Framatube : aidez-nous à briser l’hégémonie de YouTube
Ceci est une révolution. OK : l’expression nous a été confisquée par un célèbre vendeur de pommes, mais dans ce cas, elle est franchement juste. Et si, ensemble, nous pouvions nous libérer de l’hégémonie de YouTube en innovant dans la manière dont on visionne et diffuse des vidéos ? Chez Framasoft, nous croyons que c’est possible… mais ça ne se fera pas sans vous.
YouTube est un ogre qui coûte cher
YouTube est avant tout un symbole. Celui de ces plateformes (Dailymotion, Vimeo, Facebook vidéos…) qui centralisent nos créations vidéos pour offrir nos données et notre temps de cerveau disponible aux multinationales qui se sont payé ces sites d’hébergement.
Il faut dire que capter nos vidéos et nos attentions coûte affreusement cher à ces ogres du web. Les fichiers vidéo pèsent lourd, il leur faut donc constamment financer l’ajout de disques durs dans leurs fermes de serveurs. Sans compter que, lorsque toutes ces vidéos sont centralisées et donc envoyées depuis les mêmes machines, il leur faut agrandir la taille et le débit du tuyau qui transporte ces flux de données, ce qui, encore une fois, se traduit en terme de pépètes, ou plutôt de méga-thunes.
Techniquement et financièrement, centraliser de la vidéo est probablement la méthode la moins pertinente, digne de l’époque des Minitels. Si, en revanche, votre but est de devenir l’unique chaîne de télé du Minitel 2.0 (donc d’un Internet gouverné par les plateformes)… Si votre but est d’avoir le pouvoir d’influencer les contenus et les habitudes du monde entier… Et si votre but est de collecter de précieuses informations sur nos intérêts, nos créations et nos échanges… Alors là, cela devient carrément rentable !
Dans nos vies, YouTube s’est hissé au rang de Facebook : un mal nécessaire, un site que l’on adore détester, un service « dont j’aimerais bien me passer, mais… ». À tel point que, si seules des « Licornes » (des entreprises milliardaires) peuvent s’offrir le succès de telles plateformes, beaucoup d’autres tentent d’imiter leur fonctionnement, jusque dans le logiciel libre. Comme si nous ne ne pouvions même plus imaginer comment faire autrement…
Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez [le tyran], mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre. Étienne de LA BOÉTIE, Discours de la servitude volontaire, 1574
Réapproprions-nous les moyens de diffusion
Nous aurions pu proposer un Framatube centralisant des vidéos libres et libristes sur nos serveurs, basé sur les logiciels libres Mediadrop, Mediagoblin ou Mediaspip, qui sont très efficaces lorsqu’il s’agit d’héberger sa vidéothèque perso. Mais, en cas de succès et donc face à un très grand nombre de vidéos et de vues, nous aurions dû en payer le prix fort : or (on a fait les calculs) nous sommes 350 000 fois plus pauvres que Google-Alphabet, à qui appartient YouTube. Nous ne voulons pas utiliser leurs méthodes, et ça tombe bien : nous n’en avons pas les moyens.
Le logiciel libre a, en revanche, la capacité de penser hors de ce Google-way-of-life. L’intérêt principal de Google, son capital, ce sont nos données. C’est précisément ce qui l’empêche de mettre en place des solutions différentes, innovantes. Une vraie innovation serait d’utiliser, par exemple, des techniques de diffusion presque aussi vieilles qu’Internet et qui ont fait leurs preuves : la fédération d’hébergements et le pair-à-pair, par exemple.
La fédération, on connaît ça grâce aux emails (et nous en avons parlé en présentant l’alternative libre à Twitter qu’est Mastodon). Le fait que l’email de Camille soit hébergé par son entreprise et que la boite mail de Dominique lui soit fournie par son université ne les empêche pas de communiquer, bien au contraire !
