Détruire le capitalisme de surveillance – 6 et fin

Voici la sixième et dernière partie de notre traduction de l’essai que consacre Cory Doctorow au capitalisme de surveillance pour le déconstruire.

Billet original sur le Medium de OneZero : How To Destroy Surveillance Capitalism

Traduction Framalang pour cette partie : Claire, Fabrice, goofy, Jums, Susyl, anonymes

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Les Fake news comme crise épistémologique

La Tech n’est pas la seule industrie qui ait subi une concentration massive depuis l’ère Reagan. Quasiment toutes les grandes industries, depuis le pétrole jusqu’à la presse, en passant par l’emballage, le fret maritime, les lunettes, mais aussi la pornographie en ligne, sont devenues des oligarchies sélectives dominées seulement par une poignée de participants.

Dans le même temps, chaque industrie est devenue, en quelque sorte, une industrie technologique, puisque, d’une part, les ordinateurs polyvalents et les principaux réseaux et d’autre part la promesse d’efficacité à travers de l’analyse des données injectent de la technologie dans chaque appareil, chaque processus et chaque entreprise.

Ce phénomène de concentration industrielle fait partie d’une situation plus large de concentration des richesses en général, étant donné qu’un nombre toujours plus réduit de personnes possède une part croissante de notre monde. Cette concentration des richesses et des industries signifie que nos choix politiques sont de plus en plus tributaires des intérêts des personnes et des entreprises qui possèdent toutes ces richesses.

Cela signifie que lorsqu’un régulateur pose une question à laquelle la réponse est empirique (par exemple : « Les hommes sont-ils responsables du changement climatique ? » ou bien « Devons-nous laisser les entreprises s’adonner à la surveillance commerciale de masse ? » ou encore « La société tire-t-elle des avantages de l’autorisation de violations de la neutralité des réseaux ? »), la réponse qui en découle sera exacte uniquement si elle est conforme à celle proposée par les riches et les industries qui les rendent si riches.

Les riches ont toujours joué un rôle démesuré en politique, d’autant plus depuis la décision depuis l’arrêt Citizens United de la Cour suprême qui supprime des moyens décisifs de contrôle des dépenses électorales. Creuser les inégalités et concentrer les richesses signifie que les plus riches sont maintenant beaucoup plus riches et peuvent se permettre de dépenser beaucoup plus d’argent pour des projets politiques qu’auparavant. Pensez aux frères Koch, à George Soros ou à Bill Gates.

Mais les distorsions politiques des riches sont négligeables en comparaison des distorsions politiques dont les secteurs industriels centralisés sont capables. Les entreprises de ces secteurs industriels hautement centralisées sont beaucoup plus rentables que les entreprises de secteurs concurrentielles : pas de concurrence veut dire pas besoin de casser les prix ou d’améliorer la qualité pour gagner des clients, ce qui leur permet de dépenser leurs excédents de capitaux en lobbying.

Il est aussi plus facile pour les industries centralisées de collaborer sur des objectifs stratégiques plutôt que d’entrer en concurrence directe. Lorsque tous les cadres exécutifs de votre industrie peuvent se réunir autour d’une seule table, ils le font. Et souvent, lorsqu’ils le font, ils peuvent s’accorder sur un consensus autour des régulations.

Grimper les échelons dans une industrie centralisée veut généralement dire travailler pour deux ou trois grandes entreprises. Quand il n’y a qu’un nombre relativement réduit d’entreprises dans un secteur, chaque entreprise a ses échelons exécutifs sclérosés, qui ne laissent aux cadres ambitieux que très peu de possibilités de promotion, à moins d’être recrutés par un concurrent. Il est probable que le gratin des cadres exécutifs d’un secteur centralisé ont tous été collègues à un moment, qu’ils ont évolué dans les mêmes cercles sociaux, qu’ils se sont rencontrés via leurs relations sociales ou, par exemple, en étant administrateur des biens des autres. Ces relations étroites favorisent une attitude collégiale plutôt que concurrentielle.

Les industries hautement concentrées sont également des casse-têtes à réglementer. Dans une industrie dominée par seulement quatre ou cinq sociétés, les seules personnes susceptibles de vraiment en comprendre les pratiques sont les anciens cadres exécutifs de ce secteur. Cela signifie que les hauts dirigeants des services de régulation sont souvent les anciens cadres des entreprises qu’ils sont censés réguler. Cette rotation de la gouvernance est souvent tacitement considérée comme une forme d’absence autorisée, et les anciens employeurs accueillent alors à nouveau volontiers dans leurs rangs leurs anciens chiens de garde lorsque leur mandat se termine.

Tout ça pour dire que les liens sociaux étroits, le petit nombre d’entreprises et la mainmise sur les systèmes de réglementation donnent aux entreprises qui composent ces secteurs centralisés le pouvoir de contrôler beaucoup sinon toutes les régulations qui les limitent.

Et c’est de plus en plus visible. Que ce soient des prêteurs sur gages qui gagnent le droit de pratiquer des prêts agressifs, Apple qui gagne le droit de décider qui peut réparer votre téléphone, Google et Facebook qui gagnent le droit d’accéder à vos données personnelles sans aucune conséquence significative, les victoires des entreprises pétrolières, l’impunité des fabricants d’opioïdes, les subventions fiscales massives pour des entreprises dominantes incroyablement rentables, il est de plus en plus évident qu’un grand nombre de nos procédures officielles, basées sur des faits et à la recherche de la vérité, sont, en réalité des ventes aux enchères au plus offrant.

Il est vraiment impossible de surestimer l’ampleur de cette perspective terrifiante. Nous vivons dans une société incroyablement high-tech et aucun de nous ne pourrait acquérir l’expertise nécessaire pour évaluer chacune des propositions technologiques qui nous séparent de notre horrible disparition finale. Vous pourriez passer une vie entière à acquérir les compétences numériques pour distinguer les publications scientifiques fiables des faux-semblants financés par la corruption, tout comme acquérir les connaissances en microbiologie et épidémiologie pour savoir si les déclarations sur la sûreté des vaccins sont recevables. Mais vous seriez toujours incompétent⋅e pour savoir si le câblage électrique de votre maison pourrait vous électrocuter, ou si le logiciel qui pilote les freins de votre voiture ne risque pas de les lâcher sans prévenir, ou encore si l’hygiène de votre boucher est suffisante pour vous éviter de mourir à la fin de votre repas.

Dans un monde aussi complexe que celui-là, nous devons nous en référer aux autorités, et nous nous assurons qu’ils restent honnêtes en leur faisant rendre des comptes et se soumettre à des règles pour éviter les conflits d’intérêts. Nous ne pouvons pas acquérir l’expertise pour émettre un jugement sur les demandes contradictoires concernant la meilleure façon de rendre le monde sûr et prospère, mais nous pourrions déterminer si le processus d’évaluation lui-même est fiable.

Pour le moment, ce n’est pas du tout le cas.

Durant ces quarante dernières années, l’accroissement des inégalités et de la concentration des industries, conjugué à la diminution de la responsabilité et au manque de transparence des organismes experts, ont renforcé le sentiment d’une catastrophe imminente, ce sentiment qu’il existe de grandes conspirations à l’œuvre qui opèrent avec une approbation officielle tacite, malgré la probabilité qu’elles travaillent à leur propre survie sur les ruines de notre monde.

Par exemple, cela fait des décennies que les scientifiques d’Exxon eux-mêmes ont conclu que leur production rendrait la Terre inhabitable par les humains. Et ces décennies sont désormais bel et bien perdues pour nous, en grande partie à cause du lobbying d’Exxon auprès des gouvernements et de l’instillation de doutes sur la dangerosité de sa production, et ce avec l’appui de beaucoup d’agents de l’État. Lorsque votre survie et celle de votre entourage sont menacées par des conspirations, il n’est pas anormal de commencer à s’interroger sur les choses que vous pensez connaître pour tenter de savoir si elles sont, elles aussi, le résultat d’une autre conspiration.

L’effondrement de la crédibilité de nos systèmes face aux vérités révélées nous a laissé dans un état de chaos épistémologique. Avant, la plupart d’entre nous pensaient que le système fonctionnait et que nos régulations reflétaient le meilleur des vérités empiriques de notre monde, car elles étaient mieux comprises. Désormais, nous devons trouver nos propres experts pour nous aider à trier le vrai du faux.

Si vous êtes comme moi, vous devez probablement croire que les vaccins sont sûrs, mais (comme moi) vous ne pouvez pas expliquer la microbiologie ou les statistiques. Peu d’entre nous possèdent les capacités en mathématiques suffisantes pour pouvoir lire les documents sur la sûreté des vaccins et décrire en quoi leurs statistiques sont valides. De même, peu d’entre nous peuvent examiner la documentation sur la sûreté des opioïdes (désormais discréditée) et expliquer en quoi ces statistiques étaient manipulées. Les vaccins comme les opioïdes ont été acceptés par le corps médical, après tout, et pourtant les uns sont sûrs tandis que les autres pourraient détruire votre vie. Il ne vous reste qu’une myriade de règles au doigt mouillé pour lesquelles vous devez faire confiance aux experts pour vérifier des affirmations controversées et expliquer ensuite en quoi tous ces respectables médecins et leurs recherches évaluées par des pairs sur les opioïdes étaient une aberration, et comment vous savez que la littérature médicale sur la sécurité des vaccins n’est pas, elle aussi, une aberration.

Je suis certain à 100 % que la vaccination est sûre et efficace, mais j’ai aussi un peu de mal à comprendre exactement, précisément, pourquoi j’y crois, étant donné toute la corruption dont j’ai connaissance et les nombreuses fois où on découvre sous le sceau de la vérité un mensonge éhonté pour enrichir toujours plus les ultra-riches.

Les fake news, que ce soit une théorie du complot, une idéologie raciste ou un négationnisme scientifique, ont toujours existé. Ce qui est nouveau aujourd’hui, ce n’est pas le mélange des idées dans le discours public mais la popularité des pires idées dans de ce mélange. La conspiration et le déni ont explosé au même rythme que les inégalités les plus criantes, qui ont elles-mêmes suivi le même chemin que les Géants de la tech, les Géants de l’industrie pharmaceutique, les Géants du catch et les Géants de l’automobile et les Géants du cinéma et les Géants de tout le reste.

Personne ne peut dire avec certitude comment on en est arrivé là, mais les deux camps principaux sont l’idéalisme (la conviction que les personnes qui défendent ces conspirations se sont améliorés à les expliquer, peut-être avec l’aide d’outils d’apprentissage machine) et le matérialisme (les idées sont devenues plus séduisantes en raison des conditions matérielles du monde).

Je suis matérialiste. J’ai été exposé aux arguments des théories conspirationnistes toute ma vie, et je n’ai jamais constaté d’amélioration soudaine de la qualité de ces arguments.

La principale différence réside bien dans le monde, et non dans les arguments. À une époque où les vraies conspirations sont banales, les théories conspirationnistes deviennent de plus en plus vraisemblables.

Nous avons toujours eu des désaccords sur ce qui est vrai, mais aujourd’hui nous avons des désaccords sur la manière dont nous savons si quelque chose est vrai. C’est une crise épistémologique, pas une crise de la croyance. Une crise de la crédibilité de nos exercices de recherche de la vérité, depuis les revues scientifiques (à une époque où les principaux éditeurs ont été pris la main dans le sac en train de publier des revues d’articles payantes avec de la science de pacotille) jusqu’aux instances régulatrices (à une époque où les régulateurs ont pris l’habitude de faire des allers-retours dans le monde des affaires) en passant par l’éducation (à une époque où les universités dépendent de mécénats d’entreprises pour garder la tête hors de l’eau).

Le ciblage – le capitalisme de surveillance – permet de trouver plus facilement des personnes qui subissent cette crise épistémologique, mais ce n’est pas lui qui crée la crise en elle-même. Pour cela, il faut regarder du côté de la corruption.

Et, heureuse coïncidence, c’est la corruption qui permet au capitalisme de surveillance de se développer en démantelant les protections contre les monopoles, en permettant la collecte et la conservation des données personnelles, en autorisant les publicités à être ciblées sans consentement, et en empêchant d’aller ailleurs pour continuer à profiter de vos amis sans vous soumettre à la surveillance commerciale.

La tech, c’est différent

Je refuse les deux variantes de l’exceptionnalisme technologique : d’une part l’idée que la technologie puisse être uniquement exécrable et dirigée par des personnes plus avides ou plus horribles que les dirigeants d’autres secteurs industriels et, d’autre part, l’idée que la technologie est tellement bénéfique, ou qu’elle est si intrinsèquement destinée à la concentration, que personne ne peut lui reprocher son statut monopolistique actuel.

Je pense que la technologie n’est qu’une industrie comme les autres, même si elle a grandi sans véritables contraintes de monopole. Elle a peut-être été la première, mais ce n’est pas la pire et ce ne sera pas la dernière.

Mais il y a un cas de figure où je suis en faveur de l’exception technologique. Je pense que les outils en ligne sont la clé pour surmonter des problèmes bien plus urgents que le monopole de la technologie : le changement climatique, les inégalités, la misogynie et les discriminations fondées sur la race, le genre et d’autres critères. Internet nous permet de recruter des personnes pour mener ces combats et coordonner leurs efforts. La technologie ne remplace pas la responsabilité démocratique, ni l’État de droit, ni l’équité, ni la stabilité, mais elle est un moyen d’atteindre ces objectifs.

Notre espèce a un vrai problème avec la coordination. Tout, du changement climatique au changement social en passant par la gestion d’une entreprise et le fonctionnement d’une famille, peut être considéré comme un problème d’action collective.

Grâce à Internet, il est plus facile que jamais de trouver des personnes qui veulent collaborer à un projet avec vous (d’où le succès des logiciels libres et open source, du financement participatif, des groupes racistes terroristes…) et jamais il n’a été aussi facile de coordonner le travail que vous faites.

Internet et les ordinateurs que nous y connectons possèdent aussi une qualité exceptionnelle : la polyvalence de leur usage. Internet est conçu pour permettre à deux interlocuteurs s’échanger des données, en utilisant n’importe quel protocole, sans l’autorisation d’une personne tierce. La seule contrainte de conception que nous ayons pour produire des ordinateurs, c’est qu’ils doivent être polyvalents. Un ordinateur complet au sens de Turing peut exécuter tous les programmes que nous pouvons exprimer dans une logique symbolique.

Cela signifie que chaque fois qu’une personne avec un besoin particulier de communication investit dans des infrastructures et des moyens techniques pour rendre Internet plus rapide, moins cher et plus robuste, cela bénéficie à tous celles et ceux qui utilisent Internet pour communiquer. Cela signifie également que chaque fois qu’une personne qui a des besoins informatiques particuliers investit pour rendre les ordinateurs plus rapides, moins chers et plus robustes, toutes les autres applications informatiques sont des bénéficiaires potentielles de ce travail.

Pour toutes ces raisons, tous les types de communication sont progressivement absorbés par Internet, et toutes les catégories d’appareils, des avions aux stimulateurs cardiaques, finissent par devenir un ordinateur dans un joli boîtier fantaisie.

Bien que ces considérations n’empêchent pas de réglementer les réseaux et les ordinateurs, elles constituent un appel à la rigueur et à la prudence, car les changements apportés aux cadres réglementaires pourraient avoir des conséquences imprévues dans de très nombreux domaines.

La conséquence de tout cela, c’est que notre meilleure chance de résoudre nos énormes problèmes de coordination – le changement climatique, les inégalités, etc. – réside dans une technologie éthique, libre et ouverte. Et notre meilleure chance de maintenir des technologies libres, ouvertes et éthiques c’est de nous montrer prudents dans la manière de réglementer la technologie et de prêter une attention particulière à la façon dont les interventions pour résoudre un problème peuvent créer de nouveaux problèmes dans d’autres domaines.

La propriété des faits

Les Géants de la tech ont une drôle de relation avec l’information. Lorsque vous générez des informations, qu’il s’agisse de données de localisation diffusées en continu par votre appareil mobile ou des messages privés que vous envoyez à vos amis sur un réseau social, ils revendiquent le droit d’utiliser ces données de manière illimitée.

Mais lorsque vous avez l’audace d’inverser les rôles, en utilisant un outil bloqueur de publicités ou qui récupère vos mises à jour en attente sur un réseau social et les installe dans une autre application qui vous laisse déterminer vos propres priorités et suggestions, ou qui analyse leur système pour vous permettre de créer une entreprise concurrente, alors là, ils prétendent que vous les volez.

En réalité, l’information ne convient à aucun type de régime de propriété privée. Les droits de propriété permettent de créer des marchés qui peuvent conduire au développement d’actifs non exploités. Ces marchés dépendent d’intitulés clairs pour garantir que les choses qui y sont achetées et vendues peuvent réellement être achetées et vendues.
Les informations ont rarement un intitulé aussi clair. Prenez les numéros de téléphone : de toute évidence, il n’est pas normal que Facebook récupère les carnets d’adresses de millions d’utilisateurs et utilise ces numéros de téléphone pour créer des graphes sociaux et renseigner les informations manquantes sur les autres utilisateurs.

Mais les numéros de téléphone que Facebook acquiert sans consentement dans le cadre de cette transaction ne sont pas la « propriété » des utilisateurs auxquels ils sont soustraits, ni celle des personnes dont le téléphone sonne lorsque vous les composez. Ces numéros sont de simples nombres entiers, composés de 10 chiffres aux États-Unis et au Canada, et on les trouve dans des milliards d’endroits, y compris quelque part dans le nombre Pi, ainsi que dans de nombreux autres contextes. Accorder aux gens des titres de propriété sur des nombres entiers est vraiment une très mauvaise idée.

Il en va de même pour les données que Facebook et d’autres acteurs de la surveillance publicitaire acquièrent à notre sujet, comme le fait que nous sommes les enfants de nos parents ou les parents de nos enfants ou que nous avons eu une conversation avec quelqu’un d’autre ou sommes allés dans un lieu public. Ces éléments d’informations ne peuvent pas vous appartenir comme votre maison ou votre chemise vous appartiennent, car leur titre de propriété est vague par nature. Votre mère est-elle propriétaire du fait d’être votre mère ? Et vous ? L’êtes-vous tous les deux ? Et votre père, est-il également propriétaire de ce fait ou doit-il obtenir une licence de votre part (ou de votre mère ou de vous deux) pour pouvoir en faire usage ? Qu’en est-il des centaines ou des milliers d’autres personnes qui disposent de ces données ?

Si vous allez à une manifestation Black Lives Matter, les autres manifestants ont-ils besoin de votre autorisation pour poster leurs photos de l’événement ? Les querelles en ligne sur le moment et la manière de publier des photos de manifestations révèlent un problème subtil et complexe, difficile à régler d’un coup de baguette magique en accordant à certains un droit de propriété que tous les autres doivent respecter.

