Librologie 2 : Linus a gagné

Bonjour à tous et à toutes, ami(e)s du Framablog !

Par un heureux hasard du calendrier, la publication de cette nouvelle chronique Librologique coïncide avec le vingtième anniversaire du noyau Linux. Après nous être intéressés à Richard Stallman, c’est donc le moment idéal pour nous pencher sur une autre personnalité marquante du logiciel Libre… Quant à moi, je vous retrouve la semaine prochaine… et d’ici là, dans les commentaires !

V. Villenave.

Librologie 2 : Linus a gagné

Martin Streicher_- CC by-sa - Wikimedia CommonsIl y a tout juste vingt ans, un jeune étudiant en informatique finlandais, Linus Torvalds[1], publie un bout de programme qui deviendra plus tard le noyau du système d’exploitation le plus répandu au monde.

Plus ou moins fortuite, cette édification se fera par tâtonnements mais Linus sait ce qu’il veut et ne se prive pas de le faire savoir : au fil des ans, il se fera remarquer par un nombre impressionnant de citations toujours abruptes, souvent désopilantes, qui en sont venues à constituer sa marque de fabrique, voire sa persona : lire un message de Linus sans pique ni acidité, est toujours décevant.

Parmi ses souffre-douleurs de prédilection, on trouve des programmes (Emacs, GNOME), des techniques de programmation (le langage C++, les micronoyaux, le système de fichiers HFS+), et des entreprises (SCO, Oracle, Microsoft). Il est particulièrement réjouissant pour tout Libriste de voir Torvalds s’en prendre à l’empire de Microsoft, dont la domination hégémonique sur les systèmes d’exploitation remonte aux origines de l’informatique personnelle (et dont la haine des principes Libres n’est plus à démontrer) :

Je vous assure que mon but n’est pas de détruire Microsoft. Ce sera un effet collatéral tout à fait involontaire.

Ou, dans un même ordre d’idées :

Le jour où Microsoft développera des applications pour Linux, cela voudra dire que j’aurai gagné.

Le noyau Linux a donc été fondé il y a plus de vingt ans, et vient d’atteindre sa troisième version majeure. Se combinant avec d’autres programmes du projet GNU, il forme le système d’exploitation GNU/Linux qui s’est répandu dans le monde, particulièrement dans les domaines des serveurs et des supercalculateurs, qu’il domine très largement. Sous une forme plus réduite, le noyau Linux est également embarqué dans la grande majorité des équipements informatiques domestiques et professionnels : télévisions, box Internet, ordinateurs de bord… Enfin il s’est aussi emparé des téléphones mobiles, en particulier avec le système Android développé par l’entreprise Google.

Ce dernier point est d’une actualité brûlante, puisqu’Android est en pleine ascension et dépasse à la fois les mobiles proposés par Microsoft et les iPhone® d’Apple. Les applications Android se multiplient et sont devenues un format de distribution incontournable… y compris pour les concurrents de Google… ce qui inclut Microsoft.

Ce qui nous renvoie, comme l’ont remarqué de nombreux commentateurs ces derniers jours, à la citation que nous évoquions à l’instant :

Android Market - Microsoft

Le paysage a changé. Les marchés à conquérir ne se situent plus sur le bureau des utilisateurs, mais dans les téléphones portables et le « nuage » des services Internet. Microsoft n’a plus, aujourd’hui, d’autre choix que de présenter des applications pour Android, et même de contribuer au code de Linux. Il tire davantage de profit des ventes d’Android que de son propre système d’exploitation mobile.

En d’autres termes, nous y sommes : Linus a gagné.

Ce qui explique l’enthousiasme des Libristes et inconditionnels de l’open source. Le projet Linux, rappelons-le, est développé par une communauté d’informaticiens du monde entier, dont beaucoup sont financés par de grandes entreprises (voir plus bas), mais dont une proportion conséquente est faite de bénévoles qui gagnent leur vie dans des domaines parfois étrangers à l’informatique. De là à voir en la personne de Linus Torvalds un hérault du pro-am il n’y a qu’un pas : la victoire de Linus sur Microsoft serait ainsi une revanche de l’illégitimité.

Joie et liesse : Linus a gagné.

Certes, mais à quel prix ?