Le pair-à-pair, nous le connaissons avec eMule, les Torrents ou plus récemment Pop-corn Time : c’est quand l’ordinateur de chaque personne qui reçoit un fichier (par exemple la vidéo qui s’affiche dans un lecteur sur votre écran) l’envoie en même temps aux autres personnes. Cela permet, tout simplement, de répartir les flux d’information et de soulager le réseau.
Avec PeerTube, libérons-nous des chaînes de YouTube
PeerTube est un logiciel libre qui démocratise l’hébergement de vidéos en créant un réseau d’hébergeurs, dont les vidéos vues sont partagées en direct entre internautes, de pairs à pairs. Son développeur, Chocobozzz, y travaille bénévolement depuis deux ans, sur son temps libre.
Chez Framasoft, lors de la campagne Dégooglisons Internet, nous nous sommes souvent creusé la tête sur la meilleure façon de créer une alternative à YouTube qui libère à la fois les internautes, les vidéastes et les hébergeurs, sans pénaliser le confort de chacun. Lorsque nous avons eu vent de PeerTube, nous étions émerveillé·e·s : sa conception, bien qu’encore en cours de développement, laisse entrevoir un logiciel qui peut tout changer.
Pour le spectateur, aller sur un des hébergements PeerTube lui permettra de voir et d’interagir avec les vidéos de cet hébergeur mais aussi de tous ses « hébergeurs amis » (principe de fédération). Un·e vidéaste aura la liberté de choisir entre plusieurs hébergements, chacun ayant ses centres d’intérêts, ses conditions générales, ses règles de modération voire de monétisation. Une hébergeuse (un jour prochain nous dirons peut-être une PeerTubeuse ?) quant à elle, n’aura pas besoin d’héberger les vidéos du monde entier afin d’attirer un large public, et ne craindra plus qu’une vidéo vue massivement ne fasse tomber son serveur.
Depuis octobre 2017, nous avons accueilli Chocobozzz au sein de notre équipe de salarié·e·s afin de financer son temps de travail sur le logiciel PeerTube, et donc d’accélérer son développement en l’accompagnant du mieux que nous pouvons. L’objectif ? Sortir une version bêta de PeerTube (utilisable publiquement) dès mars 2018, dans le cadre de notre campagne Contributopia.
Les premiers moyens de contribuer à PeerTube
Clairement, PeerTube ne sera pas (pas tout de suite) aussi beau, fonctionnel et fourni qu’un YouTube de 2017 (qui bénéficie depuis 10 ans des moyens de Google, une des entreprises les plus riches au monde). Mais les fonctionnalités, présentes ou prévues, mettent déjà l’eau à la bouche… et si vous voulez en savoir plus, vous pouvez déjà poser toutes vos questions sur PeerTube sur notre forum. Ces questions nous permettront de mieux cerner vos attentes sur un tel projet, et de publier prochainement une foire aux questions sur ce blog.
Une autre manière de contribuer dès maintenant sur ce projet, c’est avec votre argent, par un don à Framasoft, qui en plus est toujours défiscalisable à 66 % pour les contribuables français (ce qui fait qu’un don de 100 € revient, après impôts, à 34 €). Mine de rien, c’est un moyen pour vous de consacrer une petite partie de vos contributions publiques à ces biens communs que sont les logiciels libres, dont PeerTube est un exemple.
Car si le logiciel libre est diffusé gratuitement, il n’est pas gratuit : il est, en général, financé à la source. Là, nous vous proposons une expérience de financement participatif assez intéressante. Il ne s’agit pas de faire un crowdfunding en mode « Si vous payez suffisamment, alors on le fait. » Nous avons d’ores et déjà embauché Chocobozzz, et nous mènerons PeerTube au moins jusqu’à sa version bêta.
Sachant cela, et si vous croyez en ce projet aussi fort que nous y croyons : est-ce que vous allez participer à cet effort, qui est aussi un effort financier ?
Bien entendu, cela n’est pas aussi tranché : si nous n’atteignons pas cet objectif-là, nous devrons simplement revoir l’ensemble de nos activités à la baisse (et nous inquiéter sérieusement en 2018). Néanmoins, nous n’avons aucune envie d’être alarmistes car nous vous faisons confiance. Nous savons qu’il est possible de contribuer, ensemble, à réaliser les mondes et les projets de Contributopia.
