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Entre les biens communs et le communisme, y aurait-il davantage qu’une parenté lexicale ? Le logiciel libre libère-t-il plus que le code ? Est-il l’instrument d’une lutte contre le capitalisme monopolistique, ou bien une ressource développée en marge du temps salarié et qu’il est pratique de piller dans une logique de marché ?
Des questions de ce type, et d’autres bien plus brutales encore, sont depuis longtemps posées par toutes sortes de personnes et pas seulement dans le milieu de l’informatique ou de sa culture. Voyez par exemple les réflexions avancées sur ce forum de marxistes révolutionnaires, cette autre analyse politico-philosophique déjà ancienne qui pose justement la problématique du Libre au-delà du logiciel en essayant « d’interpréter Marx dans le contexte du logiciel libre ». Ou encore ce texte d’Ernest Everhard qui analyse assez bien les limites politiques du logiciel libre, lequel ne peut suffire à transformer à lui seul la société — une prise de position dont la conclusion est la suivante : « il est nécessaire d’exproprier les grands éditeurs de logiciels ».
Bref, voilà bien un serpent de mer qui donne lieu à beaucoup d’approximations, de conjectures et de théories. Ou plutôt, que l’on tente fréquemment de rapprocher plus ou moins judicieusement de théories ou idéologies aussi variées que contradictoires, comme c’est le cas dans l’article de Jonathan Roberts.
Posons cependant l’hypothèse que ce débat est fertile car il oblige les libristes à se positionner et réfléchir au-delà de leurs mantras stallmanniens. Et peut-être à cerner mieux ce que le mouvement du logiciel libre n’est pas. « Ni de droite ni de gauche » prétendent constamment tous ceux qui refusent de reconnaître dans quel contexte politique il se déploie ou non. « Ni marxiste ni capitaliste » vont peut-être nous expliquer doctement certains commentateurs. Mais encore ? « Ni libertaire ni libertarien » ?
Ne prenez pas trop au sérieux les rapprochements forcément discutables que vous lirez ci-dessous, voyez-y plutôt une invitation à débattre. Librement.
La philosophie du logiciel libre
d’après Jonathan Roberts The philosophy of free software (Tech Radar)
Beaucoup de gens adorent se lancer dans un bon débat. Nous leur avons demandé (un peu comme une boutade) s’il était plus facile d’appréhender Linux sous l’angle du marxisme ou sous celui du capitalisme.
Les réponses qui nous sont parvenues étaient très drôles, mais la plupart étaient aussi plutôt élaborées et nous ont invités à réfléchir : comment Linux et le mouvement du logiciel libre trouvent-ils leur place dans les vastes débats philosophiques, économiques, éthiques et religieux qui passionnent les êtres humains depuis des siècles.
En constatant que même Linus Torvalds s’était lancé dans des spéculations aussi oiseuses, comme on peut le voir dans l’interview qu’il a donnée l’été dernier à la BBC, nous avons pensé qu’il serait amusant de poursuivre la conversation.
Nous allons aborder Linux et le logiciel libre selon une perspective cavalière, en l’examinant sous l’angle de quelques-uns de ces débats sans fin. Nous jetterons un coup d’œil à quelques théories pour savoir dans quelle mesure elles pourraient s’appliquer à notre système d’exploitation favori.
Tout d’abord cet avertissement : selon nous, ce qui est le plus important avec Linux et le logiciel libre, c’est qu’il s’agit d’une réalité pratique. C’est tout simplement sympa que ce truc fonctionne bien, c’est gratuit et les gens peuvent prendre beaucoup de plaisir à l’utiliser et à l’élaborer, certains peuvent même gagner un peu d’argent par la même occasion. Tout le reste n’est que littérature, donc ne soyez pas trop bouleversé par ce que vous allez lire !
Puisque nous avons mentionné l’interview de Linus Torvald à la BBC, commençons par là. Il y déclare : « …l’open source ne marche vraiment que si chacun y contribue pour ses propres raisons égoïstes… la propriété fondamentale de la GPL2 c’est sa logique de simple donnant-donnant : je te donne mes améliorations si tu promets que tu me feras profiter des tiennes ».
Ce qui rend l’observation de Torvalds intéressante c’est qu’on peut la mettre en rapport avec des discussions en philosophie, éthique, biologie, psychologie et même mathématiques qui remontent à Platon (au moins). Dans La République, Platon examine les notions de justice et de morale en posant la question : sont-elles des constructions sociales ou un Bien abstrait ?
Au cours du dialogue, Glaucon, un des protagonistes, évoque l’histoire de l’anneau magique de Gygès qui rend invisible celui qui le porte. Il présume que, juste ou injuste, tout homme qui porterait cet anneau agirait de la même façon : en prenant ce qui lui plaît sur les étals du marché, en s’introduisant dans les maisons pour y coucher avec qui lui plaît ou encore en tuant ses ennemis.
