Logiciel libre : idée fausse, quand tu nous tiens !

Temps de lecture 8 min

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Skpy - CC by-sa On le sait, les préjugés ont la peau dure, et le logiciel libre a bien du mal à se débarrasser de ceux qu’il traîne derrière lui. Quels que soient ces préjugés, d’où qu’ils viennent, il est assez aisé d’y répondre et de les corriger lorsqu’on s’intéresse un tant soit peu au monde du libre, mais la méconnaissance du « grand public » et les efforts des adversaires du libre pour le dénigrer ont ancré ces idées dans l’esprit de pas mal de gens[1].

Il faut croire que les campagnes de FUD de Microsoft et consorts ont porté leurs fruits, même si heureusement des acteurs du libre tels que Firefox, Wikipédia, OpenOffice.org et Ubuntu, entre autres, contribuent à faire connaître davantage les logiciels libres et à transformer les mentalités. Cependant, malgré les progrès accomplis depuis quelques années, la visibilité croissante et l’image positive qu’est en train de gagner le libre, certaines idées fausses perdurent et constituent sans doute un frein à une adoption plus vaste des logiciels et systèmes d’exploitation libres.

Voici donc un article synthétique[2] qui dresse la liste des cinq idées fausses les plus répandues concernant le Libre, et les arguments à y opposer lorsqu’au détour d’une conversation sur Internet ou chez vos amis un vilain troll pointe le bout de son nez…

Comment mal comprendre le Logiciel Libre

How to Misunderstand Free Software

27 juin 2008 – GetGNULinux.org
(Traduction Framalang : Thomas P., Vincent L., Daria et Yostral)

Cinq idées fausses à propos du Logiciel Libre, avec leurs corrections.

1. L’industrie du logiciel ne peut plus fonctionner si les programmeurs ne sont pas payés.

Commençons par un simple fait : les programmeurs de Logiciel Libre aiment être payés, et ils ont tous besoin d’acheter un déjeuner à un moment ou à un autre. Lorsque nous parlons de Logiciel Libre, nous faisons référence à la liberté, pas au prix. En réalité, vous pouvez payer pour obtenir du Logiciel Libre (ou du logiciel à « source ouverte »), que vous pouvez ensuite étudier, modifier et copier à volonté.

Comment est-ce que cela fonctionne ? Vous pouvez voir cela de cette manière : le logiciel est seulement du code, le code est seulement des mathématiques. Lorsque vous voyez le logiciel comme des mathématiques utiles, un langage élaboré, pas comme de la propriété ordinaire, alors il n’y a pas de raison de limiter son utilisation par d’autres.

Comme pour les mathématiques (où personne ne revendiquerait la propriété d’une équation), le logiciel requiert des connaissances avancées pour être adapté, amélioré, appliqué correctement. C’est là que les programmeurs génèrent des revenus : de nombreux clients, en particulier les entreprises, sont prêtes à payer pour des mises à jour de sécurité régulières et des améliorations de logiciel.

Les entreprises du Logiciel Libre bénéficient d’un système de développement très décentralisé avec un grand nombre de contributeurs bénévoles. Les revenus dans l’industrie du Logiciel Libre sont peut-être plus minces que dans sa contrepartie propriétaire, mais ils ne sont en aucun cas négligeables. Au final, les particuliers finissent généralement par utiliser du Logiciel Libre gratuitement.

Le Logiciel Libre n’a pas pour objet de supprimer les motivations des programmeurs. Il s’agit de voir le code comme de la connaissance qui ne doit pas être cachée à l’utilisateur. Cela fonctionne avec un modèle économique différent, grâce auquel de nombreuses entreprises fonctionnent déjà bien.

2. L’innovation est tuée dans le Logiciel Libre.

Une croyance répandue est que si n’importe qui peut copier des idées, l’innovation va être étouffée.

En réalité, la liberté est souvent la clé d’un logiciel innovant et à succès :

  • N’importe qui est autorisé et encouragé à travailler dessus ;
  • De nombreuses personnes sont prêtes à participer ;
  • Il n’est pas nécessaire de tout ré-inventer, les idées peuvent être améliorées directement.

Les logiciels non-propriétaires apparaissent dans de nombreux domaines, prenons juste quelques exemples :

  • Applications : Firefox (navigateur web), Inkscape (logiciel de dessin vectoriel).
  • Systèmes complets : Apache (serveur web), OpenBSD (système d’exploitation), et bien sûr GNU/Linux.
  • Formats et protocoles : HTML (pages web), BitTorrent (partage de fichiers), ODF (documents bureautiques).
  • Applications serveur : Drupal (Système de gestion de contenu), WordPress (blog).