L’article qui suit n’est pas une traduction intégrale mais un survol aussi fidèle que possible de la conférence TED effectuée par la sociologue des technologies Zeynep Tufecki. Cette conférence intitulée : « Nous créons une dystopie simplement pour obliger les gens à cliquer sur des publicités » (We’re building a dystopia just to make people click on ads) est en cours de traduction sur la plateforme Amara préconisée par TED, mais la révision n’étant pas effectuée, il faudra patienter pour en découvrir l’intégralité sous-titrée en français. est maintenant traduite en français \o/
En attendant, voici 4 minutes de lecture qui s’achèvent hélas sur des perspectives assez vagues ou plutôt un peu vastes : il faut tout changer. Du côté de Framasoft, nous proposons de commencer par outiller la société de contribution avec la campagne Contributopia… car dégoogliser ne suffira pas !
Mettez un peu à jour vos contre-modèles, demande Zeynep : oubliez les références aux menaces de Terminator et du 1984 d’Orwell, ces dystopies ne sont pas adaptées à notre débutant XXIe siècle.
Ce qui est à craindre aujourd’hui, car c’est déjà là, c’est plutôt comment ceux qui détiennent le pouvoir utilisent et vont utiliser l’intelligence artificielle pour exercer sur nous des formes de contrôle nouvelles et malheureusement peu détectables. Les technologies qui menacent notre liberté et notre jardin secret (celui de notre bulle d’intimité absolue) sont développées par des entreprises-léviathans qui le font d’abord pour vendre nos données et notre attention aux GAFAM (Tristan Nitot, dans sa veille attentive, signale qu’on les appelle les frightful five, les 5 qui font peur, aux États-Unis). Zeynep ajoute d’ailleurs Alibaba et Tencent. D’autres à venir sont sur les rangs, peut-on facilement concevoir.
Ne pas se figurer que c’est seulement l’étape suivante qui prolonge la publicité en ligne, c’est au contraire un véritable saut vers une autre catégorie « un monde différent » à la fois exaltant par son potentiel extraordinaire mais aussi terriblement dangereux.
Voyons un peu la mécanique de la publicité. Dans le monde physique, les friandises à portée des enfants au passage en caisse de supermarché sont un procédé d’incitation efficace, mais dont la portée est limitée. Dans le monde numérique, ce que Zeynep appelle l’architecture de la persuasion est à l’échelle de plusieurs milliards de consommateurs potentiels. Qui plus est, l’intelligence artificielle peut cibler chacun distinctement et envoyer sur l’écran de son smartphone (on devrait dire spyphone, non ?) un message incitatif qui ne sera vu que par chacun et le ciblera selon ses points faibles identifiés par algorithmes.
Prenons un exemple : quand hier l’on voulait vendre des billets d’avion pour Las Vegas, on cherchait la tranche d’âge idéale et la carte de crédit bien garnie. Aujourd’hui, les mégadonnées et l’apprentissage machine (machine learning) s’appuient sur tout ce que Facebook peut avoir collecté sur vous à travers messages, photos, « likes », même sur les textes qu’on a commencés à saisir au clavier et qu’on a ensuite effacés, etc. Tout est analysé en permanence, complété avec ce que fournissent des courtiers en données.
Les algos d’apprentissage, comme leur nom l’indique, apprennent ainsi non seulement votre profil personnel mais également, face à un nouveau compte, à quel type déjà existant on peut le rapprocher. Pour reprendre l’exemple, ils peuvent deviner très vite si telle ou telle personne est susceptible d’acheter un billet pour un séjour à Las Vegas.
Vous pensez que ce n’est pas très grave si on nous propose un billet pour Vegas.
Le problème n’est pas là.
Le problème c’est que les algorithmes complexes à l’œuvre deviennent opaques pour tout le monde, y compris les programmeurs, même s’ils ont accès aux données qui sont généralement propriétaires donc inaccessibles.
