Internet est (devenu) un État policier

Un article qui ne nous apprend à priori rien de nouveau mais dont les exemples et les arguments enchaînés aboutissent à quelque chose d’absolument terrifiant.

Ce n’est pas un cauchemar c’est la réalité. Une réalité, née d’un accord tacite entre le public (les États) et le privé (les multinationales), qui s’est mise en place sans véritablement rencontrer consciences ni oppositions.

Raison de plus pour soutenir tous ceux qui voient le monde autrement et participer à faire en sorte que nous soyons de plus en plus nombreux à réclamer une éthique et faire vivre le bien commun…

Mixer - CC by-sa

Internet est un État policier

The Internet is a surveillance state

Bruce Schneier – 16 mars 2013 – CNN Opinion
(Traduction : Antoine, Neros, Sky, guillaume, audionuma, Asta + anonymes)

Note de la rédaction : Bruce Schneier est un expert en sécurité et l’auteur de Liars and Outliers: Enabling the Trust Society Needs to Survive (NdT : Menteurs et Atypiques : mettre en œuvre la confiance dont la société à besoin pour survivre).

Je vais commencer par trois points factuels.

Un : certains des hackers militaires chinois qui ont été récemment impliqués dans une attaque d’envergure contre le gouvernement et des entreprises des États-Unis ont été identifiés car ils accédaient à leur compte Facebook depuis la même infrastructure réseau qu’ils utilisaient pour leurs attaques.

Deux : Hector Monsegur, un des dirigeants du mouvent hacker LulzSec, a été identifié et arrêté par le FBI l’année dernière. Bien qu’il prenait de fortes mesures de sécurité informatique et un relais anonyme pour protéger son identité, il s’est quand même fait prendre.

Et trois : Paula Broadwell, qui avait une relation extra-conjugale avec David Petraeus, le directeur de la CIA, a également pris de nombreuses mesures pour masquer son identité. Elle ne se connectait jamais à son service de courriel anonyme depuis le réseau de son domicile. À la place, elle utilisait les réseaux publics des hôtels lorsqu’elle lui envoyait un courriel. Le FBI a effectué une corrélation entre les données d’enregistrement de différents hôtels pour y trouver que son nom était le point commun.

Internet est en état de surveillance. Internet est un état de surveillance. Que nous l’admettions ou non, et que cela nous plaise ou non, nous sommes traqués en permanence. Google nous trace, tant sur ses propres pages que sur celles auxquelles il a accès. Facebook fait de même, en traçant même les utilisateurs non inscrits chez lui. Apple nous trace sur nos iPhones et iPads. Un journaliste a utilisé un outil appelé Collusion (NdT : de Mozilla) pour déterminer qui le traçait : 105 entreprises ont tracé son usage internet sur une seule période de 36 heures !

De plus en plus, nos activités sur Internet sont croisées avec d’autres données nous concernant. La découverte de l’identité de Broadwell a nécessité de croiser son activité sur internet avec ses séjours dans des hôtels. Tout ce que nous faisons aujourd’hui implique l’usage d’un ordinateur, et les ordinateurs ont comme effet secondaire de produire naturellement des données. Tout est enregistré et croisé, et de nombreuses entreprises de big data font des affaires en reconstituant les profils de notre vie privée à partir de sources variées.

Facebook, par exemple, met en corrélation votre comportement en ligne avec vos habitudes d’achat hors-ligne. Et, plus encore, Il y a les données de localisation de votre téléphone portable, les enregistrements de vos mouvements par les caméras de surveillance…

C’est de la surveillance omniprésente : nous sommes tous surveillés, tout le temps, et ces données sont enregistrées de façon permanente. C’est ce à quoi un état de surveillance ressemble, et c’est plus efficace que dans les rêves les plus fous de George Orwell.

Bien sûr, nous pouvons agir pour nous y prémunir. Nous pouvons limiter ce que nous cherchons sur Google depuis nos iPhones, et utiliser à la place les navigateurs Web de nos ordinateurs, qui nous permettent de supprimer les cookies. Nous pouvons utiliser un alias sur Facebook. Nous pouvons éteindre nos téléphones portables et payer en liquide. Mais plus le temps passe et moins de gens s’en soucient.

Il y a simplement trop de façons d’être pisté. L’Internet, les courriels, les téléphones portables, les navigateurs Web, les sites de réseaux sociaux, les moteurs de recherche : ils sont devenus nécessaires, et il est fantaisiste d’attendre des gens qu’ils refusent simplement de s’en servir juste parce qu’ils n’aiment pas être espionnés, d’autant plus que l’ampleur d’un tel espionnage nous est délibérément cachée et qu’il y a peu d’alternatives commercialisées par des sociétés qui n’espionnent pas.

C’est quelque chose que le libre marché ne peut pas réparer. Nous, les consommateurs, n’avons pas de choix en la matière. Toutes les grandes sociétés qui nous fournissent des services Internet ont intérêt à nous pister. Visitez un site Web et il saura certainement qui vous êtes; il y a beaucoup de façons de vous pister sans cookie. Les compagnies de téléphones défont de façon routinière la protection de la vie privée sur le Web. Une expérience à Carnegie Mellon a pris des vidéos en temps réél d’étudiants sur le campus et a permis d’identifier un tiers d’entre eux en comparant leurs photos avec leurs photos publiques taguées sur Facebook.

Garder sa vie privée sur Internet est désormais presque impossible. Si vous oubliez ne serait-ce qu’une fois d’activer vos protections, ou si vous cliquez sur le mauvais lien, vous attachez votre nom de façon permanente à quelque service anonyme que vous utilisez. Monsegur a dérapé une fois, et le FBI l’a choppé. Si même le directeur de la CIA ne peut garder sa vie privée sur Internet, nous n’avons aucun espoir.

Dans le monde d’aujourd’hui, les gouvernements et les multinationales travaillent de concert pour garder les choses telles qu’elles sont. Les gouvernements sont bien contents d’utiliser les données que les entreprises collectent — en demandant occasionnellement d’en collecter plus et de les garder plus longtemps — pour nous espionner. Et les entreprises sont heureuses d’acheter des données auprès des gouvernements. Ensemble, les puissants espionnent les faibles, et ils ne sont pas prêts de quitter leurs positions de pouvoir, en dépit de ce que les gens souhaitent.

Résoudre ces questions nécessite une forte volonté gouvernementale, mais ils sont aussi assoiffés de données que les entreprises. Mis à part quelques amendes au montant risible, personne n’agit réellement pour des meilleures lois de protection de la vie privée.

Alors c’est ainsi. Bienvenue dans un monde où Google sait exactement quelle sorte de pornographie vous aimez, où Google en sait plus sur vos centres d’intérêt que votre propre épouse. Bienvenue dans un monde où votre compagnie de téléphone portable sait exactement où vous êtes, tout le temps. Bienvenue à l’ère de la fin des conversations privées, puisque vos conversations se font de plus en plus par courriel, SMS ou sites de réseaux sociaux.

Bienvenue dans un monde où tout ce que vous faites sur un ordinateur est enregistré, corrélé, étudié, passé au crible de société en société sans que vous le sachiez ou ayez consenti, où le gouvernement y a accès à volonté sans mandat.

Bienvenue dans un Internet sans vie privée, et nous y sommes arrivés avec notre consentement passif sans véritablement livrer une seule bataille…

Crédit photo : Mixer (Creative Commons By-Sa)




DRM dans HTML5 : la réponse de Cory Doctorow à Tim Berners-Lee

Lors du tout récent SXSW, Sir Tim Berners-Lee, répondant à une question, s’est montré favorable à l’introduction de DRM dans le HTML5, c’est-à-dire directement dans le code des pages Web.

Ceci a déçu beaucoup de monde, à commencer par Cory Doctorow qui lui a répondu dans les colonnes du Guardian, traduit ci-dessous pour nos soins.

Etech - CC by

Ce que j’aurais souhaité que Tim Berners-Lee comprenne au sujet des DRM

What I wish Tim Berners-Lee understood about DRM

Cory Doctorow – 12 mars 2013 – The Guardian (Blog Tchnology)
(Traduction Framalang : catalaburro, Alpha, Alpha, lum’, Tito, goofy, peupleLà, lamessen, penguin + anonymes)

Ajouter des DRM au standard HTML aura des répercussions importantes qui seront incompatibles avec les règles fondamentales du W3C.

