CaRMetal : Entretien avec Eric Hakenholz

CaRMetal - Copie d'écranCaRMetal est un excellent logiciel éducatif de géométrie dynamique. CaRMetal est un logiciel libre (sinon d’ailleurs il n’aurait jamais vu le jour puisqu’il est directement issu du code source d’un autre logiciel libre). CaRMetal est développé et maintenu par un professeur de mathématiques français fort expérimenté qui a des choses à dire.

Autant de bonnes raisons de rencontrer Eric Hakenholz pour un entretien témoignage riche et intéressant.

Remarque : Le Framablog poursuit ici sa série de mises en valeur et en lumière de projets éducatifs libres et de ceux qui les portent.

Entretien avec Eric Hakenholz

Eric bonjour, une rapide présentation personnelle ?

Je suis professeur de mathématiques depuis 1989. J’ai passé mes deux premières années d’enseignement dans une école française installée dans un lycée public australien (Melbourne). Grâce à ce poste d’enseignant, j’ai eu la chance de pouvoir travailler dès 89 dans un environnement très informatisé et d’être témoin de nombreuses pratiques pédagogiques liées à l’utilisation du réseau (les nombreux Mac Plus de l’établissement étaient tous interconnectés). J’ai programmé là-bas mon premier logiciel Mac : un traceur de courbes et de surfaces, dont l’interface paraîtrait aujourd’hui bien désuète.

J’ai passé ensuite douze années dans l’académie de la Réunion, où j’ai « milité » pour l’utilisation du logiciel Cabri-Géomètre par le biais de formations et de publications (sites, journal bimestriel abraCAdaBRI, développement de l’utilitaire Cabri File Exchange). En 2004, en arrivant dans l’académie de Toulouse, j’ai cherché s’il existait un autre logiciel de géométrie dynamique, libre et gratuit cette fois-ci, qui puisse rivaliser avec la puissance et la pertinence de Cabri : j’ai découvert cette année-là le logiciel C.a.R. (Compass and Ruler).

Qu’est-ce que le logiciel CaRMetal ?

C’est un logiciel de géométrie dynamique, un environnement qui permet notamment d’explorer de manière interactive les propriétés géométriques des figures. Dans ce type de logiciel, les utilisateurs peuvent effectuer des constructions géométriques et déplacer les objets sur lesquels se basent la construction.

Pendant ces déplacements les propriétés sont conservées, et de nombreuses constatations peuvent surgir à ce moment-là : le simple mouvement des figures permet de mettre en évidence de nombreuses propriétés géométriques qui seraient passées inaperçues dans un environnement papier-crayon.

CaRMetal - Copie d'écran

Lorsque j’ai découvert le logiciel C.a.R. de René Grothmann en 2004, je me suis aperçu qu’il contenait de nombreuses fonctionnalités très originales, avec une gestion très pointue des macro-constructions (possibilité de se créer des outils à partir de ceux déjà existants). Cependant, malgré tout l’émerveillement que me procurait la découverte des possibilités de C.a.R., je gardais un oeil assez critique sur la façon d’accéder aux fonctionnalités, sur l’interface utilisateur.

CaRMetal au départ (février 2006) était juste un « TP » motivé par mon envie d’apprendre le langage java. Mes années de programmation en Pascal et en C m’ont amené petit à petit à vouloir changer pour un langage objet multi-plateforme, sur un code qui puisse être exécuté aussi bien sur GNU/Linux, Macintosh ou Windows. Les sources du logiciel C.a.R., écrits en Java par un programmeur clair, rigoureux et doué, ont rempli à merveille leur rôle de tuteur pendant mes deux premiers mois d’apprentissage. Le but que je m’étais fixé au départ était de reprendre les algorithmes mathématiques de C.a.R. et de les installer dans une interface neuve, intuitive, et toute en manipulation directe. Les choses sont allées plus vite que je ne le pensais, et les premiers résultats m’ont encouragé à changer d’optique : ce qui n’était qu’un TP est rapidement devenu un vrai projet, que j’ai décidé de publier sur Internet et de mettre à jour régulièrement.

On développe aujourd’hui des interfaces avec le soucis de donner une réponse immédiate à l’action de l’utilisateur : on s’aperçoit qu’il est presque toujours possible, avec des efforts de programmation supplémentaires, de supprimer toute situation bloquante (comme un dialogue avec boutons ok ou appliquer) ou toute situation qui ralentirait l’action (comme l’obligation systématique de dérouler un menu et de chercher l’item). Développée dans ce sens, avec le soucis d’une organisation claire et rationnelle des outils, une interface graphique permet de travailler d’une façon beaucoup plus fluide, avec un gain de temps très sensible, et une impression de liberté pour l’utilisateur qui s’en trouve nettement améliorée.

C’est avec l’objectif de produire un logiciel qui réponde un peu à ces critères que j’ai programmé CaRMetal : les seules boîtes à dialogues qui existent sont celles relatives à l’enregistrement et l’ouverture des fichiers. En phase de construction ou d’édition des objets, aucun menu n’est à dérouler, l’accès aux fonctionnalités est sans étape intermédiaire et les modifications apportées à l’aspect des objets sont visibles immédiatement dans la fenêtre de travail.

Jusqu’en décembre 2007, je suivais de très près l’évolution du logiciel C.a.R. en incluant dans CaRMetal, version après version, les modifications que René apportait à son « moteur mathématique ». Mais à partir de cette date j’ai souhaité mettre la main sous le capot algorithmique, ce qui nécessitait l’abandon du copier-coller de C.a.R. vers CaRMetal, et plusieurs dizaines de fonctionnalités qui me tenaient particulièrement à coeur ont ainsi pu voir le jour.

CaRMetal - Copie d'écran

En quoi se distingue-il des autres logiciels de la catégorie ? Je pense en particulier à Geogebra lui aussi libre et sous Java.

L’interface utilisateur de CaRMetal se distingue de celle des autres logiciels pour toutes les raisons évoquées précédemment. Certains utilisateurs me disent aussi que, pour leurs élèves, les retours vidéos systématiques ainsi que le caractère graphique des palettes et de l’inspecteur rend pratiquement nul le temps de prise en main du logiciel. D’autres, en général des adultes habitués à des logiciels différents, disent que l’absence de menus-boutons classés par types d’objets les perturbent : je laisse donc le soin aux utilisateurs de se faire leur propre opinion !

Bien sûr il y a de nombreuses fonctionnalités originales qui ne se retrouvent que dans CaRMetal, mais dire uniquement ceci serait oublier un peu trop vite que c’est aussi le cas pour d’autres logiciels de géométrie dynamique, comme Geogebra (je pense notamment à sa récente fonctionnalité « tableur » qui ne se retrouve nulle part ailleurs, du moins dans une forme très proche de celle des tableurs).

