter les chiffres qui décoiffent !

Environ 2000 particuliers sont clients de notre offre hébergée. Ils sont bien plus nombreux à confier leurs photos à Piwigo, mais ils ne sont pas hébergés sur nos serveurs. Notre dernière enquête en 2020 indiquait qu’environ un utilisateur sur dix était client de Piwigo.com [donc 90% des gens qui utilisent le logiciel Piwigo s’auto-hébergent ou s’hébergent ailleurs, NDLR] .

Si on élargit un peu le champ de vision, on estime qu’il y a entre 50 000 et 500 000 installations de Piwigo dans le monde. Avec une énorme majorité d’installations hors Piwigo.com donc. Difficile à chiffrer précisément car Piwigo ne traque pas les installations.

 

La page d’administration de Piwigo

 

Pour des chiffres qui « décoiffent », je dirais qu’on a fait 30% de croissance en 2020. Puis encore 30% de croissance en 2021 (merci les confinements…) et qu’on revient à notre rythme de croisière de +15% par an en 2022. Dans le contexte actuel de difficulté des entreprises, je trouve qu’on s’en sort bien !

Autre chiffre qui décoiffe : on n’a pas levé un seul euro. Aucun business angel, aucune levée de fonds auprès d’investisseurs. Notre croissance est douce mais sereine. Attention pour autant : je ne dénigre pas le principe de lever des fonds. Cela permet d’aller beaucoup plus vite. Vers le succès ou l’échec, mais beaucoup plus vite ! Rien ne dit que si c’était à refaire, je n’essaierais pas de lever des fonds.

Encore un chiffre respectable : Piwigo a soufflé sa vingtième bougie en 2022. Le projet a connu plusieurs phases et nous vivons actuellement celle de la professionnalisation. Beaucoup de projets libres s’arrêtent avant et disparaissent car ils ne franchissent pas cette étape. Si certains voient dans l’arrivée de l’argent une « trahison » de la communauté, je trouve au contraire que c’est sain et gage de pérennité. Lorsque les fondateurs d’un projet ont besoin d’un modèle économique viable pour payer leurs propres factures, vous pouvez être sûrs que le projet ne va pas être abandonné sur un coup de tête.

Est-ce que les réseaux sociaux axés sur la photographie concurrencent Piwigo ? On pense à Instagram mais aussi à Pixelfed, évidemment.

J’ai regardé rapidement ce qu’était Pixelfed. Ma conclusion au bout de quelques minutes : c’est un clone opensource à Instagram, en mode décentralisé.

Piwigo n’est pas un réseau social. Pour certains utilisateurs, Piwigo a perdu de son intérêt dès lors que Facebook et ses albums photos sont arrivés. Pour d’autres, Piwigo constitue au contraire une solution pour ceux qui refusent la centralisation/uniformisation telle que proposée par Facebook ou Google. Enfin pour de nombreux clients pro (photographes ou entreprises) Piwigo est un outil à usage interne de l’équipe communication pour organiser les ressources média qui seront ensuite utilisées sur les réseaux sociaux. Il faut comprendre que pour les chargés de communication d’un office de tourisme, mettre sa photothèque sur Facebook n’a aucun sens. Ils ou elles publient quelques photos sur Facebook, sur Instagram ou autres, mais leur photothèque est organisée sur leur Piwigo.

Bref, même si les premières années je me suis demandé si Piwigo était encore pertinent face à l’émergence de ces nouvelles formes de communication, je sais aujourd’hui que Piwigo n’est pas en concurrence frontale avec ces derniers mais qu’au contraire, l’existence de ces réseaux nécessite pour les marques/entreprises qu’elles organisent leurs photothèques. Piwigo est là pour les y aider.

Quelles sont les différences ?

La toute première des choses, c’est la temporalité. Les réseaux sociaux sont excellents pour obtenir une exposition forte et éphémère de votre « actualité ». À l’inverse, Piwigo va exceller pour vous permettre de retrouver un lot de photos parmi des centaines de milliers, organisées au fil des années. Piwigo permet de gérer son patrimoine photo (et autres médias) sur le temps long.

L’autre aspect important c’est le travail en équipe. Un réseau social est généralement conçu autour d’une seule personne qui administre le compte. Dans Piwigo, plusieurs administrateurs collaborent (à un instant T ou dans la durée) pour construire la photothèque : classification, indexation (tags, titre, descriptions…)

Enfin, certaines fonctionnalités n’ont tout simplement rien à voir. Par exemple, dans un réseau social le cœur de métier va être d’obtenir des likes. Dans un Piwigo, vous allez pouvoir mettre en place un moteur de recherche multicritères avec vos propres critères. Par exemple on a un client qui fabrique des matériaux acoustiques. Ses critères de recherche sont collection, coloris, lieu d’implantation… Cela n’aurait aucun sens sur l’interface uniformisée d’un Instagram.

Qui apporte des contributions à Piwigo ? Est-ce que c’est surtout la core team ?

Cela a beaucoup changé avec le temps. Et même ce qu’on appelle aujourd’hui « équipe » n’est plus la même chose que ce qu’on appelait « équipe » il y a 10 ans. Aujourd’hui, l’équipe c’est essentiellement celle du projet commercial. Pas uniquement mais quand même pas mal.

On a donc beaucoup de contributions « internes » mais ce serait trop simplificateur d’ignorer l’énorme apport de la communauté de contributeurs au sens large. Déjà parce que l’état actuel de Piwigo repose sur les fondations créées par une communauté de développeurs bénévoles. Ensuite parce qu’on reçoit bien sûr des contributions sous forme de rapports de bugs, des pull-requests mais aussi grâce à des bénévoles qui aident des utilisateurs sur les forums communautaires, les bêta-testeurs… sans oublier les centaines de traducteurs.

Petite anecdote dont je suis fier : Rasmus Lerdorf, créateur de PHP (le langage de programmation principalement utilisé dans Piwigo) nous a plusieurs fois envoyé des patches pour que Piwigo soit compatibles avec les dernières versions de PHP.

 

Quel est votre lien avec le monde du Libre ? (<troll>y a-t-il un monde du Libre ?</troll>)

Je ne sais pas s’il y a un « monde du libre ». Historiquement Les contributeurs sont d’abord des utilisateurs du logiciel qui ont voulu le faire évoluer. Je ne suis pas certain qu’il s’agisse de fervents défenseurs du logiciel libre.

Franchement je ne sais pas trop comment répondre à cette question. Je sais que Piwigo est une brique de ce monde du libre mais je ne suis pas sûr que l’on conscientise le fait de faire partie d’un mouvement global. Je pense qu’on est pragmatique plutôt qu’idéologique.

 

En tant que client, je viens de recevoir le mail qui annonce le changement de tarif. Pouvez-vous nous expliquer l’origine de cette décision ?

Là on est vraiment sur l’actualité « à chaud ». Le changement de tarif pour les nouveaux/futurs clients a fait l’objet d’une longue réflexion et préparation. Je dirais qu’on le prépare depuis 18 mois.

 

Si j’ai bien compris la clientèle particulière est un tout petit pourcentage de la clientèle de Piwigo.com ?

Les clients de l’ancienne offre « individuelle » représentent 30 % du chiffre d’affaires des abonnements pour 91% des clients. J’exclus les prestations de dev, qui sont exclusivement ordonnées par des entreprises. Donc « tout petit pourcentage », ça dépend du point de vue 🙂

Est-ce que l’offre de stockage illimité devient trop chère ?

En moyenne sur l’ensemble des clients individuels, on est à ~30 Go de stockage utilisé. La médiane est quant à elle de 5Go. Si la marge financière dégagée n’est pas folle, on ne perd pas d’argent pour autant, car nous avons réussi à ne pas payer le stockage trop cher. Pour faire simple : on n’utilise pas de stockage cloud type Amazon Web Services, Google Cloud ou Microsoft Azure. Sinon on serait clairement perdant.

