L’appel GNU/Linux d’un fanboy Microsoft dégoûté par la licence Office 2013

Comme le soulignait PCInpact récemment Microsoft interdit le transfert de la licence Office 2013 vers un autre PC.

L’arrivée de la nouvelle version de la célèbre suite bureautique s’accompagne en effet d’un contrat de licence encore plus restrictif qu’auparavant, ce qui revient bien moins à acheter un logiciel qu’à le louer sur un seul et unique ordinateur en priant pour que ce dernier n’expire pas tout de suite (malgré son obsolescence programmée, ce qui est un autre sujet).

Du coup, certains utilisateurs, même parmi les plus fidèles, réalisent (enfin) qu’on les prend vraiment pour des vaches à lait et lorgnent (enfin) du côté de GNU/Linux et LibreOffice.

Pcs007 - CC by-sa

Microsoft perd un fanboy de plus

Microsoft loses yet another fanboy

Jack Wallen – 19 février 2013 – TechRepublic.com
(Traduction : jay91, lukkas35, Goodbox, aKa, nepski, VIGNERON, RavageJo, goguette, Texmix, Kyriog, Penguin, QC, chdorb, Norore, maxlath + anonymes)

Un autre mord la poussière pendant que Microsoft (et son utilisation déplaisante des licences) fait fuir un fan de longue date. Jack Wallen jette un œil à ce qui attend Microsoft.

Non, ce n’est pas quelqu’un de connu. Ce n’est même pas quelqu’un qui soit déjà apparu dans les médias, dans un mème, ou qui aurait participé à un hashtag ou une flashmob. Microsoft a perdu un des fanboys avec lesquels je travaille. Cette personne est un de ces types qui comprennent les choses à plusieurs niveaux. Non seulement il est incroyablement intelligent, mais c’est aussi un brillant électronicien.

Mais lorsque Microsoft a commencé à annoncer leurs termes de licence pour Office 2013 — il a commencé à me poser des questions. Elles commençaient toutes par « Au fait Jack, parle moi de Linux ». Et c’est ce que j’ai fait. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’il installe Ubuntu 12.10 à la place de Windows 7 et qu’il soit heureux de travailler, sans Microsoft, et ce sans perdre le rythme.

Vous devez vous demander en quoi exactement les nouveaux termes du contrat de licence d’Office 2013 peuvent faire changer d’avis un fan Microsoft de longue date ? Laissez-moi vous lister les points les plus importants :

  • Chaque licence est liée à un compte Microsoft Live (qu’il vous faut posséder) ;
  • Seules cinq licences peuvent être liées à un même compte (nous avons des clients qui en passent par une dizaine de versions d’Office par semaine — ça pourrait causer quelques problèmes) ;
  • Chaque licence sera définitivement assignée à une seule machine.

Ces points sont seulement les plus néfastes, des points qui vont faire mal aux utilisateurs à différents niveaux. Ces conditions de licence partent du principe que les machines ne tombent jamais en panne – et que si elles le font, les utilisateurs ne verront pas d’inconvénient à sortir à nouveau la liasse de billets pour racheter la licence.

Faux et archi faux.

Les ordinateurs tombent en panne, certains sont parfois d’emblée défectueux avec des défauts qui ne seront parfois visibles qu’après plusieurs jours (ou semaines) d’utilisation. Que vont faire ces utilisateurs là ? Acheter Office 2013 deux fois en l’espace de quelques semaines ?

À cela, Microsoft va répondre, « Vous pouvez souscrire à Office 365 ». À ça, je répondrai d’utiliser gratuitement Google Docs pour n’avoir plus aucun problème.

Au cours de l’année dernière, Microsoft en a fait plus pour pousser les gens vers des solutions alternatives qu’il ne l’avait fait pendant très longtemps. D’abord, il a mis sur le marché l’une des interfaces graphiques les moins intuitives qui soit. Aujourd’hui, c’est la licence de Microsoft Office qui change. En bref, Microsoft est en train de perdre des fans et des utilisateurs. Vers quoi se tournent-t-il ? Linux. De plus en plus de gens se rendent finalement compte qu’il y a une alternative et que cette alternative est en fait MEILLEURE !

« Toutes ces années gâchées. » disais-je, secouant ma tête, tentant de cacher ma joie.

Les entreprises et les consommateurs ont beaucoup dépensé dans les produits Microsoft. Comment sont-ils remerciés de leur fidélité ? Une baffe en plein visage, et un trou dans le porte-monnaie ! Cette pagaille ne va pas bien se finir pour Microsoft. En revanche, cela va dans le bon sens pour les systèmes d’exploitation et logiciels comme Ubuntu et LibreOffice.

Beaucoup d’entre nous ont dit qu’il serait inévitable d’en arriver là. À un moment, on a vu venir le côté binaire — Microsoft allait brûler le seul pont qu’il ne pouvait se permettre de brûler — celui qui se trouvait entre Redmond et ses légions de fanboys. Cela ne se fera sans doute pas en une nuit, mais les aficionados d’une des plus grosses entreprises à avoir jamais honoré les bits et les octets vont lui tourner le dos et chercher de plus (ou)vertes pâtures. Quand cela va se produire, Linux aura enfin ce qui lui est dû. L’effet cascade forcera Microsoft à re-calibrer ses pratiques commerciales dans l’urgence.

Bien sûr, on a déjà entendu cet air-là avant. Microsoft va probablement tenter de mener le combat devant les tribunaux, mais pas là où il devrait : dans les cœurs et les esprits de ses consommateurs.

Crédit photo : Pcs007 (Creative Commons By-Sa)




Les Noénautes reviennent avec un livre encore plus libre ! (et un appel à soutien)

Nous ne pouvons plus vous le cacher. Nous vous devons la vérité.

Le romancier Pouhiou, de sinistre mémoire, ne laissera aucun droit d’auteur à sa succession ! Ses petits-petits-enfants maudiront cet arrière-arrière-grand-père qui ne leur aura pas laissé son œuvre en lucratif héritage, et ils baisseront la tête, honteux de revenir à pied de l’école virtuelle quand ils croiseront les petits-petits-enfants de Marc Levy en limousine holodynamique…

Pourquoi ? Parce que cet iconoclaste a décidé de directement placer ses livres dans le domaine public grâce à la licence CC-0. Il pousse d’ailleurs l’effronterie jusqu’à nous demander notre soutien pour accompagner la sortie du livre II du cycle des NoéNautes.

Ne répondez surtout pas à sa pernicieuse invitation, vous risqueriez d’être complice de dangereux criminels de la trempe d’Aaron Swartz !

Voyez dans cette interview de quelles fallacieuses diaprures il revêt ses noirs desseins… On vous aura prévenus.

Pouhiou sur Ulule

Alors ça y est, tu as déjà fini un deuxième tome ? C’est un vrai roman-feuilleton ton truc, et tu comptes aller jusqu’où au juste ? Une comédie musicale à Bercy ?

Quand comme moi on télécharge chaque année les Tommy awards, c’est Broadway sinon rien ! Pour les NoéNautes, j’ai été clair dès le début : Huit livres sont prévus. Huit livres de huit chapitres, chacun correspondant à un des 64 hexagrammes du yi-king (un des plus vieux livres au monde). Mais je t’avoue qu’après deux romans en un an, je crois que je vais me faire une pause… et écrire les trois pièces de théâtre qui me trottent dans la tête !

C’est bien joli tes histoires de noétie mais moi ce qui m’intéresse c’est qu’il y ait là-dedans un peu de sexe, de drogue et de rock’n roll. Est-ce qu’on en trouve dans MonOrchide(1) ?

Tu sais que je ne l’avais pas envisagé comme ça ? Mais nom de Zeus, c’est vrai ! Ce sont même des éléments essentiels de #MonOrchide. Le sexe, débridé, pluriel, polyamoureux, va être un levier important dans la narration… comme il peut l’être dans l’histoire de nos vies, note bien ! Quant à la drogue et au Rock’N’Roll, ils apparaissent avec de nouveaux personnages… Donc je garde le secret. Disons que qui a lu mes pièces de théâtre risque d’avoir de belles surprises !


C’est quoi cette histoire de souscription ? J’y comprends rien. Tu veux qu’on envoie des sous pour que d’autres n’aient pas à payer pour le bouquin ? Donc faut que je paie pour que les autres aient un livre gratuit, j’ai bon ?

