Ouvert et fermé, par Evgeny Morozov

L’écrivain Evgeny Morozov n’aime pas les visions bisounours des nouvelles technologies.

On se souvient qu’il y a deux ans il avait vertement critiqué le soit-disant pouvoir libérateur d’Internet, ce qui lui avait valu réponse de Cory Doctorow traduite par nos soins.

Il s’en prend aujourd’hui à l’usage immodéré de l’expression « open » qui, à force d’être utilisé à tous les sauces, prend le risque d’être vidé de son (noble ?) sens.

Pumpkincat210 - CC by

Ouvert et fermé


Open and Closed

Evgeny Morozov – 17 mars 2013 – NewYorkTimes.com (Opinion)
(Traduction Framalang)


« L’impression 3D peut-elle être subversive ? » demande une voix dans la vidéo la plus terrifiante que vous puissiez trouver sur Internet ce mois-ci. Il s’agit de la bande-annonce pour Defcad.com, un moteur de recherche pour des modèles imprimables en 3D de choses que les « institutions et les industries ont pour intérêt commun de garder loin de nous », incluant des « appareils médicaux, médicaments, biens, pistolets ».

La voix appartient à Cody Wilson, un étudiant en droit du Texas qui a fondé l’année dernière Defense Distributer, une initiative controversée visant à produire une « arme wiki » imprimable. Avec Defcad, il s’étend au-delà des armes, autorisant, par exemple, des passionnés de drones à rechercher des pièces imprimables.


M. Wilson joue la carte de « l’ouverture » de Defcad jusqu’à dire qu’elle est l’opium des masses armées d’iPad. Non seulement le moteur de recherche Defcad sera placé sous le signe de l’« open source » — la bande-annonce le clame à deux reprises — mais également de « l’open data  ». Avec une telle ouverture, Defcad ne peut pas être le Mal, n’est-ce pas ?


Personne n’a besoin de voir des projets tels que Defcad pour constater que « l’ouverture » est devenue un terme dangereusement vague, avec beaucoup de sex-appeal mais peu de contenu un tant soit peu analytique. Certifiées « ouvertes », les idées les plus odieuses et suspectes deviennent soudain acceptables. Même l’Église de Scientologie vante son « engagement envers la communication ouverte ».


L’ouverture est aujourd’hui un culte puissant, une religion avec ses propres dogmes. « Posséder des gazoducs, personnes, produits, ou même la propriété intellectuelle n’est plus la clef du succès. L’ouverture l’est », clame l’éditorialiste Jeff Jarvis.

La fascination pour « l’ouverture » provient principalement du succès des logiciels open source, du code informatique publiquement accessible auquel tout le monde peut contribuer. Mais aujourd’hui ce principe est en train d’être appliqué à tout, de la politique à la philanthropie ; des livres intitulés « The Open-Source Everything Manifesto » (le Manifeste du Tout Open Source) et « Radical Openness » (L’Ouverture Radicale) ont récemment été publiés. Il existe même « OpenCola » — un vrai soda pour le peuple.


Pour de nombreuses institutions, « ouvert » est devenu le nouveau « vert ». Et de la même façon que certaines entreprises « verdissent » (greenwash) leurs initiatives en invoquant une façade écolo pour cacher des pratiques moins recommandables, un nouveau terme vient d’émerger pour décrire ce besoin d’introduire « l’ouverture » dans des situations et environnements où elle existe peu ou pas : « openwashing » (« ouvertisation »).

Hélas, « l’ouvertisation », aussi sympathique que cela puisse sonner, ne questionne pas l’authenticité des initiatives « ouvertes » ; cela ne nous dit pas quels types « d’ouverture » valent le coup, s’il en est. Toutes ces ouvertures, ou prétendues ouvertures, ne se valent pas et nous devons les différentier.


Regardez « l’ouverture » célébrée par le philosophe Karl Popper, qui a défini la « société ouverte » comme l’apothéose des valeurs politiques libérales. Ce n’est pas la même ouverture que celle du monde de l’open source. Alors que celle de Popper concernait principalement la politique et les idées, l’open source concerne avant tout la coopération, l’innovation, et l’efficacité — des résultats utiles, mais pas dans toutes les situations.


Regardez comme George Osborne, le chancelier britannique a défini les « politiques open source » récemment. « Plutôt que de se baser sur le fait que des politiciens » et des « fonctionnaires aient le monopole de la sagesse, vous pouvez vous engager via Internet » avec « l’ensemble du public, ou du moins les personnes intéressées, pour résoudre un problème particulier ».

En tant qu’ajout à la politique déjà en place, c’est merveilleux. En tant que remplacement de la politique en place, en revanche, c’est terrifiant.

Bien sûr, c’est important d’impliquer les citoyens dans la résolution des problèmes. Mais qui décide des « problèmes particuliers » auxquels les citoyens doivent s’attaquer en premier lieu ? Et comment peut-on définir les limites de ce « problème » ? Dans le monde du logiciel open source, de telles décisions sont généralement prises par des décideurs et des clients. Mais en démocratie, les citoyens tiennent la barre (plutôt en délèguent la tenue) et rament simultanément. En politique open source, tout ce qu’ils font, c’est ramer.


De même, un « gouvernement ouvert » — un terme autrefois réservé pour discuter de la responsabilité — est aujourd’hui utilisé plutôt pour décrire à quel point il est facile d’accéder, manipuler, et « remixer » des morceaux d’informations du gouvernement. Ici, « l’ouverture » ne mesure pas si de telles données augmentent la responsabilité, mais seulement combien d’applications peuvent se baser dessus, et si ces applications poursuivent des buts simples. L’ambiguïté de l’ouverture permet au Premier Ministre britannique David Cameron de prôner un gouvernement ouvert, tout en se plaignant que la liberté d’expression « bouche les artères du gouvernement ».


Cette confusion ne se limite pas aux gouvernements. Prenez par exemple cette obsession pour les cours en ligne ouvert et massif (NdT : MOOC). Que signifie le mot ouvert dans ce cas? Eh bien, ils sont disponibles en ligne gratuitement. Mais il serait prématuré de célébrer le triomphe de l’ouverture. Un programme d’ouverture plus ambitieux ne se contenterait pas d’étendre l’accès aux cours mais donnerait aussi aux utilisateurs la possibilité de réutiliser, modifier et d’adapter le contenu. Je pourrais prendre les notes de conférence de quelqu’un, rajouter quelques paragraphes et les faire circuler en tant qu’élément de mon propre cours. Actuellement, la plupart de ces cours n’offrent pas cette possibilité : le plus souvent leurs conditions d’utilisation interdisent l’adaptation des cours.


Est-ce que « l’ouverture » gagnera, comme nous l’assurent ces Pollyanas numériques? Probablement. Mais une victoire pour « l’ouverture » peut aussi marquer la défaite de politiques démocratiques, d’une réforme ambitieuse et de bien d’autres choses. Peut-être faudrait-il mettre en place un moratoire sur le mot « ouvert ». Imaginez les possibilités que cela pourrait ouvrir !

Crédit photo : Pumpkincat210 (Creative Commons By)




Internet est (devenu) un État policier

Un article qui ne nous apprend à priori rien de nouveau mais dont les exemples et les arguments enchaînés aboutissent à quelque chose d’absolument terrifiant.

Ce n’est pas un cauchemar c’est la réalité. Une réalité, née d’un accord tacite entre le public (les États) et le privé (les multinationales), qui s’est mise en place sans véritablement rencontrer consciences ni oppositions.

Raison de plus pour soutenir tous ceux qui voient le monde autrement et participer à faire en sorte que nous soyons de plus en plus nombreux à réclamer une éthique et faire vivre le bien commun…

Mixer - CC by-sa

Internet est un État policier

The Internet is a surveillance state

Bruce Schneier – 16 mars 2013 – CNN Opinion
(Traduction : Antoine, Neros, Sky, guillaume, audionuma, Asta + anonymes)

Note de la rédaction : Bruce Schneier est un expert en sécurité et l’auteur de Liars and Outliers: Enabling the Trust Society Needs to Survive (NdT : Menteurs et Atypiques : mettre en œuvre la confiance dont la société à besoin pour survivre).

Je vais commencer par trois points factuels.

Un : certains des hackers militaires chinois qui ont été récemment impliqués dans une attaque d’envergure contre le gouvernement et des entreprises des États-Unis ont été identifiés car ils accédaient à leur compte Facebook depuis la même infrastructure réseau qu’ils utilisaient pour leurs attaques.

Deux : Hector Monsegur, un des dirigeants du mouvent hacker LulzSec, a été identifié et arrêté par le FBI l’année dernière. Bien qu’il prenait de fortes mesures de sécurité informatique et un relais anonyme pour protéger son identité, il s’est quand même fait prendre.

Et trois : Paula Broadwell, qui avait une relation extra-conjugale avec David Petraeus, le directeur de la CIA, a également pris de nombreuses mesures pour masquer son identité. Elle ne se connectait jamais à son service de courriel anonyme depuis le réseau de son domicile. À la place, elle utilisait les réseaux publics des hôtels lorsqu’elle lui envoyait un courriel. Le FBI a effectué une corrélation entre les données d’enregistrement de différents hôtels pour y trouver que son nom était le point commun.

Internet est en état de surveillance. Internet est un état de surveillance. Que nous l’admettions ou non, et que cela nous plaise ou non, nous sommes traqués en permanence. Google nous trace, tant sur ses propres pages que sur celles auxquelles il a accès. Facebook fait de même, en traçant même les utilisateurs non inscrits chez lui. Apple nous trace sur nos iPhones et iPads. Un journaliste a utilisé un outil appelé Collusion (NdT : de Mozilla) pour déterminer qui le traçait : 105 entreprises ont tracé son usage internet sur une seule période de 36 heures !

De plus en plus, nos activités sur Internet sont croisées avec d’autres données nous concernant. La découverte de l’identité de Broadwell a nécessité de croiser son activité sur internet avec ses séjours dans des hôtels. Tout ce que nous faisons aujourd’hui implique l’usage d’un ordinateur, et les ordinateurs ont comme effet secondaire de produire naturellement des données. Tout est enregistré et croisé, et de nombreuses entreprises de big data font des affaires en reconstituant les profils de notre vie privée à partir de sources variées.

Facebook, par exemple, met en corrélation votre comportement en ligne avec vos habitudes d’achat hors-ligne. Et, plus encore, Il y a les données de localisation de votre téléphone portable, les enregistrements de vos mouvements par les caméras de surveillance…

C’est de la surveillance omniprésente : nous sommes tous surveillés, tout le temps, et ces données sont enregistrées de façon permanente. C’est ce à quoi un état de surveillance ressemble, et c’est plus efficace que dans les rêves les plus fous de George Orwell.

Bien sûr, nous pouvons agir pour nous y prémunir. Nous pouvons limiter ce que nous cherchons sur Google depuis nos iPhones, et utiliser à la place les navigateurs Web de nos ordinateurs, qui nous permettent de supprimer les cookies. Nous pouvons utiliser un alias sur Facebook. Nous pouvons éteindre nos téléphones portables et payer en liquide. Mais plus le temps passe et moins de gens s’en soucient.

Il y a simplement trop de façons d’être pisté. L’Internet, les courriels, les téléphones portables, les navigateurs Web, les sites de réseaux sociaux, les moteurs de recherche : ils sont devenus nécessaires, et il est fantaisiste d’attendre des gens qu’ils refusent simplement de s’en servir juste parce qu’ils n’aiment pas être espionnés, d’autant plus que l’ampleur d’un tel espionnage nous est délibérément cachée et qu’il y a peu d’alternatives commercialisées par des sociétés qui n’espionnent pas.

C’est quelque chose que le libre marché ne peut pas réparer. Nous, les consommateurs, n’avons pas de choix en la matière. Toutes les grandes sociétés qui nous fournissent des services Internet ont intérêt à nous pister. Visitez un site Web et il saura certainement qui vous êtes; il y a beaucoup de façons de vous pister sans cookie. Les compagnies de téléphones défont de façon routinière la protection de la vie privée sur le Web. Une expérience à Carnegie Mellon a pris des vidéos en temps réél d’étudiants sur le campus et a permis d’identifier un tiers d’entre eux en comparant leurs photos avec leurs photos publiques taguées sur Facebook.

Garder sa vie privée sur Internet est désormais presque impossible. Si vous oubliez ne serait-ce qu’une fois d’activer vos protections, ou si vous cliquez sur le mauvais lien, vous attachez votre nom de façon permanente à quelque service anonyme que vous utilisez. Monsegur a dérapé une fois, et le FBI l’a choppé. Si même le directeur de la CIA ne peut garder sa vie privée sur Internet, nous n’avons aucun espoir.

Dans le monde d’aujourd’hui, les gouvernements et les multinationales travaillent de concert pour garder les choses telles qu’elles sont. Les gouvernements sont bien contents d’utiliser les données que les entreprises collectent — en demandant occasionnellement d’en collecter plus et de les garder plus longtemps — pour nous espionner. Et les entreprises sont heureuses d’acheter des données auprès des gouvernements. Ensemble, les puissants espionnent les faibles, et ils ne sont pas prêts de quitter leurs positions de pouvoir, en dépit de ce que les gens souhaitent.

Résoudre ces questions nécessite une forte volonté gouvernementale, mais ils sont aussi assoiffés de données que les entreprises. Mis à part quelques amendes au montant risible, personne n’agit réellement pour des meilleures lois de protection de la vie privée.