À la suite de son discours d’introduction au récent SXSW, l’inventeur du Web Tim Berners-Lee a répondu à une question concernant le projet controversé d’ajouter des DRM à la prochaine version du HTML. Le standard HTML5, qui est en ce moment en débat au W3C (World Wide Web Consortium), est le dernier en date des champs de bataille dans la longue guerre pour la conception des ordinateurs personnels. Berners-Lee a soutenu ce projet en prétendant que, sans les DRM, une part croissante du Web serait verrouillée dans des formats comme le Flash, impossibles à lier et à soumettre à la recherche.

Certains membres de l’industrie du divertissement ont longtemps entretenu le doux rêve d’ ordinateurs conçus pour désobéir à leurs propriétaires, dans une stratégie globale de maximisation des profits qui s’appuie sur la possibilité de vous faire payer pièce après pièce pour avoir le droit d’utiliser les fichiers stockés sur vos disques durs.

Il est notoire que l’industrie a réussi à convaincre les fabricants de lecteurs de DVD d’ajouter une limitation au lecteur pour vous empêcher de lire un DVD sur un continent si vous l’avez acheté dans un autre. Pour que cela fonctionne, les lecteurs de DVD ont dû être conçus pour cacher les programmes qui les faisaient tourner. Ainsi les propriétaires de lecteurs de DVD ne pouvaient tout simplement pas arrêter la fonction de « vérification de zone ». Les lecteurs devaient aussi être conçus pour cacher des fichiers à leurs propriétaires, de telle manière que les utilisateurs ne puissent pas trouver le fichier contenant la clé de déchiffrement afin de l’utiliser pour déverrouiller le DVD sur d’autres lecteurs, ceux qui ne vérifieraient pas la compatibilité de zone du DVD.

Deux questions importantes découlent de cet exemple historique. Tout d’abord, cela a-t-il fonctionné ? et deuxièmement, pourquoi diable les fabricants ont ils été d’accord avec ces limitations ? Ces deux questions sont importantes à poser ici.

Est-ce que le zonage géographique a fonctionné ? Pas du tout. Après tout, cacher des fichiers et des processus dans l’ordinateur que le « méchant » peut tout à fait embarquer avec lui dans un labo ou au bureau est complètement vain. Si Berners-Lee pense qu’ajouter des secrets aux navigateurs web auxquels les possesseurs d’ordinateurs ne pourront accéder permettra d’une quelconque manière de créer les marchés dont l’industrie du divertissement a soi-disant besoin pour créer de nouveaux modèles économiques, il se trompe.

Plus important encore : pourquoi les fabricants sont-ils d’accord pour ajouter des restrictions à leurs matériels ? Le zonage est le contraire d’une fonctionnalité, un « produit » qui n’a pas pour but d’être vendu. Vous ne pouvez pas vendre plus de lecteurs DVD en ajoutant un autocollant qui dit : « Nouvelle version, avec des restrictions par zones géographiques ! »

Les pièges du brevet

En clair, c’est l’industrie qui a établi un besoin légal pour l’établissement des DRM sur les lecteurs DVD. Lorsque les organismes à l’origine des DRM se rassemblent, ils cherchent à identifier un « lien de propriété intellectuelle », bien souvent un brevet. Si un brevet entre en jeu lors du décodage d’un format de fichier, alors le brevet peut être lié à l’application des termes de la licence, ce qui peut être utilisé pour contraindre les fabricants.

En d’autres termes, si un brevet (ou des brevets) peut être inclus dans le système de décodage des DVD, il est possible de menacer les fabricants d’un procès pour violation de brevet,à moins qu’ils n’achètent une licence d’utilisation. Les licences de brevet sont gérées par la Licensing Authority (LA) (NdT : Consortium regroupant les détenteurs de brevets sur la technologie en question, ici la MPEG-LA) qui crée des normes de contrat de licence. Ces termes incluent toujours une liste de fonctionnalités que les fabricants ne doivent pas implémenter (par exemple il ne leur est pas possible d’ajouter une fonctionnalité « sauvegarder sur un disque dur » à un lecteur DVD); et une liste de fonctionnalités négatives que les fabricants doivent implémenter (par exemple l’ajout obligatoire d’une fonction : « vérifier la zone » au lecteur).

Par ailleurs, tous les accords de licence de DRM s’accompagnent d’un ensemble de règles de « robustesse » qui incite les fabricants à concevoir leur produit de façon à ce que leur propriétaire ne puisse ni voir ce que font ces DRM ni les modifier. Cela a pour but d’empêcher que le possesseur d’un dispositif n’en reconfigure les propriétés pour faire des choses interdites (« sauvegarder sur le disque ») ou pour ignorer des choses obligatoires (« vérifier la région »).

Ajouter les DRM au standard HTML aura des répercussions étendues qui sont incompatibles avec les règles les plus importantes du W3C et avec les principes qui tiennent particulièrement à cœur à Berners-Lee.

Par exemple, le W3C a fait avancer les organismes de normalisation en insistant sur le fait que les standards ne devaient pas être gênés par les brevets. Lorsque des membres du W3C détiennent des brevets sur une partie d’un standard, ils doivent promettre à tous les utilisateurs de fournir une licence qui ne possède pas de conditions trop contraignantes. Cependant, les DRM nécessitent des brevets ou des éléments sous licence dont le seul objectif est d’ajouter des conditions contraignantes aux navigateurs.

La première de ces conditions – la « robustesse » contre les modifications de l’utilisateur final – est une exclusion totale de tous les logiciels libres (ces logiciels qui, par définition, peuvent être modifiés par leurs utilisateurs). Cela signifie que les deux technologies de navigateurs web les plus populaires, WebKit (utilisé avec Chrome et Safari) et Gecko (utilisé avec Firefox et ses navigateurs apparentés), pourraient légalement se voir interdire d’être intégré dans l’une de ces « normes » qui sortiraient du W3C.

Copie moi si tu peux

Plus encore, les DRM sont parfaitement inefficaces pour empêcher la copie. Je suspecte Berners-Lee d’en être parfaitement conscient. Quand les geeks minimisent les craintes autour des DRM, ils disent souvent des choses telles que : « He bien, je peux les contourner et de toute façon ils reviendront à la raison tôt ou tard vu que cela ne fonctionne pas, non ? ». Chaque fois que Berners-Lee raconte l’histoire des débuts du Web, il insiste sur le fait qu’il a pu inventer le Web sans demander la moindre permission. Il utilise cela comme une parabole pour expliquer l’importance d’un Internet ouvert et neutre. Mais il échoue à comprendre que la raison d’être des DRM est d’obliger à demander une permission pour innover.

Car limiter la copie n’est qu’une raison superficielle à l’ajout de DRM à une technologie. Les DRM échouent complètement lorsqu’il s’agit d’empêcher la copie, mais sont remarquablement efficaces pour éviter toute innovation. En effet les DRM sont couverts par les lois anti-contournement telles que la célèbre DMCA de 1998 (US Digital Millennium Copyright Act) et l’EUCD de 2002 (EU Copyright Directive) ; chacune d’elle fait du contournement de DRM un crime, même si vous n’enfreignez aucune autre loi. Concrètement, cela signifie que vous devez demander la permission à une autorité de licence de DRM pour ajouter ou modifier n’importe quelle fonctionnalité, ce que les termes de la licence vous interdisent de faire.

Comparons les DVD aux CD. Les CD n’avaient pas de DRM, il était donc légal d’inventer des technologies comme l’iPod ou iTunes qui extrayaient, encodaient et copiaient la musique pour un usage privé. Les DVD avaient des DRM, il était donc illégal d’en faire quoi que ce soit de plus et depuis presque 20 ans qu’ils sont apparus, aucune technologie légale n’a vu le jour sur le marché pour faire ce que iTunes et l’iPod font depuis 2001. Une entreprise a essayé de lancer un jukebox primitif à DVD combiné à un disque dur et fut poursuivie pour cette activité commerciale. 20 ans de DVD, zéro innovation. Bon, les DRM n’ont pas empêché les gens de créer des copies illégales de DVD (bien entendu !), mais elles ont complètement empêché l’émergence sur le marché de tout produit légal et innovant, et nous ne sommes pas près d’en voir la fin.

