Google : numéro 1 mondial de l’open source ?

Austin Ziegler - CC by-saAh qu’il était doux et rassurant le temps de l’informatique à grand-papa où nous avions nos ordinateurs fixes qui se connectaient de temps en temps et où nous luttions avec confiance et enthousiasme contre le grand-méchant Microsoft !

Ce temps-là est révolu. Nous entrons dans une autre décennie et il se pourrait bien que le principal sujet de conversation de la communauté du logiciel libre dans les dix ans à venir ne soit plus Microsoft (symbole du logiciel propriétaire, j’ai mal à mes fichiers !) mais Google (symbole de l’informatique dans les nuages, j’ai mal à mes données personnelles !)[1].

Firefox, bouffé par Chrome ? Ubuntu, court-circuité par Chrome OS ? Le Web tout entier se transformant petit à petit en un fort joli Minitel 2.0 bourré de services Google à tous les coins de rue ? Ces différents scénarios ne relèvent pas forcément de la science-fiction.

Le problème c’est que nous n’avons plus un Microsoft en face d’une limpide ligne de démarcation. Le problème c’est que nous avons affaire à rien moins qu’au premier contributeur open source de la planète. Et cela rend légèrement plus complexe le positionnement…

La plus grande entreprise mondiale de l’open-source ? Google

World’s biggest open-source company? Google

Matt Asay – 16 septembre 2009 – Cnet news
(Traduction Framalang : Julien et Cheval boiteux)

Red Hat est généralement considérée comme la principale société open source de l’industrie, mais c’est une distinction dénuée de sens parce qu’elle est inexacte. Alors que les revenus de Red Hat proviennent des logiciels open source que la société développe et distribue, d’autres entreprises comme Sun, IBM et Google écrivent et contribuent en réalité à beaucoup plus de code open source. Il serait temps d’arrêter de parler d’entreprises open source et de revenir à l’importance du code open source.

L’open source est de plus en plus le socle sur lequel reposent les entreprises d’internet et du logiciel. Myspace a dernièrement fait des vagues en ouvrant les sources de Qizmt, un framework de calcul distribué (qui curieusement tourne sur Windows Server) qui active la fonction « Personnes que tu pourrais connaître » du site. Mais Myspace, comme l’a noté VentureBeat, n’a fait que rattraper la récente ouverture des sources de Tornado par Facebook.

Aucun d’eux ne le fait pour marquer des points auprès des utilisateurs branchés. S’ils le font, c’est motivé par leurs propres intérêts, qui nécessitent de plus en plus souvent d’inciter des communautés de développeurs à adopter et étendre leurs propres applications et services Web.

C’est également un moyen d’améliorer la qualité des logiciels. En adoptant les projets open source d’une entreprise, puis en l’étendant à travers ses propres logiciels open source, la qualité collective de l’open source est forte et croissante, comme le note Kit Plummer d’Accenture.

C’est cette compréhension de l’intérêt qu’il apporte et la qualité qui en découle qui a fait de l’open source une architecture essentielle pour potentiellement tous les logiciels commerciaux, ce qui signifie que Red Hat et d’autres entreprises qui ne font que de l’open source ne sont désormais plus le centre de cet univers.

Le noyau Linux est composé de 11,5 millions de lignes de code, dont Red Hat est responsable à hauteur de 12% (mesuré en termes de lignes de code modifiées). Même si l’on y ajoute le serveur d’applications JBoss Application Server (environ 2 autres millions de lignes de code) et d’autres projets Red Hat, on obtient toujours un total inférieur à d’autres acteurs.

Prenons Sun, par exemple. C’est le principal développeur derrière Java (plus de 6.5 millions de ligne de code), Solaris (plus de 2 millions de lignes de code), OpenOffice (environ 10 millions de lignes) et d’autres projets open source.

Ou bien IBM, qui a contribué à lui seul à 12,5 millions de lignes pour Eclipse, sans parler de Linux (6.3% du total des contributions), Geronimo, et un large éventail d’autres projets open source.

Google, cependant, est la société la plus intéressante de toutes, car elle n’est pas une entreprise de logiciels en soi. J’ai interrogé Chris DiBona, responsable des programmes open source et secteur public de Google, à propos des contributions de la société dans le domaine de l’open source (NdT : Cf Tout, vous saurez tout sur Google et l’Open Source sur le Framablog). Voici sa réponse :

Au bas mot, nous avons libéré environ 14 millions de lignes de code. Android dépasse les 10 millions de lignes, puis vous avez Chrome (2 millions de lignes, Google Web Toolkit (300 000 lignes), et aux alentours d’un projet par semaine sorti au cours des cinq dernières années. Vous avez ainsi quelques centaines d’employés Google qui patchent sur une base hebdomadaire ou mensuelle.

Si DiBona se garde bien de suggérer que Google soit devenu le premier contributeur open source (« disons que nous sommes parmi les premiers »), c’est néanmoins probablement le cas, en particulier lorsque l’on considère ses autres activités open source, incluant Google Code, l’hébergement du plus grand dépôt peut-être de projets open source, avec plus de 250 000 projets hébergés, dont au moins 40 000 sont actifs, sans parler de son Summer of Code. Après tout, les lignes de code, bien que fondamentalement utiles, ne sont pas nécessairement la meilleure mesure de la valeur d’une contribution à l’open source.

En fait, Patrick Finch de la fondation Mozilla estime que la meilleure contribution de Google à l’open source n’a probablement rien à voir avec l’écriture de nouveau code :

La plus grande contribution de Google à l’open-source n’est sans doute pas du code, mais de prouver que vous pouvez utiliser Linux à grande échelle sur des machines démarquées (NdT : whitebox hardware).

C’est une étape importante, et qui souligne le fait que le label « entreprise open source » est devenu quelque peu obsolète. Google ne se présente pas, à juste titre, comme une entreprise open source. L’open source fait simplement partie de leur stratégie pour distribuer des logiciels qui vont aider à vendre davantage de publicité.

Sun a tenté de se transformer en entreprise open source, mais une fois que son acquisition par Oracle aura été finalisée, cette dernière ne va certainement pas prendre ce label. Pas parce que c’est un mauvais label, mais simplement parce qu’il n’est plus pertinent.

Toutes les entreprises sont désormais des entreprises open source. Ce qui signifie aussi qu’aucune ne l’est. L’open source est simplement un élément parmi d’autres de la politique de développement et de croissance de ces entreprises, que l’on s’appelle Red Hat, Microsoft, Google ou Facebook.

Et étant donné que les entreprises du Web comme Google n’ont pas besoin de monétiser directement l’open source, on va en fait avoir l’occasion à l’avenir de voir encore plus de code open source émerger de la part de ces sociétés que ce qui a déjà été réalisé par ces traditionnelles « entreprises de logiciels open-source » que sont Red Hat, Pentaho ou MySQL.

Notes

[1] Crédit photo : Austin Ziegler (Creative Commons By-Sa)




Le logiciel libre et le mythe de la méritocratie

Banoootah - CC byEn janvier 2008, Bruce Byfield écrivait, dans un article que nous avions traduit ici-même (Ce qui caractérise les utilisateurs de logiciels libres) : « La communauté du Libre peut se targuer d’être une méritocratie où le statut est le résultat d’accomplissements et de contributions ».

Deux ans plus tard, le même nous propose de sonder plus avant la véracité d’une telle assertion, qui ne va finalement peut-être pas de soi et relève parfois plus du mythe savamment auto-entretenu.

Et de poser en guise de conclusion quelques pertinentes questions qui si elles trouvaient réponse participeraient effectivement à combler l’écart constaté entre la théorie et la pratique.

Nos propres discours n’en auraient alors que plus de consistance et de maturité[1].