Tu as tout bon. Il y a un adage qui dit « si c’est gratuit, c’est toi le produit ». La croyance générale est qu’il faut se méfier du gratuit. Que cela dévalorise l’art, la culture. Alors que ça ne fait que déprécier les marchandises, et pleurer les commerçants… L’idée, c’est de s’amuser autour de la « loi prisunic », imposant un prix unique au livre en France. Le prix des framabooks tient compte de toute une chaîne de distribution (stockage, distribution, librairie, etc.) Pour la souscription, on est en circuit court. Les livres iront directement de moi à toi, sans avoir à payer d’intermédiaires. Mais on est légalement tenus de conserver ce tarif de 22 €… Alors au lieu de s’en mettre plein les poches, on va prendre tous ces bénéfices, faire de jolis livres du tome 1, et les offrir à des curieux, des intéressées et autres bouquinovores. On aime tous partager un bon bouquin. L’emprunter gratuitement dans une bibliothèque, ou sur l’étagère d’un ami. Ce roman est d’autant plus précieux qu’il nous a été donné. Le principe de cette souscription est le même. Nos efforts collectifs ajoutent de la valeur à ce geste gratuit.


Ils sont marrants tes personnages (enfin certains font un peu peur hein). Mais bon, dans quel volume tu vas introduire (hum en tout bien tout honneur) un épicier tunisien, un cheminot à la retraite, une opératrice de centre d’appel, un lycéen rimbaudmane (oui je sais les rimbaudlogues disent rimbaldien), une chasseuse de palourdes… ?

On a déjà une concierge geekette et une jeune fille élevée dans une ferme ostréicole, je te ferais dire ! Alors bien entendu, les héros des deux premiers tomes tiennent plus du cadre que du prolo… Mais ça n’augure rien quant à la suite ! Je t’avoue que ces personnages sont en train de prendre un relief et une vie toute particulière. Je pense que les histoires et les personnalités vont s’étoffer et se multiplier au fil des volumes. À ce titre, le livre III en surprendra plus d’un !


Tu assures vachement bien la comm et la promo tes bouquins, mais l’énergie et le temps que tu y passes ne nuisent pas au temps d’écriture ?

Merci, et : OUI. Là, je devrais être en train de corriger et d’annoter les épisodes du chapitre 8 pour que l’équipe Framabook puisse travailler dessus. Mais non, je communique. Cela fait partie du travail. J’ai appris ça quand je faisais le comédien. Pour jouer mes pièces, j’ai téléphoné, tracté, fait des sites web, harcelé, pondu des dossiers, couru premières et vernissages, affiché… La plupart de mes amis artistes (chansonniers, comédiennes, auteurs, metteuses en scène, etc.) font ça, peu ont les moyens de déléguer ce genre de choses… Ce n’est pas plus mal. D’une part cela entraîne à parler de ce que l’on fait, à le défendre et à le diffuser… Et d’autre part ça ancre dans la réalité. Sauf dans mon cas, où si je ne trouve pas de boulot très vite, la réalité va venir me faire payer l’ardoise avec ses intérêts ;p !


Est-ce que tu vas bientôt arrêter de te prétendre « déjanté » ? C’est devenu une vraie tarte à la crème. Tu devrais demander à tes fidèles habitués du blog quels adjectifs correspondent le mieux à ta saga. Je propose une première série :

  • capricant
  • invertébré
  • supraconducteur
  • callipyge
  • caustique
  • métadiabolique
  • orchifrage

Tiens, un sondage pour voir

Je supprime invertébré (les huîtres c’est le mâââl !) et j’ajoute chalambré, parce que ce mot n’existe pas et qu’il devrait exister. Et OK : chiche ! Tu lances le sondage sur le framablog ? Si une solution remporte plus de 88 votes, quelle qu’elle soit, je l’utiliserai. Foi de Pouhiou !

— merci Pouhiou à la prochaine !

Pour s’y retrouver :

(1) Un titre vaguement graveleux, voyez l’étymologie. Ce Pouhiou ne recule devant rien. Mais il se ferme les portes du vertueux Appstore, le bougre.




Cadeau : le geektionnerd à faire soi-même

bannière Gégé

Vous avez peut-être remarqué dans les derniers articles publiés sur le framablog que quelques illustrations à l’humour approximatif étaient signées Gégé, le générateur de Geektionnerd. Ce petit jeu graphique vous est aujourd’hui offert en libre-service par Framasoft.

D’où vient-il ?

C’est une conception des Mozilla Labs dont on peut trouver toute la petite histoire et les caractéristiques techniques sur ce blog de Mozilla hacks. Pour simplifier, Willian Carvalho a voulu réaliser avec Canvas (traitement de l’image en JavaScript) ce qui existait seulement en Flash. C’est une chouette et amusante démonstration de ce qu’on peut faire désormais avec le HTML5, que Mozilla défend et promeut comme le langage du Web, plateforme ouverte de développement…

La version Framalab

C’est Cyrille (avec l’aide de Quentin pour la mise en ligne) qui a réalisé une adaptation francophone, avec la complicité de Simon “Gee” Giraudot qui a fourni les images. Vous pouvez trouver les sources librement disponibles sur le github, n’hésitez pas à le forker, à vous installer votre propre version avec vos images et à fabriquer vous-mêmes des bandes dessinées libres.

Comment ça marche ?

C’est vraiment simple et intuitif. Rendez-vous sur la page du générateur de Geektionnerd, choisissez et déplacez les éléments graphiques, saisissez du texte pour vos “bulles”, redimensionnez les éléments avec les flèches haut/bas du clavier et inversez-les avec les flèches droite/gauche. Vous pouvez enregistrer facilement vos créations ensuite.

…d’ailleurs n’hésitez pas à en faire profiter tout le monde, peut-être publierons-nous vos meilleures réalisations ici, qui sait ?

Et Simon Giraudot, le voilà piraté ? Qu’en dit-il ?

Eh bien nous lui avons posé la question…

Quelle a été ta première réaction quand tu as découvert ce générateur ?

Très bonne ! Lorsque Cyrille a partagé la première version du générateur sur la liste de l’association Framasoft, tout le monde a commencé à jouer avec et à partager ses créations sur la liste. C’est assez marrant de voir mes personnages avec des mots qui ne sont pas les miens dans leur bouche !

D’une certaine façon c’est la continuité logique des créations libres que tu as réalisées avec la série des Geektionnerds ?

À priori c’est pareil. D’ailleurs, les dessins du générateur ne sont pas des dessins « exclusifs », ils sont en fait issus d’articles du blog (donc ils sont déjà sous CC-By-Sa !). Mais oui, c’est l’exacte continuité de ce que je propose dans le Geektionnerd. J’ai placé mes œuvres sous licence libre par conviction, parce que c’est comme ça que je vois « l’art » de manière générale. Le fait que les dessins soient librement modifiables n’est qu’une liberté, mais ça ne veut pas dire que vous allez forcément l’utiliser : grâce à ce générateur, on vous propose d’expérimenter cette liberté et de créer vos propres BD dérivées du Geektionnerd !

Tout le monde peut s’amuser avec ce petit générateur que nous te remercions d’avoir alimenté de tes dessins. Penses-tu que c’est juste un gadget sympathique ou que ça peut déclencher des vocations ?

L’un n’empêche pas l’autre, non ? 😉 Blague à part, c’est surtout un outil de loisir, à mon sens. Ça reste du bidouillage de dessins et de textes, je ne me verrais pas réaliser une histoire complète avec ça, par exemple. Mais après, qui sait ? Avec les licences libres, les possibilités sont infinies : imaginez une personne qui a une idée géniale de scénario pour une BD, mais ne sait absolument pas dessiner. Grâce aux contributions que l’on met dans le pot commun de l’art libre (et je ne parle pas que de moi ici mais de tous les artistes libres), il pourrait tout à fait récupérer une énorme base de données de dessins et les arranger comme il le veut pour correspondre à son scénario. Sympa, non ?

Si l’on va un peu plus loin, ce genre de pratiques implique la fin de l’œuvre unique, puisque chacun peut utiliser, copier, remixer, re-créer et diffuser des comic strips ? l’analogie avec les 4 libertés du logiciel libre est frappante, non ?

Oui, c’est exactement ça. Pour autant, il ne faut pas voir ça comme une trahison de l’œuvre ou un manque de respect de l’auteur (ce genre d’argument revient souvent lorsqu’on parle de modifier les œuvres sans l’autorisation de l’auteur – un des principes d’une licence libre). L’œuvre originale, le Geektionnerd, reste une « œuvre unique », si l’on veut. La différence avec une œuvre sous régime de droit d’auteur classique, ce n’est pas que vous allez vous l’approprier et en faire ce que vous voulez : ça, honnêtement, vous le faites aussi avec des œuvres protégées.