Prêts à vous faire les poches

C’est ce vers quoi le W3C essaie de faire tendre le Web. Et Berners-Lee, avec ses remarques, en prend la responsabilité. Un état où chaque amélioration est vue comme une occasion d’instaurer un péage. Un Web construit sur le modèle économique de l’infection urinaire : plutôt que d’innover dans un flot sain, chaque nouvelle fonctionnalité doit venir d’une petite goutte contractée et douloureuse : quelques centimes si vous voulez la lier à un temps spécifique de la vidéo, encore quelques centimes si vous souhaitez intégrer un lien provenant de la vidéo dans une page web, encore plus si vous souhaitez mettre la vidéo sur un autre appareil ou la décaler dans le temps, et ainsi de suite.

Le W3C étant l’organisme principal qui normalise le Web, son action repose sur une confiance énorme à la fois sacrée et significative. Le futur du Web est le futur du monde, car tout ce que nous faisons aujourd’hui implique le net et ce sera tout aussi nécessaire pour tout ce que nous ferons demain. À présent, il souhaite brader cette confiance, uniquement parce que les principaux fournisseurs de contenu verrouilleront leur « contenu » en utilisant Flash s’ils ne parviennent pas à obtenir de veto sur l’innovation issue du Web. Cette menace n’est pas nouvelle : les grands studios avaient promis de boycotter la télévision numérique américaine si elle ne rendait pas les DRM obligatoires. Les tribunaux américains ont refusé de leur accorder cette aubaine, et pour autant, la télévision numérique continue de fonctionner (si seulement Otcom et la BBC avaient tenu compte de cet exemple avant de vendre la télévision britannique aux studios américains en ce qui concerne nos propres normes de télévision numérique HD).

Flash est déjà hors course. Comme Berners-Lee vous le dira lui-même, la présence de plate-formes ouvertes, où l’innovation n’a pas besoin d’autorisation, est la meilleure façon d’inciter le monde à se connecter à vous. Un Web ouvert crée et distribue tant de valeur que chacun s’est mis à l’utiliser, délaissant ainsi les écosystèmes contrôlés semblables à Flash, entouré d’AOL et autres systèmes défaillants. Les gros studios ont plus besoin du Web que le Web n’a besoin d’eux.

Le W3C a le devoir d’envoyer au diable les colporteurs de DRM, tout comme les tribunaux américains l’ont fait lors de l’affaire de la TV numérique. Il n’y a pas de marché pour les DRM, pas de cause d’utilité publique qui justifie l’octroi d’un droit de veto à d’obscurs géants des médias qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et qui rêvent d’un monde où chaque fois que vous cliquez, vous passez à la caisse et où la difficulté d’utilisation est quelque chose qui arrivent aux autres et pas à eux.

Crédit photo : Etech (Creative Commons By)




Un salon de beauté conçu avec Blender et Cycles (en lieu et place de 3ds Max)

Dans le milieu du design et de la CAO, la part belle est encore trop souvent faite aux logiciels propriétaires.

Mais il n’y pas que 3ds Max & co dans la vie logicielle. On peut faire tout aussi bien, voire mieux, avec le libre Blender et son moteur de rendu Cycles.

C’est que ne nous prouve par l’exemple cet entretien du talentueux ukrainien Igor Shevchenko.

Backstage - Blender

Un salon de beauté conçu et visualisé grâce à Blender et Cycles

Beauty salon designed and visualized with Blender and Cycles

Alexandre Prokoudine – 25 février 2013 – LibreGraphicsWorld.org
(Traduction : Alpha, Max, KoS + anonymes)

Parmi toutes les choses intéressantes qui sont réalisables à l’aide de logiciels libres, ce que LGW aime faire le plus, c’est produire un travail commandé qui soit reconnu. Parlons d’un cas particulier, celui de l’utilisation de Blender et Cycles pour la visualisation d’architectures commerciales.

Je suis récemment tombé sur ce travail sur Behance (NdT : une plateforme de partage de projets de design pour les professionnels) et je n’ai pas pu résister à l’envie de contacter Igor Shevchenko, son auteur.

Igor travaille pour une entreprise ukrainienne appelée « Magis ». Il s’occupe de la modélisation, du texturage et du rendu d’intérieur. « Backstage », le salon de beauté en question, est un véritable établissement qui a ouvert à Kiev en septembre 2012.

Igor, s’agit-il de ton premier projet sérieux réalisé à l’aide de Blender ? Le reste de ton album sur Behance semble porter les étiquettes de 3DS Max, Adobe Photoshop et d’autres logiciels du même genre.

Oui, c’est vrai, c’est le premier vrai projet que l’on m’a commandé et que j’ai réalisé avec Blender. J’étais vraiment curieux de savoir s’il allait être possible de réaliser un tel projet uniquement avec un logiciel libre et de voir les difficultés auxquelles on pouvait s’attendre. Lorsque j’ai commencé à travailler sur le projet, j’ai eu peur que ma connaissance de Blender ne soit pas suffisante pour le mener à bien et de devoir retourner sous 3DS Max. Ça ne s’est pas produit.

Combien de temps cela a-t-il pris ?

Le travail sur le design intérieur a été fait en 3 mois. Mais les rendus du portfolio pour Behance ont été une toute autre affaire. Je suis parti de rien, surtout pour Behance.

Vraiment ?

L’année dernière, en novembre, notre administrateur système m’a demandé de lui envoyer quelques rendus de ce que j’avais fait avec Blender. Il souhaitait les montrer à un ami qu’il tentait de convaincre que Blender était en fait un outil très correct. J’ai donc fouillé parmi mes fichiers et je fus horrifié de constater que je n’avais aucun rendu lissé. J’ai alors décidé de repartir de zéro pour refaire les rendus du projet « Backstage ».

Attends, donc tu n’as pas fait ces visualisations pour le client ?

Le client ne voulait pas des rendus de haute qualité dans un premier temps. Nous avons juste fait le design et décrit le reste avec des mots.

OK, donc de combien de temps as-tu eu besoin pour réaliser la version portfolio du projet ?

Je n’avais aucune date limite, ça ne pressait donc pas, je l’ai fait pendant mon temps libre. Je pense qu’en m’y mettant et en ne faisant rien d’autre, ça m’aurait pris une journée pour faire la modélisation, une autre pour peaufiner les détails et encore une autre pour effectuer le rendu global.

Backstage - Blender

D’où vient ton intérêt pour Blender ?

Il y a environ trois ans, j’ai fini par en avoir marre d’utiliser 3DS Max, j’ai donc commencé à chercher des alternatives. J’ai d’abord essayé Maya et Cinema 4D et j’ai opté pour Maya. Cependant, je me suis rendu compte que soit je n’arrivais pas à trouver le temps pour apprendre à l’utiliser, soit il ne me convenait pas. Peut-être un peu des deux.

J’ai fini par revenir à 3DS Max, faute d’autre chose. Notre administrateur système, qui est un grand adepte du logiciel libre m’a suggéré d’utiliser Blender, mais il s’agissait de la version 2.49 que je n’ai vraiment pas appréciée.

Fin 2011, j’ai lu un article sur « Sintel » le film libre, je l’ai alors regardé. J’ai adoré à la fois l’histoire et les visuels, j’ai donc donné une seconde chance à Blender : j’ai téléchargé une version plus récente et je me suis mis à lire les tutoriels d’Andrew Price, j’ai alors commencé à comprendre comment ce logiciel fonctionnait.

Puis, Cycles est arrivé, et ça a achevé de me convaincre. Mi-2012, j’étais déjà en train de réaliser des petits projets avec Blender, puis « Backstage » est devenu le premier grand projet pour lequel je m’en suis servi. Ça n’a pas été facile, mais je ne suis pas déçu. Avant je considérais que les logiciels libres performants ne pouvaient pas exister. Blender est une exception remarquable dans ce domaine.