« Comme si nous cessions de programmer pour laisser se développer une forme d’intelligence que nous ne comprenons pas véritablement. Et tout cela marche seulement s’il existe une énorme quantité de données, donc ils encouragent une surveillance étendue : pour que les algos de machine learning puissent opérer. Voilà pourquoi Facebook veut absolument collecter le plus de données possible sur vous. Les algos fonctionneront bien mieux »
Que se passerait-il, continue Zeynep avec l’exemple de Las Vegas, si les algos pouvaient repérer les gens bipolaires, soumis à des phases de dépenses compulsives et donc bons clients pour Vegas, capitale du jeu d’argent ? Eh bien un chercheur qui a contacté Zeynep a démontré que les algos pouvaient détecter les profils à risques psychologiques avec les médias sociaux avant que des symptômes cliniques ne se manifestent…
Les outils de détection existent et sont accessibles, les entreprises s’en servent et les développent.
L’exemple de YouTube est également très intéressant : nous savons bien, continue Zeynep, que nous sommes incités par un algo à écouter/regarder d’autres vidéos sur la page où se trouve celle que nous avons choisie.
Eh bien en 2016, témoigne Zeynep, j’ai reçu de suggestions par YouTube : comme j’étudiais la campagne électorale en sociologue, je regardais des vidéos des meetings de Trump et YouTube m’a suggéré des vidéos de suprématistes (extrême-droite fascisante aux USA) !
Ce n’est pas seulement un problème de politique. L’algorithme construit une idée du comportement humain, en supposant que nous allons pousser toujours notre curiosité vers davantage d’extrêmes, de manière à nous faire demeurer plus longtemps sur un site pendant que Google vous sert davantage de publicités.
Pire encore, comme l’ont prouvé des expériences faites par ProPublica et BuzzFeed, que ce soit sur Facebook ou avec Google, avec un investissement minime, on peut présenter des messages et profils violemment antisémites à des personnes qui ne sont pas mais pourraient (toujours suivant les algorithmes) devenir antisémites.
L’année dernière, le responsable médias de l’équipe de Trump a révélé qu’ils avaient utilisé de messages « non-publics » de Facebook pour démobiliser les électeurs, les inciter à ne pas voter, en particulier dans des villes à forte population d’Afro-américains. Qu’y avait-il dans ces messages « non-publics » ? On ne le saura pas, Twitter ne le dira pas.
Les algorithmes peuvent donc aussi influencer le comportement des électeurs.
Facebook a fait une expérience en 2010 qui a été divulguée après coup.
Certains ont vu ce message les incitant à voter. Voici la version basique :
et d’autres ont vu cette version (avec les imagettes des contacts qui ont cliqué sur « j’ai voté »)
Ce message n’a été présenté qu’une fois mais 340 000 électeurs de plus ont voté lors de cette élection, selon cette recherche, confirmée par les listes électorales.
En 2012, même expérience, résultats comparables : 270 000 électeurs de plus.
De quoi laisser songeur quand on se souvient que l’élection présidentielle américaine de 2016 s’est décidée à environ 100 000 voix près…
« Si une plate-forme dotée d’un tel pouvoir décide de faire passer les partisans d’un candidat avant les autres, comment le saurions-nous ? »
Les algorithmes peuvent facilement déduire notre appartenance à une communauté ethnique, nos opinions religieuses et politiques, nos traits de personnalité, l’intelligence, la consommation de substances addictives, la séparation parentale, l’âge et le sexe, en se fondant sur les « j’aime » de Facebook. Ces algorithmes peuvent identifier les manifestants même si leurs visages sont partiellement dissimulés, et même l’orientation sexuelle des gens à partir de leurs photos de leur profil de rencontres.
Faut-il rappeler que la Chine utilise déjà la technologie de détection des visages pour identifier et arrêter les personnes ?