D’un point de vue technique, le système Android est certes construit sur le noyau Linux, mais il y apporte une surcouche sous une licence différente, qui ne garantit pas la réciprocité du logiciel Libre digne de ce nom. Des commentateurs ont d’ailleurs fait remarquer combien le développement d’Android diffère de celui de Linux en particulier, et des logiciels Libres en général.

D’un point de vue éthique, le noyau Linux est resté sous la version 2 de la licence GPL, ce qui autorise bien des abus d’un point de vue Libriste : des versions modifiées peuvent en être distribuées sans nécessairement rendre publiques lesdites modifications, les serveurs sous GNU/Linux servent à des sites qui privatisent les données, et assujettissent leurs utilisateurs. Linux a sans doute « gagné », mais certainement pas les libertés civiques — même si le PDG de la Linux Foundation s’en défend.

Linux Mask - Linus TorvaldsCe qui nous invite à nous interroger sur les modalités d’expression de la persona publique de Linus Torvalds. D’une génération (et d’une culture politique) différente de celle de Richard Stallman, il s’oppose volontiers à ce dernier, notamment sur le plan terminologique (dont nous avons vu combien il importe à rms). Parangon du mouvement open source, il se construit une persona inversée (et donc symétrique) de celle de Stallman, et se décrit complaisamment comme non-idéologue et « pragmatiste » — qualificatif que Stallman lui-même, paradoxalement, revendique également — nous y reviendrons.

Attardons-nous un instant sur cette posture à travers trois fragments relativement longs du discours de Torvalds, dont nous allons voir qu’il va bien au-delà des citations-choc.

Je ne crois pas qu’il y ait d’idéologie (dans le projet Linux), et je ne crois pas qu’il *devrait* y avoir d’idéologie. Et ce qui compte ici, c’est le singulier — je pense qu’il peut exister *beaucoup* d’idéologies. Je le fais pour mes propres raisons, d’autres gens le font pour les leurs. Je pense que le monde est un endroit compliqué, et que les gens sont des animaux intéressants et compliqués qui entreprennent des choses pour des raisons complexes. Et c’est pour cela que je ne crois pas qu’il devrait y avoir *une* idéologie. Je pense qu’il est très rafraîchissant de voir des gens travailler sur Linux parce qu’ils peuvent rendre le monde meilleur en propageant la technologie et en la rendant accessible à plus de monde — et ils pensent que l’open source est un bon moyen d’accomplir cela. C’est _une_ idéologie. Et une excellente, pour moi. Ce n’est pas vraiment pour cette raison que j’ai entrepris Linux moi-même, mais cela me réchauffe le cœur de le voir utilisé en ce sens. Mais je pense _aussi_ qu’il est génial de voir toutes ces entreprises commerciales utiliser de l’open source tout simplement parce que c’est bon pour les affaires. C’est une idéologie entièrement différente, et je pense qu’elle est, elle aussi, parfaitement acceptable. Le monde serait _nettement_ pire si l’on n’avait pas d’entreprises réalisant des choses pour de l’argent. Aussi, la seule idéologie qui m’inspire vraiment du mépris et de l’aversion est celle qui consiste à exclure toutes les autres. Je méprise les gens dont l’idéologie est « la seule véritable », et pour qui s’éloigner de ces règles morales en particulier est « mal » ou « malfaisant ». Pour moi, c’est juste mesquin et stupide. Donc, le plus important dans l’open source, n’est pas l’idéologie — il s’agit simplement que tout le monde puisse l’utiliser pour ses propres besoins et ses propres raisons. La licence de copyright sert à maintenir en vie cette notion d’ouverture, et à s’assurer que le projet ne se fragmente pas au fil des gens qui garderaient cachées leur améliorations, et donc doivent ré-inventer ce qu’ont fait les autres. Mais la licence n’est pas là pour imposer telle ou telle idéologie.

Ces propos de Torvalds méritent d’être ici reproduits in extenso. Tout d’abord parce qu’ils suffisent à mettre en mouvement notre détecteur de mythes : on y retrouve une vision prétendument « naturelle » des choses, ainsi qu’une propension à s’abstraire de toute implication ou responsabilité éthique : « le mythe, écrit Roland Barthes, est une parole dépolitisée ». Et de fait, il n’est pas rare qu’un discours qui rejette toute idéologie ait pour fonction de masquer une idéologie sous-jacente, le plus souvent contre-révolutionnaire : nous y reviendrons prochainement.