Comparer les fonctionnalités est un exercice assez subjectif : chacun peut faire son propre tableau avec en ligne le nom des logiciels, en colonne ses propres fonctionnalités, et ainsi faire apparaître une belle et unique ligne entièrement cochée… Je préfère de loin m’intéresser à l’ergonomie et l’expérience utilisateur, mais je vais tout de même essayer de faire une liste non exhaustive de quelques fonctionnalités "exotiques" de CaRMetal :

  • Les diaporamas : CaRMetal peut transformer automatiquement (en un seul clic comme disent les commerciaux) un dossier contenant des figures en un mini site web. En cliquant sur les liens de la page générée, on charge des applets qui correspondent à chacune des figures.
  • Les objets magnétiques : Cela permet notamment de créer un point sur plusieurs objets ou un point tout simplement attiré par un ensemble d’objets, conformément à une zone d’attraction définie en pixels par l’utilisateur.
  • Les contrôles systèmes : on peut inclure dans la figure des curseurs systèmes, des menus déroulants, des boîtes à cocher, des boîtes d’entrées numériques et des boutons poussoir.
  • Le JavaScript : un éditeur graphique permet de créer des scripts utilisant l’intégralité du langage javascript, enrichi de commandes liées à la pratique de la géométrie dynamique. Le logiciel permet de lancer un script et de l’annuler dans une figure.
  • Attribution automatique des noms de points : avec un tableau numérique interactif, il est assez gênant d’avoir à utiliser le clavier. Un dispositif d’attribution de noms permet de sélectionner à la volée et au stylet les noms qu’on veut donner aux objets.
  • Le mode « tableau numérique interactif » (TNI) : un stylet sur un tableau interactif ne se comporte pas tout à fait comme une souris. On perd la notion de mouse over et par conséquent bon nombre d’informations que donne la souris lors du survol d’objets d’intérêts (retours vidéos). Va-t-on par exemple, en cliquant, créer un point à une intersection, ou va-t-on louper sa cible et créer un point libre à côté ? En mode TNI, un cliquer-glisser équivaut à un survol de souris, et un lâché de stylet correspond à un clic de souris. Dans ce mode, sur un tableau interactif, on garde le même confort visuel et la même précision que lorsqu’on construit à la souris.
  • Les exercices : le formateur peut créer une construction-exercice avec comme objectif de faire construire un objet-cible (un orthocentre par exemple). L’élève doit effectuer la construction et s’il la réussit correctement, le message bravo ! apparaît. Dans ce type de figure c’est le logiciel lui-même qui s’assure que le travail a été effectué sans erreur.

CaRMetal dérive du logiciel C.a.R. (Compass and Ruler) développé par un professeur allemand. C’est parce que ce dernier était un logiciel libre que vous avez pu récupérer les sources et le modifier pour l’adapter à vos besoin. Que cela vous inspire-t-il ?

Certains informaticiens qui vivent en free-lance de leurs productions n’ont pas envie de produire des algorithmes ouverts, de peur que ce qu’ils programment ne soit immédiatement repris et vendu par d’autres. De peur finalement que le bénéfice de leurs travaux, pour lesquels ils ont dépensé beaucoup d’énergie et monopolisé beaucoup de connaissances, aillent dans une autre poche que la leur. Même si je ne fais pas partie de ce monde-là, je peux comprendre cette démarche de protection, par fermeture, dans des secteurs pointus dominés par les majors, les requins et la course au profit. Je préfère de très loin cette démarche cohérente à celle de nombreuses boîtes informatiques entièrement habillées chez Microsoft, et qui d’un autre côté ne jurent que par l’open source, en utilisant abondamment ce label dans le seul but de faire du dollars à grands coups de copier-coller. Concernant l’open source, les choses ne sont donc pas si simples et si manichéennes…

C.a.R. est un logiciel libre, et pas seulement open source : il est sous licence GNU-GPL et par conséquent CaRMetal l’est aussi. René Grothmann, le concepteur de C.a.R., a développé son logiciel dans une démarche d’ouverture et de partage : le véritable esprit du libre est-là, dans un comportement plus éthique et moral que purement technique. Reprendre les sources de René, les adapter suivant mes préférences, ajouter de nouvelles fonctionnalités m’a permis de créer un autre logiciel, qui a son tour peut être repris, et amélioré dans le même esprit.

L’idée du libre me fait penser au chanteur folk américain Woody Guthrie, qui, prenant le contre-pied des copyrights déjà en vogue à son époque, écrivait ceci en 1930 dans un recueil de chansons : This song is Copyrighted in U.S., under Seal of Copyright #154085, for a period of 28 years, and anybody caught singin’ it without our permission, will be mighty good friends of ourn, cause we don’t give a dern. Publish it. Write it. Sing it. Swing to it. Yodel it. We wrote it, that’s all we wanted to do.

Rares sont les enseignants développeurs de logiciels libres, êtes-vous reconnu et soutenu par l’Institution ? Est-ce important pour vous ?


N’ayant jamais aimé jouer les commerciaux, je n’ai jamais rien demandé à personne pendant ces quatre années de développement. C’est peut-être la raison pour laquelle je n’ai jamais eu aucun soutien, aucune reconnaissance de la part de ma hiérarchie institutionnelle ici, dans l’académie de Toulouse.

Lorsque je lis par exemple des présentations de CaRMetal comme celle mise en ligne par l’académie de Poitier, cela me fait bien évidemment plaisir, et je ne cacherai pas qu’une petite reconnaissance du travail effectué, par ma hiérarchie toulousaine, me paraîtrait bien sympathique. Développer un logiciel comme celui-ci prend beaucoup de temps, et le temps n’est pas extensible… Pour la petite histoire, en dehors de mes 19h00 de cours hebdomadaire, il m’a été reproché l’an dernier de ne pas avoir voulu m’investir et participer à la vie informatique de mon établissement, comme personne ressource. Si l’absence de reconnaissance de ma hiérarchie locale n’est pour moi qu’un petit regret, ce genre de reproche-là, par contre, fait plutôt du mal.

Hors institution par contre, l’encouragement est très présent, avec des articles récents comme celui publié sur le portail des IREMs (Institut de Recherche sur l’Enseignement des Mathématiques), ou par exemple les travaux réalisés par l’IREM de La Réunion. L’IREM de Toulouse m’a contacté très tôt, en 2007, pour savoir si je voulais intervenir dans ses stages « Enseigner les maths au collège » et c’est avec grand plaisir que j’ai accepté, et que je donne dans ce cadre-là quelques heures de formation par an. Tout ce qui est écrit aussi au sujet de CaRMetal dans le monde du logiciel libre me donne bien sûr l’envie de continuer !

Que pensez-vous du label RIP et de l’initiative SIALLE visant à promouvoir le logiciel libre dans l’éducation ?


Sans même parler des critères d’attribution de ce label RIP (Reconnu d’Intérêt Pédagogique), on peut se demander si les enseignants ont vraiment besoin qu’on leur indique quelles ressources sont intéressantes pour eux, avec comme corollaire possible que les autres ne le sont pas. Une ressource pédagogique n’étant pas tout à fait comparable à un poulet sous cellophane, j’ai toujours été assez réservé sur la nécessité de labelliser quoi que ce soit dans notre métier d’enseignant. Pour bénéficier de ce label, il faut le demander, et ce n’est peut-être pas dans la culture de tous les développeurs libres du monde éducatif. Cependant, je n’irai pas jusqu’à affirmer que c’est pour cela que presque aucun logiciel libre n’est classé RIP !

Je n’ai jamais demandé le label RIP pour CaRMetal, qui ne fait donc pas partie de la liste : on constate par contre que cela convient tout à fait aux sociétés privées de e-learning qui cherchent à se faire estampiller leurs animations flash, et qui, par les temps qui courent, y arrivent plutôt bien.

Je vois par contre d’un tout autre oeil l’initiative SIALLE, qui montre que l’idée du libre fait aussi son chemin dans l’Education Nationale, même si tout cela reste très timide. C’est pour cette raison-là que lorsqu’on m’a contacté il y a deux ans pour faire partie de cette base de logiciels, j’ai donné mon accord immédiatement. Je regrette un peu l’aspect rigide de la base de données, avec des classements par étoiles qui ne sont issus en général que d’un ou deux avis, mais il reste que cette initiative a le mérite d’exister et qu’il faut l’encourager, et faire en sorte qu’elle prenne plus d’importance.

En mathématiques, il y a l’incontournable et très libre association Sésamath. Participez-vous, de près ou de loin, à ses travaux ?