Alors c’est ainsi. Bienvenue dans un monde où Google sait exactement quelle sorte de pornographie vous aimez, où Google en sait plus sur vos centres d’intérêt que votre propre épouse. Bienvenue dans un monde où votre compagnie de téléphone portable sait exactement où vous êtes, tout le temps. Bienvenue à l’ère de la fin des conversations privées, puisque vos conversations se font de plus en plus par courriel, SMS ou sites de réseaux sociaux.

Bienvenue dans un monde où tout ce que vous faites sur un ordinateur est enregistré, corrélé, étudié, passé au crible de société en société sans que vous le sachiez ou ayez consenti, où le gouvernement y a accès à volonté sans mandat.

Bienvenue dans un Internet sans vie privée, et nous y sommes arrivés avec notre consentement passif sans véritablement livrer une seule bataille…

Crédit photo : Mixer (Creative Commons By-Sa)




Donnez-moi la liberté de vous payer… par Ploum

Et si nous faisions en sorte qu’Internet nous permette de payer en toute liberté ?

Que nous sortions du double carcan de la somme fixe et unique pour tout le monde et du poids moral négatif induit par l’usage (de la copie) sans rétribution ?

Flattr - CC by

Si c’est possible de le copier, alors vous le trouverez gratuitement sur Internet. Ceci n’est pas un slogan publicitaire mais une constatation. Nous vivons dans un monde où le contenu s’est affranchi de son support matériel et des limites inhérentes. Dans ce monde, les barrières de l’accès à la connaissance sont tombées. Tout le monde peut partager une réflexion philosophique, une analyse d’une œuvre de Monet. Ou une vidéo de chatons et le dernier clip d’un chanteur à la mode.

Au fond, c’est merveilleux. Cela devrait nous émerveiller tous les matins. Aucun auteur de Science-Fiction n’avait osé en rêver. C’est génial ! Sauf si on gagne sa vie à vendre du contenu sur un support physique. Auquel cas, la perspective est un peu inquiétante.

Alors que le support physique n’était jamais qu’un moyen comme un autre de diffuser de l’information, les vendeurs ont tout d’abord tenté de lier irrémédiablement le contenu avec son contenant. Voire de distribuer le contenu de manière virtuelle mais en ajoutant artificiellement les contraintes du matériel, quand bien même ce matériel n’existait plus.

Après cet échec prévisible, les industries du contenu cherchèrent d’autres méthodes de rentabilisation. Après tout, il existe des journaux gratuits, des chaînes de télévision gratuites. Le dénominateur commun étant le financement par l’ajout de publicité.

Outre les questions qu’elle pose, la publicité a le problème de dégrader l’expérience du contenu. Apprécierez-vous d’être interrompu au milieu d’une fugue de Bach par un slogan ventant des croquettes pour chat ? Pire : tout comme il est possible de tout trouver gratuitement, il est également possible de bloquer la publicité.

Un monde virtuel qui ne vivrait que de la publicité serait fortement limité. En effet, la publicité devrait forcément faire référence aux produits du monde réel, celui au grand plafond bleu, produits limités en quantité par le monde réel lui-même. À l’heure où l’on parle de décroissance, on ne peut imaginer augmenter à l’infini les publicités.

Lorsqu’il n’est physiquement plus possible de forcer quelqu’un à vous donner de l’argent, la seule solution est de faire appel à son sens moral. De le convaincre. Deux choix s’offrent au vendeur : la voie positive « C’est bien de donner » et celle négative « Ne pas donner, c’est mal ! ».

Devinez laquelle a été choisie ? Nous vivons dans un monde merveilleux où le partage est possible instantanément à travers la planète et nous avons réussi à transformer cette utopie futuriste, cette réalisation extraordinaire en un péché moral : « Ne pas payer, c’est mal ! », « Ne pas payer est illégal », « Si vous ne payez pas, vous serez poursuivi en justice », « Si vous ne payez pas, vos artistes préférés vont mourir de faim ».

Mais toute cette rhétorique négative se fonde sur une série de postulats.

1. Un artiste doit être payé pour ses réalisations.

FAUX. Cette vision se base sur une séparation nette entre les artistes d’un côté et les consommateurs de l’autre. Internet a démontré que nous sommes tous, à différents degrés, des artistes. Comme le dit Rick Falkvinge, un artiste c’est quelqu’un qui produit de l’art. À partir du moment où cette personne cherche à en tirer du profit, elle devient un entrepreneur. Et, à ce titre, c’est à elle de mettre en place un business model. On pourrait également appliquer cet argument au logiciel libre et dire que tout codeur doit être payé pour ses contributions. Pourtant, le logiciel libre prouve que c’est loin d’être le cas.

2. Tout travail mérite salaire.

FAUX. Le client paie généralement le produit d’un travail, pas le travail lui-même. Creuser un trou dans votre jardin est un travail dur. Le reboucher l’est tout autant. Pourtant, personne ne vous paiera pour cela. Le travail n’est donc rémunéré que lorsque quelqu’un estime intéressant de le faire, quelle que soit sa raison.

3. Il faut payer avant de consommer.

FAUX. Imaginez que vous puissiez entrer dans un restaurant, manger et que le prix soit laissé à votre appréciation. Si vous avez aimé, vous payez beaucoup. Sinon, vous payez moins ou juste assez pour couvrir le prix des produits. Utopiques ? C’est pourtant dans ce monde que nous vivons de plus en plus. La musique en est l’exemple le plus marquant : il n’est pas rare de rencontrer des audiophiles qui achètent un album qu’ils ont téléchargé depuis six mois sous prétexte : « C’est vraiment un bon CD, je l’adore, je l’écoute en boucle. Du coup, je l’achète pour soutenir l’artiste. ».

4. Il est obligatoire de payer.

FAUX. Contrairement à l’exemple du restaurant, la reproduction de l’information à un coût tout à fait nul. Il n’y a donc aucune raison particulière de payer pour consommer du contenu. Nous écoutons de la musique chez des amis, nous lisons un livre trouvé sur un banc, nous entendons un voisin expliquer le sens de la vie par dessus sa haie : nous consommons en permanence du contenu sans le payer. Pire, un même contenu peut être consommé gratuitement à titre promotionnel puis rendu payant par après. Les distributeurs de contenu sont donc dans la position schizophrénique de devoir diffuser le contenu autant que possible tout en empêchant… qu’il soit trop diffusé.

Pourtant, cet argument de l’obligation de payer est tellement tenace qu’il en est devenu « Si c’est gratuit, c’est nul » jusqu’à un extrème « Si c’est cher, c’est bien » exploité par les grandes marques.

5. Chacun doit payer le même prix pour accéder au même contenu.

FAUX. De nouveau, aucune loi naturelle n’oblige à ce que chacun paie la même chose pour le même service. Nous sommes pourtant habitués à ce genre de choses : les militaires, les jeunes et les pensionnés ont des réductions dans les transports en commun. Les journalistes et les professeurs ont des entrées gratuites dans certains musées.

Quand on y pense, payer le même prix est foncièrement injuste. Une personne qui adore un contenu paiera autant que quelqu’un qui n’a agit que par réflexe suite à une publicité et ne le consommera qu’une ou deux fois.

Si nous arrivons à remettre en question ces postulats, alors peut-être arriverons-nous à sortir de cette pernicieuse morale négative. Peut-être pourrons-nous enfin être fiers de cet accomplissement humain : le partage du savoir à tous les niveaux.

Et des solutions commencent à se mettre en place. Ma préférée étant Flattr qui, justement, permet de donner une petite somme d’argent aux contenus que l’on apprécie et ce parfois automatiquement. Avec la subtilité que la somme donnée par mois est fixe, quelque soit la quantité de contenu consommé. Framasoft est sur Flattr et je milite activement pour qu’on puisse Flattrer les billets individuels ! Certes, Flattr est centralisé mais tout service gérant des transferts d’argent le restera tant que Bitcoin ne sera pas généralisé !

Les artistes eux-mêmes commencent à bouger. Après l’expérience de Radiohead en 2007, c’est au tour d’Amanda Palmer de voir dans le « Payez ce que vous voulez » l’avenir des artistes. Et pour ceux qui souhaitent vraiment s’investir dans la réussite d’un artiste, les plateformes de « crowdsourcing » comme Kickstarter sont en train de contourner de plus en plus le rôle des gros producteurs, de décentraliser les industries du contenu.

À ce genre de discours, il est courant d’objecter que, si ils ont le choix, les consommateurs vont éviter de payer. Pourtant, le choix est déjà là. La majorité des consommateurs choisit de payer pour des raisons morales le plus souvent négatives. Il existe également des domaines où le fait de donner volontairement est considéré comme normal : c’est le principe du pourboire. Je vous propose de tester le web payant pour vous faire votre propre idée.

Transformer Internet en une économie du « Payez ce que vous voulez » ne serait donc que transformer les raisons morales afin de les rendre positives. Et, à ce titre, rendre complètement obsolètes tous les fichages, les surveillances et autre HADOPI. Un retour à la liberté.

Flattr ne différencie pas les consommateurs des producteurs de contenu. Nous sommes tous des producteurs de contenu, nous somme tous des artistes. Et nous sommes tous également avides de nouveautés, d’art et d’idées. Finalement, n’est-ce pas un des fondement de l’égalité ?

Contrairement à un achat, où je me sens toujours extorqué de mon argent durement gagné, faire un micro don me réchauffe le cœur, me donne le sentiment d’être, à mon échelle, un contributeur. Un sentiment de fraternité.

Liberté, égalité, fraternité. C’est peut-être la définition du web et de l’art de demain.

Crédit photo : Flattr (Creative Commons By)




Neutralité des réseaux : Neelie Kroes s’affiche dans le camp des agresseurs

Le 16 janvier dernier, Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la société numérique, publiait dans Libération une tribune intitulée Internet et applications de filtrage : une histoire de choix et de recettes.

Une tribune jugée assez révélatrice et dangeureuse pour que notre ami François Pellegrini décide d’y répondre point par point ci-dessous.

Et de conclure ainsi : « Mme Kroes est entrée en guerre ouverte contre la neutralité des réseaux et contre Internet. En tant que Commissaire chargée de la stratégie numérique, elle a perdu toute légitimité, et son remplacement s’avère nécessaire. »

Thomas Belknap - CC by-sa

Neutralité des réseaux : Neelie Kroes s’affiche dans le camp des agresseurs

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François Pellegrini – 23 janvier 2013 – Blog personnel

Le filtrage autoritaire par Free de l’accès aux publicités, dans le bras de fer qui l’oppose à Google sur la rémunération des infrastructures de réseau, a eu de nombreux mérites. Un premier a été de faire prendre conscience au grand public que filtrer la publicité était possible, bien au delà du petit nombre d’utilisateurs ayant activé le greffon AdBlock sur leur navigateur Firefox. Un deuxième a été de faire sortir du bois un certain nombre d’intérêts privés, pour lesquels la mise en œuvre de ce filtrage, au moyen d’une mise à jour autoritaire de la FreeBox v6, a représenté une véritable déclaration de guerre.

Le relais de ces intérêts par la voix de Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la stratégie numérique, n’a guère surpris, tant la majorité de la Commission européenne est connue pour sa soumission aux intérêts privés. Néanmoins, sa tribune dans le journal Libération est un document méritant toute notre attention, parce qu’il reflète la stratégie construite par ces intérêts pour mettre la main sur Internet. En voici un décryptage, paragraphe par paragraphe.

La semaine dernière, une polémique a surgi lorsque Free a bloqué la publicité sur les services internet transitant par sa Freebox. Les fournisseurs de contenu internet qui dépendent de la publicité pour proposer du contenu gratuit aux consommateurs étaient furieux. Cette polémique illustre la complexité de l’économie de l’internet. Le fragile équilibre entre choix et facilité d’usage, entre transparence et contrôle effectif, entre commerce et intérêt public.

Ce premier paragraphe a le mérite de poser le cadre dès sa dernière phrase, avec une candeur presque touchante. Car effectivement, ce dont il sera question ici, c’est bien de la lutte de certains intérêts commerciaux contre l’intérêt public.

Mon principe de base consiste à dire que les consommateurs devraient être libres de faire de vrais choix quant à leur abonnement à l’internet et à leur activité en ligne. Les contrats standard et les paramètres par défaut des services internet peuvent être pratiques et efficaces, mais ils sont soumis à des limites d’intérêt public, que ce soit dans la législation générale sur la protection des consommateurs ou dans des règles spécifiques. Par exemple, les consommateurs ont le droit, lorsqu’ils naviguent sur un site web, de choisir s’ils souhaitent utiliser des «cookies», qui pistent leur utilisation de l’internet. Ils devraient également comprendre les coûts et les avantages de leur choix.

Ce deuxième paragraphe introduit les arguments qui seront avancés pour justifier le filtrage d’Internet, et en particulier la notion de «choix», qui lui servira de paravent.

Du fait de la complexité et de l’évolution rapide de l’économie en ligne, de nouvelles questions surgissent constamment en ce qui concerne l’intérêt public. Par exemple, depuis 2009, la législation de l’Union européenne favorise la possibilité pour les consommateurs d’accéder à l’éventail complet des applications, du contenu et des services légaux en ligne. Selon moi, l’intérêt public ne s’oppose cependant pas à ce que les consommateurs s’abonnent à des offres internet limitées, plus différenciées, éventuellement pour un prix moins élevé.

Comme nous le verrons plus bas, une offre différenciée d’accès limité à Internet, ce n’est pas une offre d’accès à Internet. Avoir un accès limité, différencié, à la liberté, ce n’est pas être libre.