Est-ce le cas ici ? Linus Torvalds prête certainement le flanc à de telles accusations, en particulier dans ses rapports vis-à-vis des grandes entreprises (le développement de Linux, et le salaire de Linus lui-même, a fait l’objet de nombreux financements d’entreprises, en particulier IBM).

Cependant son point de vue ne me semble pas dépourvu d’ambiguïtés : ainsi, loin de les rejeter, il prend acte des motivations « idéologiques » de certains contributeurs et utilisateurs, et s’en déclare même proche.

Autre ambiguïté primordiale : Torvalds est, et demeure, cet informaticien brillant qui prit un jour la décision, là où rien ne l’y obligeait, de publier son travail sous une licence Libre (la GPL), dans le but explicite d’ouvrir au monde entier, sans distinction de provenance ni de capital, des outils techniques (et par extension, une forme de connaissance, comme nous allons également le voir) :

À l’origine, explique-t-il en 1997, j’avais publié Linux et son code source complet sous un copyright qui était en fait bien plus contraignant que la GPL : il n’autorisait aucun échange d’argent quel qu’il soit (c’est-à-dire que non seulement je ne voulais pas essayer d’en tirer profit moi-même, mais j’interdisais à quiconque de le faire).

(…)

Je voulais que Linux soit aisément disponible sur ftp, et je voulais qu’il ne soit onéreux pour _personne_. (…) Je ne me sentais pas rassuré vis-à-vis de la GPL au début, mais je voulais témoigner ma reconnaissance pour le compilateur GCC (du projet GNU) dont Linux dépendait, et qui était bien sûr GPL.

Rendre Linux GPL est sans aucun doute la meilleure chose que j’aie jamais faite.

Les paradoxes ne manquent pas ici, à commencer par cette reconnaissance qu’exprime spontanément Linux Torvalds envers le projet GNU, lui qui se refusera pourtant toujours à dire « GNU/Linux » plutôt que seulement « Linux » pour désigner le système d’exploitation Libre… Autre paradoxe intéressant au plus haut point : nous voyons ici que c’est la licence GNU GPL qui est venue libérer Linus lui-même de ses craintes, en particulier vis-à-vis de l’exploitation commerciale de son travail.

Le dernier fragment sur lequel je voudrais m’arrêter ici est une interview recueillie dix ans plus tard, sur laquelle Torvalds revient sur sa (non-) « idéologie » personnelle :

Je pense que l’open source est la bonne voie à suivre, de la même façon que je préfère la science à l’alchimie : tout comme la science, l’open source permet aux gens d’ajouter leur pierre à l’édifice solide de la connaissance pré-existante, plutôt que de se cacher de manière ridicule.

Cependant je ne crois pas qu’il faille considérer l’alchimie comme « malfaisante ». Elle est juste hors de propos : on ne pourra évidemment jamais réussir aussi bien barricadé chez soi qu’au grand jour avec des méthodes scientifiques.

C’est pourquoi la FSF (de Richard Stallman) et moi divergeons sur des notions fondamentales. J’adore absolument la GPL version 2 — qui incarne ce modèle de « développer au grand jour ». Avec la GPL v.2, nous tenions quelque chose où tout le monde pouvait se retrouver et partager selon ce modèle.

Mais la FSF semble vouloir changer ce modèle, et les ébauches de la GPL version 3 ne servent plus à développer du code au grand jour mais à déterminer ce que l’on peut faire de ce code. Pour reprendre l’exemple de la science, cela reviendrait à dire que non seulement la science doit être ouverte et validée par des pairs, mais qu’en plus on vous interdit de vous en servir pour fabriquer une bombe.

Et ce dernier exemple de « fabriquer des bombes » donne lieu, à son tour, à un nouveau paradoxe : les arguments soulevés ici par le créateur du noyau Linux trouvent un écho frappant dans certaines prises de position de… Richard Stallman. J’en veux pour illustration la critique toute pragmatique que fait la FSF d’une licence « Hacktiviste », la HESSLA, dont le propos est précisément d’interdire tout usage des logiciels qui ne serait pas conforme aux droits de l’Homme (dans un même ordre d’idées, on lira avec intérêt la licence CrimethInc. N© !, que je découvre à l’instant et qui vaut également son pesant de cacahuètes). Un autre exemple du pragmatisme de Stallman est à trouver dans la migration de Wikipédia vers les licences Creative Commons en 2008.

