Microsoft et l’Open Source ensemble aux Antipodes

Robbie Grubbs - CC by-saS’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, alors j’ai l’honneur de vous faire savoir que Microsoft n’en fait plus partie.

Un communiqué de presse de Microsoft Nouvelle-Zélande, datant de novembre dernier, est passé totalement inaperçu alors qu’il est pourtant tout simplement énorme pour des p’tits gars comme moi qui versent dans le Libre depuis une bonne dizaine d’années et dans l’éducation depuis encore plus longtemps.

Qu’il soit devenu « naturel » pour Microsoft de proposer un plugin à Word afin d’aider le monde de l’éducation à mieux travailler sur les wikis sous Mediawiki (à commencer par Wikipédia), cela passe encore. Qu’on y mentionne et soutienne alors explicitement les Ressources Éducatives Libres sous licence Creative Commons By, cela commence à surprendre. Mais qu’il soit devenu tout aussi « naturel » pour Microsoft de placer ce plugin sous licence libre pour mieux « le partager avec la communauté », c’est tout de même une sacrée (r)évolution.

Quand on pense que, jadis, le logiciel libre était qualifié de « cancer communiste » par les mêmes qui semblent aujourd’hui découvrir ses vertus, on mesure le chemin parcouru !

Certes, ça n’est qu’une extension et non une application toute entière, Word libre ce n’est pas pour tout de suite ! Il convient également de voir concrètement la qualité du convertisseur (ce que je n’ai pu faire faute d’avoir MS Office sur mon ordi), mais la déclaration (d’intention ?) ci-dessous vaut de toutes les façons son pesant de cacahuètes[1].

Certes aussi, il est question du programme Partners in Learning (PIL) dans le communiqué. Et nous avons souvent eu l’occasion de dire dans ces colonnes tout le bien que nous pensions de ce projet Microsoft fort ambigu (lire par exemple L’école Châteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratégie planétaire Microsoft, Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel – Mediapart ou encore En réponse au Café Pédagogique).

Il n’en demeure pas moins que les temps changent (quand même un peu), et Microsoft aussi, semble-t-il, vis-à-vis du logiciel libre et de sa culture.

Et vous vis-à-vis de Microsoft ?

Microsoft travaille avec les enseignants et l’open source pour prendre en charge un wiki libre de partage du savoir

Microsoft works with educators and open source to support free knowledge sharing wiki

Microsoft Nouvelle-Zélande – 17 novembre 2010 – Communiqué de presse
(Traduction Framalang : Goofy et Martin)

Une nouvelle extension open source pour Microsoft Word permet d’utiliser le format de fichier MediaWiki pour que les utilisateurs puissent mettre en ligne directement leurs documents sur des wikis.

Microsoft, travaillant en collaboration avec la Fondation OER (Open Education Resource) de l’Institut polytechnique d’Otago (Nouvelle-Zélande) et du Ministère de l’éducation, a mis au point une nouvelle extension open source pour Microsoft Word qui permet d’enregistrer des documents dans un format compatible avec les wikis sous MediaWiki, celui-là même qu’utilise la populaire encyclopédie en ligne Wikipédia.

La nouvelle extension aidera les enseignants à collaborer à la construction de nouvelles ressources éducatives ouvertes. Le directeur de la Fondation Otago, Dr Wayne Mackintosh, déclare : « grâce à la prise en charge du style MediaWiki dans Microsoft Office, les professeurs pourront partager vite et facilement leur matériel pédagogique sur des plateformes en ligne telles que Wikipédia et WikiEducator. Cela signifie que les institutions éducatives adoptant la démarche de l’OER pour fournir des ressources et des manuels libres pourront abaisser considérablement la barrière du coût à engager pour fournir aux étudiants les outils et les informations dont ils ont besoin pour apprendre ».

MediaWiki a reçu un soutien sans failles du Ministère de l’éducation qui partage les objectifs de la Fondation EOR dans ce domaine.

« Nous sommes ravis de la nouveauté que constitue une extension open source dans la boîte à outils de Microsoft Office. Elle permettra aux enseignants et étudiants de Nouvelle-Zélande de s’investir plus facilement dans le partage des ressources éducatives et les débats pédagogiques, dans l’esprit du wiki » déclare Leanne Gibson, directrice des systèmes d’information.

L’institut polytechnique d’Otago héberge les bureaux de la Fondation, qui est une organisation indépendante à but non lucratif visant à assurer la prise en main, le développement et le soutien d’un réseau international d’enseignants et institutions éducatives, à travers l’Open Education. WikiEducator est la vitrine de la Fondation EOR, qui s’efforce de rendre libres d’accès les matériels pédagogiques pour les étudiants du monde entier, particulièrement dans les pays en voie de développement pour lesquels les systèmes d’éducation classiques s’avèrent souvent hors de prix.

Microsoft a financé le développement d’une nouvelle fonctionnalité du logiciel Word pour permettre à tous les enseignants du monde de produire et partager des ressources pédagogiques à un coût modeste en utilisant des outils basés sur le wiki.

Le directeur de la plateforme stratégique de Microsoft pour la Nouvelle-Zélande, Andrew Gordon, déclare que l’entreprise s’implique dans la collaboration avec la communauté open source pour développer du matériel éducatif qui bénéficiera autant aux étudiants qu’aux enseignants.

« Microsoft a un lien étroit avec le monde éducatif via nos initiatives Citizenship (citoyenneté) en cours, telles que le concours Imagine, la plus grande compétition du monde étudiant dans le domaine technologique, si bien que MediaWiki était une solution tout à fait naturelle pour nous, comme pouvait l’être la publication du code source sous une licence open source et le fait de permettre son partage avec la communauté. Compte tenu de l’utilisation intensive de Word dans tous les établissements d’éducation à travers le monde, nous chez Microsoft, sommes ravis et fiers de pouvoir apporter notre pierre à l’édifice en rendant accessibles à chacun, quelle que soit sa situation, des ressources pédagogiques de bonne qualité. »

Le convertisseur MediaWiki est si simple qu’il peut être installé rapidement et facilement par des utilisateurs non expérimentés. De plus, son code a été publié sous une licence open source, ce qui signifie que l’application peut être ré-utilisée librement comme base pour d’autres extensions communes avec MediaWiki. Il est également une référence pour quiconque aurait besoin de publier des informations à partir de Microsoft Office. Le convertisseur MediaWiki fonctionnera avec toutes les versions de la suite Office depuis 2007 jusqu’à la version récente de 2010.

Peter Harrison, le vice-président de la New Zealand Open Source Society ne tarit pas d’éloges sur cette initiative : « Internet offre à l’humanité une occasion unique de mettre à profit les technologies de la communication pour éduquer la population du monde entier. À travers les technologies collaboratives telles que le wiki tout le monde pourra travailler de concert pour créer des ressources communes de qualité, ouvertes à tous. En permettant aux utilisateurs d’exporter leurs contenus de Word vers MediaWiki, Microsoft encourage la mise à disposition d’une gamme bien plus large de ressources éducatives en ligne. »

L’Institut polytechnique d’Otago est l’un des pionniers de l’Open Education, et c’est le premier établissement d’enseignement supérieur à avoir signé la déclaration du Cap sur l’Open Education. C’est également la première institution d’enseignement supérieur au monde à approuver et mettre en œuvre une politique de la propriété intellectuelle qui utilise la licence Creative Commons Attribution par défaut (NdT : cf cet article du Framablog Privilégier la licence Creative Commons Paternité CC-BY dans l’éducation), et qui s’investit dans l’éducation au point de l’inclure dans son programme.

Ce projet est complémentaire de l’initiative PIL (Partners in Learning) que Microsoft soutient depuis dix ans à hauteur de 500 millions de dollars : il s’agit d’aider les enseignants et directeurs d’écoles à utiliser les nouvelles technologies pour apprendre et enseigner plus efficacement. Pour davantage d’informations, voir http://www.microsoft.com/education/pil.

Notes

[1] Crédit photo : Robbie Grubbs (Creative Commons By-Sa)




Qui veut être complice d’un concours à la con lancé par Microsoft à l’école ?

Alex Proimos - CC byLorsqu’un lecteur m’a signalé ce drôle de concours j’ai d’abord cru à un fake pour discréditer Microsoft tant cela me semblait gros. Et pourtant non, après vérification, ce projet existe bel et bien et le naïf c’est moi !

De quoi s’agit-il exactement ?

Le plus simple est d’en recopier ci-dessous les modalités qui se suffisent à elles-mêmes[1].

« Tout le monde connaît un enseignant. Allez à la rencontre de l’un d’entre eux. Vivez une expérience extraordinaire en classe, grâce à Microsoft.

