La comm’ en kit, c’est libre et bio !

Le kit du semeur d’idées est le site d’une communicante française qui propose des conseils et des ressources sous licence libre, avec en plus une démarche éco-responsable. Le tout pour pas un radis.

Salut Nadine ! Nous avons découvert ton initiative pour permettre à toutes et tous de « cultiver l’éco-communication ». Ça veut dire quoi ?

Salut ! Alors éco-communiquer signifie « communiquer efficacement tout en réduisant son impact sur l’environnement ». Il s’agit de faire de l’éco-conception : prendre en compte l’environnement dès la conception de sa stratégie. Pour le terme de « cultiver », il y a une petit histoire ! Avant de lancer Cultive ta com’ et son kit du semeur d’idées, j’étais graphiste sous logiciels libres et je faisais de l’éco-conception de documents sous le nom de « Graine de pixel ». J’ai voulu faire évoluer mon projet vers la sensibilisation tout en gardant une partie de cette identité.

Nadine
Nadine

C’est vraiment important de concevoir sa comm’ en pensant aux économies d’encre ? Que penses-tu des extensions comme print-edit qui permettent d’économiser du papier et de l’encre en éliminant le superflu ?

Je trouve que cette extension est une très bonne initiative. Il est tout de même important de se demander au préalable s’il est possible d’éviter l’impression depuis le web. La meilleure façon d’économiser de l’encre c’est de ne pas en utiliser, non ?

Elles sont chouettes et claires tes fiches, mais on n’y trouve pas de liens vers des ressources ou exemples ou prolongements, c’est délibéré ?

Merci beaucoup, c’est très important pour moi qu’elles soient claires. Non ce n’est pas du tout délibéré, je dois ajouter les sources et des liens externes sur les mises à jour du Kit. Il est en mutation perpétuelle, rien n’est jamais définitif et je tiens à approfondir les fiches avec le temps.

Et tu fais tout ça avec des logiciels libres ? Sous licence libre ?

Oui, je ne travaille que sous logiciels libres (et sous OS libre). il était évident pour moi de proposer le kit sous licence libre… même si je n’ai pas encore choisi lesquelles. Il m’arrive de me perdre dans le méandre des licences. Les images et les exercices de PAO sont sous licence ArtLibre 1.3. Je vais probablement mettre les textes sous licence Creative Commons 4.0 – partage dans les mêmes conditions.

Hum, j’ai corrigé quelques bricoles mineures sur une fiche dans ton github. Tu es sûre de ne pas vouloir passer sur (frama-)gitlab ?

J’avoue ne pas y avoir pensé (mea culpa). Dans mon esprit, Github s’adressait surtout à un public de développeurs en informatique. Je me suis créée un compte il y a quelques mois pour tester l’hébergement de site statique et j’ai commencé peu à peu à comprendre son fonctionnement… En découvrant l’utilisation faite par David Revoy pour la traduction de ses bandes dessinées Pepper&Carrot, je me suis dit que je pourrai en faire autant avec le contenu du kit sur mon compte vide. Étant tout neuf, je peux le migrer aisément sur Framagit. Je vais m’en occuper. 🙂

Ça n’a pas été trop difficile de convaincre les internautes, pour le financement ?

J’ai répondu à l’appel à projet UP ! d’Auvergne Nouveau Monde en partenariat avec Ulule. J’ai pu profiter, comme une dizaine d’autres auvergnats, d’une formation au crowdfunding et d’une visibilité dans la presse régionale durant ma campagne. J’ai également communiqué sur les réseaux sociaux et notamment sur ma page Diaspora où j’ai trouvé une communauté prête à me soutenir dans cette aventure ! Merci encore à tous !

Même sans un radis je cultive ma comm'
Le slogan du pas-radis

J’ai vu que ton site est hébergé par une société locale, on l’entendrait presque miauler ! C’est important, pour toi ?

Oui c’est très important. Je tâtonne sur les questions du numérique responsable. Je ne m’attendais pas à trouver un hébergeur local ! Et j’espère pouvoir entendre miauler prochainement vers chez moi !

D’ailleurs, tu revendiques ta localisation en province. C’est pas trop compliqué de faire de la comm depuis Clermont-Ferrand ? Les Parigots ne te regardent pas de haut ?
Je ne revendique pas ma localisation, mon projet est simplement basé là où je vis. Je pense qu’aujourd’hui il est possible d’implanter un projet numérique depuis n’importe où.

Tu vas sortir des infos régulièrement, sur ce site ?
J’espère pouvoir faire des mises à jours mensuelles avec de nouveaux contenus sur les fiches, de nouveaux thèmes et exercices.

Et alors, comment vois-tu la suite ? Tu prépares un nouveau financement participatif ou tu as d’autres idées pour faire vivre le projet ? Autrement dit, est-ce que tu as réfléchi au modèle économique ?
Le kit me tient à cœur et je souhaite le compléter et continuer à le faire évoluer. Je ne prépare pas de nouvelle campagne de financement, les mises à jour du kit seront faites sur mon temps libre. Mon modèle économique est basé sur le site de cultive-ta.com où je propose un accompagnement personnalisé en stratégie de communication responsable.

Il paraît que Pouhiou t’a fait du gringue pour que tu viennes nous donner un coup de main. On va se revoir, alors ? Tu peux en dire plus aux lecteurices du blog ?
Oui j’espère bien ! Pouhiou n’a pas eu besoin d’insister longtemps, haha ! Je propose un coup de patte de graphiste sous logiciels libres. Maintenant que mon kit est en ligne, j’espère avoir plus de temps pour pouvoir me rendre utile. Je vais aider Framabook dans la création des couvertures des futurs ouvrages aussi. Il y a de la place pour tous ceux qui souhaitent donner un coup de main et selon les compétences de chacun… et ça c’est chouette !

Et ton mot de la fin ?
Miaou ! Merci infiniment à Framasoft pour cet échange autour du kit !




Naissance du collectif CHATONS

Nous l’avions annoncé en février dernier sur le Framablog, nous travaillons depuis quelques mois à faire émerger le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires… bref : les CHATONS.

Le succès de la campagne Dégooglisons Internet a démontré, à l’ère post-Snowden, un intérêt réel du public pour des services web respectueux de vos données et basés sur du logiciel libre. Le problème, c’est que si les « Frama-bidules » deviennent la réponse par défaut à cette demande, alors nous créerons ce que nous combattons : une centralisation des utilisateurs, une concentration des données aussi dangereuse que douteuse.

Or, nous sommes loin d’être les premiers à proposer de telles solutions. Et de nombreuses associations, SCOP, initiatives, etc. sont prêtes à rejoindre un mouvement de décentralisation pour créer des services mutualisés dans un internet de la proximité et de la confiance. De là, il n’y avait qu’un pas à faire pour créer un collectif des hébergeurs proposant de remettre des valeurs et de l’humain dans vos mails, fichiers, partages et collaborations.

Logo du collectif - CC by-sa @GDjeante
Logo du collectif – CC by-sa @GDjeante

Concrètement, que sont les CHATONS ?

Le plus simple, c’est d’aller voir sur le site web chatons.org. Ce site, c’est avant tout une carte vous montrant où sont les hébergeurs de services les plus proches de chez vous, ce qu’ils proposent (du pad, du framadate, du mail etc.) et sous quelles conditions (adhésion, service payant, etc.).

CHATONS, c’est donc un collectif regroupant ces hébergeurs éthiques, libres et loyaux (que l’on nommera… « chatons » !).

L’avantage c’est que chacun de ces chatons s’est engagé sur une charte et un manifeste communs, qui vous garantissent entre autres :

  • l’utilisation de logiciels libres (et autant que possible la contribution ^^) ;
  • aucun profilage publicitaire (pas de pub autre que mécénat et sponsoring) ;
  • le respect de vos données (droit d’accès, interopérabilité, non-transmission à des tiers) ;
  • la transparence (sur la technique comme sur les finances) ;
  • la neutralité (aucune surveillance ni censure en amont) ;
  • le chiffrement (dès et tant que possible).

Au-delà de l’aspect utilisateur, le fait d’initier ce collectif permettra une solidarité entre ses membres pour échanger sur des aspects techniques, juridiques, d’éducation populaire… et ainsi de faciliter la création de nouveaux chatons près de chez vous !

Comme nous l’expliquions en février dernier, les objectifs du collectif sont multiples : rassembler, mutualiser, décentraliser, donner de la visibilité, fédérer, essaimer, partager… Autant dire que l’ambition est grande.

Voyez chaque chaton comme une AMAP (Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne), sauf qu’au lieu d’un panier de légumes fourni par un agriculteur, il s’agit de services en ligne fournis par un hébergeur de proximité. Et comme avec une AMAP, vous pouvez rencontrer l’agriculteur/hébergeur, et même partager un verre avec lui 🙂

Un début de cartographie des chatons
Un début de cartographie des chatons

La première portée

La première portée compte 21 membres, dont 14 sont déjà actifs. Parmi ces derniers, vous trouverez notamment des chatons ouverts à tous et couvrant la France entière, comme La Mère Zaclys ou L’Autre.net. Mais aussi des chatons plus « locaux » comme Infini (Brest), Assodev-Marsnet (Marseille) ou G3L (Valence). Certains sont des associations, comme Alolise (Saint-Étienne), d’autres des entreprises, comme IndieHosters. Certains sont de taille conséquente, comme Framasoft (qui dépasse le million de visites par mois), et d’autres ne servent qu’un public bien plus restreint comme roflcopter.fr (Toulouse).

Et les 7 autres ? Ils sont tout simplement en gestation !

D’ailleurs, parmi ceux-là, Framasoft va accompagner trois d’entre eux :

  • Le mouvement Colibris, qui est un mouvement humaniste et écologiste, qui souhaite « sortir de Google ». Une sensibilisation des acteurs du mouvement Colibris permettra de toucher une population sensible aux questions du bien commun et du « faire ensemble ».
  • Le collectif « Bertel Numérique », situé sur la lointaine île de la Réunion (lointaine pour nous qui grelottons en métropole ^^), a ceci de particulier qu’il associe la volonté d’un grand réseau d’éducation populaire (les CÉMÉA) et les compétences d’une petite entreprise locale spécialisée dans le logiciel libre. La mission du collectif est bien évidemment de proposer de l’hébergement local (pourquoi faire parcourir 18 000 km à un email si c’est pour écrire à son voisin de bureau ?)
  • La Fédération Française des Motards en Colère est, avouons-le, un (futur) chaton atypique, puisque sa mission semble bien éloignée des questions informatiques ! En fait, la fédération a toujours eu très à cœur la protection de la vie privée de ses adhérent-e-s, mais doutait d’avoir les compétences en interne pour gérer un certain nombre de services. À nous de lui prouver que c’est possible !

