Et si l’on créait ensemble une forge libre pour les métiers de l’édition ?

Forgeron - Nadège DauvergneVoilà, on y est. Après la musique, c’est désormais la sphère du livre qui est pleinement impactée, voire bousculée, pour l’arrivée inopinée et intempestive du numérique.

Le second connaîtra-t-il les mêmes difficultés et résistances que le premier ?

On en prend le chemin… Sauf si l’on décide de s’inspirer fortement de la culture et des outils du logiciel libre.

Le samedi 24 septembre prochain, dans le cadre du BookCamp Paris 4e édition, Chloé Girard animera avec François Elie un atelier intitulé « Fabrication mutualisée d’outils libres pour les métiers de l’édition ».

Il s’agira de réflechir ensemble à comment « soutenir et coordonner l’action des professionnels du livre pour promouvoir, développer, mutualiser et maintenir un patrimoine commun de logiciels libres métiers » en développant notamment un forge dédiée destinée à « l’ensemble des acteurs de l’édition (éditeurs, distributeurs, diffuseurs, privés, publics, académiques…) »

L’expérience et l’expertise du duo sont complémentaires. François Elie, que les lecteurs du Framablog connaissent bien, sera en effet ici Monsieur Forge (en théorie dans son livre Économie du logiciel libre et en pratique depuis de nombreuses années au sein de la forge pour les collectivités territoriales ADULLACT). Chloé Girard, partenaire de Framasoft dans le cadre du projet Framabook, fera quant à elle office de Madame Métiers de l’édition.

C’est un entretien avec cette dernière que nous vous proposons ci-dessous.

C’est évidemment l’occasion de mieux connaître l’ambition et l’objectif de cette forge potentielle, en profitant de la tribune pour lancer un appel à compétences. Mais nous avons également eu envie d’en savoir davatange sur la situation générale et spécifique de l’édition d’aujourd’hui et de demain, sans taire les questions qui fâchent comme celle concernant par exemple Google Books 🙂

Remarque : Même si le site est encore en construction, nous vous signalons que les avancées du projet pourront être suivies sur EditionForge.org.

Edit : Finalement François Elie ne sera pas disponible pour l’atelier. Mais il reste bien entendu partie prenante du projet.

Une forge Métiers de l’édition – Entretien avec Chloé Girard

Chloé Girard bonjour, peux-tu te présenter succinctement à nos lecteurs ?

Chloé GirardJe travaille depuis quatre ans avec David Dauvergne au développement d’un logiciel libre pour les éditeurs, La Poule ou l’Oeuf. C’est une chaîne éditoriale destinée à une édition mixte, papier et électronique.

Nous avons parallèlement créé une entreprise de service en informatique libre pour l’édition et travaillons avec plusieurs éditeurs et prestataires de services aux éditeurs pour de la production, parfois industrielle, de livres numériques. Nous travaillons également à la mise en place d’un processus interne de fabrication électronique lié au traditionnel processus papier.

Je suis également responsable de fabrication papier et électronique pour l’éditeur suisse d’érudition La Librairie Droz, et aborde le problème depuis le point de vue de l’éditeur, aspect financier compris.

Je suis donc au croisement entre l’édition associative, l’intégration et le service en logiciel libre métier et la fabrication de livres, papier et numérique chez un acteur traditionnel de la profession. Ces différentes expériences m’ont naturellement portées à me poser certaines questions qui sont à l’origine de mon intérêt pour cette notion de forge. Questions que nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à nous poser. Les différents BookCamp, salons du livre, commissions du CNL (Centre national du livre), associations professionnelles et éditeurs s’interrogent eux aussi sur les besoins, les outils, les limites, les possibles interactions, les manques, les évolutions, les formes, ou encore les formats dans la fabrication et l’exploitation des livres dans leur(s) version(s) numérique(s).

Comment vois-tu l’évolution actuelle du monde de l’édition, fortement impacté si ce n’est secoué, par les nouvelles technologies ?

Chez les petits éditeurs rien n’a changé. Les processus de fabrication sont toujours les mêmes, les livres sont conçus pour sortir en version papier, les processus de fabrication électronique, quand il y en a, sont externalisés et fortement subventionnés. Car peu d’éditeurs ont les ressources techniques, humaines et financières pour mettre au point de nouveaux mode de production en interne. Et leurs partenaires traditionnels n’en savent souvent pas plus qu’eux, d’autant que la question se pose encore de ce qu’il faut faire, de la pérénité des sources électroniques produites aujourd’hui, de ce qu’il faudra re-produire demain. Le marché s’amorce grace aux subventions à la production électronique. Elles se tariront forcément une fois le marché établi.

Pour autant il faudra bien le suivre ! Or les acteurs en bout de chaîne sont difficilement contrôlables. Par exemple les exigences de validité des fichiers ePUB par Apple sur le eBook Store changent régulièrement et renvoient des messages d’erreur que seuls des développeurs peuvent comprendre, et encore. Bref, beaucoup reste à faire. Une chose a changé au cours des trois dernières années c’est que les éditeurs ont compris qu’ils n’ont plus d’autre que d’y aller.

Je pense qu’il faut donner les moyens à tous les éditeurs de prendre les rênes de ces nouvelles technologies pour maintenir dans l’offre électronique une diversité de contenus et de formes que eux seuls, avec leurs auteurs, peuvent imaginer.

Une « forge Métiers de l’édition », mais quel est donc cet ambitieux nouveau projet ?

Une forge est une forme de département de recherche et développement (R&D) externalisé et, surtout, mutualisé. L’idée est de donner aux professionnels de l’édition les moyens de faire développer et évoluer ensemble les logiciels dont ils ont besoin pour leur métier.

Cela consiste en deux choses : d’une part réunir en un même lieu, atelier et magasin, les outils et compétences informatiques qui peuvent travailler ensemble, si nécessaire. Et, d’autre part, encadrer les éditeurs, imprimeurs, distributeurs, dans la rédaction des cahiers des charges de ces nouveaux outils (bureau d’étude).