Ceci est vrai tant qu’on propose de l’illimité sur les photos. Sauf que la première demande au support, devant toutes les autres, c’est : « puis-je ajouter mes vidéos ? », et cela change la donne. Hors de question de proposer de l’illimité sur les vidéos. De l’autre côté, on entend et on comprend la demande des utilisateurs concernant les vidéos. Donc on veut proposer les vidéos, mais il faut en parallèle introduire un quota de stockage.

Ensuite nous avions un souci de cohérence entre l’offre individuelle (stockage illimité mais photos uniquement) et les offres entreprise (quota de stockage et tout type de fichiers). La solution qui nous paraît la meilleure est d’imposer un quota pour toutes les offres, mais un quota généreux. L’offre « Perso » est à 50 Go de stockage, donc largement au-delà de la conso moyenne.

Enfin la principe de l’illimité est problématique. En 12 ans, la perception du grand public sur le numérique a évolué. Je parle spécifiquement de la consommation de ressources que le numérique représente. Le cloud, ce sont des serveurs dans des centres de données qui consomment de l’électricité, etc. En 2023, je pense que tout le monde a intégré le fait que nous vivons dans un monde fini. Ceci n’est pas compatible avec la notion de stockage infini. Je peux vous assurer que certains utilisateurs n’ont pas conscience de cette finitude.

Est-ce que des pros ont utilisé cette offre destinée aux particuliers pour «abuser» ?

Il y a des abus sur l’utilisation de l’espace de stockage, mais pas spécialement par des pros. On a des particuliers qui scannent des documents en haute résolution par dizaine de milliers pour des téraoctets stockés… On a des particuliers qui sont fans de telle ou telle star de cinéma et qui font des captures d’écran chaque seconde de chaque film de cet acteur. Ne rigolez pas, cela existe.

En revanche on avait un soucis de positionnement : l’offre « individuelle » n’était pas très appropriée pour les photographes pros mais l’offre entreprise était trop chère. On a maintenant des offres mieux étagées et on espère que cela sera plus pertinent pour ce type de client.

Enfin on a des entreprises qui essaient de prendre l’offre individuelle en se faisant passer pour des particuliers. Et là on est obligés de faire les gendarmes. On a même détecté des « patterns » de ses entreprises et on annulait les commandes « individuelles » de ces clients. J’en avais personnellement un petit peu ras le bol 🙂

Les nouvelles offres, même « Perso » sont accessibles même à des multinationales. Évidemment, les limites qu’on a fixées devraient naturellement les orienter vers nos offres Entreprise (nouvelle génération) voire VIP.

 

Est-ce qu’il s’agissait d’une offre qui se voulait temporaire et que vous avez laissé filer parce que vous étiez sur autre chose ?

 

Pendant 12 ans ? Non non, le choix de proposer de l’illimité en 2010 était réfléchi et « à durée indéterminée ». Les besoins et les possibilités et surtout les demandes ont changé. On s’adapte. On espère ne pas se tromper et si c’est le cas on fera des ajustements.

L’important c’est de pas mettre nos clients au pied du mur : ils peuvent renouveler sur leur offre d’origine. On a toujours proposé cela et on ne compte pas changer cette règle. C’est assez unique dans notre secteur d’activité mais on y tient.

Nous avons vu que votre actualité c’était la nouvelle version de Piwigo NG. Je crois que vous avez besoin d’aide. Vous pouvez nous en parler ?

Nous avons plusieurs actualités et effectivement côté logiciel, c’est la sortie de la version 2 de l’application mobile pour Android. Piwigo NG (comme Next Generation) est le résultat du travail de Rémi, qui travaille sur Piwigo depuis deux ans. Après avoir voulu faire évoluer l’application « native » sans succès, il a créé en deux semaines un prototype d’application mobile en Flutter. Ce qu’il avait fait en deux semaines était meilleur que ce que l’on galérait à obtenir avec l’application native en plusieurs mois. On a donc décidé de basculer sur cette nouvelle technologie. Un an après la sortie de Piwigo NG, Rémi sort une version 2 toujours sur Flutter mais avec une nouvelle architecture « plus propice aux évolutions ». Le fameux « il faut refactorer tous les six mois », devise des développeurs Java.

En effet nous avons besoin d’aide pour bêta-tester cette version 2 de Piwigo NG. Plus nous avons de retours, plus nous pouvons la stabiliser.

Pour aller plus loin




Fermer ses comptes… et respirer !

L’équipe de traduction des bénévoles de Framalang vous propose aujourd’hui le bref témoignage de Silvia, une designeuse indépendante1, qui avait atteint comme beaucoup un degré d’addiction élevé aux réseaux sociaux. Comme d’autres aussi, elle a renoncé progressivement à ces réseaux, et fait le bilan après six mois du nouvel état d’esprit dont elle a bénéficié, une sorte de sentiment de soulagement, celui d’avoir retrouvé un peu de liberté…
Bien sûr chacun a une trajectoire différente et la démarche peut n’être pas aussi facile, mais pourquoi ne pas tenter ?

Article original sur le blog de l’autrice : Life off social media, six months in
Traduction Framalang : Bromind, Diane, Florence, goofy, Marius, ngfchristian, Penguin

Six mois hors réseaux sociaux, six mois dans ma vie

par Silvia Maggi

J’étais vraiment partout. Citez-moi un réseau social, et sans doute, j’y avais un compte… Internet a toujours été important pour moi, et un certain degré de présence en ligne était bon pour mon travail, mes hobbies et mes relations sociales.

Mes préférés étaient Twitter, Flickr et LinkedIn. J’ai été une utilisatrice plutôt précoce. Puis sont arrivés Facebook et Instagram, qui sont ensuite devenus les principales raisons pour lesquelles j’ai fermé la plupart de mes comptes. Dès l’origine, j’ai eu une relation d’amour-haine avec Facebook. La première fois que je m’y suis connectée, j’ai détesté l’interface, les couleurs, et j’avais du mal à voir l’intérêt. D’ailleurs, j’ai aussitôt fermé le compte que je venais d’ouvrir, et je n’y suis revenue que plus tard, poussée par des amis qui me disaient « on y est tous et c’est marrant ».

Avec Instagram, le ressentiment est monté progressivement. Mon amour pour la photographie aurait pu être satisfait par l’application mais c’était également une période où les filtres étaient utilisés à outrance – à l’époque, l’autre application en vogue pour la prise de photos était Hipstamatic – et je préférais de toute façon prendre des clichés plutôt avec un appareil photo.

À mesure que la popularité d’Instagram augmentait, associée à la qualité du contenu, je suis devenue accro. Je n’ai jamais effacé mon compte Flickr, mais je ne visitais que rarement la plateforme : à un moment, on a eu l’impression que tout le monde avait migré vers l’application aux photos carrées. Cependant, quand Facebook a acheté Instagram pour 1 milliard de dollars en 2012, son avenir est devenu malheureusement évident. Avance rapide jusqu’à janvier 2021 : j’ai désactivé ce que je considérais à une époque comme mon précieux compte Instagram, et j’ai également fermé mon compte WhatsApp. Avant cela, j’avais fermé mes comptes Twitter, Facebook et Pinterest. Six mois plus tard, je peux dire comment les choses se sont passées.

Le bruit de fond s’est tu

Au début, c’était une sensation étrange : quelque chose manquait. Dans ma vie, je m’étais habituée à un certain niveau de bruit, au point de ne plus m’en rendre compte. Une fois qu’il a disparu, cela est devenu si évident que je m’en suis sentie soulagée. J’ai désormais moins d’opportunités de distractions et ainsi, il m’est devenu progressivement, plus facile de rester concentrée plus longtemps. En conséquence, cela a considérablement amélioré ma productivité et désormais, je suis à même de commencer et terminer la lecture de livres.