Évidemment, tous les chatons en gestation pourront profiter de l’aide des membres du collectif, sur la base du bon vieux principe « Si tu ne sais pas, demande. Si tu sais, partage ». Framasoft prêtera juste une attention particulière à ces trois-là, vous tiendra informés par des billets de blog réguliers indiquant l’avancement de ces projets, sans masquer les inévitables difficultés rencontrées, afin que ces expériences croisées puissent servir à tou-te-s.

Par ailleurs, nous annoncerons régulièrement de nouvelles « portées » sur ce blog, afin que chacun puisse trouver chaton à son pied 🙂

La première portée
La première portée

Des « chapéros » pour fêter ça !

Pour fêter l’événement, plusieurs chatons ont souhaité organiser un (ch)apéro dans leur ville.

Vous pourrez donc retrouver des chatons à :

  • Paris : le mercredi 12 octobre 2016 de 19h00 à 22h30,
  • Lyon : le mercredi 12 octobre 2016 de 19h00 à 21h00,
  • Brest : le vendredi 14 octobre 2016 de 18h30 à 22h00,
  • Marseille : le vendredi 21 octobre 2016 de 18h30 à 22h00.

Comme tout cela est très spontané et mouvant, il est conseillé de se référer directement à l’agenda du libre, avec le tag chatons.

C'est l'heure du chapéro ?
C’est l’heure du chapéro ?

Les CHATONS version 1.0 !

Alors voilà, ce mercredi 12 octobre, nous annonçons donc la naissance des CHATONS. Bien entendu, le projet est encore jeune, et de nombreux CHATONS sont encore en cours de création : c’est un travail sur le long terme avant que d’arriver à avoir un maillage géographique complet ;).

Si vous êtes simple utilisatrice ou utilisateur de services, ne vous attendez donc pas à une révolution aujourd’hui : il s’agit juste de l’annonce officielle du collectif. Ce sont en quelque sorte les premiers mètres d’un marathon qui durera probablement plusieurs années. Ne soyez donc pas frustré-e-s de ne pas trouver LE chaton correspondant à vos besoins. Cela viendra !

Si nous avons appelé de nos vœux la création de ce collectif, Framasoft est et ne restera qu’un chaton parmi les autres : c’est le collectif (et lui seul) qui gérera son fonctionnement et son avenir.

Pour tout vous avouer, nous envisageons ce collectif comme un logiciel libre : c’est une proposition qui évoluera selon les décisions de sa communauté de contributeurs, une espèce de v.1 ouverte aux participations, contributions, échanges…

Chef, je crois que j'ai trouvé le bouton « off » de Google !
Chef, je crois que j’ai trouvé le bouton « off » de Google !

Ainsi, le collectif est géré comme un projet logiciel, en utilisant une liste de diffusion et une plateforme de développement logiciel, sur laquelle sont rédigés et « patchés » les documents fondateurs du collectif. C’est aussi grâce à cet outil que vous pouvez suivre l’évolution des propositions (ou en faire de nouvelles vous-mêmes). Et si vous n’êtes pas satisfait-e de son fonctionnement, vous pourrez tout simplement forker le projet, et monter votre propre collectif ou fédération avec vos règles, sans pour autant devoir repartir de zéro.

Différentes extensions sont d’ores et déjà prévues, comme la fabrication d’un Mooc pour apprendre à maîtriser les différents aspects de la création d’un chaton (enjeux, aspects juridiques, aspects techniques), et bien évidemment une internationalisation. Nos amis québécois de FACiL nous ont déjà rejoints, des chatons belges et suisses devraient apparaître sous peu sur la carte, et d’autres pays se sont montrés intéressés (Espagne, Italie, Pays-Bas, Allemagne, etc.). Mais ne mettons pas les matous avant les chatons : il nous faut déjà sortir de notre panière !

Si nous nous adressions à des informaticien-ne-s, nous pourrions dire qu’aujourd’hui est le premier commit du projet CHATONS, et qu’il comporte nécessairement des bugs, mais que – ensemble – nous le ferons évoluer dans le temps, de version en version, jusqu’à ce qu’il remplisse son objectif : permettre à celles et ceux qui le souhaitent de pouvoir quitter les services centralisateurs.

Membre du collectif CHATONS qui tente sa mise en prod.
Membre du collectif CHATONS qui tente sa mise en prod.

Car pour reprendre ce que nous disions il y a quelques mois, et qui reste toujours valable :

Face à ce mouvement de concentration, qui pourrait bien transformer Internet en Googleternet ou Facebookternet, nous ne voyons qu’une seule voie (si vous en avez d’autres à proposer, on prend !) : décentraliser Internet en faisant en sorte qu’il demeure tel qu’il a été conçu. Neutre. Ouvert. Interopérable. Libre.

Si nous voulons une économie qui soit aussi sociale et solidaire, il va nous falloir un internet qui soit aussi social et solidaire. Et cela passera entre autre par une diversité d’acteurs indépendants proposant des services web libres, éthiques et respectueux de vos données, décentralisés et solidaires.

Pour aller plus loin :




Tristan Nitot : « face à la Surveillance:// on retrousse ses manches ! »

Tristan Nitot est l’auteur d’un ouvrage titré « Surveillance:// » qui dresse le bilan du pillage systématique de nos données privées par les géants du web. Mais, loin de se résigner, il applique les leçons issues de son expérience chez Mozilla : il ne sert à rien de se décourager, il s’agit de réagir et de faire face, chacun selon ses moyens. Il en profite pour rappeler les règles d’une bonne hygiène numérique.

Voilà un discours qui trouve de l’écho chez nous, pile au moment où nous abordons la troisième année de notre campagne Dégooglisons Internet.

Nous avons rencontré l’ami Tristan pour lui poser quelques questions.

On dirait bien qu’il nous a à la bonne !

 

Bonjour Tristan !

Nous avons suivi d’un œil admiratif la prépublication sur ton blog de l’ouvrage qui vient de sortir en véritable papier comme autrefois. Il rejoint bien des questions qui sont aussi les nôtres : comment faire prendre conscience au plus grand nombre des atteintes que la surveillance démultipliée inflige à nos vies en ligne et réelles, comment préserver une bulle minimale de vie privée dans la grande lessiveuse numérique, quels dispositifs techniques accessibles peuvent être utilisés pour se préserver autant que possible.

Mais pour commencer, une question sur la publication : est-ce que certaines de tes recommandations n’ont pas déjà pris un petit coup de vieux, entre le moment où tu as écrit et celui où tu publies, tant la situation est évolutive ?

Tristan Nitot par Matthias Dugué, licence CC-BY
Tristan Nitot par Matthias Dugué, licence CC-BY

Effectivement, la quatrième partie de mon livre, qui s’intitule « Limiter la surveillance au quotidien », est celle qui est la plus susceptible d’être périmée rapidement, car la technologie et les produits évoluent rapidement et sans arrêt. J’ai hésité, pour cette raison, à l’inclure, mais je me suis décidé à le faire pour une raison très simple : je refuse d’expliquer au lecteur un problème (la surveillance, rendue possible par la collecte de données personnelles par les GAFAM) sans apporter un début de solution. Sinon, le lecteur, pas forcément un surdoué de l’informatique, va se résigner, se dire « c’est trop dur, il n’y a rien à faire » et il va baisser les bras et se résigner à la surveillance. Or il y a beaucoup à faire, en commençant par mettre son système d’exploitation à jour, adopter un antivirus (pour Windows), utiliser un navigateur comme Firefox, avec les bonnes extensions… Bref, de l’hygiène informatique de base, qu’on peut appliquer sans débourser d’argent et en quelques minutes à chaque fois.

D’après les retours obtenus en publiant sur ton blog : l’intérêt pour les questions de la surveillance et de l’intimité numérique, c’est une préoccupation qui touche le « grand public » ou plutôt une audience libriste, tech-savvy et geek-friendly ?

En fait, ça touche tout le monde, mais pas toujours de la même façon. Les personnes qui s’intéressent à l’histoire savent l’impact négatif qu’a eu la surveillance de la Stasi (Allemagne de l’Est) sur ses citoyens. Mais ce ne sont pas forcément les plus calées en informatique et elles ont du mal à comprendre le fonctionnement des GAFAM, de la gratuité, etc. D’autres, souvent plus jeunes, sont plus familières avec la technologie et comprennent intuitivement les dangers de la surveillance. Pour eux, le livre met des mots sur cette intuition et j’espère qu’ils prendront le temps d’expliquer cela autour d’eux.

Et qu’est-ce qui te ferait le plus flipper, que ton ouvrage soit obsolète dans cinq ans, ou qu’il soit encore d’actualité dans cinq ans ?

En fait, je crois que les différentes parties du livre vont vieillir de façon différente. Les deux premières, où j’explique la surveillance, vont vieillir doucement. Les exemples utilisés vont vieillir car les gens ont la mémoire courte, mais le raisonnement va tenir assez longtemps. La troisième partie, sur le concept de SIRCUS (Système d’Information Redonnant le Contrôle aux UtilisateurS) devrait bien vieillir car reposant sur des principes pérennes comme l’utilisation de la cryptographie, la décentralisation, le logiciel libre, etc. À l’inverse, la dernière partie, qui mentionne des logiciels, vieillira bien plus vite.

Chez Framasoft, on aime beaucoup C&F éditions, la maison de Hervé le Crosnier, dont le catalogue permet de s’instruire sur les communs et le numérique. Comment s’est passée votre collaboration ? Le fait que cet ouvrage ait été pré-publié sur ton blog vous a-t-il posé problème ?

Aucun problème de la part de C&F Éditions. Ils ont été super ! Hervé et Nicolas (typographie et mise en page) ont été d’un grand soutien. C’est grâce à eux que le livre est un bel objet, bien mieux fini que ce que j’ai pu écrire au fil de l’eau sur mon blog. Nous sommes tout de suite tombés d’accord sur l’absence de DRM dans la version ebook, ou sur l’utilisation de la licence équitable. Et puis au-delà des personnes, de leurs talents respectifs et de leurs idées, ils ont édité d’excellents ouvrages…

Niveau surveillance de nos vies numériques, tu tends vers quel extrême, paranoïaque ou fataliste ?

Justement, ni l’un ni l’autre ! C’est un héritage de Mozilla : quand on n’est pas content d’une situation, on relève ses manches et on s’y colle ! C’est ce que je fais chez Cozy Cloud en créant une variante du concept SIRCUS, en faisant un cloud personnel en logiciel libre. Et en écrivant ce livre.

Tu racontes des choses que les geeks connaissent bien (tu t’en excuses auprès d’eux, c’est meugnon) et qu’on peut trouver sur Internet en cherchant un peu. Tu penses que c’est important, de poser un jalon et de faire un état des lieux dans un ouvrage imprimé, comme tu le fais ?

Je pense qu’un livre permet de concentrer un propos sur un temps long qui complète bien ce qu’on peut lire au fil de l’eau sur les réseaux sociaux. La surveillance, on en a conscience confusément, mais là je prends le temps de mettre en perspective des choses dont on entend parler, mais sans forcément en réaliser l’ampleur et les dangers. C’est tout l’intérêt du livre, en plus de donner une crédibilité au propos.