Les projets open source et le mythe de la méritocratie

Open Source Projects and the Meritocracy Myth

Bruce Byfield – 2 décembre 2009 – Datamation
(Traduction Framalang : Olivier et Cheval boiteux)

« Ce n’est pas une démocratie, c’est une méritocratie. »

On trouve cette déclaration sur la page de gouvernance d’Ubuntu, mais les notes de version de Fedora présentent quelque chose de similaire, tout comme la page Why Debian for developers et partout où l’essence des projets libres et open source (NdT : FOSS) est débattue.

La méritocratie est un mythe, une de ces histoires que la communauté des logiciels libres et open source aime se conter. Par mythe je n’entends pas mensonge, mais cette méritocratie est une histoire que les développeurs se racontent à eux-mêmes pour les aider à se forger une identité commune.

En d’autres termes, l’idée que les logiciels libres et open source sont une méritocratie est aussi vraie que de dire que les États-Unis sont une terre d’opportunité, ou que les scientifiques sont objectifs. Pour les membres de la communauté des logiciels libres et open source cette idée est primordiale dans leur perception du système et leur perception d’eux-même, car ils ont foi en cette idée que le travail est récompensé par la reconnaissance de leurs pairs et l’attribution de plus de responsabilités

Afin de perdurer, il faut que le mythe renferme une part de vérité, et ainsi personne ne le remet en question. Des exceptions peuvent survenir, mais elles seront justifiées, voire niées.

Cependant, si les mythes de la communauté ne sont pas des mensonges, ils ne révèlent pas toute la vérité non plus. Ils sont souvent des versions simplifiées de situations bien plus complexes.

La méritocratie dans les logiciels libres et open source n’échappe, à mon avis, pas à ce constat. Selon le contexte, si vous contribuez dans un bon projet et faites les choses biens, l’aspect méritocratique des logiciels libres et open source s’ouvrira à vous, c’est souvent le cas.

Mais de là à dire que les communautés ne fonctionnent qu’au mérite, il y a un pas que je ne franchirai pas. Le mérite n’est qu’un facteur à prendre, parmi tant d’autres, le mérite seul ne vous accordera ni reconnaissance, ni responsabilités. Bien d’autres considérations, souvent ignorées, entrent en jeu.

Hypothèses contestables

En invoquant l’argument du mérite on tourne rapidement en rond, c’est l’un des problèmes d’une méritocratie. Une hiérarchie est déjà établie, oui, mais comment ? Au mérite. S’ils n’avaient pas de mérite, ils n’auraient pas leur place.

Pas besoin de chercher bien loin pour voir que seul le mérite ne compte pas dans la hiérarchie des logiciels libres et open source. Les fondateurs du projet, en particulier, ont tendance à conserver leur influence, peu importe l’importance de leurs dernières contributions… si tant est qu’ils contribuent toujours au développement.

Par exemple, lorsque Ian Murdock fonda Progeny Linux Systems (entreprise pour laquelle j’ai travaillé) en 2000, il n’avait pas participé au projet Debian depuis quelques années. Et malgré cela, lorsque l’entreprise s’intéressa à Debian, son statut n’avait pas bougé. Tout portait à croire qu’il n’allait pas s’impliquer personnellement dans le projet et pourtant, s’il n’avait pas refusé la proposition, on lui aurait malgré tout attribué le titre de Debian Maintainer sans passer par le processus habituel.

Plus récemment, Mark Shuttleworth est devenu dictateur bienveillant à vie pour Ubuntu et Canonical, non pas à cause de ses contributions aux logiciels libres, mais parce qu’il disposait de l’énergie et de l’argent pour se propulser à ce rang. Sa position au sein d’Ubuntu ou de Canonical n’est pas remise en cause, mais toujours est-il qu’elle ne doit rien au mérite (au sens où l’entend la communauté), mais plutôt à son influence.

Et les leaders ne sont pas les seuls à gagner de l’influence pour des raisons autres que leur mérite. Dans les projets où certains contributeurs sont rémunérés et d’autres bénévoles, les contributeurs rémunérés ont presque toujours plus d’influence que les bénévoles. Dans certains cas, comme sur le projet OpenOffice.org, les contributeurs salariés peuvent presque entièrement éclipser les bénévoles.

D’autres projets, comme Fedora, repartissent l’influence plus équitablement, mais les contributeurs payés occupent souvent des postes à responsabilité. Par exemple, des dix membres du comité d’administration de Fedora, sept sont des salariés de Red Hat. Idem pour openSUSE où trois des cinq membres du comité sont des employés de Novell, le principal sponsor du projet, et un autre est consultant spécialisé dans les produits Novell. Et la situation est similaire dans bon nombre d’autres projets.

Alors oui, vous allez me dire que les membres payés ont plus de temps à accorder à ces responsabilités. C’est juste, mais ce n’est pas le sujet. Le fait est que les membres payés occupent statistiquement plus de postes à responsabilité que les bénévoles. Et c’est toute le postulat de départ qui est remis en cause, on constate alors que votre statut dans le projet n’est pas directement déterminé par votre mérite.

D’autres moyens de se faire remarquer

La méritocratie semble être le système parfait en théorie. Mais le fait est que la théorie est rarement mise en pratique. Avant de le reconnaître, encore faut-il déjà définir ce qu’est le mérite, la communauté des logiciels libres et open source ne fait pas exception.

Bâtie sur le code, la communauté des logiciels libres et open source valorise principalement la capacité à coder, bien que les plus gros projets soient beaucoup plus variés : tests, rédaction de la documentation, traduction, graphisme et support technique. De nombreux projets, comme Fedora et Drupal, évoluent et tentent de gommer cet a priori, mais cela demeure vrai pour la plupart des projets. Ainsi, les noms connus dans les projets ou les personnes qui font des présentations lors des conférences sont majoritairement des développeurs.

Cet a priori est cependant justifié. Après tout, sans le code, le projet de logiciel libre ou open source n’existerait pas. Et pourtant, le succès du projet dépend autant des autres contributions que du code lui-même.

Et comme le fait remarquer Kirrily Robert, blogueur chez Skud, même si certaines contributions sont moins estimées que d’autres, ça n’est pas une raison de les occulter complètement.

Par exemple, la personne la mieux placée pour écrire la documentation pourrait bien être le chef du projet, mais peut-être alors a-t-il mieux à faire que de rédiger la documentation. Il vaut peut-être mieux qu’une autre personne, même moins douée, rédige la documentation. Dans ce cas, celui qui écrit la documentation devrait être remercié, non seulement pour son travail, mais aussi parce qu’il libère l’emploi du temps du chef du projet. Et pourtant ceci est rarement reconnu dans les projets de logiciels libres ou open source.

L’idée que le mérite soit remarqué, reconnu et recompensé est rassurante dans notre culture industrielle moderne. J’aurai même tendance à penser que c’est encore plus rassurant dans le cercle des logiciels libres et open source, dont de nombreux membres admettent être introvertis, voire même se diagnostiquent eux-mêmes comme étant victime du syndrome d’Asperger.

Mais le mérite est-il toujours reconnu dans les logiciels libres et open source ? Voici ce que Noirin Shirley écrit à propos des obstacles à franchir par les femmes pour participer à cet univers :

Souvent, les valeurs reconnues dans une méritocratie deviennent rapidement le couple mérite/confiance en soi et obstination, dans le meilleur des cas. « Le travail bien fait ne vous apporte pas d’influence. Non, pour gagner de l’influence il faut faire du bon travail et bien s’en vanter, ou au minimum le rappeler à tout le monde régulièrement. » Les femmes échouent à cette étape là.

Shirley suggère ici qu’il faut non seulement être bon et régulier, mais il faut aussi savoir se rendre visible sur les forums, chats et listes de discussion, ainsi qu’aux conférences. Puisque les femmes sont apparemment conditionnées culturellement pour ne pas se mettre en avant, elles sont nombreuses à ne pas être à leur avantage dans un projet de logiciel libre ou open source (idem pour les hommes manquant de confiance en eux). Si elles ne peuvent ou ne souhaitent pas s’auto-promouvoir un minimum, leurs idées peuvent passer inaperçues, être sous-estimées ou carrément écartées.