Le monde a continué de tourner

Je ne prête plus l’oreille aux mèmes, scandales ni à tout ce qui devient viral ou tendance sur les réseaux sociaux. Au lieu d’avoir peur de rater quelque chose, j’y suis indifférente. Le temps que je passais à suivre ce qui arrivait en ligne, je le passe ailleurs. Et le mieux dans tout ça, c’est que je ne me sens pas obligée de donner mon avis. J’ai des opinions précises sur les choses qui me tiennent à cœur, mais je doute que le monde entier ait besoin de les connaître.

En ce moment historique, tout peut être source de division, et les réseaux sociaux sont un endroit où la plupart des gens choisissent un camp. C’est un triste spectacle à voir car les arguments clivants sont amplifiés mais jamais réellement apaisés.

Ma santé mentale s’est améliorée

Il y a quelques années, je pensais qu’avoir du succès sur Instagram pourrait devenir mon boulot d’appoint. C’est arrivé à beaucoup de gens, alors pourquoi pas moi ? J’avais acheté un cours en ligne, proposé par un influenceur célèbre, pour comprendre comment rendre mon compte Instagram digne d’intérêt, et faire monter mes photos tout en haut grâce à l’algorithme.

À partir de ce moment, je me suis retrouvée enfermée dans une boucle. Je sortais et prenais avec frénésie plein de photos, les publiais puis je vérifiais les statistiques pour voir comment elles évoluaient. J’ai eu de bons moments, rencontré des personnes géniales, mais ce n’était jamais assez. En tant que photographe, je n’en faisais jamais assez. Les statistiques sont devenues un problème : j’en étais obsédée. Je les vérifiais tout le temps, me demandant ce que je faisais mal. Quand tout cela est devenu trop, je suis passée à un compte personnel, espérant résoudre mon problème en cliquant sur un simple bouton. Ça ne s’est pas passé ainsi : les chiffres n’étaient pas le vrai problème.

À chaque fois que j’éprouvais comme une démangeaison de photographier, et que je ne pouvais pas prendre de photos, je me sentais coupable parce que je n’avais rien à poster. Ma passion pour la photographie est passée d’une activité qui ne m’a jamais déçue, à une source d’anxiété et de sentiment d’infériorité. Depuis que j’ai désactivé mon compte Instagram, je prends des photos quand j’en ai envie. Je les poste sur Flickr, ou bien je les garde pour moi. Ça ne compte plus vraiment, tant que c’est un exutoire créatif.

écrit au néon rose sur fond de feuillage 'and breathe' (en français : et respirez)- Photo de Max van den Oetelaar.
Photo de Max van den Oetelaar, licence Unsplash

 

Finie l’immédiateté

Chaque fois que j’avais quelque chose à dire ou à montrer, je postais presque immédiatement sur un réseau social. C’était la chose normale à faire. Même si cela a diminué pendant les dernières années, je vois cela comme une attitude étrange de ma part. C’est peut-être une réflexion due au fait que je me connais un peu mieux désormais, mais il m’a toujours fallu du temps pour assimiler des concepts et me forger des opinions. C’est pour cela que je préfère écrire sur mon blog et que j’ai réduit récemment ma fréquence de publication : je donne davantage de détails sur mes apprentissages et mes réalisations récentes.

Conclusion

Quitter les réseaux sociaux a été une bonne décision pour moi. Je suis plus concentrée, moins anxieuse et j’ai à présent plus de temps libre. Cela, en plus des divers confinements, m’a permis de mieux me concentrer et réfléchir davantage à ce qui compte vraiment. Prendre cette décision ne conviendrait certainement pas à tout le monde, mais il est important de réaliser à quel point les réseaux sociaux influencent nos vies, et à quel point ils peuvent changer nos habitudes ainsi que notre manière de penser. Et ainsi, prendre des décisions à notre place.

Pour aller plus loin
Des articles en anglais

Des très nombreux témoignages en français qui mettent souvent l’accent sur la difficulté à se « sevrer »…

Mise à jour

22 Novembre 2021. Il y a deux mois, je me suis connectée à Instagram et n’ai rien ressenti. J’ai vu une vidéo d’un ami, mais je n’ai nullement éprouvé le besoin de regarder plus loin.
Il n’y avait aucun intérêt à maintenir ce compte en mode inactif, alors j’ai demandé sa suppression.
Maintenant c’est fini.

 




« c’est pratique mais c’est une dépossession… »

Aude Vidal qui signe l’article ci-dessous est autrice d’Égologie (Le Monde à l’envers) et de La Conjuration des ego. Féminismes et individualisme (Syllepse), éditrice d’On achève bien les éleveurs (L’Échappée).
Nous la remercions de nous autoriser à reproduire ici le 300e billet de son blog sur l’écologie politique où elle aborde avec vigueur et acuité les diverses facettes de son engagement : écologie, féminisme, anti-capitalisme…
Il s’agit ici d’une réflexion sur la difficulté, y compris en milieu militant, à renoncer au confort (« c’est pratique ») procuré par nos outils numériques, pour réapprendre peut-être à… se faire chier ?


C’est pratique
Par Aude – Le billet original sur son blog

Je n’aime pas me faire chier dans la vie, et je ne dois pas être la seule.
Il m’arrive pourtant souvent d’être surprise que ce soit, autour de moi, un critère décisif pour organiser sa vie : aller au plus pratique. À ce qui engage le moins d’efforts. Les pubs fourmillent d’invitations à se laisser dorloter en échange de quelques euros. Le champ des services ne cesse jamais de s’étendre – et de libérer la croissance. Plus besoin de sortir se faire couper les cheveux, le coiffeur vient chez vous. Inutile de penser à mettre de la bière au frigo, un livreur vous l’apporte. Des services auparavant réservés aux client·es des grands hôtels se massifient désormais : faites livrer des fleurs, chercher un document à la maison, etc. Votre maison est devenue le centre du monde, si vous le voulez bien. Il doit bien être possible de faire autrement, c’est comme cela que nous vivions il y a encore cinq ans.

Tous ces services se déploient dans une société de plus en plus inégalitaire : d’un côté des gens qui méritent de bien bouffer après leur journée de boulot ou une réunion exigeante (voir les pubs qui mettent en scène le réconfort après l’effort), de l’autre des galériens qui sont payés une misère pour leur livrer un pad thai ou un kit apéro (ici le témoignage d’un livreur chez Frichti). C’est surtout parce que le chômage reste massif et l’armée de réserve importante, parce que les emplois ont été délibérément déqualifiés en auto-entreprise que ces entreprises prolifèrent. Si les galériens en ont marre de risquer leur vie et la vôtre en conduisant comme des dingues, ils trouveront un migrant à qui faire faire le boulot. Mais le tout s’appuie sur un mélange de paresse et de sens de ce qui lui est dû qui saisit l’individu en régime libéral au moment de faire à bouffer ou de s’occuper de la dimension matérielle de sa vie. Certes nous devons encore être quelques-un·es à cuire des nouilles quand nous avons la flemme de cuisiner et qui apprécions de sortir au restaurant pour nous changer les idées, découvrir un autre monde, des odeurs,une ambiance (et je n’oublie pas que ces lieux aussi sont propices à l’exploitation du travail). Mais la compétition économique pousse au cul tout le monde pour inventer des services innovants – c’est à dire dont personne n’avait vraiment besoin, qui étaient des rêves d’enfants gâtés mais qui, intelligemment marketés, nous laissent imaginer que nos vies sont vachement mieux avec. Ils constituent une industrie de la compensation sur laquelle il faudra mettre le doigt un jour et qui en attendant offre aux winners des vies de merde pleines de gratifications.