Le pragmatisme n’est donc pas nécessairement une posture de mercenaire, et le discours de Linus Torvalds (particulièrement si on le considère sur les deux décennies écoulées) me semble plus ambigu que celui d’un programmeur sans éthique ou d’un entrepreneur sans foi ni loi. Certes, Torvalds n’est ni un intellectuel ni un philosophe, et sa culture politique semble celle d’un simple spectateur. Cependant son propos apparaît comme pleinement politique, même lorsqu’il s’agit d’affirmer la neutralité idéologique du code qu’il écrit :

Je n’aime pas les DRM moi-même, mais en fin de compte je me vois comme un « Oppenheimer ». Je refuse que Linux soit un enjeu politique, et je pense que les gens peuvent utiliser Linux pour tout ce qu’ils veulent — ce qui inclut certainement des choses que je n’approuve pas personnellement.

La GPL exige qu’on publie les sources du noyau, mais ne limite pas ce qu’on peut faire avec le noyau. Dans l’ensemble, ceci est un exemple de plus de ce pourquoi rms me traite de « seulement un ingénieur », et pense que je n’ai pas d’idéaux.

(En ce qui me concerne, ce serait plutôt une vertu : essayer d’améliorer le monde un tant soit peu sans essayer d’imposer ses propres valeurs morales aux autres. Vous pouvez faire ce qui vous chante, je m’en fous, je suis seulement un ingénieur qui veut faire le meilleur système d’exploitation possible.)

Cette position me renvoie à la phrase faussement attribuée à Voltaire sur la liberté d’expression (« je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire »), et qui est en fait d’origine anglo-saxonne. L’on sait combien cet esprit post-Lumières (d’ailleurs plus ou moins bien compris), qui défend la liberté comme un absolu, est important aux États-Unis : peut-être n’est-ce pas un hasard si c’est dans ce pays qu’est né le mouvement Libre… Et si c’est de ce même pays que Torvalds a récemment acquis la nationalité.

Alors, Linus a-t-il gagné ? Pour un personnage aussi marquant et aussi vocal, il est étrange qu’on ne l’ait que très peu entendu s’exprimer sur l’avènement d’Android. La sortie du noyau Linux version 3, coincidant avec le 20e anniversaire du projet, s’est faite dans le calme et avec une humilité remarquable, et j’avoue n’avoir vu passer aucun message de Linus Torvalds revendiquant sa « victoire » — laquelle est pourtant acquise et incontestable, pour douce-amère qu’elle puisse être par ailleurs.

Linux a gagné, mais seulement en se rendant acceptable par les entreprises : c’est-à-dire sous une forme dégradée, aseptisée, dépolitisée dirait Barthes, débarrassée du « bazar » idéologique que représente le mouvement Libre, et que d’aucuns (à commencer par Richard Stallman) voient comme essentiel. Essentiel d’un point de vue intellectuel, puisque le mouvement Libre se pense originellement comme un mouvement social ; primordial également d’un point de vue affectif, le logiciel et la culture Libre reposant souvent sur des communautés de bénévoles dont la motivation n’est jamais tout à fait exempte de composantes idéalistes ou romantiques — et auxquelles Linus lui-même, nous l’avons vu, n’a pas toujours été étranger.

Ce sont ces valeurs et cet esprit que voile, sous l’aspect d’une victoire technique, l’avènement du noyau Linux sous ses avatars et déclinaisons plus ou moins lointaines. Et la victoire que promettait le jeune Linus d’il y a vingt ans, semble aujourd’hui faire tristement défaut au triomphe d’un Torvalds quadragénaire.

Notes

[1] Crédit photo : Martin Streicher (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : Linux a 20 ans

Une planche qui fait référence à l’interview de Torvalds réalisée par LinuxFr ainsi qu’au fameux « concurrent fantoche » cher à Richard Stallman que serait le noyau Hurd.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : Des souris et des Gnomes 3.0

Quand GNOME 3 est , GNU/Linux danse (de joie) !