La différence, c’est que là, non seulement personne ne viendra vous demander des comptes et vous traiter de voleur, mais en plus, on vous y encourage ! Tu parles de l’analogie avec les 4 libertés du logiciel libre : je pense aussi, personnellement, aux deux modèles que propose Florent Latrive dans son livre Du bon usage de la piraterie. Il explique que, classiquement, on aimait considérer les artistes comme des  « génies romantiques » qui avaient une inspiration naturelle et quasi-divine. Mais l’artiste est en fait plus proche du « hacker », qui s’approprie toutes les informations qui l’entourent pour créer quelque chose de nouveau. Tous les artistes passent leur temps à reprendre, copier, réutiliser les œuvres du passé. La licence libre ne fait que se mettre en accord avec cette réalité qui est pourtant loin d’être spécifique à l’art libre ! On connait la fameuse citation de Picasso, « Les bons artistes copient, les grands artistes volent ». Aurait-il mis ses œuvres sous licence libre si cela avait existé à son époque ? C’est une autre question 😉




Benjamin Jean, guide dans la jungle des licences libres

Depuis sa parution l’an dernier, le Framabook de Benjamin Jean « Option libre » s’est imposé comme un ouvrage de référence, à la fois par son caractère didactique et documenté et parce qu’il s’avère un bon guide dans le maquis touffu des licences libres. Il permet en effet de définir sa propre stratégie pour choisir la licence libre la mieux adaptée à chaque projet. D’ailleurs son titre est judicieusement complété par « Du bon usage des licences libres »…

Ce n’est pas une mince qualité par ailleurs d’avoir rendu accessibles des notions juridiques dont Benjamin est un fin connaisseur, c’est un ouvrage qu’on peut saluer pour son souci de vulgarisation. En cela, il est parfaitement dans l’esprit des Framabooks qui prétendent partager le savoir, et bien au-delà du seul domaine du logiciel, apporter leur contribution à une éducation populaire.

Retour sur la petite histoire de ce livre et les valeurs dont il témoigne…

Pourquoi as-tu choisi de diffuser largement un essai qui semble destiné d’abord aux spécialistes du droit de la propriété intellectuelle dont tu fais partie ? Ça nous concerne vraiment ?

— Premier point, l’ouvrage n’est pas destiné aux spécialistes de la propriété intellectuelle (même si on y retrouve effectivement des réflexions qui ont fait l’objet de publications dans des revues spécialisées), mais bien à tous ceux que la propriété intellectuelle touche de près ou de loin — ce qui est beaucoup plus large 🙂

En effet, je trouve paradoxal qu’un droit aussi présent sur internet, dans le numérique, etc. soit si peu accessible au grand public. Cela pour au moins deux raisons :

  1. Le droit est un outil destiné à gérer (entendre « faciliter») les relations sociales, les liens entre les personnes : à ce titre, l’intérêt de diffuser très largement toutes les connaissances le concernant m’est paru évident (ce qui permet par ailleurs — peut-être — de redorer l’image du juriste qui, en « spécialiste du droit », en ferait son monopole) ;
  2. la place du public, des utilisateurs, au sein de la propriété intellectuelle (disons de la multitude des droits composants ce que l’on nomme propriété intellectuelle) est primordiale puisque la légitimité de cette propriété (sur l’« immatériel ») dépend de l’équilibre qu’elle formalise entre les intérêts des auteurs/créateurs et de la société. Il est donc important que le public prenne conscience du rôle actif qui lui incombe (et ne s’enferme pas dans l’image du pirate qu’on veut parfois lui donner).

Par ailleurs, et j’aurais pu commencer par là, la propriété intellectuelle est un domaine qui me passionne, certainement parce que j’aime l’exercice du droit, sa logique, ainsi que l’objet de la propriété intellectuelle : l’art, la musique, les NTIC, etc.) — et le partage d’une passion est naturel…

Donc oui, cet ouvrage concerne toute personne sensibilisée à la création et l’innovation à l’ère du numérique — du néophyte à l’expert, sachant que je suis dans l’attente de tout commentaire qui me permettrait de le perfectionner. L’objet initial (les licences libres) a rapidement été étendu au regard du cruel manque de bases (ouvrages notamment) sur lesquelles développer une réflexion sur les licences libres (et ça n’avait, à mes yeux, aucun sens de parler des licences libres sans les resituer au regard du système traditionnel et des différents courants de pensée qui le parsèment). J’ai déjà identifié quelques axes de perfectionnement (et la correction de coquilles), mais je crois qu’« Option Libre » constitue une bonne base de réflexion sur laquelle il est possible de rédiger des ouvrages plus techniques (ou “métiers”).

On reproche parfois aux licences libres leur démultiplication qui les rend difficilement « lisibles » pour qui ne s’est pas penché avec soin sur chaque particularité. Comment selon toi peut-on justifier leur foisonnement ?

— La réponse la plus courte serait certainement de renvoyer à l’ouvrage sur l’histoire du Libre qui devrait être publié au sein de la collection Framabook dès la fin de cet hiver. J’y contribue notamment au travers d’un article sur l’histoire des licences libres dans lequel j’essaie de peindre une fresque suffisamment large pour que les différentes motivations — plus ou moins bonnes — ayant emporté ces nouvelles licences s’y retrouvent.

Tout ce que je peux dire actuellement — et pour résumer les 20 pages —, c’est qu’une telle étude historique de l’apparition, mais surtout de l’évolution, des licences libres permet de mettre en avant l’intérêt de la licence comme « contrat social favorisant le travail communautaire ». La licence est donc le contrat qui relie les contributeurs d’une communauté et, à cet égard, on comprend facilement que des communautés aient cherché à formaliser leur propre contrat — certainement mieux adapté à leurs besoins. Il faut ensuite ajouter l’aspect politique (et parfois marketing) qui a conduit de nombreuses entreprises (et acteurs publics) à privilégier la rédaction de nouvelles licences, sans nécessairement que ce choix soit stratégiquement pertinent.

On se retrouve au final avec des centaines de licences libres, voire des milliers si on compte les variantes, mais — honnêtement — le travail de lecture (et de compréhension) est souvent beaucoup plus simple que pour une licence commerciale classique (puisque chacune est spécifique). Ainsi, le livre donne quelques clés (et notamment une “grille de lecture”) pour faciliter l’appréhension des licences libres (qui, en dépit de toutes ces différences, partagent énormément de points communs).


Tu as choisi une publication Framabook, quel intérêt y vois-tu, par rapport à d’autres supports d’édition numérique ?

— Le choix a été très simple puisque j’étais déjà impliqué dans Framasoft lors de la publication des premiers Framabooks et qu’Alexis m’avait mis au défi de rédiger un ouvrage sur les licences libres…. Un certain nombre d’années auront été nécessaires pour que je trouve le temps nécessaire à l’ouvrage — bien 5-6 ans, j’ai d’ailleurs publié entre-temps le Guide Open Source, mais le pari est tenu. Ayant été sensibilisé aux problématiques des développeurs au travers de la Framagora (ce qui avait mené, un peu plus tard, à la création de l’association Veni, Vidi, Libri), la publication d’un ouvrage sur les licences libres était à mes yeux une évidence puisqu’il s’agissait certainement de la contribution la plus utile que j’étais en mesure de produire.

Tu vas samedi à la rencontre de véritables lecteurs en chair et en os, tu ne redoutes pas d’être pris à parti par un trolleur de licences ;-) ?

— Pour la petite histoire, c’est l’image qui m’avait accueilli lors de mes premiers posts sur LinuxFr.
    Je dois avouer que les premières fois n’étaient pas des plus agréables (d’autant plus que je produisais un travail relativement conséquent sur les sujets sur lesquels je m’exprimais), mais j’ai finalement vite appris à relativiser (la première page de mon mémoire de DEA sur les compatibilités entre licences était d’ailleurs illustrée par un énorme troll poilu…) et les commentaires qui visent les juristes sont aujourd’hui beaucoup moins virulents qu’auparavant. On a tous à apprendre des autres et je suis toujours aussi content de partager autour d’une passion commune.
    Donc aujourd’hui, je ne saurai pas tout à fait expliquer ce qui a changé (mon discours certainement, mais les communautés aussi me semble-t-il) mais je n’ai plus cette crainte. Le juriste n’est plus le diable.