Ton ouvrage s’adresse avant tout au grand public, dans la lignée des mouvements d’éducation populaire. Ressens-tu une urgence à ouvrir ces thématiques auprès d’un public qui ne va pas forcément « regarder sous le capot » de ses ordinateurs ?

Oui, exactement ! En cela, je me sens proche de Framasoft. Je suis un piètre ingénieur, mais j’aime expliquer, écrire, parler. Et puis l’informatique est arrivée poussée par les fournisseurs de solutions, avec très peu de formation réelle sur le sujet et dans le meilleur des cas, on enseigne l’utilisation d’un tableur ou d’un traitement de texte (ne me relancez pas sur l’accord entre Microsoft et l’Éducation Nationale !). Bref, pas de pensée critique, juste une approche qui laisse l’utilisateur sans recul face à des outils qu’il a du mal à appréhender, coincé entre les messages marketing des fournisseurs et les injonctions de modernité : « c’est l’avenir, on ne peut pas vivre sans ».

Nous adorons tes passages sur l’ergonomie. C’est un axe majeur de progrès pour les logiciels libres ?

Oui, je pense que l’ergonomie est un front très important si on veut que l’informatique libératrice ait du succès. Il faut que les libristes se libèrent eux-mêmes, mais si on veut toucher une frange plus large de la population, il faut que ça soit aussi facile d’utilisation que les produits propriétaires. Et il faut aussi que cela apporte un plus concret.

Est-ce que tu penses qu’il existe une frange suffisante de gentils libristes-activistes pour changer la donne ? Nous savons que tu développes une attitude plutôt positive et confiante, mais face aux moyens gigantesques des États et des GAFAM, que pesons-nous ?

Je pense que le monde n’est pas binaire. Je veux, avec Surveillance://, équiper les libristes /activistes d’un argumentaire solide pour convaincre leurs proches, mais je pense aussi qu’un livre papier, écrit dans des termes simples, avec des exemples, peut toucher une cible un peu plus large. Ensuite, si on n’essaie pas, on ne risque pas de réussir ! Quand j’ai décidé de lancer Mozilla Europe en 2003, sans moyens et avec une poignée de bénévoles, tout le monde me prenait pour un dingue ! Et puis on a réussi à déboulonner Internet Explorer, contre toute attente.

D’ailleurs, tu dis quelque part la même chose que lors de la conférence de lancement de la campagne Dégooglisons Internet, en substance : « On ne va pas y arriver, mais si on a une minuscule chance, c’est tous ensemble ». Tu es en phase avec notre campagne Dégooglisons ?

C’est exactement ça ! Je suis fan de Framasoft que je soutiens financièrement et dont je parle dès que je peux. Dégooglisons Internet, c’est une campagne géniale !

Justement, la sortie de ton livre coïncide avec l’an III de Dégooglisons Internet. Ça signifie peut-être qu’il y a une convergence des idées chez certains libristes, que nous aboutissons tous aux mêmes conclusions, qu’en dis-tu ?

Il y a clairement une convergence de vue, qui se matérialise sur le calendrier. Le problème de fond, c’est que le logiciel libre tel que formalisé par Stallman, l’était dans l’idée d’un ordinateur personnel où l’on contrôlait tout : le matériel, le logiciel (libre) et donc forcément, les données. Mais en 2016, on a tous au moins 3 ordinateurs : un PC, un smartphone (forcément privateur) et un ou plusieurs « Clouds». Sur ces deux derniers, on ne contrôle pas grand-chose… Mozilla s’est planté sur le smartphone, à mon grand regret, et coté cloud, c’est une horreur, d’où mon engagement chez Cozy Cloud : nous voulons construire un cloud personnel en logiciel libre, qu’on peut auto-héberger si on le souhaite, ou le faire tourner chez un hébergeur.

Tu as un discours plus modéré envers certains GAFAM (une tendresse pour Apple ? :-P) Il n’est plus possible, de nos jours, d’être un-e libriste sans faire des concessions ?

Bien sûr que non : déjà un PC avec seulement du logiciel libre, c’est limite impossible (il faudrait un BIOS libre et refuser de télécharger du JavaScript quand tu navigues !). Seuls quelques experts y arrivent, au prix d’efforts délirants, pour une productivité finalement très limitée. Donc le compromis est indispensable. J’utilise un Mac actuellement, car j’y trouve la productivité et l’ergonomie que je recherche et j’y fais tourner du logiciel libre (Firefox, Thunderbird, LibreOffice). Côté smartphone, c’est plus compliqué : on doit choisir entre la peste (Android de Google) et le choléra (iPhone d’Apple). Google est à fond dans la collecte de données alors qu’Apple a fait de la vie privée un cheval de bataille, car c’est un différenciateur fort (voir les lettres de leur CEO, leur résistance face au FBI dans l’affaire de Bernardino). Mais Apple a un politique de censure de son AppStore qui est hostile au logiciel libre (refus de la licence GPL). Pas facile de naviguer entre tout ça !

Tu as constaté, au cours de ton cheminement dans l’ouvrage comme au cours de ton expérience au Conseil National du Numérique, que la clé des problèmes est souvent entre les mains des politiques et pas forcément du côté des technologies. Or nous subissons un pouvoir politique qui ne cesse d’accentuer la pression sur nos libertés numériques. Est-ce qu’on va voir un jour Tristan Nitot batailler clairement dans le champ politique ?

Non, je ne risque pas de devenir candidat à quoi que ce soit : j’ai promis à ma femme que je ne le ferai pas ! J’ai eu, avec le CNNum, une expérience très intéressante, qui a été utile aussi (neutralité du net, portabilité des données dans la loi Lemaire) mais aussi très frustrante : les communs informationnels, le droit de panorama sont passés à la trappe, et la loi Renseignement, qui autorise la surveillance de masse, est passée. Mener ça de front bénévolement, avec le travail exigé par Cozy Cloud (une startup qui fait un cloud personnel en logiciel libre), fut éprouvant, en particulier parce que j’ai tendance à me donner à fond. Par contre, se présenter à une élection serait probablement une source de frustration trop grande pour moi. Mais il y a d’autres façons d’agir, en écrivant un livre, du logiciel, ou d’un point de vue médiatique. Et je fais tout cela.

S.I.R.C.U.S., C.H.A.T.O.N.S. : mêmes combats, mêmes objectifs ?

Oui, en bonne partie. On retrouve dans CHATONS plusieurs critères listés dans SIRCUS, dont le logiciel libre, la décentralisation, un modèle d’affaire vertueux (pas de pub ciblée). Nous sommes bien sur la même longueur d’onde !

Tu crois à cette évolution d’Internet, qui nous (ra)mènerait vers un réseau pour et par des internautes ?

Ça serait prétentieux d’affirmer qu’on va y arriver, mais si on n’essaie pas, on ne risque pas d’y arriver. Tout ce que je peux dire, c’est que j’essaie, avec mes idées, avec mon travail chez Cozy Cloud, de faire un outil (un cloud personnel) qui pourra être mis entre toutes les mains. Va-t-on y arriver ? Je le souhaite de tout cœur, et j’y mets beaucoup d’énergie. On a bien réussi avec Firefox en 2004, et on a vu d’autres efforts comme Wikipedia et OpenStreetMap réussir, donc on sait que le succès n’est pas exclu. 🙂

Comme toujours dans le Framablog, on te laisse le mot de la fin. 😉

J’aime beaucoup le travail de Framasoft, qui a d’après moi très bien réussi sa transition du logiciel libre vers le Saas/Cloud. Ah, si vous voulez un scoop : j’ai un prochain livre dans les tuyaux, et c’est un Framabook ! C’est vous dire si j’apprécie Framasoft, mais je ne vous en dis pas plus, j’espère juste qu’on en reparlera ! 😉

Surveillance://, couverture du livre
Surveillance://, couverture du livre

Pour aller plus loin

Le livre Surveillance:// sur le site de l’éditeur : http://cfeditions.com/surveillance/

Le blog de Tristan Nitot : http://standblog.org/blog/




Des Routes et des Ponts (2), une introduction

Voici l’introduction du livre Des routes et des ponts de Nadia Eghbal (si vous avez raté le début…) que le groupe Framalang vous traduit au fil des semaines.

Dans cette partie, après avoir exposé la pression croissante de la demande de maintenance, elle retrace un épisode tout à fait emblématique, celui d’Heartbleed, quand il y a quelques années le monde de l’informatique prenait conscience qu’un protocole sensible et universel de sécurité n’était maintenu que par une poignée de développeurs sous-payés.

Vous souhaitez participer à la traduction hebdomadaire ? Rejoignez Framalang ou rendez-vous sur un pad dont l’adresse sera donnée sur Framasphère chaque mardi à 19h… mais si vous passez après vous êtes les bienvenu.e.s aussi !

Introduction

Traduction Framalang : Piup, xi, jums, goofy, Ced, mika, Luc, Laure, Lumibd, goofy, alienspoon, Julien / Sphinx

Tout, dans notre société moderne, des hôpitaux à la bourse en passant par les journaux et les réseaux sociaux, fonctionne grâce à des logiciels. Mais à y regarder de plus près, vous verrez que les fondations de cette infrastructure logicielle menacent de céder sous la demande. Aujourd’hui, presque tous les logiciels sont tributaires de code dit open source : public et gratuit, ce code est créé et maintenu par des communautés de développeurs ou disposant d’autres compétences. Comme les routes ou les ponts que tout le monde peut emprunter à pied ou dans un véhicule, le code open source peut être repris et utilisé par n’importe qui, entreprise ou particulier, pour créer des logiciels. Ce code constitue l’infrastructure numérique de la société d’aujourd’hui, et tout comme l’infrastructure matérielle, elle nécessite une maintenance et un entretien réguliers. Aux États-Unis par exemple, plus de la moitié des dépenses de l’état pour les réseaux routiers et ceux de distribution d’eau est consacrée à leur seule maintenance.

Mais les ressources financières nécessaires pour soutenir cette infrastructure numérique sont bien plus difficiles à obtenir. La maintenance de code open source était relativement abordable à ses débuts, mais de nos jours les financements ne viennent en général que d’entreprises de logiciels, sous forme de mécénat direct ou indirect. Dans la foulée de la révolution de l’ordinateur personnel, au début des années 1980, la plupart des logiciels du commerce étaient propriétaires, et non partagés. Les outils logiciels étaient conçus et utilisés en interne dans chaque entreprise, qui vendait aux clients une licence d’utilisation de ses produits. Beaucoup d’entreprises trouvaient que l’open source était un domaine émergent trop peu fiable pour un usage commercial. Selon elles, les logiciels devaient être vendus, pas donnés gratuitement.