Évidemment il est plus que souhaitable que ces outils soient libres, pour des questions d’interopérabilité, d’extensibilité, de transfert de compétences… mais aussi d’économies. Le code étant libre il est payé une fois pour son développement puis disponible pour tous. Disponible pour utilisation mais aussi pour le faire évoluer en fonction de nouveaux besoins, de nouveaux outils, de nouveaux support…

Tu évoques aussi « une place de marché entre clients métier, entrepreneurs et communauté du logiciel libre ». Peux-tu nous en dire plus et nous donner quelques exemples réels ou fictifs de situations où la forge est potentiellement un avantage ?

Les forges logicielles, horizontales, réunissent les acteurs du développement d’une application. Ici nous avons une forge cliente mise en place par les utilisateurs (professionnels de l’édition) qui y rencontrent les développeurs (représentés par les forges logicielles) aussi bien que les sociétés leur permettant de créer et de mettre en production ces outils. Les professionnels de l’édition peuvent donc lancer des appels d’offre auprès de prestataires qui peuvent y répondre ensemble ou séparément. Nous avons donc une réelle place de marché métier avec des clients et des vendeurs.

L’intérêt, par rapport à un système d’achat/vente classique de service informatique, c’est la mutualisation des expertises, du code et des services. Les éditeurs aujourd’hui rencontrent de nouveaux besoins, très techniques. Juger de la façon d’y répondre demande une expertise rare et coûte cher (voire très cher). Très peu d’éditeurs savent et peuvent assumer cela seuls et risquent d’y perdre beaucoup.

Imaginons qu’un éditeur convertisse aujourd’hui son catalogue d’ouvrages dans un format donné de livres électroniques. Que fera-t-il, ou plutôt comment fera-t-il si les supports de lecture de livre de demain, ebooks, tablettes ou PC, lisent un autre format que celui-là ou une version plus récente ? Nous sommes ici dans une situation parfaitement concrète et déjà réelle.

Sachant que la conversion d’un ouvrage papier en ePUB aujourd’hui coûte au minimum 1€ la page, qu’environ 60 000 ouvrages sont publiés par an en France et que le patrimoine à convertir regroupe des centaines de milliers d’ouvrages on peut imaginer les conséquences s’il faut re-produire ces fichiers.

Aujourd’hui cette conversion est largement subventionnée. Mais lorsque le marché du livre électronique sera suffisamment amorcé, ces subventions baisseront ou disparaîtront. Il faudra alors que les éditeurs assument seuls l’évolution de leur catalogue électronique. Et qu’ils en assurent l’évolution régulière. Une forge leur permettrait par exemple, si le format de départ est ouvert, de faire développer collectivement un outil de mise à jour automatisée du catalogue. Et de faire évoluer cet outil, avec une réactivité bien plus importante que s’il fallait attendre d’un éditeur de logiciel propriétaire qu’il décide lui-même de la sortie de la mise à jour nécessaire.

Les éditeurs y gagnent en matière d’autonomie, de réactivité sur leur marché et de capacité d’innovation. D’autant que les acteurs logiciels de la forge peuvent y déposer des « appels de demandes » c’est-à-dire des propositions d’innovation ou de développements auxquels les clients n’auraient pas forcément pensé. On a donc un lieu de propositions techniques en même temps que de marché, dans un cadre d’expertise partagée.

L’exemple simple d’évolutivité des formats est un problème que les éditeurs connaissent déjà bien ou qui les retient de se lancer dans l’édition numérique. Mais ils sont confrontés à bien d’autres problèmes : la réunion des processus papier et électronique (PDF imprimeur/ePUB, XML InDesign/XML divers…), l’exploitation des contenus en réseau (schémas de métadonnées, protocoles de communication entre catalogues et serveurs, schémas XML de description de contenus), le chiffrement des fichiers électroniques garantissant l’intégrité d’un document, l’enrichissement d’un ouvrage avec des contenus dynamiques ou multimédia, le lien livres et réseaux sociaux, l’offre de sorties s’adaptant à des écrans divers (graphisme), à des lecteurs divers (niveau de lecture, multilinguisme), sans perdre la notion de référence intellectuelle commune, les livres-applications, la gestion documentaire, les liens éditeurs/distributeurs/diffuseurs, la gestion des droits d’auteur, le lien entre l’exploitation du catalogue et les outils internes de gestion, de facturation, etc. Et encore, ces exemples ne sont qu’un petit apperçu des besoins et questions. Sachant que les réponses vont devoir évoluer au même rythme que les supports de lecture et les systèmes d’exploitation. Et que les problématiques ne sont pas les mêmes selon que l’on édite des romans, des thèses, des livres d’art, des manuels scolaires de la documentation technique ou des revues scientifiques.

Évidemment, chaque éditeur peut faire développer ses propres outils ou payer des licences pour chaque logiciel nécessaire. Mais gérer l’interopérabilité entre ces applications et un système un peu intégré deviendra impossible ou extrêmement onéreux. J’en suis témoin au quotidien. Les professionnels de l’édition ne pourront suivre l’évolution de leur métier, et la maîtriser, que collectivement.

Sauf s’ils décident de tout confier à Google Books !

Il faut considérer Google comme un prestataire comme les autres. Sauf que, étant donné la puissance du prestataire il vaut mieux être théoriquement et technologiquement averti et exigeant ! D’où la nécessité d’avoir ses propres outils pour ne pas être trop vulnérable.

En ce qui concerne leurs livres épuisés Google offre aux éditeurs une solution de facilité pour remettre sur le marché des livres qui n’y sont plus et n’y seront plus sans cela, étant donné le coût que cela représente. Pourquoi pas. La difficulté est alors de rester maître du cahier des charges et il vaut sans doute mieux posséder ses propres sources à négocier auprès de Google Books que de laisser Google convertir puis discuter des conditions.