L’un dans l’autre, une expérience positive ?

Oui. Mes collègues ont remarqué que je travaillais plus rapidement. Blender a une logique réellement différente, pas comme dans 3DS Max :

  • manipulation d’objets,
  • personnalisation facile de l’interface,
  • approche différente de la modélisation de polygone,
  • paramétrage nodal des matériaux,
  • traitement « post-processing » intégré,
  • modificateurs (il n’y en pas beaucoup, mais ils sont très efficaces pour accélérer le processus de modélisation),
  • raccourcis clavier (il y en a beaucoup et ils améliorent grandement mon efficacité).

Blender possède des fonctionnalités sans lesquelles je ne m’imagine pas travailler aujourd’hui. 3DS Max n’en possède pas autant.

Cette liste pourrait s’allonger mais le plus important est que Blender est tout simplement mon type d’application.

Et Cycles ?

Cycles est un formidable moteur de rendu. J’ai récemment implémenté le matériau caoutchouc dans 3DS Max pour les pneus, et c’était vraiment la misère : paramétrage, rendu, paramétrage, rendu ainsi de suite… Dans Cycles, j’ai juste ajusté les paramètres et vu le résultat immédiatement.

Vois-tu une utilité au moteur de rendu interne de Blender dans ton travail quotidien ?

Non, c’est plutôt inutile en ce qui me concerne.

Est-ce que l’aspect libre et gratuit, en plus de la faible taille du fichier à télécharger a joué un rôle ?

Tout à fait. À plusieurs reprises, j’ai eu besoin de télécharger Blender lors d’un rendez-vous avec un client sur son ordinateur (5 minutes), de le lancer (2 secondes) et de travailler sur un projet. Ça fait une grande différence.

Au vu de tout ça, est-ce que l’un de tes collègues a déjà eu envie d’utiliser Blender ?

Non, et je ne m’attends pas à ce qu’ils le fassent. Soyons réalistes, la seule façon pour que cela arrive, c’est de les forcer à l’utiliser, et rien de bon n’en sortira. En réalité, les gens n’ont soit pas le temps, soit pas l’envie d’apprendre de nouvelles choses, et certains ne savent même pas que des alternatives existent.

Quels types de difficultés as-tu rencontrés lorsque tu travaillais avec Blender sur le projet « Backstage » ?

Le principal défaut de Blender est que la phase de développement actif a commencé assez récemment et beaucoup de fonctionnalités de base ne sont pas encore présentes. Il y a aussi les problèmes de compatibilité avec les formats de fichiers : c’est difficile d’ouvrir des fichiers Blender dans AutoCAD et dans 3DS Max, c’est même quasiment impossible.

As-tu rencontré des problèmes purement techniques avec Cycles ? Quelque chose qui manque ?

J’ai un peu de mal à me rappeler ce qui manque. De manière générale, les fonctionnalités compatibles par défaut dans les autres moteurs de rendu. La gestion des fichiers IES (NdT : qui gèrent la répartition de la lumière) en faisait partie il y a peu, mais ça a été résolu.

D’un autre côté, j’ai trouvé des méthodes parfaitement fonctionnelles pour contourner la plupart — sinon toutes — des fonctionnalités manquantes. La seule chose que je n’arrive pas à contourner c’est que Cycles est plutôt inutile sans une carte graphique chère.

Penses-tu que la fréquence des mises à jour de versions interfère avec les méthodes de travail en entreprise ? Les studios seraient plus enclins à n’utiliser que des mises à jour importantes et à ne les mettre à jour que pour corriger les bugs, c’est assez connu.

La fréquence d’apparition des nouvelles versions semble être une des principales particularités des logiciels libres. Je pense qu’en réalité, Blender en tire profit, parce qu’il reste beaucoup de choses à faire.

En plus, Blender a une bonne compatbilité ascendante et, de cette manière, rien n’empêche un studio de se limiter à une version particulière et à l’utiliser pendant quelques années.

Backstage - Blender

La galerie complète du projet « Backstage » est disponible sur Behance.




Pas de bol : quand les Américains nous copient c’est pour notre Hadopi !

Riposte graduée, sécurisation de son réseau, oubli systématique du copyleft, répression qui s’accompagne d’une prévention propagande… les Américains sont sur le point de lancer leur propre Hadopi, qui porte le nom chantant de Copyright Alert System.

Pourtant on ne peut pas dire que ce soit un franc succès chez nous, n’est-ce pas Monsieur Lescure ?

Ici comme ailleurs, de grands mais vains efforts pour transformer la « génération du partage » en une « génération pirate » !

Martin Fisch - CC by-sa

La propagande du copyright s’offre un nouvel acteur : votre fournisseur d’accès à Internet (FAI)

The Copyright Propaganda Machine Gets a New Agent: Your ISP

Corynne McSherry – 25 février – EFF.org
(Traduction : Moosh, goofy, Alpha, LGT + anonymes)

Voilà un moment qu’on le redoutait, la machine de surveillance du copyright connue sous le nom de Copyright Alert System (CAS) est finalement en marche. Le CAS est un accord entre les plus grands fournisseurs de contenus et les principaux fournisseurs d’accès (FAI) qui vise à surveiller les réseaux de peer-to-peer pour détecter la violation de copyright et sanctionner les abonnés supposés coupables par des rappels à l’ordre « éducatifs » voire une réduction importante de la vitesse de connexion.

Pour preuve de ce lancement, le centre d’information sur le copyright (Center for Copyright Information ou CCI), qui administre le programme, a refondu son site web. Ce site est censé contribuer à la sensibilisation des internautes sur le système et le copyright. Malheureusement, le site est rempli de signes qui indiquent que cette campagne va dériver.

Par exemple, concernant le processus de ciblage des utilisateurs, le site explique :

Avant d’envoyer une nouvelle alerte, un processus rigoureux permet de s’assurer que le contenu concerné est bel et bien protégé par un copyright et que la notification est envoyée au bon abonné.

Le simple fait que le contenu soit soumis à copyright ne signifie pas que son partage soit illégal. Il serait préférable d’avoir un processus rigoureux afin de s’assurer que l’utilisation identifiée constitue bien une violation. Il serait encore mieux d’avoir un processus qui soit approuvé par une entité parfaitement indépendante, suivi d’un examen public du résultat global.

Et puis il y a ces quelques pépites :

La CCI encourage tous les utilisateurs à sécuriser leurs réseaux privés, mais c’est encore plus important pour ceux qui ont reçu un avertissement à la violation de copyright (Copyright Alert).

En d’autres termes, si vous recevez un avertissement vous feriez mieux de verrouiller votre réseau, et vite. Comme nous (NdT : l’Electronic Frontier Foundation) l’avions expliqué, il semble que cela ait pour objectif de saper le mouvement pour un Wi-Fi ouvert, même si l’accès libre sans fil est largement reconnu comme bénéfique au public.

La responsabilité incombe aux abonnés de s’assurer que leur accès Internet n’est pas utilisé pour violer le copyright.

Pas tant que ça, au moins, pas d’après les lois pour le copyright, pas tant que des conditions supplémentaires ne sont pas remplies. Nous n’avons pas souhaité faire partie de la brigade de surveillance du copyright, mais si votre FAI a signé l’accord (AT&T, Cablevision, Comcast, Time Warner, and Verizon), vous avez souscrit à cette surveillance.

Et puis on retrouve les abus classiques et orientés de leur approche du copyright :

Quand vous créez un poème, une histoire ou une chanson, elle vous appartient, et personne d’autre ne peut s’en servir sans votre permission.

Encore raté : grâce au principe de l’usage raisonnable (fair use) d’autres personnes peuvent utiliser les œuvres que vous créez de différentes façons. C’est grâce à cela que nous sommes assurés du bon usage du copyright, permettant ainsi la créativité et l’innovation plutôt qu’une entrave.

Tout aussi inquiétant : le site du CIC renvoie les utilisateurs vers la Copyright Alliance pour en apprendre plus sur l’histoire du copyright. La Copyright Alliance est loin d’être une « ressource » neutre – il s’agissait de l’un des principaux acteurs du combat pour faire voter SOPA et elle reste un fervent défenseur du copyright tout-puissant.