C’est pratique aussi, quand votre smartphone pense à votre place, que le logiciel va chercher vos mots de passe sur une autre bécane, recueille et transfère vos données à votre insu… Pratique, mais un peu inquiétant. Qu’importe, c’est surtout bien pratique ! Je suis la première à ne pas faire en matière de sécurité tous les efforts que me proposent des camarades plus cultivés que moi sur ces questions. Mais malgré cette désinvolture, je flippe quand je vois le niveau d’indépendance acquis par mon smartphone. Après des années de résistance et bien qu’il soit encore possible d’acheter neufs des téléphones bien conçus qui permettent de téléphoner (et d’avoir l’heure), j’ai cédé pour le côté pratique (1) : plus besoin de m’inquiéter d’avoir une connexion Internet régulière, de préparer mes déplacements et ma vie sociale comme je le faisais, avec capture d’écran de plans, schémas dessinés dans l’agenda, infos importantes notées sur papier, etc. Mais je me sens sous tutelle, dépossédée, comme une gamine gâtée sauf que je sais ce que c’est que l’autonomie et je regrette celle que j’avais avant.

Car c’est pratique mais c’est une dépossession : plus la peine de se soucier de la dimension matérielle de sa vie (et de savoir cuire des nouilles), pas besoin de garder la maîtrise de ses outils… Jusqu’ici, tout va bien, tant qu’on fait encore partie de la petite bourgeoisie qui peut se payer tout ça, tant que des pans entiers du macro-système technicien ne s’effondrent pas. Mais tout cela nous déqualifie humainement et il est des menaces plus immédiates encore que l’effondrement écologique ou une vraie crise de l’énergie : nos libertés, individuelles et collectives.

Je côtoie beaucoup de personnes engagées, qui n’ont pas de mots assez durs pour stigmatiser le capitalisme et le productivisme, qui éteignent la lumière dans les pièces qu’elles n’utilisent pas et qui pourtant maintiennent des comptes dans des réseaux sociaux devenus plus gros que des États, qui consomment un paquet de ressources et d’énergie pour calculer ce qu’elles aiment et vendre le résultat à d’autres boîtes, censurent leurs images, détournent leurs « ami·es » d’elles ou réciproquement sur base algorithmique, censurent les noms de groupes pas assez familiaux, gèrent leur environnement social comme un pensionnat dans les années 1950 en attendant de purement et simplement censurer leurs propos (2). Et ces personnes, parfois ces collectifs et associations, restent parce que c’est « pratique »(3).

J’ai toujours reçu un minimum d’écho dans des groupes anti-capitalistes, écologistes ou féministes, quand j’ai suggéré que Facebook, Twitter, Google Drive et autres n’étaient pas nos amis et proposé d’utiliser les outils créés et maintenus par des groupes politiques plus proches de nous et soucieux de nos libertés : les outils Framasoft (qui vont du pad à l’agenda en ligne, en passant par l’interface de sondages et la feuille de calcul), le Crabgrass de Riseup qui offre des fonctionnalités magiques et je me désole de ne faire partie d’aucun groupe qui l’utilise, etc. Et j’ai régulièrement mis en cause chez mes correspondant·es l’idée saugrenue d’avoir un compte Gmail qui vous pousse à garder dix ans de données en ligne plutôt que de ranger dans des fichiers dédiés et régulièrement sauvegardés les images qui vous tiennent à cœur. Et chaque fois, ce que j’entends, c’est que ce serait sympa de sauver la banquise mais… quand même, c’est pratique. Et j’ai vu des bonnes volontés s’arrêter au fait que Framacalc ne propose pas de mettre en couleur les cases, même quand cette couleur contribue à la lisibilité de la feuille sans rajouter aucune information digne d’intérêt. Aucune. Ces outils sont parfois moins bien que leur concurrence commerciale mais ne peut-on arbitrer sur d’autres critères ?

Nous n’allons pas nous flageller, non : si ces entreprises prolifèrent, de la start-up aux GAFA, c’est bien parce que les États leur laissent la bride sur le col. Ils démontent le droit du travail au profit de la micro-entreprise, ils votent des législations liberticides et laissent passer des pratiques intrusives et des concentrations industrielles qui devraient normalement tomber sous le coup de lois anti-trust (Messenger + Facebook + WhatsApp + Instagram, what else?). C’est bien simple : les appels au contrôle des GAFA viennent aujourd’hui du sein desdits GAFA (et pas forcément des concurrents !) autant que des politiques. Visiblement, ça nous touche moins que la dernière vidéo de pandas mignons qui fait le buzz. Mais ça devrait. Et bien que notre marge de manœuvre soit limitée, bien qu’une défection individuelle ne signifie pas grand-chose numériquement, même si c’est dur de se passer des centaines de likes qui saluent vos traits d’esprit et vos indignations sur Twitter, même si votre organisation a fait son trou sur Facebook, il me semble que la première chose à faire, dans cette situation, c’est de quitter ces réseaux pour en faire vivre de plus démocratiques, sobres et décentralisés. Votre engagement anti-capitaliste, écologiste et anti-autoritaire le mérite bien…

Mauvaise nouvelle : il va falloir réapprendre à se faire un peu chier, dans la vie.

 

PS : Ceci est mon 300e billet sur ce blog, ouvert il y a exactement dix ans. 300 billets, ça ne veut pas dire 300 textes, il y a quelques annonces sur le lot. Mais oui, cela fait deux textes par mois en moyenne. Les meilleurs ont été publiés ailleurs (notamment dans les journaux papier L’An 02, CQFD, L’Âge de faire, Moins ! et d’autres encore) ou reformulés dans le cadre des livres Égologie (Le Monde à l’envers, 2007) et La Conjuration des ego (Syllepse, 2019). Je prépare aussi la réédition de ma brochure sur le revenu garanti (aux éditions du Monde à l’envers cet hiver). C’est un blog qui m’a aidée à écrire dans des formats courts puis un peu plus longs (mais toujours pas très longs !) et à faire œuvre malgré le chômage de longue durée et le manque de sollicitations. Je me fais chier à payer le nom de domaine chaque année, ce qui permet de bénéficier d’un hébergement offert par Gandi.net et de ne pas livrer votre cerveau à la publicité.

(1) À vrai dire j’ai cédé dans la perspective d’un travail de terrain à l’étranger, où les seuls accès à Internet se faisaient par mobile et où mes informateurs utilisaient WhatsApp plus volontiers que des sms hors de prix. Et j’y ai gagné un dictaphone de bien meilleure qualité. Mais au quotidien, en France, je me laisse convaincre par le smartphone alors que j’ai encore le choix tous les matins de mettre plutôt mon vieux Nokia dans ma poche.

(2) Ces réseaux sociaux hébergent vos propos, vous permettent de mettre en ligne vos textes, images, fichiers vidéo et audio. Vous restez responsable de vos publications. Tout va bien. Sauf que les dernières innovations en matière de libertés civiles (qui s’accompagnent de la remise en cause d’un droit de la presse qui fonctionne très bien depuis 1881) font de ces réseaux vos éditeurs, lesquels partagent avec vous la responsabilité pénale de vos publications. Devinez la peine que vont prendre ces gros acteurs capitalistes à faire vérifier par des petites mains rémunérées que vos propos sont en effet contraires à la loi, diffamatoires, insultants ou appelant à la haine ? C’est moins cher de le mettre à la poubelle dès qu’une personne qui ne vous aime pas les signale, d’autant plus que vous ne représentez rien (à moins que vous ne soyez Donald Trump, dans ce cas  l’appel à la haine est acceptable). Les organisations qui pourraient se saisir de ce cas de censure pour le rendre public sont elles aussi sur ces réseaux (qui contrôlent leur audience) ou ailleurs et plus personne ne les entend crier parce que tout le monde est sur Facebook. Monde de rêve, hein ?

(3) Moi aussi, je reste, tentant de limiter ma participation et préférant socialiser dans des lieux plus proches de mes valeurs, Seenthis.net ou Mastodon.