Dans le passé beaucoup d’éditeurs ont confié la mise en page et l’impression de leurs ouvrages à des prestataires extérieurs, plus petits, plus locaux que Google, sans jamais réclamer en retour ni leurs fichiers natifs ni même les PDF imprimeurs ! Ils sont ainsi aujourd’hui dans certains cas obligés de racheter leurs propres fichiers à ces prestataires ou repartent du papier pour reconstituer leurs sources ! À eux de voir si ils veulent renouveler l’expérience.

Avoir des outils disponibles pour produire leurs sources efficacement et les faire évoluer, leur permettrait de négocier différemment avec Google aujourd’hui mais aussi demain. Parce que demain Google va offrir de nouveaux services sur ces sources. S’il est encore le seul à pouvoir, techniquement, les offrir, il sera à nouveau en position de force. Or ces épuisés constitueront sans doute une part non négligeable des ventes. Il vaut donc mieux se préparer à récupérer ces sources et à les exploiter intelligemment soi-même. Face aux équipes de développement de Google un éditeur seul, ou n’importe lequel de ses prestataires en édition numérique, à intérêt à avoir de sacrés moyens pour offrir des solutions concurrentes.

Pour les publications récentes et nouvelles la question se pose différemment. La question n’est pas seulement de mettre en ligne, de mettre à disposition pour achat, mais bien aussi de créer des versions numériques qui apportent quelque chose de plus par rapport au papier : pour le lecteur, pour l’exploitation des savoirs, pour la conservation du patrimoine. C’est un acte éditorial, ce n’est donc pas Google qui peut s’en charger.

Après, si Google offre des solutions libres assurant l’interopérabilité avec les outils internes de fabrication et de gestion des éditeurs, distributeurs, imprimeurs, etc. Si Google produit des sources ouvertes que les éditeurs peuvent récupérer, retirer, si l’on peut interfacer des outils libres de gestion de droits avec Google Books, si… alors bienvenue à Google au sein de la forge « métiers de l’édition » ! À voir…

Face à Google comme face à n’importe quel prestataire et plateforme d’exploitation il faut que les éditeurs travaillent ensemble, et avec leurs distributeurs, diffuseurs, etc, à des solutions qui leurs permettent de maîtriser leurs oeuvres et leur métier.

Après Google, en quoi cette forge se distingue-t-elle des API censés « ouvrir le contenu aux développeurs » telles que proposées par Amazon ou tout récemment par Pearson ?

L’initiative de Pearson est géniale ! « L’idée est de regarder si la créativité des développeurs permet d’amener l’exploitation de ces contenus dans des directions que les éditeurs n’avaient pas explorées jusqu’alors ». Mais ce qui est intéressant dans l’article de Guillaud c’est aussi sa dernière phrase : « Assurément, Pearson lance un mouvement que les plus gros ne devraient pas tarder de prolonger… »

Que vont faire les petits et moyens éditeurs pendant ce temps-là ? Et les diffuseurs, les libraires ? Je crois que la forge, la mutualisation, un patrimoine d’outils communs, leur permettront justement d’accéder à ce type de moyens d’exploitation, de plateformes éditoriales ouvertes aux codeurs, aux innovations. Demandez aux éditeurs, au hasard, si ils savent ce qu’est une API ! Il faut une sacrée expertise pour mettre en oeuvre ce type d’accès et les faire évoluer, sur les plans technique mais aussi juridique d’ailleurs. Même les gros éditeurs ont besoin, pour la plupart, de mutualiser, au moins en partie, les frais de R&D pour développer et innover dans de tels services. Or c’est ce que tous cherchent à faire. Mais je ne suis pas sûre que Pearson va leur donner ses trucs demain !

Est-ce une application directe et concrète des propositions de François Elie dans son livre Économie du logiciel libre ?

Oui, absolument. Et François Élie nous accompagne dans la réflexion et la présentation du projet, fort de son expérience de l’Adullact (Association des Développeurs et des Utilisateurs de Logiciels Libres pour l’Administration et les Collectivités Territoriales) et de son verbe coloré. La killer application openCimetiere fait toujours son petit effet !

« On ne peut utiliser que des logiciels qui existent » et « un logiciel libre est gratuit une fois qu’il a été payé ». Ces deux phrases extraites de son livre résument bien l’intérêt que peuvent trouver clients et développeurs libres au sein d’une telle forge : 1) coté client : maîtriser ses outils métier, gagner en réactivité, faire, éventuellement, des économies 2) coté développeurs : financer en amont le développement libre, intégrer une place de marché active réunissant des compétences multiples pour ne pas réinventer la roue.

Quels sont les principaux freins que vous risquez de rencontrer et qu’il faudra dépasser d’après toi ? Le poids des habitudes ? L’absence d’une réelle culture de la mutualisation ? La concurrence non libre ?

La forge Adullact, comme son nom l’indique, s’adresse à des clients et des fonds publics. L’idée de dépenser des fonds publics une seule fois pour tous est (semble !) naturelle. Dans le cas d’une forge métiers de l’édition nous nous adressons en grande partie à des acteurs privés. Et le premier frein que nous avons rencontré est bien celui de la mutalisation des fonds : « pourquoi est-ce que je paierais pour des logiciels dont tous bénéficieront, y compris ceux qui n’auraient pas participé ? » Le problème n’est pas seulement celui du partage mais de la perte d’un avantage concurenciel.

En ce qui concerne le partage ce n’est pas très difficile à argumenter : ceux qui en profiteront ne tarderont pas à participer, à hauteur de leurs moyens et de leurs besoins. D’autre part plus un logiciel sera utilisé plus il sera pérenne.