La liberté n’est pas une affaire de choix. L’État se doit de protéger les hommes d’eux-mêmes, en ne leur permettant pas de s’engager dans la servitude, fut-elle volontaire. Légaliser un système permettant à certains, en majorité les moins aisés, de renoncer aux droits essentiels que constituent à la liberté d’expression et à la liberté d’accès à l’information, en échange d’une réduction sur leur abonnement, ne fait pas honneur à la rédactrice de cette tribune.

Existe-t-il un intérêt public à ce que les parents disposent d’outils efficaces pour contrôler le matériel auquel leurs jeunes enfants peuvent accéder en ligne? La plupart des gens répondraient oui, et l’Union partage ce point de vue. De même, la plupart des gens aimeraient pouvoir choisir de recevoir ou non de la publicité parallèlement au contenu et aux services en ligne, mais tant les consommateurs que les entreprises en ligne semblent ne pas vouloir laisser ce choix entre les mains d’obscurs paramètres par défaut.

Où l’on retrouve ici l’un des camouflages typiques des agresseurs d’Internet : l’utilisation de la protection des ‘tizenfants pour justifier la mise en place de filtrages dans des buts bien moins louables. Cette ficelle sera utilisée à plusieurs reprises au cours de la tribune de Mme Kroes.

S’agissant de questions de cette nature, transparence et contrôle effectif par le consommateur feront presque toujours partie de la solution.

Avec celui du «choix», l’argument de la «transparence» est le deuxième paravent des agresseurs d’Internet. L’emploi de ce terme indique sans ambigüité le camp choisi par Mme Kroes. Il avait déjà été utilisé par les opérateurs de télécommunication en 2009, du temps où Mme Kroes était Commissaire à la concurrence, lors des débats sur le «Paquet Télécom». Il s’agissait d’un ensemble de cinq directives européennes portant sur la régulation et l’accès aux réseaux (et donc pas seulement Internet) et devant être renégociées. Ce processus avait été l’occasion, pour ces opérateurs ainsi que pour les grands industriels du divertissement, de tenter d’introduire des amendements autorisant l’écoute des communications et le filtrage, au nom de la lutte contre les «contenus illicites».

Alors que les représentants des usagers demandaient que soit garantie la neutralité des réseaux, les opérateurs souhaitaient ne s’engager que sur des garanties de « transparence » : ils auraient le droit de porter atteinte à la neutralité des réseaux, pourvu qu’ils en informent leurs abonnés. Ils arguaient qu’ainsi les internautes choisiraient les opérateurs sans filtrage, contraignant par la loi de l’offre et de la demande les opérateurs à ne pas filtrer.

La ficelle était un peu grosse. Les usagers n’ont en général qu’un choix limité entre quelques opérateurs en situation d’entente, comme on l’a bien vu dans le secteur de la téléphonie mobile en France, dont les prix étaient maintenus anormalement hauts. Ceux qui proposent de garantir la «transparence» au lieu de la neutralité sont ceux qui ne veulent pas de la neutralité. Ils souhaitent juste pouvoir la violer impunément.

Cela ne signifie pas encore plus de pages dans votre contrat qui en compte déjà une centaine! La Commission encourage depuis un certain temps le secteur de la publicité à faire en sorte que les utilisateurs se voient proposer un choix clair concernant les cookies, sur la base d’informations concises et digestes. Elle collabore aussi avec une grande variété d’acteurs en ligne pour élaborer une norme «Do Not Track» («Ne pas pister»), afin que les consommateurs qui font ce choix puissent être certains qu’il sera respecté.

Dormez, braves gens, la gentille Commission veille sur vous. Vu comment ma boîte courriel est submergée en dépit de la loi imposant aux publicitaires de n’envoyer des courriels qu’à ceux ayant accepté de les recevoir («opt-in»), je n’ai qu’une confiance limitée dans le respect des chartes Bisounours™, sans sanctions juridiques, auxquelles semble croire si fort Mme Kroes.

En ce qui concerne la neutralité de l’internet, les consommateurs doivent avoir un choix effectif quant au type d’abonnement internet qu’ils souscrivent. Cela veut dire une vraie clarté, dans un langage non technique. Doivent figurer les vitesses effectives dans des conditions normales et toute restriction imposée au trafic, ainsi qu’une option réaliste permettant de passer à un service «complet», dépourvu de telles restrictions. Un tel choix devrait également stimuler l’innovation et les investissements des fournisseurs internet. Je prépare actuellement une initiative de la Commission visant à garantir ce choix en Europe.

C’est dans ce paragraphe que la commissaire se dévoile. Pour le comprendre, un petit rappel est nécessaire.

Les réseaux tels qu’Internet sont construits en trois couches : infrastructure, opérateurs et services. Les infrastructures, ce sont les moyens matériels de transmettre l’information : fibres optiques, relais hertziens, satellites, etc. Les opérateurs ont vocation à utiliser ces infrastructures pour offrir un service de connexion à leurs abonnés. Les services s’appuient sur les couches précédentes pour offrir des prestations, payantes ou gratuites (ou d’apparence gratuite car, premièrement, rien n’est gratuit à part l’air qu’on respire – et encore !– et deuxièmement, comme le dit l’adage, «si le service est gratuit c’est que c’est vous la marchandise»). Pour prendre une analogie automobile, on pourrait dire que l’infrastructure, ce sont les routes, que les opérateurs sont les différents vendeurs de voitures qui vous permettent d’emprunter le réseau routier et que les services sont les différents magasins que vous pourrez trouver à certaines adresses.

La première manœuvre de Mme Kroes consiste à mettre sur le même plan la question des vitesses et celle du filtrage des contenus, qui sont de natures complètement différentes.

Internet est un réseau qui a vocation à permettre l’échange d’informations entre tous ceux qui s’y connectent, à l’image du réseau routier qui permet à tous ceux qui y sont connectés de voyager d’un lieu à un autre. La liberté de circulation est un principe fondamental, de rang constitutionnel. Pour autant, chacun peut, selon ses désirs et ses moyens, s’acheter un véhicule plus ou moins rapide, ou de plus ou moins grande contenance. Il en est de même sur Internet : une personne qui souhaite un débit plus important peut avoir à le payer plus cher, car le trafic plus important qu’elle génèrera nécessite qu’elle contribue d’une façon plus importante aux infrastructures qui permettront son acheminement. Ceci est affaire de choix, en fonction de l’usage qu’elle compte faire de son accès. En revanche, toute restriction au trafic est injustifiable, justement parce qu’elle viole ce principe constitutionnel de libre circulation.

Rappelons ce qu’est la neutralité des réseaux. De façon simple, on pourrait dire qu’il s’agit de garantir le fonctionnement normal du réseau dans ses trois couches (infrastructures, opérateurs et services), en garantissant l’acheminement des flux d’informations qui y transitent sans discrimination sur leur provenance, leur destination, le service utilisé ou le contenu transmis.

La deuxième manœuvre de Mme Kroes consiste à suggérer que, pour avoir le droit d’utiliser certains services, les internautes aient à payer plus cher leur abonnement auprès de leur opérateur.

Ceci est incompréhensible, sauf à supposer une collusion entre opérateurs de réseau, seuls en capacité d’intervenir sur la gestion du trafic, et gestionnaires de services. Un exemple flagrant d’une telle collusion concerne les abonnements (prétendument) «à Internet» vendus par les opérateurs de téléphone mobile, qui interdisent majoritairement d’utiliser les services de «voix sur IP» (dits «VoIP», tels que Skype™). Ce filtrage abusif des protocoles VoIP est effectué par les opérateurs parce que de tels services portent atteinte à leurs propres services de communications vocales payantes. Il ne s’agit rien de moins que d’une vente liée et d’une atteinte à la liberté du commerce.

Au lieu de combattre de tels comportements, Mme Kroes, ancienne Commissaire à la concurrence, justifie et appelle de ses vœux des ententes verticales entre opérateurs de réseaux et gestionnaires de services. Connaissant la position traditionnelle de la Commission qui, sur les secteurs du ferroviaire comme de l’électricité, a toujours promu la séparation organisationnelle et stratégique entre gestionnaires d’infrastructures, opérateurs et fournisseurs de services (les rails, les trains, et les vendeurs de sandwiches), la volte-face est saisissante !

La troisième manœuvre de Mme Kroes consiste à justifier la nécessité du filtrage par l’investissement des fournisseurs Internet.

C’est le montant de l’abonnement au fournisseur d’accès qui permet la rémunération de celui-ci et, à travers lui, le développement et la maintenance des infrastructures, tout comme une fraction du prix d’un billet de train sert à financer les infrastructures ferroviaires. Les différents services peuvent être gratuits ou payants, selon le modèle économique qu’ils choisissent et mettent en œuvre vis-à-vis de leurs usagers, mais cela n’a aucunement à impacter les couches inférieures.

Des applications disponibles en ligne permettent déjà aux consommateurs de bloquer totalement ou partiellement les publicités, si bien que la distribution d’un logiciel de ce type par un fournisseur internet tel que Free n’est pas une révolution en soi. Elle nous amène néanmoins à envisager deux éléments.

Pas une révolution mais, comme on l’a dit, une menace par son ampleur. Sans cela, pourquoi le rappeler à longueur de tribune ?

D’une part, les consommateurs ne devraient pas oublier que tout choix comporte des conséquences. En optant pour le blocage des publicités ou en demandant la confidentialité («do not track»), on peut être privé de l’accès à du contenu gratuit. L’internet ne fonctionne pas par ses propres moyens. Le réseau, le contenu et l’accès à l’internet doivent tous être financés par quelqu’un. De nombreux petits opérateurs web existent grâce à des modèles publicitaires novateurs. Les consommateurs ont plusieurs façons de payer pour accéder à du contenu, notamment en voyant des publicités avant et pendant cet accès. Les entreprises devraient admettre que des consommateurs différents ont des préférences différentes, et concevoir leurs services en conséquence.

Ici encore, Mme Kroes entretient la confusion entre opérateurs et gestionnaires de services. Si l’accès au contenu (pseudo-)gratuit d’un site de service peut être limité à ceux qui n’acceptent pas d’être tracés au moyen de cookies, l’accès au réseau lui-même n’a aucune raison d’être limité en aucune manière.

D’autre part, nous avons vu l’importance commerciale et pratique des paramètres par défaut, mais notre réaction à un paramètre par défaut donné peut dépendre à la fois des valeurs défendues et de la manière dont il se matérialise. Par exemple, vu la valeur élevée attachée à la confidentialité, nous sommes moins choqués par des paramètres par défaut restrictifs que par des paramètres totalement ouverts, en particulier en ce qui concerne les utilisateurs plus vulnérables. C’est dans cet ordre d’idées que nous collaborons avec le secteur pour améliorer la façon dont les paramètres de confidentialité par défaut peuvent protéger nos enfants. D’un autre côté, la valeur élevée que nous attachons à l’internet ouvert signifie que nous favorisons l’installation de contrôles parentaux sur tous les appareils, mais pas leur activation par défaut. En pratique, cela pourrait en effet conduire de manière involontaire à limiter l’accès à l’internet pour de nombreux utilisateurs adultes. Mieux vaut donner un vrai choix aux parents, grâce à des outils clairement visibles et conviviaux dont l’existence est bien mise en évidence.

La lecture de ce paragraphe a fait naître en moi une hilarité certaine. Mme Kroes y soutient que, si le filtrage parental est une bonne chose, il ne faut pas l’activer par défaut afin de ne pas limiter l’accès à Internet aux adultes, et surtout bien expliquer aux gens comment s’en servir. Pour résumer : il ne faudrait pas que Monsieur et/ou Madame n’arrivent pas à se connecter à YouPorn™, surtout s’ils sont trop bêtes pour savoir désactiver le filtrage ; cela nuirait au petit commerce spécialisé.

Notons cependant comment, une fois de plus, le terme de «choix» est amené de façon bénéfique, vis-à-vis de la protection des ‘tizenfants par le filtrage.

Ici encore, Mme Kroes entretient délibérément la confusion entre le filtrage parental, qui peut ête réalisé sur le poste de l’usager et peut être désactivé par ce dernier, et le filtrage, par l’opérateur, des services qui feraient concurrence aux services avec lesquels cet opérateur serait lié par des accords commerciaux.

Nous voyons la difficile interaction entre ces deux intérêts – vie privée et ouverture – lorsqu’il s’agit d’examiner si le «Do Not Track» devrait être activé par défaut dans les navigateurs web. Microsoft a choisi de le faire dans son produit Internet Explorer. Cette décision a fait l’objet de critiques de la part des concurrents et des publicitaires. Néanmoins, compte tenu des intérêts publics concurrents – ainsi que de la concurrence entre les navigateurs et de l’existence d’un outil convivial permettant le libre choix de l’utilisateur à la fois pendant et après l’installation –, je ne partage pas les critiques montrant du doigt une décision commerciale destinée à séduire les internautes qui attachent une grande importance au respect de la vie privée. La décision de Free de bloquer par défaut les publicités a suscité de plus vives inquiétudes en matière d’intérêt public parce qu’elle combinait dans le même temps une portée plus large (touchant toutes les publicités sans exception) et la perception d’une difficile réversibilité pour les utilisateurs.

Une confirmation supplémentaire que la portée de l’action de Free a bien été l’élément déclencheur de cette riposte, du fait de son ampleur.

Nous voyons, dans ces exemples, que des décisions prises par une entreprise à titre individuel touchent à des intérêts publics sensibles. Des acteurs privés peuvent également contribuer collectivement à l’intérêt public. L’internet est une communauté mondiale, régie par une approche associant un grand nombre d’acteurs que l’Union a défendue avec fermeté lors d’une grande conférence des Nations unies à Dubaï le mois dernier. Des initiatives d’autorégulation peuvent compléter la législation. De telles initiatives sont en cours concernant la publicité et le pistage comportementaux ainsi que la protection des enfants en ligne. Toutefois, ces efforts collectifs doivent produire des résultats clairs, susceptibles d’être mis en œuvre et soumis à un suivi et à une évaluation. Et s’ils ne répondent pas à des objectifs d’intérêt public, l’autorité publique doit toujours se réserver le droit d’intervenir.