À l’inverse, selon la même logique, certains gagnent en autorité plus parce qu’ils sont sociables ou opiniâtres que pour ce qu’ils réalisent concrètement (j’ai quelques exemples en tête, mais je ne veux pas faire d’attaque personnelle).

Tout comme la démagogie peut pervertir la démocratie, l’auto-promotion peut pervertir la méritocratie. Si un projet n’y prend pas garde, il se retrouvera bien vite à accepter des contributions, non pas sur la base de leur qualité, mais à cause de la visibilité et de l’insistance de celui qui les propose.

L’attraction sociale et comment s’y soustraire

Dans Le mythe de la méritocratie, Stephen J. McNamee et Robert K. Miller, Jr. avancent que la méritocratie aux États-Unis est influencée par ce qu’ils nomment l’attraction sociale. Ce sont des facteurs comme l’origine sociale ou l’éducation qui peuvent modifier positivement ou négativement la perception qu’ont les autres de nos contributions.

D’après moi, l’attraction sociale touche aussi la communauté des logiciels libres et open source, pas simplement parce qu’elle fait partie de notre société industrielle moderne, mais pour des facteurs qui lui sont propres. Reconnaître son existence n’est pas forcément facile, mais ça n’est pas pour autant une remise en cause de la méritocratie dans les logiciels libres et open source. L’importance du travail réalisé par les contributeurs n’en est pas non plus amoindrie.

Au contraire, reconnaître l’existence de l’attraction sociale peut être un premier pas pour améliorer la méritocratie dans le monde des logiciels libres et open source.

Kirrily Robert émet une idée intéressante. À l’instar des auditions anonymes où les musiciennes sont plus facilement choisies lorsque le sexe de la personne qui postule n’est pas connu, Robert propose que les soumissions soient également anonymes afin que leur évaluation ne soit pas biaisée. Si l’augmentation des contributions féminines lui tient à cœur, ces soumissions anonymes pourraient aussi garantir que seul le mérite entre en ligne de compte pour chaque contribution.

Mais ce n’est là qu’une proposition. Si vous voulez que la communauté des logiciels libres et open source devienne véritablement méritocratique, alors elle doit avoir le courage se poser quelques bonnes questions.

Pour commencer, par quel autre moyen peut-on réduire l’importance de l’auto-promotion ? Comment peut-on s’assurer que les employés et les bénévoles soient réellement au même niveau ? Peut-on redéfinir le mérite pour qu’il ne reflète pas uniquement ce qui est lié au code, mais au succès global du projet ?

Répondre à ces questions n’affaiblira pas le principe du mérite. Au contraire, ce principe de base de la communauté devrait en ressortir renforcé, et mieux utilisé. Et c’est, sans aucun doute, ce que souhaite tout supporter des logiciels libres et open source.

Notes

[1] Crédit photo : Banoootah (Creative Commons By)




Vente liée : Un reportage exemplaire de France 3 Bretagne

Lu sur le site de l’AFUL : Éric Magnien, qui a gagné deux fois en justice contre le constructeur ASUS (lire le commentaire détaillé de la décision de justice par Me Frédéric Cuif), s’exprime dans le journal télévisé 19-20 de France 3 Bretagne le 21 décembre 2009 : Un Morbihannais en lutte contre Windows, par Géraldine Lassalle.

—> La vidéo au format webm

Transcript

Voix off : C’est un combat semblable à celui de David contre Goliath. Dans le rôle de David, Éric Magnien, régiseur de théâtre lorientais, dans le rôle de Goliath, le fabricant d’ordinateur Asus. Tout commence en mai 2008 quand Eric décide de s’acheter un ordinateur.

Éric Magnien : Je voulais acheter un ordinateur, mais je ne voulais pas des logiciels qui étaient installés avec, parce que j’utilisais déjà avec un autre ordinateur des logiciels libres, donc sous Linux.

Voix off : Pourtant Éric n’a pas le choix. il doit acheter l’ordinateur avec avec le système d’exploitation de Microsoft déjà installé. Il décide alors de demander au constructeur le remboursement des logiciels Windows dont il n’a pas besoin.

Éric Magnien : Il me demandait à ce que je renvois l’ordinateur à mes frais, à leur service après-vente à Paris, pour effacer totalement le disque dur et enlever l’étiquette de Windows. Donc c’était totalement inacceptable, pour un remboursement de 40 euros alors que dans le commerce ces mêmes logiciels coutaient 205 euros.

Voix off : S’engage alors une bataille juridique qui va durer plus d’un an. Avec l’aide de l’Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres (AFUL), Éric rassemble tous les elements demontrant l’abus dont il est victime. Face à lui une armée d’avocats experts, un combat inégal mais Éric sait qu’il est légitime. En août 2009 la justice condamne le constructeur.

Éric Magnien : C’est une procédure longue, difficile mais nécessaire, et qui vaut le coup parce que c’est notre droit. On a le droit d’obtenir réparation de ce genre de choses, on a le droit d’obtenir le remboursement de ces licences. Et donc c’est aussi pour une certaine idée du droit, de la justice, que j’ai été jusqu’au bout de la démarche.

Voix off : La décision de justice rendu par le tribunal de Lorient pourrait bien décider d’autres consommateurs à faire valoir leurs droits. Le 2 décembre dernier, la société Acer a été condamnée pour la cinquième fois pour des faits similaires.




Paint.NET : du fauxpen source au vrai propriétaire

Copie d'écran - Paint.NETPaint.NET[1] est un très bon logiciel libre de retouches d’images pour Windows. De l’avis de beaucoup, bien plus « sexy » et accessible au grand public que Gimp par exemple.

Sauf qu’il possède deux défauts, un petit et un bien plus grand, éliminatoire même. Il nécessite, comme son nom l’indique, l’implémentation préalable du framework .NET de Microsoft, mais surtout il a très vite été un logiciel libre contesté qui n’avait en fait de logiciel libre que le nom, ou plutôt « que » la licence (en l’occurrence la licence MIT).

Contrôle du code, communauté inexistante et absence des dernières version des sources à télécharger, faisaient en effet de ce logiciel un exemple emblématique de « fauxpen source ». De l’aveu même de Rick Brewster, son unique développeur : « le code source était publié mais il n’a jamais été question d’un projet ouvert et collaboratif qui acceptait des soumissions de code non sollicitées ». Il appelle d’ailleurs cela un logiciel « released sources ».

Aujourd’hui les choses sont clarifiées. Rick Brewster a décidé il y a un mois de changer la licence pour en faire un vrai logiciel propriétaire gratuit (ou freeware). « You may not modify, adapt, rent, lease, loan, sell, or create derivative works based upon the Software or any part thereof », peut-on lire sur l’article de son blog qui annonce la nouvelle.

Cette nouvelle n’est pas forcément bonne (un logiciel qui quitte la lumière pour rejoindre le côté obscur de la force) mais elle est logique et cohérente vue l’évolution de l’application. Il nous a cependant semblé intéressant de traduire cet article, d’abord pour mieux comprendre les motivations de cette migration à contre-courant, mais aussi parce que les arguments avancés sont autant de justifications plus ou moins convaincantes qui vous feront peut-être réagir dans les commentaires.

Une nouvelle licence pour Paint.NET 3.5

A new license for Paint.NET v3.5

Rick Brewster – 9 novembre 2009 – Blog personnel
(Traduction Framalang : Jimbo)

Au fil des années, j’ai été obligé de me battre avec un certain nombre de personnes, et de sociétés, qui tentaient de plagier Paint.NET en recompilant le programme sous une dénomination commerciale différente et en insérant leur propre nom dans les crédits. Parfois, ils se faisaient payer pour ce service. J’ai même créé mon propre terme pour désigner cela : un « backspaceware » (NdT : en français cela donnerait quelque-chose comme « effaciciel », le backspace étant la touche « retour en arrière », qui permet d’effacer le dernier caractère tapé). En outre, de temps en temps, on trouve Paint.NET en vente sur eBay.

