Il pleut des nouveaux projets actuellement chez Framasoft !
Framazic, c’est l’impressionnant résultat du stage universitaire que notre plus jeune recrue Martin Gubri a réalisé chez nous l’été dernier. Et le mieux c’est encore de lui céder la parole pour vous le présenter.
PS : Il pleut des nouveaux projets mais un peu moins de dons, alors si votre CB a envie de prendre un peu l’air…
Entretien avec Martin Gubri
Framazic ? Qu’est-ce que tu me chantes là ?
Eh oui encore un nouveau projet Framasoft ! Il s’agit cette fois de mettre l’accent sur la culture dite libre. L’élargissement des perspectives de la Framagalaxie s’était déjà amorcé depuis un moment : Framabook, avec sa collection de livres libres incluant de plus en plus d’essais, de BD, et même un roman ; FramaDVD qui embarque quelques textes, images, vidéos et musiques libres ; le Framablog, bien sûr, dont les sujets vont même au-delà de la culture et du logiciel libres ; Framakey avec notamment sa récente version Wikipedia ; et maintenant donc Framazic !
C’est en fait un portail dédié à la promotion de la musique libre : explication du concept et du fonctionnement des licences libres, des enjeux artistiques et culturels liés à la musique libre, ainsi que des problèmes que pose actuellement le système actuel du marché de la musique non-libre. Le discours est à la fois destiné aux personnes qui aiment la musique (ou pas !), aux musiciens, et aux diffuseurs. Ce qu’on observe c’est que chacun a son niveau peut y trouver un intérêt, qu’il s’agisse de créer, écouter ou partager de la musique sous licence libre.
Framazic c’est donc, si vous préférez, une porte d’entrée vers la musique libre. Vous y trouverez aussi une liste de plateformes et de sites hébergeant de la musique sous licence libre et de libre diffusion, et une sélection de quelques bons morceaux[1], sous licence Creative Commons Zéro, By, By-sa, ou encore Art libre. Chaque album sélectionné est disponible en téléchargement sur le site.
J’espère que mon travail pourra faire connaître et ouvrira des perspectives sur cette formidable opportunité qui nous est aujourd’hui offerte.
Qu’est-ce que tu ne nous chanteras pas avec Framazic ?
Précisons tout d’abord que Framazic n’est pas une nouvelle plateforme de musique libre.
Il n’est en aucun cas question de faire concurrence ou de l’ombre à des associations comme Dogmazic qui font très bien leur travail et depuis longtemps. Nous hébergeons uniquement quelques morceaux et quelques albums pour donner un premier goût de ce que peut être la musique sous licence libre. Il existe déjà de multiples sites qui hébergent de la musique libre. Mais rares sont ceux qui prennent le temps de tenter d’expliquer clairement ce qu’est une licence libre, une licence de libre diffusion, son fonctionnement, ses enjeux, etc. L’exception est peut-être la documentation de Dogmazic qui est riche quoiqu’assez austère.
À qui est-ce destiné ?
Comme je l’ai indiqué sur le site, ces explications s’adressent à trois publics :
- aux mélomanes, qui veulent comprendre la musique libre,
- aux musiciens, qui souhaitent se renseigner pour éventuellement faire passer leurs œuvres sous licence libre,
- aux diffuseurs, c’est-à-dire toute personne qui pourrait diffuser de la musique (dans un cadre commercial ou non). Par exemple les commerces, les festivals et fêtes accueillant du public, les bibliothèques, les écoles (kermesse), etc. Sans oublier évidemment les particuliers.
Mais est-ce bien « PUR » ?
Pour faire une belle réponse de Normand : ptêt’ ben qu’oui, ptêt’ ben qu’non 🙂
Oui, parce que la musique libre est légale. La licence libre permet de renverser le sens du droit d’auteur. On passe du restrictif (le fameux « touts droits réservés ») au permissif (« certains droits réservés »). Mais ce changement est légal : l’auteur possède des droits qu’il utilise comme il le souhaite.
Non, parce que nous pensons que la musique non-libre est dans un contexte bien morose, et que Hadopi n’est pas la bonne solution. Pour faire court, on va dire qu’il y a deux principaux problèmes : le système actuel ultra-verrouillé qui répartit bien trop inégalement les revenus issus de la musique, et la soumission des musiciens qui arrivent à percer au bon vouloir des majors.