Mme Kroes, en bonne libérale, signale ici qu’elle ne souhaite nullement intervenir pour garantir la neutralité des réseaux de communication accessibles au public, et donc d’Internet. Bien au contraire, comme elle l’a précisé dans un paragraphe précédent, elle souhaite que la Commission, au titre du «choix» des usagers, autorise explicitement la collusion entre opérateurs de réseaux et fournisseurs de services, afin de légaliser le filtrage effectué par les premiers à l’avantage de certains des seconds.

Rappelons pour conclure un ensemble de principes simples et de bon sens dans un État de droit respectueux tant des libertés fondamentales de ses citoyens que de la concurrence libre et non faussée parmi ses entreprises.

La neutralité des réseaux, et donc d’Internet, est le pendant dans le monde numérique de la liberté de circulation (d’accès) dans le monde physique. Elle doit donc être protégée de façon explicite et non ambigüe. Toute atteinte par un intermédiaire technique à la liberté d’expression ou à la liberté d’accès à l’information, qui ne serait pas motivée par des considérations techniques ou par une décision de justice, doit constituer un délit pénal grave.

La séparation entre les activités portant sur les infrastructures, la fourniture d’accès et les services, doit être dictée par la loi afin d’être effective. Les opérateurs investissent actuellement, de façon redondante, dans le fibrage des zones urbaines denses, supposées rentables, en délaissant les zones rurales. En imposant l’existence d’une infrastructure unique accessible à tous les opérateurs, comme c’est déjà le cas dans les secteurs ferroviaire et de l’énergie, le législateur permettrait qui plus est la mise œuvre d’une péréquation bénéfique génératrice d’économies conséquentes, tant pour l’usager que pour les collectivités isolées.

Mme Kroes est entrée en guerre ouverte contre la neutralité des réseaux et contre Internet. En tant que Commissaire «chargée de la stratégie numérique», elle a perdu toute légitimité, et son remplacement s’avère nécessaire.

Crédit photo : Thomas Belknap (Creative Commons By-Sa)




Sans médias libres, pas de liberté de pensée – Conférence d’Eben Moglen

Une conférence d’Eben Moglen à Re:Publica (2012)

Version française par Aka, Nebu, Vincent, Alban, Benjamin, puis Moosh, peupleLa, Slystone, goofyLycorisbruno

Le texte ci-dessous a connu sa première publication sur le site de Benjamin Sonntag, où vous pourrez trouver la vidéo sous-titrée de la conférence à télécharger en divers formats ainsi qu’une présentation d’Eben Moglen et un excellent aperçu synthétique du contenu. Nous proposons une version mieux révisée (mais encore perfectible) de la traduction, à laquelle nous ajoutons les questions/réponses qui ont succédé à la conférence.

La vidéo étant assez longue (63 minutes) il nous a semblé utile de remettre en valeur les propos de Moglen par un texte lisible en une vingtaine de minutes. Vous pouvez le découvrir sur cette page ou bien télécharger le fichier disponible ici.

Conférence Eben Moglen à Re:Publica 2012 (format .ODT)

Conférence Eben Moglen à Re:Publica 2012 (format .PDF)

Bonjour.

C’est un plaisir d’être ici, et un honneur d’être à Re:publica.

Depuis maintenant mille ans, nos ancêtres se sont battus pour la défense de la liberté de pensée. Nous avons subi des pertes considérables, mais aussi remporté d’immenses victoires. Et nous sommes aujourd’hui à une époque charnière. Depuis l’adoption de l’imprimerie par les Européens au XVe siècle, nous étions essentiellement concernés par l’accès aux livres imprimés. Le droit de lire et le droit de publier étaient les principaux sujets de notre combat pour la liberté de pensée ces 500 dernières années. La principale inquiétude était celle de pouvoir lire en privé, penser, parler et agir sur la base d’une volonté libre et non censurée.

Le principal ennemi de la liberté de pensée, au début de notre combat, était l’Église Catholique universelle. Une institution basée sur le contrôle des pensées dans le monde européen, fondée sur une surveillance hebdomadaire de la conduite et des pensées de tout être humain ; basée sur la censure de tout matériel de lecture et finalement basée sur la faculté de prédire et punir toute pensée non-orthodoxe. Les outils disponibles pour le contrôle des pensées à l’aube de l’Europe moderne étaient pauvres, même selon nos standards du XXe siècle, mais ils marchaient. Ainsi, pendant des centaines d’années, la lutte était concentrée sur le premier objet industriel de masse, à l’importance croissante dans notre culture occidentale : « le livre ». Selon que l’on pouvait l’imprimer, le posséder, le vendre ou le lire, apprendre avec lui, sans l’autorisation ou le contrôle d’une autorité ayant le pouvoir de punir les pensées. À la fin du XVIIe siècle, la censure de l’écrit en Europe a commencé à craquer, tout d’abord en Hollande, puis au Royaume-Uni, et enfin, par vagues, à travers toute l’Europe. Et le livre devint un article de commerce subversif, et commença à grignoter le contrôle des pensées.

À la fin du XIXe siècle, cette lutte pour la liberté de lecture commença à attaquer la substance même du christianisme et le monde européen trembla sous les coups de la première grande révolution de l’esprit, qui parlait de « liberté, égalité, fraternité » mais qui signifiait en fait « liberté de penser autrement ». L’Ancien Régime commença à lutter contre la pensée et nous sommes alors passés dans une autre phase dans l’histoire de la liberté de pensée, qui présumait la possibilité de la pensée non-orthodoxe, et de l’action révolutionnaire. Ainsi, pendant 200 ans, nous avons lutté face aux conséquences de ces changements.

Cette génération décidera comment le réseau sera organisé

C’était hier et c’est aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous entamons une nouvelle ère dans l’histoire de l’espèce humaine. Nous construisons un système nerveux unique qui englobera tout esprit humain. Nous sommes à moins de deux générations aujourd’hui du moment où tout être humain sera connecté à un réseau unique, où toute pensée, plan, rêve ou action sera un influx nerveux de ce réseau. Et le destin de la liberté de pensée, ou plus largement le destin de toute liberté humaine, tout ce pour quoi nous avons combattu pendant plus de mille ans dépendra de l’anatomie des neurones de ce réseau. Nous sommes la dernière génération d’êtres humains qui aura été formée sans contact avec le Net.

À dater de ce jour, tout nouvel être humain, et dans deux générations tout cerveau de l’humanité aura été formé, depuis sa plus tendre enfance, en connexion directe avec le réseau. L’humanité deviendra un super-organisme, dans lequel chacun de nous sera un neurone de ce cerveau. Et nous le construisons aujourd’hui, maintenant, nous tous, en ce moment, cette génération, unique dans l’histoire de l’humanité. Cette génération décidera comment le réseau sera organisé.

Hélas, nous commençons mal. Voici le problème.

Nous avons grandi en étant des consommateurs de médias, c’est ce qu’ils nous ont appris, que nous étions des consommateurs de médias, mais maintenant les médias nous consomment.

Les choses que nous lisons nous regardent en train de les lire. Les choses que nous écoutons nous écoutent les écouter. Nous sommes pistés, nous sommes contrôlés : les médias que nous utilisons nous prédisent. Le processus de construction du réseau a gravé dans le marbre les principes de bases de transport de l’information. Il détermine s’il existe quelque chose comme une lecture anonyme. Et il a choisi de se construire contre la lecture anonyme.

…mais personne n’est intéressé par l’anonymat désormais, n’est-ce pas ?

Il y a 20 ans, j’ai commencé à travailler comme avocat pour un homme nommé Philippe Zimmermann, qui avait alors créé une sorte de cryptographie à clé publique destinée au grand public, nommée Pretty Good Privacy (PGP). L’effort effectué pour créer PGP était équivalent à essayer de conserver la possibilité du secret à la fin de XXe siècle. Phil essayait alors d’interdire au gouvernement de tout surveiller. Conséquence de cela, il fut au moins menacé d’un procès par le gouvernement des États-Unis pour avoir partagé des secrets militaires, car c’est ainsi qu’on surnommait la cryptographie à clé publique à l’époque. Nous avions dit « Vous ne devriez pas faire cela, il y aura des milliards de dollars en commerce électronique, si tout le monde peut utiliser une cryptographie forte » mais personne n’était intéressé. Mais ce qui était important au sujet de Pretty Good Privacy, au sujet de la lutte pour la liberté que la cryptographie à clé publique représentait pour la société civile, ce qui était crucial devint clair quand nous avons commencé à gagner.

En 1995, il y a eu un débat à la faculté de droit de Harvard. Nous étions 4 à discuter du futur de la cryptographie à clé publique et de son contrôle. J’étais du côté que je suppose être celui de la liberté, c’est là que j’essaie toujours d’être. Avec moi, à ce débat se trouvait un homme nommé Daniel Weitzner, qui travaille aujourd’hui à la Maison Blanche, et s’occupe de la régulation de l’Internet pour Obama. En face de nous se trouvait le procureur général des États-Unis et avocat dans le privé, nommé Stewart Baker, qui était avant conseiller en chef de l’Agence de la Sécurité Nationale (NSA), ceux qui nous écoutent, et qui dans le privé, aidait des entreprises à gérer ceux qui les écoutent. Il devint ensuite responsable de la politique générale du Département de la Sécurité Intérieure (DHS), des États-Unis, et il est à l’origine d’une bonne partie de ce qui nous est arrivé sur Internet après 2001.

Et donc, nous venions de passer deux heures agréables à débattre du droit à la cryptographie et, à la fin, il y avait une petite fête au club de la faculté de droit d’Harvard, et enfin, après la fin du repas, quand il ne resta plus grand chose sur la table, Stuart dit :

« Allons messieurs, maintenant que nous sommes entre nous, telles des femmes, libérons nos chevelures ». Il n’avait déjà plus beaucoup de cheveux à cette époque mais il les a libérés… « Nous n’emmènerons pas au tribunal votre client, M Zimmermann. La cryptographie à clé publique sera bientôt libre. Nous avons mené une longue bataille perdue d’avance contre elle, mais ce n’était qu’un gain de temps ». Puis il regarda autour de la pièce et dit : « mais personne n’est intéressé par l’anonymat désormais n’est-ce pas ? »

Un frisson me parcourut la colonne vertébrale, et je pensais alors « ok Stuart, désormais je sais que tu passeras les vingt prochaines années à essayer d’éliminer l’anonymat dans la société humaine, et je passerai ce temps à essayer de t’empêcher de le faire, nous verrons bien où cela nous mènera ».

Et cela commence très mal.

Nous n’avons pas intégré l’anonymat quand nous avons construit le net. C’était une erreur dont nous payons maintenant le prix. Notre réseau présume que vous pouvez être suivis par des mouchards en permanence. Et en utilisant le Web, nous avons fabriqué Facebook. Nous avons mis une seule personne au milieu de tous les échanges. Nos vies sociales et nos vies privées sont sur le Web, et nous partageons tout avec nos amis mais aussi avec notre « super-ami ». Celui qui nous trahit à ceux qui le construisent, ceux qui le paient, ceux qui l’aident, ou ceux qui lui donnent les centaines de milliards de dollars qu’il désire.

Nous sommes en train de créer un média qui nous consomme et qui aime ça.

Le but principal du commerce au XXIe siècle est de prévoir comment nous faire acheter des choses. Et la chose principale que les gens veulent que nous achetions, c’est de la dette. Et nous nous endettons, nous nous chargeons de plus de dettes, de plus de doutes, de plus de tout ce dont nous avons besoin sans que nous le sachions jusqu’à ce qu’ils nous disent que nous pensions à ces choses car ils possèdent la barre de recherche, et nous mettons nos rêves dedans.

Tout ce que nous voulons, tout ce que nous espérons, tout ce que nous aimerions savoir est dans la barre de recherche, et ils la possèdent. Nous sommes surveillés partout, tout le temps.

Il y a une barre de recherche et ils la possèdent, nous y collons nos rêves et ils les dévorent !

Au XXe siècle, il fallait construire la Loubianka, il fallait torturer des gens, il fallait les menacer, il faillait les oppresser pour qu’ils vous informent sur leurs amis. Je n’ai pas besoin de parler de ça à Berlin. Au XXIe siècle, pourquoi se donner tant de mal ? Il suffit de construire un réseau social et tous les gens vous fournissent des informations sur tous les autres gens. Pourquoi gâcher du temps et de l’argent avec des immeubles pleins d’employés qui vérifient qui est qui sur les photographies ? Proposez à tout le monde de taguer les amis et bing ! Le travail est fait ! Oups, est-ce que j’ai utilisé ce mot ? Bing ! Le travail est fait !

Il y a une barre de recherche et ils la possèdent, nous y collons nos rêves et ils les dévorent !

Et ils nous renvoient immédiatement qui nous sommes. « Si vous avez aimé ça, vous allez adorer ceci ! » Et c’est le cas.

Ils nous calculent. Ce sont des machines qui le font. Chaque fois que vous créez un lien, vous apprenez quelque chose à la machine. Chaque fois que vous faites un lien à propos de quelqu’un, vous apprenez quelque chose à la machine à propos de cette personne. Il faut que nous construisions ce réseau, il faut que nous construisions ce cerveau, c’est le plus grand but de l’humanité, nous sommes en train de le réaliser mais nous n’avons pas le droit de le faire mal.