En fait, partager du code s’est révélé plus facile, plus économique et plus efficace que d’écrire du code propriétaire, et de nos jours tout le monde utilise du code open source : les entreprises du Fortune 500, le gouvernement, les grandes entreprises du logiciel, les startups… Cependant, cette demande supplémentaire a augmenté la charge de travail de ceux qui produisent et entretiennent cette infrastructure partagée, mais comme ces communautés sont assez discrètes, le reste du monde a mis longtemps à s’en rendre compte. Parmi nous, beaucoup considèrent qu’ouvrir un logiciel est aussi normal que pousser un bouton pour allumer la lumière, mais nous ne pensons pas au capital humain qui a rendu cela possible.

Face à cette demande sans précédent, si nous ne soutenons pas notre infrastructure numérique les conséquences seront nombreuses. Du côté des risques, il y a les failles de sécurité et les interruptions de service causées par l’impossibilité pour les mainteneurs de fournir une assistance suffisante. Du côté des possibilités, les améliorations de ces outils logiciels sont nécessaires pour accompagner la renaissance actuelle des startups, qui dépendent étroitement de l’infrastructure numérique. De plus, le travail effectué dans l’open source est un atout dans le portfolio des développeurs et facilite leur recrutement, mais ce réservoir de talents est beaucoup moins diversifié que celui de l’industrie informatique dans son ensemble. Une augmentation du nombre de contributeurs serait donc profitable au domaine des technologies de l’information au sens large.

Aucune entreprise ou organisation n’a de raison de s’attaquer seule à ce problème, car le code open source est un bien public. C’est pourquoi nous devons réussir à travailler ensemble pour entretenir notre infrastructure numérique. Il existe par exemple la Core Infrastructure Initiative (CII) de la fondation Linux et le programme Open Source Support de Mozilla, ainsi que des initiatives de nombre d’entreprises de logiciel à différents niveaux.
L’entretien de notre infrastructure numérique est une idée nouvelle pour beaucoup, et les défis que cela pose ne sont pas bien cernés. De plus, l’initiative de cette infrastructure est distribuée entre beaucoup de personnes et d’organisations, ce qui met à mal les modèles classiques de gouvernance. Beaucoup de ces projets qui contribuent à l’infrastructure n’ont même pas de statut juridique. Toute stratégie de maintenance devra donc accepter et exploiter ces aspects décentralisés et communautaires du code open source.

Enfin, pour construire un écosystème sain et durable, il sera crucial d’éduquer les gens à ce problème, de faciliter les contributions financières et humaines des institutions, de multiplier le nombre de contributeurs open source et de définir les bonnes pratiques et stratégies au sein des projets qui participent de cette infrastructure.

Le logo d'Heartbleed (licence CC 0)
Le logo d’Heartbleed (licence CC 0)

En 1998, une équipe d’experts en sécurité se constitua au Royaume-Uni pour élaborer une panoplie d’outils de chiffrement libres destinés à Internet.

Très vite, tout le monde se mit à parler de leur projet, intitulé OpenSSL (les développeurs avaient pris comme base de départ un projet australien existant, SSLeay). Non seulement il était complet et relativement fiable, mais il était libre. Il n’est pas facile d’écrire de la cryptographie et OpenSSL avait résolu un problème épineux pour les développeurs du monde entier : en 2014, deux tiers des serveurs web utilisaient OpenSSL, et les sites pouvaient donc transmettre de façon sécurisée les codes de cartes de crédit et autres informations sensibles via Internet.

Pendant ce temps, le projet était toujours géré de façon informelle par un petit groupe de volontaires. Un conseiller du Département de la Défense des États-Unis, Steve Marquess, avait remarqué qu’un contributeur, Stephen Henson, travaillait à temps plein sur OpenSSL. Par curiosité, Marquess lui demanda ce qu’il gagnait, et apprit avec surprise que le salaire de Henson était cinq fois plus faible que le sien.

Marquess s’était toujours considéré comme un bon programmeur, mais ses talents faisaient pâle figure à côté de ceux de Henson. Comme bien d’autres, Marquess imaginait à tort que quelqu’un d’aussi talentueux que Henson aurait un salaire à sa mesure.

Henson travaillait sur OpenSSL depuis 1998. Marquess avait rejoint le projet plus récemment, au début des années 2000, et avait travaillé avec Henson pendant plusieurs années avant d’apprendre sa situation financière.

Comme il avait travaillé avec le Département de la Défense, Marquess savait à quel point OpenSSL était crucial, non seulement pour leur propre système, mais pour d’autres industries dans le monde, de l’investissement à l’aéronautique en passant par la santé. Jusqu’alors, il avait « toujours supposé (comme le reste du monde) que l’équipe d’OpenSSL était grande, active et bien financée. »
En réalité, OpenSSL ne rapportait même pas assez pour payer un seul salarié.

Marquess décida de s’impliquer dans le projet : il avait contribué au code de temps à autre, mais il se rendit compte qu’il serait plus utile en tant qu’homme d’affaires. Il commença par négocier des petits contrats de conseil par le biais d’une entreprise à but non lucratif existante pour maintenir OpenSSL à flot dans ses années les plus dures. Comme le volume des contrats croissait, il créa une entité légale pour collecter ces revenus, l’OpenSSL Software Foundation (OSF).
Malgré le nombre de personnes et d’entreprises qui utilisaient leur logiciel, l’OSF ne reçut jamais plus de 2 000 dollars de dons par an. Les revenus bruts de l’activité de conseil et des contrats ne dépassèrent jamais un million de dollars, qui furent presque entièrement dépensés en frais d’hébergement et en tests de sécurité (qui peuvent coûter plusieurs centaines de milliers de dollars).

Il y avait juste assez pour payer le salaire d’un développeur, Stephen Henson. Cela signifie que les deux tiers du Web reposaient sur un logiciel de chiffrement maintenu par un seul employé à temps plein.

L’équipe d’OpenSSL continua à travailler de façon relativement anonyme jusqu’en avril 2014, quand un ingénieur de chez Google, Neel Mehta, découvrit une faille de sécurité majeure dans OpenSSL. Deux jours plus tard, un autre ingénieur, de l’entreprise finlandaise Codenomicon, découvrit le même problème.
Tous deux contactèrent immédiatement l’équipe d’OpenSSL.

Ce bug, surnommé Heartbleed, s’était glissé dans une mise à jour de 2011. Il était passé inaperçu pendant des années. Heartbleed pouvait permettre à n’importe quel pirate suffisamment doué de détourner des informations sécurisées en transit vers des serveurs vulnérables, y compris des mots de passe, des identifiants de cartes de crédit et autres données sensibles.

Joseph Steinberg, un éditorialiste spécialisé en cybersécurité, écrivit : « on pourrait dire que Heartbleed est la pire vulnérabilité découverte… depuis qu’Internet a commencé à être utilisé pour des opérations commerciales. »

Grâce à un large écho médiatique, le grand public entendit parler de ce bug informatique, au moins de nom. Des plateformes majeures, comme Instagram, Gmail ou Netflix, furent affectées par Heartbleed.

Certains journalistes attirèrent l’attention sur l’OpenSSL lui-même, et la manière dont l’équipe de développement avait lutté pendant des années pour pouvoir continuer ses travaux. Les experts en sécurité connaissaient les limites d’OpenSSL, mais l’équipe ne parvenait pas à capter les ressources ou l’attention adéquates pour résoudre les problèmes.

Marquess écrivit à propos de Heartbleed « ce qui est mystérieux, ce n’est pas qu’une poignée de bénévoles surchargés de travail ait raté ce bug, mais plutôt qu’il n’y a pas eu davantage de bugs de ce genre. »

Les gens envoyèrent des dons pour soutenir la fondation, et Marquess les remercia pour leur enthousiasme, mais le premier cycle de dons ne totalisa qu’environ 9 000 dollars : largement en deçà du nécessaire pour soutenir une équipe dédiée.

Marquess adressa alors à Internet un vibrant plaidoyer pour une levée de fonds :

 

Les gars qui travaillent sur OpenSSL ne sont là ni pour l’argent, ni pour la gloire (qui, en dehors des cercles geeks, a entendu parler d’eux ou d’OpenSSL avant la sortie de heartbleed[sic] dans les médias ?). Ils travaillent pour la fierté de créer et parce qu’ils se sentent responsables de à quoi ils croient.

Il faut des nerfs d’acier pour travailler pendant des années sur des centaines de milliers de lignes d’un code très complexe, où tout le monde peut voir chacune des lignes que vous manipulez, en sachant que ce code est utilisé par des banques, des pare-feux, des systèmes d’armement, des sites web, des smartphones, l’industrie, le gouvernement, partout. Et tout cela en acceptant de ne pas être apprécié à votre juste valeur et d’être ignoré jusqu’à ce que quelque chose tourne mal.

Il devrait y avoir au moins une demi-douzaine de membres à temps plein dans l’équipe au lieu d’un seul pour se consacrer au soin et à la maintenance que demande OpenSSL, sans devoir gérer en même temps l’aspect commercial.

Si vous êtes un décideur dans une multinationale ou un gouvernement, pensez-y. Je vous en prie. Je me fais vieux, je fatigue et j’aimerais prendre ma retraite un jour.

Après Heartbleed, OpenSSL obtint enfin le financement nécessaire – en tous cas jusqu’à présent. L’équipe dispose à l’heure actuelle d’assez d’argent pour payer quatre employés à temps plein pendant trois ans. Mais au bout d’un an et demi de ce financement, Marquess n’est pas certain de l’avenir.

Il a admis que Heartbleed a été une bénédiction pour eux, mais qu’il est « légèrement ironique » que ce soit une faille de cette ampleur qui ait donné plus de visibilité à leur cause. Et quand l’argent sera épuisé et que le monde sera passé à autre chose, Marquess craint qu’ils ne se retrouvent dans la même situation qu’avant Heartbleed, voire pire : la clientèle que Marquess a mis des années à se constituer a disparu, puisque l’équipe travaille maintenant à plein temps sur OpenSSL et n’a plus le temps d’exécuter des contrats.

Marquess lui-même a bientôt l’âge de la retraite. Il est le seul qui accepte de s’occuper des affaires commerciales et du rôle exécutif associés à OpenSSL comme les impôts, la recherche de clients, et la gestion des donateurs. Le reste de son équipe préfère se concentrer sur l’écriture et la maintenance du code. Il ne peut embaucher personne pour le remplacer quand il prendra sa retraite, parce qu’il ne perçoit en ce moment aucun salaire. « Je ne crois pas qu’on puisse tenir comme ça plus d’un an ou deux » a-t-il remarqué.

L’histoire d’OpenSSL n’est pas unique, et par bien des aspects, Marquess trouve que lui et son équipe font partie des mieux lotis. Bien d’autres projets sont toujours en manque de reconnaissance et de financement, alors qu’ils constituent l’infrastructure numérique, infrastructure absolument cruciale puisque tous les logiciels d’aujourd’hui, et par conséquent tous les aspects de notre vie quotidienne, en dépendent.