Non, et c’est un de mes grands regrets… J’ai participé il y a trois ans, avec l’équipe de développeurs de mathenpoche, à une réunion qui s’était fixée pour objectif de jeter les bases du Labomep à venir. J’aurai dû continuer à collaborer sur ce projet avec ces collègues sympas et talentueux, mais je suis resté "en solo" sur CaRMetal, en ne traitant que l’infinie liste des choses à faire pour ce logiciel… On n’a qu’une vie et c’est dommage ! Je suis par contre, dans ma pratique pédagogique, un utilisateur très assidu de toutes les productions de cette association : les manuels, les démos, Mathenpoche, Sesaprofs, eBep’s etc.

Sésamath est un formidable ballon d’oxygène au milieu d’un monde de brutes. Je ne prendrai qu’un seul exemple, que je souhaite détailler : celui des manuels numériques. A l’occasion des nouveaux programmes de sixième estampillés « manuels numériques », les enseignants ont reçu en fin d’année dernière de nombreux spécimens, avec du Bordas, du Nathan, du Hachette et du Hatier comme s’il en pleuvait. Rien de très nouveau dans cette avalanche de papier glacé, mise à part la possibilité de vidéo-projeter le manuel. Il n’y a souvent aucune interactivité véritable dans les documents proposés : juste du texte, des images, et l’idée véhiculée qu’avec tout ça, on allait enfin pouvoir se sentir dans le vent.

Les choses se compliquent lorsque l’enseignant veut installer pour lui et pour sa classe les manuels numériques en question :

  • On commence par la case tiroir-caisse avec en moyenne 5,50€ par élève, si on a bien sûr déjà payé les 20€ par élève du manuel papier. Ceux qui souhaitent étudier de près les grilles de tarification des éditeurs, peuvent cliquer ici pour visualiser l’exemple de l’offre de la maison Hachette.
  • On part sur un site portail (KNE) pour télécharger son manuel, avec les codes d’accès achetés par l’établissement.
  • On installe une application nommée delivery (logiciel utilisé pour les ventes de magazines en ligne) qui a pour fonction de télécharger, lire, et cadenasser la ressource par l’utilisation d’un format propriétaire (.dly).

Pour un enseignant donné, le manuel ne s’installe qu’une seule fois, avec à la limite une autre installation possible sur une clé USB. Si cela vous rappelle quelque chose, c’est normal : il s’agit bien de DRMs appliquées à l’Education Nationale. J’allais oublier de signaler que l’installation de ces manuels numériques, quand on y arrive (de nombreux collègues rencontrent de grosses difficultés techniques pendant cette phase), ne peut se faire que sur windows ou mac. Amis linuxiens, bonjour. Les collègues qui ont opté pour le manuel sesamath 6e (mais aussi les autres !) peuvent aller librement sur le site, téléchargent sans code d’accès ce qu’ils veulent, d’où ils veulent, sous format pdf ou OpenOffice.org, le modifient comme ils le souhaitent, utilisent les démos interactives des chapitres, le site Mathenpoche, ainsi que tous les formidables outils produits par cette association.

Sésamath, c’est le choix de la pertinence et de la sérénité, très loin des contraintes, des contorsions techniques et des interdits que veulent nous imposer les marchands du temple par le biais de leurs relais institutionnels.

La situation du logiciel libre à l’école : excellente, bonne, peut mieux faire ?

Peut beaucoup mieux faire bien entendu… J’attends impatiemment que l’institution se mette enfin à étudier sérieusement les alternatives libres, mais avec des exemples récents comme celui des manuels numériques, on peut se dire qu’il y a encore beaucoup de travail à faire de ce côté-là.

Il serait pourtant possible d’imaginer des établissements entièrement équipés de clients linux sur les réseaux pédagogiques : l’offre logicielle, ainsi que la simplicité d’installation et d’utilisation des nouvelles distributions le permettrait dès maintenant. Il manque juste, pour se faire, une évolution des mentalités des acteurs du monde éducatif, et je ne parle pas que de l’institution : beaucoup de collègues, qui ne se sentent pas en confiance avec l’outil informatique, sont encore très attachés au système windows qui leur a été livré en standard avec leur machine. Je peux comprendre cela et je ne critique pas : je pense juste que la situation du logiciel libre à l’école va sûrement évoluer, mais pas aussi rapidement qu’on pourrait le croire…

Que manque-t-il à CarMetal selon vous et quels sont les améliorations que vous aimeriez voir figurer dans les prochaines versions ?

CaRMetal est un logiciel de géométrie plane qui simule assez bien la 3D, mais il lui manque certaines fonctionnalités pour qu’on puisse directement construire et manipuler des objets dans l’espace : c’est sur cette question-là que je travaille en ce moment, et une version qui véritablement 3D devrait voir le jour d’ici décembre.

Une autre amélioration en vue : le multi-fenêtrage de l’application devrait être remplacé, dans un avenir proche, par une navigation par onglets qui permettra un accès plus simple aux figures.

CaRMetal - Copie d'écran




Paris Descartes vend ses étudiants à Micro$oft !

TheeErin - CC by-saEncore un titre qui ne fait pas dans la dentelle ! Il ne vient pas de moi mais d’un tract qui est actuellement distribué sur le campus de l’Univesité Paris Descartes par le SNESup, le Syndicat national de l’enseignement supérieur. Tract que nous avons reproduit ci-dessous dans son intégralité.

Il est une conséquence indirecte (et non désirée) d’un vaste et ambitieux partenariat signé en juillet 2009 par Microsoft et la vénérable Université, partenariat « visant à développer des actions communes autour des nouvelles technologies » (liens html, pdf, vidéo[1] et… photo de famille !)

Ce qui frappe c’est la radicalité des mots et expressions employés (jusqu’à mettre un « $ » au « s » de Microsoft !). À la hauteur de l’exaspération suscitée par cette énième opération de marchandisation de l’éducation qui ne veut pas dire son nom ?

Je tenais cependant à apporter quelques éléments de réflexion qui sont autant de modestes tentatives de mise en perspective (en pensant aussi à un éventuel débat qui pourrait démarrer dans les commentaires) :

  • Les universités peuvent-elles résister à de telles offres dans le contexte économique actuel ? Prenez le temps de lire le communiqué de presse et vous constaterez avec moi la densité des services proposés, avec promesse de soutien de Microsoft à la future fondation de l’université (« soutien » étant pris ici dans tous les sens du terme). Même une direction rompue aux vertus du logiciel libre et sa culture aurait à mon avis du mal à ne pas sacrifier quelques unes de ses valeurs sur l’autel d’un certain pragmatisme dicté par le manque de moyens.
  • C’est le programme Live@edu de Microsoft qui est stigmatisé ici. Mais Google propose, à quelques nuances près, rigoureusement la même chose avec Google Apps Education. Ne serait-ce point « la guerre de l’informatique dans les nuages » qui pénètre ici directement le vulnérable secteur éducatif ? D’un côté on rend service aux étudiants, de l’autre on investit sur leur potentiel à… conserver les mêmes technologies une fois arrivés sur le marché du travail. Le plus dur étant d’entrer, parce qu’une fois que l’étudiant possède (sur vos serveurs) sa messagerie, son agenda, son espace de stockage, sa suite bureautique en ligne, ses documents, ses photos, ses habitudes de chat, etc. le plus dur est fait. Il lui sera alors fort difficile de migrer, même avec les meilleures volontés du monde ! Un dernier mot sur ces serveurs qui hébergent toutes ces données de nos étudiants : il est juridiquement et géographiquement presque impossible de les localiser !
  • Cet épisode interroge également sur la politique numérique française de l’éducation en général et du supérieur en particulier. Que ne nous avait-on pas dit et promis avec les ENT, les fameux Espaces numériques de travail ! À laisser Microsoft, Google et consors s’occuper de cela pour nous, nous sommes en présence d’un double aveu, celui d’un échec et d’une démission. Sans compter que dans l’intervalle sont apparus les réseaux sociaux qui risquent eux aussi de ringardiser les quelques ENT qui avec peine avaient tout de même réussi à se mettre en place (Facebook sera-t-elle la prochaine grosse société américaine à venir frapper aux portes de nos universités ?). On voit bien ici comment le public ne peut pas (ou plus) lutter contre le privé, et c’est fort inquiétant pour ceux qui demeurent attachés à la notion de biens communs. Dernier exemple en date, le risque de voir nos bibliothèques publiques numérisées par… Google et non pas nos propres moyens.