Autrefois, les erreurs technologiques étaient des erreurs, nous les commettions, elles étaient les effets non intentionnels de nos comportements fautifs, mais les choses ont changé aujourd’hui.

Les choses qui ne tournent pas bien ne sont pas des erreurs, elles sont conçues comme ça. C’est leur but et leur but, c’est de décoder la société humaine.

Je disais à un responsable du gouvernement des États Unis il y a quelques semaines de cela : « Notre gouvernement s’est mal conduit. Nous avons créé des règles après le 11 septembre. Ces règles disaient : nous garderons les données concernant les gens et parmi ces gens certains seront innocents, ils ne seront suspects de rien ». Ces règles conçues en 2001 disaient :

« Nous conserverons ces données sur des gens qui ne sont suspects de rien pour une durée maximale de cent quatre-vingt jours, après quoi nous les détruirons ».

En mars, au milieu de la nuit, un mercredi, après que tout était éteint, alors qu’il pleuvait, le Ministère de la Justice et le directeur du Renseignement National des États-Unis ont dit :

« Oh, nous changeons ces règles. Un petit changement. Nous disions avant que la durée de conservation des données concernant les personnes non suspectes était au maximum de cent quatre-vingt jours, nous passons à cinq ans. »

Ce qui correspond à l’éternité.

J’ai plaisanté avec l’avocat avec lequel j’étais à New-York, ils ont écrit « cinq ans » dans le communiqué de presse parce qu’ils n’arrivaient pas à avoir le 8 couché dans la police pour le communiqué de presse, sinon ils auraient simplement dit l’infini, qui est ce qu’ils pensaient.

Et donc, voici la discussion que j’ai eue avec un responsable gouvernemental que je connais depuis plusieurs années, qui travaille à la Maison Blanche :

— Vous voulez changer la société américaine.

— Eh bien, nous sommes arrivés à la conclusion que nous avons besoin d’un graphe social complet de la population des États-Unis.

— Vous avez besoin d’un graphe social complet de la population des États-Unis ?

— Oui

— Vous voulez dire que le gouvernement des États-Unis d’Amérique va, à partir de maintenant, tenir une liste des gens que chaque Américain connaît. Est-ce que vous ne pensez pas que cela nécessiterait une loi ?

Il a simplement ri parce qu’ils l’avaient fait dans un communiqué de presse au milieu de la nuit un mercredi pendant qu’il pleuvait.

La criminalisation de la lecture a bien avancé

Si nous n’agissons pas rapidement, nous allons vivre dans un monde où nos médias se nourriront de nous et nous balanceront au gouvernement. Cet endroit sera du jamais vu et si nous le laissons arriver, nous ne verrons plus jamais autre chose que cela. L’humanité aura été ligotée et les médias se nourriront de nous et nous balanceront au gouvernement. Et l’État possèdera nos esprits.

Le futur ex-président de la République française (NdT cette conférence a eu lieu pendant la campagne électorale de 2012 qui opposait MM. Hollande et Sarkozy) a fait campagne le mois dernier sur une proposition selon laquelle il devrait y avoir des peines criminelles contre la visite répétée de sites djihadistes. C’était une menace de criminaliser la lecture en France. Bon, il sera bientôt l’ancien président de la France, mais ça ne signifie pas que ce sera une idée périmée en France. Pas du tout.

La criminalisation de la lecture a bien avancé. Aux États-Unis d’Amérique dans ce que nous appelons les procès terroristes, nous voyons désormais souvent des recherches Google faites par des particuliers utilisées comme preuves de leur comportement criminel. La recherche de la connaissance est devenue une preuve dans les procès de terrorisme organisé. Nous rendons criminel l’acte de penser, lire et chercher. Nous le faisons dans des sociétés soi-disant libres, nous le faisons malgré le premier amendement, nous le faisons en dépit des leçons de notre histoire parce que nous oublions alors même que nous apprenons.

Nous n’avons pas beaucoup de temps. La génération qui a grandi hors du Net est la dernière qui peut le réparer sans violence.

Les gouvernements sont tombés amoureux du datamining

Tous les gouvernements de la planète sont tombés amoureux de l’idée qu’ils peuvent faire du datamining (captation et fouille des données) avec leur population. Je pensais auparavant que nous allions combattre le Parti Communiste Chinois durant la 3e décennie du XXIe siècle. Je n’avais pas prévu que nous aurions à combattre le gouvernement des États-Unis d’Amérique ET le gouvernement de la République Populaire de Chine et quand Mme Kroes sera ici vendredi, peut-être lui demanderez-vous s’il faudra la combattre elle aussi.

Les gouvernements sont tombés amoureux du datamining car ça fonctionne vraiment très bien. C’est efficace. C’est efficace pour les bonnes causes autant que pour les mauvaises causes. C’est efficace pour aider les gouvernements à comprendre comment fournir des services. C’est efficace pour aider les gouvernements à comprendre quels sont les problèmes futurs. C’est efficace pour aider les politiciens à comprendre comment les votants vont réfléchir. Mais ça rend aussi possible des types de contrôle social qui étaient auparavant très compliqués, très coûteux et très pénibles, avec des méthodes très simples et très efficaces.

Il n’est plus nécessaire de maintenir des réseaux imposants d’informateurs comme je l’ai déjà dit. La Stasi ne vaudrait plus rien si elle était de retour, car Zuckerberg fait le boulot à sa place.

Mais en dehors de la simple facilité à surveiller plus loin que la conservation des données, c’est la pérennité de la vie au-delà du temps de l’oubli : plus rien ne disparaît jamais. Ce qui n’est pas compris aujourd’hui le sera demain. Le trafic chiffré que vous utilisez aujourd’hui dans des conditions de sécurité relative est en attente jusqu’à ce qu’il y en ait suffisamment pour que la crypto-analyse marche, pour que les décodeurs réussissent à le décrypter. Il va falloir que nous revoyions toutes nos règles de sécurité en permanence, car aucun paquet chiffré ne sera plus jamais perdu.

Rien n’est déconnecté indéfiniment, seulement temporairement. Chaque bribe d’information peut être conservée et tout est éventuellement lié à quelque chose d’autre. C’est la logique des responsables gouvernementaux qui disent : « Il nous faut un graphe social robuste de la population des États-Unis d’Amérique. » Pourquoi en ont-ils besoin ? Parce que les points non connectés aujourd’hui seront connectables demain ou l’an prochain ou le suivant. Rien n’est jamais perdu, rien ne disparaît, rien n’est plus oublié.

Donc, la forme primaire de collecte qui devrait nous inquiéter le plus est que les médias nous espionnent pendant que nous les utilisons. Les livres qui nous regardent les lire, la musique qui nous écoute en train de l’écouter. Les moteurs de recherche qui surveillent ce que nous recherchons pour ceux qui nous recherchent et ne nous connaissent pas encore.

Les gens parlent beaucoup des données qui sortent de Facebook : Est-ce qu’elles sortent pour moi ? Est-ce qu’elles sortent pour lui ? Est-ce qu’elles sortent pour eux ? Ils veulent que vous pensiez que la menace est que les données se disséminent. Vous devriez savoir que la menace, c’est le code qui entre.

Sur les 50 dernières années ce qu’il s’est passé dans l’informatique d’entreprise, c’est l’addition de cette couche d’analyse de données au dessus des stockages de données. On la nomme dans l’informatique d’entreprise l’« informatique décisionnelle ». Ce qui signifie que vous avez construit ces vastes stockages de données dans votre entreprise depuis 10 ou 20 ans. Vous disposez uniquement d’informations au sujet de vos propres opérations, vos fournisseurs, vos concurrents, vos clients. Désormais, vous voulez que ces données fassent de la magie. En les combinant avec les sources de données ouvertes disponibles dans le monde, en les utilisant pour répondre à des questions que vous ne saviez pas que vous vous posiez. C’est ça, l’informatique décisionnelle.

L’informatique décisionnelle sur Facebook, c’est là que tous les services de renseignements du globe veulent être.

La menace réelle de Facebook, c’est l’informatique décisionnelle à l’intérieur des données de Facebook. Les stockages de données de Facebook contiennent les comportements, pas seulement la pensée, mais aussi le comportement de près d’un milliard de personnes. La couche d’informatique décisionnelle au-dessus de ça, laquelle est simplement tout le code qu’ils peuvent faire tourner en étant couverts par les règles d’utilisation qui disent « Ils peuvent faire tourner tout le code qu’ils veulent pour améliorer l’expérience ». L’informatique décisionnelle sur Facebook, c’est là que tous les services de renseignements du globe veulent être.

Imaginez que vous soyez une petite organisation de services secrets dans une quelconque pays sans importance. Mettons-nous à leur place et appelons-les je ne sais pas moi, disons, « Korghistan ». Vous êtes les services secrets, vous êtes dans le « business des gens », les services secrets sont le « business des gens »

Il y a plusieurs catégories de gens dont vous avez besoin. Vous avez besoin d’agents, de sources, vous avez des adversaires, vous avez des gens influençables, des gens que vous torturez et qui sont reliés aux adversaires : femmes, maris, pères, filles, vous voyez, ce genre de gens. Donc vous cherchez ces catégories de gens. Vous ignorez leurs noms, mais vous savez à quoi ils ressemblent, vous savez qui vous pourriez recruter en tant qu’agent, vous savez qui sont les sources potentielles, vous connaissez les caractéristiques sociales de vos adversaires, et dès que vous connaissez vos adversaires, vous pouvez trouver ceux qui sont influençables.

Donc ce que vous voulez entreprendre, c’est faire tourner du code dans Facebook. Ça va vous aider à trouver les personnes dont vous avez besoin, ça va vous montrer les personnes dont les comportements et cercles sociaux vous indiquent qu’ils sont ce dont vous avez besoin, qu’il s’agisse d’agents, de sources, quels sont leurs adversaires et qui vous pouvez torturer pour les atteindre.

Donc vous ne voulez pas sortir des données de Facebook. Le jour où ces données sortent de Facebook, elles sont mortes. Vous voulez mettre du code dans Facebook et le faire tourner là-bas et avoir les résultats, vous voulez coopérer.

Facebook veut être un média. Ils veulent posséder le Web, ils veulent que vous cliquiez sur les boutons « J’aime ». Les boutons « J’aime » sont effrayants même si vous n’appuyez pas dessus, ce sont des mouchards sur le Web parce qu’ils indiquent à Facebook toutes les autres pages Web que vous consultez contenant un bouton « J’aime ». Que vous cliquiez dessus ou non, ils ont un enregistrement qui indique : « Vous avez consulté une page, qui intégrait une bouton J’aime » et soit vous avez dit oui, soit vous avez dit non. Mais dans les deux cas, vous avez généré une donnée, vous avez informé la machine.

Or donc, ce média a envie de mieux vous connaître que vous ne vous connaissez vous-même. Or, nous ne devrions laisser personne faire ça. Nous avons combattu pendant mille ans pour l’espace intérieur, cette bulle privée dans laquelle nous lisons, pensons, réfléchissons et devenons non-orthodoxes à l’intérieur de nos propres esprits. C’est cet espace que tout le monde veut nous prendre. « Dites-nous quels sont vos rêves, dites-nous quelles sont vos pensées, dites-nous ce que vous espérez, dites-nous ce qui vous effraie ». Ce n’est pas une confession privée hebdomadaire. C’est une confession 24h/24.

Le robot mobile que vous transportez avec vous, c’est celui qui sait où vous vous trouvez en permanence et écoute chacune de vos conversations. C’est celui dont vous espérez qu’il ne rapporte pas tout à un centre de commande. Mais ce n’est qu’un espoir. Celui qui fait tourner tous ces logiciels que vous ne pouvez ni lire, ni étudier, ni voir, ni modifier, ni comprendre. Celui-là, celui-là même écoute vos confessions en permanence. Quand vous le tenez devant votre visage, désormais, il va connaître votre rythme cardiaque. C’est une appli Android, dès maintenant les changements minimes de la couleur de votre visage révèlent votre fréquence cardiaque. C’est un petit détecteur de mensonges que vous transportez avec vous. Bientôt je pourrai de mon siège dans une salle de classe observer la pression sanguine de mes étudiants monter et descendre. Dans bon nombre de salles de classes aux États-Unis d’Amériques, c’est une information de première importance Mais il ne s’agit pas de moi, bien sûr, il s’agit de tout le monde, n’est-ce pas ? Car il s’agit seulement de données et des gens qui y ont accès. L’intérieur de votre tête devient l’extérieur de votre visage, devient l’intérieur de votre smartphone, devient l’intérieur du réseau, devient le premier fichier du dossier au centre de commande.

Nous avons donc besoin de médias libres sinon nous perdons la liberté de pensée, c’est aussi simple que ça.

Que signifie un média libre ? Un média que vous pouvez lire, auquel vous pouvez penser, auquel vous pouvez faire des ajouts, auquel vous pouvez participer sans être suivi, sans être surveillé, sans qu’il y ait de rapports sur votre activité. C’est ça, un média libre. Et si nous n’en avons pas, nous perdrons la liberté de penser, et peut-être pour toujours.

Avoir un média libre signifie avoir un réseau qui se comporte conformément aux besoins des gens situés à la marge. Et pas conformément aux besoins des serveurs situés au cœur.