Aujourd’hui nous proposons à notre communauté un nouvel appel à création très original pour Microsoft, qui vous lance un nouveau type de challenge, avec plus de 50 prix à gagner ! Une opportunité extraordinaire d’être mis en avant et de gagner une belle dotation grâce à eYeka !

Faites équipe avec un enseignant pour utiliser les Produits Microsoft dans sa classe et partagez votre histoire à travers un mini-documentaire vidéo (jusqu’à 3 mn de long), un montage de photos ou un PowerPoint en 3 parties : Découverte, Défi & résultats, Évaluation. »

La dotation globale est de 15 000 dollars dont 5 000 dollars pour la meilleure production.

eYeka est une société spécialisée dans le « marketing participatif ». Elle met « en relation » les marques avec les internautes « créateurs », en invitant ces derniers, avec promesses de rémunération à la clé, à faire des vidéos virales à la gloire de la marque dans le but de créer le buzz en faisant tourner ces vidéos dans les réseaux sociaux.

Au tout début de YouTube & co ces vidéos virales étaient spontanées et évidemment non rémunérées. Il en va tout autrement aujourd’hui, la fraîcheur a quasiment disparu et a laissé la place à un business florissant. Un business qui tente de continuer à faire croire que ces vidéos demeurent fraîches et spontanées parce que cela a plus d’impact sur un consommateur croyant encore souvent ne pas être en face d’une publicité classique.

Et c’est tout bénéfice pour la marque qui se retrouve en possession de vidéos produites par les autres pour un prix totalement dérisoire (ici 15 000 dollars) comparé au budget d’une publicité traditionnelle. Il y a bien possession parce qu’il va sans dire qu’en participant à de tels concours, vous cédez tous vos droits sur l’utilisation ultérieure de vos créations (en tout petit en bas du contrat). Et pas la peine de relever les prix, la crise mais surtout la culture actuelle de la surreprésentation du moi sur Internet faisant le reste.

Si l’on est un peu malin et que l’on jouit d’une situation favorable, on peut même proposer cela gratuitement aux internautes. J’en veux pour seul exemple cette spectaculaire vidéo Google à la gloire de Gmail.

Bon, ici, Microsoft ne possède ni la force du réseau Google ni son image positive. Elle a parfaitement conscience que rares seront les enseignants qui accepteront de se faire VRP Microsoft rien que pour ses beaux yeux. Alors elle doit s’y prendre autrement si elle veut pouvoir montrer qu’on utilise ses produits à l’école dans la joie et dans la bonne humeur, en passant donc par les services d’eYeka.

Bon courage ceci dit pour ce qui concerne les établissements scolaires publics français. Parce que l’on n’entre encore pas si facilement que cela dans les salles de classes, encore moins pour y filmer quelque chose, et encore encore moins si l’on se permet d’y filmer des élèves.

En tout cas, rendez-vous fin février pour la clôture du concours. Je suis bien curieux de voir si des collègues se seront effectivement livrés à cette mascarade commerciale sur un lieu de travail naguère associé à un sanctuaire.

Un exemple de plus qui révèle les difficultés croissantes de Microsoft à l’école. Un exemple de plus qui témoigne d’une époque en crise.

Ici comme ailleurs, un autre monde est possible. Celui du logiciel libre par exemple 😉

Source eYeka : l’annonce sur le blog et la page du concours.

Notes

[1] Crédit photo : Alex Proimos (Creative Commons By)




Docteur Word et Mister Doc font de la résistance à l’Éducation nationale

Les inspecteurs de l’Éducation nationale représentent l’autorité pédagogique des enseignants. Ils sont écoutés et respectés. Ce sont un peu « les professeurs des professeurs ».

En cette nouvelle rentrée scolaire, les enseignants d’une académie sont sollicités par leurs inspecteurs pour fournir un travail en vue de préparer au mieux un changement de programme dans leur discipline. C’est une procédure tout à fait classique de consultation de la base.

Ce qui l’est peut-être moins, c’est la recommandation technique ci-dessous :

Afin de faciliter la gestion des très nombreuses productions attendues, il est impératif de n’utiliser que la fiche-réponse (un fichier au format Word à compléter) pour envoyer vos productions. Vos fichiers (un par situation d’évaluation produite) doivent être lisibles avec une installation standard de Word et aucun autre fichier ne doit être joint à votre envoi.

Vos fichiers doivent être nommés de la façon suivante (en remplaçant XXX par le numéro de votre établissement) : XXX-1.doc, XXX-2.doc, etc.

Nous vous serions reconnaissants de respecter scrupuleusement ces consignes afin d’éviter un travail important et fastidieux au groupe de relecture.

Nous sommes d’accord, les inspecteurs sont aussi faillibles et ne peuvent pas être des experts partout. Mais quelle confusion entre le logiciel (Word) et le format (doc) ! Et quel mauvais exemple renvoyé à des enseignants habitués à ce que la parole de leurs inspecteurs soit parole d’évangile !

Word, en installation « standard », désigné par ses élites Grand Facilitateur de travail à l’Éducation nationale ! Cela se passe encore comme ça à l’école française en septembre 2010…

Il y a certainement moyen de faire autrement. Pouvez-vous aider nos inspecteurs dans les commentaires ?




Les jeunes ne jurent que par Apple (et se foutent du logiciel libre ?)

Multitrack - CC byIndépendamment de la question financière, que choisirait actuellement un jeune bachelier si il avait le choix de s’équiper en matériel high tech ?

Ce n’est qu’une impression mais il semblerait bien que tous ou presque souhaitent désormais posséder du Apple : MacBook, iPod, iPhone, iPad…

Deux liens qui corroborent cette impression.

Le premier lien est économique. Un cabinet financier américain vient tout juste de dégrader la notation de Microsoft estimant que l’éditeur ne parvenait pas à séduire les jeunes générations (source ZDNet). Ainsi 70% des étudiants entrant à l’université possèderaient un Mac[1].

Cela fait beaucoup quand même ! Mais justement le second lien est académique. Le département Information Technology and Communication de l’Université de Virginie nous propose d’intéressantes statistiques sur l’équipement informatique de ses étudiants de première année.

On peut y constater de notables évolutions de 1997 à nos jours. Comme on s’y attendait les étudiants tendent à être tous équipés, et au profit aujourd’hui presque exclusif de l’ordinateur portable. Mais pour quel OS ? Et là effectivement la comparaison est édifiante. Les courbes de Windows et de Mac suivent des chemins diamétralement opposés. En 2004, nous avions 89% pour Windows et 8% pour le Mac. En 2009 c’est 56% de Windows et 43% de Mac. On est encore loin des 70% évoqués plus haut, mais au train où vont les choses, c’est apparemment pour bientôt.

Pourquoi avoir choisi l’année 2004 comme repère ? Parce qu’ils étaient alors 77 étudiants à avoir un autre OS que Windows ou Mac (autrement dit un OS libre). Or ils ne sont plus que 8 en 2010, soit 0,3% !

D’où cette double question que je soumets à votre sagacité : Est-ce que selon vous Apple fascine réellement toute la jeunesse ? Et si oui cela a-t-il, dès aujourd’hui et pire encore demain, des conséquences sur le logiciel libre ?

À parcourir ces trois récents articles du Framablog : Pourquoi je n’achèterai pas un iPad, La fin du Web ouvert – Apple ou la banlieue riche du Web et Combien de futurs hackers Apple est-il en train de tuer ?, je crains déjà votre réponse. Et me demande dans la foulée si cela ne met pas une nouvelle fois en exergue la faillite absolue en amont de l’école (et des parents) quant à la sensibilisation au logiciel libre et sa culture.

Notes

[1] Crédit photo : Multitrack (Creative Commons By)




Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel – Mediapart

llawliet - CC byReprise du second article de l’enquête de Mediapart sur l’école à l’ère numérique, introduite dans un précédent billet.

« Derrière le ministre de l’éducation, l’ancien secrétaire d’État à l’industrie n’est pas très loin », nous dit Louise Fessard.

Et Microsoft non plus[1].

Mais la journaliste a eu la bonne idée d’en décrypter la présence et l’influence en s’appuyant, une fois n’est pas coutume, sur de nombreux articles de ce blog (cf notes de bas de page). Inutile de vous dire que cette reconnaissance nous honore quand bien même la situation évoquée mérite toujours d’être mise à jour en faveur du Libre.

Remarque : Cet article a été publié juste avant la sortie du rapport Fourgous désormais disponible.

Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel

Louise Fessard – 8 février 2010 – Mediapart
(avec son aimable autorisation)

URL d’origine du document

En visite au Bett, le salon mondial du numérique éducatif à Londres, le 17 janvier, le ministre de l’éducation, Luc Chatel, a réaffirmé sa volonté de lancer un grand plan numérique pour l’école « dans le cours du premier trimestre 2010 ». Près de 7.000 communes de moins de 2.000 habitants ont déjà bénéficié de subventions de 10.000 euros pour équiper leur école dans le cadre du plan écoles numériques rurales.