Sur ce je vous laisse avec ce tract qu’il me plait à imaginer entre les mains d’étudiants interloqués[2] mais conscients que cet accord peut en avantager quelques uns sur le court terme mais finir par freiner tout le monde sur le long terme.

Paris Descartes vend ses étudiants à Micro$oft !

SNESup – octobre 2009 – Tract


L’université s’apprête à signer avec Microsoft une convention d’utilisation du bouquet de services Live@edu. Il s’agit de confier à Microsoft le webmail des étudiants et des personnels volontaires. Une offre alléchante : gratuit, sans pub, avec 100 Go chacun, un chat intégré, un espace de stockage personnel, un accès au pack office web… et c’est compatible avec Linux, MacOS, Firefox ! Que demander de plus ?

Plus pour moins cher ?


Avec ce projet, l’université prétend offrir aux étudiants un service meilleur que le webmail actuel, pour un coût inférieur à ce que nos ingénieurs pourraient faire. Pourtant, les histoires d’externalisations sont toujours les mêmes : avant de signer le contrat, tout est rose, une fois signé on paye le prix fort. Un service a un coût, à long terme Microsoft nous le fera payer : Microsoft est un géant, qui nous imposera ses conditions s’il le souhaite.

Halte aux dealers !


Faciliter l’accès des étudiants au pack office web, c’est un cadeau empoisonné. Au lieu de former des utilisateurs avertis de l’informatique, l’université s’apprête à fabriquer des consommateurs dépendants des produits Microsoft. A la sortie de l’université, devenus accros, ils devront acheter au prix public les mêmes produits. L’université renonce donc à sa mission de formation pour servir les intérêts commerciaux d’une entreprise.


Aujourd’hui, les ingénieurs et les enseignants de Paris Descartes enseignent l’informatique via des logiciels libres : chacun peut ainsi utiliser les nouvelles technologies gratuitement et pour longtemps. Aurons-nous toujours cette liberté quand Paris Descartes sera pacsée avec Microsoft ?

Voulons-nous être les clients captifs de Microsoft ou rester des utilisateurs libres de l’informatique ?

Notes

[1] Pour rédiger cet article, je me suis tapé la vidéo de la conférence de presse jusqu’au bout et j’ai été assez stupéfait par la capacité de l’auditoire à ne pas poser les questions qui fâchent !

[2] Crédit photo : TheeErin (Creative Commons By-Sa)




Qui peut fait pire que Slate.fr ? Personne !

Le titre de mon billet témoigne d’une irritation non feinte à la lecture d’un récent article paru sur le site Slate.fr : Qui fait mieux que Microsoft Office ? Personne. Si les concurrents de la suite bureautique ne percent pas, c’est parce qu’ils sont gratuits.

La thèse est donc ici toute entière résumée dans le titre.

Un premier extrait pour se mettre tout de suite dans le bain (inutile d’insister une nouvelle fois sur la différence entre logiciel libre et open source, cela ne serait pas entendu) :

Tous ces programmes, comme la plupart des logiciels gratuits, sont « open-source », c’est-à-dire que leur code-source est accessible librement, offrant ainsi la possibilité aux développeurs du monde entier de le modifier et créer eux-mêmes de nouvelles versions – bien que parmi ces logiciels libres, les plus importants sont régulièrement vérifiés, mis à jour et améliorés par des dizaines de développeurs qui travaillent dessus depuis des années.

Le mouvement open-source remonte au milieu des années 80, lorsqu’un programmeur et chercheur du nom de Richard Stallman a suggéré aux développeurs de partager leur code-source, affirmant que le modèle propriétaire « closed-source » les faisait perdre leur temps sur des problèmes déjà résolus par d’autres. Selon Stallman, donner libre accès au code-source d’un programme faciliterait grandement le développement de l’industrie logicielle.

Stallman serait ravi de l’apprendre !

La question de la vente liée et celle des formats sont évidemment totalement occultées. Quant à la liberté ainsi offerte aux utilisateurs, c’est bien simple elle n’existe pas (tout comme GNU/Linux d’ailleurs).

Qu’OpenOffice.org soit davantage dans la copie que dans l’innovation peut être un vrai débat, mais ainsi présenté et exposé ce débat n’aura pas lieu.

Deuxième extrait :

De façon ironique, si l’on observe le marché des suites bureautiques, le mouvement du logiciel libre a plutôt aidé à étendre le quasi monopole de Microsoft. Richard Stallman avait raison de penser qu’une large communauté de programmeurs travaillant à développer le logiciel open-source pouvait faire avancer la technologie de manière plus efficace, mais il n’avait pas anticipé qu’un jour, les logiciels gratuits resteraient, tout comme les logiciels payants, bloqués au niveau «pas mal».

Que la presse, traditionnelle ou en ligne, ait décrété « la guerre au gratuit », je puis l’admettre et le comprendre. Mais un tel manque de professionnalisme, beaucoup moins.

PS : Et si le caractère gratuit d’OpenOffice.org vous pose problème, vous n’avez qu’à le payer !




Prix Nobel de la paix : libre détournement du discours d’Obama

ChrisAC - CC by-saNul ne l’ignore, Barack Obama a reçu récemment le prix Nobel de la paix 2009, déclenchant au passage une petite polémique quant à la légitimité d’un choix représentant alors bien plus un encouragement à poursuivre une action qu’une récompense couronnant l’ensemble d’une longue et fructueuse carrière.

Certains, parmi les plus critiques, sont même allés jusqu’à affirmer que Barack Obama méritait bien plus le « prix Nobel des discours » que celui de la paix ! Loin de moi l’idée de participer au débat, mais force est de reconnaitre qu’effectivement côté discours, Barack Obama est souvent au dessus de la mêlée. Je garde ainsi encore en mémoire l’exceptionnel discours de Philadelphie (vidéo 1 et 2) sur la question raciale le 18 mars 2008, lorsqu’en pleine campagne il était contesté par la découverte des propos radicaux de son ancien pasteur Jeremiah Wright.

Le discours de remerciement du président américain apprenant qu’on lui avait fait l’honneur du prix Nobel de la paix n’a pas fait exception : sobre, humble et rassembleur.

Soit, mais où veut-il en venir à nous parler d’Obama sur un blog censé nous parler de logiciel libre ?

Point d’impatience, nous y voilà. Il se trouve que le célèbre informaticien Jon « maddog » Hall[1] s’est amusé, ci-dessous, à transposer ce dernier discours au logiciel libre. Et vous constaterez peut-être avec moi que loin d’être anachronique, cette émouvante substitution est porteuse de sens…

Je n’ai jamais gagné le Prix Nobel de la Paix

I never won a Nobel Peace Prize

Jon maddog Hall – 11 octobre 2009 – Linux-Magazine.com
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler)

C’est à mon réveil, le 9 octobre que j’ai appris que le président Obama avait gagné le Prix Nobel de la Paix.

Les discussions allaient bon train quant au « mérite » du président Obama, on argumentait beaucoup sur le fait que le Prix Nobel de la Paix n’est pas nécessairement décerné comme une récompense pour un accomplissement passé, mais plutôt comme un encouragement à poursuivre les efforts déjà entrepris.