Construire un média libre nécessite un réseau de pairs, pas un réseau de maîtres et de serviteurs, pas un réseau de clients et de serveurs, pas un réseau où les opérateurs de réseaux contrôlent tous les paquets qu’ils font transiter. Ce n’est pas facile, mais c’est encore possible. Nous avons besoin de technologie libre. La dernière fois que j’ai donné une conférence politique à Berlin c’était en 2004, elle était intitulée “die Gedanken sind frei” (NdT : Les pensées sont libres — en allemand dans le texte). J’y disais que nous avons besoin de 3 choses :

  • de logiciels libres
  • de matériels libres
  • de bande passante libre.

Maintenant, nous en avons encore plus besoin. Huit années ont passé, nous avons commis des erreurs, et les problèmes sont plus conséquents. Nous n’avons pas avancé, nous avons régressé.

Nous avons besoin de logiciels libres, c’est à dire de logiciels que l’on peut copier, modifier et redistribuer. Nous en avons besoin parce que nous avons besoin que le logiciel qui fait fonctionner le réseau soit modifiable par les personnes qui utilisent ce réseau.

Les tablettes que vous utilisez, que M. Jobs a conçues, sont faites pour vous contrôler. 

La mort de M. Jobs est un événement positif. Je suis désolé de vous l’annoncer de la sorte. C’était un grand artiste et un monstre sur le plan moral, et il nous a rapprochés de la fin de la liberté à chaque fois qu’il a sorti quelque chose, parce qu’il détestait partager. Ce n’était pas de sa faute, c’était un artiste. Il détestait partager parce qu’il croyait qu’il avait tout inventé, même si ce n’était pas le cas. À l’intérieur de toutes ces coques fines portant un logo Apple que je vois partout dans la salle, il y a des morceaux de logiciels libres modifiés pour lui donner le contrôle; rien d’illégal, rien de mal, il respecte la licence, il nous a baisés à chaque fois qu’il pouvait et il a pris tout ce que nous lui avons donné et il a fait des choses jolies qui contrôlent leurs utilisateurs.

Autrefois, il y avait un homme ici qui construisait des choses, à Berlin pour Albert Speer (NdT : un haut responsable du Troisième Reich) son nom était Philip Johnson (NdT : un architecte américain) et c’était un brillant artiste mais un monstre sur le plan moral. Et il disait qu’il était venu travailler pour construire des immeubles pour les nazis parce qu’ils avaient tous les meilleurs graphismes. Et il le pensait, parce qu’il était un artiste, tout comme M. Jobs était un artiste. Mais être artiste n’est pas une garantie de moralité.

Nous avons besoin de logiciels libres. Les tablettes que vous utilisez, que M. Jobs a conçues, sont faites pour vous contrôler. Vous ne pouvez pas modifier le logiciel, il est même difficile de faire de la simple programmation. Ce n’est pas vraiment un problème, ce ne sont que des tablettes, nous ne faisons que les utiliser. Nous ne faisons que consommer le prestige de ce qu’elles nous apportent mais elles nous consomment aussi.

Nous vivons comme dans la science-fiction que nous lisions lorsque nous étions enfants et qui supposait que nous serions parmi les robots. À ce jour, nous vivons communément avec des robots, mais ils n’ont pas de bras ou de jambes. Nous sommes leurs bras et leurs jambes, nous transportons les robots partout avec nous. Ils savent où nous allons, ils voient tout ce que nous voyons, tout ce que nous disons, ils l’écoutent et il n’y a pas de première loi de la robotique. Ils nous font du mal, tous les jours. Et il n’y a aucun réglage pour empêcher ça.

Nous avons donc besoin de logiciels libres. À moins que nous ne contrôlions le logiciel du réseau, le réseau finira par nous contrôler.

Nous avons besoin de matériels libres. Cela signifie que lorsque nous achetons un bidule électronique, il devrait être le nôtre et pas celui de quelqu’un d’autre. Nous devrions être libre de le modifier, de l’utiliser comme il nous plaît, pour garantir qu’il ne travaille pas pour quelqu’un d’autre que nous-même. Bien sûr, la plupart d’entre nous ne modifiera jamais rien, mais le fait que nous pouvons le modifier nous met en sécurité. Bien sûr, nous ne serons jamais la personne qu’ils veulent le plus surveiller.

L’homme qui ne sera pas président de la France pour sûr, mais qui pensait qu’il le serait, dit à présent qu’il a été piégé et que sa carrière politique est détruite non pas parce qu’il a violé une femme de chambre mais parce qu’il a été manipulé après qu’on ait espionné son smartphone. Peut-être qu’il dit la vérité, peut-être que non. Mais il n’a pas tort pour ce qui est du smartphone. Peut-être que c’est arrivé, peut-être que non, mais ça arrivera.

Nous transportons des choses dangereuses avec nous partout où nous allons. Elles ne travaillent pas pour nous, elles travaillent pour quelqu’un d’autre. Nous acceptons cela. Nous devons arrêter.

Nous avons besoin de bande passante libre. Cela signifie que nous avons besoin d’opérateurs réseaux qui sont des transports en commun dont le seul travail est de déplacer les paquets réseaux d’un point A à un point B. Ce sont presque des tubes, et ils ne sont pas autorisés à être impliqués. Il était de coutume, lorsque qu’un colis était transporté d’un point A à un point B, que si le gars chargé du transport l’ouvrait et regardait ce qu’il contenait, il commettait un crime.

Plus maintenant.

Aux États-Unis d’Amérique, la chambre des représentants a voté la semaine dernière que les opérateurs réseaux, aux États-Unis d’Amérique, devaient être intégralement à l’abri des poursuites judiciaires pour complicité d’espionnage illégal avec le gouvernement, pour autant qu’ils l’aient fait « de bonne foi ».

Et le capitalisme signifie que vous n’avez jamais à dire que vous êtes désolé, que vous êtes toujours de bonne foi. De bonne foi, tout ce que nous voulons faire c’est de l’argent M. le Juge, laissez-nous dehors. — Très bien, vous êtes libres.

Nous devons avoir de la bande passante libre. Nous possédons encore le spectre électromagnétique, il appartient encore à nous tous, il n’appartient à personne d’autre. Le gouvernement est un mandataire, pas un propriétaire. Nous devons avoir un spectre que nous contrôlons également pour tous. Personne n’est autorisé à écouter quelqu’un d’autre, pas d’inspection, pas de vérification, pas d’enregistrement, cela doit être la règle. Cela doit être la règle de la même façon que la censure doit disparaître. Si nous n’avons pas de règle pour une communication libre, alors nous réintroduisons de la censure. Qu’on le sache ou non.

Nous avons donc très peu de choix maintenant, notre espace a rétréci et nos possibilités de changement ont diminué.

Nous devons avoir des logiciels libres. Nous devons avoir des matériels libres. Nous devons avoir de la bande passante libre. Ce n’est qu’avec eux que nous pourrons faire des médias libres.

Nous ne devrions pas commercer avec des gens qui vendent de la musique sous surveillance.

Mais nous devons travailler sur les médias aussi, directement, pas par intermittence, pas sans y faire attention. Nous devons demander aux organisations des médias d’obéir à des règles éthiques élémentaires. Une première loi des médias robotiques : ne fais aucun mal. La première règle pour nous est : ne surveille pas le lecteur. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde où chaque livre signale chaque lecteur. Si c’est le cas, nous vivons dans une bibliothèque gérée par le KGB. Enfin : amazon.com ou le KGB, ou les deux ! Vous ne pourrez jamais savoir !

Le livre, cet objet imprimé merveilleux, ce premier produit du capitalisme de masse, le livre est en train de mourir. C’est dommage, mais il est en train de mourir. Et le remplaçant est une boîte qui surveillera le lecteur ou non.

Vous vous souvenez qu’amazon.com a décidé qu’un livre de Georges Orwell ne pouvait pas être distribué aux État-Unis d’Amérique pour des raisons de copyright. Ils sont venus et l’ont effacé de chacune de toutes les liseuses d’Amazon où le consommateur avait acheté des copies de La ferme des animaux. « Oh, vous l’avez peut-être acheté mais cela ne signifie pas que vous être autorisé à le lire ». C’est de la censure. C’est de l’autodafé. C’est tout ce que nous avons vécu au XXe siècle. Nous avons brûlé des gens, des maisons et des œuvres d’art. Nous avons combattu. Nous avons tué des dizaines de millions de personnes pour mettre un terme à un monde dans lequel l’État brûlerait les livres, et ensuite nous l’avons regardé se faire encore et encore, et maintenant nous nous préparons à autoriser que cela soit fait sans aucun feu.

Partout, tout le temps.

Nous devons avoir une éthique des médias et nous avons le pouvoir de faire appliquer cette éthique parce que nous sommes encore les personnes qui payent le fret. Nous ne devrions pas commercer avec des gens qui vendent des livres sous surveillance. Nous ne devrions pas commercer avec des gens qui vendent de la musique sous surveillance. Nous ne devrions pas commercer avec les sociétés cinématographiques qui vendent des films sous surveillance. Nous allons devoir dire cela même si nous travaillons sur la technologie.

Parce qu’autrement, le capitalisme va agir aussi vite que possible pour rendre nos effort de liberté caducs. Et il y a des enfants qui grandissent qui ne sauront jamais ce que « liberté » signifie.

Nous devons donc la promouvoir, cela va nous coûter un peu, pas beaucoup, mais un peu quand même. Nous allons devoir oublier et faire quelques sacrifices dans nos vies pour faire appliquer cette éthique aux médias. Mais c’est notre rôle. De même que faire des technologies libres est notre rôle. Nous sommes la dernière génération capable de comprendre directement ce que sont ces changements car nous avons vécu des deux côtés de ces changements et nous savons. Nous avons donc une responsabilité. Vous comprenez cela.

C’est toujours une surprise pour moi, bien que ce soit complètement vrai, mais de toutes les villes du monde où j’ai voyagé, Berlin est la plus libre. Vous ne pouvez pas porter de chapeau dans l’aéroport de Hong-Kong, plus maintenant. Je l’ai découvert le mois dernier en essayant de porter mon chapeau dans l’aéroport de Hong-Kong. « Vous n’y êtes pas autorisé, ça perturbe le système de reconnaissance faciale ». Il va y avoir un nouvel aéroport ici, sera-t-il tellement surveillé que vous ne serez pas autorisé à porter un chapeau parce que cela perturbe le système de reconnaissance faciale ?

Nous avons une responsabilité, nous savons. C’est comme ça que Berlin est devenue la ville la plus libre où j’ai pu me rendre parce que nous savons que nous avons une responsabilité, parce que nous nous souvenons, parce que nous avons été des deux côtés du mur. Cela ne doit pas être perdu maintenant. Si nous oublions, plus aucun oubli ne sera jamais possible. Tout sera mémorisé. Tout ce que vous avez lu, durant toute votre vie, tout ce que vous avez écouté, tout ce que vous avez regardé, tout ce que vous avez cherché.

Sûrement nous pouvons transmettre à la prochaine génération un monde libre de tout ça. Sûrement nous le devons. Que se passera-t-il si nous ne le faisons pas ? Que diront-ils lorsqu’ils réaliseront que nous avons vécu à la fin d’un millénaire de lutte pour la liberté de penser ?

Au final, alors que nous avions presque tout, on a tout laissé tomber, par commodité, pour un réseau social, parce que M. Zuckerberg nous l’a demandé, parce que nous n’avons pas trouvé de meilleur moyen pour parler à nos amis. Parce qu’on a aimé ces belles petites choses si chaleureuses dans notre main.

Parce que nous n’avions pas vraiment prêté attention à l’avenir de la liberté de pensée ?

Parce que nous avions considéré que c’était le travail de quelqu’un d’autre. Parce que nous avions pensé que c’était acquis. Parce que nous pensions être libres. Parce que nous n’avions pas pensé qu’il restait des luttes à terminer. C’est pourquoi nous avons tout laissé tombé.

Est-ce que c’est ce que nous allons leur dire ? Est-ce vraiment ce que nous allons leur dire ?

La liberté de pensée exige des médias libres. Les médias libres exigent une technologie libre. Nous exigeons un traitement éthique lorsque nous lisons, lorsque nous écrivons, lorsque nous écoutons, et lorsque nous visionnons.

C’est la ligne de conduite de nos politiques. Nous devons conserver ces politiques jusqu’à notre mort. Parce que dans le cas contraire, quelque chose d’autre va mourir. Quelque chose de tellement précieux que beaucoup, beaucoup, beaucoup de nos pères et de nos mères ont donné leur vie pour cela. Quelque chose de tellement précieux que nous sommes d’accord pour dire que c’est la définition de ce qu’est un être humain. Il mourra si nous ne maintenons pas ces politiques pour le restant de nos jours. Et si nous les maintenons, alors toutes les choses pour lesquelles nous avons lutté se réaliseront parce que partout sur la planète, chaque personne pourra lire librement. Parce que tous les Einstein des rues auront le droit d’apprendre. Parce que tous les Stravinsky deviendront des compositeurs. Parce que tous les Socks deviendront des chercheurs en physique. Parce que l’humanité sera connectée et que chaque esprit sera autorisé à apprendre et aucun esprit ne sera écrasé pour avoir mal pensé.

Nous sommes à un moment décisif où nous pouvons choisir de soutenir cette grande révolution que nous avons bâtie bit après bit depuis un millénaire, ou de tout laisser tomber, par commodité, par simplicité de parler avec nos amis, pour la rapidité des recherches, ou d’autres choses vraiment importantes…

Je disais en 2004 ici même et je le redis maintenant : « Nous pouvons vaincre. Nous pouvons être la génération des personnes qui ont terminé le travail de construire la liberté de pensée ».

Je ne l’ai pas dit alors, mais je dois le faire maintenant que nous sommes aussi potentiellement la génération qui l’aura perdue.

