Place du logiciel libre à l’Éducation Nationale : la réponse du gouvernement
Le 19 septembre 2006 le député Richard Cazenave interpellait le gouvernement sur les enjeux et les avantages du logiciel libre (dans une lettre que nous avions reproduite sur le Framablog).
La réponse vient de tomber[1].
Il est porté à la connaissance de, l’honorable parlementaire les éléments de réponse suivants.
Historique : le logiciel libre a pris une place grandissante à l’éducation nationale à partir de 1998. Le ministère a été un précurseur en utilisant ces solutions à tous les échelons du système éducatif (établissements, services académiques…) et en acquérant au fil des années une compétence reconnue dans le domaine. Cette compétence a permis de mettre en place une politique de choix sélectif pour retenir les meilleurs outils issus du secteur sur des critères économiques et technologiques. Dès 2000, les offres basées sur des logiciels libres ont été systématiquement mises en concurrence avec les offres commerciales pour tous les choix structurants. Ainsi, les logiciels les plus connus comme LINUX, APACHE ou les suites bureautiques se sont imposés comme des références.
LINUX (serveurs) : en établissements scolaires ou dans les services, les applications composant le système d’information de l’éducation nationale, sont principalement installées sur des serveurs fonctionnant sous LINUX (système d’exploitation « libre » concurrent de Windows XP). Dans les services académiques et à l’administration centrale, LINUX équipe plus de 98 % des quelque 1 500 serveurs qui hébergent les grands systèmes d’information de l’éducation nationale. Dans les établissements scolaires et les écoles, près de 15 000 serveurs LINUX « prêts à l’emploi » ont été déployés dans le cadre du schéma directeur des infrastructures avec des financements partagés entre l’État et les collectivités. Ces serveurs offrent des services de sécurité (pare-feu, filtrage…) et de communication pour accompagner les usages pédagogiques et administratifs.
Les solutions pour le poste de travail : le poids du logiciel libre au sein du système éducatif a été un des éléments qui a permis de négocier avec Microsoft des tarifs particulièrement intéressants sur la suite bureautique office (moins de 40 euros). Ces tarifs attractifs ont limité le développement des suites bureautiques alternatives qui représentent un peu moins de 10 % des licences dans les services et les établissements. Cependant, la suite bureautique alternative Open Office est largement utilisée par le corps enseignant comme un outil de travail partagé avec les élèves ; la gratuité de la solution facilitant le déploiement dans les familles.
Une démarche pragmatique : si le logiciel libre peut permettre de réduire les coûts d’investissement en rendant l’informatique moins dépendante des grands éditeurs, les solutions retenues doivent, pour cela, être parfaitement maîtrisées par la fonction informatique interne. Une mauvaise maîtrise génère des coûts cachés importants et peut faire apparaître une baisse globale de la qualité de service. Initiée très tôt, la démarche pragmatique a permis de placer le logiciel libre au niveau le plus pertinent du système d’information du ministère et d’en tirer les meilleurs profits. Ces déploiements se sont appuyés sur les compétences des centres informatiques. D’importants programmes de formation ont été mis en place pour que la culture soit largement partagée par les informaticiens et dans certains cas, l’utilisateur final. Pour les composants à haute valeur technologique (bases de données, serveurs d’application…), le recours à des solutions commerciales apparaît souvent comme nécessaire, car les solutions du « libre » peuvent manquer de maturité (notamment en terme d’outils d’administration). Le poids du logiciel libre au sein de l’éducation nationale reste un argument de négociation avec les éditeurs permettant de tirer les prix des licences commerciales vers le bas.
Il est tout aussi plaisant qu’indiscutable de relever la présence forte de Linux côté serveur. Je peux personnellement témoigner du succès et de l’efficacité de la solution SLIS (Serveur de communications Linux pour l’Internet Scolaire) largement déployée dans les académies.
Côté client et donc poste de travail, je suis plus dubitatif sur les arguments avancés en particulier pour ce qui concerne les suites bureautiques. Ainsi par deux fois il est explicitement indiqué que le logiciel libre est un moyen de faire pression sur les éditeurs propriétaires pour faire baisser leurs prix (et de s’enorgueillir d’avoir réussi à négocier MS Office à moins de 40 €) ! Ces tarifs attractifs ajoutés aux coûts cachés que représentent une migration constitueraient donc un frein au développement des suites bureautique libres (comprendre OpenOffice.org) dans les établissements.
Cette histoire de coûts cachés est toujours difficile à évaluer parce que justement ils sont cachés et du coup on peut leur faire dire un peu ce que l’on veut. Ici ça donne : Une mauvaise maîtrise génère des coûts cachés importants et peut faire apparaître une baisse globale de la qualité de service.
Certes mais franchement est-ce qu’on utilise les suites bureautiques avec nos élèves et étudiants de manière tellement poussée (genre avec macros Excel et tout et tout) que la migration risque nécessairement de faire baisser le service ? Dans mon lycée on a ainsi adopté depuis peu OpenOffice.org en lieu et place de MS Office. Certain collègues, il est vrai, ont un peu râlé, mais pour les élèves aucun problème (on notera qu’ils râlent beaucoup moins lorsque vous prenez le temps de leur expliquer les enjeux, le contexte et la différence fondamentale entre les deux suites qui, non, non, n’est pas la gratuité).
Et puis enfin, et surtout, on notera qu’à aucun moment il n’est fait mention de la question de l’interopérabilité et des formats ouverts dont l’objet, je le rappelle, est de permettre les échanges sans imposer de solution logicielle. Ne pas s’en soucier c’est d’abord s’exposer potentiellement à des sacrés coûts cachés (comme par exemple celui de devoir un jour convertir tous ses fichiers) mais c’est également plus que dommage pour une institution influente qui forme les générations futures[2]…
Notes
[1] Pour accéder à l’URL d’origine, tapez le numéro de la question, la 104464, en suivant ce lien.
[2] L’illustration est un détail d’une photographie de Hands On Support intitulée Computer Suite issue de Flickr et sous licence Creative Commons BY.