Pour la question de la concurrence c’est plus délicat puisque le service autour des livres électroniques devient un enjeu économique. Il ne s’agit plus seulement de vendre des exemplaires mais aussi des services sur les contenus. Or les outils de fabrication ont un impact sur les possibilités de services commerciaux en aval. Imaginons par exemple un outil offrant de fabriquer des livres avec plusieurs niveaux de contenus auxquels les lecteurs auraient accès ou non selon qu’ils sont acheteur unique, abonnés ou abonnés premium.

Mais les éditeurs sont libres de faire développer certains outils, qui leurs semblent moins concurrenciels dans cette logique de mutualisation, et de faire développer chacun pour soi des extensions ou des modules d’exploitation qui leurs seraient propres. Une forge n’implique pas d’y faire produire tous ses projets. Quitte à se rendre compte finalement qu’il est plus intéressant de les y verser pour les faire maintenir et évoluer collectivement.

Cette logique de mutualisation dans une économie privée et auprès d’acteurs dont les finances sont souvent fragiles n’est pas gagné. Pourtant nous travaillons avec plusieurs éditeurs qui en rêvent. Ils n’ont ni les compétences ni les moyens de faire développer seuls les outils qu’il leur faut et que personne ne leur propose aujourd’hui.

Un autre obstacle est l’absence de culture du logiciel libre dans l’édition : elle était celle que l’on peut imaginer dans un milieu très peu technophile et surtout préoccupé de ne pas avoir à mettre les mains dans le cambouis, l’image du logiciel libre étant celle de la ligne de code dans un terminal. D’autant que les besoins étaient en (très) gros jusqu’ici celui d’un seul outil, de mise en page, propriétaire, cher, produisant un PDF, unique besoin des imprimeurs.

Depuis quelques années la notion de format ouvert fait cependant son chemin, notamment avec le format ePUB et le XML. Mais on est encore dans la logique du bon format, plutôt que dans celle du format ouvert.

J’ai quand même entendu il y a un an et demi un responsable de l’édition électronique chez un éditeur important affirmer qu’il n’utiliserait plus en fabrication que des logiciels libres. Pour des questions de pérénité et de maîtrise de son catalogue.

Mais pour répondre à cela il faut des acteurs et des outils libres qui répondent aux besoins de marchés importants, de volumes importants et d’éditeurs pressés. Il faut des partenaires libres solides, aisément identifiables, dans un écosystème libre métier qui permet de répondre rapidement aux évolutions des besoins.

C’est ce à quoi nous appelons aujourd’hui. Nous devons présenter dès l’origine de cette forge les acteurs du logiciel libre, éditeurs de logiciels, communautés, intégrateurs, pertinents, compétents et innovants pour répondre aux besoins de ces métiers. Nous connaissons un certains nombre de ces ressources et acteurs, mais pas tous. D’autant que certaines des compétences dont ont besoin les éditeurs aujourd’hui étaient jusque-là exploitées dans d’autres domaines métiers, telles que la gestion documentaire.

Nous avons besoin de constituer un catalogue de ressources libres à présenter aux éditeurs pour amorcer cette forge.

Ensuite se posera la question de sa gouvernance puisque, comme pour l’Adullact, la forge est un outil monté par les clients pour les clients, donc par les éditeurs pour les éditeurs. Je pense qu’une association professionnelle métier devrait prendre en charge ce projet comme une forme de nouveau service offert à ces membres.

Deux réunions sont prévues pour envisager concrêtement les actions à mettre en oeuvre pour que cette forge soit effective : le 24 septembre au BookCamp Paris 4 qui se tiendra au Labo de l’Édition (atelier 13) et début octobre dans une réunion organisée par le MOTif, organisme de politique du livre de la Région Île de France.




Produire du logiciel libre, le livre culte enfin en français chez Framabook !

Produire du logiciel libre - Framabook - CouvertureFramasoft est fier et heureux d’annoncer officiellement la sortie d’un nouveau volume à sa collection de livres libres Framabook. Il s’agit de la traduction d’un livre considéré comme une référence chez les développeurs anglophones : Producing Open Source Software, de Karl Fogel.

C’est une évidence, maintes fois constatées : il ne suffit pas de coller une licence libre au code source de son application pour en faire un logiciel libre à succès. Nombreux sont les paramètres à prendre en compte pour se donner les moyens de véritablement réussir votre projet. Cela ne coule pas de source, si j’ose dire, et c’est pourquoi un tel ouvrage peut rendre de grands services.

Ayant payé de sa personne, Karl Fogel n’hésite pas à affirmer lui-même que 95% des projets échouent. Et de rédiger alors ce livre pour contribuer à faire en sortie que le pourcentage restant remonte !

Dans la foulée du framabook sur Unix et sur le langage C, nous faisons un effort didactique tout particulier pour accompagner tous ceux qui souhaiteraient se lancer dans la création de logiciels libres ou rejoindre un projet existant. Nous pensons à ceux qui ne maîtrisent pas forcément d’emblée l’anglais.

Nous pensons également aux jeunes débutants. Parce que, comme cela a déjà été souligné, l’informatique est l’une des grandes absentes de l’enseignement secondaire français. Alors, fille ou garçon, l’étudiant motivé se retrouve bien souvent livré à lui-même et c’est à lui de se débrouiller pour extraire le bon grain de l’ivraie du Grand Internet. Nous espérons lui être utile en lui apportant notamment ici gain de temps et efficacité.