Relever ses courriels, lire les actualités, vérifier le prix des actions, faire des achats en ligne, aller chez le médecin, appeler le service client – qu’on le réalise ou non, tout ce que nous faisons est rendu possible par des projets comme OpenSSL. Sans eux, la technologie sur laquelle repose la société moderne ne pourrait tout simplement pas fonctionner.

Beaucoup de ces projets sont créés et maintenus par des volontaires et offerts au public gratuitement. Tous ceux qui le veulent, de Facebook au programmeur amateur, peuvent utiliser ce code pour créer leurs propres applications. Et ils le font.

S’il est difficile de croire, comme le dit Marquess, « qu’un groupe hétéroclite d’amateurs puisse faire mieux que de gigantesques sociétés avec leur argent et leurs ressources », voyez plutôt comme c’est lié à la montée en puissance du travail collaboratif pair-à-pair dans le monde.

Des startups jusqu’ici impensables comme Uber ou AirBnB se sont transformées en l’espace de quelques années en poids lourds du monde des affaires et remettent en question des industries phares comme le transport ou l’hôtellerie. Des musiciens se font un nom sur YouTube ou Soundcloud plutôt qu’en passant par les majors. Créateurs et artistes concrétisent leurs idées via des plateformes de financement participatif telles que Kickstarter ou Patreon.

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Les autres projets de l’infrastructure sont également issus de la passion et de la créativité de développeurs qui se sont dit : « Je pourrais faire ça mieux », et qui collaborent pour développer et livrer du code au monde entier. La différence, c’est que des millions de personnes ont besoin de ce code dans leur vie quotidienne.

Comme le code n’est pas aussi sexy qu’une vidéo virale sur YouTube ou une campagne Kickstarter, le grand public est très loin de pouvoir l’apprécier à sa juste valeur, si bien que le code qui a révolutionné les technologies de l’information manque très largement du soutien des institutions.

Mais nous ne pourrons ignorer cela plus longtemps.

Ces cinq dernières années, notre dépendance aux logiciels ainsi qu’au code libre et public qui les fait fonctionner s’est accélérée. Les technologies se sont fait une place dans tous les aspects de nos vies, et plus les gens utilisent de logiciels, plus on en crée, et plus cela demande de travail de maintenance.

Toutes les startups qui réussissent ont besoin d’une infrastructure publique pour assurer leur succès, pourtant aucune entreprise n’est assez motivée pour agir seule. Pendant que le monde progresse à toute vitesse vers l’ère moderne des startups, du code et des technologies, l’infrastructure reste à la traîne. Les fissures des fondations ne sont pas encore très visibles, mais elles s’élargissent. Après des années de croissance sans précédent qui nous ont propulsés dans une époque de croissance et de prospérité, nous devons maintenant agir pour nous assurer que le monde que nous avons bâti en si peu de temps ne va pas s’effondrer brutalement sans crier gare.

Pour comprendre comment nous pouvons préserver l’avenir, nous devons d’abord comprendre ce qu’est le logiciel lui-même.

 

(À suivre…)

La semaine prochaine : comment on fabrique des logiciels…




Un guide pour les libérer tous

Sx est chargé de mission du CECIL (Centre d’Étude sur la Citoyenneté, l’Informatisation et les Libertés) et principal contributeur du contenu du Guide de survie des aventuriers d’Internet (ou comment protéger ses libertés en milieu numérique hostile).

Ce livret de 68 pages A5 est la version papier de 12 fiches pratiques déjà disponibles sur leur site.
Comme il y parle beaucoup de nous, nous voulions savoir pourquoi il nous avait autant à la bonne.

Salut Sx, est-ce que tu peux nous en dire plus sur toi ?

En très bref, j’ai une double formation juridique en droit des techniques de l’information et de la communication et en droit des contrats que je transmets par l’enseignement universitaire, notamment auprès de public de non-juristes. Bidouilleur dès que j’en ai l’occasion, j’aime essayer de toujours mieux comprendre comment fonctionnent les choses et notamment les dynamiques de pouvoir. Depuis ma lecture de l’ouvrage de Lawrence Lessig, « Code and other laws of cyberspace », il y a une bonne dizaine d’années, je fais de la recherche sur les interactions entre les avancées des techniques, notamment informatiques, et les libertés fondamentales dans des approches de défense des libertés et des idéaux démocratiques.

Je me retrouve assez dans l’article 1 de la loi informatique et libertés « L’informatique doit être au service de chaque citoyen. Son développement doit s’opérer dans le cadre de la coopération internationale. Elle ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques » en me désolant de ses violations quotidiennes.

Et sur le CECIL ? La liste des parrainages est impressionnante !

Le CECIL s’est construit en versant public de deux autres associations de chercheurs travaillant sur les interactions entre TIC et société qui ont désormais fusionné dans l’association « Creis-Terminal ». La liste de parrainage du lancement de l’asso en provient pour partie, mais il s’agit plus largement de personnes qui au moment du lancement du CECIL avaient déjà saisi l’importance de la thématique « Informatique et Libertés » dans le débat public et l’importance de la compréhension publique de ces problématiques.

L’objectif principal du CECIL est de réintroduire le champ Informatique et Libertés dans le débat public, dans celui sur la démocratie et de fournir aux citoyenn·e·s et aux associations les moyens d’orienter les choix technologiques liés à l’informatisation, au fichage et au contrôle social.

En ce sens, en plus d’un regroupement de travaux importants sur la question, on réalise des actions de sensibilisation (ciné / café débat / interventions ponctuelles / tenue de stand), de formation (à tous les niveaux) et d’éducation populaire sur les questions de surveillance, d’usage raisonné des outils du numérique, etc.

L’association a également un versant « lobbying citoyen » dans le cadre de sa participation active au collectif de l’Observatoire des Libertés et du Numérique aux côtés de la Ligue des Droits de l’Homme (qui nous a bien aidé pour la mise en forme et la publication du guide), mais également du Syndicat de la Magistrature, de la Quadrature du Net, du Syndicat des Avocats de France, d’Amnesty International France et du Creis-Terminal.

Le petit Guide que l’on publie est issu d’un besoin interne de disposer d’un outil de formation pour des « ateliers d’autodéfense numérique ». Ces ateliers visent, dans la même optique que les Cafés Vie Privée, à sensibiliser les citoyen·ne·s aux dangers de la surveillance illégitime et les aider à faire les premiers pas pour commencer à reprendre en main leur vie privée dans leurs usages numériques. Notre souhait est aussi qu’il·le·s pèsent par ce biais sur les enjeux politiques connexes.

Le Guide est un bon panorama des apports du libre dans la lutte pour la défense des libertés, mais c’est un domaine où les lignes bougent vite. On imagine qu’il sera tenu à jour ? A quelle fréquence ?

guide de survie - la couverture par Péhä - licence CC-BY-SAOui sur tout ce qui touche à la surveillance et à la sécurité, il est autant important de garder ses logiciels que ses pratiques à jour. Les 6 premières fiches ont été publiées en mars 2015 sur le site. Depuis on a continué à les enrichir avec des nouvelles, mais aussi en faisant des mises à jour constantes, aussi bien côté outils et pratiques (uBlock Origin et Qwant par exemple) que pour les références. Cela au fur et à mesure de nos découvertes personnelles et collectives.

Le guide papier est forcément figé et vise surtout à être un support pédagogique, plus engageant qu’un site, pour faire adopter de premières bonnes mesures à qui le souhaite déjà un peu. Effectivement, la « v1 » n’aura probablement plus beaucoup de pertinence dans quelques années, mais espérons que d’ici là ce·lle·ux qui l’auront consulté seront devenus autonomes sur ces questions. Au-delà des outils proposés concrètement, on invite surtout le lecteur à se poser les bonnes questions et à aller plus loin aussi bien dans une approche individuelle que collective dans la défense des libertés sur Internet, et sur ça le guide restera longtemps d’actualité.

En attendant, les fiches présentes sur le site Internet continueront d’être mises à jour régulièrement avec aussi bien de nouvelles (deux fiches sont en préparation pour donner des pistes pour mieux protéger ses données sur ordiphones) que des évolutions des anciennes. On attend par exemple de l’avoir testé un peu plus et d’avoir également des retours plus poussés, mais le nouveau navigateur « Brave » pourrait sûrement trouver sa place dans la première fiche. Les nouveaux services stars de Framasoft, ou encore mieux, des CHATONS également !

À peine lancé, le guide semble trouver son public, donc il est probable (ou du moins je l’espère ! :-))) qu’on écoule l’intégralité du premier tirage dans les mois à venir. C’est une projection un peu optimiste, mais espérons qu’on arrive à faire la publication d’une version par an (avec qui sait des versions intermédiaires ?) pour garder cet outil à jour et continuer de sensibiliser sur les questions. En résumé, des petits tirages réguliers et mis à jour et surtout toujours plus de sensibilisation en formation directe sur les questions de surveillance publique et privée pour arriver à (attention gros mot) toujours plus d’autodétermination informationnelle de chacun·e !

D’ailleurs, instant promotionnel, la brochure est en vente sur stand au prix de 5 euros, mais si des structures (collèges, lycées, asso…) veulent en acquérir un grand nombre à un prix plus intéressant pour s’en servir comme support pédagogique, qu’elles n’hésitent surtout pas à nous contacter !

Est-ce que vous avez prévu de le mettre sur un Gitlab pour permettre aux internautes de contribuer ?

Est-ce que cette question vise à nous faire remarquer que l’on n’a pas inclus Framagit dans les outils Framasoft présentés ?  Plus sérieusement, non ce n’était pas prévu, on ne s’est pas vraiment posé la question jusque maintenant. On a déjà eu plusieurs retours de personnes qui nous ont fait des suggestions de modifications sur les fiches qui ont toujours été prises en compte et intégrées. Pour le moment, on n’a pas rencontré le besoin d’un outil plus contributif. Les fiches sont sous Licence Creative-Commons Attribution – Partage à l’identique, ainsi quiconque peut s’en servir et les adapter. Pour l’animation d’un Gitlab, si les contributions et demandes d’un tel outil se multiplient, c’est clairement dans nos cordes et on l’envisagera, mais d’ici là si quelqu’un souhaite s’en charger qu’il n’hésite pas à nous contacter.

As-tu le sentiment que ce guide peut toucher notre fameuse famille-type, les Dupuis-Morizeau ? Ou alors c’est encore un peu trop geek pour eux ?

À force d’utiliser les outils valorisés par Framasoft, les Dupuis-Morizeau sont à mon avis bien plus compétents que nécessaire pour adopter les mesures du guide ! Blague à part, on a vraiment essayé d’être aussi pédagogique que possible avec ce travail. En fait, j’ai écrit les premières fiches comme un juriste, mais heureusement les autres membres du CECIL m’ont bien aidé à rendre ça intelligible ! On a cherché le bon équilibre entre rester aussi simple et clair que possible sans tomber dans l’approximation abusive. On est sur des enjeux qui touchent aux libertés individuelles de tout un·e chacun·e, il est nécessaire que tout le monde puisse s’en saisir.