En lisant son discours de remerciement, j’ai joué à un petit jeu en le transposant à mon sujet de prédilection : les logiciels libres et open source.

« Soyons clair, ce prix n’est pas pour moi la reconnaissance de mes mérites propres. »

Beaucoup de personnes m’ont déjà dit « merci pour tout ce que vous faites pour le logiciel libre ». Je leur réponds que je suis juste la bonne personne au bon endroit, au bon moment. J’ai simplement fait fait ce que je pensais qu’il fallait faire, ce pour quoi j’avais les compétences.

Et s’ils veulent voir la personne la plus importante du monde des logiciels libres, je leur dis qu’ils n’ont qu’à regarder dans le miroir… le logiciel libre a besoin de tout le monde… chacun peut apporter sa contribution.

« Des hommes et des femmes qui m’ont inspirés, moi comme le reste du monde. »

Moi aussi j’ai été inspiré par certains des meilleurs ingénieurs informatiques de tous les temps, j’ai même eu la chance de pouvoir rencontrer et discuter avec la plupart d’entre eux. Le contre-amiral Grace Murray Hopper, Maurice Wilkes, Douglas McIlroy, Ken Thompson, Dennis Ritchie… et la liste ne s’arrête pas là.

Ce sont, eux aussi, des héros contemporains… tout comme chaque programmeur sacrifiant sa nuit pour corriger ce vilain bogue dans un logiciel libre. Celui qui traduit la documentation pour permettre à d’autres d’utiliser le programme est un héros. Tout comme celui qui organise une démonstration pour faire découvrir les logiciels libres aux autres et qu’ils puissent eux aussi les partager. Ce sont tous des « héros » pour moi.

« Ce prix reflète le monde que ces hommes et ces femmes, ainsi que tous les américains, veulent bâtir. »

Un monde de collaboration, où les gens bâtissent, en s’appuyant sur les travaux de leurs prédécesseurs… où ils ne « réinventent pas la roue » et où ils ne perdent pas leur temps à contourner les brevets logiciels. La Liberté d’étudier le fonctionnement des programmes et d’essayer de les améliorer.

« Il a aussi servi à donner une nouvelle dynamique à des causes déjà existantes. »

Le président Obama énumère alors une liste de causes, que nous connaissons tous, mais certaines d’entre-elles sont pour moi plus marquantes :

  • accepter nos responsabilités et modifier notre manière de consommer l’énergie
  • le droit à l’éducation et à une vie honorable
  • la crise économique mondiale

Je pense que les logiciels libres peuvent jouer un rôle dans ces domaines et je vais m’employer à les traiter grâce aux logiciels libres.

« Je sais que nous pouvons vaincre ces difficultés, du moment que nous reconnaissons qu’elles ne pourront être vaincues par une seule personne ou par un seul pays. Cette récompense ne couronne pas simplement les efforts de mon administration, elle couronne les efforts courageux de gens partout dans le monde. C’est pourquoi cette récompense revient également à chaque personne œuvrant pour la justice et la dignité. »

Nous ne pourrons affronter les difficultés actuelles sans l’effort de toute la communauté du logiciel libre. Nous ne pouvons évidemment pas régler les problèmes du monde tous seuls, mais le principe de collaboration régissant le logiciel libre se diffuse et sera l’une des clés de ces problèmes.

Peut-être un jour y aura-t-il un « Prix Logiciel Libre de la Paix ».

Carpe Diem !

Notes

[1] Crédit photo : ChrisAC (Creative Commons By-Sa)




Francis Muguet (1954 – 2009)

C’est avec stupeur et consternation que j’ai appris ce week-end l’annonce de la mort de Francis Muguet, que j’avais entendu en conférence pour la dernière fois pas plus tard que l’été dernier à Rennes[1].

Nous suivions de près ses travaux, en particulier autour du Mécénat Global, inspirateur direct du projet SARD.

« Tout en adressant nos plus sincères condoléances à sa famille, nous vous invitons à poursuivre ses actions et à diffuser ses idées, ce qui semble être le meilleur hommage que l’on puisse lui rendre ». (Benoît Sibaud sur Linuxfr)

Pour mémoire, une intervention de Francis Muguet, interviewé l’année dernière par Bernard Perrigueur (pour BJP Tv News – Lausanne) en pleine Bataille Hadopi.

—> La vidéo au format webm

Notes

[1] Ceci pose d’ailleurs la question du devenir des données numériques publiques d’une personne venant subitement à décéder (et emportant avec elle tous ses mots de passe). Mais il eut été indélicat que de l’évoquer plus avant ici.




Logiciel libre : L’analogie de la voiture

Hamed Saber - CC byLe concept de logiciel libre n’étant pas toujours très simple à expliquer, la tentation est alors forte de lui trouver quelques comparaisons plus parlantes et signifiantes aux yeux du grand public.

La plus cèlèbre d’entre elles est la comparaison dite de la recette de cuisine. Selon le principe du libre, vous avez obtenu légalement cette recette par différentes sources (des revues, le bouche à oreille…), vous avez le droit de préparer cette recette à qui vous voulez et vous pouvez la modifier puis la redistribuer comme il vous plaît. Selon le principe du logiciel non libre, vous n’avez pas accès à la recette, mais uniquement au plat déjà fait, vous ne pouvez manger le plat que dans une seule cuisine, et personne d’autre que vous ne peut en manger. Quand bien même la recette serait fournie avec le plat, toute copie ou modification serait interdite[1]

Nous vous proposons aujourd’hui une comparaison avec l’achat et l’utilisation d’une voiture[2], que nous devons à Tal Schechter de la Free Software Foundation. Comparaison d’autant plus pertinente que, dans le monde automobile, l’électronique a pris désormais le pas sur la mécanique avec toutes les conséquences que cela implique sur la réparation, la garantie et le contrôle de la marque.

La comparaison avec une voiture

The car analogy

Tal Schechter – 13 octobre 2009 – FSF.org
(Traduction Framalang : Kovalsky et Goofy)

Et si nous comparions l’achat d’une nouvelle nouvelle voiture avec l’utilisation de logiciels non libres ? Même si l’exemple suivant peut sembler quelque peu tiré par les cheveux, c’est une très bonne analogie pour comprendre l’importance de la liberté des utilisateurs dans les logiciels.

Imaginez que vous voilà parti pour acheter une nouvelle voiture. Après avoir choisi une marque, vous allez chez le concessionnaire et commencez à regarder ce qu’on peut vous proposer. Vous vous décidez pour un modèle qui vous plaît, et le vendeur essaie de vous vendre toutes sortes de choses dont vous n’avez pas besoin, et d’autres qui vous laissent sceptique. Une sous-couche de peinture ? Est-ce bien nécessaire ? Après avoir signé un contrat avec le vendeur, vous avez vos clés en mains.

Vous avez refusé de payer pour l’usage du coffre. Comme il y a un coffre intégré, ils ont essayé de vous vendre l’option d’avoir une copie de la clé, « Je n’ai pas réellement besoin d’un coffre », pensez-vous. « Je l’ajouterai plus tard si j’en ai besoin »

En ouvrant la porte, vous trouvez une énorme pile de papiers attachés par une pince au siège avant. La première page dit « Merci d’avoir acheté cette nouvelle voiture PaLibre. Nous espérons que vous l’apprécierez pendant de nombreuses années à venir. En déverrouillant et en ouvrant la porte, vous avez implicitement accepté les termes de ce contrat. Merci de prendre le temps de lire la notice d’utilisation ». Outré, vous retournez au bureau du vendeur. « Qu’est ce que ça veut dire, que j’ai implicitement accepté les termes du contrat ? Ne suis-je pas supposé lire le contrat avant de le signer ? ». Il vous répond que tout le monde trouve que le contrat est très ennuyeux, et que pour satisfaire pleinement la clientèle, on le signe à votre place. Satisfait de cette réponse, vous ramenez votre voiture flambant neuve à la maison.

