4 questions à J. Zimmermann, porte-parole d’une Quadrature du Net à soutenir

Soutien - La Quadrature du Net - Geoffrey Dorne - CC by-nc-saDepuis trois ans la Quadrature agite le Net sans relâche pour qu’il reste cet espace de liberté où tant de belles initiatives ont pu prendre forme et se développer, à commencer par le logiciel libre.

L’année dernière, nous nous faisions l’écho d’un appel de Benjamin Bayart pour la Quadrature puisse poursuivre son action.

Un an et quelques belles batailles législatives plus tard, la Quadrature du Net lance une nouvelle et cruciale campagne de financement[1].

L’occasion de faire le point et de revenir avec son porte-parole Jérémie Zimmermann sur les origines, les motivations et les objectifs de cet indispensable mégaphone citoyen dont la portée dépend directement de notre propre implication.

4 questions à Jérémie Zimmermann

Un entretien réalisé par Siltaar pour Framasoft

1. D’où vient « La Quadrature du Net » exactement ?

De cinq co-fondateurs: Philippe Aigrain, Christophe Espern (aujourd’hui retiré), Gérald Sédrati-Dinet, Benjamin Sonntag et moi-même.

Nous étions à la base 5 hackers[2], tous passionnés de logiciels libres et engagés dans les combats pour le logiciel libre, contre les brevets sur les logiciels, contre la DADVSI et pour une infrastructure informationnelle libre.

Avec l’élection de Nicolas Sarkozy, nous avons vu dans son programme, en filigrane, une attaque violente des libertés sur Internet. C’est pour cela que nous avons créé la Quadrature du Net. Pour agir et avant tout pour permettre à chacun de réagir.

Nous avons donc appris de nos expériences associatives et militantes respectives, et choisi de créer une « non-structure », une association de fait, sans président ni membres, qui ne représente que la voix de ses co-fondateurs. Nous défendons une vision d’Internet conforme à ses principes initiaux de partage de la connaissance et d’ouverture, plutôt qu’un Internet « civilisé » basé sur le contrôle et la répression.

Aujourd’hui, je vois la Quadrature du Net comme une caisse à outils. Nous fabriquons des outils (analytiques ou techniques) pour permettre à tous les citoyens de comprendre les processus visant à attaquer leurs libertés individuelles en ligne, et à réagir en participant au débat démocratique.

2. Plusieurs initiatives de la Quadrature ont été largement relayées sur le Web (blackout contre Hadopi, campagne d’appel des députés européens pour l’amendement 138 ou la déclaration écrite n°12), où en sommes-nous aujourd’hui ?

Les résultats sont nombreux et dans l’ensemble très positifs. Nous en sommes les premiers surpris. Outre les victoires législatives (nous avons joué un rôle dans le rejet de l’HADOPI 1, puis la décision du Conseil Constitutionnel la décapitant, dans le vote par deux fois à 88% du Parlement européen du célèbre amendement 138 interdisant les restrictions d’accès sans intervention du juge, etc.), nous avons à notre actif un certain nombre de victoires non-législatives (peser sur des rapports parlementaires européens comme le rapport Lambrinidis, le rapport Medina, ou porter et compléter la « déclaration écrite n°12 » contre ACTA, etc.).

Prenons l’exemple de l’accord multilatéral ACTA : un infect contournement de la démocratie par les gouvernements visant à imposer de nouvelles sanctions pénales dans le cadre de la guerre contre le partage. Nous avons joué un rôle majeur en Europe, notamment en fuitant des versions de travail du document et en alertant les eurodéputés. Le texte définitif, quoiqu’encore très dangereux, est très largement influencé par nos actions, et si nous avons aujourd’hui une maigre chance de le faire rejeter dans son ensemble au parlement européen (vote autour de l’été, à suivre…), c’est sans doute le fruit de ces longues années d’efforts. Et il reste beaucoup à faire : Sur ACTA comme sur tout le reste des dossiers, nos adversaires ont des hordes de lobbyistes payés à plein temps pour tirer la corde dans la direction opposée.

Mais c’est surtout en dehors des textes législatifs eux-mêmes, en complément, que notre action a été je pense la plus utile : à créer un contexte politique autour de ces questions de libertés fondamentales et d’Internet. Il s’agit désormais d’un sujet que les députés et eurodéputés craignent, car ils savent que cela intéresse beaucoup de monde, ils l’ont vu lors de certaines campagnes que nous avons montées et qui les ont surpris. De la même façon dans de nombreux cercles politiques, institutionnels ou universitaires, ces sujets deviennent de plus en plus importants, et chacun commence à réaliser combien ils seront déterminants pour le futur de nos sociétés. L’affaire des câbles diplomatiques fuités par Wikileaks ou la révolte Égyptienne en ont été des exemples flagrants.

Un autre exemple : la question de la neutralité du Net. C’était un obscur dossier technique jusqu’à ce que nous contribuions à en faire un des enjeux-clé de la révision des directives européennes du Paquet Télécom, au point que les eurodéputés obligent la Commission à s’en saisir, ce qui a généré de nombreux articles de presse. Aujourd’hui en France, une mission d’enquête parlementaire composée de députés UMP (Laure de la Raudière) et PS (Corinne Erhel) étudie ce sujet et rendra bientôt un rapport, probablement assorti d’une proposition législative. C’est un sujet qui fait aujourd’hui débat.

Nous nous attachons à des sujets fondamentaux, qui dépassent les clivages politiques traditionnels. Nos victoires se marquent donc esprit par esprit, et nos objectifs sont à des termes qui vont au delà de ceux des mandats électoraux. D’un autre côté ce sont des dossiers souvent complexes, mêlant technologie, droit, éthique et économie… Il nous faut donc faire un travail de fourmis sur les dossiers, tout en rugissant parfois comme des lions pour se faire entendre ! Mais cela ne fonctionnerait pas sans votre soutien à nos actions, si chacun ne participait pas un peu, à son échelle et selon ses moyens.

3. Quelles sont les prochaines batailles qui se profilent à l’horizon pour la défense de la neutralité du Net ?

La bataille de l’ACTA est sans doute l’un des enjeux les plus importants auxquels nous avons eu à faire face depuis bien longtemps. Cet accord[3] prévoit entre autres de nouvelles sanctions pénales pour le fait d’« aider ou faciliter » des « infractions au droit d’auteur à échelle commerciale ». Cela veut dire tout et son contraire. N’importe quelle compagnie d’Internet (fournisseur d’accès, plate-forme d’hébergement ou fournisseur de service) tomberait potentiellement dans cette définition. La seule solution pour elle pour éviter de lourdes sanctions qui compromettraient son activité serait de se transformer en police privée du droit d’auteur sur le Net, en filtrant les contenus, en restreignant l’accès de ses utilisateurs, etc. Exactement ce que souhaitent les industries du divertissement qui sont à l’origine de cet accord, déguisé en banal accord commercial, dans le cadre de la guerre contre le partage qu’elles mènent contre leurs clients.