En conclusion, le CIC entrera probablement en partenariat avec iKeepSafe pour développer un cursus sur le copyright au sein des universités publiques de Californie. Qui pourrait s’appeler « Sois un créateur : la valeur ajoutée du copyright ». Basé sur ce que l’on voit venir depuis longtemps, ce cursus devrait pouvoir aider les plus jeunes à comprendre les enjeux du copyright. Par ailleurs, cela apprendra aux plus jeunes comment les droits sur la création peuvent être acquis et les étapes de vérification avant l’utilisation de la création de l’œuvre.

Loin de nous l’idée de faire notre propre publicité, mais l’EFF a développé un cours visant à expliquer ce que la loi sur le copyright permet et interdit, et qui, nous l’espérons, encourage les étudiants à réfléchir de manière critique sur la créativité, l’innovation et la culture. De plus, il est sous licence CC (Creative Commons), ainsi, le CIC ne devrait pas hésiter à s’en servir, ça lui économisera du temps et de l’argent.

Dans le même temps, nous sommes déçus, pour ne pas dire désagréablement surpris, de l’approche du CIC en matière de surveillance et d’éducation. Suivez-nous pour plus d’informations à venir sur le CAS et ce que vous pouvez faire pour vous y opposer.

Crédit photo : Martin Fisch (Creative Commons By-Sa)




Les lunettes Google Glass ou la fin définitive de notre vie privée ?

Google Glass c’est le projet Google de lunettes révolutionnaires à réalité augmentée. On nous promet leur commercialisation avant la fin de l’année. Une vidéo spectaculaire a été publiée récemment. Si vous ne l’avez pas encore vue, nous vous invitons à le faire car vous allez mieux comprendre la traduction qui suit.

Bientôt donc vous retrouverez quelque part avec des gens qui porteront ces lunettes. À tout moment, ceux-ci peuvent vous filmer à votre insu et mettre en ligne en temps réel la vidéo sur YouTube, non sans qu’un système automatisé de reconnaissance faciale et de tags vous ait peut-être identifié au passage !

Ce n’est plus de la science-fiction et comme Google n’est pas une entreprise philanthropique, on imagine sans peine l’impact majeur d’une telle innovation sur notre vie privée et le devenir de nos données personnelles.

Max Braun - CC by-sa

Gare aux Google Glasses !

Watch Out for Google Glasses

Anton Wahlman – 25 février 2013 – TheStreet.com
(Traduction : jtanguy, 3wen, Benoît, Jeanba88, misterk, goofy + anonymes)

D’ici la fin de cette année, notre société va subir un changement très particulier, qui va susciter beaucoup de controverses. La cause ? Les Google Glasses.

Les Google Glasses vont impacter les comportements sociaux dès leur mise en circulation. Au moment où vous les apercevez, vous savez que vous pouvez être filmé. Et les gens n’aiment pas être filmés.

Bien sûr, tous les smartphones peuvent enregistrer des vidéos et prendre des photos. Mais vous savez quand ça arrive. Vous n’avez pas constamment l’impression que tout le monde autour de vous est en train de vous filmer sous tous les angles. Vous les voyez faire quand ils le font.

Les Google Glasses sont différentes. Au-delà des photos et des vidéos, qu’advient-il de ces données ?

Imaginons que je sois derrière le guichet d’une entreprise : banque, restauration rapide, guichet d’enregistrement à l’aéroport, peu importe. Mes Google Glasses pourraient afficher le numéro de sécurité sociale, le casier judiciaire, la présence sur les réseaux sociaux, etc. de la personne en face de moi.

C’est peut-être un progrès pour certains mais d’autres trouveront cela terrifiant. Pouvez-vous imaginer la scène dans un bar où les gens commencent à porter des Google Glasses ? En l’espace d’une seconde ou deux, vous aurez toutes les informations disponibles à propos de la personne en face de vous. Et certaines de ces informations pourraient ne pas être flatteuses.

Les lieux publics devront élaborer de nouvelles politiques. Hôtels, aéroports, restaurants, salles de sport et écoles voudront avoir leur mot à dire concernant le port des Google Glasses dans leurs locaux. Vous pourrez entendre les tollés dès que les premières images de gens trichant dans les écoles, ou filmant dans les vestiaires seront publiées sur YouTube. De futurs conflits vont certainement très mal tourner.

D’autre dimensions du problème apparaissent aussitôt. Que se passera-t-il si les versions futures des Google Glass deviennent très difficiles à distinguer des lunettes traditionnelles ?

Aujourd’hui, que se passe-il si vous pénétrez dans un établissement en tenant une caméra qui filme les visages des gens, dans un restaurant, une banque ou une salle de sport ? On vous demandera d’éteindre votre caméra, et si vous n’obéissez pas rapidement, on vous jettera dehors.

Les Google Glasses vont rendre les interactions publiques et sociales très délicates car vous prenez le risque potentiel d’être sur YouTube quel que soit l’endroit où vous allez. Quelques mois après leur arrivée sur le marché, les Google Glasses pourraient être déjà si répandues que vous serez filmé dès que vous pointerez le nez dehors.

Défenseurs de la vie privée, en avant !

Les données photos et vidéos des Google Glasses ne vont pas être utilisées seulement par la personne qui porte les lunettes. La personne qui prend ces images voudra peut-être « taguer automatiquement » ces médias avec l’identité des personnes dans la photo ou vidéo.

Il y a des gens qui préfèrent passer sous les radars. Ils payent en liquide, n’utilisent pas de GPS en voiture, n’ont pas de téléphone, et ne sont membres d’aucun réseau social en ligne. Ils ont réussi à rester en-dehors de la plupart des bases de données disponibles publiquement.

Une fois qu’une partie significative de la population aura commencé à déambuler dans les rues avec des Google Glasses, ils ne le pourront plus vraiment. Il n’y aura plus de place pour se cacher, à moins que les gouvernements ne légifèrent sur ces Google Glasses, ou que les établissements privés décident de les interdire.

Qu’en est-il de Google lui-même ?

Les Google Glasses deviendront une arme décisive dans la guerre imminente pour les données personnelles. Si d’autres personnes les utilisent, pourquoi pas moi ? Je prédis que toutes les personnes avec suffisamment de moyens vont se ruer pour en obtenir, surtout si le prix baisse de 1 500$ à 1 000$, puis à 500$ et finalement en-dessous, lors des deux premières années de commercialisation.

Si Google arrive à sortir ce genre de lunettes avant ses concurrents directs, non seulement Apple, mais aussi Microsoft, son avance pourrait bien être décisive. Google possède déjà 70% des parts de marché des smartphones avec Android, donc il est plutôt bien parti, mais n’oublions pas que la part de marché des PC de Microsoft atteignait 95% il y a seulement quelques années.

Comme Google va probablement inventer un lien fort entre les Google Glasses et les smartphones Android, les Google Glasses vont être une véritable aubaine pour Android. N’importe qui regardera son iPhone et devra sérieusement envisager de passer à Android.

Les Google Glasses risquent de causer un chaos social, mais elles vont être très bénéfiques pour les finances de Google.

Crédit photo : Max Braun (Creative Commons By-Sa)




L’appel GNU/Linux d’un fanboy Microsoft dégoûté par la licence Office 2013

Comme le soulignait PCInpact récemment Microsoft interdit le transfert de la licence Office 2013 vers un autre PC.

L’arrivée de la nouvelle version de la célèbre suite bureautique s’accompagne en effet d’un contrat de licence encore plus restrictif qu’auparavant, ce qui revient bien moins à acheter un logiciel qu’à le louer sur un seul et unique ordinateur en priant pour que ce dernier n’expire pas tout de suite (malgré son obsolescence programmée, ce qui est un autre sujet).

Du coup, certains utilisateurs, même parmi les plus fidèles, réalisent (enfin) qu’on les prend vraiment pour des vaches à lait et lorgnent (enfin) du côté de GNU/Linux et LibreOffice.