Le fait que l’information ne fasse pas bon ménage avec la propriété et les marchés ne signifie pas pour autant qu’elle n’a aucune de valeur. Un bébé n’est pas un bien, il n’en reste pas moins qu’il possède une valeur incontestable. En réalité, nous avons un ensemble de règles uniquement dédié aux bébés, et une partie seulement de ces règles s’appliquent aux humains de façon plus générale. Celui qui affirmerait que les bébés n’auront pas véritablement de valeur tant qu’on ne pourra pas les acheter et les vendre comme des petits pains serait immédiatement et à juste titre condamné comme un monstre.

Il est tentant d’attraper le marteau de la propriété quand les Géants de la tech traitent vos informations comme des clous, en particulier parce que les Géants de la tech font un tel abus des marteaux de la propriété quand il s’agit de leurs informations. Mais c’est une erreur. Si nous permettons aux marchés de nous dicter l’usage de nos informations, nous allons devenir des vendeurs sur un marché d’acheteurs. Un marché qui sera monopolisé par les Géants de la tech. Ils attribueront un si bas prix à nos données, qu’il en deviendra insignifiant ou, plus probablement, qu’il sera fixé à un prix proche de zéro sans aucune possibilité de négociation, et ce, grâce à un accord donné d’un simple clic, sans possibilité de le modifier.

D’ici là, établir des droits de propriété sur l’information créera des obstacles insurmontables au traitement indépendant des données. Imaginez que l’on exige de négocier une licence quand un document traduit est comparé à sa version originale, ce qu’a fait Google et qu’il continue à faire des milliards de fois pour entraîner ses outils de traduction automatique. Google peut se le permettre, mais pas les tiers indépendants. Google peut mettre en place un service d’autorisation pour négocier des paiements uniques à des institutions comme l’UE (l’un des principaux dépositaires de documents traduits). Alors que les organismes de surveillance indépendants, qui veulent vérifier que les traductions sont bien préparées ou bien qui veulent éliminer les erreurs de traduction, auront besoin d’un service juridique doté de personnel et de millions pour payer les licences avant même de pouvoir commencer.

Il en va de même pour les index de recherche sur le Web ou les photos des maisons des gens, qui sont devenues controversées avec le projet Street View de Google. Quels que soient les problèmes que pose la photographie de scènes de rue par Google, les résoudre en laissant les gens décider qui peut photographier les façades de leurs maisons depuis une rue publique créera sûrement des problèmes plus graves encore. Pensez à l’importance de la photographie de rue pour la collecte d’informations, y compris la collecte informelle d’informations, comme les photos d’abus d’autorité, et combien il est important de pouvoir documenter l’habitat et la vie dans la rue pour contester un droit de préemption, plaider en faveur de l’aide sociale, signaler les violations de la planification et de zonage, documenter les conditions de vie discriminatoires et inégales, etc.

S’approprier des faits est contraire à un grand nombre de progrès humains. Il est difficile d’imaginer une règle qui limite l’exploitation par les Géants de la tech de notre travail collectif sans empêcher involontairement des personnes de recueillir des données sur le cyber-harcèlement ou de compiler des index de changements de langue, ou encore simplement d’enquêter sur la façon dont les plateformes façonnent notre discours. Tout cela nécessite d’exploiter des données créées par d’autres personnes et de les soumettre à l’examen et à l’analyse.

La persuasion, ça marche… mais lentement

Les plateformes peuvent exagérer leur capacité à persuader les gens, mais il est évident que la persuasion fonctionne parfois. Qu’il s’agisse du domaine privé utilisé par les personnes LGBTQ pour recruter des alliés et faire reconnaître une diversité sexuelle ou du projet mené depuis des décennies pour convaincre les gens que les marchés constituent le seul moyen efficace de résoudre les problèmes complexes d’allocation de ressources, il est clair que nos comportements sociaux peuvent changer.

Modifier les comportements au sein de la société est un projet de longue haleine. Pendant des années, les svengalis ont prétendu pouvoir accélérer ce processus, mais même les formes de propagande les plus brutales ont dû se battre pour susciter des changements permanents. Joseph Goebbels a dû soumettre les Allemands à des heures de radiodiffusion quotidiennes obligatoires pour arrêter les opposants et les assassiner, ainsi que de s’assurer d’un contrôle intégral sur l’éducation des enfants, tout en excluant toute littérature, émission ou film qui ne se conformaient pas à sa vision du monde.

Cependant, après 12 ans de terreur, une fois la guerre terminée, l’idéologie nazie a largement été discréditée en Allemagne de l’Est comme de l’Ouest, et un programme de vérité et de réconciliation nationale a été mis en place. Le racisme et l’autoritarisme n’ont jamais été totalement abolis en Allemagne, mais la majorité des Allemands n’étaient pas non plus définitivement convaincus par le nazisme. La montée de l’autoritarisme raciste en Allemagne aujourd’hui montre que les attitudes libérales qui ont remplacé le nazisme n’étaient pas plus définitives que le nazisme lui-même.

Le racisme et l’autoritarisme ont également toujours été présents chez nous, en Amérique du Nord. Tous ceux qui se sont déjà penchés sur le genre de messages et d’arguments que les racistes avancent aujourd’hui auraient du mal à faire croire qu’ils ont fait des progrès dans la façon de présenter leurs idées. On retrouve aujourd’hui dans le discours des principaux nationalistes blancs la même pseudo-science, les mêmes recours à la peur, le même raisonnement en boucle que ceux présentés par les racistes des années 1980, lorsque la cause de la suprématie blanche était en perte de vitesse.

Si les racistes n’ont pas été plus convaincants au cours de la dernière décennie, comment se fait-il que davantage de personnes aient été convaincues d’être ouvertement racistes ? Il semble que la réponse se trouve dans le monde matériel, pas dans le monde des idées. Non pas qu’elles soient devenues plus convaincantes, mais les gens sont devenus de plus en plus peureux. Ils ont peur de ne plus pouvoir faire confiance à l’État pour agir de façon honnête dans des domaines essentiels, depuis la gestion de l’économie jusqu’à la réglementation des analgésiques ou celle du traitement des données privées.

Les gens ont peur que le monde soit devenu un jeu de chaises musicales dans lequel les chaises sont retirées à un rythme sans précédent. Ils ont peur que la justice soit rendue à leur détriment. Le monopole n’est pas la cause de ces craintes, mais l’inégalité, la misère matérielle et les mauvaises pratiques politiques qu’il engendre y contribue fortement. L’inégalité crée les conditions propices aux conspirations et aux idéologies racistes violentes. Le capitalisme de surveillance permet alors aux opportunistes de cibler les personnes qui ont peur et celles qui sont conspirationnistes.

Payer ne va pas aider à grand-chose

Comme le dit le déjà vieil adage : « si c’est gratuit, c’est toi le produit ».
Aujourd’hui, c’est un lieu commun de croire que le péché originel du capitalisme de surveillance a été l’arrivée des médias gratuits financés par la publicité. Le raisonnement était le suivant : les entreprises qui faisaient payer l’accès ne pouvaient pas « concurrencer les médias gratuits » et elles étaient donc éjectées du marché. Les concurrents soutenus par la publicité, quant à eux, ont déclaré ouverte la saison de la chasse aux données de leurs utilisateurs dans la perspective d’améliorer le ciblage de leurs publicités, gagner plus d’argent et faire appel aux stratégies les plus étonnantes pour générer davantage de clics sur ces publicités. Si seulement nous nous mettions à payer à nouveau, nous aurions un meilleur système d’information, plus responsable, plus sobre et qui serait vertueux pour la démocratie.

Mais la dégradation de la qualité des actualités a précédé de loin l’avènement des informations en ligne financées par la pub. Bien avant l’ère des journaux en ligne, les lois antitrust appliquées de façon laxiste avaient ouvert la porte à des vagues sans précédent de restructuration et de dégraissage dans les salles de rédaction. Des journaux rivaux ont fusionné, des journalistes et des vendeurs d’espace publicitaire ont été virés, des espaces de bureaux ont été vendus ou loués, laissant les entreprises criblées de dettes à cause d’un système de rachat par endettement et de bénéfices distribués aux nouveaux propriétaires. En d’autres termes, ce n’était pas simplement le déclin des petites annonces, longtemps considéré comme responsable du déclin des journaux, qui a rendu ces entreprises de presse incapables de s’adapter à Internet, c’était la monopolisation.

Pendant que les entreprises de presse débarquaient en ligne, les revenus de la publicité se sont mis à décroître, alors même que le nombre d’internautes (et donc un lectorat en ligne potentiel) augmentait. Cette évolution était due à la consolidation du marché des ventes de publicités, Google et Facebook étaient devenus un duopole qui gagnait chaque année davantage d’argent avec la pub, tout en payant de moins en moins les éditeurs dont le travail apparaissait à côté des publicités. Le monopole a créé un marché d’acheteurs pour la diffusion publicitaire et Facebook et Google en étaient les maîtres et les gardiens.

Les services payants continuent d’exister aux côtés des services gratuits – soucieux qu’ils sont d’empêcher les internautes de contourner leur page de paiement ou de partager des médias payants – ils exercent le plus grand contrôle sur leurs clients. iTunes d’Apple et les App stores sont des services payants, mais pour maximiser leur rentabilité, Apple doit verrouiller ses plateformes pour que des tiers ne puissent pas créer de logiciels compatibles sans autorisation. Ces verrous permettent à l’entreprise d’exercer à la fois un contrôle éditorial (qui permet de rejeter des contenus politiques controversés) et technologique, y compris sur la possibilité de réparer le matériel qu’elle fabrique. Si nous redoutons que les produits financés par la pub privent les gens de leur droit à l’autodétermination en utilisant des techniques de persuasion pour orienter leurs décisions d’achat dans une direction ou dans une autre, alors le contrôle quasi total d’une seule entreprise sur la décision de savoir qui va vous vendre le logiciel, les pièces détachées et les services pour votre iPhone devrait sacrément nous inquiéter.

Nous ne devrions pas nous préoccuper uniquement du paiement et du contrôle : l’idée que payer améliore la situation est également fausse et dangereuse. Le faible taux de réussite de la publicité ciblée signifie que les plateformes doivent vous inciter à « vous engager » fortement envers les messages publicitaires pour générer suffisamment de pages vues et préserver ainsi leurs profits. Comme indiqué plus haut, pour accroître l’engagement, les plateformes comme Facebook utilisent l’apprentissage automatique afin de deviner quels messages seront les plus incendiaires et feront tout pour les afficher sous vos yeux dès que vous vous connectez, pour vous faire réagir par la haine et vous disputer avec les gens.

Peut-être que payer réglerait ce problème, selon ce raisonnement. Si les plateformes pouvaient être économiquement viables même si vous arrêtiez de cliquer dessus une fois votre curiosité intellectuelle et sociale assouvie, alors elles n’auraient aucune raison de vous mettre en colère avec leurs algorithmes pour obtenir plus de clics, n’est-ce pas ?

Cet argument est peut-être valable, mais il ne tient toujours pas compte du contexte économique et politique plus large de ces plateformes et du monde qui leur a permis de devenir si dominantes.

Les plateformes sont mondiales parce qu’elles sont des monopoles, et elles sont des monopoles parce que nous avons vidé de leur substance nos règles anti-monopoles les plus importantes et les plus fiables. L’antitrust a été neutralisé car c’était la condition nécessaire pour que le projet de rendre les riches plus riches encore réussisse. La plupart des habitants de la planète ont une valeur nette négative, et même la classe moyenne en recul est dans un état précaire, en manque d’épargne pour la retraite, d’assurances contre les catastrophes sanitaires et de garanties contre les catastrophes climatiques et technologiques.
Dans ce monde féroce et inégalitaire, payer n’améliore pas la situation. Cela ne fait que la rendre hors de prix pour la plupart des gens. Payer pour le produit, c’est super quand vous avez les moyens.

Si vous pensez que les bulles de filtres actuelles constituent un problème pour notre monde, imaginez ce qu’elles seraient si les riches fréquentaient le marché des idées à l’athénienne, où il faudrait payer pour entrer pendant que les autres vivent dans des espaces en ligne subventionnés par des bienfaiteurs aisés et ravis de créer des espaces de discussion dans lesquels le « règlement intérieur » interdit de contester le système. Imaginez si les riches se retiraient de Facebook, et qu’au lieu de diffuser des publicités qui rapportent de l’argent à ses actionnaires, Facebook devienne un projet loufoque de milliardaire, visant aussi à s’assurer que personne ne se demande jamais s’il est juste que seuls les milliardaires aient le droit de se retrouver dans les derniers recoins d’internet.

Derrière l’idée de payer pour avoir accès se cache la conviction que les marchés libres permettront de remédier au dysfonctionnement des Géants de la tech. Après tout, quand les gens ont une opinion sur la surveillance, celle-ci est souvent mauvaise, et plus la surveillance d’une personne est longue et approfondie, moins elle a tendance à plaire. Il en va de même pour le verrouillage : si l’encre Hewlett-Packard ou l’App Store Apple étaient si géniales que ça, les mesures techniques pour empêcher les utilisateurs de choisir un produit concurrent seraient inutiles. Ces parades techniques existent pour la simple et bonne raison que ces entreprises ne croient pas que leurs clients se soumettraient spontanément à leurs conditions, et qu’elles veulent les empêcher d’aller voir ailleurs.

Les défenseurs des marchés louent leur capacité à agréger les connaissances diffusées par les acheteurs et les vendeurs dans la société toute entière, par le biais d’informations sur la demande, sur les prix, etc. L’argument en faveur d’un capitalisme de surveillance « voyou » voudrait que les techniques de persuasion basées sur l’apprentissage automatique faussent les décisions des consommateurs, ce qui conduirait à des informations faussées – les consommateurs n’achètent pas ce qu’ils préfèrent, mais ce qu’ils sont amenés à préférer. Il s’ensuit des pratiques monopolistiques de verrouillage qui relèvent davantage encore d’un « capitalisme voyou » et qui restreignent encore plus la liberté de choix du consommateur.

La rentabilité de n’importe quelle entreprise est limitée par la possibilité que ses clients aillent voir ailleurs. La surveillance et le verrouillage sont tous les deux des anti-fonctionnalités qu’aucun client ne désire. Mais les monopoles peuvent se mettre les régulateurs dans la poche, écraser la concurrence, s’insinuer dans la vie privée de leurs clients et pousser les gens à « choisir » leurs services qu’ils le veuillent ou non. Que c’est bon d’être odieux quand il n’existe pas d’alternative.
Au final, la surveillance et le verrouillage sont simplement des stratégies commerciales que peuvent choisir les monopoles.

Les entreprises de surveillance comme Google sont parfaitement capables de déployer des technologies de verrouillage. Il suffit de regarder les clauses de la coûteuse licence d’Android qui obligent les fabricants d’appareils à les intégrer dans la suite d’applications Google. Et les entreprises de verrouillage comme Apple sont parfaitement capables de soumettre leurs utilisateurs à la surveillance pour satisfaire Pékin et ainsi préserver un accès commercial au marché chinois. Les monopoles sont peut-être composés de personnes éthiques et respectables, mais en tant qu’institutions, ils ne comptent pas parmi vos amis : ils feront tout ce qu’ils peuvent pour maximiser leurs profits, et plus ils auront de monopole, mieux ils tireront leur épingle du jeu.

Une fenêtre de tir « écologique » pour briser les trusts

Si nous voulons briser l’emprise mortelle des Géants du Web sur nos vies numériques, nous allons devoir combattre les monopoles. Cela peut paraître banal et ringard, un truc qui vient de l’ère du New Deal, alors que faire cesser l’utilisation automatique des données comportementales ressemble au scénario d’un roman cyberpunk très cool.
En revanche, il semble que nous ayons oublié comment on brise des monopoles. Il existe un consensus des deux côtés de l’Atlantique pour considérer que le démantèlement des entreprises est au mieux une histoire de fous, susceptible d’embourber les juges fédéraux dans des années de procédure judiciaire, et au pire contre-productif car il grignote les « avantages des consommateurs » dont les économies d’échelle sont colossales.

Mais les briseurs de trusts ont autrefois parcouru le pays dans tous les sens, en brandissant des livres de droit, terrorisant les magnats du vol organisé et réduisant en pièces l’illusion de l’emprise toute-puissante des monopoles sur notre société. L’ère de la lutte antitrust ne pouvait pas commencer sans la volonté politique pour le faire, avant que le peuple réussisse à convaincre les politiciens qu’ils les soutiendraient dans leur affrontement contre les hommes les plus riches et les plus puissants du monde.

Pouvons-nous retrouver cette volonté politique ?
James Boyle, un universitaire spécialisé dans le copyright, a analysé comment le terme « écologie » a marqué un tournant dans le militantisme pour l’environnement. Avant l’adoption de ce terme, les personnes qui voulaient protéger les populations de baleines ne se considéraient pas forcément comme combattant pour la même cause que celles qui voulaient protéger la couche d’ozone ou lutter contre la pollution de l’eau ou les pluies acides.

Mais le terme « écologie » a regroupé ces différentes causes en un seul mouvement, dont les membres se sont montrés solidaires les uns des autres. Ceux qui se souciaient de la pollution de l’eau ont signé les pétitions diffusées par ceux qui voulaient mettre fin à la chasse à la baleine, et ceux qui s’opposaient à la chasse à la baleine ont défilé aux côtés de ceux qui réclamaient des mesures contre les pluies acides. Cette union en faveur d’une cause commune a radicalement changé la dynamique de l’environnementalisme et ouvert la voie à l’activisme climatique actuel et au sentiment que la préservation de l’habitabilité de la planète Terre relève d’un devoir commun.

Je crois que nous sommes à l’aube d’un nouveau moment « écologique » consacré à la lutte contre les monopoles. Après tout, la technologie n’est pas la seule industrie concentrée, ni même la plus concentrée.
On trouve des partisans du démantèlement des trusts dans tous les secteurs de l’économie. On trouve partout des personnes abusées par des monopolistes qui ont ruiné leurs finances, leur santé, leur vie privée, leur parcours et la vie de leurs proches. Ces personnes partagent la même cause que ceux qui veulent démanteler les Géants de la tech et ont les mêmes ennemis. Lorsque les richesses sont concentrées entre les mains d’un petit nombre, presque toutes les grandes entreprises ont des actionnaires en commun.

La bonne nouvelle, c’est qu’avec un peu de travail et de coordination, nous disposons d’une volonté politique largement suffisante pour démanteler les Géants de la tech et tous les secteurs qui y sont concentrés. Commençons par Facebook, puis nous nous attaquerons à AT&T/WarnerMedia [groupes étatsuniens, comparable à Orange et Vivendi respectivement].
La mauvaise nouvelle, c’est que la majeure partie de ce que nous entreprenons aujourd’hui pour dompter les Géants de la tech plutôt que de démanteler les grandes entreprises, nous empêchera de les démanteler demain.