Si nous laissons la Commission européenne et les États Membres s’entendre pour imposer entre-autres de nouvelles sanctions pénales, alors que ces dernières sont normalement du ressort des parlements, la porte serait ouverte à toutes les dérives. Un tel contournement de la démocratie pourrait laisser des traces durables. Nous devons tout faire pour que l’ACTA soit rejeté par les eurodéputés.

La question de la neutralité du Net est elle aussi complètement fondamentale. Il faut que nous nous battions pour avoir accès à du vrai Internet, cet Internet universel qui connecte tout le monde à tout. Internet, et les bénéfices sociaux et économiques qui en découlent, dépendent de sa neutralité, c’est à dire du fait que nous pouvons tous accéder à tous les contenus, services et applications de notre choix, et également en publier. C’est ainsi que nous pouvons par exemple accéder à tous ces logiciels libres, à Wikipédia, mais également y contribuer, ou créer dans son garage une start-up qui deviendra peut-être le prochain moteur de recherche dominant, ou un petit site qui deviendra un jour une incontournable référence comme Framasoft 😉

Si un opérateur commence à discriminer les communications, que ce soit en fonction de l’émetteur, du destinataire ou du type de contenus échangés, alors ça n’est plus Internet. C’est ce qui est fait en Chine ou en Iran pour des raisons politiques, mais également ce que font Orange, Bouygues et SFR lorsque pour des raisons économiques lorsqu’ils interdisent la voix sur IP, l’accès aux newsgroups ou aux réseaux peer-to-peer (évidemment dans le but de vous vendre leurs propres services, souvent moins compétitifs et bien plus chers).

Nous devons nous battre pour cet Internet que nous construisons chaque jour, que nous aimons et qui nous appartient à tous. C’est cet Internet universel le vrai Internet « civilisé », et non celui vu par Nicolas Sarkozy et les industries qu’il sert, dans lequel nos libertés s’effaceraient derrière un contrôle centralisé malsain et dangereux pour la démocratie.

4. Quel rôle pouvons-nous jouer ?

Dans tous ces dossiers, il est indispensable de comprendre que La Quadrature du Net ne sert à rien sans les centaines, les milliers de citoyens qui la soutiennent, chacun à leur échelle, participent à ses actions, suivent cette actualité et en parlent autour d’eux…

Au jour le jour, il est possible de participer sur le terrain, par exemple sur notre wiki, notre liste de discussion ou notre canal IRC. Des tâches précises comme le développement de nos outils (Mémoire Politique, le Mediakit, nos bots IRC, etc. ), le webdesign et la création de matériaux de campagne (affiches, bannières, infographies, clips, etc.), ou la participation à notre revue de presse ont toutes, constamment, besoin de nouvelles participations.

Il est également indispensable de participer en prenant connaissance des dossiers et en relayant nos communications et nos campagnes, en contactant les élus (députés et eurodéputés), en discutant avec eux de ces sujets pour les persuader jusqu’à établir une relation de confiance, pour pouvoir les alerter le moment venu.

Devant des enjeux d’une importance aussi cruciale, rappelons-nous cette célèbre parole de Gandhi : « Quoi que vous ferez, ce sera forcément insignifiant, mais il est très important que vous le fassiez tout de même. ».

Enfin, si pour des raisons diverses et variées il n’est pas possible de contribuer à ces tâches, il est toujours possible de nous soutenir financièrement, idéalement par un don récurrent.

Il est de notre devoir, tant qu’il nous reste encore entre les mains un Internet libre et ouvert, donc neutre, d’agir pour le protéger.

Soutien - La Quadrature du Net - Geoffrey Dorne - CC by-nc-sa

Notes

[1] Crédit illustrations : Geoffrey Dorne (licence Creative Commons By-Nc-Sa)

[2] Au sens étymologique, des passionnés de technologie aimant comprendre le fonctionnement des choses et les faire fonctionner mieux.

[3] ACTA = Anti-Counterfeiting Trade Agreement, ou Accord Commercial Anti-Contrefaçon. Il s’agit d’un accord multilatéral entre 39 pays, dont les 27 États-Membres européens.




Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire – par Laurent Chemla

Evil Erin - CC byOn trouve un article puissant et inédit de Laurent Chemla en ouverture (ou prolégomènes) du tout récent framabook AlternC Comme si vous y étiez.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé[1].

Autant s’y faire. Et, contrairement à d’autres, nous nous y faisons très bien 😉

Pour rappel toute l’équipe l’AlternC vous attend à La Cantine lundi 28 mars prochain (de 19h à 22h) pour fêter simultanément la sortie du livre, les dix ans d’AlternC et la version 1.0 du logiciel !

Remarque : Ce n’est pas le premier article de Chemla que nous reproduisons sur le Framablog (cf L’avenir d’Internet). Par ailleurs je le remercie de m’avoir ouvert les yeux en 1999 avec Internet : Le yoyo, le téléporteur, la carmagnole et le mammouth.

Internet ne peut pas être contrôlé, autant s’y faire

Laurent Chemla – juillet 2010 – Licence Creative Commons By-Sa

Plus que jamais, à l’heure où j’écris ces lignes, Internet est la cible des critiques du pouvoir. Il serait responsable de toutes les dérives, de toutes les ignominies, il nous ramènerait aux pires heures de notre histoire et serait le lieu de toutes les turpitudes.

Bon. Depuis longtemps, je dis qu’il est normal – de la part de ceux qui disposaient de l’exclusivité de la parole publique – de s’inquiéter de l’avènement d’un outil qui permet à tout un chacun de s’exprimer. Pas de quoi s’étonner, dès lors, des attaques furieuses que subit le réseau.

Tant qu’il ne s’agit que de mots…

Oh bien sûr, le législateur étant ce qu’il est, il tente souvent d’aller au delà des mots. Il fait aussi des lois. C’est son métier.

Or donc – sans volonté d’exhaustivité – nous avons vu depuis 1995 un certain nombre de tentatives de « régulation », de « contrôle », voire même de « domestication ». Il y a eu la loi Fillon, la commission Beaussant, la LCEN, la DADVSI, la LSI, la LSQ, et plus récemment HADOPI et LOPPSI. Beaucoup d’acronymes et de travail législatif pour un résultat plus que mince : ce qui n’a pas été retoqué par le Conseil Constitutionnel s’est toujours avéré inapplicable.

La seule chose qui reste, c’est le principe d’irresponsabilité pénale des intermédiaires techniques (LCEN). Grand succès !