Pcs007 - CC by-sa

Microsoft perd un fanboy de plus

Microsoft loses yet another fanboy

Jack Wallen – 19 février 2013 – TechRepublic.com
(Traduction : jay91, lukkas35, Goodbox, aKa, nepski, VIGNERON, RavageJo, goguette, Texmix, Kyriog, Penguin, QC, chdorb, Norore, maxlath + anonymes)

Un autre mord la poussière pendant que Microsoft (et son utilisation déplaisante des licences) fait fuir un fan de longue date. Jack Wallen jette un œil à ce qui attend Microsoft.

Non, ce n’est pas quelqu’un de connu. Ce n’est même pas quelqu’un qui soit déjà apparu dans les médias, dans un mème, ou qui aurait participé à un hashtag ou une flashmob. Microsoft a perdu un des fanboys avec lesquels je travaille. Cette personne est un de ces types qui comprennent les choses à plusieurs niveaux. Non seulement il est incroyablement intelligent, mais c’est aussi un brillant électronicien.

Mais lorsque Microsoft a commencé à annoncer leurs termes de licence pour Office 2013 — il a commencé à me poser des questions. Elles commençaient toutes par « Au fait Jack, parle moi de Linux ». Et c’est ce que j’ai fait. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’il installe Ubuntu 12.10 à la place de Windows 7 et qu’il soit heureux de travailler, sans Microsoft, et ce sans perdre le rythme.

Vous devez vous demander en quoi exactement les nouveaux termes du contrat de licence d’Office 2013 peuvent faire changer d’avis un fan Microsoft de longue date ? Laissez-moi vous lister les points les plus importants :

  • Chaque licence est liée à un compte Microsoft Live (qu’il vous faut posséder) ;
  • Seules cinq licences peuvent être liées à un même compte (nous avons des clients qui en passent par une dizaine de versions d’Office par semaine — ça pourrait causer quelques problèmes) ;
  • Chaque licence sera définitivement assignée à une seule machine.

Ces points sont seulement les plus néfastes, des points qui vont faire mal aux utilisateurs à différents niveaux. Ces conditions de licence partent du principe que les machines ne tombent jamais en panne – et que si elles le font, les utilisateurs ne verront pas d’inconvénient à sortir à nouveau la liasse de billets pour racheter la licence.

Faux et archi faux.

Les ordinateurs tombent en panne, certains sont parfois d’emblée défectueux avec des défauts qui ne seront parfois visibles qu’après plusieurs jours (ou semaines) d’utilisation. Que vont faire ces utilisateurs là ? Acheter Office 2013 deux fois en l’espace de quelques semaines ?

À cela, Microsoft va répondre, « Vous pouvez souscrire à Office 365 ». À ça, je répondrai d’utiliser gratuitement Google Docs pour n’avoir plus aucun problème.

Au cours de l’année dernière, Microsoft en a fait plus pour pousser les gens vers des solutions alternatives qu’il ne l’avait fait pendant très longtemps. D’abord, il a mis sur le marché l’une des interfaces graphiques les moins intuitives qui soit. Aujourd’hui, c’est la licence de Microsoft Office qui change. En bref, Microsoft est en train de perdre des fans et des utilisateurs. Vers quoi se tournent-t-il ? Linux. De plus en plus de gens se rendent finalement compte qu’il y a une alternative et que cette alternative est en fait MEILLEURE !

« Toutes ces années gâchées. » disais-je, secouant ma tête, tentant de cacher ma joie.

Les entreprises et les consommateurs ont beaucoup dépensé dans les produits Microsoft. Comment sont-ils remerciés de leur fidélité ? Une baffe en plein visage, et un trou dans le porte-monnaie ! Cette pagaille ne va pas bien se finir pour Microsoft. En revanche, cela va dans le bon sens pour les systèmes d’exploitation et logiciels comme Ubuntu et LibreOffice.

Beaucoup d’entre nous ont dit qu’il serait inévitable d’en arriver là. À un moment, on a vu venir le côté binaire — Microsoft allait brûler le seul pont qu’il ne pouvait se permettre de brûler — celui qui se trouvait entre Redmond et ses légions de fanboys. Cela ne se fera sans doute pas en une nuit, mais les aficionados d’une des plus grosses entreprises à avoir jamais honoré les bits et les octets vont lui tourner le dos et chercher de plus (ou)vertes pâtures. Quand cela va se produire, Linux aura enfin ce qui lui est dû. L’effet cascade forcera Microsoft à re-calibrer ses pratiques commerciales dans l’urgence.

Bien sûr, on a déjà entendu cet air-là avant. Microsoft va probablement tenter de mener le combat devant les tribunaux, mais pas là où il devrait : dans les cœurs et les esprits de ses consommateurs.

Crédit photo : Pcs007 (Creative Commons By-Sa)




Connivences entre lobbys américains et députés européens sur le dos des citoyens

Les lobbys ont toujours tenté d’influencer les politiques. Mais lorsqu’il s’agit de lobbyistes américains qui arrivent à faire passer mot pour mot certains textes de loi en Europe avec la complicité de nos députés, il y a d’autant plus de quoi s’interroger que cela va dans le sens des entreprises US et non du citoyen européen.

Un article traduit du chroniqueur anglais Glyn Moody, souvent traduit sur le Framablog)

Heureusement que nous avons désormais des sites qui permettent de mieux connaître le comportement individuel des députés et leurs éventuelles « sources d’inspiration ». Heureusement aussi que nous avons des structures comme la Quadrature du Net qui tente tant bien que mal d’agir et veiller au grain. Mais la vigilance reste de mise.

European People's Party - CC by

Protection des données dans l’Union Européenne : Les amendements proposés, écrits par des lobbyistes américains

EU Data Protection: Proposed Amendments Written by US Lobbyists

Glyn Moody – 11 février 2013 – ComputerWorld.uk
(Traduction : Fly, Alpha + anonymes)

Il devient évident que le lobby autour des directives européennes sur la protection des données est l’un des plus intenses lobbys jamais rencontrés, certains activistes ont déclaré que le phénomène était même pire que durant le projet de loi ACTA, alors que du côté des États-Unis, le bruit court qu’une guerre commerciale est sur le point d’être lancée si la loi est voté sous sa forme actuelle.

Etant donné la pression exercée pour affaiblir la protection de notre vie privée, une question-clé est : qui défend nos intérêts ?. La réponse évidente serait les députés européens, puisqu’il s’agit de nos représentants élus au Parlement Européen. Leur travail consiste précisément à nous représenter et dans ces circonstances particulières et à nous défendre. Et certains, tel le député européen Vert, Jan Albrecht, font probablement de leur mieux, comme j’ai pu l’écrire dans un billet précédent. Mais qu’en est-il du reste ? Que font-ils exactement ?

Dans le passé il était impossible de répondre à cette question, mais grâce aux miracles de la technologie moderne, et à l’avènement de l’ouverture des données qui permettent l’accès à toutes sortes d’informations. Il est désormais possible d’obtenir une vision claire de ce que font nos représentants européens.

Un nouveau site a été créé, il porte le nom plutôt lourd de LobbyPlag (NdT : Association des mots lobby et plagiat). Aussi disgracieux, que son nom puisse être, ce site ne décrit pas moins une vérité choquante : les députés européens proposent des amendements sur le projet de loi sur la protection des données qui reprennent mot pour mot les propositions des lobbyistes. En tout état de cause, ce qui est inquiétant ici n’est pas le plagiat, mais plutôt le fait que les mesures destinées à protéger les populations européennes soient supprimées ou altérées par les mêmes personnes que nous avons élues pour nous défendre.

Voici par exemple, un paragraphe important sur le fichage. On peut lire, sur la version originale :

Chaque personne physique (NdT : every natural person) doit avoir le droit de ne pas être soumis à une mesure entraînant des effets juridiques relatifs à cette personne physique particulière ou l’atteignant de manière significative, dès lors qu’elle se base uniquement sur un traitement automatisé ayant pour but l’analyse ou la prédiction de certains aspects personnels en lien avec cette personne physique, en particulier, l’efficacité au travail, la situation financière, la localisation, la santé, les préférences personnelles, la fiabilité, ou le comportement de cette personne physique.