Actuellement, la concentration des Géants de la tech signifie que leur inaction en matière de harcèlement, par exemple, place leurs utilisateurs devant un choix impossible : s’absenter du débat public en quittant Twitter, par exemple, ou subir des agressions ignobles en permanence. La collecte et la conservation excessives de données par les Géants de la tech se traduisent par un odieux vol d’identité. Et leur inaction face au recrutement d’extrémistes signifie que les partisans de la suprématie blanche qui diffusent leurs fusillades en direct peuvent toucher un public de plusieurs milliards de personnes. La concentration des technologies et celle des médias implique une diminution des revenus des artistes, alors que les revenus générés par les créations de ces derniers augmentent.

Pourtant, les gouvernements confrontés à ces problèmes aboutissent tous inévitablement à la même solution : confier aux Géants de la tech le soin de contrôler leurs utilisateurs et de les rendre responsables de leurs mauvais comportements. Vouloir obliger les Géants de la tech à utiliser des filtres automatisés pour tout bloquer, de la violation des droits d’auteur au trafic sexuel, en passant par l’extrémisme violent, implique que les entreprises technologiques devront consacrer des millions pour faire fonctionner des systèmes conformes.

Ces règles, comme la nouvelle directive européenne sur les droits d’auteur, la nouvelle réglementation australienne sur le terrorisme, la loi américaine FOSTA/SESTA sur le trafic sexuel et d’autres encore, signent l’arrêt de mort des petits concurrents émergents qui pourraient contester la domination des Géants de la tech, mais n’ont pas les moyens financiers des opérateurs historiques pour acquérir tous ces systèmes automatisés. Plus grave, elles fixent un plancher en deçà de ce que nous pouvons espérer imposer aux Géants de la tech.

C’est parce que toute initiative visant à démanteler les Géants de la tech et à réduire leur taille se heurte à une limite, celle qui consiste à ne pas la réduire trop sous peine de les empêcher de financer leurs activités, car investir dans ces filtres automatisés et sous-traiter la modération de contenu coûte cher. Il va déjà être difficile de séparer ces monstres chimériques fortement concentrés qui ont été assemblés les uns aux autres pour obtenir des bénéfices de monopoles. Il sera encore plus difficile de le faire tout en trouvant un moyen de combler le vide réglementaire créé si ces auto-régulateurs étaient soudain contraints de se retirer.

Laisser les plateformes atteindre leur taille actuelle leur a conféré une position dominante quasi irréversible. Les charger de missions publiques pour remédier aux pathologies créées par leur taille rend presque impossible la réduction de cette taille. Je répète, encore et encore, si les plateformes ne deviennent pas plus petites, elles deviendront plus grandes, et à mesure qu’elles grandiront, elles engendreront davantage de problèmes, ce qui entraînera une augmentation de leurs missions publiques et leur permettra de devenir plus grandes encore.

Nous pouvons essayer de réparer Internet en démantelant les Géants de la tech et en les privant des bénéfices de monopole, ou bien nous pouvons essayer de réparer les Géants de la tech en les obligeant à consacrer leurs bénéfices de monopole à la gouvernance. Mais nous ne pouvons pas faire les deux. Nous devons choisir entre un Internet dynamique et ouvert ou un Internet dominé et monopolisé, dirigé par les Géants de la tech contre lesquels nous nous battons en permanence pour les obliger à bien se comporter.

Make Big Tech small again

Briser les monopoles est difficile. Démanteler les grandes entreprises est coûteux et prend du temps. Tellement de temps que lorsque vous y êtes enfin parvenu, le monde a évolué et a rendu inutiles des années de contentieux. De 1969 à 1982, le gouvernement américain a engagé une procédure antitrust contre IBM en raison de sa position dominante sur le marché des ordinateurs centraux, mais elle a capoté en 1982 parce que les ordinateurs centraux étaient de plus en plus remplacés par des PC.

Il est beaucoup plus facile d’empêcher la concentration que de la corriger, et le rétablissement des contours traditionnels de la loi antitrust américaine empêchera, à tout le moins, toute nouvelle concentration. Cela signifie l’interdiction des fusions entre grandes entreprises, l’interdiction pour les grandes entreprises d’acquérir des concurrents émergents, et l’interdiction pour les plates-formes de concurrencer directement les entreprises qui dépendent de ces plates-formes.

Ces pouvoirs sont tous rédigés dans le langage clair et simple des lois antitrust américaines donc, en théorie, un futur président américain pourrait simplement ordonner à son procureur général de faire appliquer la loi telle qu’elle a été rédigée. Mais après des décennies d’« éducation » judiciaire qui vantait les bénéfices des monopoles, après que de nombreux gouvernements eurent rempli les tribunaux fédéraux de supporters des monopoles rémunérés à vie, pas sûr qu’une simple intervention administrative suffise.

Si les tribunaux contrarient le ministère de la Justice et le président, la prochaine étape serait le Congrès, qui pourrait éliminer les doutes sur la façon dont la loi antitrust devrait être appliquée aux États-Unis en adoptant de nouvelles lois qui reviennent à dire « Arrêtez ça. Nous savons tous ce que prévoit la loi Sherman. Robert Bork était un hurluberlu déjanté. Que les choses soient claires, on l’emmerde ». En d’autres termes, le problème des monopoles, c’est le monopole – la concentration du pouvoir entre les mains de quelques-uns, qui rogne notre droit à l’autodétermination. S’il y a un monopole, la loi veut qu’il disparaisse, point. Bien sûr, il faut se débarrasser des monopoles qui créent un « préjudice pour le consommateur » en augmentant les prix, mais il faut aussi se débarrasser des autres monopoles.

Mais cela ne fait qu’empêcher les choses d’empirer. Pour contribuer à les améliorer, nous allons devoir former des alliances avec d’autres militants du mouvement écologiste anti-monopole – ce serait un mouvement de pluralisme ou d’autodétermination – et prendre pour cibles les monopoles existants de chaque industrie avec des règles de démantèlement et de séparation structurelle qui empêcheraient par exemple la domination sans partage du géant Luxottica sur tout ce qui est optique et lunetterie, tant dans la vente que la fabrication. De façon significative, peu importe dans quel secteur industriel commencent les ruptures. Une fois qu’elles auront commencé, les actionnaires de tous les secteurs se mettront à regarder avec scepticisme leurs investissements dans les monopoles.

Lorsque que les briseurs de trusts feront leur entrée sur scène et commenceront à mener la vie dure aux monopolistes, le débat au sein des conseils d’administration des entreprises évoluera. Les personnes qui se seront toujours senties mal à l’aise face au monopole auront un nouvel argument puissant pour contrer leurs adversaires redoutables dans la hiérarchie de l’entreprise : « Si nous utilisons mes méthodes, nous gagnerons moins d’argent, si nous utilisons les vôtres, un juge nous infligera des amendes de plusieurs milliards et nous exposera aux moqueries et à la désapprobation générale. Donc, même si je reconnais qu’il serait vraiment génial de réaliser cette fusion, de verrouiller la concurrence, ou de racheter cette petite entreprise et de la faire disparaître avant qu’elle ne constitue une menace, nous ne devrions vraiment pas le faire – sauf à vouloir se livrer pieds et poings liés au département de la Justice et être trimballés sur la route des briseurs de trusts pendant les dix prochaines années ».

20 GOTO 10

Régler le problème de Géants de la tech va nécessiter de nombreuses itérations. Comme l’a écrit le cyber juriste Lawrence Lessig dans son ouvrage Code and Other Laws of Cyberspace (1999) [NdT : ouvrage non traduit en français], nos vies sont régies par quatre forces : la loi (ce qui est légal), le code (ce qui est technologiquement possible), les normes (ce qui est socialement acceptable) et les marchés (ce qui est rentable).

Si vous pouviez d’un coup de baguette magique obtenir du Congrès qu’il adopte demain une loi qui modifie la loi Sherman, vous pourriez utiliser les démantèlements à venir pour convaincre les investisseurs en capital-risque de financer les concurrents de Facebook, Google, Twitter et Apple qui attendent en coulisses après avoir subi une réduction de leur taille.

Mais pour amener le Congrès à agir, il faudra un virage normatif à 90 degrés, un mouvement de masse de personnes préoccupées par les monopoles et qui souhaitent les faire sauter.

Pour que les gens s’intéressent aux monopoles, il faudra des innovations technologiques qui leur permettent de voir à quoi pourrait ressembler un monde sans les Géants de la tech. Imaginez que quelqu’un crée un client tiers très apprécié (mais non autorisé) sur Facebook ou Twitter, qui freine le flux algorithmique anxiogène tout en vous permettant de parler à vos amis sans être espionné, quelque chose qui rendrait les médias sociaux plus sociables et moins toxiques. Imaginez maintenant que ce client soit fermé au cours d’une violente bataille juridique. Il est toujours plus facile de convaincre les gens qu’il faut agir pour sauver une chose qu’ils aiment que de les faire s’enthousiasmer à propos de quelque chose qui n’existe même pas encore.

Ni la technologie, ni la loi, ni le code, ni les marchés ne sont suffisants pour réformer les Géants de la tech. Mais l’un des concurrents rentables de ces derniers pourrait financer un mouvement législatif. Une réforme juridique peut encourager un fabricant à concevoir un meilleur outil. L’outil peut créer des clients pour une entreprise potentielle qui apprécie les avantages d’Internet mais qui veut obtenir ces outils sans passer par les Géants de la tech. Et cette entreprise peut obtenir un financement et consacrer une partie de ses bénéfices à la réforme juridique. 20 GOTO 10 (ou répétez l’opération autant de fois que nécessaire). Répétez l’opération, mais cette fois, allez plus loin ! Après tout, cette fois, vous commencez avec des adversaires des Géants de la tech plus faibles, un électorat qui comprend que les choses peuvent être améliorées, des concurrents des Géants de la tech qui contribueront à assurer leur propre avenir en finançant la réforme, et du code sur lequel d’autres programmeurs peuvent s’appuyer pour affaiblir encore plus les Géants de la tech.

L’hypothèse du capitalisme de surveillance, selon laquelle les produits des Géants de la tech fonctionnent vraiment aussi bien qu’ils le disent, et ça explique pourquoi c’est le bin’s partout, est trop simpliste sur la surveillance et encore plus sur le capitalisme. Les entreprises espionnent parce qu’elles croient à leurs propres baratin, elles le font aussi parce que les gouvernements les laissent faire, et parce que les avantages qu’elles tirent de l’espionnage sont tellement éphémères et minimes qu’elles doivent espionner toujours plus pour maintenir leur activité.
Et qu’est-ce qui fait que c’est le bin’s ? Le capitalisme.

Plus précisément, le monopole qui crée l’inégalité et l’inégalité qui crée le monopole. C’est une forme de capitalisme qui récompense les sociopathes qui détruisent l’économie réelle pour gonfler leurs résultats. Ils s’en sortent pour la même raison que les entreprises s’en sortent en espionnant : parce que nos gouvernements sont sous l’emprise à la fois d’une idéologie selon laquelle les monopoles sont tout à fait valables et aussi sous l’emprise de l’idée que dans un monde monopolistique, mieux vaut ne pas contrarier les monopoles.

La surveillance n’engendre pas un capitalisme dévoyé. Mais le capitalisme sans contrôle engendre la surveillance. La surveillance n’est pas malsaine parce qu’elle permet à certain de nous manipuler, elle est malsaine parce qu’elle réduit à néant notre capacité à être nous-mêmes, et parce qu’elle permet aux riches et aux puissants de découvrir qui réfléchit à la construction de guillotines et quelles crasses utiliser pour discréditer ces apprentis constructeurs avant même qu’ils n’arrivent à la scierie.

En profondeur

Avec tous les problèmes que posent les Géants de la tech, on pourrait être tenté de vouloir revenir à un monde dépourvu de technologie. Ne succombez pas à cette tentation.

La seule façon de résoudre notre problème avec les Géants de la tech est de le traiter en profondeur. Si notre avenir ne repose pas sur la haute technologie, ce sera parce que la civilisation s’est effondrée. Les Géants de la tech ont connecté un système nerveux planétaire pour l’ensemble de notre espèce, qui, avec les réformes et les changements de cap appropriés, peut nous aider à surmonter les défis existentiels auxquels sont confrontées notre espèce et notre planète. Il ne tient qu’à nous désormais de nous emparer des outils informatiques, en soumettant ce système nerveux électronique à un contrôle démocratique et transparent.

Je suis, au fond de moi et malgré ce que j’ai indiqué plus haut, un fervent partisan de la technologie. Pas dans le sens où il faudrait lui laisser le champ libre pour exercer son monopole sous prétexte qu’elle permet des « économies d’échelle » ou autre obscure particularité. Je suis partisan de la technologie parce que je crois qu’il est important de bien l’utiliser et que mal le faire serait une catastrophe absolue – et bien l’utiliser peut nous permettre de travailler tous ensemble pour sauver notre civilisation, notre espèce et notre planète.

 




OpenKeys.science, des clés de détermination pour ouvrir les portes de la biodiversité

Nous avons rencontré les serruriers de la biodiversité, une fine équipe qui veut vous donner les clés du vivant pour apprendre à mieux le connaître…

… et qui veut vous apprendre aussi (vous allez voir, c’est facile et plutôt amusant) à contribuer vous-même à la création et l’enrichissement d’un vaste trousseau de « clés ». Libres, naturellement. 

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

Avant même de vous présenter, vous allez tout de suite nous expliquer ce qu’est une clé de détermination et à quoi ça sert, sinon, vous savez comme sont les lecteurs et les lectrices (exigeantes, intelligentes, attentionnées, etc.), ils et elles vont quitter cet article pour se précipiter sur Peertube afin de trouver une vidéo qui leur explique à notre place.
Sébastien Une clé de détermination, c’est un peu comme un livre dont on est le héros ! Une succession de questions vous permet d’aboutir à la détermination d’un être vivant. Au fil des questions et de vos réponses, la liste des espèces possibles se réduit progressivement jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul candidat (ou une liste très réduite). Certaines questions font parfois appel à du vocabulaire spécialisé, pas de panique ! Une illustration et une définition sont systématiquement présentes pour vous guider.
À titre d’exemple, vous pouvez consulter cette clé de détermination des insectes pollinisateurs.

1. Je réponds à des questions qui me sont proposées :


2. et ensuite visualiser les espèces candidates pour découvrir l’insecte que j’observe :

Donc si je dis qu’une clé de détermination c’est une liste de questions qui a pour objectif d’identifier à quelle espèce appartient un animal ou un végétal que j’observe, je simplifie un peu, mais j’ai bon ?

C’est l’idée oui.

Maintenant qu’on a compris de quoi on va parler, vous pouvez vous présenter !

Sébastien Turpin : Je suis enseignant de Sciences de la Vie et de la Terre et je travaille au Muséum national d’Histoire naturelle où je coordonne un programme de sciences participatives pour les scolaires. Et comme Thibaut, j’aime me balader dans la nature même si je n’arrive pas à y aller aussi souvent que je le souhaiterais !

Grégoire Loïs : Je suis naturaliste depuis toujours et j’ai la chance de travailler dans ce même établissement avec Sébastien, mais depuis un peu plus de 25 ans en ce qui me concerne. Je m’occupe comme lui de programmes de sciences participatives et plus particulièrement de bases de données.

Thibaut Arribe : Je suis développeur dans une petite SCOP qui s’appelle Kelis. On édite des solutions documentaires open-source pour produire et diffuser des documents numériques (vous avez peut-être déjà entendu parler de Scenari ou Opale, deux logiciels édités par Kelis). Accessoirement, je suis accompagnateur en montagne. J’emmène des groupes et particuliers se balader dans la nature sauvage des Pyrénées et des Cévennes.

Entrons dans le vif du sujet, c’est quoi OpenKeys.science ?

Thibaut OpenKeys.science est un service en ligne qui permet de produire et diffuser des clés de détermination sous la forme de petit sites web autonomes.

Autonomes, ça veut dire qu’ils peuvent aller se promener tout seuls, sans attestation ?

Thibaut C’est exactement ça ! Pour tout un tas de bonnes et moins bonnes raisons, un site web est souvent dépendant de nombreux programmes à installer sur un serveur. Cette complexité rend bien service, mais l’installation de ce genre de site web en devient réservée à un public d’initiés.

Dans notre cas, une fois produit, rendre ce site “autonome” disponible sur le web est simple : n’importe quel espace web perso suffit (qu’il soit fourni par votre CHATON favori ou votre fournisseur d’accès à Internet).

Surtout, ça signifie qu’il est très simple d’en faire une copie pour l’emporter en balade dans la nature, et ça, c’est assez chouette.

Et donc produire des clés ? On a compris que c’était pas des vraies clés avec du métal, mais vous pouvez préciser en quoi ça consiste ?

Thibaut Prenons un exemple simple : tu veux avoir un moyen de différencier à tous les coups un frelon européen (Vespa crabro pour les intimes) d’un frelon asiatique (le fameux Vespa velutina). C’est important de faire la différence, le frelon asiatique est une espèce invasive qui fait des dégats, par exemple dans l’apiculture… (il raffole des boulettes d’abeille à l’automne ! Chacun son truc…)

Bon, avec OpenKeys, je vais commencer par créer une belle fiche illustrée sur le frelon européen dans un éditeur adapté. Ça pourrait ressembler à ça :

Ensuite, je fais la même pour son lointain cousin.

Voilà, toutes les espèces mentionnées par ma clé sont en place, je peux maintenant créer des critères qui vont m’aider à différencier ces deux espèces.

J’ai lu dans un bouquin que le critère le plus facile, c’est de regarder la couleur du thorax (la partie centrale du corps, entre la tête et l’abdomen). Pour les frelons asiatique, le thorax est de couleur unie (noire) et pour le frelon européen, c’est un mélange de bordeaux et noir.


J’associe chaque valeur à la fiche correspondante dans OpenKeys et le tour est joué. Je n’ai plus qu’à générer ma clé, la publier sur le Web et envoyer un email à la Fédération des apiculteurs pour les aider à faire connaître le frelon asiatique, ses risques sur les abeilles, et les moyens de le reconnaître.

Attends, je t’arrête, qui a envie de faire ça ?

Thibaut Très certainement plus de personnes que tu ne le crois ! Assez rapidement, on peut imaginer plusieurs publics :

  • les chercheuses et chercheurs qui s’intéressent à la biodiversité comme ceux de Vigie-nature
  • les enseignantes et enseignants (à l’école, en SVT au collège ou à l’université) pour un usage en classe
  • les médiatrices et médiateurs de l’environnement, des gardiens des parcs nationaux aux intervenants nature en passant par les agents de l’Office National des Forêts (ONF) ou l’Office Français pour la Biodiversité (OFB)
  • et au final, toutes les contemplatrices et contemplateurs de la nature et de la biodiversité, qui s’intéressent aux plantes, aux oiseaux, aux insectes, aux champignons… ou juste à ce qu’on peut observer à proximité de la maison.

