Licences Creative Commons, reprise des débats !
Dans un billet précédent, aKa constatait que les utilisateurs des licences Creative Commons (ou CC) optaient dans leur grande majorité pour les clauses les plus restrictives qu’elles proposent.
C’est justement le cas de Ryan Cartwright, auteur régulier de billets sur le Free Software Magazine (FSM), surtout connu pour The Bizarre Cathedral, sa série de comic strips ayant pour sujet le monde de GNU/Linux et des logiciels libres. Cartwright a choisi de publier ses vignettes sous la licence CC BY-NC-SA, c’est-à-dire en bon français Attribution / Pas d’utilisation commerciale / Partage à l’identique[1].
Certains ont reproché ce choix à Cartwright, avançant que ces clauses restrictives allaient à l’encontre de l’esprit du logiciel libre et de ses quatre libertés. Dans un billet publié sur le FSM, dont nous vous proposons la traduction, Cartwright a répondu à ces critiques et justifié son choix, expliquant que selon lui des licences adaptées au code et aux logiciels ne pouvaient pas forcément s’appliquer à des œuvres de création, et que ces clauses permettaient surtout de protéger « l’utilisateur final », dans ce contexte le lecteur de The Bizarre Cathedral.
En bonus, je vous livre une traduction à la volée d’une précision sur les arguments de Cartwright publiée sur le site des Creative Commons par Rob Myers (dessinateur, auteur et bidouilleur membre de la FSF et du CC Network) :
Définir la clause SA comme une restriction comparable à la clause NC est une rengaine à la mode, mais erronée. Cartwright en convient mais finit tout de même par écrire que les deux clauses reviennent au même.
Ce n’est pas de la perspicacité, c’est un vieux bobard éculé. La clause SA empêche que soient ajoutées plus tard des restrictions supplémentaires, et la clause NC est une restriction supplémentaire. Qu’y a-t-il de difficile à comprendre ?
Pourquoi la licence de The Bizarre Cathedral est-elle « non libre » ?
Why is the Bizarre Cathedral Licence "Non-Free"
Ryan Cartwright – 21 octobre 2008 – Free Software Magazine
(Traduction Framalang : Joan, Don Rico et Olivier)
Depuis plusieurs semaines je crée les petites bandes dessinées The Bizarre Cathedral pour le magazine Free Software Magazine. Chacun d’entre eux est mis à disposition sous une licence Creative Commons BY-NC-SA : Paternité – Pas d’utilisation commerciale – Partage des conditions initiales à l’identique. J’ai récemment reçu quelques mails arguant du fait que c’est une licence « non-libre » et remettant en question l’usage que j’en fais ici. Certains de ces mails sont très polis, d’autres m’ont demandé de changer immédiatement la licence (sous-entendu « ou sinon… »). Je ne vais pas modifier la licence, et voici pourquoi.
Les quatre libertés s’appliquent au logiciel, pas à l’art
Les quatre libertés ne peuvent s’appliquer aux travaux créatifs – et particulièrement à quelque chose comme une bande dessinée. Il n’y a pas de code source que les utilisateurs pourraient étudier et modifier. Le copyleft par contre peut s’appliquer aux projets artistiques et les licences Creative Commons sont la forme la plus courante de licences copyleft appliquées à des œuvres artistiques. La FSF (à laquelle la plupart de mes correspondants semblent faire référence dans leurs arguments) indique que les licences Creative Commons sont incompatibles avec la GNU GPL ou la GNU FDL.
Chacun de ceux qui m’ont écrit à propos du choix de la licence pense que le problème réside dans la clause « Pas d’utilisation commerciale » (NC). Apparemment je passe du côté « non-libre » en stipulant aux lecteurs qu’ils ne doivent pas vendre mes travaux. Ce que je ne comprends pas, c’est comment les clauses « Partage des conditions initiales à l’identique » et « Paternité » sont plus libres. En 2004, quand le projet Xfree86 – serveur graphique X-Window – à l’époque omniprésent – a ajouté une nouvelle clause à sa licence indiquant qu’une mention de paternité dans le code ne pouvait être retirée, la communauté du logiciel libre s’est mise en action. Il me semble me souvenir que « scandale » était un mot très en vogue à l’époque. Le projet (libre) X.Org fit un fork et devint le serveur de choix. Pourquoi donc une clause de paternité est-elle libre dans le monde de l’art mais pas dans celui du logiciel ?