Mais la Chambre de Commerce américaine, cette célèbre organisation européenne, n’aimait pas cette version et a souhaité la changer en :

Une personne concernée par la collecte des données (NdT : a data subject) ne doit pas faire l’objet d’une décision injuste ou discriminatoire uniquement basée sur le traitement automatisé ayant pour but l’évaluation de certains aspects personnels liés à cette personne.

Ce qui est sensiblement différent car on supprime ici un droit important.

Or quel texte a été proposé par des députés européens dans pas moins de trois commissions ? Le voici :

Une personne concernée par la collecte des données ne doit pas faire l’objet d’une décision injuste ou discriminatoire uniquement basée sur le traitement automatisé ayant pour but l’évaluation de certains aspects personnels liés à cette personne.

Ce qui correspond donc mot pour mot à la demande de la Chambre de Commerce américaine.

Voici un exemple explicite, issu d’une section extrêmement récente, rédigée par des députés européens, on peut y lire ce qui suit :

La personne responsable est supposée avoir accompli les obligations en exergue dans le paragraphe 1,lorsqu’il s’agit de choisir un organisme certifié de manière autonome ou ayant obtenu une certification, un sceau ou marqué comme étant conforme aux articles 38 ou 39 de ce Réglement, démontrant l’implémentation de normes techniques et de mesures organisationnelles appropriées en réponse aux exigences mises en exergue dans ce Règlement.

Ce qui rend la certification autonome quasiment suffisante pour les services de cloud computing. Alors, d’où vient ce texte sinon d’une modification précise suggérée par Amazon ?

La personne responsable est supposée avoir accompli les obligations en exergue dans le paragraphe 1,lorsqu’il s’agît de choisir un organisme certifié de manière autonome ou ayant obtenu une certification, un sceau ou marqué, démontrant l’implémentation de normes techniques et de mesures organisationnelles appropriées en réponse aux exigences mises en exergue dans ce Règlement.

Ce qui donc, par une autre extraordinaire coïncidence, est quasiment identique à ce que des députés européens ont choisi comme une très bonne idée.

LobbyPlag fournit une analyse intéressante sur le pourcentage d’amendements proposés avec du contenu repris des lobbyistes. Ci-dessous les chiffres pour les députés anglais calculés par le site :

  • Giles Chichester (giles.chichester@europarl.europa.eu): amendements repris des lobbys : 10 sur 44 (22.73%)
  • Malcolm Harbour (malcolm.harbour@europarl.europa.eu): amendements repris des lobbys : 14 sur 55 (25.45%)
  • Sajjid Karim (sajjad.karim@europarl.europa.eu): amendements repris des lobbys : 13 sur 55 (23.64%)
  • Emma McClarkin (emma.mcclarkin@europarl.europa.eu): amendements repris des lobbys : 1 sur 8 (12.50%)

Malheureusement, à l’heure actuelle, aucun de ces députés européens ne me représente donc je ne pourrais pas les contacter. Mais si l’un de vos députés apparaît, ils ont le devoir de vous répondre donc peut-être que vous devriez leur envoyer un courriel et leur demander pourquoi ils ont proposé ces amendements qui sont repris mot-à-mot ou presque d’entreprises américaines et de lobbyistes et que cela nuira à la population européenne tout en bénéficient à ces mêmes entreprises américaines.

Vous pourriez leur demander qui ils pensent représenter réellement : vous et 500 millions citoyens européens dont les impôts paient leurs salaire, qui s’élève actuellement à 80.000 £ par an (NdT : 93 000 € environ) ou alors, une poignée d’entreprises américaines ayant pour but de nous spolier notre vie privée pour pouvoir devenir encore plus riche ?

Si jamais vous recevez un réponse intéressante, merci de me l’envoyer à glyn.moody(AT)gmail.com que je puisse la partager avec mes lecteurs. Je suis certain que les explications seront passionnantes.

Crédit photo : European People’s Party (Creative Commons By)




Aaron Swartz n’était pas un hacker solitaire mais le membre d’une armée

Nous ne sommes pas des criminels et nous sommes de plus en plus nombreux à rejoindre les rangs de l’armée d’Aaron Swartz.

Le 24 janvier dernier s’est déroulée une émouvante cérémonie à la mémoire d’Aaron Swartz, dans ce lieu hautement symbolique qu’est l’église de San Francisco qui abrite l’Internet Archive.

Parmi les personnalités qui se sont succédées, il y eut ainsi sa fiancée Taren Stinebrickner-Kauffman, le fondateur d’Internet Archive Brewster Kahle ( allocution remarquée par Calimaq qui en a fait un billet dédié) et son ami Carl_Malamud, fondateur de Public.Resource.org.

C’est cette dernière intervention que nous vous proposons traduite ci-dessous (disponible ici en vidéo).

« J’aimerais que nous puissions changer le passé, mais c’est impossible. Par contre, nous pouvons changer le futur, et nous le devons. »

Open Knowledge Foundation - CC by-sa

L’armée d’Aaron

Aaron’s Army

Carl Malamud – 24 janvier 2013 – PublicRessource.org
(Traduction : brandelune, aKa, Lamessen, KoS, Pouhiou, Garburst, Luc, Tr4sK, Astalaseven)

Ne croyez pas un instant que le travail d’Aaron sur JSTOR était l’acte incohérent d’un hacker solitaire, un peu fou, un téléchargement massif un peu dingue décidé sur un coup de tête.

Depuis longtemps, JSTOR a fait l’objet de critiques cinglantes de la part du net. Dans une conférence, Larry Lessig a qualifié JSTOR d’outrage à la morale et je dois vous avouer qu’il me citait. Nous n’étions pas les seuls à attiser ces flammes.

Emprisonner la connaissance derrière des péages, en rendant les journaux scientifiques accessibles uniquement à quelques gamins suffisamment fortunés pour aller dans des universités de luxe et en demandant vingt dollars par article pour le reste d’entre nous, était une plaie purulente qui choquait beaucoup de gens.

De nombreux auteurs de ces articles furent gênés que leur travail soit devenu la marge de profit de quelqu’un, un club privé du savoir réservé à ses adhérents.

Beaucoup d’entre nous ont aidé à attiser ce feu. Beaucoup d’entre nous s’en sentent coupables, aujourd’hui.

Mais JSTOR n’était qu’une des nombreuses batailles. On a essayé de dépeindre Aaron comme un hacker solitaire, un jeune terroriste à l’origine d’un carnage numérique qui fit 92 millions de dollars de dégâts.

Aaron n’était pas un loup solitaire, il faisait partie d’une armée, et j’ai eu l’honneur de m’engager à ses côtés pendant une décennie. De nombreuses choses ont été dites sur sa vie hors du commun, mais ce soir je ne parlerai que d’un aspect de celle-ci.

Aaron faisait partie d’une armée de citoyens qui pensent que la démocratie ne fonctionne que si les citoyens sont informés, s’ils connaissent leurs droits et leurs devoirs. Une armée qui estime que nous devons rendre la justice et le savoir accessibles à tous, et pas uniquement à ceux qui sont bien nés ou qui ont saisi les rênes du pouvoir, afin que nous puissions nous gouverner de manière plus éclairée.

Aaron faisait partie d’une armée de citoyens qui rejette les rois et les généraux et qui croit au consensus général et à son application pratique immédiate.

Nous avons travaillé ensemble sur une douzaine de bases de données gouvernementales. Lorsque nous travaillions sur quelque chose, les décisions n’étaient pas irréfléchies. Notre travail prenait souvent des mois, parfois des années, parfois même une décennie, mais Aaron Swartz n’a pas eu droit à sa part de décennies.

Longtemps, nous avons observé et bidouillé la base de donnée du droit d’auteur américain, un système si vieux qu’il utilisait encore WAIS. Le gouvernement , croyez-le ou non, avait revendiqué le droit d’auteur sur cette base de données du droit d’auteur. Il m’est impossible de concevoir qu’il puisse y avoir des droits d’auteur sur une base de données qui découle directement de la constitution des États-Unis, mais nous savions que nous jouions avec le feu en enfreignant les clauses d’utilisations. Nous étions donc très attentifs.