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Geektionnerd : Debian Squeeze Ze Riteurne

L’été dernier Gee avait déjà évoqué la nouvelle version de Debian en raillant gentiment le cycle de développement souvent relativement long de la célèbre distribution GNU/Linux (mais la qualité et la stabilité sont souvent à ce prix).

Cette-fois ci, ça y est, on y est 🙂

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




La nouvelle version Squeeze de Debian lavera encore plus blanc

Mark Robinson - CC byC’est un billet un peu technique que nous vous proposons aujourd’hui. Il évoque la « quête du 100% libre » des distributions GNU/Linux.

En effet, vous l’ignoriez peut-être, mais rares sont les distributions GNU/Linux qui soient « totalement libres ».

Ainsi la fort pratique distribution Linux Mint installe dès le départ des codecs (MP3, divX…) et des plugins (Java, flash…) propriétaires. On ne peut donc la considérer comme libre.

Mais, plus subtil, la très populaire distribution Ubuntu non plus, car elle embarque en son sein des drivers propriétaires comme ceux pour les cartes graphiques Nvidia et ATI.

Ces drivers sont des exemples de firmwares (ou micrologiciel), ces logiciels intégrés dans un composant matériel, et ils constituent le sujet principal de notre billet, et traduction, du jour.

Debian est l’une des plus anciennes et célèbres distributions GNU/Linux. Elle sert de base de développement à de nombreuses autres distributions, dont justement Ubuntu et Linux Mint.

L’une des principales caractéristiques de Debian, outre sa stabilité reconnue et le grand nombre d’architectures matérielles supportées, est de ne dépendre directement d’aucune société commerciale : comme le navigateur Firefox de la fondation Mozilla, Debian est le fruit d’une association à but non lucratif. Et si Mozilla possède son Manifesto, Debian a son fameux contrat social.

Elle se trouve actuellement dans sa version 5.0 mais la nouvelle version 6 (nom de code « Squeeze ») devrait sortir d’ici quelques jours.

Or le projet Debian a annoncé que cette nouvelle version bénéficierait, à sa sortie, d’un noyau Linux « libéré», c’est à dire débarrassé de tout firmware qui ne serait pas libre[1]. Cette décision a suscité un certain nombre de d’interrogations autour des conséquences pratiques pour l’utilisateur : allait-il pouvoir continuer à faire fonctionner pleinement sa machine avec cette nouvelle version ?

C’est à ces interrogations que répond l’un des développeurs du projet ci-dessous.

Mythes et réalités concernant les firmwares et leur non-retrait de Debian

Myths and Facts about Firmwares and their non-removal from Debian

Alexander Reichle-Schmehl – 20 janvier 2011 – Tolimar’s Blog
(Traduction Framalang : Antistress, Penguin et Goofy)

L’annonce par le projet Debian de la publication de Squeeze avec un noyau Linux complètement libre a retenu l’attention, ce qui n’est pas une mauvaise chose. Pourtant il semble que cette annonce ait parfois été mal interprétée ou mal relayée. Je vais essayer de résumer les principales erreurs et d’y répondre.