OK, je vois. Et, une fois les clés produites, qu’en font ces structures et ces gens ?

Thibaut Ça dépend des profils… Le laboratoire Vigie-Nature utilise la clé des insectes pollinisateurs dans son observatoire de sciences participatives SPIPOLL par exemple.
Un⋅e enseignant⋅e va produire une ressource éducative pour sa classe (par exemple ici).
Un⋅e médiateur⋅rice de l’environnement va produire des clés pour le grand public (comme le fait l’ONF ici)
On voit aussi des naturalistes amateur⋅ices mettre leurs connaissances à disposition : le site Champ Yves en est un bon exemple.

De mon côté, j’utilise des clés pour progresser et identifier de nouvelles espèces dans mon activité en montagne. J’en propose aussi aux groupes que j’accompagne pour identifier les espèces de montagne qui les entoureront au cours leurs prochaines randonnées.

Sébastien et Grégoire, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Vigie-nature ?
Sébastien Vigie-Nature est un programme de sciences participatives ouvert à tous. En s’appuyant sur des protocoles simples et rigoureux, il propose à chacun de contribuer à la recherche en découvrant la biodiversité qui nous entoure. Initié il y a plus de 30 ans avec le Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC), le programme Vigie-Nature s’est renforcé depuis avec le suivi de nouveaux groupes : les papillons, chauves-souris, escargots, insectes pollinisateurs, libellules, plantes sauvages des villes…. En partageant avec les scientifiques des données de terrain essentielles les participants contribuent à l’amélioration des connaissances sur la biodiversité ordinaire et sur ses réponses face aux changements globaux (urbanisation, changement climatique…). Chacun peut y participer qu’il s’y connaisse ou non. À vous de jouer !
Grégoire En participant, on découvre un monde. Nous avons des échanges avec des participants qui se sont pris au jeu et sont devenus de véritables experts passionnés en quelques années alors qu’ils ne prêtaient pas attention aux plantes et aux animaux qui les entouraient. D’autres ont découvert cet univers puis ont butiné de programmes participatifs en programmes participatifs, au gré des découvertes. Enfin, il faut souligner que toute l’année, en ville comme à la campagne, on peut s’impliquer et contribuer à la recherche scientifique en s’enrichissant d’expériences de nature.

Donc si je veux, je peux observer des papillons et des abeilles dans mon jardin, utiliser les clés de détermination pour les identifier correctement, et remonter les résultats à Vigie-Nature ? C’est un peu comme améliorer les cartes d’OpenStreetMap, avec des êtres vivants à la place des bâtiments, mon analogie est bonne ?

Grégoire Oui en quelque sorte. Mais on pourrait même dire que ça va un peu plus loin qu’Open Street Map. C’est un peu comme si l’amélioration permanente d’Open Street Map était cadrée. Comme si, en participant, vous vous engagiez à faire une contribution régulière à Open Street Map, en revenant sur les mêmes lieux et dans les mêmes conditions. La différence est ténue mais elle est importante. En faisant de la sorte, vous pourriez suivre de manière rigoureuse les changements d’occupation du sol. Et en multipliant le nombre de personnes agissant de la sorte, il serait possible de modéliser puis d’extrapoler les divers changements, voire d’en faire des prédictions pour le futur.

Vous nous avez aussi parlé de SPIPOLL, c’est pour espionner les insectes ? (mais espion, ça prend un Y en anglais…)
Grégoire Ici, Spipoll signifie Suivi Photographique des Insectes POLLinisteurs.

De quoi s’agit-il ? La pollinisation de laquelle dépend la reproduction des plantes à fleurs peut se faire de plusieurs manières.
Ainsi les graminées ou encore certains arbres profitent du vent pour faire circuler le pollen. C’est malheureusement à l’origine des allergies qu’on regroupe sous le nom de rhume des foins.
Mais pour beaucoup d’espèces, un bénéfice mutuel s’est mis en place entre plantes et insectes il y a un peu plus de 100 millions d’années (sous notre latitude, dans les tropiques, oiseaux et chauves-souris s’en mêlent). La plante fournit en abondance pollen et même nectar, un liquide sucré qui n’a d’autre rôle que d’attirer les insectes. Ces derniers viennent consommer ces deux ressources et passent de fleurs en fleurs chargés de minuscules grains de pollen. Ils assurent ainsi la reproduction sexuée des plantes et tirent bénéfice de ce service sous forme de ressources alimentaires.
Dans certains cas même, la plante ensorcelle littéralement l’insecte puisqu’elle l’attire et se fait passer pour un partenaire sexuel, trompant ainsi les mâles qui passent de fleurs en fleurs en transportant de petits sacs de pollens mais sans bénéficier de victuailles.

Suite aux incroyables bouleversement qu’ont subis les milieux naturels notamment depuis la révolution industrielle, on a pu constater des déclins d’insectes et des difficultés pour les plantes à échanger leurs gamètes. C’est crucial : sans cet échange, pas de fruits, et par exemple, aux États-Unis, les plantations d’orangers ont de grandes difficultés à fructifier. Dans ce cas, les arboriculteurs installent des ruches d’abeilles domestiques mais il semble que la situation soit tout de même critique. Les chercheurs en Écologie fondamentale se posent donc beaucoup de questions sur les communautés de pollinisateurs. On parle ici de communautés parce qu’on estime à entre cinq et dix mille le nombre d’espèces d’invertébrés impliqués dans la pollinisation en France ! Aucun spécialiste des insectes n’est à même d’étudier un si vaste nombre d’espèces, surtout qu’elles appartiennent à des groupes très variés (mouches, guêpes, abeilles et fourmis, coléoptères, papillons diurnes et nocturnes, punaises, etc.).

L’idée du Spipoll est de solliciter les personnes intéressées pour collecter des informations sur les réseaux d’interaction entre plantes et insectes partout sur le territoire. Il s’agit de prendre des photos de tout ce qui s’active sur les parties florales d’une espèce de plante dans un rayon de 5 mètres, puis de trier ces photos pour n’en garder qu’une par “bestiole différente” puis de tenter de ranger ces bestioles au sein d’une simplification taxonomique comptant quand même 630 branches !!! Et c’est là qu’une clé se révèle indispensable…

Vous avez mentionné au début de l’article que vous aimiez contempler la nature, ça fait envie, vous pouvez me décrire concrètement en quoi OpenKeys.science va m’y aider ?

Thibaut Savoir nommer les espèces qui nous entourent, c’est ouvrir une porte sur la complexité du vivant. De découverte en découverte, les paysages que nous contemplons nous apparaissent comme des lieux de vies ou cohabitent des milliers d’espèces. La diversité des espèces, des milieux et des relations entre ces espèces donne le vertige (et une soif d’en découvrir toujours plus).

En fournissant des clés à utiliser chez soi ou à emmener en balade, OpenKeys met le pied à l’étrier pour changer son regard sur la nature et pour découvrir tout ce qui se cache autour de nous.

Avec une clé de détermination dans la poche, je peux prendre le temps de m’arrêter, d’observer les alentours et d’identifier ce qui m’entoure. De découverte en découverte, c’est toute cette richesse de la nature qui s’offrira à vous…

Entre deux confinements, on va pouvoir retourner se balader, quelles clés sont disponibles sur OpenKeys.science pour une débutante ou un débutant ?

Sébastien Une clé des insectes pollinisateurs est déjà disponible, avec laquelle vous devriez pouvoir nommer la plupart des insectes que vous verrez dans votre jardin !
Nous travaillons également à proposer rapidement une clé pour :

des oiseaux communs ,

des chauve-souris

et des escargots

Thibaut Depuis la liste des domaines sur OpenKeys.science, on peut aller se balader sur chacun des domaines et y consulter les clés qui y seront publiées. On y retrouve par exemple une clé pour identifier certains arbres à partir de leurs feuilles.

Cet interview est aussi l’occasion de faire un appel… Vous voulez partager vos connaissances, venez faire un tour sur OpenKeys.science et créez votre clé. Par exemple, j’adorerais avoir une clé pour progresser dans l’identification des champignons.

Est-ce que vous ne seriez pas en train d’essayer de googliser la clé de détermination ? Et après vous allez capter toutes les données, les monétiser, disrupter, on connaît la suite…

Thibaut Hé hé ! Non, ce n’est pas du tout l’idée. Les contenus sources sont dans des formats libres et ouverts. Il est possible d’importer et exporter ses productions. Le service OpenKeys.science est construit avec des technologies libres (la suite logicielle Scenari et le modèle associé IDKey). Il est donc possible d’héberger ce genre de service ailleurs…

On peut considérer OpenKeys.science comme une îlot en interaction avec d’autres dans l’archipel des connaissances libres. Chez nous, on fabrique et diffuse des ressources pour comprendre la nature qui nous entoure. On utilise des technologies open source et les ressources produites sont sous licence libre pour favoriser la circulation des connaissances.

On a découvert qu’il existait plusieurs clés de détermination sur le site de TelaBotanica. Qu’est-ce que la vôtre aura de plus ?

Thibaut On peut discuter sur le plan technique. Les clés produites sur OpenKeys.science sont plus ergonomiques (ça, c’est pas moi, c’est Anna, l’ergonome qui a travaillé avec moi sur ces clés qui le dit). Elles s’adaptent mieux à l’affichage sur grand et petit écran. Elles utilisent des standards récents du Web pour être installées sur son ordinateur ou téléphone. Elles peuvent donc fonctionner sans Internet…

Après, ce n’est pas vraiment le sujet, je crois. Il ne s’agit pas de concurrencer des sites de référence comme TelaBotanica ou MycoDB par exemple. J’insiste, on ne souhaite pas centraliser les connaissances sur les clés ni challenger le reste du monde. L’idée est plutôt d’aider ces communautés de passionnés à partager. Je serai ravi de donner un coup de main aux autrices et auteurs de ces sites pour migrer techniquement leur contenu et ainsi leur permettre de générer leur clé sur OpenKeys.science ou ailleurs avec les mêmes technologies open-source. Elles ou ils y gagnent une clé plus facile à utiliser et à installer sur leur site ainsi qu’un outil pour mettre à jour et enrichir cette clé facilement.

Je suis nul en smartphone, mais un pote m’a parlé de Pl@ntnet, ça va pas vous couper l’herbe sous le pied ? Est-ce que des IA dans la blockchain avec des drones autonomes connectés 5.0 ne seraient pas plus efficaces que des humains qui se promènent avec des sites statiques ? C’est pas un peu old tech votre histoire ?

Sébastien Mais non 🙂 ! Ce n’est juste pas du tout les mêmes approches ! Une clé de détermination permet de guider le regard, d’apprendre à observer, de prendre son temps, bref de s’intéresser et de découvrir un être vivant… c’est certainement un peu plus long que de prendre une photo et d’attendre qu’une IA du Web 3.0 fasse tout le travail mais tellement plus valorisant !
Et puis, quand on a pris le temps d’observer à fond une espèce, lors de la prochaine rencontre vous vous en rappellerez tout seul et sans aide !

Thibaut Côté technique, plutôt que old tech, je revendiquerais plutôt le terme low tech. Oui, c’est volontairement un objet technique simple. Ça a plein d’avantages. Par exemple, c’est bien moins consommateur d’énergie, ça marchera encore bien après la fin d’un projet comme Pl@ntnet…

Votre projet démontre que logiciel libre et biodiversité peuvent aller de pair, et ça c’est une bonne nouvelle pour les gens qui se préoccupent de l’un et l’autre, et on est pas mal dans ce cas à Framasoft. Est-ce que vous avez d’autres idées dans le genre ?
Thibaut Je crois que OpenKeys.science est un bon exemple d’interactions super positives entre ces deux mondes ! Disons que ça valide complètement l’intuition de départ… Oui, mettre en relation l’univers de l’informatique libre et la recherche en biodiversité nous profite à tous.

Je vais donc continuer d’explorer cette piste. D’un côté, rencontrer des chercheurs pour discuter des difficultés technologiques dans leurs travaux. De l’autre, identifier des développeurs qui pourraient les aider. Je pense que ça intéresserait du monde, par exemple pour prendre le temps de découvrir une nouvelle techno en menant un projet sympa, ou une organisation qui cherche un sujet pour créer un démonstrateur de son savoir-faire, ou encore des étudiants et enseignants à la recherche de projets à mener dans un cadre universitaire… les contextes ne manquent pas.

Et pourquoi pas, si tout ça fonctionne et rend service, fédérer la démarche dans une association ou une fondation.

 

(image d’illustration : CC BY-SA Dominik Stodulski, Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Coccinellidae)




PeerTube v3 : it’s a live, a liiiiive !

Today we are releasing a major new version of PeerTube, our alternative to centralized video platforms like YouTube.

Please note:

Wait… What is PeerTube?

PeerTube is not a platform, it is a software.

Hosters can install this software on their servers and create a « PeerTube website » (an instance) where users can view and upload videos as an alternative to YouTube.

Unlike YouTube, PeerTube instances are :

  • Free: everyone has the right to use PeerTube software, you can look « under the hood » to see if the code is clean, you can even tweak it to your liking and share it!
  • Federated: each PeerTube site can synchronize with another to show their videos without hosting them on the server’s hard drive.
  • Decentralized: the videos use peer-to-peer streaming (from PeerTube to the internet user, but also from internet users to other internet users), to improve fluidity.
You are new to PeerTube and want to know more?
🔗 Joinpeertube.org

 

A v3 funded by your solidarity

In June 2020, we announced the steps of our roadmap for the next 6 months, up to PeerTube v3.

On this occasion, we launched a fundraising campaign, with the aim of financing the €60,000 that this development would cost us. Your have been very generous, as more than €68,000 have been raised.

A successful fundraising campaign, thanks to you!

We would like to thank you for this generosity especially in a difficult time for everyone. Thanks also to the sponsors of this v3, Octopuce (which proposes hosting and managed services of free-libre softwares, including PeerTube) and Code Lutin (development company specialising in free-libre software). But also the Debian project (one of the best known and most used free-libre GNU-Linux distributions) which, by their donation and their press release, gave PeerTube an international recognition.

Research, moderation, facilitation: key steps

The transition from v2.2 (June 2020 version) to v3 of PeerTube has been done in steps, with many minor improvements and at least one major development each time.

The global search of version 2.3, released during the summer, allows you to find videos in the whole federation (and not just in the federation-bubble of the PeerTube instance you are visiting).

The version 2.4 of September has improved the moderation tools, the display of playlists on external sites and the plugin system.

Illustration: David Revoy (CC-By)

At the end of September, we unveiled SepiaSearch, the PeerTube videos and channels search engine based on the global search feature. That feature was not intended to be a separate search engine, with its web interface and indexed PeerTube instance list. The constraint was to make it free and affordable, so that others could host their own PeerTube search engine, with their own rules. Your feedback helped us understand that this was expected and necessary, so we added this step to our roadmap.

click on the image to go to SepiaSearch, our PeerTube video and channel search engine.

From October onwards, development focused on live and peer-to-peer video streaming. It was a big undertaking. The fact that it happened in a difficult 2020 year (for everyone) didn’t help, but we managed to complete the challenge with almost no delay! (or very little? :p)

A minimalist and efficient peer-to-peer live stream

The great feature of this v3 is live streaming, and we are proud to say that it works very well! 🎉🎉🎉

Here is a link to the release, we hope that PeerTube Instances admin will apply the update soon!

We have detailed how it all works in the announcement of the publication of version 3 RC (for « release candidate ») which has been tested in the last few weeks.

Thank you to the Canard Réfractaire for their tests and feedback.

The main points to remember :

  • The lag (between video maker and audience) varies between 30 seconds and 1mn, as expected ;
  • Depending on the power of the server and its load (number of simultaneous live shows, transcoding, etc.), PeerTube can provide hundreds of simultaneous views (but we’re not sure that it will scale to thousands… at least not yet!);
  • Administration options are included for people hosting the instance;
  • The features are minimalist by design, and we have documented our recommendations for creating a live ;
  • The live can be done with most video streaming tool (we recommend the free-libre software OBS), with two options:
    • An « short-lived » live, with a unique identifier, will offer the possibility to save the video and display a replay on the same link;
    • A « permanent » live stream, which will work more like a Twitch channel, but without the replay option.

Illustration: David Revoy – License: CC-By 4.0

There is more than live in life

This v3 comes with many changes and improvements, thanks to the UX design work we did with Marie Cécile Godwin Paccard. Menus, notifications, administration and moderation tools have been redesigned.

Before menu redesign

After, with improved menus

This work on the menus is just one of the most visible examples of the many improvements that have been made to PeerTube to make its use more enjoyable. We are very pleased with the initial results and we are looking forward to continue this work.

« PeerTube, Backstage »

During the fundraising for this v3, a certain TomToom offered us an original contribution. Video director for Kintésens prod, he wanted to offer us a short behind-the-scenes movie about PeerTube. The challenge? To show the reality lived by our very small team, with our artisanal methods (we proudly claim the term), while respecting the will of Chocobozzz (the only paid developer on the project) not to show up on the screen and to devote his time to develop this v3.

The result? Here it is.

PeerTube’s Behind the Scenes, on Framatube
You can help us translate the French subtitles of this video by going on our translation tool.

PeerTube’s future

The next step? Getting some rest! In the meantime, don’t hesitate to give us as much feedback as possible on these new features, specifically on the live. It’s by reading your contributions on our forum that we can understand what is expected, what we need to prioritize, what needs to be corrected or improved.

We do not foresee any crowdfunding in 2021, nor to finance the future v4 of PeerTube. These fundraising put us in a paradoxical situation: we want to raise awareness about the software to raise funds, so people are interested in it, so they want to contribute, but we have little time to welcome them, because our very small team has to work hard to develop the features promised in the fundraising.

So we haven’t drawn up a strict roadmap for 2021, in order to keep ourselves available and react to the needs we perceive. We just know that the main theme of PeerTube v4 will be customization.

Centralized platforms give little power over the display of videos (newest, most viewed, just that category, etc.), the look of their platform, or even customization of the channels. Giving these capabilities back to the people seems to us to be an interesting and fun way to go.

If you wish to help us in this approach, do not hesitate to promote PeerTube around you (with the JoinPeertube website) or to financially support our not-for-profit.

Visit JoinPeertube.org Support Framasoft

 

Illustration: David Revoy – License: CC-By 4.0




PeerTube v3 : ça part en live

Nous publions aujourd’hui une nouvelle version majeure de PeerTube, notre alternative aux plateformes de vidéos centralisatrices à la YouTube.

À noter :

Mais… C’est quoi PeerTube ?

PeerTube n’est pas une plateforme, c’est un logiciel.

Ce logiciel, des hébergeurs peuvent l’installer sur leur serveur, et créer un « site web PeerTube » (on parle d’une instance) où des internautes peuvent voir et uploader des vidéos, comme une alternative à YouTube.