Nous avons récupéré ces données. Elles ont été utilisées pour alimenter l’Open Library d’Internet Archive ainsi que Google Books. Puis, nous avons reçu une lettre du Bureau du droit d’auteur indiquant qu’il abandonnait son droit d’auteur sur cette base de données. Mais avant cela, nous avons dû consulter de nombreux avocats par crainte que le gouvernement nous traîne devant les tribunaux pour téléchargement massif, malveillant et prémédité.

Ce n’était pas une agression irréfléchie. Nous travaillions sur les bases de données pour les améliorer, pour aider au fonctionnement de notre démocratie, pour aider notre gouvernement. Nous n’étions pas des criminels.

Lorsque nous avons libéré 20 millions de pages de documents de l’U.S District Court de leur péage à 8 cents par page, nous avons découvert que ces fichiers publics étaient infestés d’atteintes à la vie privée : noms de mineurs, noms d’informateurs, dossiers médicaux, dossiers psychiatriques, rapports financiers, des dizaines de milliers de numéros de sécurité sociale.

Nous étions des lanceurs d’alerte et nous avons transmis nos résultats aux juges en chef de 31 cours de justice de district et ces juges ont été choqués, consternés. Ils ont modifié ces documents puis ont incendié les avocats qui les avaient remplis. Finalement, la Conférence judiciaire a changé ses règles de respect de la vie privée.

Mais savez-vous ce qu’ont fait les bureaucrates qui dirigent le Bureau Administratif de la Cour des États-Unis ? Pour eux, nous n’étions pas des citoyens ayant amélioré les données publiques, nous étions des voleurs qui les privions d’1,6 millions de dollars.

Ils ont donc appelé le FBI et ont dit qu’ils avaient été hackés par des criminels, une bande organisée qui mettait en péril leur revenu de 120 millions de dollars provenant de la vente de documents publics du gouvernement.

Le FBI s’est installé devant la maison d’Aaron. Il l’ont appelé et ont essayé de le piéger pour qu’il les rencontre sans son avocat. Le FBI a installé deux agents armés dans une salle d’interrogatoire avec moi pour nous faire avouer les dessous de cette conspiration présumée.

Mais nous n’étions pas des criminels, nous étions seulement des citoyens.

Nous n’avons rien fait de mal. Ils n’ont rien trouvé. Nous avions fait notre devoir de citoyen et l’enquête du gouvernement n’a rien trouvé de répréhensible mais ce fut une perte de temps et d’argent.

Si vous voulez faire peur, faites asseoir quelqu’un avec deux agents fédéraux pendant un moment et vous verrez la vitesse à laquelle son sang se glace.

Il y a des gens qui affrontent le danger tous les jours pour nous protéger — les policiers, les pompiers et les services d’urgence — je leur en suis reconnaissant et je suis ébahi par ce qu’ils font. Mais le travail des gens comme Aaron et moi, faire des DVD et faire tourner des scripts shell sur des documents publics, ne devrait pas être une profession dangereuse.

Nous n’étions pas des criminels, mais des crimes furent commis, des crimes contre l’idée même de la justice.

Quand la procureure fédérale a dit à Aaron qu’il devrait plaider coupable de treize crimes pour avoir tenté de propager le savoir avant qu’elle ne puisse envisager de négocier sa peine, c’était un abus de pouvoir, une utilisation frauduleuse du système de justice criminelle, un crime contre la justice.

Et la procureure fédérale n’a pas agi seule. Elle fait partie d’un groupe dont l’intention est de protéger la propriété, pas les gens. Tous les jours, partout aux États-Unis, des démunis n’ont pas accès à la justice et sont confrontés à ces abus de pouvoir.

C’était un crime contre le savoir qu’une organisation à but non lucratif telle que JSTOR transforme un téléchargement qui n’a causé aucun préjudice ni dommage, en une procédure fédérale de 92 millions de dollars.

Et le monopole de JSTOR sur la connaissance n’est pas unique. Partout aux États-Unis, des sociétés ont planté leurs griffes sur les champs de l’éducation : universités privées qui volent nos vétérans, organismes de normalisation à but non lucratif qui rationnent les codes de sécurité publique alors qu’ils payent des salaires d’un million de dollars, et les conglomérats multinationaux qui évaluent la valeur des articles scientifiques et des documents juridiques à l’aune de leur marge brute.

Dans le procès JSTOR, la position plus qu’agressive des procureurs du Département de la Justice et des agents de la force publique était-elle une vengeance liée à l’embarras de nous avoir vu nous tirer à bon compte, en tout cas à leur yeux, de l’affaire du PACER ? Est-ce que la poursuite sans merci de JSTOR était la revanche de bureaucrates embarrassés d’avoir été ridiculisés dans le New York Times, d’avoir reçu un blâme du Sénat ?

Nous n’aurons probablement jamais la réponse à cette question, mais il semble certain qu’ils ont détruit la vie d’un jeune homme par simple abus de pouvoir. Ce n’était pas une question criminelle, Aaron n’était pas un criminel.

Si vous pensez posséder quelque chose et si je pense que ce bien est public, il me semble juste de vous voir au tribunal. Si vous avez raison et que je vous ai fait du tort, je prendrais mes responsabilités. Mais quand nous retournons le bras armé de la Loi contre les citoyens qui contribuent à accroître l’accès à la connaissance, nous brisons l’esprit de la loi, nous profanons le temple de la justice.

Aaron Swartz n’était pas un criminel. C’était un citoyen et un soldat courageux dans une guerre qui continue aujourd’hui, une guerre dans laquelle des profiteurs corrompus et vénaux essayent de voler, de profiter, d’assécher notre domaine public au profit de leurs gains privés.

Quand des gens essaient de restreindre l’accès à la loi, ou qu’ils essaient de collecter des droits de péage sur les routes du savoir, ou refusent l’éducation à ceux qui n’ont pas de moyens, c’est eux qui devraient subir le regard sévère d’un procureur outragé.

Ce que le Département de la justice a fait endurer à Aaron pour avoir essayé de rendre notre monde meilleur, ils peuvent vous l’infliger. Notre armée n’est pas réduite à un loup solitaire, elle est forte de milliers de citoyens, beaucoup d’entre vous dans cette pièce, qui se battent pour la justice et le savoir.

J’affirme que nous sommes une armée, et je mesure bien l’usage de ce mot car nous affrontons des personnes qui veulent nous emprisonner pour avoir téléchargé une base de données afin de l’examiner de plus près, nous affrontons des personnes qui croient qu’ils peuvent nous dire ce que nous pouvons lire et ce que nous pouvons dire.

Mais quand je vois notre armée, je vois une armée qui crée au lieu de détruire. Je vois l’armée du Mahatma Gandhi marchant pacifiquement vers la mer pour récolter du sel pour les gens. Je vois l’armée de Martin Luther King marchant pacifiquement mais avec détermination sur Washington pour réclamer ses droits, car le changement ne coule pas de source, il provient de luttes continues.

Quand je vois notre armée, je vois l’armée qui crée de nouvelles opportunités pour les pauvres, une armée qui rend notre société plus juste et plus égalitaire, une armée qui rend le savoir universel.

Quand je vois notre armée, je vois les gens qui ont créé Wikipédia et l’Internet Archive. Je vois ceux qui ont programmé GNU, Apache, BIND et Linux. Je vois ceux qui ont fait l’EFF et les Creative Commons. Je vois les gens qui ont créé notre internet en tant que cadeau au monde.

Quand je vois notre armée, je vois Aaron Swartz et j’ai le cœur brisé. Nous avons vraiment perdu l’un de nos anges gardiens.

J’aimerais que nous puissions changer le passé, mais c’est impossible. Par contre, nous pouvons changer le futur, et nous le devons.

Nous le devons à Aaron, nous nous le devons à nous-mêmes, nous le devons pour rendre notre monde meilleur, en faire un lieu plus humain, un endroit où la justice fonctionne et où l’accès à la connaissance est un droit de l’Homme.

Crédit photo : Open Knowledge Foundation (Creative Commons By)