Il déclare :
« Si quelqu’un recevait ce pouvoir d’invisibilité et ne consentait jamais à commettre l’injustice ni à toucher au bien d’autrui, il paraîtrait le plus insensé des hommes à ceux qui auraient connaissance de sa conduite, (…) car tout homme pense que l’injustice est plus profitable que la justice. » (Platon, La République, II, 360d, traduction Robert Baccou)
Quelle vision déprimante de la nature humaine !
Que vous vous accordiez ou non avec Glaucon, il est évident que Torvalds soulève ce même point : sans contraintes sociales telles que la GPL v2, je ne serais pas en mesure de croire qu’en échange de mes améliorations du code, vous me donneriez les vôtres en retour.
Pourquoi le feriez-vous ? Après tout, si vous vous contentez de prendre mon code pour améliorer votre logiciel, vous aurez un avantage sur moi : moins de travail pour un meilleur résultat — et les gens sont égoïstes !
Il semble que même Platon, comme l’a fait plus tard Torvalds, ait au moins considéré que le monde ne tourne pas avec des gens qui disent : « asseyons-nous tous en rond autour d’un feu de camp pour chanter “Si tous les gars du monde…” et le monde sera meilleur ».
Les rapaces et la sécurité
Bruce Schneier traite du même problème dans son dernier ouvrage Liars and Outliers http://www.schneier.com/book-lo.htm… ; il met en évidence à quel point ce débat est courant, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du monde de la technologie. Dans son livre, il décrit un processus appelé le jeu du Faucon-Colombe, inspiré de la théorie des jeux.
La théorie c’est que dans une population d’oiseaux sauvages en compétition pour la même quantité limitée de nourriture, certains sont des faucons et d’autres des colombes. Les faucons sont agressifs et vont se battre pour leur nourriture : quand ils rencontrent un autre faucon, ils vont tous les deux se combattre, et l’un obtiendra la nourriture tandis que l’autre sera blessé voire tué. Les colombes, au contraire, sont passives, et lorsqu’elles sont deux devant la même nourriture, elles choisissent de la partager entre elles. Si un faucon et une colombe sont confrontés, alors c’est toujours le faucon qui aura la nourriture et la colombe va choisir de se retirer.
Bien que vous puissiez tirer bien des conclusions de l’analyse de ce jeu, l’observation la plus importante que fait Schneier est la suivante : quel que soit le scénario envisagé, il y aura toujours au moins quelques faucons dans le lot.
Si la population au départ était composée à 100 % de colombes, quelques-unes s’arrangeraient rapidement pour avoir pas mal de nourriture supplémentaire pour elles seules, en se comportant comme des faucons, sans trop de risques d’affronter d’autres colombes qui se comporteraient elles aussi comme des faucons. Bien entendu, à mesure que la population de faucons s’accroît, arrivera un moment où les conséquences en seront dommageables à l’ensemble de la population. Il n’y aura plus assez de nourriture pour les colombes, qui mourront lentement après s’être retirées de tous les combats sans nourriture, et les faucons auront de plus en plus d’affrontements avec leurs semblables, courant des risques plus grands d’être tués.
Bon, arrêtons là avec les faucons et les colombes. Quels rapports avec le logiciel libre et la GPL ? Eh bien on pourrait en déduire que sans la GPL « qui nous permet d’être égoïstes », comme le dit Torvalds, nous pourrions nous trouver dans la situation où trop de faucons s’emparent du code sans contribuer en échange, ce qui dégraderait progressivement la confiance et la participation, et finirait par détruire notre population de programmeurs open source.
Dans le reste de l’ouvrage, Schneier propose divers « mécanismes de sécurité » pour nous aider à avoir confiance dans les actions des autres, et nous permettre de travailler de façon collaborative même si nous ne pouvons pas forcément adhérer aux motivations (égoïstes) des autres. Tandis que Schneier signale des facteurs tels que la loi, l’évolution des neurones miroirs, etc., la GPL pourrait également être considérée selon cet angle ,à savoir comme un mécanisme de sécurité destiné à renforcer la confiance mutuelle et la collaboration. Et c’est aussi très malin.
Le logiciel libre et l’économie
En plus d’être un cas d’étude intéressant pour ceux qui s’intéressent à la coopération, le logiciel libre a reçu beaucoup d’attention pour ses similarités avec divers systèmes économiques. Un bon exemple en est Bill Gates, qui en 2005 disait : « Il y a des communistes des temps modernes qui voudraient se débarrasser des primes pour les (…) éditeurs de logiciels de diverses façons »
Maintenant, bien sûr, il est possible que l’intérêt de Gates ait moins été de tirer un bilan économique sérieux que d’effrayer le marché des entreprises américaines capitalistes qui aiment le libre-échange en les dissuadant d’utiliser des logiciels libres ; c’est une observation qui revient assez fréquemment pour mériter qu’on la prenne en considération.