Devant une rangée d’industriels français du numérique, il a confirmé la possibilité d’utiliser une partie du grand emprunt à cette fin. Car derrière le ministre de l’éducation, l’ancien secrétaire d’État à l’industrie n’est pas très loin. « Ce sont des réservoirs, des perspectives de croissance très importants que d’avoir des pouvoirs publics qui investissent de manière durable dans ce secteur », lance ainsi Luc Chatel (cf vidéo).

En moyenne, l’école française ne dispose que d’un ordinateur pour 12 élèves (contre un pour 6 en Grande-Bretagne) et moins de 30.000 tableaux blancs interactifs (contre 470.000 en Grande-Bretagne)[2]. Plus préoccupant, il existe une grande disparité d’équipement entre les territoires : un rapport de la Cour des comptes révélait en décembre 2008 que, dans les écoles primaires, le taux d’équipement allait d’« un ordinateur pour 5 élèves à un pour 138 élèves » selon les communes.

La faute à une absence de politique nationale : ce sont les collectivités territoriales (commune pour les écoles, département pour les collèges, région pour les lycées) qui financent ordinateurs, logiciels, connexion au réseau. « C’est bien de venir voir les innovations, se désolait un principal de collège rencontré au salon professionnel Educatice en novembre 2008, mais budgétairement on n’a pas la maîtrise, c’est le conseil général qui décide. »

Aussi le plan écoles numériques rurales, qui a laissé aux écoles candidates le choix des solutions informatiques tout en assurant un financement étatique, a-t-il fait mouche parmi les petites communes[3]. Devant l’afflux des candidatures, Luc Chatel a dû débloquer 17 millions d’euros supplémentaires, en plus de l’enveloppe initiale de 50 millions. « Le fait que l’Etat prenne en charge ce dispositif peut éviter un accroissement des inégalités », se réjouit Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp, le principal syndicat des professeurs des écoles.

Privilégier ressources et formation

Le matériel n’est pas « forcément le nerf de la guerre », a souligné Luc Chatel le 17 janvier, jugeant en revanche « absolument capitales la question des ressources pédagogiques et la question de la formation »[4]. Le député (UMP) des Yvelines, Jean-Michel Fourgous, doit rendre son rapport sur les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) à Luc Chatel le 15 février. « Si on ne veut pas renouveler les échecs des grands plans informatiques précédents, il faut abandonner l’histoire du 80% pour l’équipement / 20% pour la formation, et passer au 50/50 », explique-t-il.

Les industriels ont déjà largement investi le terrain : les grands groupes ne se contentent plus de vendre du matériel ou des logiciels, ils offrent aux enseignants des espaces d’échange, des forums, des ressources pédagogiques, des formations pour utiliser leur technologie. « Il faut comprendre qu’accrocher une boîte noire au mur, ça n’apporte pas grand-chose, explique Emmanuel Pasquier, directeur général de la société Promethean, leader des tableaux blancs interactifs (TBI) en Europe. Il faut faire un très gros travail avec la communauté éducative et mettre en place un écosystème autour du TBI qui comprenne les tableaux interactifs, les boîtiers d’évaluation, les ardoises mais aussi des logiciels d’aide à la création pédagogique, la formation et l’accompagnement continu des enseignants. » La communauté virtuelle Promethean Planet revendique ainsi plus de 500.000 enseignants dans le monde.

Microsoft « à l’assaut du monde de l’éducation »

Microsoft France a choisi de multiplier les partenariats avec le monde associatif enseignant, en adaptant son programme international « Partners in learning »[5], actif dans une centaine de pays, au contexte français : « Nous apportons un support technologique et financier aux initiatives des enseignants, mais notre plus grosse valeur ajoutée, c’est la mise en réseau entre enseignants », explique Thierry de Vulpillières[6], directeur des partenariats éducation. Microsoft vient ainsi en aide à des projets peu reconnus et relayés par l’institution scolaire. En toute discrétion, se gardant bien de placarder son logo à tout-va.

L’entreprise américaine a ainsi participé à la refonte de la plateforme Internet du Café pédagogique[7], le site d’actualité pédagogique de référence avec ses 222.000 abonnés, « qui craquait de partout », mais se contente d’y animer un forum sur une opération commerciale « Microsoft Office 2007 gratuit pour les enseignants ». Elle a aussi développé une offre de formations à cette suite bureautique et à son « espace de travail numérique » par l’intermédiaire de Projetice[8], une association d’enseignants créée en 2006.

« Au départ, différents enseignants ressentaient comme un manque l’absence d’associations sur les Tice dans le paysage français, raconte Thierry de Vulpillières. Ils sont venus me voir et j’ai participé au financement de la création de l’association. » Une association qui se dit « indépendante » mais vit en partie des commandes commerciales de Microsoft. « Au côté de celles d’Orange, de Texas Instrument, Smart, etc. », nuance Thierry de Vulpillières.

C’est encore Microsoft qui est à l’origine de la tenue du premier forum des enseignants innovants à Rennes en 2008, que l’entreprise finance à hauteur de 30%[9]. « En 2007, Microsoft avait, avec l’Unesco, organisé au Louvre le forum européen des enseignants innovants, raconte Thierry de Vulpillières. J’ai impliqué des enseignants français et ils se sont dit qu’ils allaient organiser quelque chose au niveau national pour récompenser l’innovation pédagogique. »

Microsoft emploie aussi des méthodes plus classiques et massives. Depuis juin 2008, les enseignants peuvent télécharger et installer gratuitement Office 2007 à leur domicile. Pour mener cet « assaut du monde de l’éducation » (voir doc joint), Microsoft et l’agence de communication Infoflash ont créé un site Web spécifique et envoyé des centaines de courriers nominatifs aux enseignants (120.000 aux enseignants et personnels de collège en juin 2008 puis une seconde vague de 350.000, visant aussi les instituteurs, en novembre 2008)[10]. Une performance récompensée en 2009 par l’obtention du grand prix « acquisition et fidélisation clients » du Club des directeurs marketing et communication des TIC (Cmit)[11].

« Un potentiel de 50.000 emplois »

Théoriquement, selon l’accord-cadre signé entre l’éducation nationale et Microsoft en 2003, l’offre n’est pas à proprement parler gratuite puisqu’elle doit être compensée par l’achat de licences par les établissements scolaires. Microsoft « autorise la duplication des logiciels Microsoft Office sur des postes de travail personnel dans la stricte limitation du nombre de licences déployées pour usage professionnel », précise l’avenant signé en 2006 (doc joint). Mais dans les faits, tout enseignant peut télécharger gratuitement Office, même si son établissement n’a pas acheté de licence à Microsoft.

Ce type d’opération est régulièrement dénoncé sur la Toile par des enseignants adeptes du libre comme Jean Peyratout. « Les industriels, et notamment Microsoft, ont une attitude extrêmement offensive mais ils font leur métier, c’est normal, estime cet instituteur de Pessac (Gironde). C’est plutôt du côté des prescripteurs qu’est le problème. »

Même analyse d’Alexis Kauffmann, enseignant de mathématiques, actuellement à Rome, qui dénonce sur son blog « l’influence disproportionnée de Microsoft à l’école ». « Je reproche surtout au ministère de l’éducation de laisser Microsoft rentrer comme dans du beurre dans le système éducatif français, faute d’avoir pris une position volontariste vis-à-vis du logiciel libre, explique-t-il. Alors qu’en Grande-Bretagne, le Becta (l’agence britannique en charge des Tice) n’hésite pas à rédiger de longs rapports[12] déconseillant l’adoption des nouvelles versions de Windows et MS Office en milieu scolaire tout en invitant à découvrir leurs alternatives libres que sont GNU/Linux et OpenOffice. »

Conscient de cette dépendance, Jean-Michel Fourgous propose qu’une partie du grand emprunt aille à « la formation, la simplification des ressources pédagogiques, la clarification du rôle des collectivités locales et une meilleure coordination des acteurs ». « Je pense qu’il y a un potentiel de 50.000 emplois dans les Tice dans les années à venir, prévoit-il. Il faut inciter nos chercheurs français à travailler sur tous les services Tice car il va y avoir une explosion dans ce domaine. »




Le chemin de croix du logiciel libre à l’école – Quand Mediapart mène l’enquête

Vauvau - CC byLe logiciel libre et sa culture n’ont toujours pas la place qu’ils méritent à l’école. Tel est l’un des chevaux de bataille de ce blog, qui a parfois l’impression de donner des coups d’épée dans l’eau tant ce sujet ne donne pas l’impression de passionner les foules.