 

unmilitant appelle à la convergence des luttes contre le capitalisme en mentionnant tous les réseaux sociaux classiques (facebook, twitter, whatsapp etc.) derrière lui des flics trouvent que c’est pratqiue pour se retrouver
illustration réalisée avec https://framalab.org/gknd-creator/#




Désinformation, le rapport – 3

La traduction suivante est la suite et la continuation du travail entamé la semaine dernière sur le long rapport final élaboré par le comité « Digital, Culture, Media and Sport » du Parlement britannique, publié le 14 février dernier, sur la désinformation et la mésinformation.

Maintenant que le décor est posé, on aborde les questions réglementaires. Après avoir clairement défini ce qu’est une fake news, que nous avons traduit par « infox » et que les auteurs regroupent sous le terme plus précis de « désinformation », il est question de définir une nouvelle catégorie de fournisseurs de service pour caractériser leur responsabilité dans les préjudices faits à la société ainsi que des solutions pour protéger le public et financer l’action des structures de contrôle.

Le groupe Framalang a en effet entrepris de vous communiquer l’intégralité du rapport en feuilleton suivant l’avancement de la traduction.

Vous trouverez le texte intégral en suivant ce lien vers le PDF original (3,8 Mo).

La traduction est effectuée par le groupe Framalang, avec l’aide de toutes celles et ceux qui veulent bien participer et pour cet opus :

Traducteurs : Khrys, Lumibd, Maestox, simon, Fabrice, serici, Barbara, Angie, Fabrice, simon

La réglementation, le rôle, la définition et la responsabilité juridique des entreprises de technologie

Définitions

11. Dans notre rapport intermédiaire, nous avons désavoué le terme d’« infox » puisqu’il a « pris de nombreux sens, notamment une description de toute affirmation qui n’est pas appréciée ou en accord avec l’opinion du lecteur » et nous avons recommandé à la place les termes de « mésinformation » ou de « désinformation ». Avec ces termes viennent « des directives claires à suivre pour les compagnies, organisations et le Gouvernement  » liées à «  une cohérence partagée de la définition sur les plateformes, qui peuvent être utilisées comme la base de la régulation et de l’application de la loi »2.

12. Nous avons eu le plaisir de voir que le Gouvernement a accepté notre point de vue sur le fait que le terme « infox » soit trompeur, et ait essayé à la place d’employer les termes de « désinformation » et de « mésinformation ». Dans sa réponse, le gouvernement a affirmé :

Dans notre travail, nous avons défini le mot « désinformation » comme la création et le partage délibérés d’informations fausses et/ou manipulées dans le but de tromper et d’induire en erreur le public, peu importe que ce soit pour porter préjudice, ou pour des raisons politiques, personnelles ou financières. La « mésinformation » se réfère au partage par inadvertance de fausses informations3.

13. Nous avons aussi recommandé une nouvelle catégorie d’entreprises de réseaux sociaux, qui resserrent les responsabilités des entreprises de technologie et qui ne sont pas forcément « une plateforme » ou un « éditeur ». le gouvernement n’a pas du tout répondu à cette recommandation, mais Sharon White, Pdg de Of.com a qualifié cette catégorie de « très soignée » car les « plateformes ont vraiment des responsabilités, même si elles ne génèrent pas les contenus, concernant ce qu’elles hébergent et promeuvent sur leur site ».4.

14. Les entreprises de réseaux sociaux ne peuvent se cacher derrière le fait qu’elles seraient simplement une plateforme, et maintenir qu’elles n’ont elles-mêmes aucune responsabilité sur la régulation du contenu de leurs sites. Nous répétons la recommandation de notre rapport provisoire, qui stipule qu’une nouvelle catégorie d’entreprises technologiques doit être définie qui renforcera les responsabilités des entreprises technologiques et qui ne sont pas forcément « une plateforme » ou un « éditeur ». Cette approche voudrait que les entreprises de technologie prennent leur responsabilité en cas de contenu identifié comme étant abusif après qu’il a été posté par des utilisateurs. Nous demandons au gouvernement de prendre en compte cette nouvelle catégorie de compagnies technologiques dans son livre blanc qui va paraître prochainement.

Préjudices et réglementation en ligne

15. Plus tôt dans le cadre de notre enquête, nous avons écouté le témoignage de Sandy Parakilas et Tristan Harris, qui étaient tous deux à l’époque impliqués dans le Center for Human Technology, situé aux États-Unis. Le centre a compilé un « Recueil de Préjudices » qui résume les « impacts négatifs de la technologie qui n’apparaissent pas dans les bilans des entreprises, mais dans le bilan de la société ».5 Le Recueil de Préjudices contient les impacts négatifs de la technologie, notamment la perte d’attention, les problèmes de santé mentale, les confusions sur les relations personnelles, les risques qui pèsent sur nos démocraties et les problèmes qui touchent les enfants.6.

16. La prolifération des préjudices en ligne est rendu plus dangereuse si on axe des messages spécifiques sur des individus suite à des « messages micro-ciblés », qui jouent souvent sur les opinions négatives qu’ont les gens d’eux-mêmes et des autres et en les déformant. Cette déformation est rendue encore plus extrême par l’utilisation de « deepfakes » 7 audio et vidéos qui sonnent et ressemblent à une personne existante tenant des propos qui ne lui appartiennent pas.8 Comme nous l’avons dit dans notre rapport intermédiaire, la détection de ces exemples ne deviendra que plus complexe et plus difficile à démasquer au fur et à mesure de la sophistication des logiciels 9.

17. Le ministre de la santé, le député Hon Matthew Hancock, a récemment mis en garde les sociétés informatiques, notamment Facebook, Google et Twitter, qu’elles étaient en charge de la suppression des contenus inappropriés, blessants suite à la mort de Molly Russel, qui à 14 ans s’est suicidée en novembre 2017. Son compte Instagram contenait du contenu en lien avec la dépression, l’auto-mutilation et le suicide. Facebook, propriétaire d’Instagram, s’est déclaré profondément désolé de l’affaire.10 Le directeur d’Instagram, Adam Mosseri, a rencontré le secrétaire de la Santé début février 2019 et déclaré qu’Instagram n’était pas « dans une situation où il était nécessaire de traiter le problème de l’auto-mutilation et du suicide » et que cela revenait à arbitrer entre « agir maintenant et agir de manière responsable » 11

18. Nous relevons également que dans son discours du 5 février 2019, la députée Margot James, ministre du numérique dans le département du numérique, de la culture, des médias et du sport a exprimé ses craintes :

La réponse des principales plateformes est depuis trop longtemps inefficace. Il y a eu moins de 15 chartes de bonne conduite mises en place volontairement depuis 2008. Il faut maintenant remettre absolument en cause un système qui n’a jamais été suffisamment encadré par la loi. Le livre blanc, que le DCMS produit en collaboration avec le ministère de l’intérieur sera suivi d’une consultation durant l’été et débouchera sur des mesures législatives permettant de s’assurer que les plateformes supprimeront les contenus illégaux et privilégieront la protection des utilisateurs, particulièrement des enfants, adolescents et adultes vulnérables. 12

Le nouveau Centre pour des algorithmes et des données éthiques

19. Comme nous l’avons écrit dans notre rapport intermédiaire, les sociétés fournissant des réseaux sociaux tout comme celles fournissant des moteurs de recherche utilisent des algorithmes ou des séquences d’instructions pour personnaliser les informations et autres contenus aux utilisateurs. Ces algorithmes sélectionnent le contenu sur la base de facteurs tels que l’activité numérique passée de l’utilisateur, ses connexions sociales et leur localisation. Le modèle de revenus des compagnies d’Internet repose sur les revenus provenant de la vente d’espaces publicitaires et parce qu’il faut faire du profit, toute forme de contenu augmentant celui-ci sera priorisé. C’est pourquoi les histoires négatives seront toujours mises en avant par les algorithmes parce qu’elles sont plus fréquemment partagées que les histoires positives.13