A la différence de YouTube, PeerTube permet de créer des instances :

  • Libres : tout le monde à le droit d’utiliser le logiciel PeerTube, on peut regarder « sous le capot » voir si le code est clean, on a même le droit de le bidouiller à sa sauce et de partager tout ça !
  • Fédérées : chacun des sites PeerTube peut se synchroniser avec les autres pour montrer les vidéos des copains sans les héberger sur le disque dur de leur serveur.
  • Décentralisées : les vidéos sont diffusées en pair-à-pair (de PeerTube vers l’internaute, mais aussi des internautes vers les autres internautes), pour une meilleure fluidité.
Vous découvrez PeerTube et voulez en savoir plus ?
🔗 Joinpeertube.org

Une v3 financée par votre solidarité

En juin 2020, nous avons annoncé les étapes de développement prévues sur les 6 prochains mois, jusqu’à la v3 de PeerTube.

À cette occasion, nous avons lancée une collecte, avec pour objectif de financer les 60 000 € qu’allait nous coûter ce développement. Votre générosité a été au rendez-vous puisque plus de 68 000 € ont été récoltés.

sur fond d'iamge de sepia, la mascotte de peertube, 2 textes invitant à soutenir par des dons le développement de peertube vers la version 3
Une collecte réussie, grâce à vous !

Nous tenons à vous remercier de cette générosité tout particulièrement en une période difficile pour tout le monde. Merci aussi aux mécènes de cette v3, Octopuce (spécialisé dans l’infogérance d’outils libres, dont du PeerTube) et Code Lutin (entreprise de développement spécialisée dans le logiciel libre). Mais aussi le projet Debian (qui travaille autour d’une des distributions Libres les plus connues et utilisées) qui, par leur don et leur communiqué, offre ainsi à PeerTube une reconnaissance internationale.

Recherche, modération, facilitation : des étapes clés

Le passage de la v2.2 (version de juin 2020) à la v3 de PeerTube s’est fait par étapes, avec de nombreuses améliorations mineures et, à chaque fois, au moins un développement majeur.

La recherche globale de la version 2.3, sortie durant l’été, permet de trouver des vidéos dans l’ensemble de la fédération (et pas juste dans la bulle de l’instance PeerTube que l’on visite).

La version 2.4 de septembre a permis d’améliorer les outils de modération, l’affichage des playlists sur les sites externes et le système de plugin.

dessin représentant Sepia, la mascotte de peertube, propulsée dans l'espace par des mini-réacteurs dans le dos, la créature souriante tient dans un tentacule une boîte à outils.
Illustration : David Revoy (CC-By)

Fin septembre, nous avons dévoilé SepiaSearch, le moteur de recherche des vidéos et chaînes PeerTube basé sur la fonctionnalité de recherche globale. Ce n’était pas prévu de faire un moteur de recherche à part, avec son interface web et sa liste d’instances PeerTube indexées. La contrainte était de la faire libre et abordable, pour que d’autres puissent héberger leur moteur de recherche PeerTube, avec leurs règles. Vos nombreux retours nous ont fait comprendre que c’était attendu et nécessaire, alors nous avons rajouté cette étape à notre feuille de route.

copie d'écran pour promouvoir le moteur de recherche pour peertube intitulé Sepia Search. Le champ de saisie des requêtes est surmonté par la mascotte armée d'une loupe.
cliquez sur l’image pour aller sur SepiaSearch, notre moteur de recherche de vidéos et chaînes PeerTube.

C’est à partir d’octobre que le développement s’est focalisé sur la diffusion de vidéos en direct et en pair-à-pair. C’était un gros morceau, comme on dit, et le fait de vivre une année 2020 difficile (pour tout le monde) n’a pas aidé, mais on a réussi à relever le pari avec quasiment pas de retard ! (ou très peu ? :p)

Un direct en pair-à-pair minimaliste et efficace

La grande fonctionnalité de cette v3 sera la diffusion en direct, et nous sommes fier·es de pouvoir dire que ça marche très bien ! 🎉🎉🎉

Voici un lien vers la release officielle. Nous espérons que les personnes qui administrent des instances PeerTube appliqueront rapidement la mise à jour !

Le fonctionnement a été détaillé dans l’annonce de la publication de la version 3 RC (pour « release candidate ») qui a été testée ces dernières semaines.

Merci aux équipes du Canard réfractaire pour leurs tests et retours.

Les principaux points à retenir :

  • Le décalage (entre vidéaste et audience) varie entre 30 secondes et 1mn, comme prévu ;
  • Suivant la puissance du serveur et sa charge (nombre de directs simultanés, transcoding, etc.), PeerTube peut assurer des centaines de vues en simultané (mais on n’assure pas si c’est des milliers… ou du moins pas encore !) ;
  • Des options d’administration sont incluses pour les personnes qui hébergent l’instance ;
  • Le fonctionnement est volontairement, minimaliste, et nous avons documenté nos recommandations pour créer un live ;
  • Le direct se fait avec un outil de flux vidéo (nous recommandons le logiciel libre OBS), avec deux options :
    • Un direct « éphémère », avec un identifiant unique, qui offrira la possibilité de sauvegarder la vidéo pour créer un replay sur le même lien ;
    • Un direct « permanent », dont le fonctionnement ressemblera plus à celui d’une chaîne Twitch, mais sans le replay.

sur ciel bleu et au-dessus d'une mer de nuages roses s'élève le dirigeable de peertube. Les vballons adoptent la forme d'un grand V3 par référence à la troisième version du logiciel. dans la nacelle, Sepia la mascotte agite doucement un tentacule comme pour nous faire bonjour
Illustration : David Revoy – Licence : CC-By 4.0

Il n’y a pas que le live dans la vie

Cette v3 est livrée avec de nombreux changements et améliorations, grâce au travail de design UX que nous avons fait avec Marie Cécile Godwin Paccard. Les menus, les notifications, et les outils d’administration et de modération ont été refondus.

Avant, des menus un peu confus

Après, des menus plus compréhensibles et moins fournis

Ce travail sur les menus n’est qu’un des exemples les plus visibles des nombreuses améliorations apportées à PeerTube pour rendre son utilisation plus agréable. Nous sommes ravi·es de ces premiers résultats et comptons poursuivre dans cette voie.

Les coulisses de PeerTube

À l’occasion de la collecte pour financer cette v3, un certain TomToom nous a proposé une contribution originale. Réalisateur de vidéos pour Kintésens prod., il a voulu nous offrir un reportage sur les coulisses de PeerTube. Le défi ? Montrer la réalité de notre toute petite équipe, aux méthodes artisanales (nous revendiquons le terme avec fierté), tout en respectant la volonté de Chocobozzz (l’unique développeur salarié sur le projet) de ne pas se montrer à l’écran et de consacrer son temps à développer cette v3.

Le résultat ? le voici :

Les Coulisses de PeerTube, sur Framatube
Et vous pouvez nous aider à traduire les sous-titres de cette vidéo vers d’autres langues en allant sur notre plateforme de traduction.

L’avenir de PeerTube

La prochaine étape ? Se reposer ! Pendant ce temps, n’hésitez pas à nous faire un maximum de retours sur ces nouvelles fonctionnalités, spécifiquement sur le live. C’est en lisant vos contributions sur notre forum que l’on peut comprendre ce qui est attendu, ce que l’on doit prioriser, ce qu’il faut corriger ou améliorer.

Nous ne prévoyons pas de crowdfunding en 2021, pour financer la future v4 de PeerTube. Ces collectes nous mettent dans une situation de paradoxe : on veut faire parler du logiciel pour récolter des financements, alors des personnes s’y intéressent, alors elles veulent contribuer, mais on a peu de temps pour les accueillir, car notre toute petite équipe doit travailler à développer les fonctionnalités promises dans la collecte…

Nous n’avons donc pas dressé une feuille de route stricte pour 2021, afin de garder de la disponibilité pour réagir aux besoins que nous percevrons. Nous savons juste que le thème principal de la v4 de PeerTube sera la personnalisation.

Les plateformes centralisatrices donnent peu de pouvoir sur l’affichage des vidéos (les plus récentes, les plus vues, juste cette catégorie, etc.), sur le look de leur plateforme, ou même sur la personnalisation pour les vidéastes. Redonner ces capacités aux personnes concernées nous semble une piste intéressante et amusante.

Si vous souhaitez nous accompagner dans cette démarche, n’hésitez pas à promouvoir PeerTube autour de vous (avec le site JoinPeertube) ou à soutenir financièrement notre association.

Visiter JoinPeertube.org Soutenir Framasoft

sur ciel bleu et au-dessus d'une mer de nuages roses s'élève le dirigeable de peertube. Les vballons adoptent la forme d'un grand V3 par référence à la troisième version du logiciel. dans la nacelle, Sepia la mascotte agite doucement un tentacule comme pour nous faire bonjour
Illustration : David Revoy – Licence : CC-By 4.0

 




Le Web est-il devenu trop compliqué ?

Le Web, tout le monde s’en sert et beaucoup en sont très contents. Mais, même parmi ceux et celles qui sont ravi·es de l’utiliser, il y a souvent des critiques. Elles portent sur de nombreux aspects et je ne vais pas essayer de lister ici toutes ces critiques. Je vais parler d’un problème souvent ressenti : le Web n’est-il pas devenu trop compliqué ?

À noter : cet article bénéficie désormais d’une version audio.
Merci à Sualtam, auteur de lectureaudio.fr pour cette contribution active.

Je ne parle pas de la complexité pour l’utilisateur, par exemple des problèmes qu’il ou elle peut avoir avec telle ou telle application Web, ou tel formulaire incompréhensible ou excluant. Non, je parle de la complexité des nombreuses technologies sous-jacentes. Alors, si vous n’êtes pas technicien·ne, vous avez peut-être envie d’arrêter votre lecture ici en pensant qu’on ne parlera que de technique. Mais ce n’est pas le cas, cet article est pour tous et toutes. (Ceci dit, si vous arrêtez votre lecture pour jouer avec le chat, manger un bon plat, lire un livre passionnant ou faire des câlins à la personne appropriée, cela ne me dérange pas et je vous souhaite un agréable moment.)

Mais revenons à l’objection « OK, les techniques utilisées dans le Web sont compliquées mais cela ne concerne que les développeuses et développeurs, non ? » Eh bien non car cette complication a des conséquences pour tous et toutes. Elle se traduit par des logiciels beaucoup plus complexes, donc elle réduit la concurrence, très peu d’organisations pouvant aujourd’hui développer un navigateur Web. Elle a pour conséquence de rendre l’utilisation du Web plus lente : bien que les machines et les réseaux aient nettement gagné en performance, le temps d’affichage d’une page ne cesse d’augmenter. Passer à la fibre ou à la 5G ne se traduira pas forcément par un gain de temps, puisque ce sont souvent les calculs nécessaires à l’affichage qui ralentissent la navigation. Et enfin cette complication augmente l’empreinte environnementale du Web, en imposant davantage d’opérations aux machines, ce qui pousse au remplacement plus rapide des terminaux.

L’insoutenable lourdeur du Web

Une page Web d’aujourd’hui n’est en effet pas une simple description d’un contenu. Elle inclut la « feuille de style », rédigée dans le langage CSS, qui va indiquer comment présenter la page, du JavaScript, un langage de programmation qui va être exécuté pour faire varier le contenu de la page, des vidéos, et d’autres choses qui souvent distraient du contenu lui-même. Je précise que je ne parle pas ici des applications tournant sur le Web (comme une application d’accès au courrier électronique, ou une application de gestion des évènements ou l’application maison utilisée par les employés d’une organisation pour gérer leur travail), non, je parle des pages Web de contenu, qui ne devraient pas avoir besoin de toute cette artillerie.

Du fait de cette complexité, il n’existe aujourd’hui que quatre ou cinq navigateurs Web réellement distincts. Écrire un navigateur Web aujourd’hui est une tâche colossale, hors de portée de la très grande majorité des organisations. La concurrence a diminué sérieusement. La complexité technique a donc des conséquences stratégiques pour le Web. Et ceci d’autant plus qu’il n’existe derrière ces navigateurs que deux moteurs de rendu, le cœur du navigateur, la partie qui interprète le langage HTML et le CSS et dessine la page. Chrome, Edge et Safari utilisent le même moteur de rendu, WebKit (ou l’une de ses variantes).

Et encore tout ne tourne pas sur votre machine. Derrière votre écran, l’affichage de la moindre page Web va déclencher d’innombrables opérations sur des machines que vous ne voyez pas, comme les calculs des entreprises publicitaires qui vont, en temps réel, déterminer les « meilleures » publicités à vous envoyer dans la figure ou comme l’activité de traçage des utilisateurs, notant en permanence ce qu’ils font, d’où elles viennent et de nombreuses autres informations, dont beaucoup sont envoyées automatiquement par votre navigateur Web, qui travaille au moins autant pour l’industrie publicitaire que pour vous. Pas étonnant que la consommation énergétique du numérique soit si importante. Et ces calculs côté serveur ont une grande influence sur la capacité du serveur à tenir face à une charge élevée, comme on l’a vu pendant les confinements Covid-19. Les sites Web de l’Éducation Nationale ne tenaient pas le coup, même quand il s’agissait uniquement de servir du contenu statique.

La surveillance coûte cher

La complexité du Web cache en effet également cette activité de surveillance, pratiquée aussi bien par les entreprises privées que par les États. Autrefois, acheter un journal à un kiosque et le lire étaient des activités largement privées. Aujourd’hui, toute activité sur le Web est enregistrée et sert à nourrir les bases de données du monde de la publicité, ou les fichiers des États. Comme exemple des informations envoyées par votre navigateur, sans que vous en ayez clairement connaissance, on peut citer bien sûr les fameux cookies. Ce sont des petits fichiers choisis par le site Web et envoyés à votre navigateur. Celui-ci les stockera et, lors d’une visite ultérieure au même site Web, renverra le cookie. C’est donc un outil puissant de suivi de l’utilisateur. Et ne croyez pas que, si vous visitez un site Web, seule l’organisation derrière ce site pourra vous pister. La plupart des pages Web incluent en effet des ressources extérieures (images, vidéos, boutons de partage), pas forcément chargés depuis le site Web que vous visitez et qui ont eux aussi leurs cookies. La loi Informatique et Libertés (et, aujourd’hui, le RGPD) impose depuis longtemps que les utilisateurs soient prévenus de ce pistage et puissent s’y opposer, mais il a fallu très longtemps pour que la CNIL tape sur la table et impose réellement cette information des utilisateurs, le « bandeau cookies ». Notez qu’il n’est pas obligatoire. D’abord, si le site Web ne piste pas les utilisateurs, il n’y a pas d’obligation d’un tel bandeau, ensuite, même en cas de pistage, de nombreuses exceptions sont prévues.

Un bandeau cookies. Notez qu’il n’y a pas de bouton Refuser.

 

Les bandeaux cookies sont en général délibérément conçus pour qu’il soit difficile de refuser. Le but est que l’utilisateur clique rapidement sur « Accepter » pour en être débarrassé, permettant ainsi à l’entreprise qui gère le site Web de prétendre qu’il y a eu consentement.

Désolé de la longueur de ce préambule, d’autant plus qu’il est très possible que, en tant que lectrice ou lecteur du Framablog, vous soyez déjà au courant. Mais il était nécessaire de revenir sur ces problèmes du Web pour mieux comprendre les projets qui visent à corriger le tir. Notez que les évolutions néfastes du Web ne sont pas qu’un problème technique. Elles sont dues à des raisons économiques et politiques et donc aucune approche purement technique ne va résoudre complètement le problème. Cela ne signifie pas que les techniciens et techniciennes doivent rester les bras croisés. Ils et elles peuvent apporter des solutions partielles au problème.

Bloquer les saletés

Première approche possible vers un Web plus léger, tenter de bloquer les services néfastes. Tout bon navigateur Web permet ainsi un certain contrôle de l’usage des cookies. C’est par exemple ce que propose Firefox dans une rubrique justement nommée « Vie privée et sécurité ».

Le menu de Firefox pour contrôler notamment les cookies

 

On peut ainsi bloquer une partie du système de surveillance. Cette approche est très recommandée mais notez que Firefox vous avertit que cela risque d’ « empêcher certains sites de fonctionner ». Cet avertissement peut faire hésiter certains utilisateurs, d’autant plus qu’avec les sites en question, il n’y aura aucun message clair, uniquement des dysfonctionnements bizarres. La plupart des sites Web commerciaux sont en effet développés sans tenir compte de la possibilité que le visiteur ait activé ces options. Si le site de votre banque ne marche plus après avoir changé ces réglages, ne comptez pas sur le support technique de la banque pour vous aider à analyser le problème, on vous dira probablement uniquement d’utiliser Google Chrome et de ne pas toucher aux réglages. D’un côté, les responsables du Web de surveillance disent qu’on a le choix, qu’on peut changer les réglages, d’un autre côté ils exercent une pression sociale intense pour qu’on ne le fasse pas. Et puis, autant on peut renoncer à regarder le site Web d’un journal lorsqu’il ne marche pas sans cookies, autant on ne peut guère en faire autant lorsqu’il s’agit de sa banque.

De même qu’on peut contrôler, voire débrayer les cookies, on peut supprimer le code Javascript. À ma connaissance, Firefox ne permet pas en standard de le faire, mais il existe une extension nommée NoScript pour le faire. Comme avec les cookies, cela posera des problèmes avec certains sites Web et, pire, ces problèmes ne se traduiront pas par des messages clairs mais par des dysfonctionnements. Là encore, peu de chance que le logiciel que l’entreprise en question a chargé de répondre aux questions sur Twitter vous aide.

Enfin, un troisième outil pour limiter les divers risques du Web est le bloqueur de publicité. (Personnellement, j’utilise uBlock Origin.)

uBlock Origin sur le site du Monde, où il a bloqué trois pisteurs et publicités. On voit aussi à gauche la liste des sites chargés automatiquement par votre navigateur quand vous regardez Le Monde.

 

Absolument indispensable à la fois pour éviter de consacrer du temps de cerveau à regarder les publicités, pour la sécurité (les réseaux de distribution de la publicité sont l’endroit idéal pour diffuser du logiciel malveillant) et aussi pour l’empreinte environnementale, le bloqueur empêchant le chargement de contenus qui feront travailler votre ordinateur pour le profit des agences de publicité et des annonceurs.

Un navigateur Web léger ?

Une solution plus radicale est de changer de navigateur Web. On peut ainsi préférer le logiciel Dillo, explicitement conçu pour la légèreté, les performances et la vie privée. Dillo marche parfaitement avec des sites Web bien conçus, mais ceux-ci ne sont qu’une infime minorité. La plupart du temps, le site sera affiché de manière bizarre. Et on ne peut pas le savoir à l’avance ; naviguer sur le Web avec Dillo, c’est avoir beaucoup de mauvaises surprises et seulement quelques bonnes (le Framablog, que vous lisez en ce moment, marche très bien avec Dillo).