Et, comme beaucoup d’entre vous le savent, Paint.NET était open source. Ou plutôt, il était « released sources » (NdT : C’est-à-dire « sources publiées ») : le code source était publié mais il n’a jamais été question d’un projet ouvert et collaboratif qui acceptait des soumissions de code non-sollicitées. J’aimais publier le code source, parce qu’il me semblait bon de permettre à d’autres de l’étudier. Il y a environ un an, fatigué de voir ces versions plagiées de Paint.NET et j’ai décidé de retirer le code source du site Web. Cependant le code source était toujours dans la nature en différents endroits d’Internet (ce qui n’est guère illégal). Même sans le code source, une personne maline et douée pouvait probablement encore décompiler, modifier puis recompiler le programme, afin de lui faire dire ou faire ce qu’elle voulait.

Le plus gros problème était que, même si ces actions déplorables manquaient clairement d’éthique, le licence MIT autorisait tout cela. Ou, du moins, dans certains cas particuliers, ce qu’elle interdisait n’était pas clair. Donc, d’un point de vue juridique, ce qui pouvait précisément être entrepris à ce sujet n’était pas clair. Je ne suis pas juriste et je ne voulais pas dépenser des milliers de dollars pour avoir une explication de tout cela. Quelques personnes ont affirmé que j’avais choisi la mauvaise licence et, avec le recul, c’est sans aucun doute exact.

En outre, tout ceci va plus loin que le plagiat ou ma propre tension artérielle. La publication de copie dérivées de Paint.NET est source de confusion et perturbe la plupart des utilisateurs. J’ai reçu des e-mail de personnes troublées parce qu’elles pensaient que Paint.NET avait été renommé et que des fonctions manquaient dans « la nouvelle version ». Ces copies dérivées provoquent du désordre puisque souvent elles désinstallent le vrai Paint.NET (avec la même interface graphique que pour l’installation Windows) tout en conservant le système de mise à jour d’origine. Ce qui signifie que lorsque vous installez une telle copie dérivée, elle supprime Paint.NET, et puis lorsque Paint.NET est mis à jour, il désinstalle la version dérivée et la remplace par Paint.NET, etc… Ou la version modifiée plante, et le rapport de bugs indique à l’utilisateur de l’envoyer à mon adresse mail. Il y a aussi a risque réel de trojans et de virus.

Tout est désormais fini.

Pour la version finale de Paint.NET 3.5, qui ne devrait plus tarder, j’ai modifié la licence. Pour la plupart des utilisateurs, cela n’aura aucun impact. C’est toujours un freeware. Il n’y a toujours aucune prétention sur les fichiers créés, ouverts ou sauvés avec Paint.NET. Vous pouvez toujours établir un miroir du fichier zippé à télécharger sur votre site web (par exemple Betanews, Download.com, etc.) sans en demander la permission. Vous pouvez toujours vendre des trucs que vous créez avec Paint.NET (pour autant que vous ayez le droit de le faire bien sûr). Vous pouvez continuer à utiliser dans un contexte commercial, et à l’installer sur autant de machines que vous le désirez.

Cependant, la licence spécifie que vous ne pouvez plus modifier Paint.NET lui-même, ou créer une œuvre dérivée basée sur le logiciel Paint.NET (c’est-à-dire un logiciel dérivé). Vous ne pouvez pas non plus le vendre. Je ne pense pas que cela aura un impact sur quiconque d’autre que ceux qui désirent plagier ou détrousser Paint.NET. Je ne vais implémenter aucune restriction quant au reverse engineering ou la décompilation, par exemple à l’aide de Reflector. Je pense que ce serait bête, et je crois encore de tout mon cœur qu’il est bon qu’on soit capable d’étudier le code de Paint.NET, quand bien même il ne s’agit que du démontage approximatif fourni par Reflector. Toutefois, vous n’êtes pas autorisé à modifier et recompiler une nouvelle version de Paint.NET à partir de ce démontage.

Cette décision créera à n’en pas douter de la confusion. Par exemple, « Est-ce que les plugins sont autorisés ? ». Oui, absolument: le programme est conçu pour accepter ces dernier et ils ne constituent pas une modification de Paint.NET lui-même. Je devrai certainement mettre la FAQ à jour sur cette question, comme sur d’autres.

Je m’attends à ce qu’il y ait une minorité bien en voix qui condamne ce changement de licence. Avant de vous exprimer, veuillez vous poser cette question : cela vous touche-t-il réellement ? Comptiez vous vraiment faire quelque chose que cette nouvelle licence interdit ? Je parie que la réponse est « non », mais, je vous en prie, postez un commentaire si la réponse est un véritable oui. Beaucoup de personnes ont condamné ma décision de supprimer le code source mais après enquête, il s’est avéré que c’était une pure question de principe : elles n’avaient jamais téléchargé le code source, jamais rencontré quelqu’un qui l’avait téléchargé, et jamais prévu de faire quoi que ce soit qui tirerait profit ou dépendrait de l’accès au code source. Je comparerai cela à être contrarié par le fait que votre passeport vous interdit de voyager en Antarctique : comptiez-vous vraiment vous rendre là-bas un jour ?[2]

L’autre décision que je compte prendre est de publier le code source de portions de Paint.NET 3.5, probablement sous une licence de type MIT ou BSD. Les développeurs de plugins gagneraient en effet beaucoup à disposer du code source des effets graphiques et de certaines commandes relatives à l’interface WinForms. La meilleure façon de résumer les choses est de dire que la nouvelle licence (NdT : Voir les termes de la nouvelle licence sur l’article d’origine) couvre les « binaires », c’est-à-dire « ce que vous venez de télécharger et d’installer ». Je peux toujours créer des paquets à télécharger qui sont couverts par d’autres termes de licence. D’un point de vue de la philosophie, c’est peut-être déroutant, mais je suis prêt à en payer le prix.

Notes

[1] Crédit photo : Copyright Sabrown100

[2] Comme toutes les métaphores, celle-ci à ses limites.




EnVenteLibre.org ou la petite boutique en ligne commune à Framasoft et Ubuntu-fr

EnVenteLibre - FraMacDonald's - LL de Mars - Art LibreMigration et complémentarité obligent, la collaboration entre Ubuntu-fr et Framasoft ne date pas d’hier. Elle a débuté par des ponts constants entre nos deux forums et des stands communs sur le terrain, s’est poursuivie avec le projet du framabook Simple comme Ubuntu, pour atteindre un premier point d’orgue l’été dernier avec la sortie de la Framakey Ubuntu-fr Remix (ou FUR).

La sortie de cette clé précédant de quelques jours les Rencontres Mondiales du Logiciel Libre de Nantes, nous avons alors décidé de prendre le risque de quitter l’immatériel pour proposer sur nos stands une vraie, et ma foi fort jolie, Framakey à nos deux couleurs. Opération réussie, le défi ludique étant de savoir qui du stand Framasoft ou Ubuntu-fr en vendrait le plus (il me semble que c’est Framasoft qui a gagné, mais d’une courte tête !).

Nous avons réitéré l’expérience aux récentes Ubuntu Party de Paris et de Toulouse, avec le même succès (là c’est Ubuntu-fr qui a largement gagné, mais c’est normal « on jouait à l’extérieur » !).

Tout ça pour dire que nous avions mis un pied dans le processus de vente d’objets physiques. Et comme les deux associations proposaient également, depuis un certain temps déjà, des tee-shirts et autres goodies (mais là encore uniquement lors des évènements), nous nous sommes dits : et pourquoi pas ouvrir une petite boutique commune sur Internet ?

Question d’autant plus opportune que tout le monde ne peut pas forcément se rendre à ces manifestations et que nous recevions de nombreux mails nous demandant justement si il était possible d’acheter en ligne une clé ou un tee-shirt.