  • Mythe : Debian a retiré tous les firmwares de ses noyaux !
  • Réalité : Non, cette décision ne concerne que les noyaux qui seront inclus dans la prochaine version Debian 6.0 Squeeze. Les noyaux de la version stable actuelle Debian 5.0 Lenny restent tels quels… sauf que, bien sûr, nous réaliserons les mises à jour de sécurité qui s’imposent les concernant, mais ils continueront de contenir les mêmes firmwares qu’actuellement.
  • Mythe : Debian est en train de dégrader ses noyaux en en retirant des choses.
  • Réalité : Debian a transféré certains firmwares de sa section principale (NdT : main) vers sa section non-libre (NdT : non-free). Ils sont toujours présents, dans la section dédiée aux logiciels qui ne répondent à nos critères tels qu’ils résultent des principes du logiciel libre selon Debian (NdT : The Debian Free Software Guidelines – ou DFSG).
  • Mythe : La plupart des utilisateurs ne vont plus pouvoir installer Debian.
  • Réalité : les firmwares non-libres resteront disponibles à travers notre infrastructure. Ceux qui sont requis durant l’installation (par exemple pour contrôler l’accès au réseau ou au périphérique de stockage) peuvent également être chargés durant l’installation (qu’ils soients sur un CD ou une clé USB). Nous proposons des archives compressées de ces fichiers (décompressez les simplement sur une clé USB et branchez-la quand cela vous est demandé durant l’installation) ainsi que des images ISO permettant de créer un CD d’installation par le réseau qui contiennent déjà ces fichiers. Bien entendu, elles vont continuer d’exister, même aprés la publication de Squeeze.
  • Mythe : Ces fimwares sont requis, les ôter ne sert à rien et ne rend pas service à l’utilisateur.
  • Réalité : Oui, ces firmwares sont en effet nécessaires au fonctionnement de certains pilotes de certains matériels. Mais tout le monde n’en veut pas. À présent que nous sommes capables de charger ces firmwares sur demande (au lieu de devoir les compiler dans le pilote lui-même), nous pouvons les proposer séparément. Cela permet ainsi à ceux qui ont besoin de firmwares non-libres de les utiliser tandis que que ceux qui n’en veulent pas bénéficieront d’une installation qui en sera dénuée.
  • Mythe : Ah, encore un coup des fêlés de la liberté du projet Debian…
  • Réalité : Il n’y a pas que nous en réalité : nous n’y serions jamais parvenus sans la coopération d’un certain nombre de développeurs du noyau Linux. Et nous ne sommes pas les seuls intéressés par la création d’un noyau libre, d’autres distributions importantes ont également conscience du problème. Citons par exemple le récent commentaire d’un développeur du projet Fedora évoquant des changements dans un de ces firmwares non-libres. Il semble donc que Debian ait simplement été le premier à réaliser le problème des firmwares non-libres.
  • Mythe : Debian fait allégeance à Stallman.
  • Réalité : Je ne me suis pas entretenu avec Richard Stallman à ce sujet mais je pense que Debian n’est pas encore assez libre pour lui ; pour autant que je sache, il aimerait la disparition pure et simple de la section non-libre, ou au minimum qu’elle ne soit plus mentionnée nulle part.

Il reste donc une question : qu’il y a t-il de mal avec les firmwares non-libres ? Ne s’agit-il pas simplement de petits programmes exécutés par le microprocesseur du périphérique concerné ? Pourquoi s’en faire ? Bonne question ! Mettons de côté les problèmes juridiques qui sont susceptibles de se poser, et concentrons-nous sur l’aspect pratique. Le nœud du problème tient au fait que, sans leur code source (et les outils pour les compiler), les firmwares ne sont qu’une suite aléatoire de nombres pour nous. Nous ne savons pas ce qu’ils font, nous ne pouvons pas les analyser ni les améliorer. Nous ne pouvons pas les changer, nous ne pouvons pas assurer leur suivi. Peut-être avez-vous été lire le commentaire du développeur Fedora dont le lien a été donné plus haut ? Je le cite à nouveau car il me semble qu’il a très bien résumé le problème :

Mise à jour des firmwares qlogic 2400 et 2500 vers la version 5.03.13. Que fait la version 5.03.13 ? Personne ne le sait hormis QLogic et ils ne le disent pas. Je leur ai posé la question et ils m’ont répondu que l’information ne pouvait être donnée sans accord de confidentialité. Je vous invite donc à imaginer ce que fait ce firmware et les bogues qu’il corrige. Tant que vous y êtes, imaginez un monde où les fabricants publieraient le code source de leurs firmwares.

À présent que vous savez que nous ne pouvons assurer le suivi de ces firmwares, vous pourriez vous demander si c’est vraiment utile de toute façon. Quels dégâts pourraient bien faire à votre ordinateur un simple petit programme logé dans un périphérique ? Eh bien un scientifique a déjà fait la démonstration d’un firmware pour certaines cartes réseau qui dissimulait un cheval de troie. Donc non seulement c’est un problème en soi, mais cela peut même être un problème de sécurité !

Résumons-nous. Oui, Debian a modifié quelque chose dans ses noyaux. Non, ils vont continuer de fonctionner comme d’habitude. Certains utilisateurs devront peut-être activer le dépôt non-libre mais ce n’est pas obligatoire. Les firmwares nécessaires à l’installation sont aussi disponibles et peuvent être chargés lors du processus d’installation. Alors pourquoi tout ce ramdam ?

À propos, ceux d’entre vous qui craignent de ne pas se rappeler les liens des images ISO et des archives compressées, souvenez-vous de deux choses: wiki et Firmware. Vous trouverez tout ce dont vous avez besoin sur la page Firmware du wiki Debian.