3. Tout ce qu’on attend d’un logiciel, c’est que ça fonctionne (qui se soucie du code source ?)

Tout le monde devrait se préoccuper de savoir si son logiciel est libre. Imaginez que vous achetez une voiture dont vous avez interdiction d’ouvrir le capot. Peu importe que vous sachiez comment fonctionne une voiture – le fait est que personne ne sera en mesure de vérifier le moteur. Comment pouvez-vous avoir confiance dans votre voiture, si personne ne peut s’assurer qu’elle est fiable, qu’elle ne fuit pas, qu’elle n’est pas nuisible à la société et à l’environnement ?

L’idée est la même avec le logiciel – excepté que le code fait bien plus que de bouger des voitures. Le logiciel fait tourner nos ordinateurs, téléphones, TV, lecteurs multimédia et bien plus encore, transportant de l’information et notre culture.

Le logiciel libre est aussi important que l’expression libre, que le libre marché. Si le logiciel est libre, les utilisateurs en ont le contrôle tout en gardant leur indépendance vis-à-vis de lui.

Bonnes nouvelle : en plus de tout, le logiciel libre aussi, « Ça fonctionne ». Et en fait, bien souvent, il fonctionne mieux. Démarrez votre PC sur un live-CD GNU/Linux, pour essayer un système bien organisé, tout compris, sans installation, afin de vous en rendre compte par vous-même.

4. Le logiciel libre ne respecte par les droits d’auteurs et les logiciels brevetés.

Pour répondre correctement à ceci, nous devons faire une nette distinction entre le droit d’auteur et les brevets. Le droit d’auteur est un droit attribué à l’auteur sur sa création (par exemple le texte d’un livre, ou le code source d’un programme). Un brevet, quant à lui, est un contrôle exclusif enregistré, payé, sur un processus ou l’application d’une idée.

Les droits d’auteur sont très importants dans le logiciel libre. C’est le mécanisme même, central à la GNU General Public License, qui assure que le logiciel demeure libre, et que les auteurs voient leur travail crédité. Les programmes sont sujets à droits d’auteur, qu’ils soient libres ou propriétaires.

N’importe quel auteur de logiciel propriétaire peut facilement vérifier que son droit d’auteur n’a pas été violé dans une application du logiciel libre, puisque son code source est facilement disponible.

Les brevets logiciels, d’un autre côté, sont un concept très controversé. Pour faire bref : il n’y a rien de tel qu’un « logiciel breveté ». En enregistrant un brevet, toutefois, quelqu’un peut revendiquer sa propriété d’un processus. Le brevet s’applique alors à tous les logiciels qui utilisent ce processus, qu’ils soient propriétaires ou libres. Les brevets logiciels :

  • Sont onéreux et sont délivrés seulement quelques semaines après leur application ;
  • Sont limités géographiquement (un brevet délivré aux USA est inutile en Europe) ;
  • Ont une longue durée de vie (souvent 20 ans) dans une industrie qui bouge vite ;
  • Sont souvent complètement triviaux (c’est à dire sans innovation réelle).

En tant que tel, ils sont rarement utilisés pour bénéficier aux innovateurs (et en fait, rarement utilisés par les innovateurs eux-mêmes).

On peut dire sûrement que n’importe quelle partie de taille moyenne d’un logiciel viole des brevets, dans plusieurs pays, qu’il soit libre ou non. En fonction de la capacité de la société détentrice à couvrir de lourds frais juridiques et à se défendre contre des actions légales vengeresses, des royalties et des restrictions peuvent être appliquées grâce à ces brevets.

5. Le logiciel libre est comme le communisme.

Les partisans de cette idée soutiennent qu’il ne peut y avoir de propriété privée avec le logiciel libre (ou « Open Source »). Répondons à ceci avec un exemple.

Supposons que vous utilisez une application qui est du logiciel libre, chez vous et dans votre société. Vous trouvez une belle façon de l’améliorer, de telle manière que maintenant avec votre version modifiée, votre ordinateur fonctionne mieux, et vos usines tournent deux fois plus vite !

Cette version modifiée est votre propre version. Vous n’êtes pas obligés d’en parler à quiconque, ni de partager aucun profit que vous avez fait en l’utilisant. Vous exercez simplement votre liberté à utiliser et modifier le logiciel libre.