On pourrait imaginer que le pouvoir apprendrait quelque chose d’une telle suite d’échecs. On pourrait penser, par exemple, qu’il mesurerait le risque de vouloir créer des lois d’exceptions selon qu’on s’exprime sur Internet ou ailleurs. Que nenni : aujourd’hui encore, j’apprends qu’une député vient de se ridiculiser en proposant d’encadrer le journalisme « en ligne ».

J’ai hâte. On en rigole d’avance.

Mais qu’est qui rend Internet si imperméable à ces tentatives réitérées de contrôle ? J’y vois (au moins) quatre raisons majeures :

La première (dans tous les sens du terme) est historique. À la demande de l’armée américaine, qui souhaitait trouver une parade au risque d’une attaque nucléaire contre son réseau de télécommunication, Internet a été inventé à la fin des années 1960 (dans l’Amérique de Woodstock et de la lutte contre la guerre du Vietnam) par de jeunes universitaires qui rêvaient d’un monde dans lequel l’accès à un réseau mondial de communication serait un droit pour tous (pour que son impact social soit positif)[2].

À l’époque de Mac Luhan, les bases théoriques du futur réseau sont toutes influencées par l’utopie du « village global » et teintées d’idéologie libertaire. Le principe selon lequel la rédaction d’une RFC (texte définissant un des standards d’Internet) doit être ouverte à tous, scientifique ou non – et son contenu libre de droit – est adopté en avril 1969.

Quoi d’étonnant dès lors si le résultat est un réseau presque entièrement décentralisé et non hiérarchique ? Après tout, c’est bien ce que l’armée américaine avait demandé à ses jeunes ingénieurs : un réseau centralisé est facile à détruire (il suffit d’attaquer le centre).

Tout ce qui est facile à contrôler est facile à détruire.
Internet est difficile à détruire.
Donc Internet est difficile à contrôler.

Il faudrait, pour qu’Internet soit plus aisément « domestiquable », que ses bases théoriques mêmes soient revues (à l’exemple du Minitel pour lequel l’émission de contenus était soumise à l’approbation préalable de France Telecom). Mais comment démanteler l’existant et interdire l’utilisation d’une technologie ayant fait ses preuves à tous ceux qui l’ont adoptée depuis des années ?

Et surtout – c’est la seconde raison qui fait d’Internet un bastion dont la prise semble bien difficile – le réseau est international.

On peut, même si c’est difficile à envisager, imaginer qu’un pays impose à ses citoyens l’usage d’une technologie « contrôlée » plutôt qu’une autre, trop permissive. Mais quel pouvoir pourrait faire de même à l’échelle du monde ?

Et comment, dès lors qu’il existerait ne serait-ce qu’un seul endroit dans le monde qui protège la liberté totale de communication (comme c’est le cas depuis peu de l’Islande), empêcher les citoyens et les entreprises du monde entier d’exporter dans ce lieu une communication désormais dématérialisée ?

Pour y parvenir, il faudra non seulement pouvoir contrôler tel ou tel réseau imaginaire, mais aussi réussir à interdire toute communication internationale… Mission impossible. Et puis, comment imaginer la fin des « paradis numériques » dans un monde qui n’a jamais réussi à obtenir celle des paradis fiscaux ?

Internet est supranational.
Il existera toujours des paradis numériques.
Donc l’information ne pourra jamais être contrôlée.

D’autant plus – et c’est la troisième raison majeure qui rend dangereuse toute tentative de contrôle des réseaux – qu’Internet est devenu désormais une source de croissance non négligeable. Une croissance qui dépend d’une législation pérenne et qui surtout va faire l’objet d’une concurrence effrénée entre les pays.

On n’imagine pas aujourd’hui une grande entreprise, telle que Google ou Facebook, avoir son siège social dans un pays dont la fiscalité n’est pas, disons, encourageante. Comment imaginer que demain une entreprise innovante, source d’emplois et d’impôts, se créera dans un pays dont la législation imposerait un contrôle trop strict de l’information diffusée ?

Tout contrôle nécessite une infrastructure plus chère, tant humaine que technique. Il va de soi qu’une entreprise capitaliste choisira plutôt, si elle a le choix, le pays d’accueil dont la législation numérique sera la plus laxiste, qui récupérera du coup les emplois et les impôts (et je ne dis pas que c’est bien : je dis juste que c’est dans ce monde là qu’on vit).

Et même avant d’en arriver là : imaginons qu’un pays impose le filtrage à la source de tout contenu illégal (en passant outre la difficulté technique inhérente). Quel entrepreneur de ce pays osera se lancer dans un nouveau projet novateur, sachant qu’il sera immédiatement copié par un concurrent vivant, lui, dans un paradis numérique et qui ne sera pas soumis aux mêmes contraintes ?

Internet est solide, c’est vrai, mais l’innovation reste fragile, et est souvent l’oeuvre de petites structures très réactives et pécuniairement défavorisées. Les lois votées à l’emporte-pièces sans tenir compte de cette fragilité-là sont autant de balles tirées dans le pied de la société toute entière.

La concurrence est mondialisée.
Une législation de contrôle coûte cher.
Donc les lois de contrôle d’Internet sont source de délocalisation.

Malgré tout il existe bel et bien des règles de vie supranationales et qui s’imposent à tout pays se voulant un tant soit peu démocratique. Mais si.

Je vais citer ici l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Lisez-la bien :

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».

Elle a été rédigée en 1948. Bien avant Internet, même si à la lire on a l’impression qu’elle a été écrite spécialement pour lui. Car en effet, il n’existait pas grand chose, avant Internet, pour « recevoir et répandre sans considération de frontière les informations et les idées ». Il faut croire que ses rédacteurs étaient visionnaires…

Comment s’étonner, à la lecture de cet article, du nombre de censures que notre Conseil Constitutionnel a opposé aux diverses velléités de contrôle que le pouvoir a tenté d’imposer depuis 15 ans ?

Le droit de recevoir et diffuser de l’information est inaliénable.
Internet est à ce jour l’unique moyen d’exercer ce droit.
Donc tout contrôle d’Internet risque d’être contraire aux droits de l’homme.

Sauf à s’exonérer des grands principes fondamentaux, et donc à vivre dans une société totalitaire, le contrôle ou le filtrage d’Internet se heurtera toujours à la liberté d’expression. Les états peuvent l’accepter, et à l’instar de l’Islande décider d’en profiter, ou refuser de le voir et, à l’instar de la France, se heurter sans cesse à un mur en essayant encore et encore de réguler ce qui ne peut l’être.

Historiquement, techniquement, économiquement et moralement, Internet ne peut pas être contrôlé.

Autant s’y faire.