Le premier point à noter est que le logiciel libre a peu à voir avec le communisme soviétique, dont les principales caractéristiques étaient la planification centralisée et un état policier imposant, complétés par des camps de prisonniers et de travail forcé. Ceux qui ont suivi le logiciel libre depuis suffisamment longtemps savent que la planification centralisée ne se produit que rarement, sinon jamais : la multiplication des formats logiciels, des distributions, suites bureautiques, environnements de bureau, serveurs web et de courriels en est une preuve suffisante.
Qui plus est, personne n’est obligé de travailler sur du logiciel libre ou de l’utiliser. En fait, étant donné que tous les formats de fichier sont implémentés avec un code ouvert, n’importe qui peut les ré-implémenter dans un programme concurrent sans sourciller. Beaucoup se sont emparés de ces arguments pour suggérer que – pour la plus grande frustration de Bill Gates, on peut bien l’imaginer – le logiciel libre a moins en commun avec le communisme soviétique que les pratiques de nombreuses entreprises propriétaires.
Des entreprises comme Apple et Microsoft sont réputées et même félicitées pour leur planification verticale ; elles sont aussi tristement célèbres par la façon dont elles enchaînent les utilisateurs à leurs logiciels et matériels informatiques en créant par défaut des formats de fichiers fermés et propriétaires que les programmes concurrents ne sont pas en mesure d’implémenter facilement eux-mêmes.
Le marxisme
Si le logiciel libre a peu de rapport avec le communisme soviétique, peut-être a-t-il davantage en commun avec le marxisme.
L’une des idées centrales dans cette vision du monde est qu’en détenant les moyens de production, que ce soit les machines, le savoir ou quoi que ce soit d’autre, les classes dominantes peuvent exploiter les classes dominées ; tant qu’ils ne possèdent pas les moyens de production, les travailleurs doivent céder « volontairement » leur force de travail contre un salaire pour acheter les biens nécessaires à leur survie : un toit, des vêtements, de la nourriture et des loisirs. Ils ne peuvent véritablement choisir de travailler, et ils ne peuvent jamais avoir vraiment leur mot à dire sur leurs salaires ou la redistribution des profits.
Une des idées constantes chez Marx, c’est son espoir que la situation pourra être améliorée, avec des travailleurs qui conquièrent leur liberté au sein d’une société sans classes dans laquelle les moyens de production seront détenus en commun.
Puisque, dans le monde contemporain, l’un des principaux moyens de production est le logiciel, le logiciel libre correspond assez bien au système de Marx. Le code est effectivement un bien commun. Tout le monde est libre de le lire, de l’étudier, de le partager, de le remixer et le modifier. De ce fait, il est impossible que les travailleurs soient enchaînés par ceux qui les dominent dans le système de classes, puisque à tout instant chacun peut choisir d’utiliser les moyens de production, c’est-à-dire le code, à ses propres fins.
Liberté de pensée
Eben Moglen plaide en faveur de l’influence que la propriété commune du code peut avoir sur notre société, dans un discours prononcé aux Wizards of OS 3, intitulé « Les pensées sont libres : le logiciel libre et la lutte pour la liberté de pensée ».
Dans son discours, il a soutenu que « perpétuer l’ignorance, c’est perpétuer l’esclavage » (il sait vraiment tourner une phrase !). Son argument est que sans la connaissance de l’économie, sans la connaissance de l’ingénierie, de la culture et de la science – toutes ces choses qui font tourner le monde, les classes dominées ne pourront jamais espérer améliorer leur situation, ni espérer s’emparer des moyens de production.
Les logiciels libres, ainsi que le matériel libre, la culture libre et tout ce qui gravite autour du Libre, libèrent des moyens qui mettent la liberté de pensée et d’information à portée de main, si elle n’est déjà atteinte.
Les serveurs web ne sont pas limités seulement à ceux qui possèdent les moyens de production, parce que le code est libre, donc n’importe qui peut partager à sa guise n’importe quelle création culturelle de son choix. Ce peut être une simple chanson, mais ça peut aussi être le moyen de créer une monnaie mondiale, décentralisée, comme le Bitcoin, ou les plans de toutes les machines nécessaires pour construire votre propre petite ville, comme dans le Global Village Construction Set.
Ce qui importe, c’est que tout cela a été rendu possible par la propriété commune du code.
L’ordre spontané
Si vous n’êtes pas trop convaincu que le logiciel libre est un mouvement qu’aurait pu soutenir Marx, vous pourriez être surpris d’apprendre que vous disposez d’un bon argument : c’est une excellente illustration du libre-échange, cette théorie tellement chérie des capitalistes et tellement haïe des marxistes et militants anti-mondialisation sur toute la planète. Bon, peut-être pas le libre-échange, mais du moins c’est l’illustration d’une des idées majeures qui le sous-tend, celle de l’ordre spontané.
