Pouhiou balance les hashtags #danstaface

Avec la publication de Smartarded la collection Framabook s’enrichit d’un feuilleton capricant et croquignolet, dont l’écriture rigoureusement fantaisiste surprendra agréablement plus d’un libriste. Une lecture jouissive, on vous dit. Que les thuriféraires de Paulo Coelho passent leur chemin, ici pas de spiritualité pour enfant de chœur prépubère, mais de la pure idée biscornue distillée dans l’alambic d’un Ariégeois dopé aux blogs, aux zachetagues et à la création Libre. Il s’agit de Pouhiou, avec lequel vous allez faire connaissance avant de pouvoir le rencontrer en chair et en os samedi prochain…quand il est sérieux (quatre minutes par semaine en moyenne) il peut évoquer de façon bien intéressante sa trajectoire de libriste…


Comment as-tu connu Framasoft ?

Quand j’ai commencé à passer d’Internet Explorer à Firefox, j’ai découvert le logiciel libre. Assez vite, je suis tombé sur cet annuaire formidable de logiciels et de modes d’emploi. J’ai pas l’impression d’être “un vrai” libriste : je suis encore sous OS privateur, enfermé chez google, exposé sur facebook… Mais j’ai toujours cru au fait que des passionnés partageant leur ouvrage feront mieux que quelques pros commercialisant leur boulot. C’est pour ça que j’ai été fan-subber ! Quoi qu’il en soit, à chaque nouvel ordi, je faisais un petit framapack. Régulièrement j’y ai découvert des solutions libres.

De là à faire un Framabook… comment ça s’est passé au juste ?

En Juin 2012, juste après avoir achevé le dernier épisode du livre I sur mon blog, je vais à une conférence sur le libre à Toulouse. Une conférence donnée par Alexis Kauffmann. Et là je retourne sur Framasoft. Je vois le Framablog, les Framabooks. Je me décide à les contacter… Mais pas pour être édité. Non… en vérité, je voulais juste qu’ils me fassent de la pub ! J’ai fait un pauvre email genre “bonjour, j’ai écrit/blogué ce roman chaque jour les 4 derniers mois, je me suis rendu compte que ce que j’écris est libre, donc je l’ai mis sous CC0. Si ça vous amuse ou si vous voulez en parler, je suis là. Bisous.”

Là-dessus, Christophe Masutti me répond que la collection FramaBook cherche à éditer un roman. Moi j’étais déjà parti dans un trip d’auto-édition en crowd-funding juste pour les potes et les quelques lecteurs du blog qui n’en voulaient… Du coup ça perturbait tout ! Mais on a proposé le roman au comité de lecture et on s’est lancés dans l’aventure.

Tu as manifestement pris plaisir au défi quotidien de l’écriture en ligne pour le premier tome des NoéNautes, est-ce que ce plaisir ne s’est pas émoussé en affrontant le temps plus long des révisions avant publication en Framabook. Ce n’est pas un peu frustrant pour un créateur libre ?

Ce plaisir là ne s’est pas émoussé : il a laissé la place à un plaisir tout autre ! L’écriture est un moment assez solitaire. Là, en plus, il y avait la tenue du blog, la recherche et le travail de fichiers d’illustrations, trouver des idées pour que les lecteur-trice-s partagent, faires des fichiers epub à chaque chapitre, faire le community manager, etc… Et même si pleins de gens m’ont aidé, même si tout le long on a soutenu et diffusé le projet… J’ai un peu fait tout seul, avec mes mimines. Et je m’apprêtais à faire de même pour un petit tirage papier…

C’est là qu’arrive Framabook et son équipe. Ils s’emparent de ce roman. Le questionnent. Le corrigent. Le tiraillent. Lui proposent d’autres directions, parfois pour au final faire marche arrière, parfois pour aller plus loin… Et tout cela prend du temps. Des discussions, des réflexions, des moments où on oublie tout pendant quelques jours histoire de se repencher dessus avec la tête froide…

Ça m’a fait un bien fou. Le fait de prendre le temps et le recul, de ne pas être dans l’urgence. Le fait de nourrir ce roman des regards auxquels il se confronte. C’est pour moi un rôle-clé de l’éditeur. Renvoyer la balle à l’auteur. Le pousser dans ses retranchements ou le faire monter au filet. L’avantage, c’est qu’avec Framabook, on travaille en équipe. On bosse avec des gens qui ne tiennent pas à faire reluire leur égo, mais juste à améliorer sincèrement l’ouvrage commun.

Mais bon en abandonnant tes droits tu ne gagnes rien, tu ne te considères pas comme un auteur à part entière ?

C’est drôle comme en France, on relie le statut artistique au copyright. Tu n’es auteur QUE si tu touches des droits. Moi je croyais qu’il fallait écrire, mais non. Si tu “abandonnes” tes droits, il doit y avoir un piège. Déjà c’est plus commercialisable. C’est que ton œuvre ne vaut pas grand chose. Et par extension, toi non plus…
C’est formidable comme tout cela est faux !
Tu sais que mon contrat de 15 % avec Framabook fait que je touche mieux que n’importe quel jeune auteur (contrats entre 5 et 8 %) voire qu’un Marc Lévy ou une Amélie Nothomb (entre 10 et 12 %) ?  Alors bien entendu, on n’a pas les mêmes volumes de vente. Mais ça, il ne tient qu’à la communauté de faire connaître et soutenir notre initiative. Et pour que ça arrive, c’est à nous, vrai éditeur ou pas vrai éditeur ; vrai auteur ou pas vrai auteur… C’est à nous de faire les meilleurs bouquins possibles. Un livre que tu aies envie de partager, tout simplement.

Vous retrouverez Pouhiou et son univers sous amphétamines ce samedi pour une séance de dédicace à Paris… Cliquez sur l’image ci-dessous pour l’agrandir.

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Crédit Photo Pouhiou Noelle-Ballestrero (CC-BY)




Benjamin Jean, guide dans la jungle des licences libres

Depuis sa parution l’an dernier, le Framabook de Benjamin Jean « Option libre » s’est imposé comme un ouvrage de référence, à la fois par son caractère didactique et documenté et parce qu’il s’avère un bon guide dans le maquis touffu des licences libres. Il permet en effet de définir sa propre stratégie pour choisir la licence libre la mieux adaptée à chaque projet. D’ailleurs son titre est judicieusement complété par « Du bon usage des licences libres »…

Ce n’est pas une mince qualité par ailleurs d’avoir rendu accessibles des notions juridiques dont Benjamin est un fin connaisseur, c’est un ouvrage qu’on peut saluer pour son souci de vulgarisation. En cela, il est parfaitement dans l’esprit des Framabooks qui prétendent partager le savoir, et bien au-delà du seul domaine du logiciel, apporter leur contribution à une éducation populaire.

Retour sur la petite histoire de ce livre et les valeurs dont il témoigne…

Pourquoi as-tu choisi de diffuser largement un essai qui semble destiné d’abord aux spécialistes du droit de la propriété intellectuelle dont tu fais partie ? Ça nous concerne vraiment ?

— Premier point, l’ouvrage n’est pas destiné aux spécialistes de la propriété intellectuelle (même si on y retrouve effectivement des réflexions qui ont fait l’objet de publications dans des revues spécialisées), mais bien à tous ceux que la propriété intellectuelle touche de près ou de loin — ce qui est beaucoup plus large 🙂

En effet, je trouve paradoxal qu’un droit aussi présent sur internet, dans le numérique, etc. soit si peu accessible au grand public. Cela pour au moins deux raisons :

  1. Le droit est un outil destiné à gérer (entendre « faciliter») les relations sociales, les liens entre les personnes : à ce titre, l’intérêt de diffuser très largement toutes les connaissances le concernant m’est paru évident (ce qui permet par ailleurs — peut-être — de redorer l’image du juriste qui, en « spécialiste du droit », en ferait son monopole) ;
  2. la place du public, des utilisateurs, au sein de la propriété intellectuelle (disons de la multitude des droits composants ce que l’on nomme propriété intellectuelle) est primordiale puisque la légitimité de cette propriété (sur l’« immatériel ») dépend de l’équilibre qu’elle formalise entre les intérêts des auteurs/créateurs et de la société. Il est donc important que le public prenne conscience du rôle actif qui lui incombe (et ne s’enferme pas dans l’image du pirate qu’on veut parfois lui donner).

Par ailleurs, et j’aurais pu commencer par là, la propriété intellectuelle est un domaine qui me passionne, certainement parce que j’aime l’exercice du droit, sa logique, ainsi que l’objet de la propriété intellectuelle : l’art, la musique, les NTIC, etc.) — et le partage d’une passion est naturel…

Donc oui, cet ouvrage concerne toute personne sensibilisée à la création et l’innovation à l’ère du numérique — du néophyte à l’expert, sachant que je suis dans l’attente de tout commentaire qui me permettrait de le perfectionner. L’objet initial (les licences libres) a rapidement été étendu au regard du cruel manque de bases (ouvrages notamment) sur lesquelles développer une réflexion sur les licences libres (et ça n’avait, à mes yeux, aucun sens de parler des licences libres sans les resituer au regard du système traditionnel et des différents courants de pensée qui le parsèment). J’ai déjà identifié quelques axes de perfectionnement (et la correction de coquilles), mais je crois qu’« Option Libre » constitue une bonne base de réflexion sur laquelle il est possible de rédiger des ouvrages plus techniques (ou “métiers”).

On reproche parfois aux licences libres leur démultiplication qui les rend difficilement « lisibles » pour qui ne s’est pas penché avec soin sur chaque particularité. Comment selon toi peut-on justifier leur foisonnement ?

— La réponse la plus courte serait certainement de renvoyer à l’ouvrage sur l’histoire du Libre qui devrait être publié au sein de la collection Framabook dès la fin de cet hiver. J’y contribue notamment au travers d’un article sur l’histoire des licences libres dans lequel j’essaie de peindre une fresque suffisamment large pour que les différentes motivations — plus ou moins bonnes — ayant emporté ces nouvelles licences s’y retrouvent.

Tout ce que je peux dire actuellement — et pour résumer les 20 pages —, c’est qu’une telle étude historique de l’apparition, mais surtout de l’évolution, des licences libres permet de mettre en avant l’intérêt de la licence comme « contrat social favorisant le travail communautaire ». La licence est donc le contrat qui relie les contributeurs d’une communauté et, à cet égard, on comprend facilement que des communautés aient cherché à formaliser leur propre contrat — certainement mieux adapté à leurs besoins. Il faut ensuite ajouter l’aspect politique (et parfois marketing) qui a conduit de nombreuses entreprises (et acteurs publics) à privilégier la rédaction de nouvelles licences, sans nécessairement que ce choix soit stratégiquement pertinent.

On se retrouve au final avec des centaines de licences libres, voire des milliers si on compte les variantes, mais — honnêtement — le travail de lecture (et de compréhension) est souvent beaucoup plus simple que pour une licence commerciale classique (puisque chacune est spécifique). Ainsi, le livre donne quelques clés (et notamment une “grille de lecture”) pour faciliter l’appréhension des licences libres (qui, en dépit de toutes ces différences, partagent énormément de points communs).


Tu as choisi une publication Framabook, quel intérêt y vois-tu, par rapport à d’autres supports d’édition numérique ?

— Le choix a été très simple puisque j’étais déjà impliqué dans Framasoft lors de la publication des premiers Framabooks et qu’Alexis m’avait mis au défi de rédiger un ouvrage sur les licences libres…. Un certain nombre d’années auront été nécessaires pour que je trouve le temps nécessaire à l’ouvrage — bien 5-6 ans, j’ai d’ailleurs publié entre-temps le Guide Open Source, mais le pari est tenu. Ayant été sensibilisé aux problématiques des développeurs au travers de la Framagora (ce qui avait mené, un peu plus tard, à la création de l’association Veni, Vidi, Libri), la publication d’un ouvrage sur les licences libres était à mes yeux une évidence puisqu’il s’agissait certainement de la contribution la plus utile que j’étais en mesure de produire.

Tu vas samedi à la rencontre de véritables lecteurs en chair et en os, tu ne redoutes pas d’être pris à parti par un trolleur de licences ;-) ?

— Pour la petite histoire, c’est l’image qui m’avait accueilli lors de mes premiers posts sur LinuxFr.
    Je dois avouer que les premières fois n’étaient pas des plus agréables (d’autant plus que je produisais un travail relativement conséquent sur les sujets sur lesquels je m’exprimais), mais j’ai finalement vite appris à relativiser (la première page de mon mémoire de DEA sur les compatibilités entre licences était d’ailleurs illustrée par un énorme troll poilu…) et les commentaires qui visent les juristes sont aujourd’hui beaucoup moins virulents qu’auparavant. On a tous à apprendre des autres et je suis toujours aussi content de partager autour d’une passion commune.
    Donc aujourd’hui, je ne saurai pas tout à fait expliquer ce qui a changé (mon discours certainement, mais les communautés aussi me semble-t-il) mais je n’ai plus cette crainte. Le juriste n’est plus le diable.

Vous retrouverez Benjamin et sa passion pour le Libre ce samedi pour une séance de dédicace et troll en live… Cliquez sur l’image ci-dessous pour l’agrandir.