Notes

[1] Crédit photo : Evil Erin (Creative Commons By)

[2] J.C.R Licklider et Robert Taylor, The Computer as a Communication Device in Science and Technology, April 1968.




Geektionnerd : Loppsi j’aurais su

Dommage, le Conseil constitutionnel a censuré de nombreux articles de la LOPPSI 2 mais pas le filtrage du Net.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Quand Calysto passe au lycée, les élèves se demandent s’il ne faut pas arrêter Internet !

Prakhar Amba - CC byIl est des billets que l’on n’aime pas avoir à publier. Celui-ci en fait clairement partie tant il m’irrite au plus haut point !

Il illustre malheureusement une nouvelle fois l’incapacité chronique de l’école à comprendre et former aux nouvelles technologies et aux enjeux de demain.

C’est donc l’histoire d’un lycée qui souhaite organiser une journée de sensibilisation sur le thème « Réseaux sociaux, gérer son identité numérique ». Louable intention s’il en est. Et l’on imagine fort bien que derrière ce titre se cache l’ombre de Facebook, devenu effectivement omniprésent chez les ados avec toutes les questions et conséquences que cela implique[1].

Soit, les enseignants ne sont pas tous des spécialistes du numérique, mais il doit bien y avoir dans une équipe pédagogique quelques compétences en la matière. Donc logiquement cela devrait pouvoir se préparer en interne. Mais non, on fait appel à une société privée.

Calysto se définit comme « une agence qui concentre son activité dans la maîtrise des enjeux liés aux usages de l’Internet et aux Technologies de l’Information et de la Communication ». Et, via son site TousConnectes.fr, elle propose aux établissements scolaires des journées d’information « dans le cadre de son partenariat avec le ministère de l’Education nationale ».

Voici la page de présentation de l’offre pour le lycée, sachant qu’il en coûtera à l’établissement (et donc au contribuable) 376 euros par jour. Elle commence ainsi : « Les lycéens se sont largement appropriés l’univers de l’Internet et du téléphone mobile dont les usages sont en constante évolution. S’ils en sont très souvent les prescripteurs, certaines notions leur échappent et nécessitent d’être approfondies. »

Calysto propose également de conférences pour les parents et se targue d’avoir déjà organisé plus de 230 conférences ayant touché plus de 22 000 adultes.

J’ai fait une rapide recherche Web et il semblerait que beaucoup établissements scolaires aient déjà fait appel aux services de Calysto, qui, il y a à peine une semaine, a même eu l’honneur d’un article dans le journal Sud Ouest. Extrait : « De nombreux contenus multimédias sont soumis à des droits d’auteur, la récente loi Hadopi a été mise en place pour les protéger (…) On peut retrouver n’importe quel internaute par son adresse IP ».

Cet extrait anxiogène n’est qu’un avant-goût de ce qui va suivre.

Calysto est passée tout dernièrement dans un lycée dont nous tairons le nom. C’est le témoignage édifiant d’un enseignant présent ce jour-là que nous vous proposons ci-dessous.

Parents vous pouvez dormir tranquille, la police de la pensée veille sur vos enfants ! Sauf que les enfants ne sont pas dupes, et leurs réactions radicales au sortir de la journée donnent paradoxalement espoir : « On fait quoi ? Il faut tout arrêter ? On ne va pas arrêter de vivre quand-même. Dans ce cas il faut interdire Internet ».

Quant à nous (nous Framasoft, mais aussi April, Quadrature, Wikipédia, etc.), il faut absolument que l’on s’organise pour proposer des journées alternatives, bénévoles et gratuites, afin d’opposer à un tel discours notre propre approche et culture du Net.

La plus belle c’est Calysto !

Par un enseignant, quelque part en France

À l’initiative des documentalistes et des CPE dans mon lycée se sont tenus des débats-conférences autour des dangers de l’internet et des réseaux sociaux. Ils ont fait appel à la société privée Calysto qui propose des solutions « clé en main ».

J’y ai assisté avec mes élèves de Seconde, et là je dois dire que j’ai été atterré.Le débat n’avait rien de participatif, l’intervenant faisait réagir les élèves avec des images chocs mais ne poussait pas la réflexion. Nous avons eu droit à une succession à un rythme effréné de faits divers et d’anecdotes. Le discours était très culpabilisant, ce qui est contre-productif avec les ados, « C’est interdit, c’est pas bien, vous n’avez pas lu les conditions d’utilisations, et oui, faut lire ».

Voici mon témoignage mais je dois préalablement dire que parmi mes collègues certains trouvaient d’une part que ça avait le mérite de lancer le débat et qu’il fallait donner une suite avec les profs, et que d’autre part tout le monde n’est pas spécialiste du sujet et qu’il faut passer par des simplifications et des abus de langage. Et qu’un discours policé de spécialiste n’aurait pas eu d’effet sur le public ado.

Lors de la conférence il y a  des oppositions franches sur des faits précis. L’intervenant soutenait certains propos que je lui disais être faux. Il a insisté et à aucun moment n’a montré le moindre doute du genre « je ne suis plus sûr du chiffre exact, il faudrait vérifier ». J’ai du prouver mon point de vue sourcé  a posteriori à mes collègues pour démontrer qu’il s’était manifestement trompé et qu’il a soutenu le contraire, quitte à me faire passer pour un incompétent.

Exemple 1 : Les conditions d’utilisation

Lui – Vous avez un compte Facebook par exemple ? Mains levées. Avez-vous lu les conditions d’utilisation ? Mains baissées. Eh oui faut lire !

Moi, me mettant dans la peau d’un élève – Mais encore ? Une fois qu’on l’a lu, on fait quoi s’il y a un truc qui nous gène ? On n’a pas le choix ?

Lui, véhément – Je ne peux vous laisser dire ça, on a toujours le choix, il faut lire les clauses c’est votre responsabilité, blabla…

C’était ma première intervention je ne pensais vraiment pas à mal, au contraire c’était pour lancer le débat.

Moi, dans mon idée faire émerger l’e-citoyen – Bien sûr mais ce que je veux dire, c’est s’il y a parfois des clauses abusives on fait quoi, les CLUF sont rédigés par des armées d’avocats qui se sont blindés ! N’est-ce pas à la loi, à nos députés, aux associations de consommateurs de nous protéger ?

(Et je ne parle même pas de class-action qu’on n’a pas en France.)

Lui, impatient ne voulant pas aller dans cette direction et voulant reprendre le fil de son intervention formatée et bien rodée – Non vous avez accepté c’est trop tard.

À partir de là il me suggère franchement de me taire, je lui réponds que j’ai été invité avec mes élèves et l’intitulé de l’invitation était Conférence, débat et échanges, là-dessus, il me mouche en me disant « oui, mais avec les élèves. » Je suis passablement énervé. J’ironise en disant que j’avais bien lu les CLUF pourtant.