Notes

[1] Crédit photo : Mark Robinson (Creative Commons By)




Geektionnerd : Linux accélère

Le noyau Linux possède plusieurs millions de lignes de code mais parfois il en suffit d’une poignée pour sensiblement améliorer les choses (cf cette news de LinuxFr).

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Les cordons de la bourse de Londres se relâchent pour GNU/Linux

Jam_90s - CC-ByComme nous l’apprenait Lea-Linux le mois dernier :

GNU/Linux progresse sur les environnements dits critiques. On savait qu’il était utilisé sur les serveurs sensibles des militaires, des grands organismes de recherche, de la NASA et de nombreux industriels, ajoutons désormais le monde de la finance à cette liste. En effet, Computer World UK nous apprend que la Bourse de Londres mettra en production le 15 novembre prochain sa nouvelle plate-forme à base de GNU/Linux et Solaris, pour remplacer la plate-forme boguée « TradElect » basée sur Microsoft Windows, et la technologie .Net manifestement trop lente.

GNU/Linux a notamment été choisi par les britanniques pour ses performances (des temps de transmission de 0,125 milliseconde ont été enregistrés lors des tests). Le fait que le Chicago Mercantile Exchange, la Bourse de Tokyo et le NYSE Euronext soient déjà passés à GNU/Linux (Red Hat) n’y est sans doute pas pour rien non plus.

[1]

La Bourse de Londres a réalisé un premier test de sa plateforme « Millennium Exchange » basée sur Linux

London Stock Exchange completes first live Linux test

Leo King – 13 octobre 2010 – Computerworld UK
Traduction Framalang : Pablo, Barbidule, Siltaar, Kootox, Goofy, Petrus6, Martin, Don Rico, Daria

La Bourse de Londres a fait le premier test grandeur nature, avec des clients en ligne, d’un nouveau système fondé sur Linux et destiné à remplacer l’architecture actuelle basée sur des produits Microsoft et qui permettra d’échanger à la vitesse de 0.125 millisecondes.

Le système « Millennium Exchange » fonctionnant sur Linux et sur Unix (Sun Solaris) et utilisant les bases de données d’Oracle, remplacera le 1er novembre la plateforme TradElect, reposant sur Microsoft .Net, pour la plus grande bourse au monde. Il promet d’être le système d’échanges le plus rapide du monde, avec un temps de transaction de 0.125 milliseconde. La Bourse a terminé la migration de son système de gestion des transactions stagnantes/dormantes, ou anonymes, Turquoise, depuis différents systèmes, plus tôt ce mois-ci.

La BDL (Bourse De Londres) a refusé de dévoiler le verdict du test en avant-première du « Millenium Exchange », qui s’est déroulé samedi après plusieurs mois de tests hors ligne intensifs. Cependant, des sources proches de la Bourse ont indiqué qu’il se serait déroulé avec succès.

Une autre répétition générale aura lieu le 23 octobre, un peu plus d’une semaine avant le lancement dans le grand bain. La Bourse pousse pour lancer le service le 1er novembre, mais si les clients, les traders, ne sont pas prêts ou si des problèmes techniques apparaissent, une date de lancement alternative a été prévue au 15 novembre.

En attendant, la Bourse va continuer à travailler avec le système TradElect, basé sur une architecture Microsoft .Net et mis à jour par Accenture en 2008 pour 40 millions de livres (46 millions d’Euros). En juillet, elle a réservé 25,3 millions de livres (29,2 millions d’Euros) en coûts d’amortissement sur TradElect.

TradElect, sujet de nombreuses controverses ces dernières années, avait subi une série de pannes de grande envergure, la pire étant un arrêt de huit heures en 2008. À l’époque, la BDL avait maintenu que TradElect n’était pas responsable de la panne, mais a néanmoins, tenté de remplacer la plateforme depuis, en faisant l’acquisition de la société MilleniumIT, le fournisseur de ce nouveau système.

Les vitesses réseau sont aussi une des raisons principales de ce changement. La BDL a tenté désespérément de descendre les temps de transaction sur TradElect en-dessous des 2 millisecondes, une vitesse léthargique comparée à la concurrence comme Chi-X qui annonce des temps de moins de 0,4 millisecondes.