Nous pouvons régresser dans une inquisition pire que toutes les inquisitions qui ont jamais existé. Elle n’usera peut-être pas tant de torture, elle ne sera peut-être pas aussi sanguinaire, mais elle sera bien plus efficace. Et nous ne devons absolument pas laisser cela arriver. Trop de gens se sont battus pour nous. Trop de gens sont morts pour nous. Trop de gens ont espéré et rêvé pour ce que nous pouvons encore réaliser.

Nous ne devons pas échouer.

Merci beaucoup.

Questions / Réponses

Q  : Merci. Vous avez dépeint un possible avenir vraiment horrible. Pouvez-vous nommer des organisations ou groupes aux États-Unis d’Amérique qui soutiennent des actions allant dans votre sens, dans votre vision positive de transformer la société ?

R : Pas seulement aux États-Unis d’Amérique mais partout dans le monde, nous avons des organisations qui se préoccupent des libertés numériques. L’« Electronic Frontier Foundation » aux États-Unis d’Amérique, « La Quadrature du Net » en France, « Bits of Freedom » aux Pays-Bas et j’en passe.

Les mouvements pour la liberté numérique sont extrêmement importants. Les pressions sur les gouvernements pour qu’ils obéissent à des règles issues du XVIIIe  siècle concernant la protection de la dignité humaine et la prévention de la surveillance étatique sont cruciales. Malheureusement, le travail sur les libertés numériques contre les gouvernements n’est pas suffisant.

Le mouvement des logiciels libres, La FSF, « Free Software Foundation » aux États-Unis d’Amérique et la « Free Software Foundation Europe », dont le siège est en Allemagne, font un travail important pour maintenir ce système anarchique (sur le mode du “bazar”) producteur de logiciels, qui nous a apportés tant de technologies, et que nous-même ne pouvons contrôler. Et cela est crucial.

Le mouvement « Creative Commons » qui est très ancré non seulement aux États-Unis d’Amérique et en Allemagne mais aussi dans plus de 40 pays autour du monde est aussi extrêmement important parce que les licences « Creative Commons » donnent aux créateurs des alternatives au contrôle excessif qui existe avec le système du copyright, et qui profite à la surveillance des médias.

L’encyclopédie libre « Wikipedia » est une institution humaine extrêmement importante et nous devons continuer de soutenir la fondation « Wikimedia » autant que faire se peut. Sur les cent sites web les plus visités aux États-Unis d’Amérique dans une étude menée par le « Street Journal », sur les cent sites web les plus visités aux États-Unis d’Amérique, seulement un ne surveille pas ses utilisateurs. Je vous laisse deviner qui c’est ? C’est Wikipédia.

Nous avons un énorme travail qui se déroule maintenant à travers le monde dans l’enseignement supérieur. Maintenant que les universités commencent à réaliser que le coût de l’enseignement supérieur doit baisser et que  les esprits vont grandir dans la toile. La « UOC », l’« Open University of Catalonia » est l’université exclusivement en ligne la plus extraordinaire aujourd’hui. Elle sera bientôt en concurrence avec d’autres universités extraordinaires. « MITX », le nouveau programme d’éducation web de la « Massachussets Institute of Technology » va fournir des cours de la plus haute qualité technique, et rendre ses supports de cours existants, accessibles librement (au sens de la culture libre) pour tous, depuis n’importe-où et en permanence. Stanford va adapter une structure de e-learning privateur qui sera le Google de l’éducation supérieure, si Stanford a de la chance.

Nous devons soutenir l’éducation libre sur Internet, et chaque ministère de l’éducation national européen devrait y travailler. Il y a beaucoup d’endroits où chercher des logiciels libres, du matériel libre, de la bande passante libre, et des médias libres.

Il n’y a pas de meilleur endroit pour chercher des médias libres sur Terre, maintenant, que dans cette salle. Tout le monde sait ce qu’il peut faire. Ils le font. Nous devons juste faire comprendre à tous les autres que si nous arrêtons ou si nous échouons, la liberté de pensé en sera le prix et nous le regretterons pour toujours.

Q : Merci beaucoup. Je voulais vous poser une petite question. Est-ce que Facebook, l’iPhone et les médias libres peuvent coexister à long terme ?

R : Probablement pas. Il ne faut pas trop s’inquiéter, iPhone n’est qu’un produit Facebook, il n’est que la version commerciale d’un service. J’ai récemment dit dans un journal à New-York que je pensais que Facebook continuerait d’exister pour une durée comprise entre 12 et 120 mois. Je pense que c’est exact.

Les réseaux sociaux fédérés seront disponibles dans l’avenir. Les réseaux sociaux fédérés sous une forme qui vous permette de quitter Facebook sans quitter vos amis seront disponibles dans l’avenir. De meilleurs moyens de communication sans une tierce partie qui vous espionne seront disponibles dans l’avenir.

La question c’est : « est-ce que les gens vont les utiliser ?»

La Freedom Box vise à produire une pile logicielle qui tiendrait dans une nouvelle génération de serveurs à bas coût et de faible consommation de la taille d’un chargeur de téléphone mobile, et si nous réussissons cette tâche, nous serons capables de connecter des milliards de serveurs web au réseau qui nous serviront à fournir des services concurrents, qui ne violeront pas la vie privée, et qui seront compatibles avec les services existants.

Mais votre téléphone mobile change fréquemment, donc l’iPhone s’en ira, pas de problème. Et les services web sont moins rares qu’ils n’en ont l’air maintenant. Facebook est une marque, ce n’est pas quelque chose dont il faut nous soucier en particulier, il faut juste que nous fassions cela aussi vite que possible

Coexistence ?  Tout ce que j’ai à en dire c’est qu’ils ne vont pas coexister avec la  liberté. Je ne vois pas pourquoi je devrais coexister avec eux.

(applaudissements)

Q : Bonjour, je m’appelle […] du Bangladesh. Merci pour cette présentation formidablement informative et lucide. J’ai participé à l’introduction des emails au Bangladesh au début des années 90. À cette époque les connexions coûtaient très cher. Nous dépensions 30 cents par kB donc un 1MB nous coûtait 300 dollars. Ça a changé depuis, mais c’est toujours très encadré par les instances régulatrices et pour nous sur le terrain, c’est très difficile, car les pouvoirs en place (les gardiens des clefs) ont intérêt à maintenir cet état de fait. Mais dans ce réseau des gardiens des clefs, il y a aussi un réseau entre mon pays et le vôtre. Et à l’heure actuelle, la source de données la plus large en volume est le recensement du Bengladesh, et la société qui le fournit est en lien direct avec la CIA. En tant  qu’opérateurs, que pouvons-nous faire en attendant de pouvoir devenir  des acteurs majeurs ?

R : C’est pourquoi j’ai commencé en parlant des comportements récents des États-Unis d’Amérique. Mon collègue au Centre des Lois de Libertés Logicielles en Inde a passé beaucoup de temps le mois dernier à essayer de faire passer une motion par la chambre haute du Parlement Indien pour annuler la régulation par les services informatiques de la censure du Net Indien et bien sûr la bonne nouvelle c’est que la base de données la plus large en volume dans le monde sera bientôt les scans rétiniens que le gouvernement Indien va exiger, si vous désirez avoir une bouteille de gaz propane ou des choses telles que… l’énergie pour votre maison. Et les difficultés que nous avons rencontrées en parlant aux responsables gouvernementaux indiens sont qu’ils disaient : « Si les Américains peuvent le faire pourquoi pas nous ? » Ce qui est malheureusement vrai.

Le gouvernement des États Unis d’Amérique a réduit cet hiver le niveau des libertés sur Internet de par le monde, dans le sens qu’ils font du datamining (des fouilles de données) sur vos sociétés de manière aussi systématique qu’en Chine. Ils sont d’accord sur le principe. Ils vont tirer les vers du nez à leur population via le datamining et ils vont encourager tous les autres États sur Terre à en faire de même. Donc je suis entièrement d’accord avec vous sur la définition du problème.

Nous ne pouvons plus désormais vivre quelque part, à cette étape de notre histoire, en continuant à penser en termes de pays, à un moment de la mondialisation, où la surveillance des populations est devenue une question globale, et nous avons à travailler dessus en partant du principe qu’aucun gouvernement ne décidera d’être plus vertueux que les superpuissances.

Je ne sais pas comment nous allons pouvoir gérer le Parti Communiste Chinois. Je ne sais vraiment pas. Je sais comment nous  allons gérer le gouvernement américain. Nous allons insister sur nos droits. Nous allons faire ce qui fait sens aux États Unis d’Amérique, nous allons combattre légalement, nous allons mettre la pression, nous allons les bousculer, nous serons partout y compris dans la rue pour en parler.

Et je suspecte que c’est ce qui va se passer ici aussi. À moins que nous changions les structures qui fondent nos sociétés, nous n’avons aucune chance de convaincre les petits gouvernements qu’ils doivent abandonner leurs contrôles.

En ce qui concerne la bande passante, nous allons bien sur devoir utiliser la bande passante non réglementée. C’est à dire nous allons devoir construire autour des normes 802.11 et wifi, entre autres, que les lois ne nous empêchent pas d’utiliser. De quelle manière cela va-t-il permettre d’atteindre les plus pauvres ? Quand est-ce que le système de téléphone mobile sera créé pour atteindre  les plus pauvres ? Je ne sais pas. Mais j’ai un petit projet avec des enfants des rues a Bangalore, je suis en train d’y réfléchir.

Il le faut. Nous devons travailler partout. Si nous ne le faisons pas, nous allons détruire tout ça, et on ne peut pas se le permettre.

Q : Professeur Moglen, Je voudrais également vous remercier. Je reviens de « Transforming Freedom » à Vienne, et je peux vous dire qu’il y a quelques années, je vous ai vu parler sur une vidéo internet au Fosdem.  Et je vous avais vu attirer l’attention sur le rôle de Philipp  Zimmermann, que nous avons aussi essayé d’aider. Et à vous écouter aujourd’hui, je vois que c’est trop lent, et trop peu.

Et je suis stupéfait par deux choses  la première est que le système éducatif, celui de l’Europe, a été fondé par Platon et a été fermé par la force environ mille ans plus tard. Le second départ d’une université européenne était aux alentours du XIe siècle. On verra si on réussira à le faire fonctionner aussi longtemps qu’un millier d’années.

Ma question est : pourquoi est-ce que ce n’est pas profondément ancré dans les structures du système éducatif d’aider la cause dont vous avez parlé aujourd’hui ?

Et pourquoi n’avons nous pas des philanthropes aidant des petits projets fonctionnant avec 3-4000 euros ici et là, bien plus efficacement comme par exemple ce que M. Soros essaie de faire ?

R : Il y a quelques années à Columbia, nous avons essayé d’intéresser l’université à l’état de conservation de la bibliothèque, et j’ai vu plus d’intellectuels reconnus, engagés politiquement, dans ma propre université qu’à aucun autre moment pendant mes 25 ans ici. Leur principale inquiétude était le vieillissement du papier sur lequel était imprimé des doctorats allemands du XIXe siècle, qui contiennent plus de recherches philologiques qu’aucun autre endroit sur Terre.

N’est-ce pas ? Mais c’était des livres du XIXe siècle qu’ils devaient préserver.

Le problème avec la vie universitaire, c’est qu’elle est conservatrice par nature, car elle préserve la sagesse des anciens. Et c’est une  bonne chose à faire. Mais la sagesse des anciens est ancienne, et elle ne prend pas nécessairement en compte parfaitement les problèmes du moment. J’ai mentionné l’UOC parce que je pense que c’est important de soutenir l’Université quand elle se déplace vers Internet et qu’elle s’éloigne des formes d’apprentissage qui caractérise les universités du passé.

Pendant le dernier millénaire, nous avons principalement déplacé les intellectuels vers les livres, et l’université s’est développée autour de ce principe. Elle s’est développée autour du principe que les livres sont difficiles à déplacer, alors que les gens sont faciles à déplacer. Donc on y a amené tout le monde. Maintenant nous vivons dans un monde dans lequel il est beaucoup plus simple de déplacer le savoir plutôt que les personnes. Mais la continuité de l’ignorance est le désir des entreprises qui vendent le savoir.

Ce dont nous avons vraiment besoin est de commencer nous-mêmes à aider le système universitaire à se transformer en quelque chose d’autre. Quelque chose qui permet à chacun d’apprendre, et qui permet d’apprendre sans surveillance.

La Commissaire à la Société de l’Information sera ici. Elle devrait parler de ça. Cela devrait être la grande question de la Commission Européenne. Ils le savent, ils ont sorti un rapport d’il y a 18 mois qui dit que, pour le prix d’une centaine de kilomètres de routes, il peuvent scanner 1/6ème de tous les livres des bibliothèques européennes. Cela veut dire que pour le prix de 600 kilomètres de routes, nous pourrions tous les avoir !

Nous avons construit beaucoup de routes dans beaucoup d’endroits, y compris en Grèce, dans les dix dernières années. Et nous aurions pu scanner tous  les livres en Europe pendant ce temps, et nous aurions pu les rendre disponibles pour toute l’Humanité, sans surveillance.

Si Mme Kroes veut construire un monument à son nom, ça ne sera pas en tant que politicienne au rabais. Elle le fera de cette manière. Et vous allez le lui demander. Moi je serai dans un avion sur le chemin du retour à travers l’Atlantique. Sinon je vous promets que je lui aurais demandé moi même. Demandez-lui pour moi. Dites lui, « ce n’est pas notre faute, Eben veut savoir. Si vous devez blesser quelqu’un, c’est lui ». Vous devriez changer l’Université européenne. Vous devriez la modifier en une lecture sans surveillance. Vous devriez mettre en faillite Google Books et Amazon. C’est une manière capitaliste Nord-américaine anglo-saxonne de jouer des coudes.