Ce souhait se concrétise aujourd’hui avec l’ouverture du site EnVenteLibre.org (ou EVL pour les intimes).

Graphiquergonomiquement parlant, on peut certainement améliorer la chose (on dira que c’est la version 0.1 ou 1.0 du site), mais c’est déjà bien en place, fonctionnel, et testé confidentiellement avec succès par une première vague d’acheteurs que l’on remercie au passage.

Vous remarquerez que ne l’avons pas appelé « FramaTruc » comme nous en avons pris la mauvaise habitude (ici ça aurait pu être « FramaShop » par exemple), mais un nom indépendant de nos deux associations. Vous remarquerez également que chaque association à son onglet sur le site, il est donc potentiellement possible d’accueillir d’autres structures, mais nous n’en sommes pas là…

Cette boutique existe donc d’abord pour répondre à la demande de ceux qui n’ont pas l’occasion de nous rencontrer in the real life. Ceux qui souhaitent se lever le matin un tee-shirt Ubuntu ou Framasoft sur le dos et se réveiller en douceur avec un bon café (ou thé) fumant dans un magnifique mug Ubuntu. Si c’est trop chaud vous pourrez alors poser votre tasse sur la non moins magnifique soucoupe constituée par le CD d’Ubuntu ou le FramaDVD (mais on me souffle dans l’oreillette que ces soucoupes peuvent également servir à autre chose). Et de partir alors au turbin, le sourire aux lèvres et la clé en bandoulière…

Mais redevenons plus sérieux. Cette boutique nous permet aussi et surtout de continuer à diffuser le logiciel libre au plus large public. En effet, avant la boutique, il fallait être capable de télécharger patiemment l’image d’un CD ou DVD et de le graver. Pour la FUR c’était encore plus compliqué : acheter une clé vierge de bonne qualité (nous insistons sur ce point), télécharger le pack, l’installer et rendre la clé bootable sous Ubuntu. Avec la boutique, on peut donc recevoir ces objets optimisés et directement prêts à l’emploi, et nul doute que cela élargira le spectre des personnes souhaitant découvrir et utiliser des logiciels libres (d’autant que nous sommes capables de livrer partout dans le monde).

Enfin il s’agit également de voir si à terme cela peut constituer une éventuelle source de financement pour nos deux associations. Fidèles à une certaine approche des choses, nous avons choisi de ne pas marger outre mesure sur des prix volontairement tirés vers le bas pour les rendre les plus attractifs possibles (sachant que comme nous produisons en petite quantité nous ne pouvons pas obtenir des tarifs de gros préférentiels). Mais, originalité, nous invitons à compléter les achats par un don de votre choix à l’une et/ou l’autre[1] association si vous souhaitez soutenir et encourager leur action.

Sans vouloir être grandiloquents, proposer de « soutenir librement » en même temps que l’on « consomme » nous semble être un modèle intéressant à explorer participant, qui sait, à dessiner les contours d’une future et salutaire société de la contribution. Et lorsque nous ferons les premiers bilans, nous aimerions beaucoup pouvoir témoigner du fait que l’un est souvent allé avec l’autre (pour la bonne santé des caisses de nos associations, mais aussi pour l’exemple à valeur de symbole).

Ces premiers bilans seront l’occasion d’envisager l’avenir (ou non) de ce projet. Et en attendant c’est avec modestie mais enthousiasme que nous vous proposons déjà une petite sélection de produits qui s’étofferont avec le temps si le succès est au rendez-vous.

Quant à la Framakey Ubuntu-fr Remix, si vous en voulez une sous votre sapin (ou celui de vos proches), dépêchez-vous de vous rendre chez EnVenteLibre.org ! Sur les 280 proposées, il n’en reste en effet déjà plus que 160…

PS : Tout le monde a mis la main à la pâte, mais ce projet n’aurait jamais pu voir le jour sans le travail acharné de notre salarié Pierre-Yves Gosset (si vous le croisez, parlez-lui un peu des obstacles légaux, fiscaux, techniques et logistiques qu’il aura fallu surmonter, réaction assurée !). Qu’il en soit ici chaleureusement remercié, et avec lui tous les donateurs qui nous permettent de maintenir ce salarié.

Notes

[1] Pour rappel, Framasoft est autorisé à remettre des reçus fiscaux vous permettant de déduire 66% du montant de votre don de votre prochaine déclaration d’impôts (qui arrive bientôt !).




Hadopi à l’école : transformons la propagande en opportunité

Pink Sherbet Photography - CC byVous ne le savez peut-être pas, mais nous, professeurs, sommes désormais dans l’obligation légale « d’enseigner l’Hadopi » à vos enfants.

C’est évidemment un peu caricatural de présenter la chose ainsi. Sauf que voici ce qu’on peut lire actuellement en accueil et en pleine page de la rubrique Legamédia du très officiel site Educnet : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet (et) demande à l’éducation nationale de renforcer l’information et la prévention auprès des jeunes qui lui sont confiés ».

Le message est on ne peut plus clair, d’autant que Legamédia[1] se définit comme « l’espace d’information et de sensibilisation juridique pour la communauté éducative ».

Dura lex sed lex

Ceci place alors les nombreux collègues, qui n’étaient pas favorables à cette loi liberticide, dans une position difficile. Nous sommes de bons petits soldats de la République mais la tentation est alors réelle d’adopter une attitude larvée de résistance passive. Cependant, à y regarder de plus près, rien ne nous oblige à entrer dans la classe en déclamant aux élèves : « La loi Hadopi favorise la diffusion et la protection de la création sur internet, voici pourquoi… »[2].

Que dit en effet précisément la loi, pour les passages qui nous concernent ici ?

Elle dit ceci (article L312-6) :

Dans le cadre de ces enseignements (artistiques), les élèves reçoivent une information sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique.

Elle dit cela (article L312-9) :

Tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique.

Dans ce cadre, notamment à l’occasion de la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, ils reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur les risques liés aux usages des services de communication au public en ligne, sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin pour la création artistique, ainsi que sur les sanctions encourues en cas (Dispositions déclarées non conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-580 DC du 10 juin 2009) de délit de contrefaçon. Cette information porte également sur l’existence d’une offre légale d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin sur les services de communication au public en ligne.

Et puis c’est tout.

Sous les pavés du copyright, la plage du copyleft

Pourquoi alors évoquer dans mon titre aussi bien une propagande qu’une opportunité ?

La réponse est toute entière contenue dans les deux sous-amendements déposés par M. Brard et Mme Billard en avril 2009 (n° 527 et n° 528).

Ils visaient à ajouter la mention suivante au texte de loi ci-dessus : « Cette information est neutre et pluraliste. Elle porte également sur l’offre légale d’œuvres culturelles sur les services de communication au public en ligne, notamment les avantages pour la création artistique du téléchargement et de la mise à disposition licites des contenus et œuvres sous licences ouvertes ou libres. »

Et les justifications données valent la peine d’être rappelées.

Pour le sous-amendement n° 527 :

L’article L312-9 du Code de l’éducation dispose que « tous les élèves sont initiés à la technologie et à l’usage de l’informatique ». Il serait fort regrettable que sous couvert de prévention et de pédagogie autour des risques liés aux usages des services de communication au public en ligne sur les dangers du téléchargement et de la mise à disposition illicites d’œuvres culturelles, soit présentée comme seule alternative une « offre légale » qui occulterait la mise en valeur et la diffusion des contenus et œuvres sous licences ouvertes et libres. On violerait là, dans la préparation du brevet informatique et internet des collégiens, les principes de la neutralité scolaire sous l’égide même du ministère de l’Éducation nationale.

Pour le sous-amendement n° 528 :

Ce sous-amendement permet de préciser le lien entre « téléchargement » et « création artistique », dans le respect de la neutralité de scolaire.

Il ne s’agit pas de condamner une technologie par définition neutre, mais les usages illicites qui en sont faits, en mettant en avant les usages licites de partage des œuvres culturelles.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture et de partage culturel entre particuliers, qui enrichissent la création artistique.