Il n’y a pas besoin d’être expert·e ni même praticien·ne chevronné·e pour améliorer ses pratiques. Il suffit d’une volonté et d’avancer étape par étape. Je pense que les libristes le savent bien, passer à une distribution Gnu-Linux reste un grand saut pour beaucoup d’utilisateurs, par contre adopter un navigateur libre et quelques modules anti-traçage, arrêter d’utiliser Google pour toutes ses recherches, tester le navigateur TOR, chiffrer ses données sensibles… restent des pratiques assez simples.

Malheureusement, certains des outils que l’on préconise demandent un peu plus d’engagement personnel, qu’il s’agisse de passer à une messagerie sécurisée, à utiliser le chiffrement pour ses courriels (qui implique surtout que son entourage le fasse également), etc.
On espère par contre que les personnes qui ne réaliseront pas directement ces étapes après avoir lu le guide, en comprendront au moins les enjeux et l’importance. Si ce n’est pas pour aujourd’hui, peut-être demain ! J’ai très récemment rencontré une ancienne militante de beaucoup de combats de 82 ans à qui j’ai offert le guide, elle m’a promis de me faire un retour. Je vous le transmettrai avec plaisir !

Comme nous, tu fais des interventions auprès du grand public. As-tu ressenti une évolution des mentalités ? En gros, est-ce que nous changeons le monde, d’après toi ?

Oui les mentalités évoluent, mais comment ? Dans mes interventions militantes, il est assez clair que j’ai de moins en moins souvent à expliquer ce qu’est le logiciel libre. Reste que tout n’est pas rose pour autant. Malgré un travail de fond et systématique contre l’idiotie du « rien à cacher », l’argument revient encore trop souvent au détour d’un discours. Si ce n’est pas lui, le prétexte de la lutte (légitime) contre le terrorisme pour justifier l’adoption de mesures toujours plus restrictives des libertés est assommant et dur à combattre face à des publics peu engagés.

J’estime personnellement qu’il ne faut ni être naïf, ni résigné. Oui, nous participons à essayer de changer le monde, j’espère, pour le meilleur, malheureusement nos adversaires ne chôment pas pour autant et ont des moyens d’actions qui nous dépassent souvent. Pourtant dans les interstices quelques coins entrent toujours qui avec le temps et de la persévérance finiront par payer. Il y a des combats où tout reste à jouer, le traçage publicitaire en ligne par exemple ou la défense du droit au chiffrement où on est loin d’être démunis. Si on veut continuer à faire évoluer les mentalités, il faut donner à tout le monde la possibilité de comprendre ces enjeux. Pas un petit travail, mais au moins quand on respecte nos principes, la route est longue, mais la voie est libre ! ;)

Le mot de la fin est pour toi !

Pour ne pas oublier : un grand merci à Péhä pour sa superbe illustration (elle aussi sous licence libre évidemment) qui reflète à merveille les dangers de la jungle des Internets !

Sinon, je n’aime pas trop les fins, alors je vais tricher un peu en faisant une ouverture vers un pad pour lancer une tempête de cerveaux pour recueillir des idées (ou des trolls d’ailleurs !) pour lutter contre la surveillance illégitime et abusive en ligne. Que pourrions nous faire à l’échelon individuel comme collectif ?

Et si quelqu’un·e a un excellent projet et cherche une structure pour le mettre en œuvre, [il ne faut pas hésiter à nous rejoindre !

Pour conclure, j’en profite, avec un peu de retard (mais j’avais une bonne excuse !), pour souhaiter un joyeux anniversaire au Framablog et son équipe dont je suis un fidèle lecteur et traducteur occasionnel !

Acheter le guide

Le CECIL a mis en place une plateforme de paiement via la billetterie d’Helloasso.

Choisissez le nombre de guides souhaités (1, 2, 5 ou 10) et indiquez « 1 » en fin de ligne, puis suivez les étapes. Le tarif postal est identique quel que soit le pays.




Le Framablog a 10 ans, c’est vous qui le dites

Et hop, voici comme promis le remix de vos réponses aux quelques questions posées à propos des 10 ans du Framablog. Les lecteurs de la première heure se sont manifestés, mais aussi les plus récents !

Nous avons souhaité publier ce mashup pour vous donner la parole à l’occasion de cet article n° 2000 — enfin 2001, on a été un peu grillés parce que les annonces de rentrée sur le blog ont commencé à déferler, et ça ne va faire que croître et embellir, restez tunés !

Découvrez donc notre choix parfaitement arbitraire parmi vos réponses. Précisons : nous n’avons pas retenu *tous* les compliments et remerciements parce que ça faisait vraiment beaucoup, mais ça fait vachement plaisir ! Un grand merci à tous les lecteurs, nous voilà dopés pour la rentrée !

 

Comment tout a commencé

Voici les réponses à la question : comment avez-vous découvert le Framablog ?

obligation

  • Probablement par le Planet Libre tout au début
  • Par Ubuntu-fr, grâce au stand Framasoft lors d’une Ubuntu Party
  • Par linuxfr
  • Grâce à mes professeurs d’informatiques qui avaient installé nos ordinateurs directement avec Firefox et un marque page vers l’annuaire de logiciels libres Framasoft.
  • Par un ami libriste en DUT informatique
  • c’est une connaissance qui m’en a parlé.
  • par mon entourage proche, famille militante qui m’a fait connaitre le libre et ses combats
  • à cause de Pouhiou !! <3

Chacun sa route, chacun son chemin

J’ai connu le Framablog en m’intéressant à Linux, je voulais changer de Windows non pas pour son aspect libre, gratuit… mais parce que mon Windaube tombait tout le temps en panne. De fil en aiguille, de recherches en réponses et de liens en liens, j’ai découvert Framasoft (monde du libre oblige) et le Framablog. Je suis arrivé un peu avant le campagne « dégooglisons Internet », et je me suis mis à suivre le blog par flux RSS car cette initiative m’intérêssait. Je suis un peu un genre de « Dupuis-Morizeau » qui a basculé de l’autre côté du mur des GAFAM et utilise Linux Mint depuis 1 an en tant qu’OS principal, un peu grâce à Framasoft aussi !

memoire

 

  • Bonne question, je ne m’en souviens même plus.
  • Je ne sais plus !
  • Je ne sais même plus depuis le temps…
  • Je ne sais plus comment j’ai connu Framablog
  • je ne m’en rappelle plus
  • Je sais plus vraiment…
  • Je ne me souviens plus … ça fait tellement longtemps …

Des articles ? il en manque !

Réponses sélectionnées à la question :

« Je trouve que dans le Framablog on ne parle pas assez de… »

alors, ça avance ?

…de l’avancement de dégooglisons (notament framaforms, framatweet, framapétitions et framanotes)
et des C.H.A.T.O.N.S. Vous nous avez bien titillé, on veut en savoir plus. Vous pourriez parler de jeu vidéo libre aussi, après tout c’est de la culture.

l’école du libre

  • du libre… mais on n’en parlera jamais assez 😉
  • des logiciels libres
  • Je ne serais pas contre parler un peu plus d’éducation, et de la place du libre (ou de son absence de place parfois) dans le système éducatif, et des enjeux (cachés ou non) qu’il y a derrière cela
  • Articles de fond, l’éducation (qui était vraiment très présent avant)

penser global, agir local

…d’action possible près de chez nous !

message perso

[Tac au tux] (et ça, c’est pas pour de rire, faut vraiment réorganiser ça !!!)

pour aller plus loin

  • J’ai envie de dire de technique, mais je sais bien que ce n’est pas le but du framablog.
  • Je pense que les articles de fond devrais proposer à la fin un index de ressources pour aller plus loin, soit techniquement, soit dans la réflexion, soit dans l’action. Par exemple un article sur le chiffrement devrait proposer des liens sur :
    – Les détails technique du chiffrement
    – D’autres articles sur le chiffrement
    – Comment essaimer (je vous mets dans ma poche avec ce mot :p)

le bistrot des distros

  • Je trouve que dans le Framablog on ne parle pas assez de… Mageia. Blague à part, ne parle pas assez des distributions GNU/Linux. Le Libre par les logiciels c’est bien, le système qui les supporte a aussi son importance (même si Mme Michu ne souhaite pas adhérer au pingouin chevaucheur de Gnou).
  • de distribution Gnu/Linux
  • des GAFAM … cf.  https://gafam.wordpress.com/ que j’ai mis en ligne il y a quelques mois & http://www.gafam.fr/ que je suis en train de préparer tranquillement (et qui devrait être fin prêt en fin d’année) pour en faire un «  »vrai » » site concernant cette problématique : «  » gafam.fr : Faire connaître & promouvoir les alternatives aux GAFAMs
  • de la protection de la vie privée (par des trucs & astuces, sous win & sous linux) : peut-être que notre ami gee pourrait faire quelques planches à se sujet ?
  • des distributions GNU/Linux les plus populaires / connues / stables … pouvant judicieusement remplacer win & mac
  • des logiciels libres les plus utilisés / connus … (pour présenter simplement / clairement les alternatives libres aux logiciels privateurs utilisés par mesdames Michu & Dupuis-Morizeau, en leur expliquant bien le pourquoi du comment)
  • Distros et logiciels libres en remplacement des fermés

#FramaDebout

  • Thèmes anticapitalistes, contre les entreprises (Ubuntu), des intérêts divergents entre les profits et 99 % de la population.
  • Peut-être de structure économique justifiant les dérives, à mes yeux, -mais je m’avance un peu- ^^
  • l’incompétence des décideurs (politiques, économiques…) en matière de progression de la société, ou de leur quasi volonté d’anesthésier le peuple.
  • politique au sens large

le vrai problème

comment trouver l’amour quand on est un libriste !

coeursolitaire

C’est beau mais bof

« Techniquement et graphiquement, je trouve que le Framablog… »

travail non évalué

Bon, ça va, hein. Mais la perfection n’existe pas, donc ne compte pas sur moi pour un 20/20

c’est du bio c’est du bon

  • C’est propre tout en ayant un petit goût de fait à la main, et quand c’est fait à la main, c’est souvent bon.
  • Sobre, léger, très sympa
  • est bien lisible sans se fatiguer. La navigation est facile.
  • Sobre, esthétique et LISIBLE.

beugue riporte

Est assez épuré, les articles sont plaisants à lire même si parfois pour les interviews, on a des gros pâtés de texte. À noter, j’ai toujours un effet de scintillement lorsque la CSS se charge, vous pourriez peut-être voir pour améliorer les perfs de ce côté pour éviter ce « flash ».

fitcheur ricoueste

  • Je n’y accède que par mes flux RSS. Peut-être un lien direct vers les commentaires en fin d’article (comme sur LinuxFR)
  • Je lis les articles directement sur TheOldReader. Avoir les articles complets dans le flux RSS est important pour moi.
  • Une version mobile/responsive serait un plus.

osef

  • Globalement on s’en cogne… C’est le contenu qui est intéressant 🙂
  • Un peu spartiate, mais ça va
  • Correspond à mes attentes. En même  temps, j’en ai pas, des attentes…!

charte vermeillevieux-sourd

  • Design un peu vieux. Faudrait peut-être suivre, pour une fois, la mouvance de design (Flat par exemple?)
  • Clair, mais un chouille old-school.
  • Un peu vieillot mais avec les évolutions qui arrivent par petites touches on voit que ça avance Graphiquement un peu à la traîne

Framalang ? — C’est good et oui ouante encore participette.