Une des principales idées du libre-échange c’est que, guidées par la main invisible du marché, les fluctuations de prix s’ajustent en fonction des efforts individuels d’une manière qui favorise le bien commun. Cette idée est étroitement associée à Adam Smith et Friedrich von Hayek, qui ont utilisé le terme d’ordre spontané pour la décrire, mais elle remonte en fait à David Hume, l’un des plus grands philosophes du mouvement des Lumières écossais.
Hume croyait qu’en l’absence d’autorité centralisée, les conventions et les traditions ressortent pour minimiser et résoudre les conflits et pour réguler les activités sociales. Contrairement à Smith et Hayek cependant, Hume croyait que les passions humaines vont au-delà du simple appât du gain et que de ces passions peuvent découler règles et conventions.
Quel rapport avec les logiciels libres ? Eh bien, c’est plutôt évident, non ? Le logiciel libre est un exemple d’ordre spontané dans le sens où l’entend Hume. Puisque les personnes qui y travaillent ne peuvent en retirer qu’un maigre profit et qu’il est distribué gratuitement, l’argent y tient peu de place. Dans le logiciel libre les communautés s’associent librement et travaillent ensemble à la création de logiciels auxquels la société dans son ensemble accorde de la valeur.
Il existe cependant quelques signes susceptibles d’influencer les projets sur lesquels les développeurs décident de travailler. Par exemple, si les utilisateurs d’un logiciel libre trouvent une meilleure alternative, ils vont probablement migrer vers celle-ci. Les développeurs, peu désireux de coder des logiciels qui risquent de n’être utilisés par personne, pourraient bien eux aussi aller voir ailleurs et travailler sur de nouveaux projets que les gens trouveront plus utiles.
De cette façon, et sans incitation au profit, les développeurs de logiciels libres concentrent réellement leurs efforts dans les domaines qui seront les plus utiles au plus grand nombre, c’est-à-dire pour le plus grand bien de la société dans son ensemble.
Anon
Je propose de laisser Marx tranquille dans sa tombe et de reléguer dans /dev/null les mots fourre-tout comme « marxisme » et « capitalisme ». Ça libérera du temps pour faire des choses plus utiles que ce billet.
draffin
Je suis d’accord avec toute la première partie de l’exposé mais la fin constitue un contre-sens de taille.
Le développement du logiciel libre n’a rien d’un ordre spontané ! C’est d’ailleurs en contradiction avec ce qui est exposé sur la GPL v2 : le logiciel libre est régi par des licences très contraignantes. Les licences protègent et défendent le monde du libre des attaques internes comme des attaques externes. On est loin du libre marché, cher aux capitalistes. Je pense honnêtement que le logiciel libre a nettement plus à voir avec Marx (lire Ecologica d’André Gorz pour s’en persuader) qu’avec Hume ou Hayek.
L’article ne mentionne pas non plus le militantisme qui s’est développé autour du «libre» en général (quadrature du net, april, framasoft, etc). Ce militantisme rappelle celui qu’on peut rencontre dans des syndicats ou dans des partis de gauche.
ds1
Très bon article qui a le mérite de présenter de façon simple une partie de l’analyse de Marx à la lumière d’enjeux contemporains. J’ai juste un peu de mal avec le caractère « volontaire » (entre guillemets dans le texte) de la vente de la force de travail, mais c’est un détail.
@draffin, je ne pense pas que les capitalistes défendent le marché libre, au contraire. La lecture que fait Hayek du capitalisme, en particulier le jeu marchand et la construction des règles, est purement imaginaire et relève plus de l’essai théorique de la description de la réalité (même celle de son époque), malgré le fait qu’elle soit très séduisante en principe. L’appropriation du logiciel par les entreprises capitalistes repose sur leur volonté de disposer d’un monopole de droit quant à l’utilisation du logiciel en question, c’est à l’opposé du marché libre dans ce cas.
vidallet pierre
Le grand principe du communisme c’est la non-exploitation de l’Homme par l’Homme, et comme il faut bien vivre ensemble les Hommes doivent coopérer. C’est un peu rapide et schématique. Ça n’a rien à voire avec les pays du « socialisme réel » que nous avons connu ni de la Chine actuellement.
Tout cela est encore à construire ensemble….tous ensemble, tous ensemble !
Je pense que le Logiciel Libre fait partie de cette construction.
Cédric
Logiciel libre et Anarchisme:
http://emoglen.law.columbia.edu/my_…
Bruno
Etrange quand même ! cet article qui part d’une question intéressante passe à mon sens à côté de l’essentiel !