20. Tout autant que les informations sur les compagnies de l’internet, les informations sur leurs algorithmes doivent être plus transparentes. Ils comportent intrinsèquement des travers, inhérents à la façon dont ils ont été développés par les ingénieurs ; ces travers sont ensuite reproduits diffusés et renforcés. Monica Bickert, de Facebook, a admis « que sa compagnie était attentive à toute forme de déviance, sur le genre, la race ou autre qui pourrait affecter les produits de l’entreprise et que cela inclut les algorithmes ». Facebook devrait mettre plus d’ardeur à lutter contre ces défauts dans les algorithmes de ses ingénieurs pour éviter leur propagation.
14

21. Dans le budget de 2017, le Centre des données Ethiques et de l’innovation a été créé par le gouvernement pour conseiller sur « l’usage éthique, respectueux et innovant des données, incluant l’IA ». Le secrétaire d’état a décrit son rôle ainsi:

Le Centre est un composant central de la charte numérique du gouvernement, qui définit des normes et des règles communes pour le monde numérique. Le centre permettra au Royaume-Uni de mener le débat concernant l’usage correct des données et de l’intelligence artificielle.15

22. Le centre agira comme un organisme de recommandation pour le gouvernement et parmi ses fonctions essentielles figurent : l’analyse et l’anticipation des manques en termes de régulation et de gestion; définition et orchestration des bonnes pratiques, codes de conduites et standards d’utilisations de l’Intelligence Artificielle; recommandation au gouvernement sur les règles et actions réglementaires à mettre en place en relation avec l’usage responsable et innovant des données. 16

23. La réponse du gouvernement à notre rapport intermédiaire a mis en lumière certaines réponses à la consultation telle que la priorité de l’action immédiate du centre, telle que « le monopole sur la donnée, l’utilisation d’algorithme prédictifs dans la police, l’utilisation de l’analyse des données dans les campagnes politiques ainsi que l’éventualité de discrimination automatisée dans les décisions de recrutement ». Nous nous félicitons de la création du Centre et nous nous réjouissons à la perspective d’en recueillir les fruits de ses prochaines travaux.

La loi en Allemagne et en France

24. D’autres pays ont légiféré contre le contenu malveillant sur les plateformes numériques. Comme nous l’avons relevé dans notre rapport intermédiaire, les compagnies d’internet en Allemagne ont été contraintes initialement de supprimer les propos haineux en moins de 24 heures. Quand cette auto-régulation s’est montrée inefficace, le gouvernement allemand a voté le Network Enforcement Act, aussi connu sous le nom de NetzDG, qui a été adopté en janvier 2018. Cette loi force les compagnies technologiques à retirer les propos haineux de leurs sites en moins de 24 heures et les condamne à une amende de 20 millions d’euros si ces contenus ne sont pas retirés17. Par conséquent, un modérateur sur six de Facebook travaille désormais en Allemagne, ce qui prouve bien que la loi peut être efficace.18.

25. Une nouvelle loi en France, adoptée en novembre 2018 permet aux juges d’ordonner le retrait immédiat d’articles en ligne s’ils estiment qu’ils diffusent de la désinformation pendant les campagnes d’élection. La loi stipule que les utilisateurs doivent recevoir « d’informations qui sont justes, claires et transparentes » sur l’utilisation de leurs données personnelles, que les sites doivent divulguer les sommes qu’elles reçoivent pour promouvoir des informations, et la loi autorise le CSA français à pouvoir suspendre des chaînes de télévision contrôlées ou sous influence d’un état étranger, s’il estime que cette chaîne dissémine de manière délibérée des fausses informations qui pourraient affecter l’authenticité du vote. Les sanctions imposées en violation de la loi comprennent un an de prison et une amende de 75000 euros19.

Le Royaume-Uni

26. Comme la Commissaire de l’Information du Royaume-Uni, Elisabeth Denham, nous l’a expliqué en novembre 2018, il y a une tension entre le modèle économique des médias sociaux, centré sur la publicité, et les droits humains tels que la protection de la vie privée. « C’est notre situation actuelle et il s’agit d’une tâche importante à la fois pour les régulateurs et le législateur de s’assurer que les bonnes exigences, la surveillance et sanctions sont en place » 20. Elle nous a dit que Facebook, par exemple, devrait en faire plus et devrait faire « l’objet d’une régulation et d’une surveillance plus stricte »21. Les activités de Facebook dans la scène politique sont en augmentation; l’entreprise a récemment lancé un fil d’actualités intitulé « Community Actions » avec une fonctionnalité de pétition pour, par exemple, permettre aux utilisateurs de résoudre des problèmes politiques locaux en créant ou soutenant des pétitions. Il est difficile de comprendre comment Facebook sera capable d’auto-réguler une telle fonctionnalité; plus le problème local va être sujet à controverse et litiges, plus il entrainera de l’engagement sur Facebook et donc de revenus associés grâce aux publicités 22.

Facebook et la loi

27. En dépit de toutes les excuses formulées par Facebook pour ses erreurs passées, il semble encore réticent à être correctement surveillé. Lors de la session de témoignage verbal au « Grand Comité International », Richard Alland, vice-président des solutions politiques de Facebook, a été interrogé à plusieurs reprises sur les opinions de Facebook sur la régulation, et à chaque fois il a déclaré que Facebook était très ouvert au débat sur la régulation, et que travailler ensemble avec les gouvernements seraient la meilleure option possible :

« Je suis ravi, personnellement, et l’entreprise est vraiment engagé, de la base jusqu’à notre PDG — il en a parlé en public — à l’idée d’obtenir le bon type de régulation afin que l’on puisse arrêter d’être dans ce mode de confrontation. Cela ne sert ni notre société ni nos utilisateurs. Essayons de trouver le juste milieu, où vous êtes d’accord pour dire que nous faisons un travail suffisamment bon et où vous avez le pouvoir de nous tenir responsable si nous ne le faisons pas, et nous comprenons quel le travail que nous avons à faire. C’est la partie régulation23. »

28. Ashkan Soltani, un chercheur et consultant indépendant, et ancien Responsable Technologique de la Commission Fédérale du Commerce des USA 24, a questionné la volonté de Facebook à être régulé. À propos de la culture interne de Facebook, il a dit : « Il y a ce mépris — cette capacité à penser que l’entreprise sait mieux que tout le monde et tous les législateurs » 25. Il a discuté de la loi californienne pour la vie privée des consommateurs 26 que Facebook a supporté en public, mais a combattu en coulisses 27.

29. Facebook ne semble pas vouloir être régulé ou surveillé. C’est considéré comme normal pour les ressortissants étrangers de témoigner devant les comités. En effet, en juin 2011, le Comité pour la Culture, les Médias et le Sport 28 a entendu le témoignage de Rupert Murdoch lors de l’enquête sur le hacking téléphonique 29 et le Comité au Trésor 30 a récemment entendu le témoignage de trois ressortissants étrangers 31. En choisissant de ne pas se présenter devant le Comité et en choisissant de ne pas répondre personnellement à aucune de nos invitations, Mark Zuckerberg a fait preuve de mépris envers à la fois le parlement du Royaume-Uni et le « Grand Comité International », qui compte des représentants de neufs législatures dans le monde.

30. La structure managériale de Facebook est opaque pour les personnes extérieures, et semble conçue pour dissimuler la connaissance et la responsabilité de certaines décisions. Facebook a pour stratégie d’envoyer des témoins dont ils disent qu’ils sont les plus adéquats, mais qui n’ont pas été suffisamment informés sur les points cruciaux, et ne peuvent répondre ou choisissent de ne pas répondre à nombre de nos questions. Ils promettent ensuite d’y répondre par lettre, qui —sans surprise— échouent à répondre à toutes nos questions. Il ne fait pas de doute que cette stratégie est délibérée.