Pourquoi est-ce que nous ne rendons pas libre le savoir en Europe, et ne nous assurons-nous pas qu’il n’est pas surveillé ? Cela serait le plus grand pas possible, et c’est en leur pouvoir.

Photo d’Eben Moglen, crédit Re:Publica (CC BY 2.0)




Sauvons des chatons avec April, Framasoft et Quadrature ! #PackLiberte 2

Châtons-nous de sauver internet ! En décembre, l’April, Framasoft et La Quadrature du Net lancent une nouvelle campagne commune de soutien : Pack Liberté 2.

Pack Liberté - BadgeCe qui se joue actuellement est vraiment fondamental.

Internet et son esprit libre, ils ne l’ont pas vu venir. Ils n’y ont rien compris au début. Ça n’était pas sérieux, pas vraiment monétisable. Ça ne les intéressait pour ainsi dire pas, alors ils nous ont laissés tranquillement jouer avec.

Et les chatons ont pu s’épanouir, libres et heureux…

Or aujourd’hui la menace plane. Ils n’ont pas forcément mieux compris mais ont cependant compris que ça ne leur convient pas et sont en train de tout faire pour lui mettre une muselière.

Mettre une muselière à un chaton, quelle drôle d’idée ! Ça ne peut fonctionner ! Et pourtant ils s’entêtent et les chatons se retrouvent en grand danger.

C’est autour de cette symbolique que l’April, Framasoft et La Quadrature du Net vous proposent de les soutenir durant tout le mois de décembre. Il y a un message fort à travailler ainsi en synergie. Il y a surtout une urgence à poursuivre notre travail de promotion et de défense du logiciel libre ainsi que le respect des droits et libertés du citoyen sur internet.

Nous vous savons très sollicités, qui plus est dans un contexte économique difficile. Mais soit vous avez fixé votre calendrier sur celui des Mayas, et alors c’est le bon moment pour aborder la fin du monde les poches plus légères. Soit vous pensez qu’il y a une vie après le 21 décembre et ça vaut le coup de faire en sorte qu’ensemble elle soit la plus libre possible…

Et dans les deux cas mieux vaut être accompagné d’un adorable chaton qui ainsi sauvé vous en sera éternellement reconnaissant.

Merci de votre confiance et de votre soutien,

Alexis Kauffmann (pour Framasoft)

-> Pack Liberté 2

Alexis Kauffmann - Pack Liberté - Chaton




L’industrie du copyright a tout compris à Internet (et des veaux qui le peuplent)

Pendant que nous sommes tout occupés à paramétrer notre smartphones ou à répondre par un « poke » à un « poke » de nos amis Facebook, l’industrie du copyright fait pression et participe à mettre en place des lois qui dessinent les contours d’un monde assez terrifiant pour nos libertés.

Et ce n’est pas, comme on l’affirme souvent, qu’elle ne capte rien à Internet. C’est au contraire parce qu’elle a trop bien compris les dangers qui la menacent.

Un billet cinglant de Rick Falkvinge, que nous aimons beaucoup traduire par ici, et qui vient d’ouvrir une section française de son blog grâce au dynamisme de Paul Neitse et de Jean-Marc Manach. D’ailleurs, zut alors, je m’aperçois au moment de la mise en ligne que ce dernier a déjà traduit l’article en question ! Bon, tant pis, ça fera deux versions, c’est aussi cela les licences libres 😉

Thomas Leuthard - CC by

Comment l’industrie du copyright conduit à une dystopie du type Big Brother

How The Copyright Industry Drives A Big Brother Dystopia

Rick Falkvinge – 12 novembre 2012 – Blog personnel
(Traduction : Mnyo, ehsavoie, lgodard, @paul_playe, ordiclic, PostBlue)

Bien trop souvent, j’entends que l’industrie du copyright ne comprend pas Internet, ne comprend pas la génération du net, ne comprend pas à quel point la technologie a changé. Non seulement c’est faux, mais c’est dangereusement faux. Pour vaincre un adversaire, vous devez d’abord comprendre comment il pense plutôt que de le présenter comme le mal. L’industrie du copyright comprend exactement ce qu’est Internet, et qu’il doit être détruit pour que cette industrie garde un soupçon de pertinence.

Regardez les lois qui sont proposées en ce moment : écoutes téléphoniques généralisées. fichage des citoyens, exile par excommunication… Toutes ces lois poursuivent un dessein commun : elles ont pour but de recentraliser les autorisations pour publier idées, connaissances et culture, et punir avec une sévérité totalement disproportionnée quiconque se mettrait en travers du chemin des gardiens.

Être en position de gardien, ou avoir eu ce poste de gardien, apprend à quiconque ce qu’est le pouvoir, dans le pire sens du terme. Si vous pouvez décider quels seront la culture, le savoir et les idées dont pourront profiter les gens – si vous avez la position pour dire si oui ou non une idée sera publiée – alors cela va bien au-delà du pouvoir de la simple publication. Cela vous met en position de choisir. Cela vous met dans une position où vous décidez quel sera le cadre de référence pour tout le monde. Cela vous donne littéralement le pouvoir de décider ce que les gens diront, ressentiront et penseront.

La possibilité de partager idées, culture, et connaissance sans permission ou traçage est inscrite dans les fondements du net, comme c’était le cas pour le service postal lors de sa création. Quand nous envoyons une lettre par courrier, nous et nous seuls choisissons si nous nous identifions comme expéditeur sur l’enveloppe, dans le courrier pour le seul destinataire, ou pas du tout. De plus, personne n’ouvrira nos enveloppes scelées durant le voyage juste pour vérifier ce que nous envoyons.

L’internet reproduit cela. Il est parfaitement raisonnable que nos enfants y aient les même droits que ce qu’ont pu avoir leurs parents. Mais si nos enfants ont ces même droits, dans un milieu où ils communiquent, cela rend une partie de certaines industries obsolètes. C’est donc ce que l’industrie des ayant-droit essaie de détruire.

Ils font pression pour des lois qui introduisent l’identification et le traçage de nos logs de connexion. L’industrie du copyright a été l’un des plus forts soutien de la directive de rétention des données en Europe, qui impose l’enregistrement de nos communications, pas les contenus mais le journal et l’historique de nos sessions (qui avons-nous contacté ? quand ? pour quelle durée ? et ce pendant un temps significatif. Ce sont des données qu’il était absolument interdit de conserver auparavant pour des questions de vie privée. L’industrie du copyright s’est arrangée pour tourner cette interdiction en obligation.

Ils font pression pour introduire des lois impliquant la responsabilité (pénale) à tous les niveaux. Une famille de quatre personnes peut être traduite en justice par un cartel d’industries, dans un salle d’audience où la présomption d’innocence n’existe pas (en procédure au civil). Et ils militent pour que les transporteurs de courriers scellés soient responsables des messages qu’ils transportent. Cela va à l’encontre de siècles de pratique des services postaux en acceptant leurs desiderata extrajudiciaires, en dehors des salles d’audience où les gens ont encore des droits minimums à se défendre.

Ils font pression pour des lois qui introduisent les écoutes téléphoniques pour des populations entières et agissent en justice pour le droit de le faire avant que cela ne devienne la loi. Ils l’ont fait de toute façon sans le dire à personne.

Ils font pression pour des lois permettant d’envoyer des gens en exil (en leur supprimant l’accès au net), les empêchant d’exercer leur fonction dans la société, s’ils écrivent ce qu’il ne faut pas dans des lettres scellées.

Ils font pression pour des lois de censure active comme nous n’en avions plus connues depuis un siècle, utilisant la pédopornographie comme cheval de Troie (qui n’a aucun effet, bien au contraire, sur cette dernière).

Ils font pression pour des lois introduisant une traçabilité, même pour des délits mineurs, incluant spécifiquement le partage de la culture (qui ne devrait pas évidemment pas être un délit). Dans certains cas, lorsqu’il s’agit de violer la vie privée, ces lois donnent à l’industrie du copyright des droits plus forts qu’elle n’en donne aux forces de police.

Réunissons ces lois iniques et il va être enfin possible, enfin, de se de se débarrasser de notre liberté d’expression et de nos droits fondamentaux, tout ça pour soutenir une industrie non-nécessaire. Cela crée un Big Brother cauchemardesque, au delà de ce qu’auraient jamais pu imaginer les gens il y a à peine une décennie. Ma sempiternelle question est la suivante : pourquoi les gens préfèrent-ils s’accommoder de cela au lieu de fracasser la chaise la plus proche sur la tronche de ces bâtards ?

Par exemple, nous avons entendu dire que les FAI (Fournisseur d’Accès à Internet) des États-Unis d’Amérique vont commencer à se soumettre aux diktats de l’industrie du copyright dans le traitement de ses propres clients, jusqu’à les déposséder de leur citoyenneté et de leur droit à l’anonymat. Un jeu que l’on pourrait appeler : j’envoie mamie dans le box des accusés. Un cas d’école de mauvaises relations avec la clientèle dans les futurs manuels de marketing : faire en sorte que vos clients puissent être traduits en justice (et perdre) par des organisations industrielles dans un jeu truqué où ils ne sont mêmes pas présumés innocents. Sérieusement, à quoi pensent donc les FAI ?

Aujourd’hui, nous exerçons nos droits fondamentaux – le droit à la vie privée, le droit à l’expression, le droit à la correspondance, le droit de s’associer, le droit de se réunir, le droit à une presse indépendante, et bien d’autres droits – par le biais de l’Internet. Par conséquent, un accès anonyme et non censuré à Internet est devenu un droit aussi fondamental que les droits que nous exerçons à travers lui.

Si cela veut dire qu’une industrie stupide qui fait de fines galettes de plastique ne peut plus faire d’argent, peu me chaut qu’ils fassent faillite ou vendent de la mayonnaise à la place.

C’est leur problème.

Crédit photo : Thomas Leuthard (Creative Commons By)




De la puissance combinée d’Internet, du crowdfunding et de l’esprit du Libre

Mélangez envie d’aider son prochain, Internet, le crowdfunding et l’esprit du Libre et vous obtenez l’un des modèles de développement les plus dynamiques à l’heure actuelle pour démarrer un projet.

Un modèle totalement impossible à envisager il y a à peine dix ans de cela.

Il s’agit ici de créer une prothèse du doigt très bon marché. Les deux inventeurs ont travaillé à distance et ont choisi d’ouvrir la conception plutôt que de déposer un brevet. L’argent n’est ici qu’on moyen pour continuer à travailler pour le bien commun et non un objectif d’enrichissement en soi.

Ce n’est pas autrement que nous changerons le monde

Sauf que pour que cela modèle fonctionne et soit valide pour le projet qui nous concerne ci-dessous, il convient de participer à la campagne. Il reste à peine 10 jours pour trouver un peu plus 1000 dollars. C’est jouable non ?

Prosthetic Fingers

Des collaborateurs à distance créent une prothèse de doigt peu coûteuse sous licence libre

Long-distance collaborators create inexpensive prosthetic finger

Adam Williams – 31 octobre 2012 – GizMag
(Traduction : ordiclic, geecko, seirl, greygjhart)

Quand l’artisan Sud-Africain Richard Van As perdit la plupart des doigts de sa main droite dans un accident d’origine industrielle, il décida d’essayer de créer une prothèse de doigt pour regagner une partie de sa mobilité perdue. Dans ce but, Richard demanda de l’aide auprès d’Ivan Owen, originaire de Washington, après avoir été impressionné par la vidéo que celui-ci, a postée sur YouTube, présentant une main mécanique. Le résultat pourrait être une aubaine pour tous les amputés, partout dans le monde.

Bien qu’ils vivent à plus de 15 000 kilomètres l’un de l’autre, Richard et Ivan se sont mis au travail en échangeant des courriels, des photos et des dessins tout en discutant par Skype pour construire un prototype fonctionnel. La tâche fastidieuse de produire la prothèse de doigt a commencé lorsque Richard a créé une réplique en plastique de sa main pour Ivan, de manière à s’assurer qu’ils travaillaient tous deux sur la même base, et de là le design a ensuite été peaufiné.

Le prototype en cours est tenu en place par un appareilllage, similaire à un gant, modelé pour correspondre à la main de la personne amputée. La prothèse de doigt, elle, consiste en un bras de levier rigide et un bout de doigt avec un tampon adhésif. C’est une approche qui relève beaucoup moins de la haute technologie que d’autres doigts prothésiques, comme ceux faits par Touch Bionics ? cependant, la prothèse est aussi bien plus abordable, et améliore significativement la capacité de Richard à attraper des objets.

Richard et Ivan tentent aujourd’hui de collecter des fonds pour leur permettre d’améliorer le prototype, et il ne leur reste que deux semaines pour atteindre le seuil des 5000$ (soit environ 3 900€) qu’ils se sont fixés. L’argent collecté jusqu’à maintenant a servi à payer une fraiseuse, alors que les donations futures serviront à amortir le coût du matériel, des outils et du voyage.

Plutot que de faire breveter leurs travaux, Richard et Ivan ont décidé de distribuer les plans librement afin de faire profiter d’autres personnes de leurs recherches, et l’objectif final est de proposer une prothèse de doigt sans autre coût que les matières premières. Le duo a aussi émis l’idée de proposer la prothèse sous la forme d’un kit peu coûteux à assembler soi-même.

Cette vidéo montre une démonstration du prototype de la prothèse de doigt par Richard et Ivan et raconte l’histoire du projet et de cette rencontre.