Le pire, souligne Zeynep est que
« Nous construisons cette infrastructure de surveillance autoritaire uniquement pour inciter les gens à cliquer sur les publicités. »
Si nous étions dans l’univers terrifiant de 1984 nous aurions peur mais nous saurions de quoi, nous détesterions et pourrions résister. Mais dans ce nouveau monde, si un état nous observe et nous juge, empêche par anticipation les potentiels fauteurs de trouble de s’opposer, manipule individus et masses avec la même facilité, nous n’en saurons rien ou très peu…
« Les mêmes algorithmes que ceux qui nous ont été lancés pour nous rendre plus flexibles en matière de publicité organisent également nos flux d’informations politiques, personnelles et sociales… »
Les dirigeants de Facebook ou Google multiplient les déclarations bien intentionnées pour nous convaincre qu’ils ne nous veulent aucun mal. Mais le problème c’est le business model qu’ils élaborent. Ils se défendent en prétendant que leur pouvoir d’influence est limité, mais de deux choses l’une : ou bien Facebook est un énorme escroquerie et les publicités ne fonctionnent pas sur leur site (et dans ce cas pourquoi des entreprises paieraient-elles pour leur publicité sur Facebook ?), ou bien leur pouvoir d’influence est terriblement préoccupant. C’est soit l’un, soit l’autre. Même chose pour Google évidemment.
Que faire ?
C’est toute la structure et le fonctionnement de notre technologie numérique qu’il faudrait modifier…
« Nous devons faire face au manque de transparence créé par les algorithmes propriétaires, au défi structurel de l’opacité de l’apprentissage machine, à toutes ces données qui sont recueillies à notre sujet. Nous avons une lourde tâche devant nous. Nous devons mobiliser notre technologie, notre créativité et aussi notre pouvoir politique pour construire une intelligence artificielle qui nous soutienne dans nos objectifs humains, mais qui soit aussi limitée par nos valeurs humaines. »
« Nous avons besoin d’une économie numérique où nos données et notre attention ne sont pas destinées à la vente aux plus offrants autoritaires ou démagogues. »
Comment les entreprises surveillent notre quotidien
Vous croyez tout savoir déjà sur l’exploitation de nos données personnelles ? Parcourez plutôt quelques paragraphes de ce très vaste dossier…
Il s’agit du remarquable travail d’enquête procuré par Craked Labs, une organisation sans but lucratif qui se caractérise ainsi :
… un institut de recherche indépendant et un laboratoire de création basé à Vienne, en Autriche. Il étudie les impacts socioculturels des technologies de l’information et développe des innovations sociales dans le domaine de la culture numérique.
… Il a été créé en 2012 pour développer l’utilisation participative des technologies de l’information et de la communication, ainsi que le libre accès au savoir et à l’information – indépendamment des intérêts commerciaux ou gouvernementaux. Cracked Labs se compose d’un réseau interdisciplinaire et international d’experts dans les domaines de la science, de la théorie, de l’activisme, de la technologie, de l’art, du design et de l’éducation et coopère avec des parties publiques et privées.
Bien sûr, vous connaissez les GAFAM omniprésents aux avant-postes pour nous engluer au point que s’en déprendre complètement est difficile… Mais connaissez-vous Acxiom et LiveRamp, Equifax, Oracle, Experian et TransUnion ? Non ? Pourtant il y a des chances qu’ils nous connaissent bien…
Il existe une industrie très rentable et très performante des données « client ».
Dans ce long article documenté et qui déploie une vaste gamme d’exemples dans tous les domaines, vous ferez connaissance avec les coulisses de cette industrie intrusive pour laquelle il semble presque impossible de « passer inaperçu », où notre personnalité devient un profil anonyme mais tellement riche de renseignements que nos nom et prénom n’ont aucun intérêt particulier.
L’article est long, vous pouvez préférer le lire à votre rythme en format .PDF (2,3 Mo)
avec les contributions de : Katharina Kopp, Patrick Urs Riechert / Illustrations de Pascale Osterwalder.