Exemple 2 : L’HADOPI

Lui – L’Hadopi a faim, ils veulent rentrer dans leurs frais ça coûte cher, elle a condamné 75 000 internautes depuis le mois d’août.

Moi – Personne n’a été condamné, des mails d’avertissements ont été envoyés mais à ce jour aucun accès internet n’a été coupé !

Lui – Si il y a eu 75 000 condamnations et pas plus tard que …. il y a avait un jeune de 19 ans qui s’est fait coupé son accès.

Moi – Il y a eu 75 000 mails envoyés je vous l’accorde mais aucune coupure.

Lui – Nous avons les chiffres, mon collègue de Calysto va à l’ALPA (Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle) tout le temps alors…

Grosso-modo on sait mieux que vous.

À ce moment là j’abandonne vu la réaction d’un de mes collègues (mais c’est du détail les batailles de chiffres), au même moment un autre collègue avec son iPhone se connecte sur le site de l’Hadopi et me dit qu’il doit confondre condamnations et recommandations ! Effarant.

Là en se moquant de moi il me demande si je n’ai pas une pause à aller prendre.

On passe à des copies d’écrans de sites pro-ana, les images choquent et font réagir les élèves. Il demande le silence, les menace de ne plus laisser parler si ils sont aussi bruyants.

Exemple 3 : La LOPPSI

Un autre prof pose la question suite aux diapos concernant le streaming et le direct download, peut-on (les autorités) aller voir dans mon disque dur ?

Lui – Oui bien sûr !

Moi, me sentant obligé de réagir alors que je ne voulais plus – Non c’est faux, il faut l’avis d’un juge, la police ou la gendarmerie doit avoir une commision rogatoire pour examiner le contenu de votre ordinateur.

Lui – Et non monsieur c’est LOPPSI 2, vous n’avez pas lu dans le journal : Les dictateurs en rêvaient Sarkozy l’a fait ! ?

Moi, j’ai un doute j’avoue que je n’avais pas potassé la loi LOPPSI2 – La LOPPSI2 n’est pas encore entrée en vigueur, elle vient juste d’être votée, aucun décret d’application n’a été publié.

Lui poursuit sans tenir compte de ma réponse, alors dans la tête des élèves ça donne ceci : « la police, les gendarmes peuvent se connecter même de l’extérieur comme ils veulent à notre ordinateur et accéder à son contenu ».

Après avoir fait quelques recherches ils se trouve que la LOPPSI 2 est actuellement visée par le Conseil constitutionnel et sur Wikipédia (à vérifier) j’ai pu lire que : « La police, sur autorisation du juge des libertés, pourrait utiliser tout moyen (physiquement ou à distance) pour s’introduire dans des ordinateurs et en extraire des données dans diverses affaires, allant de crimes graves (pédophilie, meurtre, etc.) au trafic d’armes, de stupéfiants, au blanchiment d’argent, mais aussi au délit « d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée », sans le consentement des propriétaires des ordinateurs. »

Nos ados téléchargeurs illégaux seraient-ils des terroristes trafiquants de stupéfiants ?

Après ça, c’en était trop je suis sorti une dizaine de minutes de la salle, puis je suis revenu m’installer tout au fond pour ne plus rien dire jusqu’à la fin. Pendant ce temps on assistait à d’autre passes d’armes moins intenses avec un autre collègue.

Et le libre dans tout ça ?

Et bien surprise il y en avait un peu. C’était pas le top mais quand même. On a eu droit à une diapo sur les contenus Creative Commons, mais sans rentrer dans les détails. « Il existe des contenus libres de droits comme le portail Jamendo pour la musique. »

Lui – Jamendo où ce sont des artistes pas connus qui partagent le contenu, c’est financé par la pub.

Moi – On peut aussi donner pour soutenir un artiste qu’on aime… aller à ses concerts.

Lui – Oui c’est comme Grégoire, vous misez sur un artiste en espérant que…

j’ai voulu dire que MyMajorCompany et Jamendo ce n’était pas la même chose, mais je n’ai pu le confier qu’à mon voisin car il était déjà reparti sur un autre sujet.

On a vu aussi un slide sur le P2P avec trois contenus Batman_origin.avi, Firefox, Adobe Reader et il a demandé si c’était du piratage ? Oui pour Batman mais non pour Firefox et Acrobat Reader qui sont gratuits mais nous ne sommes pas rentrés dans les différences entre ces deux contenus « gratuits ».

Lui qui disait qu’il fallait absolument lire les CLUF pour savoir à quoi s’en tenir apparemment ne le savait pas. Et préalablement il a bien dit que l’outil P2P avait été conçu pour partager des fichiers et que ce sont certains utilisateurs qui s’en servent pour partager des contenus qui ne respectent pas le droit d’auteur.

Pour conclure

Je pense  vraiment que l’intervenant était un animateur commercial formé sur le sujet à la va-vite, utilisant des techniques de communication éprouvées : frapper les esprits, faire réagir (rires) puis engueuler méchamment, culpabiliser, provoquer un sentiment de honte (en invoquant par exemple la sexualité hésitante des ados), affirmer sa connaissance sans faille en invoquant des sources bétons mais invérifiables, et abuser des arguments d’autorité sans justifier leur raison d’être.

Le thème que nous voulions traiter était « Réseaux sociaux, gérer son identité numérique ». J’ai eu l’occasion de parler avec quelques élèves par la suite, ils sont sortis de là en se disant « On fait quoi ? Il faut tout arrêter ? On ne va pas arrêter de vivre quand-même. Dans ce cas il faut interdire Internet ».

Peut-être que c’est ce qui nous attend si ce genre d’idées simplistes continue à se diffuser.

Bientôt on aura le droit un avertissement du type : « Internet tue, provoque la dépendance, l’isolement ».

Et nous rajouterons : « et libère des peuples ».

Notes

[1] Crédit photo : Prakhar Amba (Creative Commons By)




Surveillons-nous les uns les autres

Je suis retombé sur un clip assez terrifiant du Los Angeles Police Departement, à la faveur de son récent sous-titrage en français. Il intéressera certainement les ethnologues du prochain millénaire.

Cette vidéo invite les citoyens à « signaler des comportements suspects ou des activités liées au terrorisme » dans le cadre de la campagne iWatch du LAPD. Sans donner plus de détails sur ce qui permettrait de reconnaître de tels comportements ou activités. La seule chose qui est dite c’est que « le terrorisme est un crime ».

Cela m’a fait repenser au film La Vie des autres qui se déroule en ex-RDA. Est déclaré terroriste, toute personne qui ne suit pas de près ou de loin la ligne du parti. Sauf qu’ici on est dans le monde libre par excellence que prétendent incarner les USA.