Voici comment le livre est présenté dans le communiqué de presse joint à ce billet :

« Teinté d’humour et de réflexions subtiles, ce livre prodigue de précieux conseils à ceux qui souhaitent commencer ou poursuivre un projet de développement en logiciel libre. Pour cela, Karl Fogel propose une description claire et détaillée des bonnes pratiques de développement. Il initie non seulement le lecteur à la méthode de travail collaboratif mais démontre aussi l’importance des relations humaines dans la réussite d’un projet, comme l’art d’équilibrer actions individuelles et intérêt commun. Identifiés à travers sa longue expérience en gestion de projet open source, différents aspects sont abordés : structurer l’ensemble de la communauté de développeurs, maintenir un système de gestion de versions, gérer les rapports de bugs et leurs corrections, bien communiquer à l’intérieur comme à l’extérieur du projet, choisir une licence adaptée au logiciel… »

Grâce à son expérience du développement open source, Karl Fogel nous livre ici bien davantage qu’une simple marche à suivre pour qu’un projet voit le jour et ait une chance d’aboutir. Il s’agit en effet de détailler les éléments stratégiques les plus importants comme la bonne pratique du courrier électronique et le choix du gestionnaire de versions, mais aussi la manière de rendre cohérents et harmonieux les rapports humains tout en ménageant les susceptibilités… En somme, dans le développement Open Source peut-être plus qu’ailleurs, et parce qu’il s’agit de trouver un bon équilibre entre coopération et collaboration, les qualités humaines sont aussi décisives que les compétences techniques. »

La traduction de cet ouvrage a obéi aux mêmes principes que ceux exposés par Karl Fogel. Elle fut le résultat de la convergence entre les travaux initiés par Bertrand Florat et Étienne Savard et ceux de Framasoft coordonnés par Christophe Masutti. Comme d’habitude, ce livre a été finalisé dans La Poule ou l’Œuf et peut se commander en version papier chez InLibroVeritas pour la modique somme de 15 euros.

Comme d’habitude aussi ce livre est sous licence libre (Creative Commons By) et est intégralement consultable en ligne ou téléchargeable dans sa version numérique sur le site Framabook. Parce qu’ici comme ailleurs, et peut-être même plus qu’ailleurs, il nous apparaît fondamental de pouvoir en assurer sa plus large diffusion et participer ainsi à susciter des vocations.

Nous comptons sur vous pour signaler l’information 😉

Framasoft ne serait rien sans les développeurs de logiciels libres. Ce projet est en quelque sorte une manière pour nous de les remercier.




Sortie de la biographie autorisée « Richard Stallman et la révolution du logiciel libre »

Stallman by NadègeEt voilà. Le framabook Richard Stallman et la révolution du logiciel libre – Une biographie autorisée, publié par les édititions Eyrolles, est désormais officiellement disponible sur la place publique !

Il devrait donc apparaître dès aujourd’hui dans les « meilleures » librairies (elle sont meilleures parce qu’elles proposent le livre of course).

Sur Internet, le livre est à commander chez Eyrolles, Amazon et autres Fnac. Mais sachez qu’on peut d’ores et déjà le trouver sur notre boutique EnVenteLibre où nous en avons stocké une centaine d’exemplaires, avec l’avantage que nous distribuons dans toute la francophonie (le monde entier en fait).

Et les sources, me direz-vous avec perspicacité puisque la licence est libre (en l’occurrence la GNU Free Documentation License) ?

C’est là que, autre grande nouveauté, La Poule ou l’Œuf entre en jeu.

Non seulement La Poule est capable d’un simple clic de nous pondre de très jolis œufs, à savoir les version numériques intégrales du livre aux formats PDF, ePub, HTML (zip) sans oublier évidemment les sources en LaTeX (zip), mais vous avez également la possibilité de lire en ligne le livre dans son intégralité !

Vous trouverez tout cela sur la page dédiée du site Framabook.

C’est pour nous la conclusion d’une sacrée aventure (ouf !).

Nous remercions une nouvelle fois tous ceux qui ont participé avec nous à ce projet. Et nous comptons sur vous pour diffuser l’information et faire gonfler les ventes, histoire de montrer au monde de l’édition que la licence libre et le succès commercial, c’est possible 😉




Il était une fois un livre sur et avec Richard Stallman

Biographie de Stallman - Couverture Eyrolles - 3D HarrypopofLe livre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre – Une biographie autorisée, qui est sorti le 21 janvier aux éditions Eyrolles, possède trois auteurs.

Il y a bien entendu Sam Williams, auteur de la version d’origine en anglais. Mais si nous n’étions qu’en face de sa simple traduction, il demeurerait alors le seul auteur de l’ouvrage. Or deux autres noms apparaissent : Richard Stallman lui-même et Christophe Masutti de Framasoft.

Pourquoi cette originalité et pourquoi méritent-ils tous deux de venir s’associer à Sam Williams ? Vous le saurez en parcourant l’histoire peu commune de ce livre, telle qu’elle a été vécue par Christophe.

Il nous propose une très jolie formule pour expliquer les intentions et les apports de Stallman :
il a souhaité « hacker » le livre.

Avec le même état d’esprit, ou plutôt la même éthique, que lorsqu’il se trouvait, plusieurs dizaines d’années auparavant, jeune programmeur parmi les siens au département de recherche en intelligence artificielle du MIT.

Il était une fois un livre sur et avec Richard Stallman

Christophe Masutti – janvier 2010 – GNU Free Documentation License

Christophe MasuttiTout a commencé en mars 2007, lorsque Alexis Kauffmann a posté un message sur le forum du réseau Framasoft, invitant les volontaires à participer à la traduction du livre de Sam Williams, Free as in Freedom: Richard Stallman’s Crusade for Free Software, publié en 2002 chez O’Reilly sous la licence libre GNU Free Documentation License.

Framasoft a une certaine habitude des traductions et s’est même constitué avec le temps une équipe entièrement dédiée à cela, le groupe Framalang. Il se trouve qu’à cette époque Framalang ne chômait pas et nous ne souhaitions pas leur rajouter une charge de travail supplémentaire avec un livre de quelque 300 pages !

Nous avons donc fait le choix de proposer directement le projet dans un wiki public, et pas n’importe lequel d’entre eux : Wikisource, la bibliothèque libre du réseau Wikimedia. Lors d’une conférence tenue aux Rencontres mondiales du logiciel libre 2009 de Nantes, Alexis donne plus de détails sur le mode opératoire : quelqu’un avait déjà traduit la préface et le premier chapitre du livre sur un site personnel, ce qui nous a servi de base pour créer la structure de l’ensemble du projet sur Wikisource. L’objectif était bien entendu d’arriver à nos fins mais il s’agissait également d’une expérience, celle d’une ambitieuse traduction collaborative et spontanée ouverte à tous, exactement comme on crée, modifie et améliore les articles de Wikipédia.