Le site de l’Élysée vu par Dillo. Inutilisable (et pas par la faute de Dillo mais par le choix de l’Élysée d’un site spectaculaire plutôt qu’informatif).

 

Autre navigateur « alternatif », le Tor Browser. C’est un Firefox modifié, avec NoScript inclus et qui, surtout, ne se connecte pas directement au site Web visité mais passe par plusieurs relais du réseau Tor, supprimant ainsi un moyen de pistage fréquent, l’adresse IP de votre ordinateur. Outre que certains sites ne réagissent pas bien aux réglages du Tor Browser, le passage par le réseau Tor se traduit par des performances décrues.

Toutes ces solutions techniques, du bloqueur de publicités au navigateur léger et protecteur de la vie privée, ont un problème commun : elles sont perçues par les sites Web comme « alternatives » voire « anormales ». Non seulement le site Web risque de ne pas fonctionner normalement mais surtout, on n’est pas prévenu à l’avance, et même après on n’a pas de diagnostic clair. Le Web, pourtant devenu un écosystème très complexe, n’a pas de mécanismes permettant d’exprimer des préférences et d’être sûr qu’elles sont suivies. Certes, il existe des techniques comme l’en-tête « Do Not Track » où votre navigateur annonce qu’il ne souhaite pas être pisté mais il est impossible de garantir qu’il sera respecté et, vu le manque d’éthique de la grande majorité des sites Web, il vaut mieux ne pas compter dessus.

Gemini, une solution de rupture

Cela a mené à une approche plus radicale, sur laquelle je souhaitais terminer cet article, le projet Gemini. Gemini est un système complet d’accès à l’information, alternatif au Web, même s’il en reprend quelques techniques. Gemini est délibérément très simple : le protocole, le langage parlé entre le navigateur et le serveur, est très limité, afin d’éviter de transmettre des informations pouvant servir au pistage (comme l’en-tête User-Agent du Web) et il n’est pas extensible. Contrairement au Web, aucun mécanisme n’est prévu pour ajouter des fonctions, l’expérience du Web ayant montré que ces fonctions ne sont pas forcément dans l’intérêt de l’utilisateur. Évidemment, il n’y a pas l’équivalent des cookies. Et le format des pages est également très limité, à la fois pour permettre des navigateurs simples (pas de CSS, pas de Javascript), pour éviter de charger des ressources depuis un site tiers et pour diminuer la consommation de ressources informatiques par le navigateur. Il n’y a même pas d’images. Voici deux exemples de navigateurs Gemini :

Le client Gemini Lagrange

 

Le même site Gemini, vu par un client différent, Elpher

 

Gemini est un système récent, s’inspirant à la fois de systèmes anciens (comme le Web des débuts) et de choses plus récentes (ainsi, contrairement au Web, le chiffrement du trafic, pour compliquer la surveillance, est systématique). Il reprend notamment le concept d’URL donc par exemple le site d’informations sur les alertes de tempêtes solaires utilisé plus haut à titre d’exemple est gemini://gemini.bortzmeyer.org/presto/. Gemini est actuellement en cours de développement, de manière très ouverte, notamment sur la liste de diffusion publique du projet. Tout le monde peut participer à sa définition. (Mais, si vous voulez le faire, merci de lire la FAQ d’abord, pour ne pas recommencer une question déjà discutée.) Conformément aux buts du projet, écrire un client ou un serveur Gemini est facile et des dizaines de logiciels existent déjà. Le nom étant une allusion aux missions spatiales étatsuniennes Gemini, mais signifiant également « jumeaux » en latin, beaucoup de ces logiciels ont un nom qui évoque le spatial ou la gémellité. Pour la même raison spatiale, les sites Gemini se nomment des capsules, et il y en a actuellement quelques centaines opérationnelles. (Mais, en général, avec peu de contenu original. Gemini ressemble pour l’instant au Web des débuts, avec du contenu importé automatiquement d’autres services, et du contenu portant sur Gemini lui-même.)

On a vu que Gemini est une solution très disruptive et qui ne sera pas facilement adoptée, tant le marketing a réussi à convaincre que, sans vidéos incluses dans la page, on ne peut pas être vraiment heureux. Gemini ne prétend pas à remplacer le Web pour tous ses usages. Par exemple, un CMS, logiciel de gestion de contenu, comme le WordPress utilisé pour cet article, ne peut pas être fait avec Gemini, et ce n’est pas son but. Son principal intérêt est de nous faire réfléchir sur l’accès à l’information : de quoi avons-nous besoin pour nous informer ?

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Détruire le capitalisme de surveillance – 5

Voici la cinquième partie de l’essai que consacre Cory Doctorow au capitalisme de surveillance (parcourir sur le blog les épisodes précédents – parcourir les cinq premiers épisodes en un seul PDF de 50 pages ).

Billet original sur le Medium de OneZero : How To Destroy Surveillance Capitalism

Traduction Framalang : Claire, Fabrice, goofy, Jums, Susyl, anonymes

Dignité et sanctuaire

Quand bien même nous exercerions un contrôle démocratique sur nos États et les forcerions à arrêter de piller les silos de données comportementales du capitalisme de surveillance, ce dernier continuera à nous maltraiter. Nous vivons une époque parfaitement éclairée par Zuboff. Son chapitre sur le sanctuaire – ce sentiment de ne pas être observé – est une magnifique ode à l’introspection, au calme, à la pleine conscience et à la tranquillité.

Quand nous sommes observé⋅e, quelque chose change. N’importe quel parent sait ce que cela signifie. Vous pouvez lever la tête de votre bouquin (ou plus vraisemblablement de votre téléphone) et observer votre enfant dans un état profond de réalisation de soi et d’épanouissement, un instant où il est en train d’apprendre quelque chose à la limite de ses capacités, qui demande une concentration intense. Pendant un court laps de temps, vous êtes sidéré⋅e, et vous observez ce moment rare et beau de concentration qui se déroule devant vos yeux, et puis votre enfant lève la tête, vous voit le regarder, et ce moment s’évanouit. Pour grandir, vous devez être vous-même et donner à voir votre moi authentique, c’est à ce moment que vous devenez vulnérable, tel un bernard-l’hermite entre deux coquilles.

Cette partie de vous, tendre et fragile, que vous exposez au monde dans ces moments-là, est bien trop délicate pour être révélée à autrui, pas même à une personne à laquelle vous faites autant confiance qu’un enfant à ses parents.

À l’ère numérique, notre moi authentique est inextricablement mêlé à de notre vie en ligne. Votre historique de recherche est un enregistrement en continu des questions que vous vous posez. Votre historique de géolocalisation est un registre des endroits que vous cherchiez et des expériences que vous avez vécues en ces lieux. Votre réseau social révèle les différentes facettes de votre personnalité ainsi que les gens avec qui vous êtes en contact.

Être observé pendant ces activités, c’est perdre le sanctuaire de votre moi authentique. Mais il y a une autre manière pour le capitalisme de surveillance de nous dérober notre capacité d’être véritablement nous-même : nous rendre anxieux. Ce capitalisme de surveillance n’est pas vraiment un rayon de contrôle mental, pas besoin de ça pour rendre quelqu’un anxieux. Après tout, l’anxiété est le synonyme d’agitation, et pour qu’une personne se sente agitée, il n’y a pas vraiment besoin de la secouer. Il suffit d’aiguillonner et de piquer et de notifier et de bourdonner autour et de bombarder de manière intermittente et juste assez aléatoire pour que notre système limbique ne puisse jamais vraiment s’y habituer.

Nos appareils et nos services sont polyvalents dans le sens où ils peuvent connecter n’importe quoi ou n’importe qui à n’importe quoi ou à n’importe qui d’autre, et peuvent aussi exécuter n’importe quel programme. Cela signifie que ces rectangles de distractions dans nos poches détiennent nos plus précieux moments avec nos proches, tout comme les communications les plus urgentes et les plus sensibles (de « je suis en retard, peux-tu aller chercher les gamins ? » jusqu’à « mauvaise nouvelle du docteur, il faut qu’on parle TOUT DE SUITE »), mais aussi les pubs pour les frigos et les messages de recrutement nazis.

À toute heure du jour ou de la nuit, nos poches sonnent, font voler en éclat notre concentration, détruisent le fragile maillage de nos réflexions quand nous avons besoin de penser des situations difficiles. Si vous enfermiez quelqu’un dans une cellule et que vous l’agitiez de la sorte, on appellerait ça de la torture par privation de sommeil, et ce serait considéré comme un crime de guerre par la Convention de Genève.

Affliger les affligés

Les effets de la surveillance sur notre capacité à être nous-mêmes ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Certain⋅e⋅s d’entre nous ont la chance de vivre à une époque et dans un lieu où tous les faits les plus importants de leur vie sont socialement acceptés et peuvent être exposés au grand jour sans en craindre les conséquences sociales.

Mais pour beaucoup d’entre nous, ce n’est pas le cas. Rappelez-vous que, d’aussi loin qu’on s’en souvienne, de nombreuses façons d’être, considérées aujourd’hui comme socialement acceptables, ont donné lieu à de terribles condamnations sociales, voire à des peines d’emprisonnement. Si vous avez 65 ans, vous avez connu une époque où les personnes vivant dans des « sociétés libres » pouvaient être emprisonnées ou punies pour s’être livrées à des pratiques homosexuelles, pour être tombées amoureuses d’une personne dont la peau était d’une couleur différente de la leur, ou pour avoir fumé de l’herbe.

Aujourd’hui, non seulement ces pratiques sont dépénalisées dans une grande partie du monde, mais en plus, elles sont considérées comme normales, et les anciennes prohibitions sont alors vues comme des vestiges d’un passé honteux et regrettable.

Comment sommes-nous passés de la prohibition à la normalisation ? Par une activité privée et personnelle : les personnes dont l’homosexualité étaient secrète ou qui fumaient de l’herbe en secret, ou qui aimaient quelqu’un d’une couleur de peau différente de la leur en secret, étaient susceptibles de représailles si elles dévoilaient leur moi authentique. On les empêchait de défendre leur droit à exister dans le monde et à être en accord avec elles-mêmes. Mais grâce à la sphère privée, ces personnes pouvaient former des liens forts avec leurs amis et leurs proches qui ne partageaient pas leurs manières de vivre mal vues par la société. Elles avaient des conversations privées dans lesquelles elles se dévoilaient, elles révélaient leur moi authentique à leurs proches, puis les ralliaient à leur cause au fil des conversations.

Le droit de choisir le moment et la manière d’aborder ces conversations a joué un rôle fondamental dans le renversement des normes. C’est une chose de faire son coming out à son père au cours d’une sortie de pêche à l’écart du monde, c’en est une autre de tout déballer pendant le repas de Noël, en présence de son oncle raciste sur Facebook prêt à faire une scène.

Sans sphère privée, il est possible qu’aucun de ces changements n’aurait eu lieu et que les personnes qui en ont bénéficié auraient subi une condamnation sociale pour avoir fait leur coming out face à un monde hostile ou alors elles n’auraient jamais pu révéler leur moi authentique aux personnes qu’elles aiment.

Et donc, à moins que vous ne pensiez que notre société ait atteint la perfection sociale – et que vos petits-enfants vous demanderont dans 50 ans de leur raconter comment, en 2020, toutes les injustices ont été réparées et qu’il n’y avait plus eu de changement à apporter –, vous devez vous attendre à ce qu’en ce moment même figurent parmi vos proches des personnes, dont le bonheur est indissociable du vôtre, et dont le cœur abrite un secret qui les empêche toujours de dévoiler leur moi authentique en votre présence. Ces personnes souffrent et emporteront leur chagrin secret dans leur tombe, et la source de ce chagrin, ce sera les relations faussées qu’elles entretenaient avec vous.

Une sphère privée est nécessaire au progrès humain.

Toute donnée collectée et conservée finit par fuiter

L’absence de vie privée peut empêcher les personnes vulnérables d’exprimer leur moi authentique et limiter nos actions en nous privant d’un sanctuaire. Mais il existe un autre risque, encouru par tous et pas seulement par les personnes détenant un secret : la criminalité.

Les informations d’identification personnelle présentent un intérêt très limité pour contrôler l’esprit des gens, mais le vol d’identité – terme fourre-tout pour désigner toute une série de pratiques délictueuses graves, susceptibles de détruire vos finances, de compromettre votre intégrité personnelle, de ruiner votre réputation, voire de vous exposer à un danger physique – est en pleine expansion.

Les attaquants ne se limitent pas à utiliser des données issues de l’intrusion dans une seule et même source.

De nombreux services ont subi des violations qui ont révélé des noms, des adresses, des numéros de téléphone, des mots de passe, des préférences sexuelles, des résultats scolaires, des réalisations professionnelles, des démêlés avec la justice, des informations familiales, des données génétiques, des empreintes digitales et autres données biométriques, des habitudes de lecture, des historiques de recherche, des goûts littéraires, des pseudonymes et autres données sensibles. Les attaquants peuvent fusionner les données provenant de ces violations pour constituer des dossiers très détaillés sur des sujets choisis au hasard, puis utiliser certaines parties des données pour commettre divers délits.

Les attaquants peuvent, par exemple, utiliser des combinaisons de noms d’utilisateur et de mots de passe dérobés pour détourner des flottes entières de véhicules commerciaux équipés de systèmes de repérage GPS et d’immobilisation antivol, ou pour détourner des babyphones afin de terroriser les tout-petits en diffusant du contenu audio pornographique. Les attaquants utilisent les données divulguées pour tromper les opérateurs téléphoniques afin qu’ils leur communiquent votre numéro de téléphone, puis ils interceptent des codes d’authentification à deux facteurs par SMS pour pirater votre courrier électronique, votre compte bancaire ou vos portefeuilles de crypto-monnaie.

Les attaquants rivalisent de créativité pour trouver des moyens de transformer les données divulguées en armes. Ces données sont généralement utilisées pour pénétrer dans les entreprises afin d’accéder à davantage de données.

Tout comme les espions, les fraudeurs en ligne dépendent entièrement des entreprises qui collectent et conservent nos données à outrance. Les agences d’espionnage paient voire intimident parfois des entreprises pour avoir accès à leurs données, elles peuvent aussi se comporter comme des délinquants et dérober du contenu de bases de données d’entreprises.

La collecte excessive de données entraîne de graves conséquences sociales, depuis la destruction de notre moi authentique jusqu’au recul du progrès social, de la surveillance de l’État à une épidémie de cybercriminalité. La surveillance commerciale est également une aubaine pour les personnes qui organisent des campagnes d’influence, mais c’est le cadet de nos soucis.

L’exceptionnalisme technologique critique reste un exceptionnalisme technologique

Les géants de la tech ont longtemps pratiqué un exceptionnalisme technologique : cette idée selon laquelle ils ne devraient pas être soumis aux lois et aux normes du commun des mortels. Des devises comme celle de Facebook « Move fast and break things » [avancer vite et casser des choses, NdT] ont provoqué un mépris compréhensible envers ces entreprises à la rhétorique égoïste.

L’exceptionnalisme technologique nous a tous mis dans le pétrin. Il est donc assez ironique et affligeant de voir les critiques des géants de la tech commettre le même péché.

Les géants de la tech ne forment pas un « capitalisme voyou » qui ne peut être guéri par les remèdes traditionnels anti-monopole que sont le démantèlement des trusts (forcer les entreprises à se défaire des concurrents qu’elles ont acquis) et l’interdiction des fusions monopolistiques et autres tactiques anticoncurrentielles. Les géants de la tech n’ont pas le pouvoir d’utiliser l’apprentissage machine pour influencer notre comportement de manière si approfondie que les marchés perdent la capacité de punir les mauvais acteurs et de récompenser les concurrents vertueux. Les géants de la tech n’ont pas de rayon de contrôle mental qui réécrit les règles, si c’était le cas, nous devrions nous débarrasser de notre vieille boîte à outils.

Cela fait des siècles que des gens prétendent avoir mis au point ce rayon de contrôle mental et cela s’est toujours avéré être une arnaque, même si parfois les escrocs se sont également arnaqués entre eux.

Depuis des générations, le secteur de la publicité améliore constamment sa capacité à vendre des services publicitaires aux entreprises, tout en ne réalisant que des gains marginaux sur la vente des produits de ces entreprises. La complainte de John Wanamaker selon laquelle « La moitié de l’argent que je dépense en publicité est gaspillée, mais je ne sais pas quelle moitié » témoigne du triomphe des directeurs de la publicité qui ont réussi à convaincre Wanamaker que la moitié seulement de ce qu’il dépense était gaspillée.

L’industrie technologique a fait d’énormes progrès dans la capacité à convaincre les entreprises qu’elles sont douées pour la publicité, alors que leurs améliorations réelles en matière de publicité, par opposition au ciblage, ont été plutôt modestes. La vogue de l’apprentissage machine – et l’invocation mystique de l’« intelligence artificielle » comme synonyme de techniques d’inférence statistique directe – a considérablement renforcé l’efficacité du discours commercial des géants de la tech, car les spécialistes du marketing ont exploité le manque de connaissance technique des clients potentiels pour s’en tirer avec énormément de promesses et peu de résultats.

Il est tentant de penser que si les entreprises sont prêtes à déverser des milliards dans un projet, celui-ci doit être bon. Pourtant, il arrive souvent que cette règle empirique nous fasse faire fausse route. Par exemple, on n’a pratiquement jamais entendu dire que les fonds d’investissement surpassent les simples fonds indiciels, et les investisseurs qui confient leur argent à des gestionnaires de fonds experts s’en sortent généralement moins bien que ceux qui confient leur épargne à des fonds indiciels. Mais les fonds gérés représentent toujours la majorité de l’argent investi sur les marchés, et ils sont soutenus par certains des investisseurs les plus riches et les plus pointus du monde. Leur vote de confiance dans un secteur aussi peu performant est une belle leçon sur le rôle de la chance dans l’accumulation de richesses, et non un signe que les fonds de placement sont une bonne affaire.

Les affirmations du système de contrôle mental des géants de la tech laissent à penser que cette pratique est une arnaque. Par exemple, avec le recours aux traits de personnalité des « cinq grands » comme principal moyen d’influencer les gens, même si cette théorie des cinq grands n’est étayée par aucune étude à grande échelle évaluée par des pairs, et qu’elle est surtout l’apanage des baratineurs en marketing et des psychologues pop.

Le matériel promotionnel des géants de la tech prétend aussi que leurs algorithmes peuvent effectuer avec précision une « analyse des sentiments » ou détecter l’humeur des gens à partir de leurs « micro-expressions », mais il s’agit là d’affirmations marketing et non scientifiques. Ces méthodes n’ont pas été testées par des scientifiques indépendants, et lorsqu’elles l’ont été, elles se sont révélées très insuffisantes. Les micro-expressions sont particulièrement suspectes car il a été démontré que les entreprises spécialisées dans la formation de personnes pour les détecter sont moins performantes que si on laissait faire le hasard.