Il se dégage la très désagréable impression que l’important n’est pas tant de surveiller quelque chose ou quelqu’un que de surveiller tout court, en état d’alerte permanente ! Comme si on était insidieusement en train de préparer les gens à la surveillance généralisée.

Et de fait, nous n’en sommes plus très loin lorsque l’on prend la peine de se pencher dans le détail sur certains passages des lois Hadopi, LCEN ou LOPPSI 2.

Comme de plus on n’échappe à la traditionnelle représentation de la diversité et du métissage, on se retrouve peu ou prou avec le message suivant : le monde surveille le monde pour notre plus grand bien.

—> La vidéo au format webm

Et n’oubliez pas : « laissez les experts décider »…




La démocratie 2.0 à l’œuvre en France pour défendre la neutralité du réseau

Codice Internet - cc-by-saSujet récurrent depuis maintenant de nombreuses années, la Neutralité du Net, principe pourtant fondateur de l’Internet, est de plus en plus menacée. En France, plusieurs lois récentes l’attaquent, comme la Hadopi, la Loppsi ou l’Arjel. Mais c’est le cas partout en Europe, comme au Royaume Uni, en Allemagne ou en Italie. Et finalement, le reste du monde n’est pas non plus dans une ère favorable aux libertés comme on le constate en Australie ou en Nouvelle-Zélande, ainsi que dans beaucoup d’autres démocraties et de non-démocraties. La Neutralité du Net n’existe tout simplement plus en Chine ou en Iran ainsi que dans d’autres pays qui tentent ouvertement de contrôler l’opinion publique.

Les enjeux de cette Neutralité sont considérables, tant sur un plan économique, que politique et culturel. C’est l’existence même du réseau qui est en cause, car la Neutralité du Net c’est la prévention des discriminations à l’égard de la source, de la destination et du contenu de l’information transmise via le réseau.

Préserver cette situation de non-privilèges dans les télé-communications pourrait être naturel pour tous, mais ça ne l’est apparemment pas pour les fournisseurs d’accès à Internet, quand bien même la loi française définit la neutralité des réseaux de communication de manière claire et sans équivoque :

Article L32-1 du Code des Postes et communications électroniques :
II.-Dans le cadre de leurs attributions respectives, le ministre chargé des communications électroniques et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (note: ARCEP) […] veillent :
« 5° Au respect par les opérateurs de communications électroniquesdu secret des correspondances et du principe de neutralité au regard du contenu des messages transmis, ainsi que de la protection des données à caractère personnel; »
« 13° Au respect de la plus grande neutralité possible, d’un point de vue technologique, des mesures qu’ils prennent […] »

C’est cette liberté de transmission qui met tous les utilisateurs d’Internet sur un pied d’égalité, qui donne la même chance à tout le monde (qu’on soit une multinationale ou un artisan local) et qui permet à tous de recevoir et de distribuer l’information de son choix, et ce, quelques soient ses ressources financières ou son statut. C’est grâce à cette « neutralité » que de petites entreprises peuvent se faire connaître sur la toile et que les petits projets libres peuvent se développer. C’est comme ça que sont apparus Microsoft (un lecteur nous indique en commentaire que l’ancienneté de Microsoft, créé 1975, dessert l’argument, lisons donc « eBay » à la place), Google, ou Facebook… Et maintenant, des projets prometteurs voient le jour tels que Seeks, Diaspora ou Movim et peuvent se développer sans se faire phagocyter voire interdire par leurs « aînés » devenus d’influentes puissances commerciales.

Pourtant, aujourd’hui de nombreux opérateurs de télécommunications (Orange, Comcast, SFR, Free…) mais aussi des gouvernements souhaitent remettre en cause cette neutralité dans le but de monopoliser, ou de censurer les différents flux d’information, les protocoles, les sites, les blogs, nos paroles.

On peut parler entre autres de l’affaire Free / Dailymotion, de la polémique que le filtrage du Port 25 (SMTP) par Orange a suscité, de la loi LOPPSI ou de la loi sur les jeux en lignes (ARJEL) et de son obligation de filtrage alors qu’il a été démontré, plusieurs fois, que ce filtrage est impossible et peut avoir des effets collatéraux dangereux et simplement sans précédents. Autant de « petits » détails qui nous rappellent que la liberté d’expression, rendue possible par le numérique [1], est menacée et que la liste des dérives s’allonge.

Les gouvernements eux, cherchent à mettre en place des techniques de filtrage du réseau, bridant notre liberté d’expression (Hadopi en France), ou dans le but d’avoir la mainmise sur les organes de presses (Berlusconi en Italie), pour empêcher les manifestants de se concerter (Iran), ou filtrer des sites prétenduement « pédophiles » (Australie)…

C’est dans ce contexte qu’une loi sur la Neutralité du Net vient d’être proposées en France pour la fin de l’année. Et elle est bienvenue car la lecture du rapport « La neutralité de l’Internet. Un atout pour le développement de l’économie numérique » de la secrétaire d’État chargée de la Prospective et du Développement de l’économie numérique Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP), fait froid dans le dos, comme le disait récemment Benjamin Bayart sur Écrans.fr : « Dans ce rapport, ce qui saute aux yeux, c’est l’incompétence ». Et en effet, de l’incompétence on en trouve dans ce rapport mais pas seulement, on trouve également des traces de lobbyisme de vendeurs de contenus ayant racheté un FAI, ou de FAI ayant acheté du contenu à vendre

C’est un autre personnage politique donc, le député Christian Paul (PS), qui a mis en ligne sur son blog une ébauche de proposition de loi consacrant la Neutralité du Net.

Pour compléter cette ébauche, il invite les citoyens à commenter et améliorer le texte en-ligne grâce à un outil libre : co-ment. Et il a également rédigé une tribune ré-affirmant l’importance de la Neutralité du Net en guise d’introduction à son projet de loi. C’est cette tribune, publiée conjointement sur Numérama et sur son blog (sous licence libre) que nous vous invitons à lire ci-dessous.

Il est primordial de réaliser l’importance de la Neutralité du Net et d’établir des règles pour la pérenniser. Cette loi ne doit pas être faite dans l’intérêt privé de certains groupes industriels, mais pour et par les citoyens. La France pourrait, sur ce sujet, retrouver ses Lumières et montrer la voie à suivre…

Merci à Skhaen pour la rédaction originale de cette introduction.