Dans ce contexte médiatiquement défavorable, nous remercions Mediapart de s’être récemment emparé du sujet à la faveur d’une enquête conséquente sur L’école à l’ère numérique.

Ces enquêtes approfondies sont l’une des marques de fabrique de ce pure player qui contrairement à d’autres ne mise pas sur le couple gratuit/publicité mais sur l’abonnement qui offre un accès privé et réservé à la majorité de ses contenus (si je puis me permettre une petite digression, le modèle utopique idéal serait pour moi un nombre suffisant d’abonnés à qui cela ne poserait pas de problèmes que le site soit entièrement public et sous licence de libre diffusion).

Ce dossier comporte cinq articles : Les industriels lorgnent le futur grand plan numérique de Luc Chatel, A Antibes, un collège teste les manuels numériques[1], Thierry de Vulpillières : « Les TICE sont une réponse à la crise des systèmes d’éducation »[2], Nouvelles technologies: remue-ménage dans la pédagogie ![3] et Le chemin de croix du logiciel libre à l’école.

Avec l’aimable autorisation de son auteure, nous avons choisi d’en reproduire le premier dans un autre billet et donc ici le dernier, dans la mesure où nous sommes cités mais aussi et surtout parce qu’ils touchent directement nos préoccupations.

Outre votre serviteur, on y retrouve de nombreux acteurs connus des lecteurs du Framablog. J’ai ainsi particulièrement apprécié la métaphore de la « peau de léopard » imaginée par Jean Peyratout pour décrire la situation actuelle du Libre éducatif en France[4].

Et si ce léopard se métamorphosait doucement mais sûrement en une panthère noire ?

Le chemin de croix du logiciel libre à l’école

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Louise Fessard – 12 février 2010 – Mediapart

Et le libre dans tout ça ?

Des logiciels et des contenus garantissant à tous le droit d’usage, de copie, de modification et de distribution, ne devraient-ils pas prospérer au sein de l’éducation nationale ? Si l’administration de l’éducation nationale a choisi en 2007 de faire migrer 95% de ses serveurs sous le système d’exploitation libre GNU/Linux, la situation dans les établissements scolaires est bien plus disparate.

Le choix dépend souvent de la mobilisation de quelques enseignants convaincus et de la politique de la collectivité locale concernée. « On se retrouve avec des initiatives personnelles, très locales et peu soutenues », regrette l’un de ses irréductibles, Alexis Kauffmann, professeur de mathématiques et fondateur de Framasoft, un réseau d’utilisateurs de logiciels libres.

« La situation ressemble à une peau de léopard, confirme Jean Peyratout, instituteur à Pessac (Gironde) et président de l’association Scideralle. Le logiciel libre est très répandu mais dans un contexte où aucune politique nationale n’est définie. C’est du grand n’importe quoi : il n’y a par exemple pas de recommandation ministérielle sur le format de texte. Certains rectorats vont utiliser la dernière version de Word que d’autres logiciels ne peuvent pas ouvrir. »

A la fin des années 1990, Jean Peyratout a développé avec un entrepreneur, Eric Seigne, AbulEdu, une solution réseau en logiciel libre destinée aux écoles et basée sur GNU/Linux. Selon Eric Seigne, directeur de la société de service et de formation informatique Ryxeo spécialisée dans le logiciel libre, environ 1000 des 5000 écoles visées à l’origine par le plan d’équipement « écoles numériques rurales », lancé à la rentrée 2009 par le ministère de l’éducation nationale, ont choisi d’installer AbulEdu. Faute de bilan national, il faudra se contenter de ce chiffre, qui ne concerne que le premier degré, pour mesurer l’importance du libre dans les établissements scolaires.

Autre exemple significatif, en 2007, le conseil régional d’Ile-de-France a choisi d’équiper 220.000 lycéens, apprentis de CFA et professeurs, d’une clé USB dotée d’un bureau mobile libre – développé par la société Mostick, à partir des projets associatifs Framakey et PortableApps.

« Pourquoi payer des logiciels propriétaires ? »

Le libre à l’école a plusieurs cordes à son arc. Jean Peyratout met en avant son interopérabilité – « Nos élèves sont amenés à utiliser à la maison ce qu’ils utilisent à l’école » –, la souplesse dans la gestion du parc – pas besoin d’acheter une énième licence en cas de poste supplémentaire – et surtout son éthique. « Faire de la publicité à l’école est interdit, plaide-t-il. Il me semble qu’utiliser un logiciel marchand à l’école alors qu’il existe d’autres solutions, c’est faire la promotion de ce logiciel. Pourquoi aller payer des logiciels propriétaires dont le format et le nombre limité de licences posent problème ? »

D’autant, souligne Eric Seigne, « qu’en investissant dans le libre, l’argent reste en local, alors qu’en achetant du propriétaire, la plus grande partie de l’argent part à l’étranger où sont implantés les gros éditeurs ». Reste à convaincre sur le terrain les enseignants, non experts et qui n’ont pas envie de mettre les mains dans le cambouis. A Saint-Marc-Jaumegarde par exemple, Emmanuel Farges, directeur d’une école primaire pourtant très technophile, est sceptique. « Seul notre site Internet repose sur un logiciel libre mais ça bogue souvent et il n’y a pas de suivi quand il y a un problème », explique-t-il.

A côté de la poignée d’enseignants militants du libre, se sont pourtant développés des professionnels. « Le fait que les logiciels soient gratuits éveille paradoxalement les soupçons de mauvaise qualité, note Bastien Guerry, doctorant en philosophie et membre de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (Aful). Mais il existe des associations locales de prestation de service en logiciel libre qui peuvent assurer un suivi. »

Des sites collaboratifs

« Aujourd’hui, les enjeux portent moins sur l’installation des postes que la mise à disposition de logiciels libres via l’environnement numérique de travail et des clefs USB », prévoit Bastien Guerry. A travers des sites participatifs comme Les Clionautes (histoire-géographie), WebLettres (français), et créés au début des années 2000, des enseignants s’adonnent avec enthousiasme à cette création de logiciels et surtout de contenus.

L’exemple le plus abouti en est Sésamath dont la liste de diffusion regroupe 8000 enseignants, soit un quart des profs de mathématiques français selon l’un des fondateurs du projet, Sébastien Hache, lui-même enseignant au collège Villars à Denain (Nord).

« Tous les enseignants créaient déjà eux-mêmes leurs ressources mais Internet leur a permis de les partager, explique-t-il. Et, comme il n’y a pas plus seul qu’un prof face à sa classe, ça évite à chacun de réinventer la roue dans son coin. » Grâce à la collaboration d’enseignants travaillant à distance, Sésamath a même édité « le premier manuel scolaire libre au monde ». « Les manuels des éditeurs sont d’ordinaire écrits par deux ou trois profs, nous, nous avons eu la collaboration d’une centaine d’enseignants avec de nombreux retours », se félicite Sébastien Hache.

400.000 exemplaires de ce manuel, qui couvre les quatre niveaux de collège, ont été vendus (11 euros pour financer les salaires des cinq salariés à mi-temps de l’association), la version en ligne étant gratuite et bien entendu modifiable en vertu de sa licence libre. L’autre activité du site consiste à créer des logiciels outils et des exercices s’adaptant aux difficultés des élèves. Beaucoup de professeurs de mathématiques sont aussi par ailleurs des développeurs passionnés!

Un foisonnement que s’efforce de fédérer le pôle de compétences logiciels libres du Scérén coordonné par Jean-Pierre Archambault. L’école doit désormais prendre en compte les « mutations engendrées par l’immatériel et les réseaux: enseignants-auteurs qui modifient le paysage éditorial, partage de la certification de la qualité, validation par les pairs, redistribution des rôles respectifs des structures verticales et horizontales… », jugeait-il en juin 2008.

Pas vraiment gagné, constate Alexis Kauffmann. « Rien ne laisse à penser que le ministère de l’éducation nationale comprend et souhaite encourager cette culture libre qui explose actuellement sur Internet », lance-t-il. Dernier exemple en date, l’Académie en ligne lancée par le Cned en juin 2009 propose des cours, certes gratuits, mais pas libres et donc non modifiables, manifestement uniquement conçus pour être imprimés! Pour la collaboration, il faudra repasser…

Notes

[1] On peut lire l’article A Antibes, un collège teste les manuels numériques dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[2] On peut lire l’article Thierry de Vulpillières : « Les TICE sont une réponse à la crise des systèmes d’éducation » dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[3] On peut lire l’article Nouvelles technologies: remue-ménage dans la pédagogie ! dans son intégralité sur le site Sauvons l’Université.