Régulateurs britanniques existants

31. Au Royaume-Uni, les principales autorités compétentes — Ofcom, l’autorité pour les standards publicitaires 32, le bureau du commissaire à l’information 33, la commission électorale 34 et l’autorité pour la compétition et le marché 35 — ont des responsabilités spécifiques sur l’utilisation de contenus, données et comportements. Quand Sharon White, responsable de Ofcom, est passé devant le comité en octobre 2018, après la publication de notre rapport intermédiaire, nous lui avons posé la question si leur expérience comme régulateur de diffusion audiovisuelle pourrait être utile pour réguler les contenus en ligne. Elle a répondu :

« On a essayé d’identifier quelles synergies seraient possibles. […] On a été frappé de voir qu’il y a deux ou trois domaines qui pourraient être applicable en ligne. […] Le fait que le Parlement 36 ait mis en place des standards, ainsi que des objectifs plutôt ambitieux, nous a semblé très important, mais aussi durable avec des objectifs clés, que ce soit la protection de l’enfance ou les préoccupations autour des agressions et injures. Vous pouvez le voir comme un processus démocratique sur quels sont les maux que l’on croit en tant que société être fréquent en ligne. L’autre chose qui est très importante dans le code de diffusion audiovisuelle est qu’il explicite clairement le fait que ces choses peuvent varier au cours du temps comme la notion d’agression se modifie et les inquiétudes des consommateurs changent. La mise en œuvre est ensuite déléguée à un régulateur indépendant qui traduit en pratique ces objectifs de standards. Il y a aussi la transparence, le fait que l’on publie nos décisions dans le cas d’infractions, et que tout soit accessible au public. Il y a la surveillance de nos décisions et l’indépendance du jugement 37 ».

32. Elle a également ajouté que la fonction du régulateur de contenu en ligne devrait évaluer l’efficacité des compagnies technologiques sur leurs mesures prises contre les contenus qui ont été signalés comme abusifs. « Une approche serait de se dire si les compagnies ont les systèmes, les processus, et la gouvernance en place avec la transparence qui amène la responsabilité publique et la responsabilité devant le Parlement, que le pays serait satisfait du devoir de vigilance ou que les abus seront traités de manière constante et efficace ».38.

33. Cependant, si on demandait à Ofcom de prendre en charge la régulation des capacités des compagnies des réseaux sociaux, il faudrait qu’il soit doté de nouveaux pouvoirs d’enquête. Sharon White a déclaré au comité « qu’il serait absolument fondamental d’avoir des informations statutaires, réunissant des pouvoirs sur un domaine large ».39.

34. UK Council for Internet Safety(UKCIS) est un nouvel organisme, sponsorisé par le Ministère du Numérique, de la Culture, des Médias et du Sport, le Ministère de l’Éducation et le Ministère de l’Intérieur, il réunit plus de 200 organisations qui ont pour but de garantir la sécurité des enfants en ligne. Son site web affirme « si c’est inacceptable hors ligne, c’est inacceptable en ligne ». Son attention tiendra compte des abus en lignes comme le cyberharcèlement et l’exploitation sexuelle, la radicalisation et l’extrémisme, la violence contre les femmes et les jeunes filles, les crimes motivés par la haine et les discours haineux, et les formes de discrimination vis à vis de groupes protégés par l’Equality Act.40. Guy Parker, Pdg d’Advertising Standards Authority nous a informé que le Gouvernement pourrait se décider à intégrer les abus dans la publicité dans leur définition d’abus en ligne41.

35. Nous pensons que UK Council for Internet Safety devrait inclure dans le périmètre de ses attributions « le risque envers la démocratie » tel qu’identifié dans le « Registre des Préjudices » du Center for Human Technology, en particulier par rapport aux reportages profondément faux. Nous notons que Facebook est inclus en tant que membre d’UKCIS, compte tenu de son influence éventuelle, et nous comprenons pourquoi. Cependant, étant donné l’attitude de Facebook dans cette enquête, nous avons des réserves quant à sa bonne foi des affaires et sa capacité à participer au travail d’UKCIS dans l’intérêt du public, par opposition à ses intérêts personnels.

36. Lorsqu’il a été demandé au Secrétaire du Numérique, de la Culture, des Médias et des Sports, le Très Honorable député Jeremy Wright, de formuler un spectre des abus en ligne, sa réponse était limitée. « Ce que nous devons comprendre est à quel point les gens sont induits en erreur ou à quel point les élections ont été entravées de manière délibérée ou influencée, et si elle le sont […] nous devons trouver des réponses appropriées et des moyens de défense. Cela fait partie d’un paysage bien plus global et je ne crois par que c’est juste de le segmenter42. Cependant, une fois que nous avons défini les difficultés autour de la définition, l’étendue et la responsabilité des abus en ligne, le Secrétaire d’État était plus coopératif lorsqu’on lui a posé la question sur la régulation des compagnies de réseaux sociaux, et a déclaré que le Royaume-Uni devrait prendre l’initia

37. Notre rapport intermédiaire recommandait que des responsabilités juridiques claires soient définies pour les compagnies technologiques, afin qu’elles puissent prendre des mesures allant contre des contenus abusifs ou illégaux sur leurs sites. À l’heure actuelle, il est urgent de mettre en œuvre des règlements indépendants. Nous croyons qu’un Code d’Éthique obligatoire doit être implémenté, supervisé par un régulateur indépendant, définissant ce que constitue un contenu abusif. Le régulateur indépendant aurait des pouvoirs conférés par la loi pour surveiller les différentes compagnies technologiques, cela pourrait créer un système réglementaire pour les contenus en ligne qui est aussi effectif que pour ceux des industries de contenu hors ligne.

38. Comme nous l’avons énoncé dans notre rapport intermédiaire, un tel Code d’Éthique devrait ressembler à celui du Broadcasting Code publiée par Ofcom, qui se base sur des lignes directrices définies dans la section 319 du Communications Acts de 2003. Le Code d’Éthique devrait être mis au point par des experts techniques et supervisés par un régulateur indépendant, pour pouvoir mettre noir sur blanc ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas sur les réseaux sociaux, notamment les contenus abusifs et illégaux qui ont été signalés par leurs utilisateurs pour être retirés, ou qu’il aurait été facile d’identifier pour les compagnies technologiques elles-mêmes.

39. Le processus devrait définir une responsabilité juridique claire pour les compagnies technologiques de prendre des mesures contre les contenus abusifs et illégaux sur leur plateforme et ces compagnies devraient mettre en place des systèmes adaptés pour marquer et retirer des « types d’abus » et s’assurer que les structures de cybersécurité soient implémentées. Si les compagnies techniques (y compris les ingénieurs informaticiens en charge de la création des logiciels pour ces compagnies) sont reconnues fautifs de ne pas avoir respecté leurs obligations en vertu d’un tel code, et n’ont pas pris de mesure allant contre la diffusion de contenus abusifs et illégaux, le régulateur indépendant devrait pouvoir engager des poursuites judiciaires à leur encontre, dans l’objectif de les condamner à payer des amendes élevées en cas de non-respect du Code.

40. C’est le même organisme public qui devrait avoir des droits statutaires pour obtenir toute information de la part des compagnies de réseaux sociaux qui sont en lien avec son enquête. Cela pourrait concerner la capacité de vérifier les données qui sont conservées sur un utilisateur, s’il demandait ces informations. Cet organisme devrait avoir accès aux mécanismes de sécurité des compagnies technologiques et aux algorithmes, pour s’assurer qu’ils travaillent de manière responsable. Cet organisme public devrait être accessible au public et recevoir les plaintes sur les compagnies des réseaux sociaux. Nous demandons au gouvernement de soumettre ces propositions dans son prochain livre blanc.