Un an plus tard, le bilan était contrasté. Nous avions bénéficié de l’exposition de Wikisource et de nombreuses personnes étaient venues participer. Mais quantitativement il restait encore beaucoup à faire et qualitativement ce qui avait été fait manquait singulièrement de cohérence et d’harmonie (ne serait-ce que pour se mettre d’accord sur la traduction de tel ou tel terme important et récurrent). Et puis nous butions sur des questions aussi élémentaires que la décision de « clore » un chapitre traduit, ce qui sur un wiki aussi fréquenté ne va pas de soi.

Ne nous en déplaise, il fallait mettre un peu de « cathédrale dans le bazar », c’est-à-dire un peu de verticalité dans l’horizontalité du projet. Alexis a alors pris la décision de relancer le projet sur le blog de Framasoft, en invitant les bonnes volontés à se regrouper sur une liste de discussion dédiée et créée pour l’occasion. Pour ma part, je pris l’initiative d’animer cette liste qui compta rapidement une bonne dizaine d’inscrits (dans le livre vous trouverez en préambule les remerciements à cette liste nominative de participants).

Notre première décision consista à créer ailleurs un deuxième wiki, mais cette fois-ci loin des regards du réseau Wikimedia. Il ne s’agissait pas de jouer les cachottiers, mais nous en étions arrivés à la conclusion qu’il n’était plus possible de continuer à travailler sur Wikisource, dans la mesure où à tout moment une personne externe à la liste pouvait s’en venir tout « bouleverser » (c’est, j’en conviens fort bien, ce qui fait tout le charme de Wikipédia, mais à cette période d’un projet si spécifique nous souhaitions avant toute chose être efficaces et coordonnés dans notre travail).

Nous nous trouvions cependant face à un dilemme : d’un côté la traduction d’origine sur Wikisource restait bien entendu ouverte et continuait sa vie de texte wiki (bien que fort peu active, puisque la liste avait capté une bonne part de l’énergie disponible) et de l’autre côté, le travail sur notre nouveau wiki prenait forme et la traduction avançait plutôt bien. Une fois terminée, notre intention était de reverser la traduction de Free as in Freedom dans Wikisource, quitte à « écraser » les contributions effectuées dans l’intervalle (ces contributions peuvent néanmoins être réhabilitées grâce à l’historique des modifications). Aujourd’hui, on peut donc trouver sur Wikisource cette traduction française de Free as in Freedom publiée par Sam Williams en 2002. Modulo le fait que quelqu’un est peut-être venu en déplacer un mot il y a une heure 😉

Notre traduction avançait donc plutôt bien jusqu’à obtenir une forme convenable à la relecture en novembre 2008, avec en prime la décision définitive d’en faire un volume de plus de la collection de livres libres Framabook.

Une petite parenthèse est ici nécessaire. En effet, nous travaillions depuis peu en étroite collaboration avec l’équipe de La Poule ou l’Oeuf, qui est une chaîne éditoriale en ligne pour la production de livres, pensés comme unités d’une collection, permettant un rendu final de type TeX, PDF, ePub ou HTML. Ce livre était aussi pour nous l’occasion d’implémenter dans le système non seulement l’ouvrage mais aussi la maquette générale de notre collection Framabook. Nous sommes très heureux du résultat car non seulement la Poule ou l’Oeuf a servi pour la mise en page du livre publié chez Eyrolles, mais ce sont désormais tous les framabooks qui vont bénéficier de la puissance de cet outil et des compétences de l’équipe de la Poule ou l’Oeuf.

Parenthèse fermée. Un mois plus tard, en décembre 2008, j’écrivis à Sam Williams pour lui demander une préface. Il accepta, tout en me précisant qu’il aurait bien aimé que Richard Stallman eût participé aux éventuelles modifications de l’ouvrage en anglais mais que finalement cela ne s’était pas produit. À ce moment-là, je ne compris guère l’allusion qui trouva son explication quelques jours plus tard.

Nous réfléchissions également aux illustrations possibles de l’ouvrage. Il y avait une belle photo de Richard Stallman dans le livre d’origine chez O’Reilly, tirée du site web personnel de Richard. Je contacte donc ce dernier, non seulement pour lui demander l’autorisation d’utiliser sa photo, mais aussi pour l’informer que nous comptions publier la traduction en français (une traduction en italien avait été publiée en 2003).

C’est là que tout a basculé (positivement).

Il faut savoir que le livre Free as in Freedom n’a jamais obtenu l’appui formel de Richard Stallman. Pire : Richard aurait déjà affirmé qu’il était hors de question de venir lui demander un autographe sur le livre. On peut légitimement se demander pourquoi… Certes le travail de Sam Williams est d’abord un travail de journaliste, et il dresse un portrait sans concession de la personnalité de Richard Stallman : introverti, controversé, irascible et intransigeant. Tous ceux qui se sont rendus au moins une fois à l’une de ses conférences et qui sont au courant de ses activités, ont une bonne idée de ce que je veux dire.

Mais ce n’est pas sur ce point que Richard Stallman était en désaccord avec l’ouvrage : il y avait des erreurs manifestes voire des interprétations faussées dans les faits concrets relatés dans l’ouvrage. En somme, un travail mené un peu trop vite et sans assez de recul. Par ailleurs, un programmeur de l’envergure de Richard Stallman met un point d’honneur à vouloir reformuler avec exactitude les approximations, même lorsqu’elles ont été commises volontairement dans le but de rendre l’ouvrage plus accessible. Il n’en demeure pas moins que sous le prétexte de l’accessibilité, certaines approximations transformaient carrément le propos ou les évènements. La manière dont Richard a agit sur le texte est relatée dans sa préface et lorsque le propos relève notamment de l’interprétation personnelle de Sam Williams, les ajouts de Richard sont clairement identifiés dans le livre par des encarts et des notes de bas de page. Les lecteurs pourront donc se faire une bonne idée des transformations ainsi opérées, quitte à aller voir et comparer avec l’original de Sam Williams.