[4] Crédit photo : Vauvau (Creative Commons By)




L’école Châteaudun d’Amiens ou le pion français de la stratégie planétaire Microsoft

Lee Carson - CC by-saLe saviez-vous ? Grâce à la caution de partenaires associatifs et institutionnels a priori au dessus de tout soupçon, Microsoft entre comme dans du beurre (ou presque) à l’Éducation nationale, en déployant tranquillement son vaste et ambitieux programme globalisé « Innovative Schools ».

Si il ne s’agissait que de se substituer financièrement à un État de plus en plus désargenté, ce serait déjà grave, mais on en profite également pour marquer voire manipuler les esprits, sous le vernis d’un discours pédagogique soit disant progressiste et « innovant » (adjectif préféré du département marketing de la société).

Principales victimes collatérales : non seulement le logiciel libre et sa culture mais aussi et surtout les enseignants et donc les élèves[1], à qui on ne donne pas accès à cette culture.

Attention, cette histoire est un peu longue et un peu triste. Mais elle se termine bien à la fin !

Mondialisation mon amour

Qu’est-ce que le programme « Innovative Schools » ? C’est un peu le jeu des poupées russes, car il s’insère dans le programme « Partners in Learning », lui-même intégré au programme « Unlimited Potential ».

Commençons par la plus grande poupée, telle que décrite sur le site de Microsoft :

Microsoft Unlimited Potential vise à aider les personnes et les communautés du monde entier à réaliser leurs objectifs et leurs rêves par l’intermédiaire de la mise à disposition de technologies adaptées, accessibles et abordables. Nous nous sommes fixé pour mission d’ouvrir de nouvelles voies de développement social et économique, en particulier pour les cinq milliards de personnes qui, selon les estimations, ne bénéficient pas encore des avantages des nouvelles technologies. Avec nos partenaires publics comme privés, nous axons notre action sur la transformation de l’éducation, la stimulation de l’innovation locale et le soutien à la création d’emplois et de débouchés afin de créer un cercle vertueux de croissance économique et sociale durable pour tous.

Poursuivons en donnant quelques chiffres significatifs avec cette présentation maison du programme « Partners in Learning » :

Microsoft Partners in Learning est une initiative internationale conçue pour rendre la technologie plus accessible aux écoles, à stimuler des conceptions innovatrices de l’éducation et à fournir aux éducateurs les outils pour gérer et mettre en oeuvre des changements. Depuis sa création en 2003, le programme Partenaires en apprentissage a bénéficié à plus de 123 millions de professeurs et d’étudiants dans 103 pays. Microsoft apporte un soutien financier continu à cette initiative depuis déjà cinq ans, et l’investissement d’une durée de dix ans atteint presque 500 millions USD, ce qui témoigne de l’engagement de la société à rendre la technologie plus adaptée et plus accessible à chacun grâce à des programmes, des formations et des partenariats de licence abordables.

Un demi-milliard de dollars… Ne cherchez pas plus loin la réponse à la question de la légitimité d’une entreprise américaine de logiciels que rien ne prédisposait au départ à vouloir ainsi participer à « transformer l’éducation » à l’échelle mondiale. Ce n’est pas avec le vinaigre des beaux discours philanthropiques (cf ci-dessus) que l’on attrape les mouches, mais bien avec cet argument massue d’un compte en banque qui donne le vertige.

Toujours est-il que c’est dans le cadre du programme « Microsoft Partners in Learning », que l’on trouve le réseau des « Microsoft Innovative Teachers », enseignants cooptés en charge notamment de mettre chaque année en place dans leur propre pays des « Microsoft Innovative Teachers Forums », dont le point d’orgue est le « Microsoft Innovative Education Forum » où sont invités tous les lauréats des forums nationaux (en 2009 c’était au Brésil).

C’est également dans ce cadre que s’inscrivent les « Microsoft Innovative Schools ». Il s’agit d’investir un établissement scolaire et d’en faire une école pilote de l’innovation à la sauce Microsoft, en mettant là encore le paquet sur les moyens.

Une nouvelle fois, tout réside dans l’art de présenter la chose :

Le programme « Écoles Innovantes » fait partie de l’initiative internationale « Partners in Learning » au travers de laquelle Microsoft engage d’importants investissements matériels et financiers pour développer la formation dans le domaine des TICE , la personnalisation de l’enseignement, le support technique et, plus généralement, l’accès aux technologies informatiques de pointe dans l’éducation. Dans ce cadre, le projet « Écoles innovantes» fondé sur l’innovation pédagogique et l’utilisation des technologies de l’information, a été lancé au niveau mondial. La première « Ecole innovante» a ouvert ses portes au début de l’année 2006 à Philadelphie. Douze autres établissements à travers le monde font aujourd’hui partie de ce projet. L’objectif de ce projet est d’accompagner les établissements et plus largement l’institution dans son évolution vers l’école du XXIème siècle.

Du discours et de la méthode

Les citations ci-dessus donnent déjà une bonne idée de l’enrobage, pour ne pas dire de l’enfumage, d’un discours faussement lisse, neutre et consensuel dont l’objectif est de rencontrer l’adhésion des enseignants.

La société a évolué et l’école se doit de se mettre au diapason, mais cet inéluctable modernisme, où la technique semble omniprésente, ne doit en rien être anxiogène, c’est au contraire une formidable opportunité d’innovation. Ne vous inquiétez pas, Microsoft est là pour vous faciliter la tâche, accompagner votre créativité et vous aider à vous concentrer sur votre seule préoccupation : la pédagogie et la réussite de vos élèves.

Le mantra est le suivant : l’important ce n’est pas la technique, c’est l’usage que l’on en fait, si possible « innovant ».

L’informatique en tant que telle est volontairement occultée. Parce que si elle se fait oublier alors son choix n’a plus aucune importance. Et dans ces cas-là autant prendre « naturellement » les produits et les logiciels du généreux mécène (qui n’a absolument pas besoin de les mettre en avant, et il s’en garde bien, ça se fait tout seul !).

Concentrons-nous donc sur les pratiques. Rassurons les enseignants et montrons-leur ce que l’on peut faire aujourd’hui de « formidable » avec les nouvelles technologies (ils se trouvent que les démonstrations se font avec des logiciels Microsoft mais c’est à peine si on a besoin de l’évoquer, c’est juste que c’est plus pratique et qu’on les avait sous la main). Mieux encore, construisons ensemble des « écoles 2.0 », mettons les enseignants en relation et organisons de grandes manifestations où les plus dynamiques d’entre eux auront l’occasion de se rencontrer pour échanger, et éventuellement recevoir la « Microsoft Innovative Médaille du Mérite ».

Deux conséquences (fâcheuses)

Puisque l’informatique est un sujet plus que secondaire qui se doit de s’effacer pour être pleinement au service de la pédagogie, il n’y a pas lieu d’en parler, et moins encore d’en débattre. Il n’y a pas de choix à faire et le logiciel libre n’est ni cité, critiqué ou comparé, il est tout simplement nié. Jamais, ô grand jamais, vous n’y verrez la moindre référence sur les sites officiels des programmes « Microsoft Innovative MachinChose ».

Soit, le logiciel libre n’existe pas. Ce n’est pas si grave après tout si on a l’assurance que nos élèves sont entre les bonnes mains des professeurs innovants. Sauf que malheureusement ça ne peut pas être véritablement le cas, parce que ces professeurs sont sans le savoir handicapés car manipulés.

En effet, le logiciel libre à l’école va bien au delà du souhait d’installer et d’utiliser telle application plutôt que telle autre dans son ordinateur. Pris au sens large, c’est d’une véritable culture dont il s’agit, englobant les formats ouverts, les ressources en partage, les pratiques collaboratives spécifiques, la vigilance sur la propriété intellectuelle et la neutralité du réseau, etc.

Il me revient en mémoire cette citation extraite d’un billet sur la politique pro-active du Canton de Genève :

Dans sa volonté de rendre accessibles à tous les outils et les contenus, le « libre » poursuit un objectif de démocratisation du savoir et des compétences, de partage des connaissances et de coopération dans leur mise en œuvre, d’autonomie et de responsabilité face aux technologies, du développement du sens critique et de l’indépendance envers les pouvoirs de l’information et de la communication.

Pensez-vous que ces objectifs soient important et qu’ils aient toute leur place dans une « école du XXIème siècle » ? Si oui, alors ne comptez ni sur Microsoft ni sur ses enseignants sous influence pour sensibiliser réellement nos élèves sur ces questions pourtant devenues majeures aujourd’hui.