Utilisation des données personnelles et inférence

41. Lorsque Mark Zuckerberg a fourni les preuves au congrès en avril 2018, dans la suite du scandal Cambridge Analytica, il a fait la déclaration suivante : « Vous devriez avoir un contrôle complet sur vos données […] Si nous ne communiquons pas cela clairement, c’est un point important sur lequel nous devons travailler ». Lorsqu’il lui a été demandé à qui était cet « alterego virtuel », Zuckerberg a répondu que les gens eux-mêmes possèdent tout le « contenu » qu’ils hébergent sur la plateforme, et qu’ils peuvent l’effacer à leur gré43. Cependant, le profil publicitaire que Facebook construit sur les utilisateurs ne peut être accédé, contrôlé ni effacé par ces utilisateurs. Il est difficile de concilier ce fait avec l’affirmation que les utilisateurs possèdent tout « le contenu » qu’ils uploadent.

42. Au Royaume-Uni, la protection des données utilisateur est couverte par le RGPD (Règlement Général de Protection des Données)44. Cependant, les données « inférées » ne sont pas protégées ; cela inclut les caractéristiques qui peuvent être inférées sur les utilisateurs et qui ne sont pas basées sur des informations qu’ils ont partagées, mais sur l’analyse des données de leur profil. Ceci, par exemple, permet aux partis politiques d’identifier des sympathisants sur des sites comme Facebook, grâce aux profils correspondants et aux outils de ciblage publicitaire sur les « publics similaires ». Selon la propre description de Facebook des « publics similaires », les publicitaires ont l’avantage d’atteindre de nouvelles personnes sur Facebook « qui ont des chances d’être intéressées par leurs produits car ils sont semblables à leurs clients existants » 45.

43. Le rapport de l’ICO, publié en juillet 2018, interroge sur la présomption des partis politques à ne pas considérer les données inférées comme des données personnelles:

« Nos investigations montrent que les partis politiques n’ont pas considéré les données inférées comme des informations personnelles car ce ne sont pas des informations factuelles. Cependant, le point de vue de l’ICO est que ces informations sont basées sur des hypothèses sur les intérets des personnes et leurs préférences, et peuvent être attribuées à des individus spécifiques, donc ce sont des informations personnelles et elles sont soumises aux contraintes de la protection des données 46. »

44. Les données inférées sont donc considérées par l’ICO comme des données personnelles, ce qui devient un problème lorsque les utilisateurs sont informés qu’ils disposent de leurs propres données, et qu’ils ont un pouvoir sur où les données vont, et ce pour quoi elles sont utilisées. Protéger nos données nous aide à sécuriser le passé, mais protéger les inférences et l’utilisation de l’Intelligence Artificielle (IA) est ce dont nous avons besoin pour protéger notre futur.

45. La commissaire à l’information, Elizabeth Denham, a souligné son intérêt sur l’utilisation des données inférées dans les campagnes politiques lorsqu’elle a fourni des preuves au comité en novembre 2018, déclarant qu’il y a eu :

« Un nombre dérangeant de manque de respect des données personnelles des votants et des votants potentiels. Ce qui s’est passé ici est que le modèle familier aux gens du secteur commercial sur le ciblage des comportements a été transféré – je pense transformé – dans l’arène politique. C’est pour cela que j’appelle à une pause éthique, afin que nous puissions y remédier. Nous ne voulons pas utiliser le même modèle qui nous vend des vacances, des chaussures et des voitures pour collaborer avec des personnes et des votants. Les gens veulent plus que ça. C’est le moment pour faire un pause pour regarder les codes, regarder les pratiques des entreprises de réseaux sociaux, de prendre des mesures là où ils ont enfreint la loi. Pour nous, le principal but de ceci est de lever le rideau et montrer au public ce qu’il advient de leurs données personnelles 47. »

46. Avec des références explicites sur l’utilisation des « publics similaires » de Facebook, Elizabeth Denham a expliqué au comité qu’ils « devaient être transparents envers les [utilisateurs] privés. Ils ont besoin de savoir qu’un parti politique, ou un membre du parlement, fait usage des publics similaires. Le manque de transparence est problématique48. Lorsque nous avons demandé à la commissaire à l’information si elle pensait que l’utilisation des « publics similaires » était légal selon le RGPD, elle a répondu : « Nous avons besoin de l’analyser en détail sous la loupe du RGPD, mais je pense que le public est mal à l’aise avec les publics similaires, et il a besoin que ce soit transparent » 49. Les gens ont besoin de savoir que l’information qu’ils donnent pour un besoin spécifique va être utilisé pour inférer des informations sur eux dans d’autres buts.

47. Le secrétaire d’état, le très honorable membre du parlement Jeremy Wright, nous a également informé que le framework éthique et législatif entourant l’IA devait se développer parallèlement à la technologie, ne pas « courir pour [la] rattraper », comme cela s’est produit avec d’autres technologies dans le passé 50. Nous devons explorer les problèmes entourant l’IA en détail, dans nos enquêtes sur les technologies immersives et d’addictives, qui a été lancée en décembre 2018 51.

48. Nous soutenons la recommandation de l’ICO comme quoi les données inférées devraient être protégées par la loi comme les informations personnelles. Les lois sur la protection de la vie privée devraient être étendues au-delà des informations personnelles pour inclure les modèles utilisés pour les inférences sur les individus. Nous recommandons que le gouvernement étudie les manières dont les protections de la vie privée peuvent être étendues pour inclure les modèles qui sont utilisés pour les inférences sur les individus, en particulier lors des campagnes politiques. Cela nous assurerait que les inférences sur les individus sont traitées de manière aussi importante que les informations personnelles des individus.

Rôle accru de l’OIC et taxe sur les entreprises de technologie

49. Dans notre rapport intérimaire, nous avons demandé que l’OIC soit mieux à même d’être à la fois un « shérif efficace dans le Far West de l’Internet » et d’anticiper les technologies futures. L’OIC doit avoir les mêmes connaissances techniques, sinon plus, que les organisations examinées52. Nous avons recommandé qu’une redevance soit prélevée sur les sociétés de technologie opérant au Royaume-Uni, pour aider à payer ces travaux, dans le même esprit que la façon dont le secteur bancaire paie les frais de fonctionnement de l’autorité de régulation Financière 53 54.

50. Lorsque l’on a demandé au secrétaire d’État ce qu’il pensait d’une redevance, il a répondu, en ce qui concerne Facebook en particulier: « Le Comité est rassuré que ce n’est pas parce que Facebook dit qu’il ne veut pas payer une redevance, qu’il ne sera pas question de savoir si nous devrions ou non avoir une redevance »55. Il nous a également dit que « ni moi, ni, je pense franchement, l’OIC, ne pensons qu’elle soit sous-financée pour le travail qu’elle a à faire actuellement. […] Si nous devons mener d’autres activités, que ce soit en raison d’une réglementation ou d’une formation supplémentaires, par exemple, il faudra bien qu’elles soient financées d’une façon ou d’une autre. Par conséquent, je pense que la redevance vaut la peine d’être envisagée »56.

51. Dans notre rapport intermédiaire, nous avons recommandé qu’une redevance soit prélevée sur les sociétés de technologie opérant au Royaume-Uni pour soutenir le travail renforcé de l’OIC. Nous réitérons cette recommandation. La décision du chancelier, dans son budget de 2018, d’imposer une nouvelle taxe de 2% sur les services numériques sur les revenus des grandes entreprises technologiques du Royaume-Uni à partir d’avril 2020, montre que le gouvernement est ouvert à l’idée d’une taxe sur les entreprises technologiques. Dans sa réponse à notre rapport intermédiaire, le gouvernement a laissé entendre qu’il n’appuierait plus financièrement l’OIC, contrairement à notre recommandation. Nous exhortons le gouvernement à réévaluer cette position.

52. Le nouveau système indépendant et la nouvelle réglementation que nous recommandons d’établir doivent être financés adéquatement. Nous recommandons qu’une taxe soit prélevée sur les sociétés de technologie opérant au Royaume-Uni pour financer leur travail.