Quelques mois passent sans aucun problème, et vous appréciez généralement votre voiture. Un jour, en conduisant, vous faites un saut sur l’autoroute. Vous aimez le son que fait votre voiture lorsque vous poussez un peu le moteur. Attendez une minute, vous ne semblez pas pouvoir aller à plus de 90 kms/heure ! Vous entendez une voix de synthèse qui vous dit : « À cause d’une mise à jour de sécurité du constructeur, vous ne pouvez pas dépasser 90 kms/heure. Bonne conduite ». Vous haussez les épaules et pensez, « Bon d’accord, c’est pour la sécurité. Ça pourrait être pire ». Vous prenez la sortie et rentrez chez vous.

Le matin suivant en allant au boulot, vous remarquez de drôles de bruits venant de sous le capot. Vous avez une amie qui s’y connaît en voiture, donc vous lui demandez si elle peut passer après le travail. Quand elle voit votre voiture, elle vous dit « Non. Je ne peux rien faire pour toi. C’est une de ces voitures PaLibres. Je ne peux même pas ouvrir le capot ».

Donc vous l’amenez chez votre garagiste, et il ne prend même pas la peine de vous faire payer un devis. « Désolé Monsieur. C’est une voiture PaLibre. Même si j’avais les bon outils, je ne pourrais pas déverrouiller le capot, et encore moins voir ce qui ne va pas. C’est contre la loi ». Estomaqué, vous retournez chez le concessionnaire pour demander « Quel est le problème? »

Après avoir attendu une éternité, finalement une employée du service après-vente appelle votre nom. Vous expliquez le bruit que fait la voiture et toutes les étapes que vous avez franchies pour essayer de la faire réparer. Elle explique que pour préserver la bonne image de PaLibre, ils ne laissent pas n’importe qui s’occuper de leurs voitures. Vous devez avoir une formation et une accréditation. Vous demandez à voir le contrat que vous avez signé. Une des clauses précise que tout ajout de pièce détachée non-homologuée annulera la garantie. Vous demandez à l’employée à quoi cela s’applique, et elle vous explique que même repeindre votre voiture avec une couleur non approuvée par le concessionnaire supprimerait la garantie.

Votre voiture va au garage du concessionnaire. Ils vous font payer un devis, ainsi qu’une « surtaxe de licence de réparation homologuée ». Ils vous appellent pour que vous alliez récupérer votre voiture, et ils vous disent qu’il n’ont rien trouvé. Vous récupérez votre voiture, et elle continue à faire ce bruit désagréable. Vous demandez au garagiste qui vous répond « Oh, parfois les voitures PaLibres font ce bruit. Il n’y a pas à s’inquiéter».

Même si l’histoire peut sembler ridicule, c’est exactement ce qu’il se passe lorsqu’une personne choisit d’utiliser un logiciel non libre. Vous choisissez le logiciel qui correspond le mieux à vos besoins, et parfois un vendeur vous aide. Vous acceptez un contrat que vous n’avez probablement pas lu, et parfois vous acceptez implicitement les termes d’utilisation du programme. Vous utilisez le logiciel. Cependant, vous pouvez utiliser le logiciel uniquement comme l’éditeur l’a autorisé (conduire dans notre comparaison). Quand le logiciel dysfonctionne, ou même lorsque vous voulez améliorez quelque chose, vous ne pouvez aller nulle part ailleurs que chez l’éditeur. Vous ne pouvez pas aller chez un ami qui s’y connaît en informatique. Vous ne pouvez pas demander à une autre entreprise de vous régler ça. Vous devez aller chez les développeurs. Lorsque vous leur expliquez votre problème, ils vous répondent peut-être « Nous ne pouvons pas faire ça pour vous ». Ils peuvent dire « On y pensera pour la prochaine version ». Il est plus probable encore qu’ils disent « C’est une fonctionnalité, il n’y a rien à réparer ».

Les logiciels libres, de leur côté, proclament les libertés des utilisateurs. Les logiciels libres sont définis ainsi : des logiciels que vous pouvez utiliser dans n’importe quel but (pour conduire, servir de presse-papier, d’objet d’art, etc.) ; des logiciels que vous avez la liberté d’étudier et de modifier si vous voulez, avec l’accès au code source (ouvrir le capot et regarder ce qu’il y a à l’intérieur, réparer et modifier de la façon dont vous l’entendez) ; des logiciels qui peuvent être redistribués ; des logiciels auxquels vous pouvez apporter des améliorations que vous pouvez publier (ajouter un évent sur le capot et un turbocompresseur, et mettre les plans de ce que vous avez fait sur votre site favori).

Nous n’acceptons pas les violations de nos libertés lorsque nous achetons une voiture, donc pourquoi devrions-nous le faire avec les logiciels ?

Notes

[1] Source Wikipédia.

[2] Crédit photo : Hamed Saber (Creative Commons By)




WikiReader, un futur cas d’école ?

WikiReaderL’élève : Monsieur, je peux utiliser mon WikiReader en cours ?

Le professeur : Ton quoi ? Qu’est-ce que c’est que ce nouveau gadget encore !

L’élève : C’est génial, c’est tout Wikipédia dans un petit lecteur à écran tactile ! Même pas besoin d’être connecté à Internet, l’intégralité est enregistré dans un carte mémoire à mettre à jour quand on le souhaite. Pas besoin de fil non plus avec ses piles qui tiennent un an.

Le professeur : Vraiment ! Et comment ça marche concrètement ton truc ?

L’élève : C’est super simple d’utilisation. Il n’y a que trois boutons. J’ai une question sur un sujet donné, je clique sur « Rechercher » et il m’affiche sur l’écran l’article correspondant de l’encyclopédie libre. Enfin si l’article existe évidemment, mais je crois qu’il y a presque un million de pages dans la version francophone désormais. Après je fais défiler l’article avec mes doigts comme sur un iPhone, c’est trop classe ! Et le programme qui fait tourner la machine, c’est du logiciel libre et ça c’est encore plus classe !

Le professeur : Certes… Et les deux autres boutons ?

L’élève : Il garde trace de toutes mes anciennes recherches dans « Historique ». Et en cliquant sur « Au hasard », je peux découvrir de nouvelles choses, puisqu’on me propose alors un article aléatoire de l’encyclopédie.

Le professeur : Hum, et pourquoi veux-tu t’en servir en cours ?

WikiReaderL’élève : Ben, parce que des fois vous éveillez ma curiosité qui me donne tout de suite envie d’en savoir plus, ou bien alors j’ai besoin de retrouver un truc ponctuel et précis (une date, une définition, une formule scientifique, etc.). Vous savez comme moi que le retenir par coeur, c’est pas mon fort ! J’ai une phénoménale capacité d’oubli, que vous avez encore dit à mes parents la semaine dernière ! Bien sûr, je peux sagement lever le doigt et vous le demander directement, mais si c’est une chose que je devrais savoir et que j’ai oubliée, je vais pas oser vous déranger pour ça. Je peux aussi demander à mon voisin, mais il ne sais pas forcément, et puis ça peut perturber le cours…

Le professeur : Oui, enfin, la perturbation elle peut venir aussi directement de ton machin. Cela peut te déconcentrer, d’ailleurs rien ne me permet de savoir que tu es bien en train de faire une recherche dans le contexte de la leçon, surtout avec cette tentation du « Au hasard ». Et puis ça peut faire des jaloux si tu es le seul à en posséder et à l’utiliser en classe.