Vous retrouverez Benjamin et sa passion pour le Libre ce samedi pour une séance de dédicace et troll en live… Cliquez sur l’image ci-dessous pour l’agrandir.

framabook-rencontre-librairie

Crédit photo Benjamin Jean : teemu-mantynen (CC BY-SA 2.0)




Innovation et licence libre en biotechnologie

On le constate de plus en plus souvent aidé qu’il est en cela par Internet : quand l’esprit du Libre accoste un nouveau domaine, il interroge voire interpelle son modèle d’organisation antérieur (sans même le demander toujours explicitement).

Est-ce que la fermeture (ici les brevets) est la meilleurs voie vers le progrès et l’innovation ? Doit-on payer plusieurs fois l’usage d’une technologie qui devrait être au bénéfice de tous ?

Il pose alors des questions faussement naïves dont les réponses dessinent les contours du monde de demain.

Idaho National Laboratory - CC by

Oubliez les brevets : Pourquoi les licences libres sont facteurs d’innovation dans les biotechnologies

Forget Patents: Why Open Source Licensing Concepts May Lead To Biotech Innovation

Glyn Moody – 2 novembre 2012 – TechDirt.com
(Traduction : aKa, KoS, Dryt, Amine Brikci-N, Cyrille L., alexis, mazerdan, tanguy)

En direct du département du partage…

L’une des idées directrices conduisant au libre accès dans le domaine de la recherche est que si le public a déjà payé par l’intermédiare des impôts (ou du mécénat), alors il n’est pas légitime de demander à nouveau aux citoyens de payer pour lire l’article publié. La force de cet argument est en partie à l’origine d’une plus grande reconnaissance du libre accès à travers le monde.

Mais le même raisonnement peut s’appliquer à la mise sur le marché de la recherche sur fonds publics. Pourquoi devrait-on céder aux entreprises (qui cherchent naturellement à maximiser leurs profits) des prix si élevés pour des produits qui ont été initialement financés sur fonds publics (rendant par là-même leur mise sur le marché possible) ?

Tout comme pour le libre accès, la difficulté tient de la mise en place d’une nouvelle approche permettant aux traitements médicaux d’être le plus accessible possible. @MaliciaRogue a mis en exergue un article de Frangioni, paru récemment dans Nature Biotechnology, qui propose une solution innovante basée sur un développement open source mené par une fondation à but non lucratif.

Dans ce modèle open source, les structures commerciales sont encouragées à acquérir des licences d’utilisation, mais de manière non exclusive. Les entreprises utilisant la technologie sont encouragées à innover sur la plateforme, qui leur fournira des droits d’auteurs pour leur propriété intellectuelle, qui les aidera à franchir les barrières pour entrer sur le marché et fournir aux patients une version améliorée de la technologie. L’échange et l’évolution des informations ouvertes est encouragé plutôt que découragé, en supposant que les connaissances renforceront les entreprises qui veulent se creuser une niche de contenu protégé tandis que les scientifiques pourront continuer à se saisir d’une technologie de pointe.

C’est un exemple détaillé et fascinant qui nous fait explorer les problèmes que posent la mise sur le marché de la recherche, à commencer par la loi Bay-Dole de 1980 et son échec dans l’accélération des transferts de technologies entre le monde académique et l’industrie :

Au début de Bayh-Dole, la politique de transfert technologique de beaucoup de CMA (centre médico-académique) a été de chercher à breveter le plus d’inventions possible (tout ça à grands frais), parfois sans même se demander si la découverte permettait de compter les brevets comme des actifs ou d’en faire leur commercialisation. De la même façon, trop souvent, des startups émergent des CMA sans qu’une analyse raisonnable n’ait eût lieu, conduisant à un sous-financement de beaucoup d’entreprises.

L’approche de Frangioni est très différente. Puisqu’une structure à but non lucratif est financée par le public, l’accent est mis sur l’optimisation du service rendu au patient, plutôt que sur le retour sur investissement. La nouvelle façon de faire est de demander une forme de réciprocité de la part de ceux qui utilisent ces connaissances.

Les utilisateurs (chercheurs, chirurgiens, et utilisateurs de licences) peuvent acheter la technologie, mais uniquement après s’être formellement engagés à apporter les connaissances acquises par cette technologie dans une sorte de banque publique de connaissances (une base de données publique), à travers ce que nous appelons une boucle de retour d’informations. Ici encore, est mis en œuvre le principe de donner après avoir reçu : l’acheteur doit créer de nouvelles connaissances pour le bien de tous, afin d’avoir accès à la technologie.

C’est ainsi que les logiciels open source fonctionnent : tout le monde peut utiliser le code et bâtir dessus mais il faut redonner ses contributions à la communauté, de manière à ce que les autres puissent, exactement de la même manière, bâtir dessus. Les résultats dans le domaine des logiciels, où l’open source domine l’Internet, les super-ordinateurs et – grâce à Android qui est basé sur Linux – les smartphones, parlent d’eux même. Il reste à voir s’il est possible de généraliser la mise en pratique de ces idées, comme le montre l’expérience de Frangioni avec sa FLARE Foundation. Mais c’est certainement une approche qui vaut le coup d’être tentée.

Crédit photo : Idaho National Laboratory (Creative Commons By)




Geektionnerd : OpenGLAM

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Source : Recommandations pour l’ouverture des données et des contenus culturels (Framablog)

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Recommandations pour l’ouverture des données et des contenus culturels

Open Glam est un réseau international informel de personnes et d’organisations cherchant à favoriser l’ouverture des contenus conservés ou produits par les institutions culturelles (Glam etant l’acronyme anglais de Galleries, Libraries, Archives, Museums).

Adrienne Charmet-Alix (Wikimédia France), Primavera De Filippi (Open Knowledge Foundation), Benjamin Jean (inno³, Veni Vidi Libri, Framasoft) et Lionel Maurel (BDIC, auteur du blog S.I.Lex), tous quatre membres d’Open Glam (parité respectée[1]), viennent de mettre en ligne un document important en direction du Ministère français de la Culture : Recommandations pour l’ouverture des données et des contenus culturels.

C’est solide, sérieux et technique mais n’allez pas penser que c’est rébarbatif à lire pour le non juriste. Bien au contraire, Open Data, mutualisation, numérisation, interopérabilité, domaine public (où il y a tant à faire), cession de droits des fonctionnaires, licences copyleft… c’est très instructif et cela dessine en plein et en creux les contours d’une situation qui doit d’autant plus évoluer qu’il s’agit de nos deniers publics et que l’époque est certes à leur parcimonieux usage mais également à la culture du partage.

Framasoft soutient l’initiative de l’intérieur, puisque Benjamin Jean a participé de près à sa rédaction, mais également vers l’extérieur en contribuant à sa diffusion. Et plus nous seront nombreux à en faire de même, plus nous aurons de chances d’être écoutés en haut lieu.

Le document est sous double licence Art Libre et Creative Commons By-Sa. Nous en avons reproduit ci-dessous les proposition ainsi que l’introduction.

Leaf Languages - CC by-sa

Propositions du rapport

La réussite d’une réelle politique d’ouverture des données et contenus culturels repose selon nous sur un certain nombre de facteurs/actions. Nous préconisons donc :

De la part du ministère de la Culture

  • Un effort pédagogique pour définir les termes employés dans le domaine de l’ouverture des données et des contenus, ainsi qu’un accompagnement des usages ;
  • Une mise en valeur et un encouragement des expériences d’ouverture réalisées, issues d’initiatives institutionnelles ou privées, afin de montrer ce qui est réalisable ;

La rédaction d’un clausier à destination des établissements publics et des institutions culturelles afin de sécuriser les marchés publics entraînant le transfert de droits de propriété intellectuelle ;

Une information claire et pédagogique pour les institutions culturelles sur l’existence du droit à la réutilisation des informations publiques, sur sa portée, son articulation avec la Loi Informatique et libertés et sur les conditions dans lesquelles elles peuvent encadrer ces usages.

De la part des institutions culturelles

  • Une intégration de leur démarche d’Open Data dans la conception et la refonte de leur système d’information,
  • Un travail commun permettant de mutualiser et fédérer des démarches similaires ;
  • Une mutualisation globale, des moyens et des fonds, notamment pour l’anonymisation et la numérisation des données ;
  • La reconnaissance d’un accès systématique et gratuit aux œuvres du domaine public numérisées, y compris en cas d’usage commercial ;
  • l’usage privilégié de licences ayant une clause de « partage à l’identique » en parallèle ou à la place de toute clause interdisant la réutilisation commerciale afin d’assurer une diffusion et une réutilisation optimales.