Les entreprises et organismes faisant partie de « l’industrie culturelle » appliquent un ancien modèle économique qui a marché, mais qui est maintenant totalement dépassé avec le numérique. Plutôt que de combattre le partage de contenu sur Internet, les majors feraient mieux de repenser leur fonctionnement, leurs offres, leur problématique. Par exemple, se focaliser sur la crise du CD n’a pas de sens : est-ce que l’on va pleurer sur la disparition de la cassette ? Le CD est un support qui appartient au passé, il est normal qu’il disparaisse, alors le prendre comme un indicateur du « mal » que peut causer le téléchargement illégal est juste une énorme blague. De plus, l’intérêt des maisons de disque n’est pas le même que celui des artistes. Crier sur tous les toits que la mort du CD signifie la disparition des artistes (et des bébés phoques) est juste faux. Les principaux perdants dans l’histoire ce sont les majors qui prennent des marges énormes sur les ventes physiques et immatérielles, pas les artistes. Les musiciens ne perçoivent qu’une petite part des bénéfices engendrés via ce canal, ce qui fait que le pourcentage dans leurs revenus des ventes des CD et des fichiers numériques reste faible par rapport aux sommes apportées par les concerts, les diffusions (redistribuées par la Sacem notamment), les produits dérivées, etc.
Trollons : la clause NC c’est du libre ?
J’ai voulu apporter une position claire sur le sujet, en distinguant les licences libres des licences de libre diffusion. Dès que l’on a affaire à une clause NC (pas d’usage commercial) ou ND (pas de modification), la licence ne peut pas être qualifiée de libre, au sens où nous l’entendons nous, c’est-à-dire celui du logiciel libre. Nous avons repris la classification de Wikipédia. D’une part, pour être clair, il faut poser des catégories bien définies. Et d’autre part, je pense honnêtement que dès que l’on utilise une de ces clauses, on restreint la diffusion, ce qui ne permet pas d’assurer la pérennité, la stabilité juridique, et les possibilités de « remix » de la culture. Un exemple concret : la rédaction assez floue de la clause NC dans les Creative Commons 3.0 qui autorise certaines dérives, comme le récent accord Creative Commons-Sacem, et sur lequel je reviendrai dans la question suivante.
Les clauses BY et SA permettent déjà selon moi de bien protéger son œuvre. Par exemple, un publicitaire ne voudra ni s’encombrer de mettre son spot sous licence libre, ni « perdre » quelques caractères pour citer l’artiste, là où la seconde vaut cher. Il préférera signer un contrat et payer le musicien pour lever les clauses qui l’indisposent. Ça n’engage que moi, mais je pense que de manière générale dans la musique, la clause SA permet à peu de chose près d’interdire par défaut (c’est à dire sans l’autorisation du propriétaire des droits) les mêmes utilisations qu’une clause NC, mais avec tous les avantages de la licence vraiment libre. Quelqu’un qui voudra payer pour lever une clause NC, sera aussi prêt à payer pour lever une clause SA. Dire que les modifications doivent porter la même licence est beaucoup plus facile à appliquer, définir, et respecter, que de classifier des cas d’utilisations commerciales et non-commerciales. Ma position est donc claire là-dessus, je ne conseille pas la clause NC.
Pourquoi avoir créé Framazic ?
Il y a plusieurs raisons à cela. La première est que globalement la musique libre reste assez mal connue, même dans le monde du logiciel libre. Et plus généralement j’ai pu constater en parlant à des proches que le fonctionnement du droit d’auteur reste assez mal connu. Par exemple, nombre de personnes pensent que par défaut une création est libre, et qu’il faut faire un dépôt pour profiter de ses droits. Alors qu’en réalité, dès la création, même incomplète, d’une œuvre, elle est déjà protégée par le droit d’auteur. Une musique n’est donc par défaut pas libre. Et sans mention de licence, vous n’avez aucune autorisation sur les morceaux (à part les exceptions prévues par le droit d’auteur).
La deuxième raison, dont on a déjà commencé à parler, est que les plateformes de musique libre fournissent assez peu (ou de manière trop discrète) d’explications. Ou pire, introduisent sciemment ou non de la confusion pour ne pas dire plus. On pense bien sûr à Jamendo, qui, même si le site est joli, commence à se traîner une assez mauvaise réputation. Nous ne détaillerons pas les cas de respect tout relatif des licences et des artistes, mais concentrons-nous sur la terminologie employée. Alors qu’après quelques plaintes les termes avaient changé, Jamendo continue de parler de musique « libre de droits ». Autant dire que l’image çi-dessous fait mal aux yeux… Même si libre de droits n’est utilisé qu’une seule fois, c’est dans le titre et donc ce que l’on retient le plus. Quelques explications : la musique libre n’est pas libre de droits. Le libre de droits signifie qu’il n’y a plus de droits d’auteur, on parle donc du domaine public. Ce n’est pas le cas de la musique présente sur Jamendo : elle est encore sous le régime du droit d’auteur. On pourrait résumer ce que dit une licence par « certains droits réservés », autrement dit, la licence libre ne donne pas tous les droits ! Il ne faut donc surtout pas confondre musique libre et musique libre de droits, sinon on piétine le principe du Copyleft.