L’élève : Oui c’est vrai. Mais ça coûte vraiment pas cher. Enfin, tout est relatif je suis d’accord… Et pourquoi l’école n’en offrirait pas à ceux qui n’en ont pas les moyens ? Il suffit d’en acheter un une fois et ça sert pour toute la scolarité. En plus si on n’a pas de connexion à la maison c’est pas un problème, il suffira d’aller au centre de documentation pour actualiser notre carte.

Le professeur : D’accord, d’accord… Mais il reste la question de Wikipédia en tant que telle. Tu sais ce que je pense de l’encyclopédie…

L’élève : Oui Monsieur, vous nous avez dit que Wikipédia c’était souvent un excellent point de départ mais ça ne doit pas rester notre unique source de référence (surtout si c’est pour y faire bêtement du copier/coller !), qu’il fallait parcourir les liens proposés par un article pour aller plus loin. Et là, c’est vrai qu’on ne peut pas faire des sauts de puce ailleurs que dans l’encyclopédie même puisqu’on n’est pas sur Internet. Mais si c’est pour retrouver tout de suite la date de naissance de Victor Hugo ou la composition chimique de l’air, c’est suffisant non ?

Le professeur : Mais ça n’est pas tout…

WikiReaderL’élève : Je sais, je sais. Vous nous avez dit aussi que comme tout le monde peut écrire des articles, il y avait parfois de grosses bêtises momentanément présentes dessus, quand bien même ça a tendance à s’améliorer tout le temps. Il ne faut surtout pas lui faire une confiance aveugle, recouper avec plusieurs autres sources d’information. D’ailleurs, une autre source d’information ça peut être… vous !

Le professeur : Spirituel avec ça !

L’élève : C’est que je n’oublie pas que malgré tout votre topo sur les précautions d’usage, vous nous avez aussi expliqué pourquoi selon vous Wikipédia était l’un des plus beaux projets collectifs que l’homme ait jamais créé…

Le professeur : J’ai dit ça moi ?

L’élève : Eh oui, certainement un moment de faiblesse ou d’égarement !

Le professeur : Bon, écoute, prête-moi ton bidule. Je vais regarder ça de plus près, des fois que cela susciterait en moi quelques idées pédagogiques. Je compte également en parler aux collègues ainsi qu’à notre direction et je te fais une réponse dans quelques jours, ça te va ?

L’élève : D’accord Monsieur, mais n’oubliez pas de me le rendre !




Quand la Fondation Codeplex de Microsoft déchire la communauté

A priori nous devrions tous nous réjouir de voir Microsoft faire un pas significatif vers le logiciel libre avec la toute récente création de la Fondation Codeplex, dont l’objectif affiché dès la page d’accueil du site est de « permettre l’échange de code et une entente entre les éditeurs de logiciels et les communautés open source ».

Sauf que, le diable est dans les détails, l’entente proposée concerne donc explicitement les communautés open source et non la communauté du logiciel libre.

A partir de là, méfiance et vigilance nous dit Richard Stallman[1] dans l’article que nous avons traduit ci-dessous, en égratignant au passage le mythique Miguel de Icaza[2] (GNOME, Mono…), membre initial de la Fondation, qui en prend pour son grade en étant qualifié « d’apologiste Microsoft ».

Réponse immédiate de l’intéressé (toujours traduite ci-dessous) qui reproche vertement à Stallman de s’attaquer ainsi à ses propres alliés et de se complaire dans la paranoïa Microsoft, pratique pour fédérer ses troupes mais néfaste si l’on souhaite réellement aller de l’avant.

Au delà du conflit personnel qui frise parfois l’outrage, nous sommes face à une énième opposition entre le logiciel libre et l’open source.

L’avantage de l’open source c’est qu’il rend le logiciel libre enfin fréquentable pour des sociétés comme Microsoft qui l’ont longtemps ignoré puis dénigré. L’inconvénient, rappelé en exergue de ce blog, c’est d’aboutir à ce que le logiciel libre ne finisse par ne plus rien libérer d’autre que du code…

Codeplex… Perplexe ?

Lest CodePlex perplex

Richard Stallman – 5 octobre 2009 – FSF.org
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler)

Eneko Astigarraga - CC by-saLa Codeplex Foundation ne fait pas l’unanimité au sein de notre communauté. En effet, le fait que des employés, ou ex-employés de Microsoft, plus l’apologiste Miguel de Icaza, dominent le comité de direction n’a rien de rassurant. Mais l’habit ne fait pas nécessairement le moine.

Le jour viendra où nous pourrons juger l’organisation pour ses actions (ainsi que sa communication). À l’heure d’aujourd’hui, nous pouvons seulement essayer d’anticiper ses actions, d’après ses déclarations et celles de Microsoft.

On remarque premièrement que l’organisation évite soigneusement de parler de la liberté des utilisateurs, elle emploie le terme « open source » et ne fait pas mention de « logiciel libre ». Ces deux termes définissent deux philosophies qui n’ont pas les mêmes valeurs : le logiciel libre promeut la liberté et la solidarité alors que l’open source s’intéresse uniquement aux aspects pratiques, telle que l’efficience et la fiabilité du logiciel par exemple. Voir Pourquoi l’« open source » passe à coté du problème que soulève le logiciel libre pour plus d’informations.

Il est évidemment préférable pour Microsoft d’affronter l’adversité concrète que représente l’open source plutôt que la position éthique que défend le mouvement du logiciel libre. En ne reconnaissant, et en ne critiquant, que l’open source, comme la société le fait depuis si longtemps, Microsoft poursuit deux objectifs : attaquer un concurrent tout en détournant l’attention d’un autre.

Codeplex applique strictement la même tactique. Son but déclaré est de convaincre les « éditeurs de logiciels commerciaux » de contribuer davantage à l’open source. Comme presque tous les logiciels open source sont aussi des logiciels libres, ces programmes seront certainement libres, mais la philosophie « open source » n’enseigne pas aux développeurs à défendre leurs libertés. S’ils ne comprennent pas l’importance de cette liberté, les développeurs seront plus enclins à succomber aux stratagèmes de Microsoft les encourageant à utiliser des licences plus faibles, ce qui reviendrait à mettre le doigt dans un engrenage, à accepter la cooptation de brevets et à rendre ainsi les logiciels libres dépendant d’éléments privateurs.

Cette fondation n’est pas le premier projet Microsoft à porter le nom de « Codeplex ». On retrouve aussi codeplex.com, une forge qui ne recense pas parmi les licences autorisées, la troisième version de la GNU GPL. Peut-être est-ce dû au fait que la GNU GPL v3 a été créée pour protéger les logiciels libres de la menace que représentent les brevets Microsoft au travers d’accords comme celui conclu entre Novell et Microsoft. Les intentions de la Codeplex Foundation vis à vis de la GPL v3 nous sont encore inconnues, mais le passif de Microsoft n’incite pas à l’optimisme.

Le terme « éditeurs de logiciels commerciaux » est lui-même ambigu. Par définition, toute entreprise a un but commercial, donc tout logiciel développé par une entreprise, qu’il soit libre ou privateur, est automatiquement commercial. Mais beaucoup associent faussement « logiciel commercial » et « logiciel privateur » (voir Termes prêtant à confusion, que vous devriez éviter (ou utiliser avec précaution)).

Cette confusion est grave, puisqu’elle implique qu’on ne peut pas faire commerce de logiciels libres. De nombreux éditeurs de logiciels contribuent déjà aux logiciels libres, et ces contributions commerciales sont très utiles. Peut-être que Microsoft souhaite ici renforcer cette fausse impossibilité dans l’esprit des gens.