Proposition de loi visant à affirmer le principe de neutralité de l’internet, et son contenu

Christian Paul – 16 août 2010 – Numerama

I had a dream… J’ai fait un rêve, ou plutôt un cauchemar. Je me réveillais en 2030, buvais une tasse de café noir, puis allumais mon ordinateur, et me voyais soudain interdire l’accès à l’Internet. Mes dernières déclarations sur les pratiques abusives des géants de l’Internet n’y étaient certainement pas pour rien. Ou, du moins, quelques propos sur le « filtrage de bordure », directement intégré à ma « box » sous prétexte de lutte contre les contenus illicites, avec un « moteur de contrôle » jugeant automatiquement de la légalité de mes faits et gestes. Le service où je publiais jusqu’ici régulièrement des tribunes (lointain successeur de Médiapart, de Rue 89 ou de Numérama !), où j’avais accès à une information que l’on ne trouvait plus forcément dans les médias traditionnels, venait de fermer, après une longue descente aux enfers au gré de la généralisation des accords de priorisation de certains services et contenus. Un de mes principaux canaux d’expression avait disparu.

Ces derniers temps, ma « box » Internet me conseillait fermement (m’imposait même parfois) plusieurs heures par jour le visionnage de programmes choisis par mon opérateur. J’étais certes informé de cette limitation, mais que faire alors que tous les opérateurs se comportaient à l’identique et que le contournement de ce dispositif de contrôle était passible de prison ? J’avais eu par ailleurs à changer ces dernières années plusieurs fois d’équipement, au gré des accords exclusifs entre mon FAI avec le constructeur ou l’éditeur le plus offrant. Mes plaintes contre cette censure et cette vente forcée avaient été classées sans suite par le procureur compétent du tribunal de Nevers.

Je me souvenais alors qu’il y a plus de 20 ans, l’irruption de l’Internet portait la promesse d’une croissance durable de la diversité, de nouvelles médiations, d’un plus grand accès à l’information et à la culture et d’une amélioration du droit réel à l’initiative économique pour le plus grand nombre.

Mais depuis son ouverture au grand public au milieu des années 90, les coups de canifs à la liberté et l’égalité des utilisateurs du « réseau des réseaux » s’étaient multipliés. Les réseaux « de pair à pair » avaient été combattus en tant que tel, alors qu’ils ne sont pourtant que de simples outils dont seuls certains usages sont répréhensibles. Le choix de l’appareil de raccordement au réseau, la « box », avait progressivement été imposé aux particuliers par tous les opérateurs. Les services « exclusifs » s’étaient généralisés, après une période transitoire où ils étaient seulement plus prioritaires que les autres.

Retour à 2010, au cœur de l’été. Pourquoi faut-il s’inquiéter ? Le cadre juridique garantissant nos libertés a considérablement évolué [2], et les dernières années ont donné le signal de la régression. Mais aujourd’hui, le socle même de ces libertés est en jeu, du fait de l’évolution du cadre technique que préfigurent les débats actuels. Comme le dit Lawrence Lessig, « Code is Law », « le logiciel et le matériel font du cyberespace ce qu’il est » [3]. Pour autant, la menace n’est pas que technique. Jiwa, sur lequel j’aimais écouter de la musique, n’est pas aujourd’hui en liquidation du fait d’une censure généralisée du net ou de mutations du réseau, mais à cause du maintien d’un modèle inadapté de négociation de gré à gré des droits. Il produit des effets également très négatifs, et la responsabilité du gouvernement qui tarde à agir, écrasante.

Le débat sur la « neutralité du net », qui a cours en France ou aux Etats-Unis depuis des mois, doit être l’occasion de réaffirmer les principes d’ouverture et de liberté auxquels nous sommes attachés. À la laïcité garantissant la liberté de conscience et le libre exercice des cultes doit correspondre dans l’espace numérique une « laïcité informationnelle » garantissant nos libertés de choix, d’initiative et d’expression.

Qu’on ne s’y trompe pas ! Notre amour de la liberté nous conduit non pas au laisser-faire, mais au choix d’une « bonne » régulation. La transparence et l’information sur les pratiques des opérateurs ne suffisent à l’évidence pas. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités et garantir de nouveaux droits à tous les internautes. Nous n’accepterions pas que tel ou tel opérateur de réseau autoroutier n’accueille plus que les automobiles d’une certaine marque. De même, nous n’accepterions pas que les fournisseurs d’énergie électrique nous imposent le choix d’un panneau de raccordement ou de la marque de notre machine à laver. Il doit en être de même dans le monde numérique. Un accès à l’Internet n’est, au niveau le plus simple, qu’un ensemble de signaux électriques convoyés par notre fournisseur d’accès. Le choix de notre appareil de raccordement doit être libre, pour peu que les normes en vigueur ou à inventer rapidement soient respectées. Sous réserve du paiement permettant de disposer d’une puissance suffisante, chacun est également libre de faire fonctionner simultanément autant d’appareils électriques qu’il le souhaite. Il doit en être de même pour le numérique. Les règles de circulation des signaux numériques en notre domicile doivent relever de notre seul choix.

Choisissons un combat juste. Il ne s’agit pas ici de défendre le tout gratuit. Il est logique que celui qui consomme plus de ressources, par exemple en visualisant continuellement des vidéos en haute définition, ait à payer plus cher que celui qui envoie et reçoit quelques courriers électroniques par jour. Il s’agit par contre de s’assurer que l’utilisation du réseau restera libre et non faussée, tant en émission qu’en réception.

C’est pourquoi je transmets ces jours-ci à Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l’Assemblée nationale le texte d’une proposition de loi affirmant le principe de neutralité de l’internet, et son contenu. Son article 1er est sans ambiguïté : « Le principe de neutralité doit être respecté par toute action ou décision ayant un impact sur l’organisation, la mise à disposition, l’usage commercial ou privé des réseaux numériques. Ce principe s’entend comme l’interdiction de discriminations liées aux contenus, aux tarifications, aux émetteurs ou aux destinataires des échanges numériques de données. »

Vous en lirez le texte complet sur mon blog. Aidez-moi à enrichir cette proposition, le principe et son contenu. C’est un nouveau combat pour la liberté du net, pour sa « bonne » régulation, pour résister à son asservissement commercial.

Vite, prenons date ! Mieux vaut prévenir, que tenter de réparer tardivement. La neutralité du net apparait, d’ores et déjà, comme un principe offensif, efficace et indispensable.

Christian PAUL, député de la Nièvre

Notes

[1] « l’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire » – Benjamin Bayart dans La bataille HADOPI 2009

[2] Avec les lois LCEN, DADVSI, la loi sur les jeux en ligne, HADOPI 1 et 2, en attendant la LOPPSI2…

[3] À lire en français sur le Framablog




Affaire INPI : Tous à l’abordage de l’exposition « Contrefaçon » le 4 mai !

Joseph Sardin - CC bySi tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi.