Ce que demande la licence sur le logiciel libre est que si vous redistribuez le logiciel, alors vous devez le laissez libre. A savoir, si vous vendez des CD avec votre logiciel, ou commencez à laisser des personnes en dehors de chez vous ou de votre société l’utiliser, alors vous devez :

  • Soit donner à chacun les mêmes droits que lorsque vous aviez obtenu le logiciel original, c’est-à-dire, la liberté d’inspecter, modifier et redistribuer la version modifiée ;
  • Ou, séparer clairement le logiciel original et vos ajouts secrets (c’est-à-dire que vos ajouts ne doivent rien contenir de l’oeuvre originale).

Vous « possédez » donc davantage un logiciel libre qu’un logiciel propriétaire, dont le concepteur décide de ce que vous pouvez ou ne pouvez pas en faire.

Le logiciel libre n’a rien à voir avec un système politique. Vous pouvez faire tourner du logiciel libre au-dessus de logiciel propriétaire, aussi bien que l’inverse. La licence sur le logiciel libre est simplement un contrat éthique entre le programmeur et l’utilisateur final.

Notes

[1] Crédit photo : Skpy (Creative Commons By-Sa)

[2] Nous avons traduit cet article l’été dernier en ignorant qu’il en existait déjà une version française sur la très intéressante initiative Passer à Linux (dont nous devrions parler plus souvent d’ailleurs). Du coup cela donne deux versions pour le prix d’une !

16 Responses

  1. Thomas

    C’est pas du communisme, mais c’est quand même un système, l’anarchisme (au sens originale : l’ordre dans l’autorité). Non ?

  2. cid

    Très bon article, malheureusement on est encore loin du compte, même si les choses changent peu à peu, le frein est à mon humble avis, dans le désir de possession de la majorité, les gens veulent avoir une plus belle voiture, maison etc…, que leur voisin et de cela naît tout le reste. Les gens oublient trop souvent que la terre ne nous appartient pas, nous n’en somme que des occupants temporaires.
    A quoi peut bien servir une bonne idée, si celle-ci n’est pas partagée.

    @ Thomas, l’anarchisme n’est pas l’ordre dans l’autorité, c’est plutôt l’ordre qui naît de l’autogestion, l’autorité n’existe plus dans l’anarchie, car il n’y en a pas besoin.

    le logiciel libre c’est la liberté de chacun qui est respectée, tout en respectant celle des autres et la seule loi acceptable est "ne fait pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse"

  3. Thomas

    Ca m’apprendra à bosser le dimanche, je voulais dire "l’ordre sans l’autorité", bien sûr… Merci pour la relecture 😉

    D’accord avec toi cid – et c’est un peu ce que je voulais dire en réaction à l’article (bien faiblard à mon goût) : ecrire que «le logiciel libre n’a rien à voir avec un système politique» signifie juste que l’auteur doit ouvrir un dictionnaire à la définition du mot politique.

  4. libre fan

    <quote>Nous avons traduit cet article l’été dernier en ignorant qu’il en existait déjà une version française sur la très intéressante initiative Passer à Linux (dont nous devrions parler plus souvent d’ailleurs). Du coup cela donne deux versions pour le prix d’une !</quote>

    Mais savez-vous tout de même que les sites Passer à Linux et GetGnuLinux sont du même auteur qui est français et parle très bien anglais. Vous trouverez deux vidéos de ses interventions sur le site de l’April; son nom est Olivier Cleynen

  5. Anti-Microsoft.fr

    En finir avec certaines idées reçues sur le logiciel libre

    Pour cela, vous avez le choix, en matière de lecture, entre un billet de Framablog et un article du site Passer à Linux….

  6. Jonathan

    Bonjour,
    Oui les préjugés ont la vie dure mais cela ne nous donne que plus envie de convaincre !

    De mon côté j’opte pour une stratégie économique autour du libre: convaincre les entreprises de choisir le libre de façon stratégique, de peser le pour et le contre.

    D’avoir une démarche qualitative et rationnelle qui permettra au libre de s’imposer non pas d’un point de vue marketing mais technologique (je sais je sais je suis un tantinet utopiste) !

    Le combat est loin d’être gagner, la solution pas si évidente…C’est pour cela qu’il ne faut pas se mentir ni sur les forces ni sur les faiblesses car on combat mieux quand on se connait bien (je suis pratiquant d’arts martiaux et je peux vous dire que dans ce domaine mentir ne sert à rien !).

    Merci pour ce post
    Jonathan

  7. juk

    Pour le point 1, l’informatique n’est pas des mathématiques : c’est de la logique, de l’affectation, de l’affichage, du calcul (simple souvent, pas des équations).