Le marxisme, c’est à dire la propriété publique des moyens de production (au nom d’une vision dialectique de l’histoire) suppose un contrôle par l’État, donc par une technocratie, des forces économiques soit disant au nom du peuple (on sait ce qu’il est advenu : une caste encore plus violente et inégalitaire dans la mesure où elle n’avait plus aucun contrepouvoir). Le Libre ne réclame qu’un « Etat gendarme » – c’est à dire qui garanti le respect du brevet libre, donc suppose un Etat mais qui n’intervient pas dans la production, en tout cas qui n’en possède pas les outils.
Le capitalisme, c’est le mythe de la propriété privée comme garantie de la liberté – sans voir que, comme l’a bien dit Lacordaire « entre le fort et le faible, c’est la loi qui libère (« affranchi » dans le texte original) et la liberté qui opprime ». Au nom de la protection de la propriété privée, on opprime des millions (milliards ?) de personnes dans le monde. Les licences libres interdisent l’appropriation privée : on peut tout faire sauf priver les autres de la possession du même outil.
En fait, il faut chercher ailleurs, et notamment chez Proudhon et dans la tradition anarchiste : Proudhon avait pensé la « possession » contre le droit de propriété, c’est à dire une forme de « propriété » collective mais pas publique, où les ouvriers possèdent leur outil de travail (donc une « propriété » privée et en aucun cas d’Etat) mais sans tous les attributs classiques du droit de propriété, c’est à dire sans la possibilité d’en « disposer de la façon la plus absolue » qui est inscrite dans notre code civil.Le titre-slogan de PJ. Proudhon « la propriété c’est le vol », ne va-t-il pas comme un gant aux licences libres, propriété privé mais sans appropriation privée ?
Dans cette tradition qui nous a donné les coopératives et les mutuelles -entre autres – il y a vraiment les outils intellectuels pour penser une alternative tant au capitalisme qu’au marxisme. Je crois que le libre s’inscrit pleinement dans cette pensée qui pense le politique dans l’économie (et pas seulement l’inverse comme aujourd’hui) et le primat de la pratique.
Pensée contemporaine de Marx, mais combattue par Marx et tous les marxistes. Donc je ne crois pas qu’on puisse dire que le logiciel libre est marxiste !
Si quelques-uns ont envie de travailler sur cette question, je suis partant !
Bruno Charles
ds1
Je vais jouer sur les mots, mais il ne faut pas confondre marxisme et dictature du prolétariat !
Dans l’étendu réduite de mes connaissances sur ce sujet, Marx ne prône pas la propriété publique des moyens de production (en dehors de la dictature du prolétariat qui n’est qu’une étape vers le communisme), mais de propriété collective de ces mêmes moyens. D’ailleurs, Marx considère l’État bourgeois comme dispositif répressif à abolir. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Marxi…)
De plus, aujourd’hui le libre repose invariablement sur la propriété intellectuelle (en amont des licences), et donc le Droit et donc l’État. On peut souhaiter remettre en question l’État, mais avant tout, il faut l’accepter et le comprendre.
En ce qui concerne Proudhon son très mal compris slogan « la propriété c’est le vol » est plus subtile qu’il n’y paraît. La propriété devient vol à partir du moment où elle excède les besoins de l’individu concerné et en prive d’autres. La question qui se pose réellement est celle des besoins des individus et c’est cette même question qui pose problème au communisme de Marx du « à chacun selon ses besoins ».
Si l’on souhaite construire une réflexion politique autour du libre, un passage par Marx me semble intéressant parce qu’il fût le premier à saisir aussi bien les enjeux liés au travail (autant émancipateur qu’aliénant), aux conflits, au pouvoir et finalement aux sociétés capitalistes dans lesquelles nous vivons encore.
Bruno
Ben justement si ! Marx a théorisé la dictature du prolétariat et la propriété publique des moyens de production. Ce ne devait être qu’une étape mais la société sans classe, que Marx ne décrit pas, n’est jamais venue ! Les combats entre anarchistes et marxistes dans l’internationale ouvrière étaient largement basé sur ces points. Les marxistes ont gagné, et on sait ce qu’il est advenu du communisme réel ! Marx se revendiquait d’ailleurs comme Hégélien et Hegel pense l’Etat bureaucratique comme rationnel !
Cela n’enlève pas l’intérêt de l’analyse économique de Marx ou même de ces écrits philosophiques ou encore anthropologiques du jeune Marx, sur le fétichisme de la marchandise par exemple.
Mais je crois réellement que la pensée philosophique et politique sous-jacente dans les logiciels libres se situe bien plus dans une filiation historique libertaire (mais c’est évidemment à débattre) .