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Crédit photo Benjamin Jean : teemu-mantynen (CC BY-SA 2.0)




Bookynette ouvre les portes de sa librairie aux auteurs de Framabooks

Dans le petit monde du Libre, Magali Garnero est une figure bien connue sous le pseudonyme de Bookynette. Elle est active au sein de l’April dans le groupe accessibilité et anime les transcriptions. Elle est aussi libraire et elle ouvrira ses portes à Benjamin Jean, Pouhiou et Simon « Gee » Giraudot que vous pourrez rencontrer aux côtés d’Alexis Kaufmann pour vous dédicacer leurs ouvrages et en parler avec vous.

Mais d’abord posons quelques questions à leur hôtesse…

Magali, tu fais vivre  À libr’ouvert à Paris, mais on sait que la librairie est un modèle de distribution menacé, comment vois-tu l’activité de libraire face à la distribution à l’échelle industrielle et planétaire d’Amazon et quelques d’autres ?

La diversité des réseaux de distribution est à mon avis une richesse. Les clients d’Amazon ne sont pas forcément les mêmes que ceux de ma librairie. Je ne me sens pas menacée et j’aimerais même, à long terme vendre les livres que j’aime sous format numérique.

Magali Garnero alias bookynette

Ton point de vue de libraire sur l’essor de la lecture numérique, l’engouement pour les liseuses et les ebooks… c’est la fin du livre papier ?

Non, c’est un complément. Certes il se vend de moins en moins d’encyclopédies et certains disent que les guides touristiques disparaîtront mais les liseuses et ebooks ne s’adapteront pas à toutes les situations. Le format papier n’est pas prêt de disparaître.

Tu es active depuis longtemps dans la communauté du libre, avec l’association April, est-ce pour cela que tu accueilles samedi prochain trois auteurs d’œuvres sous licence libre ?

Je me sens démasquée…. Quand j’aime, je partage et je trouve que les Framabooks correspondent bien à mes idéaux. J’avais passé un après-midi à traduire/relire/corriger le framabook sur Javascript grâce à Siltaar et Goofy. C’est dans la suite logique que de les proposer dans ma librairie. Et puis recevoir Benjamin, Simon et Pouhiou sera un véritable plaisir (j’ai hâte d’ailleurs, vu les échanges que nous avons eus par mail !).

Est-ce que proposer des œuvres de la collection Framabook est seulement un acte militant ? Recevoir et vendre des framabooks peut-il représenter une activité rentable en termes financiers ?

Vendre des Framabooks est dans mon cas un acte militant. En librairie l’éditeur fait une remise de 30/35% aux libraires afin qu’ils aient une marge sur leurs ventes. Je préfère que cette remise soit gardée par Framasoft pour qu’ils continuent à publier d’autres livres. Trouver des auteurs, les relire, les corriger, choisir un imprimeur puis un distributeur c’est un travail insoupçonné qui prend du temps.

Merci Magali d’accueillir nos trois auteurs samedi prochain, et merci de tes engagements concrets pour les valeurs du Libre !

Venez nombreux faire la connaissance de Magali qui saura vous conseiller des lectures passionnantes et originales loin du tout-venant, et qui vous accueillera pour cette rencontre inédite avec trois auteurs des éditions Framabook.

librairie de Magali

— Au fait : un apéro sera offert pour l’occasion 😉

Important : Si vous comptez en être, merci de remplir ce framadate qui nous permettra de nous compter afin de mieux nous organiser.

Rencontre Framabook à la Libraire « A Livr’Ouvert »

  • Samedi 8 décembre de 16h à 18h30
  • 171 bis boulevard Voltaire 75011 Paris (Métro Charonne)__
  • OpenStreetMap

Crédit Photo Julia Buchner




Libérer nos médias captifs du matériel ?

Matériels incompatibles, absence d’interopérabilité, formats fermés, logiciels propriétaires… des motifs de colère et de combats familiers de la communauté libriste. Ces problématiques sont cependant un peu désincarnées aux yeux de la majeure partie de nos concitoyens du Net tant qu’ils n’ont pas été personnellement confrontés à des blocages fort irritants.

Une situation concrète est le point de départ du coup de gueule de Terence Eden. Quant à la véhémence de ses propos, elle est à la mesure de l’urgence. Car dans la guerre en cours, celle de notre liberté de choix, Apple, Amazon, Google et quelques autres ont plusieurs longueurs d’avance : des millions d’utilisateurs sont déjà entrés de leur plein gré dans des prisons numériques dorées.

Dans cet environnement, nous ne sommes plus propriétaires des fichiers médias que nous avons pourtant achetés, nous n’en sommes que les usagers à titre révocable et temporaire ! Autant dire que nous perdons la possibilité de réutiliser nos biens dès lors que nous changeons de support matériel. Du disque vinyle au CD-ROM et du DVD au fichier numérique, nous avons déjà vu comment un saut technologique nous contraint à acheter de nouveau. Eh bien cette farce au goût amer se joue maintenant sur la scène des médias numériques.

Parviendrons-nous à libérer nos médias captifs du matériel ? Il faudra certes bien plus qu’un coup de gueule comme celui qui suit, mais il n’est pas mauvais qu’un cri de colère agite un peu nos esprits de consommateurs endormis.

Luke Addison - CC by-sa

Je ne veux pas faire partie de votre putain d’écosystème

I Don’t Want To Be Part of Your Fucking Ecosystem

Terence Eden – 23 novembre 2012 – Blog personnel
(Traduction framalang & les twittos : Gatitac, Zii, ga3lig, Stan, Isdf, Slystone, Quartz, Coyau, Goofy, Exirel, greygjhart)

Je discutais avec un ami qui exprimait une opinion que je trouve assez répandue :

— Alors oui, j’aimerais bien passer à Android, mais tous mes données sont dans iTunes.

J’ai découvert que le problème, ce ne sont pas les applications : les racheter est pénible, mais la plupart sont gratuites. Le problème, ce sont les données qui emprisonnent les utilisateurs avec des services dont ils ne veulent plus.

Les musiques, les films, les séries TV, les abonnements et les podcasts. Tout est fermé à double tour dans l’étroit écosystème d’Apple. C’est une façon bien pensée d’enchaîner les gens à leur matériel.

Imaginez, ne serait-ce qu’un instant, que votre lecteur de DVD Sony ne puisse lire que des films de chez Sony. Si vous décidiez d’acheter un nouveau lecteur de marque Samsung par exemple, aucun de ces contenus ne serait lisible sur votre nouvel appareil sans un sérieux bidouillage.

Voilà les hauts murs derrière lesquels tant de grandes entreprises voudraient bien nous enfermer. Et je trouve que ça pue.

Sur un réseau de téléphonie mobile au Royaume-Uni, on peut utiliser le téléphone de son choix. Le matériel et les services sont complètement indépendants les uns des autres. Cela suscite de la concurrence parce que les consommateurs savent que s’ils sont mécontents de HTC, ils peuvent passer à Nokia et que tout fonctionnera comme avant.

Mais si tous vos contacts, vos services de divertissement et sauvegardes sont enchaînés à HTC, eh bien, vous êtes juste dans la merde si vous voulez changer.

Je veux assister à une séparation complète de l’Église et de l’État. Le matériel devrait être séparé du logiciel. Le logiciel devrait être séparé des services. Je veux pouvoir regarder des films achetés chez Nokia sur un système Google Android tournant sur un appareil Samsung, et ensuite sauvegarder le tout sur Dropbox.

C’est comme cela que ça fonctionne, plus ou moins, dans le monde du PC. Je ne comprends pas pourquoi cela n’est pas pareil dans le monde des tablettes et des smartphones. Pourquoi est-ce que j’achèterais une tablette qui ne fonctionnerait qu’avec le contenu d’un seul fournisseur ? Que ce soit Amazon, Microsoft ou Apple, ils constituent un dangereux petit monopole qui fera augmenter les prix et diminuer la qualité.

Bon, je sais. Le mantra du « It just works » (« Ça marche, tout simplement » ). Je suis légèrement dégoûté de devoir configurer ma tablette pour qu’elle parle à mon NAS, puis de faire en sorte que mon téléviseur fonctionne avec les deux à la fois. Cette situation n’est pas due à mes équipements multimédias qui viennent de différents fabricants, elle est plutôt due à ces différents fabricants qui n’utilisent pas de standards ouverts.

J’ai peur de ce qui arrivera lorsqu’un fournisseur mettra fin à un service. Je rigole à l’idée d’une éventuelle faillite d’Apple : même s’ils restent solvables, qu’est-ce qui les empêchera de supprimer tous vos achats de films et de musiques ? Après tout, ils ont fermé leur service Mobile Me quasiment sans avertissement et détruit toutes les données que leurs clients payants hébergeaient chez eux.

Adobe a fermé ses serveurs de DRM après un court préavis de 9 mois, en empêchant de fait quiconque de lire les livres pourtant achetés (Amazon peut vider votre Kindle).

Google a emmené Google Video au bûcher et lui a tiré une balle dans la tête — tout comme Buzz, Wave et qui sait combien d’autres produits.

Microsoft a mis en place PlaysForSure, puis l’a laissé mourir, piégeant ainsi des millions de fichiers musicaux sur des appareils qui ne sont plus pris en charge.

Donc peut-être vais-je m’en tenir à Google et espérer que mon téléviseur Google communiquera avec mon téléphone Google pendant que je regarderai des vidéos Google Play et que j’écouterai des musiques Google Play sur mon ChromeBook Google que je partagerai sur Google+ et que j’achèterai avec Google Wallet. Et je leur enverrai la prière du geek : « S’il vous plaît, ne décidez pas que ce service bien pratique n’est pas rentable ».

Je veux simplement que l’on s’entende tous. Je veux que mes équipements disparates se parlent. Je ne veux pas vivre dans une maison où chaque composant doit être fabriqué par une unique entreprise sous peine de ne rien voir marcher correctement. Je ne veux pas être bloqué ni devoir utiliser un mauvais produit parce que c’est le seul à offrir un certain service.

Je ne veux pas de vos jouets qui ne fonctionnent qu’avec les piles de votre marque.

Je ne veux pas faire partie de votre putain d’écosystème.

Crédit photo : Luke Addison (Creative Commons By-Sa)




Labos pharmaceutiques : libre accès aux recherches ?

Souvent accusés — non sans raison — de pousser à la surconsommation médicamenteuse en tirant un profit maximal de nos besoins en thérapies, les grands laboratoires pharmaceutiques gardent jalousement le secret de leurs données. Celles des recherches menant aux médicaments mis sur le marché, en particulier.

Cory Doctorow, nous fait part ici de ses convictions : suivant le principe récemment institué outre-Manche qui consiste à ouvrir les données de recherches financées par l’état, il considère que celles de l’industrie pharmaceutiques doivent être elles aussi ouvertes.

Découvrez pourquoi sous la plume d’un blogueur influent et avocat du libre et de l’open source (tous ses billets déjà traduits sur notre blog). Idéalisme et optimisme démesuré ou revendication légitime et combat à mener ? À vous d’en juger.

epSos.de - CC by

Pourquoi toutes les recherches pharmaceutiques devraient être en libre accès

Why all pharmaceutical research should be made open access

Cory Doctorow – 20 novembre – The Guardian
(Traduction Framalang : Slystone, Amine Brikci-N, goofy, peupleLa, Antoine, ga3lig)

Le gouvernement du Royaume-Uni veut que toute recherche financée par des fonds publics soit accessible — mais on devrait en exiger autant des industries pharmaceutiques.

Je déjeunais récemment avec le plus loyal défenseur du libre accès que vous puissiez rencontrer (je ne le nommerai pas, car ce serait grossier de lui attribuer des remarques fortuites sans sa permission). Nous parlions du projet de rendre obligatoire la publication libre et gratuite des recherches scientifiques financées par l’État. Aux États-Unis, il existe le Federal Public Research Act, et au Royaume-Uni il y a la déclaration du gouvernement de coalition selon laquelle la recherche financée par l’État devrait être disponible sans frais, sous une licence Creative Commons qui permette la copie illimitée.

Nous avons parlé de l’excellent nouveau livre de Ben Goldacre, intitulé Bad Pharma, dans lequel l’auteur documente le problème des « données manquantes » dans la recherche pharmaceutique (il dit que près de la moitié des essais cliniques réalisés par l’industrie pharmaceutique ne sont jamais publiés). Les essais non publiés sont, bien entendu, ceux qui montrent les nouveaux produits des labos pharmaceutiques sous un jour peu flatteur – ceux qui suggèrent que leurs médicaments ne sont pas très efficaces ou n’ont aucun effet, voire sont activement nocifs.

La pratique des industries qui consiste à éliminer les preuves scientifiques date de plusieurs décennies — et certains chercheurs indépendants le font également. Ce constat a conduit Goldacre à déclarer qu’aucune de nos connaissances en matière de médecine moderne ne peut être considérée comme valide, et il estime qu’il est urgent de contraindre les industries pharmaceutiques à publier toutes ces données laissées dans l’ombre, afin que les scientifiques puissent recalculer les résultats et déterminer ce qui fait vraiment effet.

J’ai mentionné tout cela à mon compagnon de déjeuner, en concluant par : « et c’est pourquoi toute la recherche pharmaceutique devrait être en libre accès ».