    Ensuite, le libre tue effectivement les emplois de ceux qui font le même genre de logiciel de façon payante. C’est évident ! Open Office détruit l’emploi de Microsoft alors que les utilisateurs n’ont rien payé.

    Le point 3 ne m’a pas convaincu non plus car le code libre peut tout aussi bien cacher des surprises, surtout s’il s’agit d’un gros projet.

  8. JosephK

    > Ensuite, le libre tue effectivement les emplois de ceux qui font le même genre de logiciel de façon payante. C’est évident ! Open Office détruit l’emploi de Microsoft alors que les utilisateurs n’ont rien payé.

    C’est dingue ! Et quand je fais pousser mes pommes de terre dans mon jardin je "tue" des emplois de chez McCain (et je ne parle même pas des courgettes que m’a donné mon voisin cet été sinon on va me dire que je suis un pirate).

  9. anomail

    << Ensuite, le libre tue effectivement les emplois de ceux qui font le même genre de logiciel de façon payante. C’est évident ! Open Office détruit l’emploi de Microsoft alors que les utilisateurs n’ont rien payé >>

    Poussons plus loin ce raisonnement trivial.

    Une entreprise qui utilise des logiciels libres dépense moins d’argent inutilement dans son système informatique et donc a plus d’argent pour invertir, croitre et donc embaucher.

    CQFD

  10. djack i

    que peut on faire pour virer vista de son ordi et passer a ?

    je ne suis pas spécialiste de l’informatique mais l’idée du libre me plait dans sa config et dans sa philosophie !

    merci de me dire ?

  11. Isma

    @ "djack i", comme tout le monde le sait, linux est libre, donc il existe plein de versions de linux plus ou moins différentes ( http://www.passeralinux.fr/migrer_s… ) .

    La plus connue et la moins dépaysante par rapport à Windows doit être Ubuntu, pour l’installer tu va sur le site, télécharge le live CD (en .iso et tu le grave sur un DVD vierge) ou télécharge le pour une clé USB.
    Enfin bref, il existe plein de façons différentes d’installer Ubuntu sur son ordi (tu peux même garder les 2 en même temps : au demarrage il te sera demendé à chaques fois de choisir entre Vista et l’autre distribution), tout est expliqué là : http://www.passeralinux.fr/migrer_s… , tu peux même demender un CD d’Ubuntu sur le site officiel, il te sera envoyé gratuitement, sans aucun frais, mais il faudra attendre 6 à 8 semaines. Va voir ici aussi : http://ubuntu-fr.org/telechargement !

  12. Don Rico

    @ jack i : pour compléter les conseils d’Isma, les bons endroits pour trouver de l’aide et préparer tranquillement ta migration vers GNU/Linux, c’est le forum de Framasoft (Framagora) http://forum.framasoft.org/index.ph

    Si tu choisis Ubuntu comme distribution, tu peux aller sur le forum ubuntu-fr.org http://forum.ubuntu-fr.org/

    Une autre bonne distribution pour débuter, avec une communauté active, est OpenSuse, ou encore Mandriva… à toi de choisir celle qui t’attire le plus.

  13. walouche

    @ josephk –> respect !
    Que ferais t’ on sans les courgettes de nos voisins!

  14. juk

    JosephK : Un vrai manque de raisonnement et de réflexion (j’ai envie de dire digne du collège) ! Quand tu fais pousser des pommes de terre, tu ne touches pas le même genre d’économie que celle des logiciels libres car tu impactes un faible nombre de clients potentiels. Ce n’est donc pas du tout la même chose, garçon !

    anomail : tu dis donc exactement la même chose que moi ! Si l’entreprise a plus d’argent pour investir ou embaucher, elle ne le dépense pas dans l’informatique (en tout cas pas dans les logiciels). Donc – CQFD, 🙂 – ça détruit bien de l’emploi en informatique.
    Soit ta remarque est ironique (et je ne l’ai vraiment pas remarqué), soit tu manques sérieusement de réflexion puisque la conséquence que tu évoques est la même que la mienne.

  15. JosephK

    @juk : Tu connais la pétition des marchands de chandelles ?

  16. HixO

    Article intéressant. Je ne comprend pas pourquoi vous avez voulu vous débarrasser des liens existants entre les licences libres et l’idée communiste, comme si c’était une insulte… Au contraire, le monde libre porte sans doute les idées contemporaines qui ont fait le plus réfléchir la Propriété, sur elle même, en général et intellectuelle en particulier. Donc le lien avec l’Anarchisme, le Communisme, le Socialisme etc… sont les bienvenues.