L’utilisation de ces licences est l’outil adéquat du partage de la connaissance et des savoirs et se montre particulièrement adaptée à l’éducation.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres (licence Art Libre, Creative Commons) sont un excellent moyen de diffusion légale de la culture, et de partage culturel entre particuliers. Qu’il s’agisse de musique, de logiciels ou de cinéma, ces pratiques de création culturelle protégées par le droit d’auteur autorisent la copie, la diffusion et souvent la transformation des œuvres, encourageant de nouvelles pratiques de création culturelle.

Les œuvres sous licences ouvertes et libres ne sont pas des oeuvres libres de droits : si leur usage peut être ouvertement partagé, c’est selon des modalités dont chaque ayant droit détermine les contours. Les licences ouvertes sont parfaitement compatibles avec le droit d’auteur dont les règles, qui reposent sur le choix de l’auteur, permettent que soient accordées des libertés d’usage.

Elles ouvrent de nouveaux modèles économiques en phase avec les nouvelles technologies, comme en témoigne, dans le domaine musical, le dernier album du groupe Nine Inch Nails, distribué sous licence libre sur les réseaux de pair à pair, en tête des albums les plus vendus en 2008 sur la plateforme de téléchargement d’Amazon aux Etats-Unis.

Ces amendements ont été malheureusement rejetés, sous le prétexte fumeux que ça n’était « pas vraiment pas du ressort de la loi mais plutôt de la circulaire » (cf article de l’April). On pourra toujours attendre la circulaire, elle ne viendra pas. Car c’est bien ici que se cache la propagande.

De la même manière que le logiciel propriétaire a tout fait pendant des années pour taire et nier l’existence du logiciel libre en ne parlant que de logiciel propriétaire dûment acheté vs logiciel propriétaire « piraté », les industries culturelles (avec l’aide complice du gouvernement) ne présentent les choses que sous l’angle dichotomique de l’offre légale vs le téléchargement illégal en occultant totalement l’alternative des ressources sous licence libre. Pas la peine d’avoir fait Sciences Po pour comprendre pourquoi !

Nous pouvons cependant retourner la chose à notre avantage, tout en respectant évidemment la loi. Il suffit de présenter la problématique aux élèves sous un jour nouveau. Non plus la dichotomie précédente mais celle qui fait bien la distinction entre ressources sous licence fermée et ressources sous licence ouverte ou libre.

Exemple de plan. Dans une première partie, on évoquera bien entendu l’Hadopi, le téléchargement illégal (les amendes, la prison), l’offre légale, les droits d’auteur classiques de type « tous droits réservés », etc. Mais dans une seconde partie, plus riche, féconde et enthousiaste, on mettra l’accent sur cette « culture libre » en pleine expansion qui s’accorde si bien avec l’éducation.

C’est bien plus qu’une façon plus ou moins habile de « lutter contre l’Hadopi ». C’est une question de responsabilité d’éducateur souhaitant donner les maximum de clés à la génération d’aujourd’hui pour préparer au mieux le monde demain.

Préalablement sensibilisés

Encore faudrait-il, et désolé pour la condescendance, que les enseignants comprennent de quoi il s’agit et adhèrent à cette manière de voir les choses. Ce qui n’est pas gagné, quand on regarde et constate la situation actuelle du logiciel libre dans l’éducation.

La loi stipule que « les élèves reçoivent de la part d’enseignants préalablement sensibilisés sur le sujet une information sur… ». Peut-on aujourd’hui compter sur le ministère pour que cette sensibilisation ne se fasse pas à sens unique (et inique) ? Une fois de plus, je crains fort que non.

Peut-être alors serait-il intéressant de proposer aux collègues une sorte de « kit pédagogique dédié », élaboré conjointement par toutes les forces vives du libre éducatif et associatif ?

L’appel est lancé. Et en attendant voici en vrac quelques ressources internes et non exhaustives du Framablog susceptibles de participer à ce projet.

J’arrête là. N’ayant ni la volonté de vous assommer, ni le courage d’éplucher les quelques six cents articles des archives du blog. Sacrée somme en tout cas, qui me donne pour tout vous dire un léger coup de vieux !

Certains disent que la bataille Hadopi a été perdue dans les faits (la loi est passée) mais pas au niveau des idées et de la prise de conscience de l’opinion publique. Montrons ensemble qu’il en va de même à l’Éducation nationale en profitant de la paradoxale occasion qui nous est donnée.

Notes

[1] Ce n’est malheureusement pas la première fois que le Framablog évoque Legamédia.

[2] Crédit photo : Pink Sherbet Photography (Creative Commons By)




Un Centre de Formation Logiciels Libres pour les Universités d’Île-de-France !

CF2L - La salle de formation - Jean-Baptiste YunesIl reste beaucoup à faire pour améliorer la situation du logiciel libre dans l’éducation en général et dans l’enseignement supérieur en particulier.

C’est pourquoi nous sommes fiers et heureux de pouvoir annoncer une grande première dans le monde universitaire : l’ouverture prochaine du CF2L-UNPIdF, c’est-à-dire Centre de Formation Logiciels Libres – Université numérique Paris Île-de-France en direction de tous les personnels des universités de la région (enseignants, chercheurs, administratifs, techniciens, ingénieurs, bibliothécaires,…).

D’autant plus fiers que Framasoft est directement impliqué en participant de près à la logistique.

Le programme, planning et site officiel seront disponibles prochainement, mais en attendant nous vous proposons un entretien avec le principal artisan de ce projet, Thierry Stœhr (que beaucoup ici connaissent déjà sous d’autres casquettes).

Vous pouvez relayer dès maintenant l’information, maximisant ainsi les chances de toucher le public concerné (contact : cf2l AT unpidf.fr).

Faire en effet salle comble dès la première session (et aux suivantes aussi !) témoignerait du besoin et de l’intérêt du personnel universitaire pour les logiciels libres et nous permettrait de poursuivre et d’étendre les formations au cours des prochaines années. Et au libre de trouver une place logique et méritée[1].

CF2L : Entretien avec Thierry Stœhr

Bonjour Thierry, vous n’êtes pas inconnu en ces lieux mais pouvez-vous néanmoins vous présenter ?

Styeb - CC by-saBonjour Alexis et bonjour aux nombreux lecteurs de Framablog ! Je m’appelle Thierry Stœhr, en effet déjà cité en ces lieux 🙂 Je suis enseignant de formation et je suis dans le monde du logiciel libre depuis 1998. J’ai commencé à m’impliquer dans le libre au travers de l’Association francophone des utilisateurs de logiciels libres (AFUL) en étant au Bureau de son Conseil d’Administration depuis sa création. J’en suis l’actuel président.

J’ai participé à de nombreuses manifestations et actions (comme les RMLL, le groupe éducation de l’AFUL, des conférences,…). Je traitais notamment du sujet des formats et j’ai ouvert en juillet 2004 avec Sylvain Lhullier un site Web sur le sujet, Formats-Ouverts.org (FOo pour faire court). Les formats y sont envisagés et expliqués au sens large (le cas des fichiers, mais aussi avec les capsules de café ou les déménagements). Et donc 5 ans d’âge en juillet dernier pour FOo.

Mais cela fait ne fait pas vivre son homme ! Et dans votre vie professionnelle, il y a aussi du logiciel libre ?

Tout cela était bénévole et hors de mon temps de travail, c’est exact. Mais le logiciel libre est présent professionnellement depuis la rentrée 2009.