« Toute la recherche pharmaceutique financée par l’État, a-t-il rectifié, comme s’il corrigeait une erreur de calcul élémentaire. Si le public paie pour cela, il doit pouvoir la voir, mais si les entreprises pharmaceutiques veulent payer pour leur propre recherche, alors… »

Je savais d’où il tenait cette position. L’un des arguments les plus solides en faveur de l’accès au public des publications universitaires et scientifiques est celui de la « dette envers la population » : si le contribuable paie pour vos recherches, alors vos recherches doivent lui appartenir. C’est un bon argument, mais il n’est pas entièrement convaincant pour une raison. Il est vulnérable au contre-argument du « partenariat public/privé », qui dit: « ah, oui, mais pourquoi ne pas faire en sorte que le public bénéficie d’un retour sur investissement maximal en faisant payer très cher l’accès à la recherche financée par l’État et en renvoyant le profit au secteur de la recherche ? ». Je pense que cet argument est absurde, et c’est l’avis de la majorité des économistes qui se sont penchés sur la question.

La recherche sans entraves et librement accessible constitue un bien commun qui génère bien plus de valeur ajoutée au profit de tous que le profit rapide qu’on extorque des consommateurs en les faisant payer à l’entrée comme à la sortie. Cela s’est confirmé dans de multiples domaines, même si l’exemple-type est le succès massif des cartes géologiques des États-Unis librement disponibles, qui ont dégagé un profit tel qu’en comparaison, les bénéfices réalisés sur la vente des cartes d’État-major au Royaume-Uni semblent une misère.

Voilà pourquoi le travail de Goldacre est aussi important à ce point du débat. La raison pour laquelle on devrait exiger que les laboratoires pharmaceutiques publient leurs résultats, ce n’est pas qu’ils ont reçu des subventions sur fonds publics. C’est plutôt parce qu’ils demandent une certification de l’état qui garantisse que leurs produits sont propres à la consommation, et qu’ils demandent aux organismes de régulation d’autoriser les docteurs à rédiger des ordonnances prescrivant ces produits-là. Nous avons besoin qu’ils publient leurs recherches, même si cette action induit des pertes de profit, car sans cette recherche, nous ne pouvons pas savoir si ces produits sont propres à la consommation.

On emploie un argument analogue en faveur de l’utilisation de logiciels libres ou open source pour les applications dans l’industrie ou dans le domaine de la santé, comme le système OpenEyes conçu par le centre hospitalier d’ophtalmologie de Moorfields et d’autres institutions dans le monde, après l’effondrement du système électronique de suivi de santé de la National Health Service (NdT : le NHS est l’équivalent de la Sécurité Sociale). Ils n’ont pas préféré un système à accès libre à un système propriétaire pour des raisons idéologiques, mais plutôt pour des raisons qui sont avant tout pratiques. Aucun hôpital n’autoriserait jamais une société d’ingénierie à construire la nouvelle aile d’un hôpital en utilisant des méthodes propriétaires pour calculer la répartition du poids. Ils n’accepteraient pas une nouvelle aile dont les plans de construction seraient secrets, dont seul l’entrepreneur connaîtrait les emplacements des canalisations et des conduits de ventilation.

Il est certainement vrai que les sociétés d’ingénierie et les architectes pourraient gagner davantage si leurs méthodes étaient propriétaires. Mais on exige un accès ouvert, car on doit pouvoir entretenir les hôpitaux quels que soient les aléas que peut connaître toute société d’ingénierie, et parce qu’on veut la garantie que l’on obtient avec la possibilité de vérifier plusieurs fois les calculs de charge par nous-mêmes. Les systèmes informatiques qui sont utilisés dans les hôpitaux pour gérer les patients sont tout autant vitaux que l’emplacement des câbles ethernet dans les murs. Et donc Moorfields s’attend à ce qu’ils soient autant libres d’accès que les plans du bâtiment.

Et c’est pourquoi les grands labos pharmaceutiques doivent montrer leur travail. Sans tenir compte de ce qu’ils pourraient rapporter, leurs produits ne doivent pas être autorisés sur le marché sans cette exposition. Il est important de placer la recherche financée par l’état entre les mains du public, mais l’histoire de l’accès libre ne va pas s’arrêter là, elle ne fait que commencer.

Crédit photo : epSos.de (Creative Commons By)




Quand l’accès au code source est une question vitale

Au fait, les libristes ont aussi un corps.

Et ils apprennent parfois à leurs dépens que dans le monde médical, le code propriétaire et les formats fermés peuvent empêcher d’avoir de meilleures chances de se soigner. Souvenez-vous de Salvatore Iaconesi, dont nous avions traduit les déclarations, qui voulait avoir accès à ses données médicales dans un format ouvert.

C’est une histoire personnelle comparable que raconte Karen Sandler au cours d’une conférence que nous vous proposons ici. Karen Sandler est loin d’être une inconnue dans le monde du Libre notamment par son militantisme et ses responsabilités au sein de la Gnome Foundation.

Découvrir qu’un problème cardiaque menace d’un jour à l’autre votre vie même est une épreuve que vous pouvez surmonter en faisant appel à un appareillage de haute technologie (pacemaker, défibrillateur…). Mais découvrir que cette technologie repose sur un code auquel on n’a pas accès, c’est comme le fait Karen prendre conscience que sa vie est à la merci d’un bug dans un code inaccessible…

Non seulement Karen livre ici avec humour le récit de ses déboires, mais elle évoque également d’autres domaines de la vie quotidienne où l’accès au code est désormais crucial. La vidéo qui suit, dont la transcription, la traduction et le sous-titrage ont été assurés par : FredB, Pandark, peupleLa, ga3lig, KoS, Mnyo, Lamessen, goofy, est relativement longue (54 minutes). Ceux qui ne disposent pas d’un long temps de lecture pourront découvrir de larges extraits de la conférence dans le texte sous la vidéo.

Note : je vois d’ici venir dans les commentaires tous ceux qui ne pourront résister au plaisir de faire un jeu de mots recyclant une des deux cent cinquante expressions comprenant le mot cœur. Eh bien, ils auront un gage ! À chaque astuce publiée en commentaire ils devront faire un petit don à Framasoft qui ne vit que de etc. voir le mantra automnal de notre campagne en cours.

La liberté dans mon cœur et partout ailleurs

Cliquer sur l’image pour accéder à la vidéo de la conférence

Je suis vraiment, vraiment contente d’être ici. Ma conférence s’appelle La liberté dans mon cœur et partout ailleurs. Comme dit précédemment, je fais partie de la communauté Libre et Open Source depuis un moment. Je suis directrice exécutive de la fondation GNOME. Nous en reparlerons un peu plus tard, c’est vraiment cool. Et j’ai longtemps été avocate au Software Freedom Law Center, pour finir par en devenir la directrice juridique. Donc j’ai eu l’occasion de faire la connaissance de plein de gens dans la communauté du logiciel Libre et Open Source en les aidant avec tous les emmerdements dont ils ne voulaient pas s’occuper. Vraiment, vraiment amusant ! Je suis une passionnée du Libre et de l’Open Source, je dirais, depuis les années quatre-vingt-dix.
Et je suis aussi une patiente.

Un très gros risque de mourir subitement

J’ai un cœur vraiment, vraiment très grand. En fait, j’ai un cœur énorme.
Vous pensez sûrement à mon travail pour des associations, mais en fait, j’ai une hypertrophie du cœur. J’ai une maladie appelée cardiomyopathie hypertrophique. Je suis toujours un peu nerveuse quand je parle de ça parce que ça revient à dire que mon cœur est un petit peu cassé. Ce n’est pas vraiment ça. Mon cœur est très épais et ça veut dire qu’il a du mal à battre. Il est un peu raide. Mais au final, tout va bien. Pour l’instant, je n’ai aucun symptôme. J’ai seulement un très gros risque de mourir subitement. Le terme est littéralement mort subite. C’est ce que les docteurs vous expliquent quand vous avez cette maladie et que vous devez suivre un traitement à vie. Ils disent que vous avez un risque élevé de mort subite.
Ce qui, en tant que patiente, est vraiment terrifiant. Deux ou trois fois par an je risque de mourir subitement. Et ça se cumule, donc j’ai découvert ça à 31 ans, soit de 20% à 30% environ de risque de mort subite pour la décennie suivante. C’est vraiment, vraiment une chose terrible à entendre… mais il existe maintenant une solution ! C’est de se faire poser un défibrillateur.
Le principe d’un défibrillateur, c’est qu’il est installé dans votre cœur. D’ailleurs j’en ai un, il est juste ici. Il a l’air vraiment énorme là mais c’est environ gros comme ça et c’est juste ici. Il a des câbles qui se glissent dans mes vaisseaux sanguins et qui s’enfoncent dans mon cœur, et en gros, il me surveille constamment.
C’est comme avoir des gens qui vous suivent partout avec un défibrillateur électrique et si je tombe raide morte tout à coup, il m’enverra une décharge et je serai remise sur pieds — Et je ne mourrai pas ! C’est formidable.

Qu’est-ce qui tourne dessus ?

Donc, tout ça est merveilleux, parfait. L’électrophysiologiste que j’ai rencontré et qui m’a expliqué ça en avait quelques-uns dans le tiroir de son bureau afin de pouvoir les montrer à tous ses patients parce qu’en voyant à quel point cet appareil est petit, ça parait nettement moins inquiétant. Il l’a poussé vers moi sur le bureau, j’étais assise là, avec ma mère. Je l’ai pris…
Et il disait : « Prenez-le, voyez comme c’est léger… » Alors je l’ai pris et j’ai demandé : « Cool ! Qu’est-ce qui tourne dessus ? ». En réponse, j’ai eu droit à un regard médusé. Ma mère semblait elle aussi perplexe.
Le chirurgien m’a demandé « Mais de quoi parlez-vous ? » et j’ai répondu « Eh bien, de toute évidence cet appareil ne vaut que ce que vaut son logiciel, c’est-à-dire qu’il se base sur le logiciel pour savoir quand je risque une mort subite, que ce soit quand je traverse une rue alors que je n’aurais pas dû, ou que je décide de courir un marathon, ou pour n’importe quelle autre raison. Je suis dépendante de ce logiciel pour savoir quand il est approprié de m’envoyer une décharge et quand ça ne l’est pas. Quand mon cœur a besoin d’être stimulé ou pas. Et l’électrophysiologiste, bien sûr, n’avait pas de réponse à me donner. Il m’a dit « Personne ne m’a jamais demandé ça. Je n’avais jamais pensé au logiciel sur cet appareil. Ne bougez pas, il y a un représentant de Medtronic dans nos bureaux aujourd’hui. Je vais aller lui demander, c’est lui le fabricant, et ils auront sûrement déjà pensé à ça ».
Donc, le représentant arrive et j’essaie de lui expliquer « Je suis avocate au Software Freedom Law Center. Je m’intéresse au logiciel sur mon appareil. Je veux juste savoir comment ça marche, sous quoi ça tourne ? Est-ce que vous pouvez me le dire ? ». Il a répondu : « Personne ne m’a jamais demandé ça auparavant ». Donc, on a eu une conversation très intéressante, et il a conclu par :
« Je comprends, c’est une question très importante, voici mon numéro, appelez moi, et je vous mettrai en contact avec des gens qui pourront vous parler de ça ». Enhardie par cet échange, je l’ai appelé à Medtronic. Il m’a passé le service technique et j’ai commencé à laisser des messages… Mais au final, je me faisais continuellement refouler. Personne ne voulait me parler de ça.

Vous devez nous faire confiance…

J’ai appelé les deux autres principaux fabricants d’appareil médicaux, Boston Scientific et St Jude, et aucun n’a su me donner une vraie réponse non plus. À la fin, j’ai commencé à appeler en disant : « Écoutez, si quelqu’un me laissait voir le logiciel… Je signerai un accord de confidentialité », C’est contre mes principes en tant que militante d’un organisme à but non-lucratif dans un domaine technique. Je n’ai pas envie de signer un contrat qui m’empêcherait de partager ce que je découvre avec le reste du monde. Mais j’ai pensé :
« Au moins, moi, je pourrai voir le code source et j’aurai davantage confiance dans ce qu’on installe dans mon corps ». Mais, malheureusement, on m’a envoyé balader. On m’a dit non. J’ai parlé avec des gens très compréhensifs à Medtronic. J’ai rencontré d’excellents docteurs. Et ces gens me disaient « Oh, vous savez, nous sommes Medtronic, nous avons à cœur de nous assurer de l’absence de bogue dans les logiciels que nous installons sur ces appareils. Évidement, nous ne le vendrions pas si nous ne pensions pas qu’il est sûr. Pour toutes ces raisons, vous devez nous faire confiance».
Le docteur a ajouté que la FDA, l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux, approuve ces appareils. Donc votre réaction est clairement disproportionnée ». Et quand j’en parlais avec mon électrophysiologiste au téléphone, je disais que j’étais vraiment gênée par tout ça, parce que je pensais à tous ces gens qui portent ces appareils. Certains sont relativement puissants, Dick Cheney en avait un à l’époque. Il en a un encore plus impressionnant aujourd’hui, qui fait continuellement circuler son sang alors techniquement, il n’a pas de pouls. C’est un appareil vraiment fascinant !

Est-ce que je vais vraiment avoir un logiciel propriétaire à l’intérieur de mon corps ?