De la part du législateur

  • La réintégration du régime des données culturelles dans le régime général de réutilisation des informations publiques et la validation de l’usage de licence de type « partage à l’identique » (à l’échelle nationale et communautaire) ;
  • Une modification de la circulaire du 26 mai 2011 pour étendre le principe de gratuité dans la réutilisation de leurs données aux établissements culturels sous tutelle de l’État (avec portée rétroactive) ;
  • Une modification de la Loi DADVSI afin que la cession des droits des agents publics s’étende aussi aux usages commerciaux et dépasse le seul cadre de l’accomplissement d’une mission de service public ;
  • Un refus des propositions de la nouvelle directive européenne qui envisagent les droits des agents publics comme limites à la diffusion des informations publiques.

Introduction

Depuis quelques années, on observe un mouvement général d’ouverture des institutions vers le grand public dans le monde entier (États-Unis, Grande-Bretagne, Kenya, etc.) comme en France (villes de Paris, Rennes, Toulouse, Montpellier, Nantes, mission interministérielle Etalab, etc.).

Conjointement à ces actions, la société civile s’investit également dans la mise en valeur et la demande de partage des données et contenus culturels.

Dans le secteur culturel, l’Open Data prend la forme parallèlement d’une ouverture des reproductions numériques d’œuvres qui sont elles-mêmes dans le domaine public ou appartenant à une personne publique et d’une ouverture des données relatives à ces œuvres (catalogues, bases de données descriptives, etc.). À ce titre, le sujet intéresse le ministère de la Culture, le législateur et les institutions culturelles (publiques comme privées).

Nous avons identifié certains enjeux qui nécessitent une clarification parfois, de la pédagogie bien souvent, et dans quelques cas particuliers, une réflexion voire des changements juridiques.

Pour surmonter ces blocages et permettre une réelle et fructueuse ouverture des institutions culturelles, nous portons l’attention de l’administration et du législateur sur :

  1. la méconnaissance des concepts et enjeux de l’Open Data au sein des institutions culturelles ;
  2. une volonté politique insuffisante en France en ce qui concerne la diffusion et de la réutilisation des données culturelles sur Internet et à l’échelle internationale ;
  3. la complexité du cadre juridique relatif à la diffusion des données cultuelles ;
  4. l’importance d’une réaffirmation de la mission des institutions publiques dans la diffusion et la réutilisation des données culturelles, a fortiori concernant les oeuvres du domaine public ;
  5. les préoccupations économiques susceptibles d’entraver la diffusion et la réutilisation des données culturelles.

-> La suite sur DonneesLibres.info…

Crédit photo : Leaf Languages (Creative Commons By-Sa)

Notes

[1] À propos de parité, signalons l’initiative #LibDiv, premier apéro Libre et Diversité qui aura lieu le 12 octobre prochain à La Cantine, avec la participation de Framasoft.




En forme de lettre ouverte au nouveau ministre de l’Éducation

L’article ci-dessous de Jean-Pierre Archambault évoque avec brio les enjeux éducatifs du libre et des standards ouverts.

Antérieur à sa nomination, il n’a pas été rédigé en direction de Vincent Peillon. Nous avons néanmoins choisi de l’interpeller en modifiant son titre tant il nous semble important de ne plus perdre de temps et de faire enfin des choix clairs et assumés en la matière[1].

S’il n’y avait qu’un document à lire sur l’éducation, ce serait peut-être celui-là…

One Laptop per Child - CC by

Enjeux éducatifs du libre et des standards ouverts

Jean-Pierre Archambault – janvier 2012 – EPI


La connaissance est universelle. Son développement, sa diffusion et son appropriation supposent de pouvoir réfléchir, étudier, produire, travailler ensemble, aisément et dans l’harmonie. Il faut pour cela des règles communes, des normes et standards.

Ouvert/fermé ?

Mais il y a standard (ouvert) et standard (fermé). « On entend par standard ouvert tout protocole de communication, d’interconnexion ou d’échange et tout format de données inter-opérables et dont les spécifications techniques sont publiques et sans restriction d’accès ni de mise en oeuvre »[2]. Cette définition « rend obligatoire l’indépendance des protocoles et des formats de données vis-à-vis des éditeurs, des fabricants et des utilisateurs de logiciels ou de systèmes d’exploitation ainsi que la mise à disposition de spécifications techniques documentées et non soumises à des royalties en cas de brevet. Mais elle permet que la mise à disposition sans restriction d’accès des spécifications, ou leur mise en oeuvre soit payante contre un paiement forfaitaire raisonnable (destiné par exemple à couvrir les frais relatifs à cette publication ou à la maintenance administrative des normes par leur éditeur) ».

Il y a de plus en plus d’immatériel et de connaissance dans les richesses créées et les processus de leur création. Conséquence, depuis des années, des processus de marchandisation sont en cours touchant des domaines d’activité qui relevaient prioritairement de l’action publique[3]. Cela vaut pour l’informatique en général et les TICE en particulier, mais aussi pour toute la connaissance scientifique, les semences, les médicaments et la santé, les savoirs ancestraux, l’eau, l’énergie, le vivant, la création artistique, les données publiques… et les ressources pédagogiques et l’éducation. Pédagogie et économie se trouvent ainsi étroitement mêlées. La pédagogie se situe pleinement au coeur des enjeux économiques, sociaux, culturels du monde actuel.

Les questions de l’accès et de la mise en oeuvre étant primordiales, normes et standards s’interpénètrent fortement avec les questions de propriété intellectuelle, ce qui amenait Michael Oborne, responsable du programme de prospective de l’OCDE, à dire, en 2002, que « la propriété intellectuelle deviendra un thème majeur du conflit Nord-Sud »[4]. On pourrait ajouter Nord-Nord.

D’abord à la demande du gouvernement américain, puis de la plupart des pays industrialisés, la protection des droits de propriété intellectuelle est devenue partie intégrante des négociations de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). C’est ainsi qu’a été négocié puis adopté l’accord sur les ADPIC (Accord sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce). Des normes sont imposées dans le cadre du commerce international. Des accords bilatéraux ou régionaux les renforcent. Ainsi ceux qui interdisent aux agences nationales du médicament de s’appuyer sur les résultats d’essais cliniques attestant de l’efficacité et de l’innocuité de molécules déjà commercialisées pour autoriser la mise sur le marché de génériques[5].

Imposer son standard, fermé, c’est acquérir une position dominante sur un marché, voire de monopole. Avec un format de fichier fermé, on verrouille un marché. L’informatique était libre à ses débuts. Son développement grand public a signifié la suprématie d’une informatique propriétaire avec ses formats et ses standards fermés. L’informatique libre s’est constituée en réaction à cette situation. Et ses partisans ne cessent de souligner qu’informatique libre et standards ouverts sont les deux faces d’un même combat. « L’approche des logiciels libres est intrinsèquement une réponse majeure aux impératifs de compatibilité, d’interopérabilité et d’échange puisque, le code source étant donné, “on sait tout”. Les spécifications sont publiques et il n’y a pas de restriction d’accès ni de mise en oeuvre »[6]. Nous présenterons donc les logiciels et les ressources libres, leurs licences notamment, leurs enjeux sociétaux et éducatifs. Ils sont à la fois des réponses concrètes à des questions de fabrication d’un bien informatique et outil conceptuel pour penser les problématiques de l’immatériel et de la connaissance.

La tendance au monopole de l’informatique grand public

Dans l’économie de l’immatériel en général, les coûts marginaux, correspondant à la production et la diffusion d’un exemplaire supplémentaire, tendent vers zéro. Les coûts fixes sont importants et les dépenses afférentes sont engagées avant que le premier exemplaire ne soit vendu. Les acteurs dominants sont donc en position de force.

Les externalités de réseau jouent également en leur faveur. En amont, un fabricant de composants, des développeurs de logiciels choisiront la plate-forme la plus répandue qui, de ce fait, le sera encore plus. En aval, les consommateurs se tournent prioritairement vers les grands éditeurs de logiciels, y voyant un gage de pérennité (confondant en la circonstance entreprise et produit, que l’on pense aux versions successives accélérées d’une même application sans que leur compatibilité soit assurée), un réseau dense d’assistance, de la compétence. Et un directeur informatique minimise ses risques face à sa hiérarchie, en cas de problèmes, en choisissant l’acteur dominant.

Enfin, l’acteur dominant propriétaire verrouille le marché, s’étant rendu incontournable avec ses standards et formats fermés. Par exemple, les utilisateurs de son traitement texte ne peuvent pas lire les fichiers réalisés par les usagers du traitement de texte d’un nouvel entrant sur le marché qui, eux, ne peuvent pas lire les fichiers des utilisateurs, beaucoup plus nombreux, du traitement de texte de l’acteur dominant. Or, quand on écrit un texte, c’est souvent pour que d’autres le lisent… Ces pratiques de verrouillage qui empêchent la communication, dissuadent l’adoption d’un nouveau produit concurrent et sont des entraves à la diversité et au pluralisme. La non-compatibilité est sciemment organisée pour des raisons commerciales qui vont à l’encontre des intérêts des utilisateurs.