Tant qu’on y est, la clause « Partage des conditions initiales à l’identique » ne restreint-elle pas également la liberté ? Ne devrait-on pas avoir le droit de distribuer The Bizarre Cathedral sous la licence de son choix ? Certains clament que la licence GNU-GPL n’est pas vraiment libre car le copyleft restreint la liberté des utilisateurs à redistribuer le logiciel. La même chose peut s’appliquer aux licences CC.
Au bout du compte, la recherche de la liberté absolue pour une licence débouche sur une seule conclusion : pas de licence ou domaine public. « Faites-en ce que vous voulez », tel est le message des travaux du domaine public.
Pourquoi j’utilise cette licence « non-libre »
Il existe parfois de bonnes raisons de limiter les libertés de certains pour assurer une plus grande liberté pour tous. C’est la raison pour laquelle on met les assassins en prison – leur liberté est réduite pour assurer au plus grand nombre la liberté de vivre sans être assassiné (en tous cas, c’est la théorie). Le copyleft procède de la même logique, en réduisant certaines libertés lors de la redistribution, il assure une plus grande liberté pour les utilisateurs finaux. C’est pourquoi j’ai choisi la licence CC BY-NC-SA pour The Bizarre Cathedral.
- BY car je souhaite que les personnes qui obtiennent un seul épisode puissent venir apprécier les autres ici, à FSM.
- SA car je souhaite que tout le monde ait le même accès aux comic strips.
- NC car je souhaite que les gens puissent les apprécier sans aucune dépense. Je suis payé pour les faire, donc je veux qu’ils puissent être appréciés sans coût.
Pour préciser davantage mon sentiment sur la clause NC, je ne suis pas foncièrement opposé à la revente de mes travaux, mais par le passé j’ai découvert que certains se les appropriaient et en demandaient des sommes indécentes. Cela a réduit la portée et l’impact du projet. Plus jamais ça. Les licences CC permettent de retirer chaque restrictions que j’impose sur mes travaux sur simple demande. Donc, si vous souhaitez en vendre un, ou une œuvre dérivée, contactez-moi et nous en discuterons. Comme mentionné plus haut, je n’ai pas d’objections à ce qu’on demande de l’argent pour ce que je fais, j’exige simplement qu’on obtienne d’abord ma permission expresse.
Certains ont été un peu troublés par tout ce ramdam autour de la catégorisation « non-libre » due à la clause NC. Pour résumer, voici ce que vous pouvez faire avec les comic-strips The Bizarre Cathedral :
- Les redistribuer et les partager
- Les traduire
- Les utiliser dans d’autres projets
- Les étudier et les savourer
Vous pouvez faire tout ça à condition de :
- indiquer la source des originaux
- ne pas faire payer ceux à qui vous les proposez
La liberté a énormément de valeur à mes yeux : j’écris du logiciel libre, j’écris pour Free Software Magazine, et j’encourage la liberté dans la vie de tous les jours. Je suis en désaccord sur le fait que la clause NC à elle seule rend « non-libre » cette licence. Je dirais plutôt « moins libre » mais je maintiens qu’en soi elle n’est pas vraiment moins libre que les clauses BY ou SA ou que le copyleft. La GPL est-elle « non-libre » parce qu’on ne peut pas l’associer avec une librairie non copyleftée, ou est-elle seulement moins libre que la LGPL ?
Pour finir, et pour que ce soit clair pour tout le monde, The Bizarre Cathedral restera sous licence CC BY-NC-SA pour l’instant.
Notes
[1] Crédit photo : Kevindooley (Creative Commons By)