Les populations qui bénéficient de ces appareils sont souvent dans des positions de pouvoir. Donc on peut facilement imaginer une situation où quelqu’un voudrait éteindre ces appareils. Et l’électrophysiologiste à qui je parlais au téléphone était tellement contrarié, tellement contrarié…qu’il m’a raccroché au nez. Il m’a dit « Je pense que vous préparez quelque chose… je ne comprends pas.. ; je ne sais pas pourquoi ça vous dérange tellement. Si vous voulez un appareil, je vous aiderai mais je ne… Je pense que vous êtes… vous… »
Et il a raccroché.
C’est vraiment terrifiant parce qu’il m’avait précisé au début de la conversation qu’il installait ces appareils tout le temps. Il en installe parfois plusieurs par jour. Alors l’idée qu’il ait pu ne même pas s’être posé de question à propos du logiciel installé sur ces appareils le terrifiait. J’ai donc remis à plus tard et je me suis dit, il faut que j’arrête de penser à ça. C’est trop terrifiant.
Est-ce que je vais vraiment avoir un logiciel propriétaire à l’intérieur de mon corps ? Je ne sais pas. Ajoutez à ça cette histoire de « mort subite » et le fait d’avoir un équipement cousu à l’intérieur de mon corps. Ça fait beaucoup à gérer. Alors j’ai continué à remettre ça à plus tard jusqu’à ce que je ne puisse plus différer parce que mes amis et ma famille continuaient à m’en parler et à me dire « Nous nous inquiétons tellement pour toi, nous savons que tu peux mourir à tout instant » Ma mère… vous savez, évidemment je n’ai pas de ligne fixe et mon mobile ne capte pas bien dans mon appartement Et ma mère, si je ne la rappelais pas dans l’heure commençait à appeler tous mes amis en demandant « Vous avez parlé à Karen aujourd’hui ? Vous savez si elle va bien ? » Je suis allée déjeuner avec une amie, et elle m’a demandé où en était cette histoire. Et j’ai répondu « Eh bien, les compagnies médicales ne me rappellent pas. Et tu sais, je suis sûre que je vais me débrouiller. Et elle a fondu en larmes et dit :
« Tu sais, tu pourrais mourir. Aujourd’hui. Et je ne peux pas le supporter. Si tu ne règles pas cette histoire, je ne sais pas si je peux encore être ton amie. C’est une chose très grave et tu l’ignores juste pour… » ce qu’elle considérait comme un problème ésotérique.
J’ai vraiment compris ça et j’ai compris que je n’avais pas le choix. Alors j’ai eu un appareil. Je me le suis fait implanter et ça a pris un peu de temps pour me remettre de l’opération et aussi pour réfléchir à propos de ma propre situation, prendre un peu de recul, faire quelques recherches. Mais je me suis juré que si j’acceptais cet appareil, j’allais faire des recherches, écrire un article et parler des problèmes que j’avais rencontrés et auxquels la profession médicale, ou du moins, les professionnels de la médecine que j’avais interrogés n’avaient pas de réponse.

Un bogue pour cent lignes de code

Donc, j’ai découvert des choses en écrivant cet article, certaines peuvent sembler normales, mais d’autres vous surprendront. Les logiciels ont des bogues. (…) Et les appareils médicaux, comme l’a dit Matthew Garret, auront des bogues, parce que l’institut d’ingénierie logicielle estime qu’il y a environ un bogue pour chaque centaine de lignes de code. Donc même si la majorité des bogues était interceptés par les tests, même si les trois quarts des bogues étaient interceptés lors des tests, ça fait toujours un sacré nombre de bogues.
J’ai lu une étude qui observait les rappels d’appareils publiés par la FDA. Fondamentalement, l’étude portait sur l’ensemble des rappels et a déterminé ceux qui venaient vraisemblablement de pannes logicielles puis ils les ont évalués. Parmi ceux qu’ils ont pu étudier suffisamment et dont ils ont pu déterminer précisément les failles logicielles : 98% d’entre elles auraient pu être détectées de simples tests par paires.
Donc, pour les tests basiques que vous êtes en droit d’attendre sur n’importe équipement technologique — oui, la FDA les soumet à quelques tests. Mais si les entreprises ne font pas de tests basiques qu’est ce qu’on peut faire ?
Donc, les logiciels ont des bogues. Ici dans cette pièce, tout le monde le sait. Une autre chose que la plupart d’entre nous savons c’est que la sécurité par l’obscurité ça ne marche pas. Même si ça peut sembler contre-intuitif pour ceux qui ne sont pas dans cette pièce. Toutes les personnes à qui j’ai expliqué cette idée dans le corps médical m’ont répondu : « Mais je ne comprends pas… pourquoi voulez vous que les gens puissent voir le logiciel ? Si tout le monde peut voir le code source, il sera beaucoup plus facile de le pirater ! ».
Mais nous savons tous que ce n’est pas le cas. En fait, en publiant le code source, tout le monde peut le voir, et il est plus sûr. Mais c’est une question capitale en réalité. J’en parle dans mon article : Tués par le code qui cite un certain nombre d’études montrant que les professionnels de la sécurité approuvent cette idée.
Donc pour le moment, on a le pire des deux mondes : un code fermé qui ne profite pas d’une relecture et d’une correction par le plus grand nombre. Mais on manque également de sécurité sur ces appareils. Beaucoup d’entre eux émettent des informations en sans fil. C’est le standard aujourd’hui. Quand j’ai découvert cela, j’étais choquée. Vous êtes en train de me dire que mon appareil cardiaque va émettre en continu ? Considérant les conférences auxquelles j’assiste, les gens que je fréquente, je n’ai vraiment pas envie de voir mes informations diffusées.

algorithmes

Donc c’est une des choses que j’ai abordées avec les différents docteurs que j’ai pu rencontrer. Comme vous l’imaginez, j’ai abandonné cet électrophysiologiste qui m’avait raccroché au nez. Et je suis allée de cardiologue en cardiologue pour trouver quelqu’un qui puisse comprendre ces problèmes ou qui puisse au moins comprendre pourquoi cela m’inquiétait. Et j’ai fini par trouver un excellent cardiologue et excellent électrophysiologiste qui m’a dit « Je n’avais jamais pensé à cette question, mais je comprends que ça puisse poser problème. Vous avez besoin de cet appareil, vous ne pouvez plus attendre. Mais je vais travailler avec vous, et on va trouver un moyen de résoudre au moins certains des problèmes qui vous inquiètent ».
Donc, l’une des choses que mon électrophysiologiste a faites c’est qu’il a appelé les hôpitaux, l’un après l’autre jusqu’à ce qu’il trouve un ancien pacemaker.
Il m’a expliqué que, ma défaillance cardiaque étant simple, j’avais seulement besoin d’un appareil qui surveillait les rythmes dangereux et qui m’enverrait une décharge en cas d’alerte. C’est un algorithme bien plus simple que celui des nouveaux appareils. Beaucoup des nouveaux appareils ont un algorithme complexe de stimulation pour des patients ayant une grande variété de problèmes. On peut tout à fait comprendre les raisons des compagnies médicales. Ces appareils sont très difficiles à faire. Ils fabriquent des produits de haute précision. Et s’ils peuvent utiliser ces appareils dans des cas plus variés alors tout est pour le mieux.
De plus vous ne pouvez pas savoir quels genres de complications les patients vont éventuellement développer. Donc, pour le moment, je n’ai aucun symptôme mais je pourrais en développer et c’est génial d’avoir cette technologie de stimulation. Mais mon cardiologue électrophysiologiste m’a dit : « Bon maintenant on voit que vous avez besoin de quelque chose de simple. Alors pourquoi ne pas vous trouver un ancien modèle d’appareil ? »
Donc j’ai actuellement un ancien appareil qui communique par couplage magnétique et non par technologie sans fil. Mais mon père a ce type de pacemaker et quand il entre dans une pièce du bureau des techniciens ils changent son pouls. Donc, avant même qu’il ne soit assis ils savent énormément de choses sur lui et ils ont la capacité de vraiment l’affecter. C’est incroyable. Mais comme vous pouvez le voir sur le dernier point de cette diapo ces appareils ont été hackés. En fait, un groupe de réflexion de plusieurs universités travaillant ensemble a montré qu’en utilisant du matériel disponible dans le commerce vous pouvez hacker ces appareils et en prendre le contrôle. Non seulement, Ils sont parvenus à déclencher des décharges ce qui est déjà terrifiant en soi…
— Une fois, mon pacemaker s’est déclenché par erreur et je peux vous dire, que c’est comparable à un coup de pied dans la poitrine. Ça vous met au tapis au moins pour quelques minutes. J’ai été forcée de m’asseoir, c’était si épuisant, la surprise et l’inquiétude m’ont forcée à dormir quelques heures pour m’en remettre. C’est très éprouvant.
… donc non seulement ils sont parvenus à envoyer une décharge mais ils ont également pu arrêter le traitement. Si l’appareil stimulait le pouls, ils pouvaient l’arrêter et beaucoup de gens ont besoin de stimulation pour rester en vie. Beaucoup de gens ne peuvent monter les escaliers sans cette stimulation. Mon père en fait partie. Ils ont également pu récupérer des informations clefs à partir de ces appareils comme les numéros d’identifications médicaux, les noms des médecins, les numéros de série… Beaucoup d’informations personnelles sont diffusées et il n’y a aucun chiffrement sur ces appareils. C’est plutôt inquiétant. Ils sont également parvenus à mettre les appareils en mode test ce qui a pour effet de consommer la batterie. Euh, la batterie s’épuise à un rythme bien plus rapide que dans des circonstances normales et ces appareils n’ont d’intérêt que s’ils ont de la batterie. Donc si la batterie lâche sur mon pacemaker il me faudra un nouvel appareil, ce qui signifie une opération.

…au bout du compte, personne à la FDA n’a vu le code source.

Donc ces appareils ont été hackés. Ces conclusions sont arrivées bien après mon diagnostic. Les médecins s’appuient beaucoup sur le fait que ces appareils ont l’agrément de la FDA aux États-Unis, et d’institutions similaires dans d’autres pays. En bonne avocate, j’ai fait des recherches sur la FDA et leur processus d’approbation des logiciels. Ce que j’ai découvert, c’est que la FDA ne vérifie pas systématiquement le code source des appareils sauf en cas d’erreur particulièrement visible en lien avec le logiciel, ils ne demandent généralement pas à le vérifier.
Il n’y a même pas de cahier des charges clair pour le logiciel et il y a des raisons pour ces décisions de la FDA, mais nous croyons que celle-ci devrait faire beaucoup plus qu’elle ne fait en réalité. L’absence de cahier des charges clair est lié au fait, d’après eux, que ces sociétés conçoivent des appareils très spécialisés avec des particularités propres à chaque fabricant. Il y a donc probablement des tests spécifiques à ces appareils et les mieux placés pour les réaliser sont ceux qui connaissent le mieux ces machines, c’est à dire leurs fabricants. Et il y a des allers-retours pour savoir s’ils ont fait les bons tests ou non, mais en vérité, au bout du compte, personne à la FDA n’a vu le code source.
Puisqu’ils ne le demandent pas, ils n’en ont même pas de dépôt. Donc si une panne catastrophique se produit chez Medtronic, par exemple, je ne sais pas s’il y a un dépôt canonique pour le logiciel auquel je pourrais avoir accès… et sans possibilité de mise à jour du logiciel sur mon appareil, je devrais être opérée pour en avoir un nouveau.

Pas de liberté vis-à-vis de mon propre corps

J’ai parlé lors d’un débat, avec un type dans la cyber-sécurité à la FDA et j’étais vraiment, vraiment nerveuse parce que j’ai fait tout ce que je pouvais en tant qu’avocate, j’ai fait toutes les recherches que j’ai pu sur la FDA mais je n’étais pas sûre que c’était vraiment le cas en pratique, donc j’ai projeté mes diapos et dit :
« John, dis-moi si je me trompe, mais voilà ce que je pense. Je pense que ça se passe comme ça… » Et j’ai continué avec une diapo sur le logiciel Libre et Open Source et pourquoi c’est tellement mieux et plus sûr. Dès qu’il a eu la parole, il a dit :
« Tout le monde pense que la FDA devrait faire comme ci, comme ça, mais nous n’avons pas les ressources et la FDA n’est pas là pour ça ».
Puis il a fait une pause, m’a regardée et juste quand j’allais… vous savez. Et il a dit: « Mais vous parlez d’autre chose. Vous parlez de laisser tous les autres passer en revue le code source, c’est quelque chose de très intéressant. Donc, s’assurer que les logiciels de nos appareils seront publiés revient à dire que tout le monde pourrait les relire. Mon père, qui a un pacemaker, est également ingénieur et un heureux programmeur. Il l’aurait probablement examiné.
Beaucoup ici connaissent des gens avec des pacemakers nous aurions fouillé dans ce code, assurément ! Une autre chose que j’ai découverte qui est un peu étrange c’est qu’aux États-Unis, comme ces appareils ont l’agrément d’une agence fédérale, les patients ne peuvent pas recourir à la State True Law. Il y a donc tout un éventail de recours auxquels ont normalement accès les patients, dont les fabricants n’ont même pas à s’inquiéter. Bon maintenant je ne dirais pas que les entreprises de matériel médical se moquent de savoir si les malades meurent, évidemment que non. Mais il y a toute une série de recours légaux qui ne sont pas disponibles. Vraiment étonnante cette étude, et j’ai tout résumé dans l’article que j’ai écrit : il est disponible sur le site web du centre juridique pour le logiciel libre.
Au bout du compte je n’ai pas de liberté vis-à-vis de mon propre corps. Je n’ai pas l’autorisation d’analyser le logiciel qui est implanté en moi. Il est littéralement connecté et vissé à mon cœur et je ne peux pas l’examiner. Ça me semble incroyable. Je n’en reviens toujours pas du fait que ça me soit arrivé. C’est un peu bizarre que moi, avocate au Software Freedom Law Center j’aie cette maladie cardiaque étrange, je l’admets. Mais c’est toujours hallucinant que je n’aie pas eu le choix. Le seul choix était entre une grande probabilité de mourir, ou se faire implanter cet appareil à l’intérieur du corps. J’espère que personne ici n’aura à faire ce choix, mais c’était vraiment, vraiment effrayant.