Et à mon sens, cette tradition qui a su penser l’organisation de la solidarité sans l’État est plus que jamais nécessaire aujourd’hui, car les Etats-Nations traditionnels échouent sans cesse face aux grands enjeux, sociaux, environnemetaux etc…
Bruno
PS : l’expression « brevet libre » que j’ai utilisé dans mon post précédent est évidemment malvenue ! c’est bien sûr licences libre qu’il faut lire !
shokin
Pour ce qui est de la dyade faucons-colombes, on pourrait prendre celle bien réelle chimpanzés-bonobos, même si, en fait, il s’agit d’un continuum (plutôt que d’une bipolarité) entre compétition et coopération. Et puis nous avons développé quelques notions comme : répartition, équité, partage. Il est vrai que la psychologie sociale peut nous aider à comprendre et nuancer la théorie des jeux.
En plus, nous sommes capables de planter des végétaux et des légumineuses, comme de créer des fichier odt et pdf, de telle façon à ne pas souffrir de quelque pénurie. Les éventuelles pénuries sont locales car il y a un manque de partage, des barrières à l’entrée : DRM, droits exclusifs, droits voisins, licences privatrices, brevets, etc.
Les licences libératrices (Creative Commons, GPL, etc.) ne nous « permettent » pas d’être égoïstes. Cette liberté existait déjà avant. Surtout, elles ne nous contraignent pas à être égoïstes. Il suffit de voir le nombre de sites dont le contenu est sous une des licences Creative Commons. Regardons encore le nombre de logiciels libres qui existent. Dans le monde numérique, nous pouvons nous passer du privateur. Car [url=https://fr.wikipedia.org/wiki/Biens… biens anti-rivaux[/url], comme l’information et le savoir, sont devenus plus accessibles. Le support qu’est le fichier est rival, mais a tout du bien anti-rival car il est à coût quasi-nul copiable à discrétion. Dans le monde numérique que nous explorons maintenant, nous sommes également libérés de la monnaie, laquelle est un bien rival qui a tendance à transmettre sa rivalité. Cela dit, même dans le monde non numérique, il existe des lieux où s’abreuver sans monnaie : les bibliothèques, les librairies, les fontaines publiques (à eau potable), etc. L’important est de créer des exceptions au principe de réciprocité (qui sous-tend celui de méritocratie, de mérite, et de [url=http://www.psychologie-sociale.com/…), ces exceptions étant le don, le pardon, le partage, la générosité, l’aide, l’absence d’attente de contre-partie (monétaire ou sociale). Le « libre-échange » est un sophisme (sous forme d’oxymore) : un échange n’est pas libre, puisqu’il suppose une contre-partie (la réciprocité).
Si l’on veut maintenir la création de confiance possible, il est nécessaire d’accepter le risque, le hasard, histoire que la confiance ne devienne pas une contrainte, une obligation ou une nécessité. Pour ce qui est des licences libératrices, il s’agit de ne pas exclure les licences avec la clause NC, même si elles ont cette clause privatrice. Il doit rester la liberté de restreindre la liberté, comme la liberté de se passer d’un outil (d’un fichier, d’un logiciel, d’un marteau) et d’utiliser un autre outil (un livre, un tableau noir, un caillou). La cohabitation de licences GPL et BSD ou encore WTFPL, comme de licences CC-BY, CC-BY-NC, CC-BY-NC-SA, CC-BY-SA, CC0 maintient la diversité des choix possibles.
Le problème de certains rôles, que nous avons créés, est que ces rôles ne sont pas auto-suffisants : ils demandent un objet (un esclave) ou ils demandent à être répliqués (viraux). On peut se demander pourquoi/comment une personne qui a certaines croyances se sent le besoin de les transmettre à autrui (voire ne peut pas supporter qu’une autre personne à proximité n’ait pas ces mêmes croyances), tout comme on peut se demander pourquoi une entreprise ne peut pas vivre sans ses clients, voire sans voir son chiffre d’affaire grimper. D’où vient ce « besoin » de croissance qu’on certaines entreprises mais que peu de particuliers ont ?
Parlant des moyens de productions, on peut les apprendre. Cela implique d’apprendre des savoir-faire, d’y consacrer de l’énergie, que ce soit au niveau individuel ou collectif. Si je ne fais qu’écouter de la musique, je ne contrôle pas du tout le processus de production et ne peux alors que me contenter de ce qu’on m’offre. Donc si on m’offre des choses insatisfaisantes, je suis obligé de me faire une raison, de revoir mes attentes à la baisse. Si je me mets à apprendre un instrument de musique, je maîtrise le processus de production de certains morceaux. J’ai fait un pas vers l’autonomie. Mais je peux faire mieux car je ne sais pas encore fabriquer un violon. Si j’apprends à fabriquer des violons, je serais encore plus en état de liberté et d’autonomie. En bref : si tu ne trouves pas sur le marché ce que tu cherches, crée-le (do it yourself), au lieu de payer pour une pâle copie qui ne te satisfait pas. Vous pouvez refaire le parcours analogue avec le fichier, l’utilisation du logiciel et le développement du logiciel (libre). Le rendant libre, vous permettez aux autres êtres vivants d’acquérir de l’autonomie. Si vous brevetez le processus de production/création, vous empêchez cet accès à l’autonomie, via un « DRM juridique ». Si le droit continue à défendre la propriété exclusive plutôt que le partage, il ne faut pas s’étonner qu’on accorde de moins en moins de confiance au droit.