Comment des milliers d’entreprises surveillent, analysent et influencent la vie de milliards de personnes. Quels sont les principaux acteurs du pistage numérique aujourd’hui ? Que peuvent-ils déduire de nos achats, de nos appels téléphoniques, de nos recherches sur le Web, de nos Like sur Facebook ? Comment les plateformes en ligne, les entreprises technologiques et les courtiers en données font-ils pour collecter, commercialiser et exploiter nos données personnelles ?
Ces dernières années, des entreprises dans de nombreux secteurs se sont mises à surveiller, pister et suivre les gens dans pratiquement tous les aspects de leur vie. les comportements, les déplacements, les relations sociales, les centres d’intérêt, les faiblesses et les moments les plus intimes de milliards de personnes sont désormais continuellement enregistrés, évalués et analysés en temps réel. L’exploitation des données personnelles est devenue une industrie pesant plusieurs milliards de dollars. Pourtant, de ce pistage numérique omniprésent, on ne voit que la partie émergée de l’iceberg ; la majeure partie du processus se déroule dans les coulisses et reste opaque pour la plupart d’entre nous.
Ce rapport de Cracked Labs examine le fonctionnement interne et les pratiques en vigueur dans cette industrie des données personnelles. S’appuyant sur des années de recherche et sur un précédent rapport de 2016, l’enquête donne à voir la circulation cachée des données entre les entreprises. Elle cartographie la structure et l’étendue de l’écosystème numérique de pistage et de profilage et explore tout ce qui s’y rapporte : les technologies, les plateformes, les matériels ainsi que les dernières évolutions marquantes.
Le rapport complet (93 pages, en anglais) est disponible en téléchargement au format PDF, et cette publication web en présente un résumé en dix parties.
En 2007, Apple a lancé le smartphone, Facebook a atteint les 30 millions d’utilisateurs, et des entreprises de publicité en ligne ont commencé à cibler les internautes en se basant sur des données relatives à leurs préférences individuelles et leurs centres d’intérêt. Dix ans plus tard, un large ensemble d’entreprises dont le cœur de métier est les données (les data-companies ou entreprises de données en français) a émergé, on y trouve de très gros acteurs comme Facebook ou Google mais aussi des milliers d’autres entreprises, qui sans cesse, se partagent et se vendent les unes aux autres des profils numériques. Certaines entreprises ont commencé à combiner et à relier des données du web et des smartphones avec les données clients et les informations hors-ligne qu’elles avaient accumulées pendant des décennies.
La machine omniprésente de surveillance en temps réel qui a été développée pour la publicité en ligne s’étend rapidement à d’autres domaines, de la tarification à la communication politique en passant par le calcul de solvabilité et la gestion des risques. Des plateformes en ligne énormes, des entreprises de publicité numérique, des courtiers en données et des entreprises de divers secteurs peuvent maintenant identifier, trier, catégoriser, analyser, évaluer et classer les utilisateurs via les plateformes et les matériels. Chaque clic sur un site web et chaque mouvement du doigt sur un smartphone peut activer un large éventail de mécanismes de partage de données distribuées entre plusieurs entreprises, ce qui, en définitive, affecte directement les choix offerts aux gens. Le pistage numérique et le profilage, en plus de la personnalisation ne sont pas seulement utilisés pour surveiller, mais aussi pour influencer les comportements des personnes.
Vous devez vous battre pour votre vie privée, sinon vous la perdrez.
Eric Schmidt, Google/Alphabet, 2013
Analyser les individus
Des études scientifiques démontrent que de nombreux aspects de la personnalité des individus peuvent être déduits des données générées par des recherches sur Internet, des historiques de navigation, des comportements lors du visionnage d’une vidéo, des activités sur les médias sociaux ou des achats. Par exemple, des données personnelles sensibles telles que l’origine ethnique, les convictions religieuses ou politiques, la situation amoureuse, l’orientation sexuelle, ou l’usage d’alcool, de cigarettes ou de drogues peuvent être assez précisément déduites des Like sur Facebook d’une personne. L’analyse des profils de réseaux sociaux peut aussi prédire des traits de personnalité comme la stabilité émotionnelle, la satisfaction individuelle, l’impulsivité, la dépression et l’intérêt pour le sensationnel.