Voitures

Puis j’ai commencé à y réfléchir, et vous voyez, ce n’est pas seulement une question d’appareils cardiaques. Ça concerne tout ce dont dépendent nos vies dans notre société. Alors que j’y réfléchissais, j’ai pris conscience que cela concernait beaucoup plus de domaines de nos vies que je ne le pensais. Par exemple, les voitures. Comme ce groupe de réflexion universitaire qui a travaillé sur les appareils médicaux, soit dit en passant, si vous avez du temps, vous devriez lire cette étude. C’est fascinant, ils ont implanté cet appareil dans un sac de bacon ou de viande quelconque pour le stimuler et ils ont montré tout l’équipement facilement trouvable qu’ils ont utilisé pour modifier l’appareil.
Et la même procédure à été appliquée aux voitures. Et un autre groupe a montré qu’ils sont parvenus à pirater deux marques différentes, deux fabricants différents de voitures. Donc l’IEEE affirme qu’une voiture haut de gamme compte près de 100 millions de lignes de code. Donc si on revient à ce que le Software Engineering Institute a dit : « environ un bogue toutes les 100 lignes de code » ça fait un paquet de bogues, juste dans votre voiture. Et ce ce groupe a réussi à faire, tout ce que vous pouvez imaginer. Ils sont capable de faire accélérer, freiner la voiture. Ils ont réussi à contrôler chaque roue individuellement. Et ma partie préférée, juste pour s’amuser, je ne sais pas si vous pouvez voir, mais ils peuvent mettre des messages sur le tableau de bord et ils ont écrit pwnd et mis une petite émoticône avec un X pour les yeux. L’idée qu’ils aient pu prendre contrôle de deux marques différentes de voitures haut de gamme est vraiment incroyable pour moi.

La sécurité par l’obscurité ne fonctionne pas

Les machines à voter sont un autre domaine très sensible et nous en avons déjà parlé.
Beaucoup d’experts en sécurité ont parlé des problèmes avec leurs machines à voter. Aux États-Unis, nous comptons sur Diebold et beaucoup de fabricants privés. Nous avons eu des problèmes avec l’étalonnage. Je ne sais pas si vous avez vu ce dessin animé hilarant dans lequel des gens essayent de voter pour le bon candidat et le nom du candidat pour qui ils veulent voter se dérobe sur l’écran tandis que vous essayez d’appuyer dessus et à la fin, quel que soit votre choix, ça dit : « Vous vouliez voter pour l’autre candidat, n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? »
Il est très difficile de le savoir parce que parfois nous n’avons pas de reçu pour vérifier, on ne sait même pas si notre vote a bien été enregistré et si on a pu voter pour notre candidat au final.
Vraiment bizarre car c’est la base de notre société et le pilier de notre démocratie. J’adore ce qu’ils ont fait au Brésil. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler, mais le Brésil a dit : « On sait que ces logiciels ont des failles et des bogues ; alors on invite les équipes de hackers à venir, on vous donnera le code source et on donnera un prix à quiconque trouvera un moyen de trouver une faille pour s’introduire dans le système ». Sur toutes ces équipes, deux ont trouvé des bogues. Aucun d’eux ne pouvait affecter une élection, mais ils ont pu les corriger. Et ces hackers ont reçu une récompense. La démocratie est plus sûre. La sécurité par l’obscurité ne fonctionne pas. Je ne sais pas quand nous allons enfin le comprendre mais le Brésil a su le faire. Donc c’est possible.
Nos institutions financières, ouais c’est passionnant, les institutions financières sont un autre domaine dont nous avons récemment pu observer les déboires quand elles déclinent. De nombreuses institutions utilisent des logiciels et les marchés boursiers et le fonctionnement de nos banques. Toutes ces choses sont critiques vis-à-vis de la manière dont nous vivons. C’est plus sociétal, mais nous avons déjà vu qu’il y a des vulnérabilités de ce côté. Tout cela pour dire, et j’insiste : mon appareillage médical peut être contrôlé !

Nous avons atteint le point où le logiciel doit être utilisable par tous.

Nos voitures peuvent être contrôlées et détraquées et nos institutions financières compromises. Nous sommes tous d’accord, les logiciels socialement et vitalement critiques doivent être sûrs. Mais nous sommes à une période très intéressante. Car comment savoir quel logiciel est d’un intérêt vital ou socialement critique ? La manière d’utiliser les ordinateurs a changé si rapidement et récemment… Je suis ébahie par la quantité de gens qui se sont mis à utiliser des ordinateurs comme ils ne l’avaient jamais fait.
Ce ne sont plus seulement des personnes à l’aise avec la technologie. C’est tout le monde, nos grands-parents, tout le monde. Et nous utilisons les logiciels pour tout, c’est devenu notre manière de tout faire. Comment nous communiquons. Comment nous parlons au téléphone. Comment nous écrivons, faisons de l’art. Comment nous gérons les institutions scolaires et comment nous gérons nos vies. Nous construisons cette infrastructure et nous n’y réfléchissons même pas.
Beaucoup de personnes utilisent leurs téléphones pour suivre des choses comme leur entraînement ou leur régime. C’est très pratique parce qu’on peut suivre ce qu’on a mangé au fur et à mesure, ce qu’on a fait. Certains téléphones ont des podomètres, et c’est assez basique mais il existe déjà un logiciel pour l’iPhone qui peut communiquer avec une pompe à insuline et évaluer l’exercice et le régime en fonction du niveau de sucres dans le sang.
Et nous voilà revenus à l’appareillage médical. Vous avez un iPhone sur lequel vous comptez pour votre vie. Nous créons tout cette infrastructure, et nous avons envie d’y réfléchir voilà pourquoi l’ordinateur personnel est si important. C’est en quelque sorte là où tout prend son sens dans mon histoire personnelle et les raisons pour lesquelles j’ai quitté le Software Freedom Law Center que j’aimais et me rendait très heureuse d’y être avocate pour pouvoir travailler et être à la Fondation Gnome que j’ai également quittée.
Et je parle d’ordinateur entre guillemets parce que ça va des manières d’interagir avec nos ordinateurs à la façon dont nous gérons nos vies à travers des logiciels. Nous avons atteint le point où le logiciel doit être utilisable par tous. Je pense que tout le monde ici doit connaître une personne plus âgée qui, il y a quelque années, n’avait probablement jamais rien fait avec son ordinateur.
Ma mère était l’une de ces personnes. Je me rappelle qu’étant enfant, je lui répétais :
« Mais maman, regarde ces super jeux ! — m’intéressent pas »
Et je me rappelle qu’au collège, je lui disais :
« Maman, si nous pouvions parler par courriel, ça serait tellement mieux ! — (Rien)…
Je me rappelle à l’école de droit, je disais :
« Maman, je peux effectuer toutes ces recherches sur mon ordinateur, sans avoir à rester toute la journée à la bibliothèque, c’est génial ! — (Rien)…
Plus tard, j’ai essayé de lui dire « Maman, j’organise mon voyage avec mon ordinateur ». Soudain, elle était un peu intéressée et maintenant, avec tout ce qui est arrivé elle ne peut plus rien faire sans son ordinateur. Maintenant, son ordinateur est devenu… Premièrement, elle envoie des courriels et des messages à ses amis, elle gère ses voyages et ses finances. C’est spectaculaire pour moi parce que je n’ai pas utilisé ici mon père qui est ingénieur, mais ma mère était vraiment un peu technophobe. Et maintenant, elle aime Apple. ELLE AIME APPLE. Elle peut utiliser son ordinateur pour… elle n’a pas à y penser.
C’est super, et c’est très frustrant pour moi. Mais je suis contente qu’elle puisse maintenant utiliser un ordinateur et c’est quelque chose qu’elle possède maintenant. Elle ne me pose pas de questions, enfin si, elle le fait… Mais elle ne voit pas de raison pour laquelle ces appareils ne lui seraient pas destinés et elle est très représentative de la majorité de notre société. Et ces gens n’auraient pas été aussi capables il y a quelques années, de faire autant avec leurs ordinateurs. Nous devons séduire des gens parce que ce sont ceux qui choisissent d’adopter l’iPhone pour mettre en relation leur exercice et leur régime avec leur pompe à insuline.
C’est le genre de chose dont nous devons nous préoccuper parce que si nous ne rendons pas nos logiciels simple pour tout le monde, personne ne voudra les utiliser. Et nous avons aujourd’hui une opportunité, une fenêtre qui se referme lentement parce que nous faisons maintenant des choix avec lesquels nous allons devoir vivre longtemps. Nous créons des habitudes, nous créons des attentes et nous établissons la mesure de notre société concernant ce qui est ou non acceptable pour un logiciel.
Vous êtes ici, à LinuxConfAu, vous connaissez les raisons pour lesquelles vous devriez utiliser des logiciels Libres et Open Source. Vous êtes ici pour toutes ces raisons y compris parce que c’est vraiment amusant. Nous avons passé un bon moment ici, et appris toutes sortes de choses vraiment cool mais derrière tout ça, la source d’où proviennent toutes ces raisons, c’est la Liberté.
Le logiciel Libre et Open Source n’est pas juste un marché profitable c’est aussi la bonne chose à faire. Donc lorsque nous parlons de nos appareils cardiaques, nous parlons de nos machines à voter et ensuite de la manière de vivre nos vies et de l’infrastructure par laquelle nous communiquons.
Nous voyons que le logiciel Libre et Open Source est exactement ce qu’il faut à notre société et pour l’apporter aux autres gens nous devons nous assurer que c’est facile et simple à utiliser pour eux.
(…)
Nous devons franchir la barrière, nous devons fournir des logiciels utilisables par des gens qui sinon ne pourraient pas s’en servir. Nous devons nous assurer que nos ordinateurs sont accessibles à tous parce que nous ne pourrons pas créer la bonne infrastructure pour toute la société si nous n’embarquons pas ces gens avec nous. (…)
Vous savez, nous avons la technologie, c’est bien agréable. Je n’ai plus vraiment besoin de bidouiller mon bureau. Je suis passée sur Gnome-Shell, et c’est brillant et très bien fait, j’ai à peine besoin de lignes de commande pour les choses en lien avec mon environnement de travail et uniquement quand je me sens bloquée. Ce n’est pas pour tout le monde, mais nous devons faire le choix du libre et des plateformes ouvertes, nous avons besoin de développer là-dessus parce que c’est le seul moyen que nous ayons de créer des sociétés meilleures et plus sûres. C’est le seul moyen de créer un monde où nous saurons que nos logiciels seront revus et qu’ils auront leur intégrité. Nous devons construire nos communautés dans l’espace non lucratif car nous devons établir ce très haut degré de confiance. Nous devons réinvestir notre idéologie dans le logiciel libre. Pour aller un peu plus loin je dirais : il ne s’agit pas de terminologie, mais d’idéologie. Nous devons vraiment penser à rendre le monde meilleur car nous le pouvons et nous le devons. Choisissons les logiciels libres et ouverts pour nous-mêmes et pour notre société.




Windows 8, faux progrès et vraie menace

Windows 8, le nouveau système d’exploitation de Microsoft, qui sera le même pour PC, tablette et smartphone, devrait être lancé officiellement le 26 octobre, et on peut compter sur le puissant marketing de la multinationale pour nous abreuver d’images cool, avec des doigts qui caressent une interface tactile en tuiles sur un bureau attrayant. C’est certain, l’interface entièrement rénovée sera plus au goût du jour, maintenant que la vaste diffusion des appareils mobiles nous a accoutumés à d’autres gestes que cliquer sur des icônes…

Le libristes habitués aux versions successives plus ou moins buguées de Windows (et celle-ci promet déjà de l’être) hausseront sans doute les épaules et retourneront à leur Debian. Ils auront peut-être tort si l’on en croit Casey Muratori, qui se demande si l’impact du nouveau système ne pourrait pas être aussi décisif pour l’informatique grand public que la sortie de Windows 3.0.

En effet, derrière ce qu’on ne manquera pas de nous vendre comme un progrès, c’est une véritable régression qui va s’opérer : tous les logiciels qui tourneront avec le nouveau système devront passer obligatoirement par le Windows Store, Microsoft exercera donc un contrôle total sur son écosystème logiciel.

De plus, la compatibilité maintenue de l’ancienne interface avec la nouvelle, si elle semble assurée dans une première étape, pourrait à terme en signer la disparition pure et simple, comme le souligne l’auteur de l’article ci-dessous, qui établit judicieusement un rappel historique : souvenez-vous de la manière dont MS-DOS a progressivement été effacé du paysage après une brève période de coexistence avec Windows 3.0. Euh oui ça ne rappellera rien aux plus jeunes, mais prendre un peu de recul est ici pertinent.

La menace de Windows 8 c’est d’abord d’imposer un système fermé à tous les développeurs et bien sûr à tous les consommateurs. Mais Casey Muratori se demande in fine si la première victime ne sera pas Microsoft lui-même, tant le virage stratégique qu’il opère risque de lui coûter ses principaux soutiens. La bataille des systèmes d’exploitation est engagée, qui en sortira indemne ?

Remarque : Nous n’avons pas traduit les deux appendices qui figurent en bas de l’article d’origine mais nous serions ravis de trouver des volontaires prêts à compléter cela avec nous sur le framapad de travail.