Suite à ce que l’on peut désormais appeler « l’affaire INPI », une invitation est lancée à se rendre nombreux le mardi 4 mai à 18h à La Cité des Sciences et de l’Industrie devant l’exposition incriminée pour informer les visiteurs que le Libre existe et aurait au moins mérité cette petite place injustement refusée.

La semaine qui vient de s’écouler fut marquée par une superbe illustration du principe selon lequel la censure s’avère toujours contre-productive pour le censeur, puisque l’action de ce dernier sur un message particulier attire inévitablement l’attention du public sur ce qu’il voulait cacher[1].

Ainsi, la décision de l’Institut National de la Propriété Industrielle d’exclure, à la dernière minute, toute mention de logiciels et de licences libres de l’exposition « Contrefaçon » (présentée du 20 avril au 13 février prochain à la Cité des Sciences et de l’Industrie) a choqué un large public, sûrement aiguisé sur la question par des années de frasques législatives (DADVSI, HADOPI I&II) tentant justement de définir les limites de la contrefaçon à l’ère du numérique. Et le cri d’alarme lancé par Isabelle Vodjdani (membre de Copyleft Attitude et auteur du texte censuré) il y a un peu plus d’une semaine s’est donc répandu sur le web comme une tache d’huile, grâce aux efforts conjugués de toutes les consciences qui animent les associations du libre, les blogs indépendants, la presse en-ligne…

Le texte, originalement posté sur Transactiv.exe fut presque immédiatement repris par une vague d’associations du libre parmi lesquelles Ubuntu-fr, Framasoft LinuxFR ainsi que les journaux en-ligne les plus réactifs : Rue89, PCINpact… Dès le lendemain, les réactions se multipliaient tous azimuts, et le texte, sous licence libre, se trouvait repris commenté et analysé sur les sites web d’associations telles que PULLCO le LUG Corézien ou Fansub-streaming dont l’activité pose d’intéressantes questions sur le droit d’auteur et la contrefaçon (ce n’est pas une contrefaçon de sous-titrer une animation japonaise en français tant que l’éditeur ne commercialise pas l’œuvre en France, ça le devient ensuite, presque rétro-activement…). Enfin, l’April réagissait en adressant une lettre ouverte à Claudie Haigneré, présidente de la Cité des Sciences et de l’Industrie dans le but d’obtenir un rendez-vous.

Edit 3 mai : L’April a publié le compte-rendu de son entretien avec Claudie Haigneré, présidente de la Cité des sciences et de l’industrie, le lendemain de la publication originale de cet article. L’association annonce, en fin de communiqué, qu’elle se joindra à l’opération.

Tangui Morlier (président de l’April, fondateur de StopDRM) réagit encore, à titre personnel le jour suivant, en lançant le site www.bonjourcensure.fr avec la participation d’Isabelle Vodjdani. Ce site, simple mais efficace, offre un espace pour laisser s’exprimer en image la créativité du libre sur le sujet.

Face aux critiques, il est à noter que la CSI et l’INPI publièrent rapidement un communiqué de presse dans le but de justifier leur décision de ne pas présenter d’alternative au modèle dogmatique de la propriété intellectuelle telle que défendue par l’INPI ou la SACEM, à base de gentils consommateurs et de méchants pirates.

En substance, dans leur communiqué ils se défendent des mauvaises intentions qu’on leur prête pour avoir supprimé cette partie de l’exposition, étant eux-mêmes utilisateurs de logiciels libres et donc forcément favorables au phénomène. Mais exploiter simplement ces outils concurrentiels ne dénote en rien d’un a priori vis-à-vis de leur modèle, et d’a priori ne voulons point ! Les licences libres existent et sont largement répandues, pourquoi éviter le sujet ?

L’INPI arguait alors de ne pas vouloir semer le trouble dans l’esprit des visiteurs, entre contrefaçon et logiciel libre, afin d’éviter une association négative. En dehors de la condescendance de l’argument, on peut se demander si ce ne serait justement pas le principal intérêt de cette exposition, que d’amener les visiteurs à réfléchir et se poser de fécondes questions comme le remarquait aKa dans les commentaires du billet Framablog.

D’ailleurs, pour une exposition se voulant sans ambiguïté et « tout public », on peut s’interroger sur le choix du visuel de l’affiche, présentant un remix du célèbre pavillon de Jack Rackham (dit « Le Rouge » …) dont le crâne a été remplacé par le terme « Contrefaçon ». Le lien entre les contrefacteurs dénoncés par l’exposition et les renégats des siècles derniers se livrant à des actes de flibusterie me semble pour le moins trouble…

Aujourd’hui on retrouve ces exactions marines au large de la Somalie et ce pavillon noir sur la flotte des Sea Shepherd poursuivant une noble cause. Mais rien à voir, en tout cas, avec les honnêtes citoyens qui s’échangent de la culture aux limites numériques encore floues du droit d’auteur qui fait vivre des organismes de contrôle tels que l’INPI ou la SACEM.

Toujours est-il que cette réponse, faisant couler beaucoup d’encre, a visiblement contribué à attiser les résistances. Aujourd’hui la presse continue à se faire l’écho du phénomène comme on peut le voir dans LeMagIT, LePoint ou ZDNet, et les analyses fleurissent sur les blogs comme ce billet du « dernier des blogs » ou cet intéressant travail de synthèse réalisé par Frédéric Couchet.

Toutefois, si le message d’Isabelle Vodjdani a survécu à sa censure grâce à une publication sous licence libre et un web réactif, il reste un manque béant d’information au sein de l’exposition !

Si l’April, qui rencontrera prochainement la présidente de la Cité des Sciences aura une opportunité de demander l’intégration du texte à l’exposition comme prévu, voire un espace supplémentaire pour détailler les évènements qui ont conduit cette intégration tardive, il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle rien n’est fait pour informer le public lors des dix mois à venir de l’existence d’œuvres libres dont la copie et le partage n’engendrent pas de contrefaçon.

C’est pourquoi une réaction s’est organisée sur le forum et le canal IRC de Framasoft depuis le précédent billet. Comme nous y encourage Richard M. Stallman, les défenseurs du libre viendront à la rencontre du public de l’exposition lors de son inauguration officielle le mardi 4 mai à partir de 18h, comme détaillé ici.

Lors de cet évènement à but pédagogique (c’est un terme qui fait peur depuis HADOPI…) des FramaDVD seront distribués aux visiteurs pour donner corps à l’existence des licences libres, des logiciels libres, des livres libres, de la musique libre, des photos libres, des films libres…

Venez nombreux !

Notes

[1] Crédit photo : Joseph Sardin (Creative Commons By)




Geektionnerd : Loppsichopate

Préparez vos mouchards, la Loppsi arrive 🙁

(Au fait, vous connaissiez cette chansonnette de la Parisienne Libérée ?)

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)