Je prends un exemple : lorsque Sam Williams relate la tension entre Eric S. Raymond et Richard Stallman, on comprend que Raymond accuse Richard d’être la principale cause du manque de réactivité du projet Hurd (le projet de noyau du système GNU), et que cette accusation est fondée (on se doute néanmoins que Raymond n’a pas bien digéré la fin de non recevoir pour les modifications de l’éditeur Emacs qu’il voulait imposer). Pour Williams, et aussi pour Raymond, c’est le « micro-management » à la Stallman, c’est à dire sans concession, qui a freiné Hurd, avec pour conséquence la popularisation du noyau Linux, qui obéit, lui, à un schéma de développement beaucoup plus ouvert. Il serait pourtant simpliste de se contenter de cette interprétation. Richard l’explique autrement, tant en montrant que Hurd n’est pas une mince affaire qu’en montrant aussi que le noyau Linux n’est pas la panacée du point de vue technique comme du point de vue éthique (le plus important à ses yeux).

Bref, suite à mon courriel, Richard me répondit qu’il désirait apporter quelques précisions sur l’épisode LMI et Symbolics, deux entreprises qui débauchèrent le gros de l’équipe de hackers du MIT au début des années 1980. Cet épisode était très important, mais il ne touchait en gros qu’une dizaine de paragraphes dans l’ouvrage. Lorsque j’en fis référence à l’équipe de notre liste de discussion, tout le monde approuva l’idée.

Pourtant, au fil des échanges, Richard me confia qu’il n’avait jamais lu le livre de Sam Williams, et qu’en lisant les chapitres en anglais que je lui envoyais (repris depuis le site personnel de Sam Williams), il ressentait fortement le besoin de le réécrire.

Et tout l’art du hacker se révéla.

Alors que je lui suggérais d’écrire lui-même son autobiographie (d’un certain côté, j’anticipais sur mes craintes : la retraduction de l’ensemble à partir de toutes ces nouvelles modifications !), il se contenta de me renvoyer des chapitres réécris, sur lesquels je faisais un « diff » (une commande Unix permettant d’afficher les différences entre deux fichiers) pour pouvoir implémenter ces modifications dans la traduction française.

Après tout, qu’est-ce qu’un hacker ? Le lecteur en trouvera une bonne définition historique en annexe de l’ouvrage. L’essentiel est de comprendre que « hacker » signifie surtout améliorer, et qu’un bon hacker qui se respecte ne supporte pas l’imperfection. En toute logique, Richard ressentait tout simplement l’envie irrésistible de « hacker » le livre de Sam Williams. Qui d’autre sinon lui ?

J’énonce tout ceci avec le recul que me permet la parution de l’ouvrage. Dans les faits, je recevais plusieurs courriels par semaine contenant les modifications de Richard. Je les implémentais après les avoir lues, demandé des précisions, et argumenté lorsqu’elles étaient discutables. Bref, un travail soutenu qui nous amena Richard et moi jusqu’au début de l’été 2009.

Un mois auparavant, Alexis avait rencontré Muriel Shan Sei Fan, directrice de la collection Accès Libre aux éditions Eyrolles. Et entre la poire et le fromage, il évoqua « l’aventure » de cette traduction qu’il continuait à suivre attentivement. Muriel trouva le projet tant est si bien intéressant qu’elle nous proposa de le publier chez eux.

Nous acceptâmes, mais ce serait vous mentir que d’affirmer que ce fut une décision facile et unanime dans l’équipe. En effet, nous avons, et nous avons encore, nos habitudes chez InLibroVeritas, l’éditeur si particulier et attachant de tous les autres framabooks, avec qui nous travaillons main dans la main depuis des années pour défendre et faire la promotion du logiciel libre et sa culture.

Plusieurs arguments ont cependant pesé dans la balance. Tout d’abord nous n’avions plus affaire cette fois à un livre sur un logiciel libre particulier (Thunderbird, OpenOffice.org, LaTeX, Ubuntu…). Nous étions face à un livre mutant, une traduction devenue « biographie autorisée » car modifiée et enrichie pour l’occasion par son sujet même. Et pas n’importe quel sujet : la plus illustre des personnalités de la jeune histoire du logiciel libre. Cela méritait assurément de rechercher la plus grande exposition possible. Outre sa capacité de diffusion et distribution, Eyrolles nous offrait aussi son expertise et expérience. Le livre avait été traduit et une première fois relu, mais nous étions néanmoins conscients de sa perfectibilité de par les conditions mêmes de sa réalisation mentionnées plus haut (sachant de plus qu’à ce moment précis de l’histoire Richard n’en avait toujours pas fini avec ses propres modifications). Eyrolles a ainsi retravaillé le texte et mis à disposition du projet plusieurs personnes non seulement pour effectuer de nouvelles relectures mais parfois même pour retraduire certains passages. J’ajoute que nous appréciions la collection pionnière Accès Libre qui abrite en son sein de nombreux ouvrages de qualité sur le logiciel libre. Et enfin dernier argument et non des moindres : sous notre impulsion, Eyrolles allait pour la première fois publier d’emblée un livre sous licence libre, avec tous les avantages et inconvénients que cela suppose.