Les géants de la tech ont été si efficaces pour commercialiser leurs soi-disant super-pouvoirs qu’il est facile de croire qu’elles peuvent commercialiser tout le reste avec la même habileté, mais c’est une erreur de croire au baratin du marketing. Aucune déclaration d’une entreprise sur la qualité de ses produits n’est évidemment impartiale. Le fait que nous nous méfions de tout ce que disent les géants de la tech sur le traitement des données, le respect des lois sur la protection de la vie privée, etc. est tout à fait légitime, car pourquoi goberions-nous la littérature marketing comme s’il s’agissait d’une vérité d’évangile ? Les géants de la tech mentent sur à peu près tout, y compris sur le fonctionnement de leurs systèmes de persuasion alimentés par l’apprentissage automatique.

Ce scepticisme devrait imprégner toutes nos évaluations des géants de la tech et de leurs capacités supposées, y compris à la lecture attentive de leurs brevets. Zuboff confère à ces brevets une importance énorme, en soulignant que Google a revendiqué de nouvelles capacités de persuasion dans ses dépôts de brevets. Ces affirmations sont doublement suspectes : d’abord parce qu’elles sont très intéressées, et ensuite parce que le brevet lui-même est notoirement une invitation à l’exagération.

Les demandes de brevet prennent la forme d’une série de revendications et vont des plus étendues aux plus étroites. Un brevet typique commence par affirmer que ses auteurs ont inventé une méthode ou un système permettant de faire absolument tout ce qu’il est possible d’imaginer avec un outil ou un dispositif. Ensuite, il réduit cette revendication par étapes successives jusqu’à ce que nous arrivions à l’« invention » réelle qui est le véritable objet du brevet. L’espoir est que la personne qui passe en revue les demandes de brevets – qui est presque certainement surchargée de travail et sous-informée – ne verra pas que certaines (ou toutes) ces revendications sont ridicules, ou du moins suspectes, et qu’elle accordera des prétentions plus larges du brevet. Les brevets portant sur des choses non brevetables sont tout de même très utiles, car ils peuvent être utilisés contre des concurrents qui pourraient accorder une licence sur ce brevet ou se tenir à l’écart de ses revendications, plutôt que de subir le long et coûteux processus de contestation.

De plus, les brevets logiciels sont couramment accordés même si le déposant n’a aucune preuve qu’il peut faire ce que le brevet prétend. C’est-à-dire que vous pouvez breveter une « invention » que vous n’avez pas réellement faite et que vous ne savez pas comment faire.

Avec ces considérations en tête, il devient évident que le fait qu’un Géant de la tech ait breveté ce qu’il qualifie de rayon efficace de contrôle mental ne permet nullement de savoir si cette entreprise peut effectivement contrôler nos esprits.

Les géants de la tech collectent nos données pour de nombreuses raisons, y compris la diminution du rendement des stocks de données existants. Mais de nombreuses entreprises technologiques collectent également des données en raison d’une croyance exceptionnaliste erronée aux effets de réseau des données. Les effets de réseau se produisent lorsque chaque nouvel utilisateur d’un système augmente sa valeur. L’exemple classique est celui des télécopieurs [des fax NdT] : un seul télécopieur ne sert à rien, deux télécopieurs sont d’une utilité limitée, mais chaque nouveau télécopieur mis en service après le premier double le nombre de liaisons possibles de télécopie à télécopie.

Les données exploitées pour les systèmes prédictifs ne produisent pas nécessairement ces bénéfices. Pensez à Netflix : la valeur prédictive des données extraites d’un million d’utilisateurs anglophones de Netflix n’est guère améliorée par l’ajout des données de visualisation d’un utilisateur supplémentaire. La plupart des données que Netflix acquiert après ce premier échantillon minimum viable font double emploi avec des données existantes et ne produisent que des gains minimes. En attendant, le recyclage des modèles avec de nouvelles données devient plus cher à mesure que le nombre de points de données augmente, et les tâches manuelles comme l’étiquetage et la validation des données ne deviennent pas moins chères lorsqu’on augmente l’ordre de grandeur.

Les entreprises font tout le temps la course aux modes au détriment de leurs propres profits, surtout lorsque ces entreprises et leurs investisseurs ne sont pas motivés par la perspective de devenir rentables mais plutôt par celle d’être rachetés par un Géant de la tech ou d’être introduits en Bourse. Pour ces entreprises, cocher des cases à la mode comme « collecte autant de données que possible » pourrait permettre d’obtenir un meilleur retour sur investissement que « collecte une quantité de données adaptée à l’entreprise ».

C’est un autre dommage causé par l’exceptionnalisme technologique : la croyance selon laquelle davantage de données produit toujours plus de profits sous la forme de plus d’informations qui peuvent être traduites en de meilleurs rayons de contrôle mental. Cela pousse les entreprises à collecter et à conserver des données de manière excessive, au-delà de toute rationalité. Et comme les entreprises se comportent de manière irrationnelle, bon nombre d’entre elles vont faire faillite et devenir des navires fantômes dont les cales sont remplies de données qui peuvent nuire aux gens de multiples façons, mais dont personne n’est plus responsable. Même si les entreprises ne font pas faillite, les données qu’elles collectent sont maintenues en-deça de la sécurité minimale viable – juste assez de sécurité pour maintenir la viabilité de l’entreprise en attendant d’être rachetées par un Géant de la tech, un montant calculé pour ne pas dépenser un centime de trop pour la protection des données.

Comment les monopoles, et non le contrôle de la pensée, conduisent à la surveillance capitaliste : le cas de Snapchat

Pendant la première décennie de son existence, Facebook est entré en concurrence avec les réseaux sociaux de l’époque (Myspace, Orkut, etc) en se présentant comme l’alternative respectant de la vie privée. De fait, Facebook a justifié son jardin clos, qui permet aux utilisateurs d’y amener des données du Web, mais empêche les services tels que Google Search d’indexer et de mémoriser les pages Facebook, en tant que mesure de respect de la vie privée qui protège les utilisateurs des heureux gagnants de la bataille des réseaux sociaux comme Myspace.

En dépit des fréquentes promesses disant qu’il ne collecterait ou n’analyserait jamais les données de ses utilisateurs, Facebook a lancé à intervalles réguliers des initiatives exactement dans ce but, comme le sinistre Beacon tool, qui vous espionne lorsque vous surfez sur le Web puis ajoute vos activités sur le web à votre timeline publique, permettant à vos amis de surveiller vos habitudes de navigation. Beacon a suscité une révolte des utilisateurs. À chaque fois, Facebook a renoncé à ses actions de surveillance, mais jamais complètement ; inévitablement, le nouveau Facebook vous surveillera plus que l’ancien Facebook, mais moins que le Facebook intermédiaire qui suit le lancement d’un nouveau produit ou service.

Le rythme auquel Facebook a augmenté ses efforts de surveillance semble lié au climat compétitif autour de Facebook. Plus Facebook avait de concurrents, mieux il se comportait. À chaque fois qu’un concurrent majeur s’est effondré, le comportement de Facebook s’est notablement dégradé.

Dans le même temps, Facebook a racheté un nombre prodigieux d’entreprises, y compris une société du nom de Onavo. À l’origine, Onavo a créé une application mobile pour suivre l’évolution de la batterie. Mais les permissions que demandaient Onavo étaient telles que l’appli était capable de recueillir de façon très précise l’intégralité de ce que les utilisateurs font avec leurs téléphones, y compris quelles applis ils utilisent et comment.

Avec l’exemple d’Onavo, Facebook a découvert qu’il était en train de perdre des parts de marché au profit de Snapchat, une appli qui, comme Facebook une décennie plus tôt, se vend comme l’alternative qui respecte la vie privée par rapport au statu quo . À travers Onavo, Facebook a pu extraire des données des appareils des utilisateurs de Snapchat, que ce soient des utilisateurs actuels ou passés. Cela a poussé Facebook à racheter Instagram, dont certaines fonctionnalités sont concurrentes de Snapchat, et a permis à Facebook d’ajuster les fonctionnalités d’Instagram ainsi que son discours marketing dans le but d’éroder les gains de Snapchat et s’assurer que Facebook n’aurait pas à faire face aux pressions de la concurrence comme celles subies par le passé par Myspace et Orkut.

La manière dont Facebook a écrasé Snapchat révèle le lien entre le monopole et le capitalisme de surveillance. Facebook a combiné la surveillance avec une application laxiste des lois antitrust pour repérer de loin la menace de la concurrence par Snapchat et pour prendre des mesures décisives à son encontre. Le capitalisme de surveillance de Facebook lui a permis d’éviter la pression de la concurrence avec des tactiques anti-compétitives. Les utilisateurs de Facebook veulent toujours de la confidentialité, Facebook n’a pas utilisé la surveillance pour les convaincre du contraire, mais ils ne peuvent pas l’obtenir car la surveillance de Facebook lui permet de détruire tout espoir d’émergence d’un rival qui lui fait concurrence sur les fonctionnalités de confidentialité.

Un monopole sur vos amis

Un mouvement de décentralisation a essayé d’éroder la domination de Facebook et autres entreprises des géants de la tech en proposant des alternatives sur le Web indépendant (indieweb) : Mastodon en alternative à Twitter, Diaspora en alternative à Facebook, etc, mais ces efforts ont échoué à décoller.

Fondamentalement, chacun de ces services est paralysé par le même problème : tout utilisateur potentiel d’une alternative de Facebook ou Twitter doit convaincre tous ses amis de le suivre sur une alternative décentralisée pour pouvoir continuer à avoir les bénéfices d’un média social. Pour beaucoup d’entre nous, la seule raison pour laquelle nous avons un compte Facebook est parce que nos amis ont des comptes Facebook, et la raison pour laquelle ils ont des comptes Facebook est que nous avons des comptes Facebook.

Tout cela a contribué à faire de Facebook, et autres plateformes dominantes, des « zones de tir à vue » dans lesquelles aucun investisseur ne financera un nouveau venu.

Et pourtant, tous les géants d’aujourd’hui sont apparus malgré l’avantage bien ancré des entreprises qui existaient avant eux. Pour comprendre comment cela a été possible, il nous faut comprendre l’interopérabilité et l’interopérabilité antagoniste.

Le gros problème de nos espèces est la coordination.

L’« interopérabilité » est la capacité qu’ont deux technologies à fonctionner l’une avec l’autre : n’importe qui peut fabriquer un disque qui jouera sur tous les lecteurs de disques, n’importe qui peut fabriquer un filtre que vous pourrez installer sur la ventilation de votre cuisinière, n’importe qui peut fabriquer l’essence pour votre voiture, n’importe qui peut fabriquer un chargeur USB pour téléphone qui fonctionnera dans votre allume-cigare, n’importe qui peut fabriquer une ampoule qui marchera dans le culot de votre lampe, n’importe qui peut fabriquer un pain qui grillera dans votre grille-pain.

L’interopérabilité est souvent une source d’innovation au bénéfice du consommateur : Apple a fabriqué le premier ordinateur personnel viable commercialement, mais des millions de vendeurs de logiciels indépendants ont fait des programmes interopérables qui fonctionnaient sur l’Apple II Plus. La simple antenne pour les entrées analogiques à l’arrière des téléviseurs a d’abord permis aux opérateurs de câbles de se connecter directement aux télévisions, puis ont permis aux entreprises de consoles de jeux et ensuite aux ordinateurs personnels d’utiliser une télévision standard comme écran. Les prises téléphoniques RJ11 standardisées ont permis la production de téléphones par divers vendeurs avec divers formes, depuis le téléphone en forme de ballon de foot reçu en cadeau d’abonnement de Sports Illustrated, aux téléphones d’affaires avec haut-parleurs, mise en attente, et autres, jusqu’aux répondeurs et enfin les modems, ouvrant la voie à la révolution d’Internet.

On utilise souvent indifféremment « interopérabilité » et « standardisation », qui est le processus pendant lequel les fabricants et autres concernés négocient une liste de règles pour l’implémentation d’une technologie, comme les prises électriques de vos murs, le bus de données CAN utilisé par le système de votre voiture, ou les instructions HTML que votre navigateur internet interprète.

Mais l’interopérabilité ne nécessite pas la standardisation, en effet la standardisation émerge souvent du chaos de mesures d’interopérabilité ad hoc. L’inventeur du chargeur USB dans l’allume-cigare n’a pas eu besoin d’avoir la permission des fabricants de voitures ou même des fabricants des pièces du tableau de bord. Les fabricants automobiles n’ont pas mis en place des contre-mesures pour empêcher l’utilisation de ces accessoires d’après-vente par leurs consommateurs, mais ils n’ont pas non plus fait en sorte de faciliter la vie des fabricants de chargeurs. Il s’agit d’une forme d’« interopérabilité neutre ».

Au-delà de l’interopérabilité neutre, il existe l’« interopérabilité antagoniste ». C’est quand un fabricant crée un produit qui interagit avec le produit d’un autre fabricant en dépit des objections du deuxième fabricant, et cela même si ça nécessite de contourner un système de sécurité conçu pour empêcher l’interopérabilité.

Le type d’interopérabilité antagoniste le plus usuel est sans doute les cartouches d’encre d’imprimantes par des fournisseurs tiers. Les fabricants d’imprimantes affirment qu’ils vendent les imprimantes en-dessous de leur coût et que leur seul moyen de récupérer les pertes est de se constituer une marge élevée sur les encres. Pour empêcher les propriétaires d’imprimantes d’acheter leurs cartouches ailleurs, les entreprises d’imprimantes appliquent une série de systèmes de sécurité anti-consommateurs qui détectent et rejettent les cartouches re-remplies ou par des tiers.

Les propriétaires d’imprimantes quant à eux défendent le point de vue que HP et Epson et Brother ne sont pas des œuvres caritatives et que les consommateurs de leurs produits n’ont aucune obligation à les aider à survivre, et donc que si ces entreprises choisissent de vendre leurs produits à perte, il s’agit de leur choix stupide et à eux d’assumer les conséquences. De même, les compétiteurs qui fabriquent des cartouches ou les re-remplissent font remarquer qu’ils ne doivent rien aux entreprises d’imprimantes, et que le fait qu’ils érodent les marges de ces entreprises est le problème de celles-ci et non celui de leurs compétiteurs. Après tout, les entreprises d’imprimantes n’ont aucun scrupule à pousser un re-remplisseur à fermer boutique, donc pourquoi est-ce que les re-remplisseurs devraient se soucier de la bonne santé économique des entreprises d’imprimantes ?

L’interopérabilité antagoniste a joué un rôle hors normes dans l’histoire de l’industrie tech : depuis la création du « alt.* » dans l’architecture de Usenet (qui a commencé à l’encontre des souhaits des responsables de Usenet et qui s’est développé au point d’être plus important que tout le Usenet combiné) à la guerre des navigateurs (lorsque Netscape et Microsoft ont dépensé d’énormes ressources en ingénierie pour faire en sorte que leur navigateur soit incompatible avec les fonctionnalités spéciales et autres peccadilles de l’autre) à Facebook (dont le succès a entre autres été dû au fait qu’il a aidé ses nouveaux utilisateurs en leur permettant de rester en contact avec les amis qu’ils ont laissés sur Myspace parce que Facebook leur a fourni un outil pour s’emparer des messages en attente sur Myspace et les importer sur Facebook, créant en pratique un lecteur Myspace basé sur Facebook).

Aujourd’hui, la validation par le nombre est considérée comme un avantage inattaquable. Facebook est là où tous vos amis sont, donc personne ne peut fonder un concurrent à Facebook. Mais la compatibilité antagoniste retourne l’avantage concurrentiel : si vous êtes autorisés à concurrencer Facebook en proposant un outil qui importe les messages en attente sur Facebook de tous vos utilisateurs dans un environnement qui est compétitif sur des terrains que Facebook ne pourra jamais atteindre, comme l’élimination de la surveillance et des pubs, alors Facebook serait en désavantage majeur. Vous aurez rassemblé tous les potentiels ex-utilisateurs de Facebook sur un unique service facile à trouver. Vous les auriez éduqués sur la façon dont un service Facebook-like fonctionne et quels sont ses potentiels avantages, et vous aurez fourni un moyen simple aux utilisateurs mécontents de Facebook pour dire à leurs amis où ils peuvent trouver un meilleur traitement.

L’interopérabilité antagoniste a été la norme pendant un temps et une contribution clef à une scène tech dynamique et vibrante, mais à présent elle est coincée derrière une épaisse forêt de lois et règlements qui ajoutent un risque légal aux tactiques éprouvées de l’interopérabilité antagoniste. Ces nouvelles règles et les nouvelles interprétations des règles existantes signifient qu’un potentiel « interopérateur » antagoniste aura besoin d’échapper aux réclamations de droits d’auteurs, conditions de service, secret commercial, ingérence et brevets.

En l’absence d’un marché concurrentiel, les faiseurs de lois ont délégué des tâches lourdes et gouvernementales aux sociétés de Big Tech, telles que le filtrage automatique des contributions des utilisateurs pour la violation des droits d’auteur ou pour des contenus terroristes et extrémistes ou pour détecter et empêcher le harcèlement en temps réel ou encore pour contrôler l’accès au contenu sexuel.

Ces mesures ont fixé une taille minimale à partir de laquelle on peut faire du Big Tech, car seules les très grandes entreprises peuvent se permettre les filtres humains et automatiques nécessaires pour se charger de ces tâches.

Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle rendre les plateformes responsables du maintien de l’ordre parmi leurs utilisateurs mine la compétition. Une plateforme qui est chargée de contrôler le comportement de ses utilisateurs doit empêcher de nombreuses techniques vitales à l’interopérabilité antagoniste de peur qu’elles ne contreviennent à ses mesures de contrôle. Par exemple si quelqu’un utilisant un remplaçant de Twitter tel que Mastodon est capable de poster des messages sur Twitter et de lire des messages hors de Twitter, il pourrait éviter les systèmes automatiques qui détectent et empêchent le harcèlement (tels que les systèmes qui utilisent le timing des messages ou des règles basées sur les IP pour estimer si quelqu’un est un harceleur).

Au point que nous sommes prêts à laisser les géants de la tech s’autocontrôler, plutôt que de faire en sorte que leur industrie soit suffisamment limitée pour que les utilisateurs puissent quitter les mauvaises plateformes pour des meilleures et suffisamment petites pour qu’une réglementation qui ferait fermer une plateforme ne détruirait pas l’accès aux communautés et données de milliards d’utilisateurs, nous avons fait en sorte que les géants de la tech soient en mesure de bloquer leurs concurrents et qu’il leur soit plus facile de demander un encadrement légal des outils pour bannir et punir les tentatives à l’interopérabilité antagoniste.