À la question : « Un petit message pour les bénévoles de Framalang qui traduisent des nouvelles du monde du libre ? » voici les réponses que nous avons sélectionnées :

around the world around the world…

carry on & never give up !
« どうもありがとうございました
がんばってください »

holla !
Good job !
Molte gracie
Muchas gracias
Bolchoi Paciba

c’est trop bien

  • Je trouve que vous faites un travail incroyable et qui mérite toutes mes félicitations. Vos traductions me sont très utiles puisque je peux ainsi lire des articles anglais que je n’aurais pas pensé chercher sur Internet.
  • BRAVO ! Votre travail est vraiment excellent et permet aux anglophobes d’accéder à des informations non relayées par les médias classiques ou difficiles à appréhender avec les subtilités du langage.
  • bravo et merci! Un grand merci à tous pour tout le Framaboulot accompli depuis ces années !
  • Merci du gros travail de traductions, qui est de bonne qualité .

mais euh ça va trop vite !

  • Pour avoir participé un petit peu il y a quelques années, j’ai trouvé la méthodo et l’infrastructure hyper efficace, j’étais toujours étonné de la rapidité des traductions, il fallait limite se dépêcher si on voulait pouvoir participer un peu.
  • j’arrive souvent après la bataille :'(
  • Dans le temps j’ai perdu le fil, et je ne sais même plus aujourd’hui comment m’informer des nouvelles traductions proposées. À l’époque c’était des appels par Twitter. P.S.: je viens de chercher et du coup me suis inscrit à la liste de diffusion framalang@framalistes.org :DDDDD »
2000-articles trop-vite

 

Framasoft ? — On gère du pâté et on en fout partout

Voici ce qu’ont répondu quelques-uns à la question finale : « Un autre message pour l’équipe du Framablog et de Framasoft ? lâchez-vous ! »

optimiste et conquérant :

Cette année nous démarrons (grâce à vous !!!) la dégooglisation du lycée agricole d’E. et par là même la dégooglisation des esprits de nos apprenants… (il faut préciser que nous sommes de très gros consommateurs de Google Drive et que nous espérons, d’ici deux ans, conjuguer cette phrase au passé)

la belle histoire

Petite histoire, ma mère travaillait dans un collège très pauvre à M. avec des élèves vraiment très défavorisés. Elle distribuait des Framakeys à un moment je crois, et recommandait systématiquement les logiciels libres. Elle avait donné des copies de Open Office à l’époque et des élèves l’avaient remerciée chaleureusement de leur avoir fait découvrir cela, car elles ignoraient que de telles choses existaient et visiblement n’avaient même pas l’idée de craquer des logiciels de traitement de texte propriétaires et/ou avaient été épargnés par la vente liée (bizarre!).

repas de famille

En vrai, de plus en plus de gens, même mes proches et notamment ma famille : des oncles, des tantes etc, commencent fortement à s’intéresser à ces problématiques grâce au framamonde.

fédération charcutière

Merci pour tout, merci pour le bien que vous faites à Internet en général (avec d’autres services comme Qwant, l’April ou la mère Zaclys pour ne citer qu’eux), vous êtes une pierre importante de l’édifice libre que j’utilise au quotidien (Linux, Framasphère*, Framablog, Framacarte, Framatube, Framindmap, Framadrop (hyper utile, merci !), j’aurai  bien voulu un Framadrive mais y’a pu d’place… :P) ! Et rien que pour ça, vous gérez du pâté !

à l’assaut l’asso

Pas de grand discours mais juste un grand merci pour votre mobilisation et votre ouverture. J’ai appris beaucoup de chose avec vous, je me suis trouvée de nouveaux centres d’intérêts et un « combat » de la vie de tous les jours.

sentier lumineux

Vous êtes la lumière dans un monde d’obscurité

trop mignon

Des gros bisous avec plein de licornes et chats des internets <3

bday-cake

gâteau d’anniversaire offert par normanack (CC BY 2.0)




Envie de dégoogliser à la Fête de l’Huma ? Bienvenue à bord !

Vous êtes libriste et vous avez envie de dégoogliser avec nous ?

Les milliers de visiteur-euse-s de la Fête de l’Humanité n’attendent que vous !

Fete de l'Huma

En septembre, c’est vraiment the place to be, comme disent nos amis de chez Apple !

Ce sont des milliers de personnes, depuis le simple amateur de bonne musique jusqu’à la militante la plus dévouée en passant par les curieux, qui se pressent à la Fête de l’Huma chaque année. Habituées à débattre, vigilants quant à leurs droits, beaucoup négligent pourtant leur hygiène numérique, offrant innocemment leurs données privées au premier GAFAM venu.

Depuis des années, la Fête accueille accueille un espace dédié à la culture libre, aux hackers et aux fablabs.

Contrairement aux événements libristes où nous croisons souvent des geeks déjà convaincus, nous aurons là la vraie famille Dupuis-Morizeau, celle dont nous vous parlons à longueur d’année. Il y a du boulot, nous ne serons jamais trop nombreux-ses.

Venez donc nous aider à tenir le stand !

Ça permettrait de se voir en vrai, et d’assurer des relais (pour les pauses techniques et les coups de fatigues). En général il y a une ambiance d’enfer. 😉

Manifestez-vous sur la page Contact, histoire de s’organiser.

Fête de l’Huma, Parc de la Courneuve, du 9 au 11 septembre 2016.




Non, je ne veux pas télécharger votre &@µ$# d’application !

« Ne voulez-vous pas plutôt utiliser notre application ? »…

De plus en plus, les écrans de nos ordiphones et autres tablettes se voient pollués de ce genre de message dès qu’on ose utiliser un bon vieux navigateur web.

Étrangement, c’est toujours « pour notre bien » qu’on nous propose de s’installer sur notre machine parmi les applications que l’on a vraiment choisies…

Ruben Verborgh nous livre ici une toute autre analyse, et nous dévoile les dessous d’une conquête de nos attentions et nos comportements au détriment de nos libertés. Un article blog traduit par Framalang, et sur lequel l’auteur nous a offert encouragements, éclairages et relecture ! Toute l’équipe de Framalang l’en remercie chaleureusement et espère que nous avons fait honneur à son travail 😉

Cross platform applications - CC-BY Tsahi Levent-Levi
Cross platform applications – CC-BY Tsahi Levent-Levi

Utilisez plutôt le Web

Auteur : Ruben Verborgh

Source : blog de l’auteur

Traduction : Julien, David_5.1, AlienSpoon, roptat, syst, serici, audionuma, sebastienc, framasky, Ruben Verborgh, Diane, Éric + les anonymes.

Sous des prétextes mensongers, les applications mobiles natives nous éloignent du Web. Nous ne devrions pas les laisser faire.

Peu de choses m’agacent plus qu’un site quelconque qui me demande « Ne voulez-vous pas utiliser plutôt notre application ? ». Évidemment que je ne veux pas, c’est pour ça que j’utilise votre site web. Certaines personnes aiment les applications et d’autres non, mais au-delà des préférences personnelles, il existe un enjeu plus important. La supplique croissante des applications pour envahir, littéralement, notre espace personnel affaiblit certaines des libertés pour lesquelles nous avons longtemps combattu. Le Web est la première plate-forme dans l’histoire de l’humanité qui nous permette de partager des informations et d’accéder à des services à travers un programme unique : un navigateur. Les applications, quant à elles, contournent joyeusement cette interface universelle, la remplaçant par leur propre environnement. Est-ce vraiment la prétendue meilleure expérience utilisateur qui nous pousse vers les applications natives, ou d’autres forces sont-elles à l’œuvre ?

Il y a 25 ans, le Web commença à tous nous transformer. Aujourd’hui, nous lisons, écoutons et regardons différemment. Nous communiquons à une échelle et à une vitesse inconnues auparavant. Nous apprenons des choses que nous n’aurions pas pu apprendre il y a quelques années, et discutons avec des personnes que nous n’aurions jamais rencontrées. Le Web façonne le monde de façon nouvelle et passionnante, et affecte la vie des gens au quotidien. C’est pour cela que certains se battent pour protéger le réseau Internet qui permet au Web d’exister à travers le globe. Des organisations comme Mozilla s’évertuent à faire reconnaître Internet comme une ressource fondamentale plutôt qu’un bien de luxe, et heureusement, elles y parviennent.

Toutefois, les libertés que nous apporte le Web sont menacées sur plusieurs fronts. L’un des dangers qui m’inquiète particulièrement est le développement agressif des applications natives qui tentent de se substituer au Web. Encore récemment, le directeur de la conception produit de Facebook comparait les sites web aux vinyles : s’éteignant peu à peu sans disparaître complètement. Facebook et d’autres souhaitent en effet que nous utilisions plutôt leurs applications ; mais pas simplement pour nous fournir une « meilleure expérience utilisateur ». Leur façon de nous pousser vers les applications met en danger un écosystème inestimable. Nous devons nous assurer que le Web ne disparaisse jamais, et ce n’est pas juste une question de nostalgie.

Internet, notre réseau global, est une ressource fondamentale. Le web, notre espace d'information mondial, est de loin l'application la plus importante d'Internet. Nous devons aussi le protéger.
Internet, notre réseau global, est une ressource fondamentale. Le web, notre espace d’information mondial, est de loin l’application la plus importante d’Internet. Nous devons aussi le protéger.

Le Web : une interface indépendante ouverte sur des milliards de sources

Pour comprendre pourquoi le Web est si important, il faut s’imaginer le monde d’avant le Web. De nombreux systèmes d’information existaient mais aucun ne pouvait réellement être interfacé avec les autres. Chaque source d’information nécessitait sa propre application. Dans cette situation, on comprend pourquoi la majeure partie de la population ne prenait pas la peine d’accéder à aucun de ces systèmes d’information.

Le Web a permis de libérer l’information grâce à une interface uniforme. Enfin, un seul logiciel – un navigateur web – suffisait pour interagir avec plusieurs sources. Mieux encore, le Web est ouvert : n’importe qui peut créer des navigateurs et des serveurs, et ils sont tous compatibles entre eux grâce à des standards ouverts. Peu après son arrivée, cet espace d’informations qu’était le Web est devenu un espace d’applications, où plus de 3 milliards de personnes pouvaient créer du contenu, passer des commandes et communiquer – le tout grâce au navigateur.