En effet j’ai été recruté par l’université Paris Diderot Paris 7 (dont le campus principal est dans le 13e arrondissement, quartier Paris Rive Gauche). Je travaille au SCRIPT (oui, le nom est un clin d’œil et signifie quelque chose de réel : Service Commun de Ressources Informatiques Pédagogiques et Technologiques !). Au sein du SCRIPT j’ai 2 missions. D’une part je suis chargé de coordonner le C2i (Certificat informatique et Internet) que tous les étudiants doivent pouvoir passer au cours de leur licence. Ils ont tous à Paris Diderot un enseignement en informatique général au cours duquel ils travaillent la bureautique et à propos d’Internet. Et le libre est très présent (mais c’est un autre sujet !). D’autre part les logiciels libres occupent la seconde moitié de mes activités au sein du SCRIPT : diffusion interne et externe, veille, information et surtout en ce moment le CF2L.

Le CF2L ?

C’est le Centre de Formation Logiciels Libres, qui pourrait s’écrire CFLL mais CF2L a été retenu. Il s’agit d’une structure mise en place par l’Université numérique Paris Île-de-France (UNPIdF) qui regroupe les 17 universités… d’Île-de-France ! L’UNPIdF a décidé d’ouvrir début 2010 un centre destiné à la formation aux logiciels libres de tous les personnels des universités de la Région (enseignants, chercheurs, administratifs, techniciens, ingénieurs, bibliothécaires,…). Dans le cadre de sa stratégie de formation aux usages du numérique à destination des personnels universitaires, un premier centre de formation, le RTC Apple, a été ouvert début 2009. Il est implanté à l’université Paris Descartes. La volonté de l’UNPIdF est d’avoir aussi des centres à propos des autres plate-formes. D’où l’appel à candidature qui a été lancé pour un centre à propos des logiciels libres. Suite aux réponses obtenues, deux implantations ont été retenues : l’université Paris Descartes et l’université Paris Diderot.

Et quel est votre rôle dans ce CF2L ?

D’une manière générale, il s’agit de le faire vivre, en employant mes compétences et connaissances à propos du libre. Plus concrètement, je suis chargé du volet pédagogique du centre (contenu, programme, calendrier, intervenants,…) avec aussi un volet technique pour s’assurer que tout fonctionne. Mais ce dernier point repose sur les compétences internes en libre, qui sont très importantes. L’université Paris Diderot s’appuie beaucoup sur le libre (mais c’est encore un autre sujet !). Le projet du CF2L est fortement soutenu en interne, notamment par la Mission TICE.

D’ailleurs la mission TICE de l’Université Paris Diderot avait annoncé cette excellente nouvelle, mais les 140 caractères limitaient la description du projet. Nous en savons un peu plus, mais quelques détails supplémentaires à nous donner ?

Le Centre de Formation Logiciels Libres doit ouvrir le 5 février 2010, un vendredi. Ce sera la première journée de formation. Elle devrait porter sur la découverte des systèmes d’exploitation libres, les principes et les concepts généraux, le fonctionnement, l’installation. Bref, les premiers pas, la prise en main et les premières utilisations. Enfin il faut annoncer une autre caractéristique importante à propos du CF2L : Framasoft est partenaire de l’opération auprès de l’UNPIdF. Je suis très content de ce montage qui devrait permettre de belles réalisations.

Un mot de fin ?

Oui, et même quatre : diffuser, montrer, copier, adapter !

Il ne faut pas hésiter à diffuser l’information. Les personnels des universités d’Ile de France seront bien sûr informés officiellement, mais voilà un premier canal, qui va même vers le monde 😉

Montrer au grand jour des logiciels libres développés par des personnels de l’université et pour l’université (et plus largement encore) est possible via le CF2L. Cela peut compléter ce que font déjà PLUME ou Framasoft (je pense par exemple à 2 logiciels libres de 2 universitaires qui se reconnaitront… ; encore un autre sujet !).

Enfin copier et adapter : les logiciels libres sont très présents dans l’enseignement supérieur. Qu’ils se montrent donc encore plus au grand jour… et que ce qui a été mis en place (mon recrutement, le CF2L) soit copié dans d’autres universités et d’autres universités numériques en région, en adaptant (et en améliorant) le dispositif.

Merci pour toutes ces précisions. Et sinon continuez-vous à murmurer ouverts à l’oreille des formats ?

Il faut sans cesse le murmurer et aussi l’affirmer fortement, notamment aux oreilles de tous les enseignants (et des étudiants). Rendez-vous pour la suite (avec le programme, des détails techniques,…) car il y a encore du travail avant l’ouverture du CF2L : La route est longue mais la voie est libre !

Pour de plus amples informations : thierry.stoehr AT script.univ-paris-diderot.fr

Notes

[1] Crédit photos : Jean-Baptiste Yunes et Styeb (Creative Commons By-Sa)




Économie Sociale et Logiciels Libres : Le temps de l’alliance ?

Rolands Lakis - CC byVoici un article de Bastien Sibille susceptible de ne pas laisser notre lectorat indifférent.

Voir en effet le logiciel libre comme « un rempart contre la tentation hégémonique du capitalisme », et qui devrait donc par là-même s’allier à l’économie sociale afin de ne pas perdre « son potentiel émancipateur » et participer de concert à « la reconquête des biens communs », est un point de vue dont l’adhésion est certaine mais pas forcément totale.

L’occasion d’en débattre donc ensemble après lecture[1].

Bastien Sibille est coordonateur de l’Association Internationale du Logiciel Libre (Ai2L) pour l’Économie Sociale. Un article qui fait écho à Sébastien Broca : Du logiciel libre aux théories de l’intelligence collective et qui revisite une nouvelle fois la différence d’approche entre « logiciel libre » et « open source ».

Économie Sociale – Logiciels Libres, le temps de l’alliance

URL d’origine du document

Bastien Sibille – novembre 2009 – version 2.0
Licence Creative Commons By-Nd

Deux mondes co-existent qui dressent des remparts contre la tentation hégémonique du capitalisme : l’un est ancien et puise ses racines dans le XIXe siècle industriel – le monde de l’économie sociale (coopératives, mutuelles, associations…) ; l’autre est plus jeune et tisse ses réseaux dans le XXIe siècle informatique – le monde du logiciel libre. Si les communautés du libre et les entreprises d’économie sociale se connaissent et se côtoient depuis plus d’une décennie, elles ne voient pas souvent combien leurs luttes sont proches. Le temps est venu de dire la proximité de ces luttes et l’urgence de leur alliance.

Raisons de l’alliance

Depuis une vingtaine d’années des communautés d’informaticiens, puis des entreprises informatiques, ont développé ce qu’on appelle des « logiciels libres ». Les logiciels libres sont des logiciels que l’on peut librement exécuter, étudier, modifier et diffuser autour de soi. Ils s’opposent aux logiciels propriétaires dans la mesure où leur code est « ouvert » alors que celui des logiciels propriétaire est « fermé ». L’ouverture est à la fois technique et juridique. Sur le plan technique, le code source des logiciels libres est « lisible » par des êtres humains alors que celui des logiciels propriétaires est distribué en langage machine, ce qui le rend illisible même par les informaticiens. Sur le plan juridique, les logiciels libres sont protégés par des « licences libres » qui assurent qu’ils ne pourront jamais être privatisés et resteront un bien commun.

Les principes qui encadrent la production, la distribution et l’usage des logiciels libres présentent d’importantes synergies avec les principes de l’économie sociale. Il faut tout d’abord relever une synergie dans le rapport à l’accumulation du capital entre les entreprises d’économie sociale et les communautés du libre. Un logiciel, parce qu’il est l’accumulation du travail des femmes et des hommes qui l’ont modelé, est un capital – un capital immatériel. Les licences propriétaires organisent la rémunération de ce capital immatériel: chaque fois qu’il est dupliqué et vendu, il génère un gain sans qu’un travail supplémentaire n’ait été fourni. Dans le cas des logiciels libres, point de rémunération du capital : seul le travail paie. Voilà un premier trait qui place les logiciels libres tout proche des luttes historiques de l’économie sociale.

Ensuite, les modes de production du libre respectent au moins trois autres piliers fondamentaux des entreprises d’économie sociale.