Ce qui nous amène à un troisième point : j’espère que Framazic à son petit niveau contribuera à défendre l’intégrité de la musique libre. Ne pas confondre libre et libre diffusion, libre et domaine public (même si la musique du domaine public fait aussi partie de la musique libre) sont des points importants à défendre.
Un autre risque actuel de la musique en libre diffusion sur lequel j’ai voulu prendre position, est l’accord passé entre la Sacem et Creative Commons. Vous trouverez plus de détails sur Framazic, mais pour faire court, cet accord pose deux problèmes majeurs. Le premier est que les sociétaires de la Sacem peuvent choisir une licence Creative Commons pour leurs œuvres (ce qui est à priori une bonne nouvelle, puisque signe d’ouverture de la part de la Sacem), mais elle doit forcément comporter la clause NC. Cette obligation est encore un signe de l’axe plus économique que qualitatif qu’elle a pris. Le deuxième, plus pervers, est que la Sacem réinterprète la notion de commercialité, et donc de non-commercialité. Ainsi un grand nombre d’utilisations précédemment considérées comme non-commerciales le deviendront pour les œuvres bénéficiant de cet accord. Nombre de petites structures sans trésorerie ne peuvent pas se permettre de payer les forfaits de la Sacem. Appliquera-t-elle réellement une vision aussi restreinte de la non-commercialité que ce qu’elle a annoncé dans sa FAQ ? Le mystère reste entier ! Mais ce flou juridique n’est pas de bon augure.
Enfin, Framazic est aussi destiné aux musiciens pour les encourager à utiliser (au moins sur une partie de leur répertoire) des licences libres. Ouvrir les permissions sur ses œuvres, c’est faire tomber les barrières et donc augmenter sa visibilité. Framazic propose aussi un accompagnement pratique, en guidant les musiciens qui veulent mettre leurs œuvres sous licences libres. J’espère que ce projet inspirera des musiciens et les encouragera à continuer de créer !
T’es quoi toi ?
Un inconnu qui fait de la trad’ pour Framalang et le Framablog depuis trois ans à mon rythme et plus ou moins souvent 🙂 Je fais partie depuis décembre dernier de l’association (et à 21 ans je suis le plus jeune de l’asso[2]), et ce rôle me tient à cœur. Je dois avouer que gérer, discuter et prévoir l’avenir de ces initiatives aussi diverses que fédèrent Framasoft est aussi passionnant que chronophage ! J’ai réalisé Framazic pendant l’été, durant mes deux mois de stage chez Framasoft, plus environ un mois supplémentaire pour finir. Je suis assez content de vous présenter aujourd’hui ce projet puisque ça représente pas mal d’énergie et d’heures de travail, et parce que c’est ma première contribution de taille au sein de Framasoft.
Quelles évolutions sont à prévoir pour Framazic ?
À l’origine Framazic devait n’être qu’une présentation rapide de la musique libre, et surtout une compilation de morceaux sous licence libre distribuées en CD, DVD, voire sur d’autres supports. J’ai fait évoluer le projet différemment. Je trouvais qu’on pouvait difficilement effleurer le sujet, sans détailler les explications, et faire un travail de fond. De plus, réduire la quantité d’informations aurait conduit à s’adresser à un public plus réduit. S’ouvrir par exemple aux diffuseurs est à la fois très intéressant pour la promotion de la musique libre, mais entraîne aussi plus de complexité et un certain niveau de responsabilité.
Bref, j’ai plus orienté le projet sur un travail de contenu assez détaillé, et sur la production de quelques ressources réutilisables (la transcription, traduction et VF d’une vidéo de présentation des Creative Commons, des représentations statistiques de l’extrême concentration qu’on observe sur le marché de la musique, etc.).
Cependant l’idée originelle de faire une sélection de musique plus étendue n’est pas abandonnée ! Nous devrions donc, dans un délai encore inconnu, proposer une sélection plus importante de musique et surtout la diffuser sous forme de supports physiques. Rien n’est figé, tout est envisageable concernant son évolution ! Donc si vous avez une idée géniale, partagez-la avec nous 🙂
Et si on veut participer ?
Je pense qu’il va en effet y avoir encore du travail. Quelques paragraphes ne sont pas encore rédigés et il doit rester, malgré les nombreuses relectures, des coquilles et fautes d’orthographe. Quels que soient le temps et l’énergie que vous voulez consacrer au projet, n’hésitez pas à nous faire des propositions et à nous remonter des erreurs grâce au formulaire de contact.