Kiwi Flickr - CC by

Les vingt ans à venir

The Next Twenty Years

Casey Muratori – 8 octobre 2012 – MollyRocket.com
(Traduction : Genevois, Maïeul, KoS, BlackEco, mib_6025, Geekandco, FredB, goofy, Quentin)

Voici pourquoi le modèle de distribution fermé de Windows 8 doit être remis en cause dans l’intérêt des développeurs, des consommateurs et même de Microsoft lui-même.

Pour la première fois dans l’histoire du PC, Microsoft s’apprête à diffuser un nouvel écosystème Windows dont il sera le seul et unique fournisseur de logiciels. Si vous achetez Windows 8, le seul endroit où vous pourrez télécharger des logiciels qui s’intègreront à la nouvelle interface de système, ce sera le Windows Store officiel. Microsoft exercera un contrôle total sur les logiciels autorisés ou non sur son système d’exploitation.

Microsoft a déclaré que les applications destinées à l’interface plus ancienne du bureau ne seraient pas impactées par cette nouvelle politique. Tant qu’ils utiliseront seulement des applications qui tournent sur le bureau classique, les utilisateurs auront encore la possibilité d’acheter, vendre, développer et distribuer des logiciels sans que Microsoft ne s’en mêle. Beaucoup d’utilisateurs de Windows ont compris cette déclaration comme une assurance que le modèle ouvert de distribution dont ils bénéficient aujourd’hui serait encore valide dans les futures versions de Windows. Du coup beaucoup moins de gens ont réagi au problème posé par Windows 8 que si la déclaration avait été comprise différemment.

Mais est-ce bien réaliste de croire que l’ordinateur de bureau sous Windows sera encore une plateforme informatique utilisable à l’avenir ? Et quelles en seraient les conséquences si elle venait à disparaître, laissant les utilisateurs de Windows avec pour toute ressource l’écosystème cadenassé de logiciels introduit par Windows 8 ? Pour répondre à ces questions, cette édition de Critical Detail examine les effets à court et à long terme des exigences imposées par Microsoft pour obtenir sa certification. Nous explorerons en profondeur comment l’histoire permet de prédire la durée de vie du PC classique sous Windows, nous aborderons de façon pragmatique cette question : vaut-il mieux pour Microsoft en tant qu’entreprise qu’elle adopte un écosystème ouvert ou fermé ?

Le Jeu de l’Année 2032

Selon PC Gamer Magazine, et de nombreuses autres sources en accord, le jeu PC de l’année 2011 était Skyrim : Elder Scrolls V. Ce constat n’a étonné personne. Skyrim pour PC a été rendu disponible sur Windows, pas MS-DOS. Même si les développeurs le voulaient, il leur était impossible de mettre à disposition un jeu PC comme Skyrim sur DOS car aucune des innovations graphiques des 15 dernières années n’est disponible sur celui-ci. Il est même absurde de penser pouvoir vendre des applications tournant sous MS-DOS aujourd’hui.

Hypothétiquement, on peut penser autant absurde dans 20 ans de vendre des applications pour la version bureau de Windows. Il n’y aura pas de jeux vidéo PC en 2032 comme il n’y a pas de jeux sous DOS en 2012. Tout fonctionnera sous une forme redéfinie pour l’interface moderne de Windows 8.

Puisque aucune application pour cette plateforme à venir ne pourra être vendue sans passer par le Windows Store, l’équipe ayant travaillé sur Skyrim devra envoyer son application à Microsoft pour validation. C’est ensuite la firme qui jugera de la validité de l’application et de la possibilité de la vendre. Savez-vous ce que pourrait être la réponse de Microsoft ?

Moi oui. Ce serait « non ».

Ce n’est pas une spéculation, c’est une certitude. Skyrim est un jeu pour adultes. Il est certifié PEGI 18. Si vous lisez les conditions de certification Windows 8 App, vous trouverez à la section 5.1 :

Votre application ne doit pas proposer de contenu pour adulte, et les metadatas doivent être appropriés à chacun. Les applications avec une évaluation PEGI 16, ESRB ADULTE, ou qui proposent du contenu pouvant nécessiter une telle évaluation ne sont pas autorisées.

Et c’est plié. Pas de Skyrim sur le Windows Store, à moins que les développeurs ne reviennent en arrière et retirent le contenu classé PEGI-18.

C’est le Jeu de l’Année 2011, banni du Windows Store. Et à propos de 2012 ? Avec de nombreux jeux très attendus à venir, personne ne peut deviner lesquels seront sélectionnés. Mais une sélection aléatoire des prédictions actuelles que l’on retrouve sur la toile suggère comme principaux prétendants Max Payne 3, The Witcher 2, Mass Effect 3, Assassins Creed 3, Call of Duty: Black Ops 2 et Borderlands 2. Parmi les quatre de cette liste qui ont reçu une évaluation PEGI pour adultes, combien pourront être vendus sur le Windows Store ?

— Aucun.

Il y a certainement aujourd’hui de nombreuses personnes, si ce n’est la majorité, qui pensent que les jeux vidéo n’ont pas de vrai potentiel culturel. Ce ne sont pas des œuvres d’art diront certains, et ce n’est donc pas grave qu’une plateforme majeure interdise sa diffusion. Dans l’intérêt d’illustrer de manière plus étendue l’importance d’une plateforme ouverte , donnons à nos jeux un lifting culturel. Supposons que nous ayons d’un coup de baguette magique tout un lot de jeux équivalents aux meilleures séries nommées aux Emmies 2012 : Boardwalk Empire, Breaking Bad, Mad Men, Downton Abbey, Homeland et Game of Thrones.

Admettons que Downtown Abbey ait été le seul à franchir le test d’évaluation PEGI, mais même si les autres satisfaisaient plus ou moins les critères, ils auraient été exclus du magasin pour un tas d’autres raisons, telles que l’expose la section 3.5 :

Votre application ne devra pas proposer du contenu ou des fonctionnalités qui encouragent, facilitent ou glorifient des activités illégales.

Et section 5.6 :

Votre application ne devra pas proposer du contenu qui encourage, facilite, ou glorifie une utilisation excessive ou irresponsable d’alcool, de tabac, de drogues ou d’armes.

Ou section 5.8 :

Votre application ne devra pas contenir de propos blasphématoires outranciers.

Cette vision d’un futur Windows fortement censuré par Microsoft est effrayante. Mais quelles sont les risques que cela arrive ?

Pour Windows RT, la version de Windows pour les tablettes peu puissantes et les téléphones, ce futur commence le 26 octobre. Tous les appareils fonctionnant avec Windows RT ne pourront faire tourner que des logiciels venant du Windows Store, et tous les logiciels devront suivre les exigences de certification énoncées ci-dessus et des dizaines d’autres. Les utilisateurs de Windows RT n’auront pas dix ou vingt ans avant de ne plus pouvoir jouer aux jeux les plus populaires sur leurs machines. Ces jeux auront été bannis dès le premier jour.

Mais pour Windows 8 et Windows 8 Pro, les versions qui seront les plus répandues, le calendrier est encore incertain. Contrairement à Windows RT, ces versions incluent le bureau classique de Windows qui prend encore en charge la distribution ouverte. Est-il possible, alors, que les utilisateurs de la version bureau n’aient jamais à expérimenter ce futur ?

Une brève analyse de l’histoire de Microsoft suggère plutôt l’inverse.

Anatomie d’un changement de plateforme chez Microsoft

Dans la fin des années 1980 une bonne partie de l’informatique grand public utilisait déjà des interfaces graphiques. Des machines comme le Macintosh d’Apple, le Commodore d’Amiga et l’Atari ST ont eu un grand succès et chacune était livrée avec un système d’exploitation graphique moderne pré-installé. D’un autre côté, les PC tournaient essentiellement sous MS-DOS, un environnement en ligne de commande où les applications devaient implémenter leur propre interface rudimentaire.

Malgré cet inconvénient, le PC n’en était pas moins florissant. Comme c’était une plateforme matérielle ouverte et qu’elle avait été adoptée dans l’environnement professionnel, la plupart des logiciels de productivité de l’époque, comme Lotus 1-2-3 et WordPerfect – traitaient MS-DOS comme une plateforme commerciale majeure.

Puis, le 22 mai 1990, Microsoft sort Windows 3.0. Cette version de Windows peut faire quelque chose que les précédentes versions ne pouvaient pas : faire tourner des programmes MS-DOS en plus des applications graphiques natives. Pour la première fois, on pouvait faire tourner les applications de travail standards sans quitter une interface conviviale. L’interface graphique de Windows n’était peut-être pas aussi flashy que ce qui existait sur d’autres plateformes, mais cela offrait aux gens la possibilité de n’utiliser qu’un seul OS pour tout et c’est ce que les consommateurs voulaient. Le taux d’adoption monta en flèche.

Durant les cinq années suivantes, Microsoft continua à ajouter de nouvelles API à Windows. Bien que les gens aient continué à développer des programmes sous MS-DOS, il devint de plus en plus difficile de faire une application professionnelle qui n’intégrait pas des choses comme le gestionnaire de polices de Windows, les services d’impression, les boîtes de dialogue standard et les presse-papiers. Les clients s’attendaient à pouvoir utiliser ce genre de choses et les logiciels MS-DOS ne le pouvaient tout simplement pas.

La plupart des applications firent la transition vers des versions natives Windows ou disparurent, mais les jeux furent l’obstacle majeur. Ils vivaient et mouraient par la performance et ne pouvaient se permettre la surcharge induite par Windows. Mais finalement Microsoft trouva le moyen de leur fournir l’accès au hardware dont ils avaient besoin, et lentement mais sûrement les jeux natifs Windows devinrent de plus en plus communs. Lorsque Windows 2000 fut lancé le 17 février 2000, seulement dix ans après la sortie de Windows 3.0, faire tourner des programmes MS-DOS était passé du statut de principale caractéristique qui faisait de Windows ce qu’il était à un mode de compatibilité fermé destiné seulement à assurer le support des versions précédentes. MS-DOS en tant que plateforme et tous les programmes qui lui étaient liés sombrèrent dans l’obscurité.

Le 22 juillet 2009, pas loin de vingt ans après la sortie de Windows 3.0, Microsoft présenta la version de Windows la plus utilisée aujourd’hui, Windows 7 64-bits. Si vous essayez de lancer une application MS-DOS sur Windows 64 bits, vous aurez une boîte de dialogue qui dit :

win-alert.jpg

Vous pouvez toujours faire tourner ce programme, mais vous devrez installer une version 32 bits de Windows ou télécharger et installer un paquet Windows XP Mode sur le site de Microsoft.

Retour à 1990

La situation du PC en tant qu’objet informatique de consommation est très similaire aujourd’hui en 2012 à ce qu’elle était en 1990. Sur le PC, nous utilisons encore l’interface WIMP (Windows, Icônes, Menus, Pointeur) dont le standard s’est imposé depuis une trentaine d’années (seulement une vingtaine sur les seuls PC). Mais pour ce qui est de tous les autres appareils populaires aujourd’hui — les smartphones et les tablettes — les interfaces WIMP n’existent plus. Les systèmes d’exploitation comme iOS et Android ont remplacé le WIMP par des interfaces tactiles, exactement comme les Macintosh et Amiga ont fait disparaître la ligne de commande des interfaces utilisateurs dans les années 80.

Mais voilà que le 26 octobre, Microsoft va lancer son premier système d’exploitation tactile, Windows 8. Plutôt que d’abandonner carrément le WIMP, ils ont choisi de l’inclure comme sous-ensemble de leur nouvelle interface tactile. Tout comme l’interface de Windows 3.0 coexistait avec MS-DOS, la nouvelle interface de Windows 8 sera disponible avec un bureau traditionnel Windows 7.

Comme c’était déjà le cas pour Windows 3.0 et DOS, l’intégration d’une interface dans l’autre est tout à fait superficielle. Certaines parties sont bien intégrées mais la plupart ne le sont pas. Vous pouvez créer des tuiles dans la nouvelle interface utilisateur pour lancer des programmes dans l’ancienne, tout comme dans Windows 3.0 vous aviez des icônes qui permettaient de lancer des programmes sous DOS. Mais exactement comme les programmes DOS tournaient dans un conteneur spécial, et rendaient impossibles des opérations comme l’ouverture d’autres fenêtres, de boîtes de dialogue, l’usage de fontes différentes ou le transfert d’images vers le bureau, les applications de bureau classiques sont contingentées dans un conteneur spécial du bureau de Windows 8 et ne pourront accéder à la plupart des nouvelles fonctionnalités de nouvelle interface Windows 8.

Bref, le bureau sous Windows 8 en est au point où se trouvait MS-DOS sous Windows 3.0. Ce qui nous amène à la question cruciale?: si Microsoft est aussi attentif à la nouvelle interface utilisateur de Windows 8 qu’il l’a été à celle de Windows 3.0, à quoi va ressembler le support du bureau Windows classique à l’avenir ? Si vous pensez que l’histoire se répète, la réponse est sans ambiguïté : il sera relégué dans l’oubli d’ici dix ans et cessera d’exister dans vingt sauf si on assure la rétro-compatibilité manuellement.

Maintenant, nul ne peut prédire l’avenir avec certitude. Beaucoup d’entre vous ne sont probablement pas convaincus le moins du monde que l’avenir du bureau sera inspiré par une version plus élaborée et affinée de la nouvelle interface de Windows 8. Mais si vous jetez un coup d’œil en arrière vous prendrez conscience que beaucoup de gens pensaient exactement ainsi quand Windows 3.0 est sorti, j’espère que vous mesurez à quel point il est possible que nous soyons dans une situation similaire.