  • La liberté d’entrée et de sortie : un homme entre librement dans une association, et en sort tout aussi librement. Cette liberté est très présente dans la philosophie et la pratique des logiciels libres : tout utilisateur qui le souhaite peut entrer dans le code, l’utiliser, et en sortir librement.
  • Le principe démocratique : un homme = une voix. Cette liberté fondamentale du fonctionnement des associations est à l’œuvre dans les logiciels libres : tout utilisateur du code peut prendre part à la création ou à la modification du code. Les communautés d’usagers des logiciels libres prennent ainsi part à leur amélioration en indiquant aux développeurs les bugs qu’ils ont repérés. Nous sommes ici à l’opposé des modes de production des logiciels propriétaires, dans lesquels quelques informaticiens décident pour tous du fonctionnement du logiciel.
  • L’impartageabilité des réserves pour finir. Lorsqu’un ensemble de femmes et d’hommes créent une richesse logicielle, lorsqu’ils écrivent ensemble le code informatique puis décident de le protéger par une licence libre, ils s’assurent que la richesse produite ne pourra être privatisée : le code restera ouvert à tous. Personne ne pourra se l’approprier. La richesse immatérielle placée sous licence libre ne peut que rester commune.

Urgence de l’alliance

L’alliance des entreprises d’économie sociale et des communautés du libre est une nécessité stratégique. L’intensification de l’usage, depuis les années 1980, de la micro-informatique – traitements de textes, tableurs, agendas – et, depuis le milieu des années 1990, des réseaux informatiques – courriels, sites internet, intranet, prestation de services et paiements en ligne – ont conduit les entreprises d’économie sociale à dépendre de plus en plus fortement des logiciels informatiques. Aujourd’hui, ces logiciels sont majoritairement produits par des entreprises capitalistes. Ces entreprises organisent la rémunération de leurs investissements en « fermant » le code des logiciels, de manière à ce que (1) ceux qui veulent s’en servir soient obligés de les acheter, et (2) ceux qui veulent lire les fichiers créés par ces logiciels soient obligés d’acquérir les logiciels.

Les logiciels propriétaires sont des chevaux de Troie de l’économie capitaliste placés au cœur des entreprises d’économie sociale. Leur utilisation par les entreprises d’économie sociale est extrêmement préoccupante. D’abord parce qu’elle signifie que les structures d’économie sociale reposent, pour une très large partie de leurs activités, sur des outils informatiques qui, de par leur mode de production et leur architecture, ne correspondent pas à leur valeurs. Ensuite parce qu’il rend les structures d’économie sociale dépendantes d’entreprises capitalistes. Au-delà de l’incohérence de valeurs, cette dépendance est inquiétante. Elle signifie, par exemple, que toute la mémoire informatique (l’ensemble des fichiers textes, des images, des tableurs) des entreprises d’économie sociale dépend, pour son utilisation future, de la survie ou du bon vouloir des entreprises capitalistes qui produisent les logiciels.

Aujourd’hui, l’indépendance des structures d’économie sociale vis-à-vis des éditeurs capitalistes du code informatique est possible. Les logiciels libres offrent aux structures d’économie sociale une alternative puissante.

  • Elle est puissante d’abord parce que le code libre est un code pérenne: il pourra toujours être repris, retravaillé, remodelé pour coller au mieux aux besoins des structures qui le déploient.
  • Elle est puissante aussi parce que le code libre est un code solide: dans la mesure où il est ouvert, tous les acteurs compétents de la communauté du libre participent à son amélioration. C’est l’assurance que ses faiblesses sont vite repérées et corrigées.
  • Elle est puissante ensuite parce que le code libre est un code solidaire : les logiciels développés par certaines structures d’économie sociale pourront bénéficier à d’autres. En ayant la possibilité de librement distribuer les logiciels qu’elle utilise, une structure d’économie sociale facilite ses communications électroniques avec des structures partenaires et notamment avec des partenaires qui n’auraient pas eu les moyens d’acheter les logiciels.
  • Elle est puissante enfin parce qu’elle permet aux structures d’économie sociale d’utiliser, dans leurs actions quotidiennes, des outils informatiques qui sont cohérents avec les valeurs pour lesquelles elles se battent. De la même façon que les entreprises d’économie sociale se sont dotées d’instruments financiers et juridiques spécifiques, il est urgent qu’elles se dotent d’instruments informatiques qui respectent leurs principes.

Une alliance est nécessairement un mouvement à au moins deux sens. Les raisons qui encouragent les communautés du libre à s’allier à l’économie sociale ne sont pas moins fortes que celles qui poussent les structures d’économie sociale à adopter les logiciels libres.

Équiper les entreprises d’économie sociale en logiciels libres, c’est équiper des entreprises dont les modes de fonctionnement et de travail sont proches des modes de production des logiciels libres : la coopération, le travail en réseau, le bénévolat sont des éléments particulièrement présents dans le quotidiens des structures d’économie sociale. Les logiciels libres y sont donc soumis à un usage intensif par des utilisateurs plus promptes que d’autres à signaler les bugs aux communautés et à leur faire bénéficier des amélioration des logiciels. Il y a fort à parier que la qualité des logiciels libres augmentera substantiellement s’ils sont largement utilisés par les structures d’économie sociale. D’autre part, la force de frappe informatique des entreprises d’économie sociale est considérable. De nombreuses entreprises d’économie sociale mobilisent des services informatiques importants tant par le nombre d’informaticiens qui y travaillent que par les développements qu’ils ont produits. En s’alliant à l’économie sociale, les communautés du libre pourront compter sur la puissance de feu informatique de celle-ci.

Les logiciels libres et l’économie sociale sont des mouvements d’émancipation. En s’alliant à l’économie sociale, le mouvement du libre rejoint une force de progrès et de justice susceptible de le porter vers de nouveaux horizons ; il rejoint une lutte historique ancienne, profondément enracinée dans nos sociétés, capable de mobiliser des réseaux étendus et variés. Autrement dit, en s’alliant à l’économie sociale, le mouvement du libre intègre un mouvement plus vaste que lui sur lequel il pourra s’appuyer pour continuer à construire sa légitimité.

Ce n’est pas tout. Les communautés du libre sont aujourd’hui à un tournant : la qualité de leur production logicielle les conduit à être de plus en plus au cœur des stratégies de très grandes entreprises informatiques. Le libre d’hier n’est plus le libre d’aujourd’hui, et l’esprit de ses pionniers pourrait bientôt n’y plus rayonner que marginalement. Les enjeux capitalistes commencent à imprimer sensiblement leur marque sur les projets de logiciels libres : le risque est que la réussite du libre ne dissolve son potentiel émancipateur. Ici, l’alliance des communautés du libre avec les structures d’économie sociale prend toute sa dimension – elle assure que le succès du libre ne se fera pas au détriment de son sens politique profond.

Enjeux de l’alliance

Il faut enfin dire qu’une prise de position forte en faveur des licences libres marque, pour les alliés, un engagement dans un débat beaucoup plus large. Dans un monde où les modes de productions sont de plus en plus tournés vers les biens immatériels, les enjeux socio-politiques liés à la propriété intellectuelle deviennent cruciaux et ne s’arrêtent pas aux seuls logiciels. Le brevetage des génomes des plantes et des animaux, des molécules actives des médicaments ou l’augmentation de la durée du droit d’auteur applicable aux œuvres d’art sont des exemples de la violence des mécanismes actuels de privatisation de l’immatériel. La propriété intellectuelle est ainsi au cœur des luttes présentes et futures dans des champs aussi variés que l’agriculture, la santé ou l’art.

En prenant une position claire en faveur des logiciels libres, des licences libres et des modes de production et de diffusion des produits de l’esprit qu’elles organisent, les communautés du libre et les entreprises d’économie sociale s’engagent dans un combat plus vaste que le seul domaine informatique : celui de la reconquête des biens communs. Ce combat est crucial pour l’avenir nos sociétés.

Notes

[1] Crédit photo : Rolands Lakis (Creative Commons By)