Au fil des années, les gens se mirent à naviguer sur le Web avec une large panoplie d’appareils qui étaient inimaginables à l’époque de la création du Web. Malgré cela, tous ces appareils peuvent accéder au Web grâce à cette interface uniforme. Il suffit de construire un site web une fois pour que celui-ci soit accessible depuis n’importe quel navigateur sur n’importe quel appareil (tant qu’on n’utilise rien de spécial ou qu’on suit au moins les méthodes d’amélioration progressive). De plus, un tel site continuera à fonctionner indéfiniment, comme le prouve le premier site web jamais créé. La compatibilité fonctionne dans les deux sens : mon site fonctionne même dans les navigateurs qui lui préexistaient.

La capacité qu’a le Web à fournir des informations et des services sur différents appareils et de façon pérenne est un don immense pour l’humanité. Pourquoi diable voudrions-nous revenir au temps où chaque source d’information nécessitait son propre logiciel ?

Les applications : des interfaces spécifiques à chaque appareil et une source unique

Après les avancées révolutionnaires du web, les applications natives essaient d’accomplir l’exacte inverse : forcer les gens à utiliser une interface spécifique pour chacune des sources avec lesquelles ils veulent interagir. Les applications natives fonctionnent sur des appareils spécifiques, et ne donnent accès qu’à une seule source (ironiquement, elles passent en général par le web, même s’il s’agit plus précisément d’une API web que vous n’utilisez pas directement). Ainsi elles détricotent des dizaines d’années de progrès dans les technologies de l’information. Au lieu de nous apporter un progrès, elles proposent simplement une expérience que le Web peut déjà fournir sans recourir à des techniques spécifiques à une plate-forme. Pire, les applications parviennent à susciter l’enthousiasme autour d’elles. Mais pendant que nous installons avec entrain de plus en plus d’applications, nous sommes insidieusement privés de notre fenêtre d’ouverture universelle sur l’information et les services du monde entier.

Ils trouvent nos navigateurs trop puissants

Pourquoi les éditeurs de contenus préfèrent-ils les applications ? Parce-qu’elles leur donnent bien plus de contrôle sur ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. Le « problème » avec les navigateurs, du point de vue de l’éditeur, est qu’ils appartiennent aux utilisateurs. Cela signifie que nous sommes libres d’utiliser le navigateur de notre choix. Cela signifie que nous pouvons utiliser des plugins qui vont étendre les capacités du navigateur, par exemple pour des raisons d’accessibilité, ou pour ajouter de nouvelles fonctionnalités. Cela signifie que nous pouvons installer des bloqueurs de publicité afin de restreindre à notre guise l’accès de tierces parties à notre activité en ligne. Et plus important encore, cela signifie que nous pouvons nous échapper vers d’autres sites web d’un simple clic.

Si, en revanche, vous utilisez l’application, ce sont eux qui décident à quoi vous avez accès. Votre comportement est pisté sans relâche, les publicités sont affichées sans pitié. Et la protection légale est bien moindre dans ce cadre. L’application offre les fonctionnalités que le fournisseur choisit, à prendre ou à laisser, et vous ne pourrez ni les modifier ni les contourner. Contrairement au Web qui vous donne accès au code source de la page, les applications sont distribuées sous forme de paquets binaires fermés.

« Ne voulez-vous pas plutôt l’application ? »

J’ai procédé à une petite expérience pour mesurer exactement quelle proportion des sites Web les plus visités incitent leurs utilisateurs à installer l’application. J’ai écrit un programme pour déterminer automatiquement si un site web affiche une bannière de promotion de son application. L’outil utilise PhantomJS pour simuler un navigateur d’appareil mobile et capture les popups qui pourraient être insérés dynamiquement. La détection heuristique est basée sur une combinaison de mots-clés et d’indices du langage naturel.
Ce graphique montre combien de sites du top Alexa (classés par catégorie) vous proposent d’utiliser leur application :

Plus d'un tiers des 500 sites les plus visités vous proposent d'utiliser leur application.
Plus d’un tiers des 500 sites les plus visités vous proposent d’utiliser leur application.

Les chiffres obtenus sont basés sur une heuristique et sous-estiment probablement la réalité. Dans certaines catégories, au moins un tiers des sites préfèrent que vous utilisiez leur application. Cela signifie qu’un tiers des plus gros sites essaient de nous enfermer dans leur plate-forme propriétaire. Sans surprise, les catégories informations locales, sports et actualités atteignent un pourcentage élevé, puisqu’ils souhaitent être en première ligne pour vous offrir les meilleures publicités. Il est intéressant de noter que les contenus pour adultes sont en bas du classement : soit peu de personnes acceptent d’être vues avec une application classée X, soit les sites pornographiques adorent infecter leurs utilisateurs avec des malwares via le navigateur.

Des prétextes mensongers

Même si les éditeurs de contenu demandent si nous « souhaitons » utiliser leur application, c’est un euphémisme. Ils veulent que nous l’utilisions. En nous privant de la maîtrise plus grande offerte par les navigateurs, ils peuvent mieux influencer les éléments que nous voyons et les choix que nous faisons. Le Web nous appartient à tous, alors que l’application n’est réellement qu’entre les mains de l’éditeur. Généralement, ils justifient l’existence de l’application en plus du site web en marmonnant des arguments autour d’une « expérience utilisateur améliorée », qui serait évidemment « bien plus rapide ». Il est curieux que les éditeurs préfèrent investir dans une technologie complètement différente, plutôt que de prendre la décision logique d’améliorer leur site internet en le rendant plus léger. Leur objectif principal, en réalité, est de nous garder dans l’application. Depuis iOS 9, cliquer sur un lien dans une application permet d’ouvrir un navigateur interne à l’application. Non seulement cette fonctionnalité prête à confusion (depuis quelle application suis-je parti(e), déjà ?), mais surtout elle augmente le contrôle de l’application sur votre activité en ligne. Et une simple pression du doigt vous « ramène » vers l’application que vous n’aviez en fait jamais quittée. Dans ce sens, les applications contribuent sciemment à la « bulle de filtre ».

Les Articles Instantanés de Facebook sont un exemple extrême : un lien normal vous dirige vers la version « optimisée » d’une page à l’intérieur-même de l’application Facebook. Facebook salue cette nouveauté comme un moyen de « créer des articles rapides et interactifs sur Facebook » et ils ne mentent même pas sur ce point : vous ne naviguez même plus sur le vrai Web. Les Articles Instantanés sont vendus comme une expérience « interactive et immersive » avec plus de « flexibilité et de contrôle » (pour les fournisseurs de contenu bien sûr) qui entraînent de nouvelles possibilités de monétisation, et nous rendent une fois de plus « mesurables et traçables ».

Soyons honnêtes sur ce point : le Web fournit déjà des expériences interactives et immersives. Pour preuve, les Articles Instantanés sont développés en HTML5 ! Le Web, en revanche, vous permet de quitter Facebook, de contrôler ce que vous voyez, et de savoir si vous êtes pisté. Le nom « Articles Instantanés » fait référence à la promesse d’une rapidité accrue, et bien qu’ils soient effectivement plus rapides, cette rapidité ne nous est pas vraiment destinée. Facebook explique que les utilisateurs lisent 20% d’articles en plus et ont 70% de chances en moins d’abandonner leur lecture. Ces résultats favorisent principalement les éditeurs… et Facebook, qui a la possibilité de prendre une part des revenus publicitaires.

Rendez-nous le Web

Ne vous y trompez pas : les applications prétendent exister pour notre confort, mais leur véritable rôle est de nous attirer dans un environnement clos pour que les éditeurs de contenu puissent gagner plus d’argent en récoltant nos données et en vendant des publicités auxquelles on ne peut pas échapper. Les développeurs aussi gagnent plus, puisqu’ils sont désormais amenés à élaborer des interfaces pour plusieurs plate-formes au lieu d’une seule, le Web (comme si l’interface de programmation du Web n’était pas déjà assez coûteuse). Et les plate-formes de téléchargement d’applications font également tinter la caisse enregistreuse. Je ne suis pas naïf : les sites web aussi font de l’argent, mais au moins le font-ils dans un environnement ouvert dont nous avons nous-mêmes le contrôle. Pour l’instant, on peut encore souvent choisir entre le site et l’application, mais si ce choix venait à disparaître, l’accès illimité à l’information que nous considérons à juste titre comme normal sur le Web pourrait bien se volatiliser avec.

Certaines voix chez Facebook prédisent déjà la fin des sites web, et ce serait en effet bon pour eux : ils deviendraient enfin l’unique portail d’accès à Internet. Certains ont déjà oublié qu’il existe un Internet au-delà de Facebook ! La réaction logique de certains éditeurs est d’enfermer leur contenu au sein de leur propre application, pour ne plus dépendre de Facebook (ou ne plus avoir à y faire transiter leurs profits). Tout ceci crée exactement ce que je crains : un monde d’applications fragmenté, où un unique navigateur ne suffit plus pour consommer tous les contenus du monde. Nous devenons les prisonniers de leurs applis :

Last thing I remember, I was running for the door.

I had to find the passage back to the place I was before.

“Relax,” said the night man, “we are programmed to receive.”

“You can check out any time you like, but you can never leave!”

Eagles – Hotel California

 

Mon dernier souvenir, c’est que je courais vers la porte,

Je devais trouver un passage pour retourner d’où je venais

« Relax », m’a dit le gardien, « on est programmés pour recevoir »

« Tu peux rendre ta chambre quand tu veux, mais tu ne pourras jamais partir ! »

Eagles, Hotel California

Cette chanson me rappelle soudain le directeur de Facebook comparant les sites web et le vinyle. L’analogie ne pourrait pas être plus juste. Le Web est un disquaire, les sites sont des disques et le navigateur un tourne-disque : il peut jouer n’importe quel disque, et différents tourne-disques peuvent jouer le même disque. En revanche, une application est une boîte à musique : elle est peut-être aussi rapide qu’un fichier MP3, mais elle ne joue qu’un seul morceau, et contient tout un mécanisme dont vous n’auriez même pas besoin si seulement ce morceau était disponible en disque. Et ai-je déjà mentionné le fait qu’une boîte à musique ne vous laisse pas choisir le morceau qu’elle joue ?

Les sites web sont comme les vinyles : un tourne-disque suffit pour les écouter tous. Image : turntable CC-BY-SA Traaf
Les sites web sont comme les vinyles : un tourne-disque suffit pour les écouter tous.
Image : turntable CC-BY-SA Traaf

C’est la raison pour laquelle je préfère les tourne-disques aux boîtes à musique – et les navigateurs aux applications. Alors à tous les éditeurs qui me demandent d’utiliser leur application, je voudrais répondre : pourquoi n’utilisez-vous pas plutôt le Web ?