Ce genre de situations se retrouve avec d’autres logiciels, ainsi ceux des TNI quand ils ne permettent pas de transférer un scénario pédagogique d’un environnement à un autre. Il en va autrement avec les standards et formats ouverts et avec les logiciels libres dont les auteurs font en sorte que leurs utilisateurs lisent et produisent des fichiers aux formats des logiciels propriétaires correspondants (en général une quasi compatibilité).

Les logiciels libres

Les logiciels libres s’opposent aux logiciels propriétaires, ou privatifs. Quand on achète ces derniers, en fait on achète le droit de les utiliser dans des conditions données, très restrictives. Pour cela, seul le code exécutable, code objet, est fourni.

En revanche, avec les logiciels libres, on bénéficie des quatre libertés suivantes. On peut :

  • les utiliser, pour quelque usage que ce soit,
  • en étudier le fonctionnement et l’adapter à ses propres besoins (l’accès au code source est une condition nécessaire),
  • en redistribuer des copies sans limitation aucune,
  • les modifier, les améliorer et diffuser les versions dérivées au public, de façon à ce que tous en tirent avantage (l’accès au code source est encore une condition nécessaire).

Ces libertés ne sont accordées qu’à la condition d’en faire bénéficier les autres, afin que la chaîne de la « vertu » ne soit pas interrompue, comme cela est le cas avec un logiciel du domaine public quand il donne lieu à une appropriation privée.

La licence GNU-GPL (General Public License), la plus répandue, traduit au plan juridique cette approche originale qui concilie le droit des auteurs et la diffusion à tous de la connaissance. Elle constitue une modalité particulière de mise à disposition d’une richesse créée. La licence GNU-GPL correspond bien à la nature du bien informatique, à la façon dont il se crée, dans des processus cumulatifs de correction des erreurs et d’amélioration du produit par les pairs, les développeurs et les utilisateurs. Elle est pertinente, contrairement au brevet qui signifie procès en contrefaçons à n’en plus finir et donc frein à l’innovation, à la création. Elle n’interdit aucunement des activités commerciales, de service essentiellement. Elle s’inscrit dans une philosophie de libre accès à la connaissance et de son appropriation par tous.

Pour lever certaines incertitudes, liées à la diffusion de logiciels libres sous licence de source américaine, le CEA, le CNRS et l’INRIA ont élaboré CeCILL, la première licence qui définit les principes d’utilisation et de diffusion des logiciels libres en conformité avec le droit français, reprenant les principes de la GNU-GPL[7]. La vocation de cette licence est d’être utilisée en particulier par les sociétés, les organismes de recherche et établissements publics français et, plus généralement, par toute entité ou individu désirant diffuser ses résultats sous licence de logiciel libre, en toute sécurité juridique.

La notion de logiciel libre n’est pas synonyme de gratuité, même si les tarifs pratiqués sont sans commune mesure avec ceux de l’informatique commerciale traditionnelle[8]. Il y a toujours la possibilité de se procurer un logiciel libre sans bourse délier. Les logiciels libres jouent un rôle de premier plan dans la régulation de l’industrie informatique. Ils facilitent l’entrée de nouveaux arrivants, favorisent la diversité, le pluralisme et la concurrence. Il peut arriver que la problématique de la gratuité brouille le débat. Elle n’est pas le problème. Les produits du travail humain ont un coût, la question étant de savoir qui paye, quoi et comment. La production d’un logiciel, qu’il soit propriétaire ou libre, nécessite une activité humaine. Elle peut s’inscrire dans un cadre de loisir personnel ou associatif, écrire un programme étant un hobby comme il en existe tant. Elle n’appelle alors pas une rémunération, la motivation des hackers (développeurs de logiciels dans des communautés) pouvant résider dans la quête d’une reconnaissance par les pairs. En revanche, si la réalisation se place dans un contexte professionnel, elle est un travail qui, toute peine méritant salaire, signifie nécessairement rémunération. Le logiciel ainsi produit ne saurait être gratuit, car il lui correspond des coûts. Mais, même quand un logiciel n’est pas gratuit, il doit le devenir lorsqu’il a été payé (par exemple, les collectivités ne doivent pas payer cent fois le même produit en agissant en ordre dispersé). C’est le cas quand il est sous licence libre. Autre chose est de rémunérer des activités de service sur un logiciel devenu gratuit (installation, adaptation, évolution, maintenance…). Même si, ne versons pas dans l’angélisme, la tentation existe de ne pas développer telle ou telle fonctionnalité pour se ménager des activités de service ultérieures.

Le paradigme de la recherche scientifique

L’approche du logiciel libre relève du paradigme de la recherche scientifique, ce qui a sa cohérence puisque l’informatique est une science ! À l’information, préoccupation structurelle majeure de la recherche correspond la publication du code source des logiciels. À la validation par les pairs correspond le débogage par des centaines, des milliers de programmeurs disséminés sur toute la planète. Comme on est plus intelligents à plusieurs que tout seuls, la qualité est (souvent) au rendez-vous. Et il y a les libertés de critiquer, d’amender, d’approfondir…

Les mathématiques sont libres depuis 25 siècles, depuis le temps où Pythagore interdisait à ses disciples de divulguer théorèmes et démonstrations. Or, à ses débuts, d’une manière qui était donc quelque peu paradoxale, l’approche du logiciel libre était perçue comme « nouvelle ». Alors que c’est le logiciel propriétaire qui l’est, depuis une trentaine d’années avec l’émergence d’un marché grand public. Il est vrai aussi que la « république des sciences » n’est plus ce qu’elle était, que le principal fil conducteur de la recherche scientifique devient la création de monopoles privés au détriment de la production de connaissances. Jean-Claude Guédon plaide pour l’accès libre aux résultats de la recherche afin de rétablir la « grande conversation ». Cette dérive de la science est notamment « justifiée » par le fait qu’il faut bien évidemment rémunérer les chercheurs. Le statut public de l’enseignant-chercheur a gardé toute sa pertinence : rémunération pour des activités pédagogiques (cours…) et résultats de la recherche, partie intégrante du patrimoine de l’humanité, mis à la disposition de tous. Point n’est donc besoin de multiplier les brevets. De plus, le partage valorise le chercheur, permet l’accès du Sud (et du Nord !) à la connaissance et le développement d’applications au bénéfice de tous.

Des modèles économiques

Donner un logiciel ? Il y a encore quelques années régnait un certain scepticisme. La réalité est passée par là. La majorité des serveurs Web de par le monde sont développés avec le logiciel libre Apache. Tous les constructeurs informatiques ont une politique, et des budgets, en matière de libre. Idem pour les entreprises en général. Linux est désormais un acteur à part entière du marché des systèmes d’exploitation et des serveurs (c’est le cas pour la quasi-totalité des environnements informatiques de l’administration centrale du ministère de l’Éducation nationale et des rectorats)… Les administrations et les collectivités locales se tournent effectivement vers le libre car l’argent public ne doit servir qu’une fois et, dès lors qu’il a été payé, un logiciel est gratuit.

Il y avait pourtant des antécédents célèbres. Au début des années 80, la DGT (Direction générale des télécommunications, le « France Télécom » de l’époque) a mis à disposition gratuitement le Minitel, un terminal qui coûtait cher, 4 ou 5 000 F. Coup de génie. Des millions d’utilisateurs, un Internet avant la lettre (en Grande Bretagne, échec retentissant car il fallait acheter le terminal). Et toute une économie de services qui s’est développée. Et beaucoup de communications téléphoniques. La démarche est fondamentalement la même avec les appareils photos bon marché qui génèrent plein de photos que l’on fait développer. Ou avec ces imprimantes très peu chères, et ces cartouches qui le sont davantage. Sans parler de Rockfeller qui distribuait des lampes à pétrole… La démarche gagne encore en pertinence dans le domaine de l’immatériel, dans le domaine des logiciels qu’il faut installer, personnaliser, modifier, maintenir… Choisir le libre pour une collectivité c’est aussi contribuer à substituer à une politique d’achat de licences des activités de service favorisant le développement de l’emploi local.