La BDL annonce que sa nouvelle plateforme d’échange aura des temps de réponse de 0,125 millisecondes, ce qui pourrait en faire une des plateformes d’échange les plus rapides du monde. Le changement est particulièrement important étant donné la progression des transactions algorithmiques, où des ordinateurs placent automatiquement des millions d’ordres d’achat et de vente alors que les prix des actions changent.

Lors d’une interview cette semaine dans le Financial Times, le directeur général de la Bourse de Londres, Xavier Rolet a déclaré que la Bourse avait « déjà prévu » la prochaine génération d’améliorations technologiques pour maintenir la plateforme Millenium à la pointe de la technologie en terme de vitesse de transaction.

Notes

[1] Crédit photo : Jam_90s Creative Commons By




Quand on ne peut rivaliser, on se déclare ouvert pour masquer son incompétence

Tuftronic10000 - CC bySavez-vous ce qu’est un « FUD » ? C’est l’acronyme de Fear, Uncertainty and Doubt et Wikipédia nous dit que c’est une technique rhétorique consistant « à tenter d’influencer la perception de son audience en disséminant des informations négatives, souvent vagues et inspirant la peur ».

J’ai comme l’impression que le responsable Microsoft de l’Amérique Latine est un orfèvre en la matière, à en juger par les cinglantes déclarations ci-dessous[1].

Elles sont rapportées par un envoyé spécial brésilien dont on apprend en fin d’article qu’il a voyagé sur invitation de Microsoft.

Microsoft critique la position du gouvernement brésilien concernant le logiciel libre

Microsoft critica posição do governo brasileiro sobre o software livre

Bruno Romani – 14 septembre 2010 – Folha.com
(Traduction Framalang : Thibz)

Le president de Microsoft Amérique Latine, Hernán Rincón, a envoyé un message au gouvernement brésilien : l’innovation des logiciels ne se trouve pas dans le secteur public mais dans le secteur privé.

La déclaration a été faite après qu’il fut interrogé sur la position du gouvernement brésilien et son soutien aux logiciels libres en général et à Linux en particulier.

Lors d’une rencontre entre journalistes d’Amérique Latine à Bellevue, dans l’État de Washington, il a affirmé : « Les gouvernements doivent s’interroger : leur rôle est-il de servir les citoyens ou de développer des logiciels ? L’innovation est dans le secteur privé. ».

Selon Rincón, les logiciels libres demandent plus de travail et d’investissement de la part d’un gouvernement pour les maintenir en bon fonctionnement et à jour, ce qui ne serait pas le cas lorsque les entreprises se chargent de le faire à la place des gouvernements.

Mais Rincón pense que les deux modèles, logiciels libres et propriétaires, continueront à coexister.

Concurrence

Rincón a aussi épinglé la concurrence qui parie sur les standards ouverts et gratuits, comme Google. Il a ainsi affirmé : « Quand on ne peut pas rivaliser, on se déclare ouvert pour masquer son incompétence. ».

Et Rincón d’ajouter : « Au moment opportun, les entreprises se déclarent ouvertes. Elles l’utilisent pour leur propre bénéfice. ».

Chiffres

Rincón a aussi présenté des chiffres optimistes sur la région.

Selon lui, lors de ces 7 dernières années, la région a eu de la croissance économique (sauf en 2008). Et le secteur technologique y a fortement contribué puisqu’en Amérique Latine, il a été, en moyenne, 2 à 3% supérieur à la croissance de la région. L’année dernière par exemple, la croissance du PIB regional a été de 5% alors que celle de la technologie de l’information a augmenté de 7% à 8%.

Le Brésil, dit Rincón, a eu un rôle de premier plan dans ce processus.

Et Microsoft Amérique Latine a accompagné cette croissance. Rincón dit que sa division est celle qui croît le plus parmi toutes les divisions régionales. Le chiffre d’affaires actuel serait ainsi 3 fois supérieur à ce qu’il était il y a 7 ans.

Selon lui, 95% des ordinateurs d’Amérique Latine seraient sous Windows, 1,3% sous Apple et entre 2% et 3% sous Linux.

Le journaliste a voyagé sur invitation de Microsoft.

Notes

[1] Crédit photo : Tuftronic10000 (Creative Commons By)