Toutes ces considérations prises en compte, il nous apparait que Codeplex encouragera les développeurs à ne pas penser à la liberté. Il instillera subtilement l’idée que le commerce de logiciel libre ne peut se faire sans l’appui des éditeurs de logiciels privateurs commme Microsoft. Il pourrait aussi, cependant, convaincre certains fabricants de logiciels privateurs de publier plus de logiciels libres. Cette contribution servira-t-elle la liberté des utilisateurs ?

Ça ne pourra être le cas que si le logiciel libéré fonctionne correctement sur des plateformes libres, dans des environnements libres. Mais c’est à l’opposé de ce que Microsoft cherche à accomplir.

Sam Ramji, maintenant président de Codeplex, annonçait il y a quelques mois que Microsoft (son employeur d’alors) souhaitait promouvoir le développement d’applications libres qui encourageaient l’usage de Microsoft Windows. Peut-être que Codeplex cherche à corrompre les développeurs de logiciels libres pour qu’ils fassent de Windows leur plateforme principale. Codeplex.com héberge désormais de nombreux projets qui sont des extensions de logiciels privateurs. Ces programmes sont pris dans un piège similaire au Piège Java (voir Libre mais entravé – Le Piège Java).

Mais, même en cas de succès, les implications seraient limitées puisqu’un programme qui ne fonctionne pas (ou mal) dans le Monde Libre ne contribue pas à notre liberté. Un programme non-libre prive ses utilisateurs de leur liberté. Pour éviter de se retrouver ainsi lésés, nous devons rejeter les systèmes privateurs ainsi que les applications privatrices. Les extensions libres pour des programmes privateurs que l’on trouve sur Codeplex accroissent notre dépendance vis à vis de ces programmes privateurs, l’exact opposé de ce dont nous avons besoin.

Les développeurs de logiciels libres sauront-ils résister à ce travail de sape de nos efforts pour gagner plus de liberté ? C’est là que leur éthique devient cruciale. Les développeurs adeptes de la philosophie « open source », pour laquelle la liberté n’est que secondaire, n’attachent peut-être que peu d’importance à la liberté de l’environnement dans lequel leur logiciel est exécuté. Mais les développeurs se battant pour la liberté, la leur comme celle des autres, peuvent reconnaître le piège et l’éviter. Pour rester libre, la liberté doit être notre but.

Si la Codeplex Foundation souhaite devenir un vrai contributeur de la communauté du logiciel libre, elle ne peut se contenter d’extensions libres pour des paquets non-libres. Elle doit encourager le développement de logiciels portables capables de fonctionner sur des plateformes libres basées sur GNU/Linux et d’autres systèmes d’exploitation libres. Si elle essaie de nous leurrer dans une direction opposée, il nous faut absolument nous y refuser.

Mais que les actions de la Codeplex Foundation soient bonnes ou mauvaises, elles ne peuvent excuser les actes d’agression dont Microsoft s’est rendu coupable envers notre communauté. De sa tentative récente de vendre des brevets à des intermédiaires pour qu’ils fassent le sale boulot contre GNU/Linux, à sa croisade pour la promotion des menottes numériques (DRM), Microsoft n’a de cesse de s’en prendre à nous. Nous serions bien naïfs de le perdre de vue.

Copyright 2009 Richard Stallman
La reproduction exacte et la distribution intégrale de cet article est permise sur n’importe quel support d’archivage, pourvu que cette notice soit préservée.

Chacun sa vision

World Views

Miguel de Icaza – 5 octobre 2009 – Blog personnel
(Traduction Framalang : Olivier Rosseler)

Storem - CC by-saApparemment, Richard Stallman n’a rien de mieux à faire que de m’attaquer personnellement. Dans son dernier texte, il s’est trouvé une nouvelle lubie : me traiter d’apologiste de Microsoft car je ne participe pas à sa chasse aux sorcières.

J’ai simplement un point de vue différent du sien au sujet de Microsoft. Certains de ses employés sont des personnes vraiment bien, et je sais qu’ils sont nombreux au sein de l’entreprise à essayer de lui faire prendre une meilleure voie. Cela fait maintenant quelques années que j’en parle sur mon blog.

Au fond, nous voulons tous les deux la même chose : le succès du logiciel libre. Mais Richard, plutôt que d’utiliser son temps pour défendre sa cause, s’en prend à ses propres alliés car ils ne sont pas pareils que lui. À ses yeux, débiter des inepties, telles que Linus « ne croit pas en la Liberté », est tout à fait normal[3].

Tout est une question de point de vue

Il y a de cela quelques années, j’ai eu la chance d’échanger avec Benjamin Zander sur son monde des possibles. Son livre, « L’art des possibilités » m’a profondément marqué.

Benjamin y raconte cette histoire :

Deux vendeurs de chaussures sont envoyés en Afrique au début du XXe siècle en prospection.

Le premier envoie son télégramme : « Situation désespérée. Stop. Personne ne porte de chaussures ».

L’autre envoie : « Opportunité d’affaires. Stop. Ils n’ont pas de chaussures ».

Notre temps sur Terre étant limité, j’ai décidé d’occuper le mien à essayer de faire comme le deuxième vendeur. J’essaie de voir des possibilités quand d’autres ne voient aucun débouché.

J’aime mon boulot pour cette raison précise, parce que je travaille avec des amis qui défient sans cesse les probabilités et parce que nous avons toujours su faire mentir ceux qui nous critiquent. Chacun de mes collègues veut changer le monde et aucun d’entre nous ne se laisse décourager par la peur.

La peur est un frein puissant et empêche trop souvent les gens de proposer des solutions créatives. Je préfère largement travailler à l’élaboration de solutions constructives plutôt que de me plaindre.

La paranoïa est un secteur très actif. C’est la solution de facilité pour ceux qui ne savent pas mener leurs troupes en donnant l’exemple. Créez un bouc émissaire, enrobez votre histoire, mentez, ou propagez des semi-vérités, satanisez, voilà une bonne recette pour fédérer votre base.

La paranoïa de Richard

Le documentaire « Le pouvoir des cauchemars » offre une description passionnante de l’économie de la « sécurité », de ces entreprises qui vendent de la « sureté » aux personnes effrayées, de ces dirigeants qui se servent de la peur des gens pour atteindre leurs buts. La paranoïa de Richard n’est en rien différente.

Richard Stallman fait souvent appelle à des bouc émissaire pour rassembler ses troupes. Parfois il s’en prend à Microsoft, d’autres fois il invente des faits, ou sinon il s’en prend à sa propre communauté[4]. Ses élocutions simplistes n’ont rien à envier à celle de Georges W. Bush : le Bien contre le Mal, Nous contre Eux.

La Codeplex Foundation est née de l’effort de ceux, chez Microsoft, qui croit en l’open source. Ils s’acharnent, au sein de l’entreprise, à la changer. Encourager Codeplex est une formidable opportunité d’encourager Microsoft dans la bonne direction.

Mais Richard n’arrive pas à le comprendre.

Aux yeux de Richard, il n’y a rien de bon à tirer de ce monde. Moi, à l’opposé, j’y vois des possibilités et des opportunités.

Non seulement on a jamais attrapé de mouches avec du vinaigre, mais il y a aussi beaucoup de chaussures à vendre.

Notes

[1] Crédit photo : Eneko Astigarraga (Creative Commons By-Sa)

[2] Crédit photo : Storem (Creative Commons By-Sa)

[3] Votre ami Google vous donnera de nombreux exemples d’attaques contre les défenseurs et développeurs de l’open source / logiciel libre.

[4] Le problème « open source » contre « logiciel libre » qui n’en est pas un et la guerre « Linux » contre « GNU/Linux » débutée dans les années 90 mais qui nous poursuit encore.