L’avenir mort-né de Windows 8

Pour les développeurs aujourd’hui, le monde de l’informatique de grande consommation avant l’arrivée de Windows 8 est un peu chaotique. Il y a iOS, une plateforme sur laquelle vous ne pouvez publier aucune application native sans la permission aléatoire et arbitraire d’Apple. Il y a Android, une plateforme agréablement ouverte mais qui est en proie à une gestion catastrophique des spécifications du matériel, qui manque d’implication pour le support de code natif et qui est menacée d’être sérieusement mise en péril par des poursuites judiciaires qui bloqueraient tout au nom des brevets logiciels. Et puis il y a les plateformes comme Blackberry, WebOS, Kindle Fire (basée sur Android) et Nook, qui sont encore en quête d’une adoption plus consistante par des utilisateurs.

Entre en scène Windows 8. Il est conçu pour une interaction tactile, a de spécifications matérielles bien définies, est doté d’une interface dont le code natif est bien documenté, peut être utilisé directement comme environnement de développement sans nécessiter de compilation sur un autre système — et oui, il est soutenu par une entreprise notoire pour sa sournoiserie, qui détient un portefeuille de brevets cinq fois plus épais que celui d’Apple. Donc si jamais Apple essayait d’entreprendre une action litigieuse contre Windows 8 similaire à celle qu’il a menée contre Android, nous verrions se déclencher en représailles un tir nourri de plaintes pour violation de brevets qui atteindrait un tel niveau que le chouette immeuble flambant neuf du quartier général d’Apple serait submergé par des tonnes de paperasses rédigées en une obscure langue juridique.

On en est aujourd’hui à un tel point de confusion dans le paysage du développement en informatique que cela pourrait effectivement être un pas en avant pour les développeurs. En supposant que le développement du nouvel écosystème de Windows 8 suivra les mêmes règles que le développement de l’ancien, n’importe quel développeur pourrait simplement installer Windows 8, développer des logiciels ciblant le marché du tactile, puis le distribuer gratuitement ou en le monnayant via son site web ou un distributeur tiers. Moins de prises de têtes avec la diversité des plateformes, pas d’exigences incertaines à satisfaire préalablement pour tester, pas de frais de développement bizarres ou de souscription obligatoire — et plus important encore, pas de puissance hégémonique d’Apple s’interposant entre les développeurs et leurs clients.

Mais voilà, il y a un petit problème. Microsoft a décidé de ne pas suivre, pour le nouvel écosystème de Windows 8, les mêmes règles qu’avec les éditions précédentes de Windows. À la différence de la transition entre MS-DOS et Windows 3.0, Microsoft ne prévoit pas d’étendre l’écosystème de Windows. Ils veulent lui faire prendre une tout autre voie.

Monopole

Le problème commence avec le Windows Store. Si le nom vous rappelle le App Store d’Apple, c’est parce qu’effectivement c’est l’App Store d’Apple. C’est une plateforme de distribution centralisée que Microsoft contrôle, qui permet aux utilisateurs finaux d’acheter des logiciels à partir d’un catalogue de titres explicitement approuvés par Microsoft.

Ce qui, en soi, pourrait ne pas être aussi mauvais. Il y a des arguments valables contre le fait que le propriétaires d’une plateforme contrôle le marketplace par défaut pour cette plateforme, mais si la plateforme permet aux personnes de développer et de distribuer des logiciels gratuitement en-dehors du marketplace, alors d’autres entreprises peuvent aussi bien contourner/se passer du/ le magasin. Les développeurs peuvent distribuer leurs logiciels par d’autres canaux, ou même fournir des magasins alternatifs, réduisant par une saine concurrence le danger d’abus ou d’obstruction de la part du propriétaire de la plateforme.

Toutefois, il est très clair en parcourant les publications de Microsoft sur Windows 8 que pour avoir le droit de bénéficier de la nouvelle interface utilisateur, vous devrez distribuer votre application dans le Windows Store. Cela veut dire qu’en octobre, Microsoft lui-même sera devenu l’unique source de logiciels pour tout ce que vous voudrez faire tourner sur une machine Windows qui ne serait pas relégué au vieil écosystème précédent. À la différence de la transition historique entre MS-DOS et l’interface utilisateur de Windows, et même si la précédente version restera probablement disponible, la nouvelle (celle de Windows 8) sera bel et bien fermée. Ce qui placera Microsoft dans une position de monopole totalement nouvelle : celle d’un distributeur exclusif de logiciels pour la majeure partie des ordinateurs du monde entier.

Maintenant, il existe apparemment un point qui fait controverse. Peut-être parce que Microsoft n’en a pas fait état de façon très importante dans ses communiqués de presse, certains doutent que pour distribuer des logiciels destinés à la nouvelle interface utilisateur, il faudra nécessairement que les développeurs obtiennent la permission de Microsoft. Mais ils ont tort. Afin de mettre les choses au clair une fois pour toutes, une analyse complète et des recherches approfondies sur les publications officielles de Microsoft sur le sujet figurent en annexe B de l’article d’origine. Il démontre qu’il n’y aura aucun moyen pour les développeurs de distribuer sur Internet des applications compatibles avec l’interface utilisateur moderne, sans avoir reçu une approbation explicite de la part de Microsoft.

Donc, en gardant cela à l’esprit, il est grand temps de se poser la question cruciale : si l’interface du nouveau Windows 8 en vient à remplacer complètement le bureau classique, et que Microsoft exerce désormais un contrôle total sur les logiciels qui seront autorisés ou non pour cette nouvelle interface, dans quelle mesure l’avenir de Windows sera-t-il spectaculairement affecté ? Est-ce que les jeux conçus pour les adultes seront les seules victimes de ce changement ou bien l’enjeu est-il beaucoup plus important ?

L’avenir pourrait être n’importe où

Bannir la plateforme de jeux la plus populaire du tout nouvel écosystème Windows 8 – qui est aussi le seul écosystème accessible aux utilisateurs de Windows RT – est l’une des conséquences négatives des directives de certification des applications par Microsoft. D’autres parties de ces directives auraient empêché l’existence de choses comme Flash, JavaScript et le Web dynamique, l’app store lui-même, s’ils n’existaient pas encore et donc d’être inclus à la plateforme de Microsoft elle-même. Il est donc clair que Microsoft s’est assuré que le nouvel écosystème Windows n’hébergerait jamais plus que les quelques applications que Microsoft considère comme importantes.

Mais simplement parce que Microsoft a fait un travail épouvantable en définissant les limites du nouvel écosystème, est-ce que cela signifie que la seule alternative est de réaliser un écosystème complètement ouvert ? Microsoft ne pourrait-il par définir de nouvelles et meilleures directives ?

La réponse étant pas tant qu’ils ne connaissent pas l’avenir. Et pas dans un sens général, mais littéralement le voir en pleine résolution/*lumière*/, et chaque détail avec clarté. En l’absence de telles prévisions idéales, comment une entreprise pourrait-elle dicter des règles pour des logiciels futurs sans interdire accidentellement des choses sur lesquelles de nouveaux logiciels révolutionnaires pourraient se fonder ?

La réalité est que même les entreprises les plus prospères sont rarement capables de prédire le futur avec précision. L’histoire de l’informatique regorge d’exemples. Digital Equipment Corporation, qui a été un certain temps la seconde plus grande entreprise d’informatique, n’a pas réussi à prévoir la révolution de l’informatique personnelle et son nom lui-même n’existe plus maintenant. Silicon Graphics, qui a été le leader du matériel d’imagerie 3D, n’a pas prévu la popularisation de ce matériel et à finalement été contraint de se déclarer en faillite.

Bien qu’étant très loin de connaître un sort aussi affreux, le passé de Microsoft montre qu’ils ne sont pas meilleurs prophètes. Bill Gates a ainsi déclaré à la fin des années 1990 :

« On se fait parfois surprendre. Par exemple, quand Internet est arrivé, c’était notre cinquième ou sixième priorité. »
– Bill Gates, lors d’un discours à l’Université de Washington en 1998

Et le changement de barreur sur le navire Microsoft n’a pas apporté d’amélioration :

« Il n’y a aucune chance que l’iPhone s’attribue une part de marché significative. Aucune chance. »
– Steve Ballmer, dans une entrevue avec USA Today en 2007, dans laquelle il a prédit que l’iPhone ne prendrait que « 2 ou 3% » du marché du smartphone.

Sans connaissance précise du futur, la seule manière d’éviter de bloquer l’innovation sans le vouloir est par définition de ne rien interdire de manière significative. Les seules exigences de certification que Microsoft pourrait choisir et qui soutiendraient complètement le futur seraient celles qui permettraient de certifier tout ce que des développeurs pourraient créer.

C’est la définition la plus épurée d’un écosystème ouvert.

Une maigre concession

Pour n’importe quel développeur désireux de créer le logiciel innovant du futur, il devrait être extrêmement clair que la nature fermée du nouvel écosystème de Windows 8 sera catastrophique pour la plateforme. La question ne se pose même pas, elle devrait être ouverte. Mais les développeurs ne sont pas les personnes chargées des politiques de Windows 8.

Donc la question plus pertinente pourrait être : est-ce que Microsoft peut se permettre de changer de cap et autoriser la distribution des applications Windows 8 par n’importe qui, et non pas seulement sur le Windows Store! ?

En prenant en compte le long terme, Microsoft ne peut pas se permettre de ne pas changer de cap. Ils sont déjà en retard sur tous les segments du marché de la consommation en-dehors du PC, par conséquent ils n’ont pas le droit à l’erreur. Si une nouvelle innovation logicielle arrive et considère qu’Android est sa plateforme primaire/de prédilection parce qu’elle a un système ouvert de distribution, cela pourrait facilement conduire à une nouvelle “décennie perdue” pour Microsoft, lorsqu’ils devront à nouveau rattraper leur retard.

Mais aujourd’hui les entreprises ne regardent généralement pas sur le long terme. Les profits à court terme et les besoins des actionnaires constituent des préoccupations immédiates et impératives ; et Microsoft est un compagnie notoire, contrainte par des nombreux intérêts externes. La question se pose donc en ces termes : l’entreprise Microsoft peut-elle autoriser un système de distribution ouvert avec Windows 8 sans nuire à son chiffre d’affaires ?

De manière surprenante, la réponse est qu’il y aura peu ou pas de pertes de revenus en autorisant un système ouvert de distribution dans Windows 8. Cela peut sembler absurde, mais si vous lisez attentivement les publications de Microsoft, vous verrez que c’est vrai. Bien que Microsoft ait fermé le système de distribution à l’intérieur du nouvel écosystème de Windows 8, ils n’ont pas fermé le système de paiement. Extrait de l’agrément développeur de Microsoft lui-même :

« En ce qui concerne le commerce d’applications. Vous pouvez choisir de proposer des options d’achat à l’intérieur même de votre application. Il n’est pas requis que vous utilisiez le moteur de commerce de Microsoft pour proposer ces achats. Si vous choisissez d’utiliser le moteur d’achat commercial de Microsoft, les achats seront soumis à l’Agrément/*, y compris, mais pas seulement, les frais de magasin et les exigences de licence et de transfert. »

Aussi étrange que cela puisse sembler, si un développeur propose une application limitée dans sa version gratuite sur le Windows Store, il pourrait alors vendre, directement dans l’application, une mise à niveau ou un déverrouillage vers la version complète pour laquelle il pourrait accepter un paiement direct. Ils n’ont pas besoin de verser 20 ou 30% de royalties comme c’est le cas avec une transaction sur le Windows Store. La seule chose qu’ils ne peuvent pas faire c’est utiliser un système de distribution non-Microsoft, tel que leur propre site web ou leur propre « boutique » en ligne.

Ainsi, il est presque impossible de concevoir une situation où Microsoft perdrait des revenus significatifs en ouvrant le système de distribution, puisqu’il a déjà ouvert le système de paiement, et que pratiquement tous les revenus proviennent du système de paiement. Le seul revenu que Microsoft continuera à obtenir du store pour une application qui n’utiliserait pas leur moteur de commerce serait les frais variables d’application, d’un montant de 100 $ par application (et non pas par achat). Le Windows Store devra perdre 10.000 – 20.000 applications avec la distribution ouverte chaque jour pour atteindre l’équivalent de 1% du revenu de Microsoft. Pour référence, l’app store le plus populaire au monde, celui d’Apple, en reçoit moins de 500 par jour.

De plus, le potentiel de migration des utilisateurs du Windows Store depuis Microsoft vers des fournisseurs tiers ne serait pas aussi important avec un système ouvert de distribution. N’importe quel utilisateur du Windows Store tel qu’il est actuellement décrit pourrait ouvrir un compte pour un autre système de paiement, pour une application qui proposerait l’achat en son sein. Une fois qu’il a décidé de créer un compte de ce type, rien ne l’empêche d’utiliser ce compte de façon triviale pour acheter n’importe quelle autre application qui serait disponible par le même processus de paiement. L’inertie de l’achat via un tiers n’est présente que la toute première fois qu’on l’utilise. Une distribution ouverte ne fonctionnerait pas différemment. Le Windows Store resterait la source par défaut des applications pour Windows 8, et c’est seulement quand l’utilisateur pourrait créer un compte pour une distribution externe que le Windows Store perdrait l’avantage de l’inertie.