Au-delà des programmeurs, tous concernés

Une analogie avec la comptabilité nationale qui est publique. Tout le monde peut la consulter. Certes très peu le font. Pourtant c’est très important que l’on puisse le faire. C’est pareil avec les logiciels. Que fait exactement le système d’exploitation propriétaire d’un ordinateur quand une application dialogue avec votre machine alors que vous êtes connecté sur Internet ? Vous ne le savez pas. Peut-être communique-t-il à autrui le contenu de votre disque dur ? Gênant pour un individu. Et pour un État qui a confié son informatique, et ses secrets, au logiciel propriétaire d’une société étrangère. Et tout cela n’est pas que de la fiction. Cela existe dans la réalité. Ce simple exemple montre donc que tout le monde, informaticien ou non, est concerné par le fait que le code source d’un logiciel soit accessible.

Le libre est une réalité économique. Certains parlent alors d‘Open Source et de ses qualités : commodité, rentabilité, efficacité, fiabilité. Libre/Open source ? Il faut distinguer Open Source et logiciel libre. Pour Richard Stallman, fondateur du logiciel libre, à l’origine du projet GNU et de la GPL, le libre est une philosophie, une conception de la société à ne pas confondre avec l‘Open Source. Il a l’habitude dans ses conférences sur l’histoire du logiciel libre (en France en tout cas), de faire une référence appuyée à la devise « Liberté-Egalité-Fraternité ». Il s’agit de promouvoir un changement social par une action technique. L’enjeu est la liberté de l’utilisateur, le contrôle de son informatique.

Au-delà de l’informatique, les ressources pédagogiques

Le paysage de l’édition scolaire s’est profondément transformé de par l’irruption de l’informatique et des réseaux. Et du libre dont on pu rapidement constater une transférabilité à la production d’autres ressources immatérielles, tant du point de vue des méthodes de travail que de celui des réponses apportées en termes de droit d’auteur. C’est le cas des ressources pédagogiques et tout le monde a en tête les réalisations remarquables de l’association Sésamath. Cette association est synonyme d’excellence en matière de production pédagogique et de communauté d’enseignants-auteurs-utilisateurs. Sésamath a reçu une mention d’honneur pour le prix 2007 Unesco-Roi Hamad Bin Isa Al-Khalifa sur l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans l’éducation. L’Unesco a décidé d’attribuer une mention spéciale au projet de manuel libre « pour la qualité de ses supports pédagogiques et pour sa capacité démontrée à toucher un large public d’apprenants et d’enseignants ». L’association a également été récompensée aux Lutèce d’Or (Paris capitale du libre).

D’évidence, il existe des auteurs par milliers, des acteurs multiples (enseignants, associations, institutions, collectivités territoriales) qui mettent en place des coopérations souples et diverses. Certes, de tout temps les enseignants ont réalisé des documents en préparant leurs cours. Mais, avant la banalisation des outils numériques de production des contenus (traitement de texte, présentation, publication) et le développement d’Internet qui donne à l’auteur un vaste public potentiel qui peut aisément reproduire les documents qu’il a récupérés, qui en bénéficiait ? Les élèves du professeur. Des collègues de son lycée. Des élaborations collectives de sujets existaient pour des contrôles communs. Mais, rappelons-nous qu’à cette époque les photocopieuses étaient rarissimes et l’usage de la machine à alcool avait un côté pour le moins fastidieux. Au-delà de ces premiers cercles proches, les choses se compliquaient encore davantage. Il fallait mettre en forme le manuscrit et la machine à écrire manquait de souplesse. Et en cas de projet de manuel, l’éditeur constituait le passage obligé, et tout le monde n’était pas élu. On lui accordait d’autant plus facilement des droits sur la production des oeuvres que l’on ne pouvait pas le faire soi-même. Les conditions de cet exercice délicat de production de ressources pédagogiques ont radicalement changé. La conséquence en est la profusion de ressources éducatives sur Internet. Ce nouveau paysage constitue pour les enseignants et le service public d’éducation, une opportunité et, pour les éditeurs traditionnels, une obligation de se repositionner. Les technologies de l’information et de la communication contribuent à modifier les équilibres et les positions anciennement installés. Leur « enfant chéri », le manuel scolaire, est entré dans une période de turbulences avec le manuel numérique.

Le pourquoi de la propriété intellectuelle

À ce stade, il n’est pas inutile de rappeler le pourquoi du droit d’auteur et des brevets afin de ne pas se laisser enfermer dans des arguties de convenance. L’objectif fondamental est de favoriser la création des richesses, au nom de l’intérêt général, et pour cela il faut concilier incitation à l’innovation et diffusion technologique, dépasser le dilemme entre performance individuelle et efficacité collective, inciter les entreprises individuelles à l’innovation en leur garantissant une situation de monopole temporaire dans l’exploitation des droits. Et, plus encore que par le passé, l’incitation à l’innovation n’a de sens que si la technologie se diffuse et irrigue l’ensemble de la structure dont elle participe ainsi à l’amélioration de l’efficience collective. Les limitations à la libre circulation de l’information et de la connaissance ne se justifient en dernière instance que par l’objectif d’encourager et de valoriser le travail intellectuel quand il est au service de tous. Le risque existe de justifier dans une dialectique un peu spécieuse des pratiques commerciales par une prééminence d’un droit qui serait immuable, ou de déclarer illégitime une réflexion sous le prétexte qu’elle serait iconoclaste au regard d’une législation en vigueur.

En son temps, Victor Hugo disait que « le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n’est pas trop vaste – au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous »[9].

Rendons hommage à Boris Vian pour sa vision prémonitoire de certains « débats » qui nous occupent aujourd’hui. Auteur-compositeur-interprète, musicien de jazz, écrivain… et centralien, dans En avant la zizique[10], il pointait une relation conflictuelle, en observant l’attitude du commerçant qui intime à l’artiste de « se contenter de son talent et de lui laisser l’argent » et qui s’ingénie souvent « à brimer ce qu’il a fait naître en oubliant qu’au départ de son commerce il y a la création ». Boris Vian remarquait que « le commercial se montrait également agressif par rapport au bureau d’études qui s’apprêtait à lui porter un coup dont il ne se relèverait pas, à savoir l’automation de ses fonctions ». Et de lui conseiller d’en profiter car cela ne durerait pas éternellement !

Les licences Creative Commons

La numérisation des oeuvres et de la connaissance en général, et leur diffusion sur Internet posent avec une acuité sans pareille le problème de l’usage que l’on peut en faire. Des millions d’utilisateurs ont accès à des millions d’oeuvres, grandes ou petites. Difficile d’imaginer que leur utilisation puisse passer par une demande d’autorisation. De ce point de vue, le copyright est un non-sens sur Internet. La loi doit pouvoir être applicable. D’où la pertinence de la démarche de Creative Commons dans laquelle l’auteur, en mettant à disposition sa création sur la Toile, indique ce que les internautes peuvent en faire.

La démarche est issue de la licence GPL qui, bien adaptée aux logiciels, n’en a pas moins une portée plus large. Mais il serait absurde de vouloir transposer tel quel ce modèle aux créations de l’esprit, d’une manière indifférenciée. Les modalités juridiques doivent tenir compte de la spécificité d’un bien. Un morceau de musique, par exemple, n’est ni une oeuvre littéraire, ni une documentation informatique ou une ressource pédagogique. On peut, également, souhaiter la diffusion d’un article sans pour autant permettre des modifications successives, au terme desquelles on ne reconnaîtrait plus l’original. Une chose est sa diffusion et sa libre circulation sans contraintes, pour que l’on puisse réagir, approfondir, critiquer… autre chose est son éventuelle dénaturation ou disparition de fait. Dans pareil cas, on parlera plutôt de « ressource à diffusion libre ». Par ailleurs, la légalité se doit d’être morale. Les médecins, qui importent illégalement des copies de médicaments sous brevet pour soigner des malades, se moquent éperdument de savoir si leur geste est légal ou non : il est vital tout simplement. La légalité est aussi une notion relative. Ainsi, le laboratoire indien Cipla, qui produit des traitements antirétroviraux contre le sida en copiant des molécules des firmes pharmaceutiques occidentales, protégées par des brevets, est-il un « pirate » ? Non, car la législation indienne ne reconnaît pas les brevets sur les médicaments. Cipla est donc une entreprise parfaitement légale, au regard de la loi de son pays[11].