Autonomie et responsabilité face aux technologies, mais surtout sens critique et indépendance envers les pouvoirs, sont autant de thèmes qui ne font pas partie de la stratégie éducative de Microsoft. Et pour cause, ils risqueraient de dévoiler quelque chose que l’on cherche pernicieusement à cacher aux enseignants et à leurs élèves : le fait qu’une autre informatique soit possible, impliquant par là-même une autre pédagogie. Et, ne vous en déplaise, cette prise de conscience est déjà « innovante » en soi.

De la déclinaison française du programme

Et en France me direz-vous ?

Je ne connais pas l’étendue du programme « Microsoft Partners in Learning » de notre beau pays. Mais pour avoir ici-même participé à lever certains lièvres par le passé, je puis toutefois émettre quelques solides hypothèses.

Les « Microsoft Innovative Teachers » c’est avant tout l’équipe du Café pédagogique. Ce n’est pas moi qui l’affirme mais le site officiel répertoriant pays par pays les membres de ce réseau d’enseignants. Lorsque vous cliquez sur « France », vous êtes automatiquement renvoyé sur la page d’accueil du Café.

Le Café est accompagné par l’association d’enseignants Projetice (lire à ce sujet Projetice ou le cas exemplaire d’un partenariat très privilégié entre Microsoft et une association d’enseignants), dont la création a, semble-t-il, été directement souhaité et suggéré par Microsoft.

En toute logique, c’est à eux qu’il incombe de monter les « Microsoft Innovative Teachers Forums » dont la création a, c’est certain, été directement souhaité et suggéré par Microsoft. Nous avons ainsi eu Rennes en 2008 et Roubaix en 2009 (lire à ce sujet Du premier Forum des Enseignants Innovants et du rôle exact de son discret partenaire Microsoft et surtout le fort instructif Forum des Enseignants Innovants suite et fin).

Quant à la grande messe qui réunit les lauréats des forums du monde entier, vous pouvez compter sur le Café pour nous en faire de magnifiques et élogieux reportages, comme le dernier en date à Salvador de Bahia (lire à ce sujet En réponse au Café Pédagogique).

Pour le supérieur, il pourrait également y avoir les chercheurs du Groupe Compas (cf la présentation Microsoft) dont la création, elle aussi, aurait été fortement souhaité et suggéré par Microsoft, mais là je manque clairement d’informations.

Toujours est-il qu’on retrouve bien tout ce petit monde dans les encadrés de la brochure commerciale Microsoft 2010 en direction des établissements scolaires.

Un petit monde que l’on peut mobiliser à tout moment, comme par exemple lorsqu’il s’agit de relayer une campagne médiatique autour d’un nouveau produit de la société (lire à ce sujet L’influence de Microsoft à l’école n’est-elle pas disproportionnée ?, campagne qui valu à Microsoft de recevoir le Grand Prix « Acquisition et Fidélisation Clients »).

L’école Châteaudun ou la « Microsoft Innovative School » de chez nous

Pour compléter cet impressionnant dispositif Microsoft, il ne manquait plus que « l’École Innovante ». Et c’est à l’école publique Châteaudun d’Amiens qu’est revenu cet insigne honneur, et ce depuis deux ans déjà.

Le Café pédagogique en a parlé ici, , et tout récemment . Rien d’anormal à cela puisque le Café étant la tête de pont des « Microsoft Innovative Teachers » français, c’est bien le moins que de relayer les annonces de cette grande famille. C’est du reste cette dernière annonce, vendredi 15 janvier, qui a motivé la rédaction de cet article (d’autant plus que chez eux, il est impossible de commenter). Et plus particulièrement cette histoire de « fées autour du berceau ».

À l’origine de ce projet, la rencontre entre le directeur de l’école primaire qui voulait améliorer l’expression écrite et orale de ses élèves, son maire, ministre de l’éducation à ce moment, et le groupe Microsoft qui soutient plusieurs écoles innovantes dans le monde avec le projet d’observer et retenir les innovations. Voilà beaucoup de fées autour du berceau et cela a joué sur le projet car l’équipe éducative a été très sollicitée par les accompagnateurs du projet.

Abondance de fées pourrait-elle nuire ? En tout cas, il y a une fée singulièrement différente des autres, et l’on pourra toujours évoquer une « rencontre » entre les différents acteurs, c’est bien plus sûrement la fée Microsoft, en pleine « Innovative Prospection », qui a su murmurer de manière convaincante à l’oreille du ministre (en l’occurrence, à l’époque, c’était Gilles de Robien).

On remarquera donc d’emblée que les fées du projet et l’équipe éducative sont deux entités bien distinctes. Des fées qui savent manifestement manier leur baguette avec, quand il le faut, l’autorité nécessaire, puisque la décision est venue d’elles, c’est-à-dire d’en haut, et non du terrain, c’est-à-dire des professeurs qui auraient eu vent des « Microsoft Innovative Schools » et qui auraient choisi d’inscrire collectivement et spontanément leur école.

Pour plus de détails sur le projet, il y a, avec toutes les précautions d’usage quant à leur objectivité, cette présentation sur le site de Microsoft (voir aussi ce reportage vidéo interne, au format propriétaire wmv) et cette visite du Café pédagogique.

On pourra également se rendre sur le blog et le site de l’école, créés à l’occasion, dont je vous laisse juge de la qualité et du dynamisme (reposant tous deux sur des solutions libres soit dit en passant).

Quant à la communication, il faut croire qu’avoir aussi bien le ministre que Microsoft penchés au dessus du berceau, aident à la mise en lumière médiatique du projet, avec titres et contenus qui ont dû faire plaisir aux fées : La première école innovante de France (Le Point – février 2008) et Amiens invente l’école numérique de demain (Le Figaro – mai 2008). Ajoutez juste un mot de plus au titre du Point et vous obtenez quelque chose qui oriente sensiblement différemment la lecture : « La première école innovante Microsoft de France ».

Mais plus intéressant et a priori plus rigoureux, on a surtout ce rapport tout chaud réalisé par l’INRP, c’est-à-dire rien moins que l’Institut National de Recherche Pédagogique. Aujourd’hui c’est donc l’heure d’un premier bilan et c’était bien là le motif principal de l’annonce du Café.

Première phrase du rapport : « Cette étude a bénéficié du soutien de Microsoft Éducation ». Et un peu après :

Sollicité par Microsoft Éducation France pour être évaluateur du projet Innovative Schools, d’une durée de deux ans (de septembre 2007 à décembre 2009), au niveau national et international, l’INRP a signé une convention de recherche-évaluation pour (…) faire un suivi du projet et du process des 6i

On retrouve notre constante : c’est toujours Microsoft qui sollicite et non l’inverse. Quant au « process des 6i », c’est absolument fascinant car il s’agit d’un véritable choc culturel.

Nous connaissons un peu les américains. Ils raffolent de ces méthodes en plusieurs points censés améliorer notre vie professionnelle, personnelle ou spirituelle (un exemple parmi d’autres, les douze étapes des Alcooliques Anonymes). On ne le leur reprochera pas, c’est dans leur ADN et certaines méthodes sont au demeurant tout à fait efficaces.

Et c’est ainsi que Microsoft, dans sa volonté universalisante (et uniformisante) de « transformer l’éducation » de ce nouveau millénaire, nous a pondu ce processus à 6 niveaux, ainsi résumé sur cette page :

Cette méthode, les 6i, se déroule en 6 étapes réparties sur 2 années scolaires. Le processus des 6i (Introspection, Investigation, Inclusion, Innovation, Implémentation, Insight) de Microsoft, est un plan de route sur l’élaboration, la mise en œuvre et la gestion des changements basés sur les TIC. Il constitue un guide à l’intention des leaders scolaires pour mettre en place des changements éducatifs sur la base d’approches éprouvées.

Pour ceux que cela intéresse, Microsoft donne plus de détails sur son site anglophone (mais, là encore, méfiance, l’enfer est pavé de bonnes intentions pédagogiquement innovantes).

Le problème (enfin, ça dépend pour qui) c’est qu’à l’école française on n’est pas forcément familier avec cette manière d’appréhender les choses. Je vous laisse imaginer la tête du professeur des écoles, qui pour rappel a subi et non voulu le projet, lorsqu’on lui met une telle méthode entre les mains ! Euh… ça veut dire quoi « Insight » déjà ?

Toujours est-il que malgré le fait que ce « process des 6i » figurait donc noir sur blanc sur la feuille de route de l’étude commandé, le rapport n’en parle presque pas. Il se contente de le décrire à un moment donné (p. 18 à 21) mais sans que cela ait visiblement donné lieu à la moindre tentative d’application avec l’équipe pédagogique puisqu’on n’y revient plus par la suite. Pour tout vous dire, on sent l’INRP comme un peu gêné aux entournures ici (comme ailleurs du reste).