Un bon pas vers le libre accès à la connaissance sur le web serait que des sites web, des noms de domaine, des pages, des forums, des blogs, puissent fonctionner même sans qu’une personne ne soit payée, même dans un système sans monnaie, et bien sûr, sans DRM.
John Gresham
Bruno Charles : « Mais je crois réellement que la pensée philosophique et politique sous-jacente dans les logiciels libres se situe bien plus dans une filiation historique libertaire (mais c’est évidemment à débattre). »
Idée que l’on retrouve développée par Steven Levy dans « Hackers: Heroes of the Computer Revolution », notamment dans la première partie.
Amusant, par ailleurs, de voir ces idées défendues par un élu EELV.
Bruno
@ John Gresham
1/ merci pour la référence.
2/ En quoi est-ce amusant que ces idées soient défendues par un membre d’EELV ? (élu ou pas)
Ça fait longtemps que je défends l’idée que les écolos sont les descendants des libertaires du mouvement ouvrier. Je fais même des interventions et conférences là-dessus.
Donc à ta disposition pour étayer les arguments !
Bruno
là
« « Ni de droite ni de gauche » prétendent constamment tous ceux qui refusent de reconnaître dans quel contexte politique il se déploie ou non. « Ni marxiste ni capitaliste » vont peut-être nous expliquer doctement certains commentateurs. Mais encore ? « Ni libertaire ni libertarien » ? »
Tout ceux qui utilisent ces formules creuses sont tous invariablement de droite.
Seulement ils en ont honte, ne l’assume pas ou est on peur de se faire démolir d’un facon ou d’une autre.
Un logiciel libre est quelque chose qui s’échange ou du moins peut s’échanger sans rien en retour et sans que la personne le donnant n’ait perdu quoi que ce soit.
Je développe pas, mais ca, c’est parfaitement anti business, anti accumulation, anti monopole et donc anti capitaliste, donc indiscutablement de gauche.
Qu’après certains travestissent ca de toute leur force pour le faire rentrer dans leur monde a eux…
Ok, il en fut de même pour le communisme qui fut brandit par certains qui en ont été dans les faits ses pires ennemis, donc bon…
là
Glaucon et Torvalds ont écrit chacun de grosses conneries avec un espace temps atrocement long décidément.
Blague a part…
Ya pas faire des pages et des pages, tout ca ne résulte que de choix humains, oui, rien d’autre, ya pas de nature, c’est pas comme la pluie ou le soleil.
Si on a envie de faire une societé juste et égalitaire, on le fait.
Si on préfère le chacun pour sa gueule, on le fait aussi.
(si il doit y avoir une loi, seule c’est que d’après moi une société juste et égalitaire est supérieur a une société injuste et inégalitaire, on peut développer a raison, mais au final on aboutis a ca invariablement je crois)
Dans l’histoire certains ont préféré le fascisme/nazisme a la démocratie/république.
Tout ca n’est que question de choix, choix possible après une éducation complète des individus.
Ce qui comprend:
Sur le plan classique de l’éducation scolaire que l’ont connaît ou imagine assez banalement mais aussi éducation politique, qui peut s’appeler aussi éducation populaire.
Je développe pas plus.
Ps: et si plusieurs colombe décident d’etre solidaire pour défoncer les faucons?…
Voila, jeu débile pour raisonnement de personne de même acabits.
là
«De cette façon, et sans incitation au profit, les développeurs de logiciels libres concentrent réellement leurs efforts dans les domaines qui seront les plus utiles au plus grand nombre, c’est-à-dire pour le plus grand bien de la société dans son ensemble.»
Comme facebook apple ou google?
… 😀
(on peut aussi parler de la bombe atomique, de la biologie avec les virus et autre choses très rigolotes)
Non définitivement, vive le libéralisme quoi. 🙂
Bon globalement 3/4 de l’article est pas mal, le reste est bon a jeter.
Ginko
@là,
oula là. Lol.
Faut que t’arrêtes la fumette mon grand, il te reste plus beaucoup de neurones.
@shokin,
>Parlant des moyens de productions, on peut les apprendre.