Ainsi donc, Microsoft n’a quasiment aucun intérêt financier à ne pas autoriser un système ouvert de distribution. On peut supposer qu’il y a d’autres raisons sous-jacentes à leur décision de garder fermé le système de distribution. Est-ce pour limiter la menace de malware ? Est-ce pour prévenir le piratage ? Est-ce pour mieux gérer leur image de marque ? Tant que Microsoft ne sera pas explicite quant à ses objectifs, sa décision pourra être portée contre elle, nous pouvons seulement spéculer sur les motivations ; tous les autres candidats similaires proposent des solutions simples qui n’impliquent nullement une politique draconienne, comme forcer les utilisateurs à installer seulement des logiciels approuvés par Microsoft.

Et maintenant que fait-on ?

Les expériences sur les plateformes ouvertes sont l’une des sources premières d’innovation dans l’industrie informatique. Il n’y a pas deux manières de voir les choses. Les écosystèmes logiciels ouverts sont ce qui nous a donné la plupart des produits que nous utilisons aujourd’hui, qu’il s’agisse de logiciels d’entreprise tels que les feuilles de calculs, de logiciels de divertissement comme ceux de tir à la première personne, ou les paradigmes révolutionnaires qui changent le monde, comme le World Wide Web. Le monde sera bien meilleur pour tout le monde si ce type d’innovation continue.

Les développeurs, les consommateurs et même Microsoft devraient souhaiter que les vingt prochaines années ressemblent aux vingt dernières : année après année des nouvelles choses auparavant inimaginables, vous ont été apportées par des développeurs motivés et créatifs qui étaient libres d’aller là où leur vision les conduisait, sachant très bien que s’ils produisaient quelque chose de grand, il n’y aurait pas de barrière entre eux et la diffusion de leur création dans la monde entier.

Avec Windows 8, Microsoft est dans une position pivot pour aider à faire de ce futur une réalité. Ils pourraient devenir l’une des principales forces luttant pour permettre le développement pour tablette aussi ouvert que l’était le développement pour ordinateurs de bureau avec le Windows traditionnel. Ils pourraient prendre des parts de marché à l’iPad, complètement fermé (et totalement d hégémonique), et aider à restaurer dans ce domaine la liberté d’innover que les développeurs ont perdue lorsque Apple a imposé ses politiques restrictives.

Ou bien Microsoft peut lancer Windows RT, Windows 8 et Windows 8 Pro avec leur politiques actuellement en place, et se contenter d’être un autre acteur du marché de l’appareil tactile, avec leur propre jeu d’obstacles ridicules qui restreignent considérablement les possibilités de logiciel et font perdre leur temps aux développeurs avec leurs processus mal conçus de certification.

Pourquoi prendre ce risque ? Pourquoi pas ne pas se mettre en quatre pour fournir aux développeurs une plateforme ouverte, afin que tous et chacun d’entre eux ne soient pas seulement des soutiens, mais vraiment des personnes enthousiastes pour aider Windows à débarquer dans le monde des tablettes ?

Le succès de Windows 8 sur le marché des tablettes et des smartphones est loin, très loin d’être garanti. Est-ce que Microsoft veut véritablement se lancer dans la bataille sans l’appui de ses plus importants atouts ? Veulent-ils qu’une entreprise comme Valve, qui contrôle plus de 50% des ventes de jeux pour PC, décide de porter tout son effort vers Linux, compte-tenu que l’écosystème de Windows 8 interdit les plateformes de distribution tierces comme son fleuron Steam ? Veulent-ils vraiment que le lancement de Windows 8 soit pourri par une cascade de déclarations de développeurs de premier plan prenant position contre la nouvelle plateforme ? Et surtout, vont-ils délibérément courir le risque de s’attirer l’hostilité des développeurs au point de les voir promouvoir activement et développer leurs propres plateformes comme leur produit phare, puisque Windows ne leur offrira plus la liberté de développer et distribuer leurs logiciels à leur gré ?

Espérons, dans l’intérêt de tous, qu’ils prendront conscience que la seule réponse sensée à toutes ces questions est « NON ».

Crédit photo : Kiwi Flickr (Creative Commons By)




Traducthon, tradaction, tradusprint… Pour un Web ouvert !

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-saDepuis plus de deux ans, plus précisément depuis un samedi de mai 2009 à l’occasion d’une Ubuntu party, je participe aux traductions collaboratives dans la vraie vie initiées par Framalang, le groupe de traducteurs gonzos du Framaland. Et je ne suis pas le seul à y avoir pris goût.

Nous avons récidivé à Bordeaux pour traduire Un monde sans Copyright, chez Mozilla Europe à Paris pour le manuel Thunderbird et en juillet dernier à Strasbourg à l’occasion des RMLL, pour vous proposer aujourd’hui Pour un Web ouvert.

J’ai traduit, aidé à traduire, relu et révisé des dizaines de textes de toutes sortes. Participer aux traductions d’articles avec Framalang depuis un certain temps déjà n’a fait que multiplier les occasions de pratiquer le petit jeu de la traduction. Mais participer à un traducthon est une tout autre expérience dont voici certaines caractéristiques.

Des traducteurs en chair, en os et en vie

Antoine Turmel - CC by-saCommençons par le plus flagrant : un traducthon c’est une rencontre physique de personnes qui ne se connaissaient pas forcément, qui n’étaient que des pseudos en ligne ou bien que l’on ne retrouve qu’à quelques occasions. C’est donc d’abord un temps convivial, où l’on échange des propos par-dessus le travail en cours, des plaisanteries de mauvais goût qui déclenchent le fou-rire, des considérations trollesques qui partent en vrille, mais aussi des projets, des questions, des réponses, des contacts, de la bière l’eau ferrugémineuse, des pizzas et des petits plats du restau du quartier. En somme c’est une petite bande de gens qui deviennent copains (au moins), une bande dont la géométrie est variable d’une session à l’autre suivant la disponibilité de chacun ou son libre désir de participer.

Le milieu des traducteurs libristes n’est pas si vaste, mais il est relativement compartimenté, généralement en fonction des tâches et projets. Un traducthon représente la possibilité de mettre un peu de liant dans cet émiettement des activités. Je suis assez content par exemple de voir se rencontrer sur une traduction partagée des copains de frenchmozilla et ceux de framalang. Ah mais j’entends aKa dans l’oreillette… ah oui, d’accord il faut employer au moins une fois le mot « synergie ». C’est fait.

Inconvénient ? C’est sûr, on découvre les vrais gens : Julien mange toute la tablette de Milka, Adrien est trop bavard, Goofy est un vieux et Simon ne devrait pas se laisser pousser la barbe.

Un défi, un enjeu, un grand jeu

La concentration dans le temps (un week-end, trois ou quatre jours dans le meilleur des cas…), la concentration dans un lieu de travail (une salle de cours de faculté plus ou moins équipée, un hall de la Cité des sciences, les locaux de Mozilla Europe…) sont bien sûr associées au défi que l’on se donne de terminer au moins un premier jet tout simplement parce qu’après le traducthon chacun reprend sa vie quotidienne et d’autres activités, il faut donc terminer « à chaud ». L’ensemble pourrait créer un stress particulier, mais le plus souvent il ne s’agit que d’une tension positive parce que nous sommes un groupe. Chacun sait que tout près un autre participant est animé lui aussi du désir d’atteindre le but commun. La collaboration crée en réalité l’émulation, chacun met un point d’honneur à faire au moins aussi bien et autant que ses voisins.

L’enjeu d’un traducthon est particulier car il s’agit d’un ouvrage d’un volume important et pas seulement d’un article de presse électronique qui est une denrée périssable, comme nous en traduisons régulièrement pour le Framablog. Dans un traducthon, nous nous lançons le défi de traduire vite un texte qui devrait pouvoir être lu longtemps et dont le contenu lui aussi est important. Nous avons le sentiment d’avoir une sorte de responsabilité de publication, et la fierté de mettre à la disposition des lecteurs francophones un texte qui contribue à la diffusion du Libre, de sa philosophie et de ses problématiques.

Reste que la pratique a heureusement une dimension ludique : les outils en ligne que nous partageons pour traduire, que ce soit la plateforme Booki ou les framapads, même s’ils ne sont pas parfaits, offrent la souplesse et l’ergonomie qui les rendent finalement amusants à pratiquer. Tous ceux qui ont utilisé un etherpad pour la première fois ont d’abord joué avec les couleurs et l’écriture simultanée en temps réel. Même au cœur du rush des dernières heures d’un traducthon, lorsque nous convergeons vers les mêmes pages à traduire pour terminer dans les temps, c’est un plaisir de voir vibrionner les mots de couleurs diverses qui complètent un paragraphe, nettoient une coquille, reformulent une tournure, sous le regard de tous.

Traduction ouverte, esprit ouvert

N’oublions pas tous ceux qui « passent par là » et disent bonjour sous la forme d’un petit ou grand coup de pouce. Outre ceux qui ont décidé de réserver du temps et de l’énergie pour se retrouver in situ, nombreux sont les contributeurs et contributrices qui collaborent sur place ou en ligne. Beaucoup découvrent avec intérêt la relative facilité d’accès de la traduction, qui demande plus de qualité de maîtrise des deux langues (source et cible) que de compétences techniques. Quelques phrases, quelques pages sont autant de contributions tout à fait appréciées et l’occasion de faire connaissance, voire d’entrer plus avant dans le jeu de la traduction en rejoignant framalang.

Plus on participe, plus on participe. Il existe une sorte d’effet addictif aux sessions de traduction collective, de sorte que d’une fois à la suivante, on retrouve avec plaisir quelques habitués bien rodés et d’autres plus récemment impliqués qui y prennent goût et y reviennent. Participer à un traducthon, c’est appréhender de près et de façon tangible la puissance du facteur collaboratif : de l’adolescent enthousiaste à l’orthographe incertaine au retraité venu donner son temps libre pour le libre en passant par le développeur qui apporte une expertise technique, chacun peut donner et recevoir.

Enfin, et ce n’est pas là un détail, la pratique du traducthon apprend beaucoup à chacun. Certains découvrent qu’ils sont à la hauteur de la tâche alors qu’ils en doutaient (nulle contrainte de toutes façons, on choisit librement ce que l’on veut faire ou non), mais pour la plupart d’entre nous c’est aussi une leçon de partage du savoir : nos compétences sont complémentaires, l’aide mutuelle est une évidence et la modestie est nécessaire à tous. Voir par exemple son premier jet de traduction repris et coloré par un traducteur professionnel (Éric, reviens quand tu veux ?!), se faire expliquer une tournure de slang par un bilingue et chercher avec lui un équivalent français, découvrir une thèse audacieuse au détour d’un paragraphe de la version originale, voilà quelques exemples des moments enrichissants qui donnent aussi sa valeur à l’exercice.

Le mot, la chose

Une discussion trolloïde de basse intensité est engagée depuis le début sur le terme à employer pour désigner le processus de traduction collaborative dans la vraie vie en temps limité. Quelques observations pour briller en société :

  • C’est un peu l’exemple des booksprints initiés par Adam Hyde et la bande des Flossmanuals qui nous a inspiré l’idée de nos sessions, on pourrait donc adopter tradusprint, surtout dans la mesure où c’est une sorte de course de vitesse…
  • En revanche lorsque une traduction longue demande plusieurs jours et un travail de fond (ne perdons pas de vue le travail indispensable de révision post-traduction), il est assez cohérent de parler plutôt de traducthon.
  • Pour être plus consensuel et « couvrir » tous les types de session, le mot tradaction a été proposé à juste raison

Ci-dessous, reproduction de l’affichette amicalement créée par Simon « Gee » Giraudot pour annoncer le traducthon aux RMLL de Strasbourg. À noter, Simon a également contribué à la traduction d’un chapitre !

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Et le Web ouvert alors ?

C’était justement le fruit d’un booksprint à Berlin l’année dernière, le voilà maintenant en français. Ce qui est assez frappant pour aller droit à l’essentiel, c’est la rhétorique guerrière qui en est le fil rouge. Au fil des pages on prend conscience de l’enjeu et de l’affrontement déjà en cours dans lequel nous pouvons jouer un rôle décisif. C’est maintenant et peut-être dans les deux ans qui viennent pas plus qu’il y a urgence à ce que nos pratiques de la vie numérique maintiennent et étendent un Web ouvert.

Le Web n’est pas un amoncellement de données, ni un amoncellement d’utilisateurs, le Web ouvert existe quand l’utilisateur propose librement des données et s’en empare librement. Le Web n’a pas d’existence tant que ses utilisateurs ne s’en emparent pas.

Nous voulons un Web bidouillable, libre et ouvert. Nous voulons des navigateurs Web extensibles, d’une plasticité suffisante pour répondre à nos goûts et nos besoins. Nous voulons contrôler nos données et en rester maîtres, non les laisser en otages à des services dont la pérennité et les intentions sont suspectes. Nous ne voulons pas que notre vie numérique soit soumise ni contrôlée, filtrée, espionnée, censurée.

Le Web n’appartient pas aux fournisseurs d’accès, ni aux états, ni aux entreprises.

Le Web n’appartient à personne, parce que nous sommes le Web.

Au fait, si vous voulez parcourir Pour un Web ouvert, c’est… ici en HTML et là en PDF.

Antoine Turmel - CC by-sa

Bonus track

Une interview au cours du traducthon de Strasbourg pour la radio québécoise La Voix du Libre.

Crédit photos : Antoine Turmel et Antoine Turmel (Creative Commons By-sa)