Nous nous rencontrâmes in the real life, Muriel, Richard, Alexis et moi, au cours d’un déjeuner en marge des Rencontres mondiales du logiciel libre de Nantes en juillet 2009. Nous discutâmes des modalités de publication et surtout, justement, de la question de la licence. L’ouvrage d’origine étant sous licence GNU Free Documentation License (à cause d’un Stallman insistant, Sam Williams s’en explique à la fin de son livre), sa traduction ne pouvait que l’être également. Or publier sous licence libre n’était pas dans les habitudes d’Eyrolles et cela ne rentrait pas forcement dans les « cases » de ses contrats types (rien que le fait d’interdire la classique interdiction de photocopier était une nouveauté). De plus nous connaissons les positions sans concession de Stallman dès que l’on touche à ces questions de licence. Mais nous avons néanmoins réussi sans trop de mal à nous mettre d’accord, et il faut rendre ici hommage aux éditions Eyrolles d’avoir su s’adapter et innover.

La dernière ligne droite fut en tout cas aussi passionnante que stressante, avec ses nombreux va-et-vient entre Richard (apportant ses dernières modifications), Eyrolles (éditant à la volée l’ensemble de l’ouvrage), La Poule (obligée à mettre en forme un texte sans cesse en mouvement) et moi (dispersé un peu partout). Toujours est-il que vers la fin décembre 2009, ouf, nous étions prêts et le projet bouclé. Nous méritions tous ce beau cadeau de Noël que nous nous offrions là 😉

De leur côté, Richard Stallman et John Sullivan vont très prochainement publier en anglais le livre dans sa nouvelle version, aux éditions internes à la Free Software Foundation, ajoutant ainsi une dimension supplémentaire au projet. Non seulement nous touchons les lecteurs francophones, mais le monde anglophone pourra aussi se délecter de ce « hack biographique ». Grâce à la licence libre (et aux efforts de quelques uns), le livre, parti des États-Unis, revient à la maison après un détour par la France qui l’aura transformé !

Pour moi, ce livre n’est pas seulement une biographie, même s’il en a l’apparence et la saveur. Il s’agit d’une histoire, celle du mouvement pour le logiciel libre, qui a influencé profondément l’histoire générale de l’informatique depuis la fin des années 1960. On considère généralement cette histoire à travers celle de l’industrie logicielle ou des composants d’ordinateurs. Mais il manque souvent une approche en termes de pratiques d’ingénierie et de circulation de l’information. Le logiciel libre constitue en cela une belle illustration de l’ingénierie logicielle, qui avance non seulement par projet, mais aussi parce qu’elle est fondamentalement un débat permanent sur la disponibilité et le partage de l’information. Lorsque le partage d’idées est impossible (notamment à cause des brevets) et lorsque les développeurs et les utilisateurs sont restreints dans leurs libertés, alors c’est la société toute entière qui pâti de la pénurie de code et de libertés.

Tous les métiers ont leur déontologie. Les informaticiens ont une éthique et ceux qui la distillent sont les hackers. Par delà ses actes et ses programmes, l’un des principaux mérites de Richard Stallman est d’avoir réussi à concentrer et matérialiser cette éthique dans une simple licence (la fameuse GNU General Public License), qui va non seulement fonder, défendre et diffuser le logiciel libre mais qui constitue aujourd’hui une référence et une source d’inspiration pour d’autres mouvements émancipateurs. En fait, les programmes ont toujours été libres, et c’est un non-sens éthique qui les a rendu privateurs à un moment donné. L’histoire de l’informatique est heureusement loin d’être terminée.

Celle de ce livre touche par contre à sa fin, puisqu’il sera officiellement publié le 21 janvier prochain sous le titre Richard Stallman et la révolution du logiciel libre – Une biographie autorisée. Je remercie chaleureusement tous ceux que cette aventure a mis sur notre chemin. Toutes ces rencontres qui font aussi le sel d’un tel projet. À Framasoft, nous sommes fiers d’avoir pu le mener à son terme. Et malgré le labeur qui n’a pas manqué, ce fut un réel plaisir. Plaisir que nous espérons désormais partager avec le lecteur…

Cette histoire touche donc à sa fin, disais-je, mais, licence libre oblige, rien ne dit qu’il ne subisse pas à l’avenir d’autres métamorphoses. Ne serait-ce que parce que Richard est heureusement toujours parmi nous et qu’il lui reste encore certainement de belles pages à écrire dans le livre de sa vie.




Biographie de Richard Stallman : Un peu de teasing en vidéo (version longue)

Le 21 janvier 2010 va donc sortir la « biographie autorisée » de Richard Stallman aux éditions Eyrolles. Et autant vous prévenir tout de suite, comme c’est un évènement de taille pour nous, on risque d’y revenir souvent ces prochains jours sur ce blog.

Dans un précédent billet nous dévoilions simplement la couverture du livre. Aujourd’hui ce n’est plus une minute mais carrément quarante-cinq minutes d’attention qui sont requises si vous voulez en savoir plus (mais alors pour le coup, beaucoup, beaucoup plus).

Il s’agit de la vidéo de l’intervention que nous avons donné l’été dernier aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre de Nantes. La conférence s’intitulait, avec la modestie qui nous caractérise, « La passionnante histoire d’un livre sur Richard Stallman ».

Mais quand bien même ce titre ne soit qu’un clin d’œil à un film célèbre, on peut cependant se risquer à affirmer que nous sommes en face d’un projet pour le moins original. D’abord parce qu’il s’agit du ouvrage collaboratif sous licence libre signé chez un éditeur classique, mais aussi et surtout parce qu’il est plutôt rare de voir le sujet même d’une biographie décider de corriger et modifier sa propre biographie à l’occasion de sa traduction !

La conférence balaie la chronologie du projet et met en scène quatre des principaux acteurs impliqués. Par ordre d’apparition :

  • Alexis Kauffmann (Framasoft), à l’initiative du projet
  • Christophe Masutti (Framasoft), animateur principal du projet
  • Chloé Girard (La Poule ou l’Œuf), pour le logiciel de rédaction et publication du projet
  • Muriel Shan Sei Fan (Eyrolles), l’éditrice du projet

—> La vidéo au format webm

Autres liens de téléchargement (torrents inclus)