Résistance passive

Les rapports au sein de l’Éducation nationale, c’est tout un poème. Il faut parfois avoir le décodeur, en particulier lorsque l’on évoque les TICE où très souvent, politique moderne oblige, aussi bien l’auteur que le lecteur ont intérêt à ce que l’on décrive, quoiqu’il arrive, une situation positive et un projet réussi. Le projet fonctionne ? On dira qu’il fonctionne très bien. Il ne fonctionne pas ? Et l’on dira alors qu’il est un peu tôt pour en faire un bilan, ou que les conditions d’observation n’étaient pas optimales, etc., mais que malgré quelques « résistances », on note d’ores et déjà de significatives avancées, etc.

Et d’ailleurs, petite parenthèse, lorsqu’il s’agit d’un projet d’envergure dont le rapport remonte en passant par les indispensables étapes de la hiérarchie, on peut se retrouver au final avec un beau décalage entre ce qui se trouve sur le bureau du Ministre et la réalité du terrain (le B2i fournissant à cet égard un excellent exemple, on tient certainement là une cause principale de son étonnante longévité).

Bref ici, je vous invite à lire la conclusion du rapport (muni du fameux décodeur). Entre les lignes, on ne décrypte pas un échec patent mais on ne peut pas dire non plus, et loin de là, que ce soit l’enthousiasme qui prédomine.

Cette conclusion comporte deux parties (c’est déjà mauvais signe) : « Quelques failles constitutives sont repérables pour diverses facettes de l’opération » (on craint le pire), mais heureusement il y a aussi « Les avancées d’une école innovante ».

Morceaux choisis :

Les circonstances de la mise en œuvre de l’innovation dans l’école observée n’ont pas été idéales de ces points de vue et sont, sans l’ombre d’un doute, à l’origine des difficultés éprouvées à la fois par les acteurs locaux et par tous ceux qui ont été chargés de les suivre. L’empilement de dispositifs, de choix, de procédures, jamais clairement négociés avec les enseignants, a pu dérouter. Pour autant, les bénéfices de la démarche d’innovation sont visibles à l’échelle de l’école et encouragent à poursuivre.

On retrouve le plan d’un rapport-type tel que décrit théoriquement ci-dessus.

L’initiative est venue du ministre de l’Éducation nationale lui-même, maire de la ville. Le faible nombre d’enseignants réellement engagés dans l’opération traduit des réticences face à une opération (…)

La forme recherche-évaluation choisie par le Stanford Research Institute (SRI) comme cadre général du pilotage de l’innovation est très éloignée des principes courants d’observation et de suivi habituellement mis en œuvre en France.

C’est peu de le dire. Mais quand on s’embarque ainsi avec des américains, il faut en être bien conscient au départ. Là c’est un peu tard et il convient donc d’assumer.


La charge de travail imposée aux acteurs de l’école, dépassant de très loin la mise en place de l’innovation elle-même, a d’autant plus vite atteint un niveau insupportable qu’elle était inattendue et incompréhensible faute d’avoir été expliquée à l’avance.

L’extrême médiatisation de l’opération (à l’échelle locale puis nationale), avec ses inexactitudes, ses excès, ses effets pervers a achevé d’exacerber une situation dont la dimension politique était relancée par le changement de majorité municipale aux élections du printemps 2008.

Rien d’étonnant à ce que ces dispositions aient accentué la circonspection des enseignants et aient pu conduire au refus de toute observation de situations de classe à partir du mois d’avril 2008. Pour autant de nombreux aspects authentiquement innovants sont apparus dans le déroulement du projet d’école.

Ce dernier paragraphe est symptomatique. Des enseignants ont carrément refusé de jouer le jeu. C’est une lourde et concrète information impossible à censurer. Mais elle est tout de suite suivie et contre-balancée par un argument positif vague et flou, que vient corroborer l’ultime phrase du rapport :

L’innovation est ainsi reconnue et même souhaitée. Ce n’est pas l’innovation en tant que telle qui est recherchée, mais c’est, bien davantage, l’amélioration des résultats de tous les élèves, y compris les moins performants, qui est attendue. Cette exigence s’inscrit dans la droite ligne de l’histoire de notre école républicaine.

Certes, certes. Mais pourquoi notre école républicaine à la si riche histoire aurait-elle besoin de s’appuyer ici sur la « méthode des 6i » tout droit sortie de la cuisse de la multinationale Microsoft ?

Et le Café pédagogique, de s’adonner lui aussi à la conclusion positive aux forceps :

S’il est trop tôt selon l’étude pour constater des changements chez les élèves, elle confirme l’impact sur l’équipe pédagogique. Le projet a bien développé sa capacité d’adaptation aux changements – une faculté tant individuelle que collective qu’exige une société en constante évolution. Ça donne déjà une longueur d’avance à cette école.

En gros, on est venu perturber des professeurs qui n’avaient au départ rien demandé. Et comme il a bien fallu qu’ils s’adaptent, on les félicite d’avoir fait face aux changements. Que l’adaptation ait été vécue positivement ou négativement ne compte pas, c’est une qualité en soi. Voilà une bien maigre « longueur d’avance ».

Et pour en avoir le cœur net, l’idéal serait de recevoir dans les commentaires de ce billet, quelques témoignages de professeurs de cette école.

Parce que, autant appeler un chat un chat , malgré la débauche d’énergies et de moyens matériels et humains mis à disposition, l’expérience Innovative School Châteaudun d’Amiens n’a semble-t-il pas forcément donné tous les résultats escomptés. Microsoft pourra toujours cocher la case « école française » sur sa jolie mappemonde, on ne m’ôtera pas de l’idée que nous sommes face à une belle déception qui ne veut dire son nom.

Résistance active

Mais il y a des résistances bien moins passives et donc bien plus intéressantes que celles de l’école Châteaudun d’Amiens.

Infiltrer une école primaire ne suffisait semble-t-il pas aux responsables de Microsoft France Éducation. Il leur fallait également un établissement du secondaire pour parfaire le tableau.

Ils avaient ainsi repéré un lycée de l’Académie de Créteil. Et là encore il s’agissait de faire passer le projet par le haut, sans en référer au préalable à l’équipe pédagogique de l’établissement.

Mais il y eut un magnifique grain de sable, quelque chose d’imprévisible et inattendu s’est alors produit. Deux enseignantes ont pris leur plume pour courageusement protester publiquement sur le site d’informations rue89. Ce qui a donc donné l’article Pour ses « innovations », l’Éducation nationale s’en remet à Microsoft, qui figure en bonne place dans ma rétrospective personnelle de l’année 2009.

Je vous invite à le lire dans son intégralité (on notera que le logiciel libre y est évoqué et même souhaité), mais je n’ai pu résister à en reproduire ici la percutante introduction :

Nous sommes professeurs de lettres et de philosophie dans un établissement public de France et nous voulons dire notre tristesse. Notre colère. Nous avons appris, il y a peu, que notre établissement déposait un projet d’« école innovante » auprès du rectorat, mené en partenariat avec Microsoft !

Les établissements publics français ont une mission publique d’éducation. Ils doivent, cela va sans dire, évoluer avec leur société : si l’on tient absolument au novlangue actuellement en vigueur à l’Éducation nationale, disons qu’ils doivent « innover » ; mais quel besoin de le faire sous le coaching de Microsoft ?

Que vient donc faire une multinationale dans nos innovations pédagogiques ? Et comment comprendre que ce soit le responsable des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE) au rectorat, autrement dit l’Éducation nationale elle-même, qui encadre ce « partenariat » ?

Nous, enseignantes du service public français, sommes choquées d’avoir à innover par la « méthode des 6i » (« introspection, investigation, inclusion, innovation, implémentation, insight ») mise au point – et brevetée ! – par le groupe Microsoft pour pouvoir formater de façon homogène l’innovation pédagogique de pays différents, et faire émerger l’école du XXI siècle, comme on peut le lire sur le site de Microsoft.

Quelle éloquence, mais surtout quelle évidence !

On remarquera que l’INRP s’est quant à elle tout à fait accommodée de la « méthode des 6i » à Châteaudun. Les « experts pédagogiques » sont semble-t-il plus flexibles et malléables que les profs d’en bas.

Suite à cette tribune, l’une des auteurs m’a contacté pour échanger, voire prendre conseil, parce que figurez-vous qu’elle subissait du coup menaces et pressions de la part de sa hiérarchie !

Mais la hiérarchie s’est ravisée. Je pense qu’elle a réalisé que plus cette histoire allait se médiatiser, plus sa position deviendrait intenable, car les collègues se rangeraient plus que majoritairement derrières les arguments des enseignants.

Autrement dit, victoire, on n’a plus du tout entendu parler de ce projet Microsoft depuis ! La prochaine « Innovative School » française devra attendre. Comme quoi quand on veut…

Et l’article de s’achever ainsi :

L’école en a, des profs « innovants », si l’on tient absolument à les appeler ainsi.