L’objectif général, clairement exprimé, est de favoriser la diffusion et l’accès pour tous des oeuvres de l’esprit, la production collaborative, en conciliant les droits légitimes des auteurs et des usagers. Il reste à en définir les modalités juridiques permettant une circulation fluide des documents et, si nécessaire, leur modification. Le projet Creative Commons s’y emploie. Il a vu le jour à l’université de Standford, au sein du Standford Law School Center for Internet et Society, à l’initiative notamment de Lawrence Lessing. Il s’agit d’adapter le droit des auteurs à Internet et de fournir un cadre juridique au partage sur la Toile des oeuvres de l’esprit. L’économie de l’édition ne peut plus se confondre avec celle du support des oeuvres, maintenant qu’elles ne sont plus attachées à un support unique, le livre par exemple. Il faut redéfinir les utilités sociales, les raisons d’être.

Creative Commons renverse le principe de l’autorisation obligatoire. Il permet à l’auteur d’autoriser par avance, et non au coup par coup, certains usages et d’en informer le public. Il est ainsi autorisé d’autoriser ! Métalicence, Creative Commons permet aux auteurs de se fabriquer des licences, dans une espèce de jeu de LEGO simple, constitué de seulement quatre briques. Première brique, Attribution : l’utilisateur, qui souhaite diffuser une oeuvre, doit mentionner l’auteur. Deuxième brique, Commercialisation : l’auteur indique si son travail peut faire l’objet ou pas d’une utilisation commerciale. Troisième brique, non-dérivation : un travail, s’il est diffusé, ne doit pas être modifié. Quatrième brique, Partage à l’identique : si l’auteur accepte que des modifications soient apportées à son travail, il impose que leur diffusion se fasse dans les mêmes termes que l’original, c’est-à-dire sous la même licence. La possibilité donnée à l’auteur de choisir parmi ces quatre composantes donne lieu à onze combinaisons de licences. Grâce à un moteur de licence proposé par le site de Creative Commons, l’auteur obtient automatiquement un code HTML à insérer sur son site qui renvoie directement vers le contrat adapté à ses désirs.

« Localisation » des ressources

Si chacun a vocation à produire ses propres ressources, la coopération internationale et des formes de solidarité numérique c’est aussi l’adaptation de celles réalisées par l’autre[12]. Avec le libre, chaque communauté peut prendre en main la localisation/culturisation qui la concerne, connaissant ses propres besoins et ses propres codes culturels mieux que quiconque. Il y a donc, outre une plus grande liberté et un moindre impact des retours économiques, une plus grande efficacité dans le processus, en jouant sur la flexibilité naturelle des créations immatérielles pour les adapter à ses besoins et à son génie propre. C’est aussi plus généralement ce que permettent les « contenus libres », c’est-à-dire les ressources intellectuelles – artistiques, éducatives, techniques ou scientifiques – laissées par leurs créateurs en usage libre pour tous. Logiciels et contenus libres promeuvent, dans un cadre naturel de coopération entre égaux, l’indépendance et la diversité culturelle, l’intégration sans l’aliénation.

L’exception pédagogique

La réalité montre que numérique, droit d’auteur et pédagogie entretiennent des liens étroits. Les enseignants utilisent leurs propres documents ainsi que les productions de l’édition scolaire, dont la raison d’être est de réaliser des ressources pour l’éducation, et qui bien évidemment doit en vivre. Ils utilisent également des ressources qui n’ont pas été réalisées explicitement pour des usages scolaires. Cela est vrai pour toutes les disciplines, mais particulièrement dans certaines d’entre d’elles comme l’histoire-géographie, les sciences économiques et sociales ou la musique : récitation d’un poème, lecture à haute voix d’un ouvrage, consultation d’un site Web… Ces utilisations en classe ne sont pas assimilables à l’usage privé. Elles sont soumises au monopole de l’auteur dans le cadre du principe de respect absolu de la propriété intellectuelle. Cela peut devenir mission impossible, tellement la contrainte et la complexité des droits se font fortes. Ainsi pour les photographies : droits du photographe, de l’agence, droit à l’image des personnes qui apparaissent sur la photo ou droit des propriétaires dont on aperçoit les bâtiments… Difficile d’imaginer les enseignants n’exerçant leur métier qu’avec le concours de leur avocat ! Mais nous avons vu les licences Creative Commons qui contribuent, en tout cas sont un puissant levier, à développer un domaine public élargi de la connaissance. Et la GNU-GPL et le CeCILL qui permettent aux élèves et aux enseignants de retrouver, dans la légalité, leurs environnements de travail sans frais supplémentaires, ce qui est un facteur d’égalité et de démocratisation.

L’exception pédagogique, c’est-à-dire l’exonération des droits d’auteurs sur les oeuvres utilisées dans le cadre des activités d’enseignement et de recherche, et des bibliothèques, concerne potentiellement des productions qui n’ont pas été réalisées à des fins éducatives. Elle reste posée avec une acuité accrue dans le contexte du numérique. L’activité d’enseignement est désintéressée et toute la société en bénéficie. L’enjeu est de légaliser un « usage loyal » de ressources culturelles au bénéfice des élèves, dans le cadre de l’exercice de leur métier7.

L’immatériel et la connaissance

Dans les colonnes du Monde diplomatique, en décembre 2002, John Sulston, prix Nobel de médecine, évoquant les risques de privatisation du génome humain, indique que « les données de base doivent être accessibles à tous, pour que chacun puisse les interpréter, les modifier et les transmettre, à l’instar du modèle de l’open source pour les logiciels ». Ce propos illustre la question de savoir si le modèle du libre préfigure des évolutions en termes de modèles économiques et de propriété intellectuelle (droit d’auteur, brevets).

Il y a relativement de plus en plus de biens immatériels. Et de plus en plus d’immatériel et de connaissance dans les biens matériels et dans les processus de création de la richesse. La dialectique coopération-espaces publics/concurrence-enclosures est universelle[13]. Quel est le terme de la contradiction qui est le plus efficace pour produire des richesses à l’heure de l’entrée dans l’économie du savoir dans laquelle l’immatériel et la connaissance jouent un rôle de plus en plus décisif ? On sait que la connaissance fuit la clôture. Et l’approche du libre a montré concrètement sa pertinence pour produire des biens de connaissance de qualité, des biens communs informatiques mondiaux. Alors…

Jean-Pierre Archambault
Président de l’EPI
(Enseignement Public et Informatique)

Paru initialement dans la revue Frantice.net n° 4, Normes et standards éducatifs : état, enjeux et perspectives, janvier 2012, p. 77-85.

Notes

[1] Crédit photo : One Laptop per Child (Creative Commons By)

[2] Voir, dans la loi française nº 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, cette définition d’un standard ouvert (Titre Ier, De la liberté de communication en ligne, Chapitre 1er, La communication au public en ligne, article 4).

[3] « L’école et les TIC : marchandisation/pédagogie », Jean-Pierre Archambault, Revue de l’EPI n° 101, mars 2001, p. 35-45.

[4] Dossier Le vivant, nouveau carburant de l’économie, Le Monde Économie du mardi 10 septembre 2002.

[5] Libres savoirs – Les biens communs de la connaissance, ouvrage coordonné par l’association Vecam.

[6] Tout logiciel est écrit par un programmeur dans un langage « évolué », et comporte des instructions qui en constituent le « code source » ; ce code est ensuite compilé en « code objet », c’est-à-dire transformé en une suite quasi incompréhensible de 0 et de 1, de manière à être exécuté par l’ordinateur. Par exemple, l’instruction conditionnelle suivante est écrite dans un langage évolué : « si x=5 alors x=x+4 » ; cette ligne de code source est parfaitement compréhensible (on effectue un test sur le contenu de la variable informatique x, puis, selon le résultat, on procède ou non à l’affectation d’une nouvelle valeur à la variable x) ; compilée, il lui correspond un code objet (011101000…), interprétable par la machine, mais effectivement incompréhensible pour un humain.

[7] « Numérique, droit d’auteur et pédagogie », Jean-Pierre Archambault, Terminal n° 102, Automne-Hiver 2008-2009, édition l’Harmattan, p. 143-155.

[8] « Gratuité et prix de l’immatériel », Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 72, décembre 2009, p. 40-43.

[9] Discours d’ouverture du Congrès littéraire international, Victor Hugo, 17 juin 1878, in Jan Baetens, Le combat du droit d’auteur, Les impressions nouvelles, Paris 2001, p. 158.

[10] 1958, édition Le livre contemporain.

[11] Il reste à s’assurer que le contexte est toujours exactement le même et si des « accords » dans le cadre OMC ne sont malheureusement pas passés par là.

[12] « Solidarité numérique avec des logiciels et des ressources libres », Jean-Pierre Archambault, EpiNet n° 111, janvier 2009.

[13] « Coopération ou concurrence ? », Jean-Pierre Archambault, Médialog n° 48, décembre 2003, p. 40-43.