En définitive, nous pouvons essayer de réparer les géants de la tech en les rendant responsables pour les actes malfaisants de ses utilisateurs, ou bien nous pouvons essayer de réparer Internet en réduisant la taille de géants. Mais nous ne pouvons pas faire les deux. Pour pouvoir remplacer les produits des géants d’aujourd’hui, nous avons besoin d’éclaircir la forêt légale qui empêche l’interopérabilité antagoniste de façon à ce que les produits de demain, agiles, personnels, de petite échelle, puissent se fédérer sur les géants tels que Facebook, permettant aux utilisateurs qui sont partis à continuer à communiquer avec les utilisateurs qui ne sont pas encore partis, envoyant des vignes au-dessus du mur du jardin de Facebook afin que les utilisateurs piégés de Facebook puissent s’en servir afin de grimper aux murs et de s’enfuir, accédant au Web ouvert et global.

(à suivre)




Flus, un média social pour apaiser votre veille sur le Web

Aujourd’hui spécial copinage, mais quand un projet libre est porté par des valeurs et des convictions que nous partageons, il serait dommage de ne pas vous en faire profiter.

Un (encore) jeune développeur indépendant qui envisage lucidement de vivre de son travail et le documente soigneusement, ça mérite une interview qui pourra donner des idées à plusieurs, du moins espérons-le.

Bon allez Marien dis-leur qu’on te connaît un peu par ici, balance ta bio vite fait…

Mince, je suis démasqué ! C’est vrai que ça fait un moment que je traîne mes basques chez Framasoft, puisque j’ai rejoint l’association en 2015. J’ai la chance d’avoir vécu sa renaissance avec la campagne Dégooglisons Internet, puis Contributopia. Mon plus grand fait de claviers a été de mettre en place Framaboard. Depuis, j’essaie surtout de faire des choses en interne quand l’énergie m’en prend, comme prendre soin de notre wiki. On m’a également vu faire quelques mèmes (ça vous dit quelque chose l’interview de la #teamMémé ?). Pour terminer, je suis devenu coprésident de l’asso en 2019. Voilà, pour l’aspect « conflit d’intérêts », c’est fait !

À part ça, j’ai une formation d’ingénieur en informatique et suis principalement développeur. Je suis tombé dans la marmite du logiciel libre quand j’étais lycéen et tout ce que j’ai pu développer ou écrire sur mon temps libre a toujours été placé sous une licence libre. Le logiciel que j’ai initié et qui a reçu le plus large (et meilleur) accueil est FreshRSS, un agrégateur de flux RSS (un outil pour centraliser les articles de plein de sites différents). Je m’en suis éloigné quelques années, laissant à la communauté le soin de s’en occuper, j’y reviens par le biais de Flus.

Si vous voulez en savoir plus et que vous êtes du côté de Grenoble, c’est toujours un plaisir d’aller boire un coup ensemble ou se croiser aux Contrib’ateliers (hors période de conf… vous avez compris hein).

Comment se prononce ton projet ? Flu ? Flusse ? Fluzio ? Fluzefreu ?

Flûte !

Plus sérieusement, je prononce « Flu », comme « flux », et je ne comprends pas pourquoi absolument tout le monde semble vouloir prononcer « Flusse ». Mais honnêtement, ce n’est pas grave : chacun‧e sa prononciation ! Les variantes ont tendance à m’amuser et, à vrai dire, je trouve fluzio plutôt sympa à prononcer.

En fait, prononcez comme vous le souhaitez, mais soyez créati‧ves !

Ça sert à quoi, Flus ? Il y a déjà des agrégateurs de flux, j’en ai un, avec plein de trucs dedans d’ailleurs.
Pourquoi passer à Flus ? Et d’abord est-ce que ce sera facile ?

La première chose à savoir c’est qu’il y avait Flus 1, agrégateur de flux RSS, et  désormais Flus 2, média social de veille.

Le premier Flus, celui que j’ai lancé fin novembre 2019, est un service basé sur FreshRSS. Il est accessible à l’adresse flus.io. Ce service était un ballon d’essai : je voulais me frotter à la mise en place d’un service payant en ligne pour essayer d’en vivre sans savoir exactement ce que ça impliquait. Il s’agit d’un agrégateur de flux RSS standard que j’ai du mal à vendre puisqu’il existe pléthore d’alternatives. Je n’avais de toutes façons pas pour ambition de vendre un simple agrégateur de flux RSS : je voulais faire évoluer le logiciel. Toutefois, la base de code commence à dater (les premières lignes datent de 2011) et il aurait été compliqué de l’amener dans la direction radicalement différente que j’envisageais. C’est ainsi qu’est né Flus, deuxième du nom.

Flus 2, c’est donc maintenant un nouveau service, sur la base d’un logiciel tout neuf. Il a ouvert ses portes récemment, le 11 décembre, en version bêta à l’adresse flus.fr. Concrètement, il s’agit pour l’instant de stockage de liens couplé à un système de suggestions de lecture. Il permet notamment de placer les liens que l’on souhaite consulter plus tard dans ses « signets ». Le journal fait ensuite des suggestions de lecture depuis ces derniers, ainsi qu’à partir des liens partagés par les autres utilisateur‧ices, en fonction de notre temps disponible. C’est une manière de s’informer sans se perdre dans un fil d’actualités sans fin. Enfin, les liens que l’on trouve intéressants peuvent être rangés dans des collections thématiques, à partager avec le reste de la communauté !

L’une des caractéristiques importantes dans ce projet, c’est qu’il est conçu dès le départ en collaboration avec une UX designer : Maiwann, que certain⋅es connaissent bien par ici. Nous faisons en effet notre maximum pour rendre le service le plus facile d’utilisation possible : lorsqu’on détecte un problème d’utilisabilité, on tente de le corriger. C’est pourquoi les retours sont très importants !

Mon projet est de réaliser ensuite un service qui permette de s’informer en ligne en lui associant la puissance des fonctionnalités sociales (ce que n’ont en général pas les agrégateurs de flux RSS), mais en repensant en profondeur les interactions des utilisateurs et utilisatrices (que j’identifie comme un gros problème sur Twitter, Facebook, ou même Mastodon). Les prochaines étapes importantes pour Flus 2 devrait donc être le support des flux RSS (pour avoir plus de contenu sur la plateforme), puis les interactions au sein de communautés.

Tu dis que tu proposes Flus comme « un lieu apaisé », qu’est-ce que c’est que ce truc-là ? Une appli pour lire les nouvelles en faisant du yoga ?

Lorsque j’ai présenté Flus comme « un lieu apaisé », c’était pour l’identifier en opposition aux réseaux sociaux plus traditionnels.

Sur la plupart des réseaux sociaux (ex. Twitter, Mastodon), n’importe qui peut interagir avec n’importe qui. Comme tout est public par défaut, on se retrouve avec des interactions non sollicitées, des « clashs » entre personnes qui ne peuvent de toutes façons pas se blairer, ou encore des incompréhensions dues au fait qu’on ne se connaît tout simplement pas. Il y a une dimension très libérale à ce type d’expérience utilisateur qui permet à chacun de discuter avec chacune (et inversement). Je regrette que cette vision se soit imposée au point d’être devenue incontournable.

Avec Flus je compte explorer un imaginaire différent en me basant sur la notion de communauté que je tire initialement de Mastodon, et qui me semble être une conséquence heureuse du choix technique de la fédération (un protocole qui permet à des personnes sur différents serveurs de discuter entre elles). Au sein de Flus, pas de fédération prévue pour l’instant : les communautés seront un concept intrinsèque au service. Elles se construiront de préférence entre personnes qui se connaissent, avec des avis globalement convergents et une manière de penser proche. Les interactions ne seront possibles par défaut qu’au sein des communautés.

Cette manière de faire pose évidemment la question de la bulle de filtre et du cloisonnement des idées, j’en suis bien conscient. Les interactions entre communautés seront donc possibles, mais sur la base de la sollicitation et de l’acceptation de chaque partie.

Il faudra penser les outils et mécanismes intelligemment afin de permettre une expérience riche, améliorant la qualité générale des échanges, avec des communautés qui fassent corps pour protéger les individus, sans pour autant les cloisonner. Il devrait également être possible d’ouvrir son espace individuel, mais ce ne sera pas activé par défaut.

C’est beaucoup de boulot, mais je le trouve extrêmement enthousiasmant. Mais enfin, c’est notre boulot à Maiwann et moi ! Le vôtre serait plutôt de nous prévenir des risques et problèmes que nos solutions lèvent. Si nous arrivons à relever le défi, alors nous aurons effectivement ce que j’appelle « un lieu apaisé » qui manque selon moi cruellement.

Dis donc tu ne gagnes pas trop de sous avec Flus tu as un gagne-pain à côté ? (comme hélas un tas de développeurs du libre qui ont un side-project) Ou bien alors c’est quoi donc ton business model ?

capture d’écran du budget actuel de Flus

 

Flus est un service payant et je souhaite réussir à en vivre. J’ai défini mon tarif de manière transparente dans un billet de blog, soit 3 € par mois ou 30 € par an. À cela, j’ai ajouté un système de cagnotte commune : celleux qui ont des moyens suffisants peuvent payer un peu plus, tandis que les personnes qui ne sont pas prêtes à payer ou n’en ont pas les moyens peuvent bénéficier de la générosité des premières. Le service reste ainsi abordable à n’importe qui et moi, je peux me payer à manger.

C’est aujourd’hui mon activité principale, mais c’est vrai que la première année n’a pas été évidente. Vendre un agrégateur de flux RSS n’est pas aisé puisqu’il en existe déjà beaucoup. Si on prend une casquette marketing : le marché est saturé ! Je remercie infiniment les personnes qui m’ont soutenu jusque-là, certaines ont même renouvelé leur abonnement plusieurs fois. Leur aide m’a permis de couvrir les charges et de démarrer.

Heureusement, j’ai eu le privilège de quitter mon précédent boulot sur la base d’une rupture conventionnelle. Cela m’a permis de vivre pendant 2 ans grâce au chômage sans avoir à trop me soucier des questions d’argent et donc consacrer mon temps à Flus l’année passée. J’arrive néanmoins en fin de droits, je vais donc désormais vivre en grande partie sur mes économies. Les mois qui vont suivre vont être déterminants pour savoir si je peux vivre de Flus ou non. J’ai différents plans en fonction du revenu que je serai en mesure de générer, allant de la reconversion professionnelle (eh oui !) à la poursuite du projet.

Le lancement du nouveau service m’a permis de confirmer qu’il y avait une attente et l’accueil a été chaleureux. Ce mois de décembre aura été le meilleur depuis le début de mon activité en termes de chiffre d’affaires. Je suis confiant dans le fait que les fonctionnalités qui arriveront par la suite sauront combler un public encore plus large. Rendez-vous dans quelques mois pour savoir si j’ai transformé l’essai ?

Tu as fait l’effort de documenter toute ta démarche et l’évolution de Flus sur ton blog : pourquoi prendre le temps de le raconter ?

Oui, tu parles du carnet. Pour moi, le libre c’est le partage et ça dépasse le logiciel. J’avais envie de documenter mon parcours d’une manière que je connais : en tenant un blog. Ça a été ma démarche dès les prémices du projet puisque, avant d’ouvrir le carnet, j’ai même commencé à en parler sur mon blog personnel.

C’est, d’une certaine manière, un moyen de remercier toutes celles et ceux qui ont partagé avant moi leur démarche. Je pense notamment à nicosomb avec wallabag.it, à la série d’interviews « vivre du logiciel libre » sur LinuxFR, mais également aux discussions que j’ai eues avec d’autres personnes dont le modèle s’éloigne du mien mais qui ont permis d’alimenter ma réflexion. Là encore, ça participe à édifier un autre imaginaire : vivre du Web, ce n’est pas uniquement monter une startup, lever des fonds et placer ses espoirs dans le fait de se faire racheter par une boite plus grosse, créant ainsi des silos toujours plus incontournables. On peut aussi monter des choses à notre échelle, sans ambition plus large que simplement pouvoir vivre de son activité. Je crois que c’est une vision que j’ai héritée de mes parents qui sont exploitants d’une petite exploitation de fruits rouges et que j’ai toujours vus heureux de faire ça.

Le carnet, c’est également un moyen de montrer que le projet vit. C’est raconter les hauts (« Wow, je pensais pas développer ça si vite ! ») et les bas (« J’ai réussi à rien faire cette semaine à cause de la chaleur »). C’est réinjecter une bonne grosse dose d’humain dans ce qui pourrait n’être qu’une interface humain-base de données. Si Flus fonctionne et peut inspirer des personnes, j’ai envie qu’elles puissent retrouver les traces de ce que j’ai fait ; pour faire pareil, ou complètement autrement. Enfin, si Flus doit ne pas fonctionner, c’est faire en sorte qu’il en reste toujours quelque chose pour les suivant‧es.

Tu sais sûrement que les Chevaliers Blancs du Web Libre sont à l’affût et vont te le claironner : tu restes vraiment sur GitHub pour ton dépôt de code ou bien… ?

C’est très juste, et j’ai envie de dire qu’ils auraient bien raison si mon objectif était le leur. Or, il y a quelque chose qui me gêne profondément dans cette injonction à faire comme « ci » ou comme « ça » : c’est supposer que ce choix ne se justifie pas et/ou que je n’ai pas conscience des enjeux derrière ce choix. Cela joue justement des mécanismes que je dénonce chez les autres réseaux sociaux : un manque d’écoute, un manque de considération des choix de l’autre. Pour reprendre les termes de la question : je comprends parfaitement que des personnes soient « à cran » (parce que Microsoft, parce que puissance centralisatrice), mais cela ne justifie absolument pas de « claironner » des injonctions à changer de plateforme. Ça, c’était pour la forme.

Sur le fond, bien sûr que j’ai envie d’aligner ce choix avec mes convictions : la question est non seulement sur la table, mais le changement est également prévu. Seulement, je ne peux pas dire quand, car ce n’est pas planifié. Ce changement, c’est des questions supplémentaires : quelle plateforme ? hébergé par mes soins ou par un tiers ? est-ce que je pourrai toujours faire tourner ma suite de tests facilement ? etc. Et comprenez bien que je ne demande pas de solutions, je connais probablement la plupart de celles qui pourraient m’être proposées ; c’est une question de choix à faire, et je suis le seul à pouvoir les prendre. Tout ça, c’est du temps, de l’énergie et du jus de cerveau qui ne seront pas passés sur d’autres sujets que j’ai jugés aujourd’hui comme plus prioritaires.

En bref : aujourd’hui le changement de forge logicielle n’est pas prioritaire sur d’autres sujets, mais il est bel et bien prévu.

Si on veut contribuer à Flus, on fait ça où ? Quelles sont les différentes manières d’y contribuer ?

La manière la plus évidente et la plus efficace, c’est d’utiliser Flus et de renouveler votre abonnement à la fin du premier mois gratuit. Parce qu’en vivre, ça signifierait passer plus de temps dessus et donc améliorer Flus pour mieux répondre à vos problèmes. Je cherche à consacrer mon énergie à ce projet, mais pour avoir de l’énergie, il faut que je puisse manger 😬

Au-delà de la dimension pécuniaire, vous pouvez parler de Flus autour de vous. Je compte beaucoup sur le bouche-à-oreille pour me faire connaître et tout partage, billet de blog ou recommandation, est important.

Vous pouvez également me remonter les bugs que vous rencontrez et les problèmes auxquels vous faites face. Il y a un formulaire à cet effet. Vos retours sont extrêmement précieux pour améliorer le service et me permettent de mieux comprendre vos attentes (tout en gardant en tête que je donne moi-même une direction au projet). J’essaye de participer autant que possible aux Contrib’ateliers grenoblois, ainsi qu’au Confin’ateliers en ligne pour glaner vos retours.

Chose importante qui n’est pas commune dans le logiciel libre : je n’ai pas prévu de rendre le développement communautaire à court terme. Je n’ai en fait pas besoin d’aide pour ce qui touche au code, et intégrer des contributions me demanderait du temps que je ne souhaite pas investir pour l’instant. Écrire du code est une chose complexe qui s’inscrit dans une réflexion sur l’expérience utilisateur (donc un travail en commun avec Maiwann) et sur sa maintenabilité (lisibilité, durée dans le temps, etc.) Je pourrai reconsidérer cette décision plus tard (en particulier si ma situation financière devient stable), mais pour l’instant : oubliez les pull requests !

Un petit mot de la fin ? (dans ta contributopie, il y a quoi ? ça se passe comment ?)

Dans ma contributopie à moi, je vais commencer très égoïstement en disant que Flus a réussi à trouver son public et que j’ai regroupé une petite équipe pour bosser avec moi dessus (allez, on va dire entre 5 à 10 max ?) Ça peut paraître pas grand-chose comme ça, mais voyons ce que ça implique.

Déjà, cela signifie que le projet est un succès. Payer ne serait-ce que 5 personnes avec ce modèle économique simple et transparent, c’est déjà énorme. On peut donc considérer que Flus est effectivement devenu ce lieu apaisé dont je parle plus haut dans cette interview : plus d’écoute, des échanges de meilleure qualité, moins de colère.

À l’inverse, garder une équipe à 10 personnes max, c’est savoir refuser des personnes et les rediriger ailleurs. Flus est sous licence libre, n’importe qui peut l’installer et proposer son propre service. N’importe qui peut également s’inspirer de Flus pour créer des alternatives. Refuser de grossir indéfiniment, c’est devenir un îlot qui doit échanger et s’effacer au profit des autres. Ça implique des mécanismes d’importation et d’exportation des données, ça implique des standards, ça implique plus de liberté pour les utilisateur‧ices.

Puisque, dans cette contributopie, le projet tourne, cela signifie que j’ai activé la clause « tant que j’arrive à en vivre, le service sera maintenu pour ses utilisateur‧ices ». Concrètement cela signifie que les inscriptions pourront être fermées à moyen ou long terme, mais que les personnes qui l’utilisent ne risquent pas de voir le service fermer parce que l’envie m’en prendrait. C’est une assurance pour la pérennité du projet.

Dans ma contributopie, il y a également des initiatives et des structures qui aident les personnes à se lancer pour vivre de leur activité en ligne. Une sorte d’entre-aide coopérative dont le collectif CHATONS est un avatar parmi d’autres. Flus serait un acteur qui continue de partager son expérience et aide éventuellement à la maintenance d’autres services.

Bref, ma contributopie n’est peut-être pas bien éloignée de celle que Framasoft, en tant qu’association, imagine. Ce n’est pas un hasard, mais ça ne fait jamais que restreindre les idées… Alors dans ma contributopie, il y a aussi des tas d’autres contributopies de formes et d’horizons différents !

Marien en tête de la Framacourse à la roche de Solutré en 2015

 

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