Non, ce n’est vraiment pas le désir d’inventer et de créer qui manque, à l’Éducation nationale.

Mais un prof qui s’entend dire qu’il devra accepter comme une condition nécessaire pour accéder aux moyens de mettre en œuvre ses projets de travailler avec telle entreprise privée, sous sa direction et dans son formatage, dans l’idéologie de ce que doit être l’école du XXIe siècle (sic) selon ladite entreprise, ce prof, dès lors, ne sent plus tellement en lui le désir d’« innover ».

Parce qu’il pressent qu’« innover » dans ces conditions impliquera qu’il abdique une part de sa liberté pédagogique au nom du modèle idéologique en question.

Ce sera également notre conclusion.

Notes

[1] Crédit photo : Lee Carson (Creative Commons By-Sa)




Ce que nous dit Windows Vista de l’Éducation nationale

Cave Canem - CC by-saRetournons le titre de mon billet du jour en mode interrogatif. Qu’est-ce que nous dit l’Éducation nationale de Windows Vista ?

Rien. Elle ne nous a strictement rien dit, et c’est bien là le problème.

Aujourd’hui, l’arrivée de Windows 7 vient refermer le chapitre du système d’exploitation précédent de Microsoft. On aurait cependant tort de ne pas tenter de tirer le bilan de cet épisode, en particulier au sein de l’Éducation nationale française. Parce qu’il se pourrait bien que cet (assourdissant) silence soit révélateur…

Petit retour en arrière. Windows Vista a vu officiellement le jour en janvier 2007. Et très vite, comme nous le rappelle Wikipédia, « de nombreuses critiques ont fusé concernant la faible compatibilité matérielle, le matériel minimum nécessaire, les mauvaises performances et le peu d’innovations depuis Windows XP ».

Un an plus tard paraissait en Angleterre un rapport, riche et détaillé, de la très sérieuse et officielle agence Becta, sur l’opportunité ou non d’utiliser Windows Vista et MS Office 2007 dans les écoles du pays[1].

Les arguments et conclusions de ce rapport étaient sans équivoque.

Pour rappel en voici quelques extraits (dont je vous laisse juge de leur actualité un an et demi plus tard) :

« Les nouvelles fonctionnalités de Microsoft Vista présentent certes un intérêt, mais ne justifient pas une implantation immédiate dans le domaine de l’éducation : les coûts seraient élevés et les avantages loin d’être évidents. »

« Alors qu’on estime à 66% le nombre de machines du parc informatique scolaire pouvant fonctionner avec Vista (d’après la définition de Microsoft), nous estimons quant à nous à 22% le nombre de machines répondant aux critères pour faire fonctionner Vista de manière correcte. »

« Le coût total du déploiement de Vista dans les écoles anglaises et galloises se situe autour de 175 millions de livres sterling (environ 230 millions d’euros). Si cette estimation n’inclut pas les cartes graphiques supplémentaires nécessaires au fonctionnement de l’interface Aero (ce qui augmenterait nettement le montant minimum) elle tient compte des mises à niveau matérielles nécessaires, du coût des licences, des tests ainsi que du coût de la configuration et du déploiement. Environ un tiers de cette somme est imputable au prix des licences Microsoft. »

« Les machines sous Vista pourraient ne fonctionner qu’avec une autre version d’une application voir même seulement avec des produits différents. Cela peut être source de confusion si le personnel ou les élèves doivent travailler avec les deux systèmes d’exploitation. Il pourrait aussi être nécessaire de dupliquer le travail pour certaines leçons ou pour certains projets pour les adapter à Windows Vista et Windows XP. »

« Nous suggérons que les nouvelles machines achetées avec Windows Vista pré-installé soient remises sous Windows XP en attendant que tout le réseau puisse être mis à jour. »

« une standardisation de fait (par l’utilisation généralisée de produits d’un même fournisseur) peut être néfaste pour la concurrence et le choix, ce qui revient à augmenter les coûts. De plus en plus, les gouvernements, les entreprises et le système d’éducation refusent de voir leurs informations contrôlées par un fournisseur unique. Il en résulte un mouvement qui tend à délaisser les formats de fichiers propriétaires pour s’intéresser aux nouveaux formats de fichiers, plus ouverts, sous le contrôle d’un organisme de normalisation efficace. »

« Si l’on n’intervient pas, ces évolutions vont créer, pour les utilisateurs béotiens, une vision de l’intéropérabilité des documents qui sera complexe et partisane, ce qui serait un échec de l’objectif initial d’aller vers des standards ouverts. Microsoft a une position dominante sur le segment des systèmes d’exploitation pour PC et cette position risque d’être renforcée par son approche actuelle des standards de documents ouverts. »

« Contrairement à d’autres secteurs ou la demande pour des solutions en logiciels libres est visible et croissante, les estimations dans le secteur éducatif montrent une demande faible, Becta est vu comme un facteur clé dans l’instauration de cette demande. »

« Au cours des douze prochains mois Becta prendra un certain nombre de mesures pour encourager un choix plus efficace dans le cadre d’un usage éducatif. Ce travail inclura la publication d’un programme de travail dont le but sera de :
– fournir plus d’informations sur le site de Becta sur ce qu’est un logiciel libre et quels sont ses avantages pour l’éducation en Grande-Bretagne
– compléter la base de recherche actuelle qui recense les usages des logiciels libres dans le secteur éducatif et identifier des déploiements modèles de logiciels libres. Cela engloberait également l’esquisse d’un tableau national des usages des logiciels libres dans les écoles et les universités
– travailler avec la communauté du logiciel libre pour établir un catalogue en ligne des logiciels libres appropriés pour l’usage dans les écoles de Grande-Bretagne. Parmi les informations disponibles on retrouvera les moyens d’obtenir une assistance dédiée à ces logiciels et comment contribuer à leur développement futur. Ce catalogue sera publié sous une licence Creative Commons afin que les fournisseurs puissent le modifier pour leur propre usage
– donner des indications aux sociétés de services en logiciels libres pour qu’elles puissent efficacement participer dans de nouvelles structures compétitives et pour qu’elles puissent proposer des logiciels libres via la structure de fournisseurs existante de Becta »

Si nous pouvons vous proposer ces citations directement en français c’est parce que nous avions décidé de traduire ce rapport dans son intégralité, annoncé en juin 2008 sur le Framablog sous la forme d’une question (dont on a malheureusement aujourd’hui la réponse) : Le débat sur Windows Vista et MS Office 2007 à l’école aura-t-il lieu ?

Et pourquoi avions-nous fait cet effort ? Parce que, Anne, ma sœur Anne, nous ne voyions justement rien de similaire venir en France.

Il y a peut-être eu des mémos internes, quelques craintes exprimées ça et là localement sur des sites académiques, et bien sûr de la perplexité chez certains profs d’en bas. Mais, à ma connaissance, aucune étude digne de ce nom, aucune recommandation ou mise en garde publiée publiquement sur les sites nationaux de l’Education nationale, à commencer par Educnet, le site portail des TICE.

Le ministère de la Défense peut qualifier, avec la diplomatie qui le caractérise (mais tout le monde aura compris), Windows Vista de système qui « manque de maturité » et préconiser l’usage des distributions GNU/Linux Mandriva et Ubuntu, la contagion interministérielle n’aura pas lieu du côté de la rue de Grenelle.

Qu’un Café Pédagogique, soutenu par Microsoft, demeure muet si ce n’est pour annoncer benoîtement la sortie de Vista et de ses mises à jour, c’est dommageable mais compréhensible (et c’est même certainement compris dans le prix du soutien), mais il en va tout autrement pour le ministère.

N’en allait-il pas de sa responsabilité de prévenir tous ses établissements scolaires et toutes les collectivités territoriales pourvoyeuses de nouveaux matériels (susceptibles de subir le phénomène de la vente liée), qu’il était au moins urgent d’attendre ? Attente qu’il aurait pu mettre à profit pour évaluer les alternatives libres et prendre enfin les décisions qui s’imposent (comme par exemple ce qui se fait dans le Canton de Genève).

Au lieu de cela un silence radio pour le moins étonnant. Et trois années de perdues pour le déploiement massif, assumé et coordonné du logiciel libre à l’école ! Avec en prime prolifération de Vista et passage à la caisse.

Étudiants, enseignants, parents d’élèves, contribuables, et plus généralement tous ceux désormais nombreux que le sujet intéresse, sont légitimement en droit de se demander pourquoi, afin que cette politique de l’autruche ne se reproduise plus.

Notes

[1] Crédit photo : Cave Canem (Creative Commons By-Sa)