Hello,
Je suis pour le DIY, mais soyons réaliste : dans un monde technologique tel que le notre, personne (même un mec qui vivrait 120 ans sans jamais dormir) ne saurait maitriser ne serait-ce que la moitié des techniques requises pour fabriquer les objets de la vie courante à un niveau de qualité comparable. Produire seul et localement un objet de qualité comparable à la moindre babiole chinoise peut requérir des coûts de l’ordre de 10x supérieurs, rien que par l’économie d’echelle de la production industrielle (bon, bien sur, évidemment, aujourd’hui toutes les externalisations possibles et imaginables sont mises en oeuvre : l’environnement, le social, etc).
Je pense qu’une production industrielle alliée à une économie de marché n’est pas seulement inévitable, elle est souhaitable.
Cependant, l’organisation actuelle qui donne beaucoup trop de pouvoir aux multinationnales et aux marchés via l’Etat est inhumaine.
Les organisations collectives de production telles que pensées par les anarchistes me semblent de loin le meilleur compromis entre la force du collectif (le groupe est bien plus que la somme des individus) et la liberté individuelle. Biensur, les idées anarchistes sur le collectif et la propriété doivent être complétées par un dispositif d’éducation puissant (destiné à former des __citoyens__ et non des petits soldats formatés pour devenir des automates de production) qui est d’ailleurs déjà présent dans leur réflexion il me semble.
Après, une fois que les gens peuvent s’organiser pour produire de la manière qui leur semble juste (et non pas de la manière qui semble juste à actionnaires externes), il me semble que ta critique de l’offre qui conditionne entièrement la demande perd beaucoup de son poids. (Quand la cible des producteurs redevient eux-même, comme dans le LL, les produits, de facto deviennent de meilleure qualité (je n’ai pas besoin de rappeler ce que signifie « qualité », si ?)).
Encore une fois, évidemment, je ne suis pas contre le DIY, bien au contraire. Mais il est vain d’essayer de lutter contre ce qui n’est pas l’origine du problème (la production industrielle).
Franck
Bonsoir à tous,
Pour ceux qui pensent que le communisme est un mot « fourre-tout », voici un article que vous ne trouverez nulle part ailleurs sur le sens historique du mot « communisme ».
Franck
http://www.uniondelutte.org/2008/11…
gm
Le marxisme, pour ceux qui ont lu marx – et je crains que nous ne soyons pas très nombreux – comprend d’une part une théorie économique, plus ou moins fausse et d’autre part un projet politique. Ce projet politique a été responsable de la mise en place d’un système totalitaire – et rappelons le parallèle dressé par H Arendt entre fascisme et communisme, nazisme et stalinisme. Et la Chine, l’asie du sud est, l’europe de l’est et pas mal de pays au monde ont subi cette oppression, et aucun d’entre eux n’a été à l’origine du mouvement ‘logiciel libre’.
Le logiciel libre a pour origine … un pays capitaliste et libéral – attention à ne pas mélanger les deux. Il correspond presque à ‘une réaction d’appropriation de moyen de production’ par une frange des informaticiens de ce pays, pour éviter que le système de brevet ne vienne stériliser leur outil.
La licence libre est un outil pour empêcher que le brevet, les grosses firmes et in fine le capital ne vienne déposséder les créateurs de leur moyens.
Et ce mouvement est possible parce que le code logiciel est finalement assez peu gourmand en capital, par rapport à une usine ou un réseau téléphonique, et que sa distribution est elle aussi peu chère et aisée – par rapport à un réseau de vente de voiture.
Le logiciel libre est libéral, voire libertaire (en fonction de notre rapport personnel au capital).
Il est d’ailleurs à noter l’aversion ou l’incompréhension des états pour le logiciel libre, et le caractère contractuel – et le contrat est le socle de la société libérale – et non réglementaire des licences libres.
En tout cas, absolument pas marxiste.
Franck
@gm,
Pour protéger le régime capitaliste, les idéologues à la mode s’efforcent de faire du communisme un repoussoir. Dans ce but, ils ont tenté et tentent encore de poser une équivalence entre communisme et fascisme (ou nazisme).
Pourtant, dans la réalité historique, fascisme et communisme poursuivaient des buts antagoniques !!!!! Et une des cibles du fascisme était le régime socialiste !!!!!
Je t’invite donc à découvrir cet article sur la différence entre fascisme et communisme http://www.uniondelutte.org/2009/11…
Je trouve que cette article sur le libre et le communisme est très intéressant. Mais si les fondements et la philosophie du libre doivent être étudié, la compréhension historique du communisme doit l’être tout autant. Je pense que malheureusement pour beaucoup d’entre nous, le second fait défaut.
Franck
dglent
Juste pour information, j’ai trouvé l’article vraiment génial et félicitations. J’ai traduit l’article en grec (les images aussi) et a été publiè sur ce blog: http://elkosmas.gr/2013/01/14/agora…
Bien sur il y a la mention que la source c’est le site framablog.
Guitou
Excellent article !!