Analyser les like Facebook, les données des téléphones, et les styles de frappe au clavier
De la même façon, il est possible de déduire certains traits de caractères d’une personne à partir de données sur les sites Web qu’elle a visités, sur les appels téléphoniques qu’elle a passés, et sur les applis qu’elle a utilisées. L’historique de navigation peut donner des informations sur la profession et le niveau d’étude. Des chercheurs canadiens ont même réussi à évaluer des états émotionnels comme la confiance, la nervosité, la tristesse ou la fatigue en analysant la façon dont on tape sur le clavier de l’ordinateur.
Analyser les individus dans la finance, les assurances et la santé
Les résultats des méthodes actuelles d’extraction et d’analyse des données reposent sur des corrélations statistiques avec un certain niveau de probabilité. Bien qu’ils soient significativement plus fiables que le hasard dans la prédiction des caractéristiques ou des traits de caractère d’un individu, ils ne sont évidemment pas toujours exacts. Néanmoins, ces méthodes sont déjà mises en œuvre pour trier, catégoriser, étiqueter, évaluer, noter et classer les personnes, non seulement dans une approche marketing mais aussi pour prendre des décisions dans des domaines riches en conséquence comme la finance, l’assurance, la santé, pour ne citer qu’eux.
L’évaluation de crédit basée sur les données de comportement numérique
Des startups comme Lenddo, Kreditech, Cignifi et ZestFinance utilisent déjà les données récoltées sur les réseaux sociaux, lors de recherches sur le web ou sur les téléphones portables pour calculer la solvabilité d’une personne sans même utiliser de données financières. D’autres se basent sur la façon dont quelqu’un va remplir un formulaire en ligne ou naviguer sur un site web, sur la grammaire et la ponctuation de ses textos, ou sur l’état de la batterie de son téléphone. Certaines entreprises incluent même des données sur les amis avec lesquels une personne est connectée sur un réseau social pour évaluer sa solvabilité.
Cignifi, qui calcule la solvabilité des clients en fonction des horaires et de la fréquence des appels téléphoniques, se présente comme « la plateforme ultime de monétisation des données pour les opérateurs de réseaux mobiles ». De grandes entreprises, notamment MasterCard, le fournisseur d’accès mobile Telefonica, les agences d’évaluation de solvabilité Experian et Equifax, ainsi que le géant chinois de la recherche web Baidu, ont commencé à nouer des partenariats avec des startups de ce genre. L’application à plus grande échelle de services de cette nature est particulièrement en croissance dans les pays du Sud, ainsi qu’auprès de groupes de population vulnérables dans d’autres régions.
Réciproquement, les données de crédit nourrissent le marketing en ligne. Sur Twitter, par exemple, les annonceurs peuvent cibler leurs publicités en fonction de la solvabilité supposée des utilisateurs de Twitter sur la base des données client fournies par le courtier en données Oracle. Allant encore plus loin dans cette logique, Facebook a déposé un brevet pour une évaluation de crédit basée sur la cote de solvabilité de vos amis sur un réseau social. Personne ne sait s’ils ont l’intention de réellement mettre en application cette intégration totale des réseaux sociaux, du marketing et de l’évaluation des risques.
On peut dire que toutes les données sont des données sur le crédit, mais il manque encore la façon de les utiliser.
Douglas Merrill, fondateur de ZestFinance et ancien directeur des systèmes d’informations chez Google, 2012
Prédire l’état de santé à partir des données client
Les entreprises de données et les assureurs travaillent sur des programmes qui utilisent les informations sur la vie quotidienne des consommateurs pour prédire leurs risques de santé. Par exemple, l’assureur Aviva, en coopération avec la société de conseil Deloitte, a utilisé des données clients achetées à un courtier en données et habituellement utilisées pour le marketing, pour prédire les risques de santé individuels (comme le diabète, le cancer, l’hypertension et la dépression) de 60 000 personnes souhaitant souscrire une assurance.
La société de conseil McKinsey a aidé à prédire les coûts hospitaliers de patients en se basant sur les données clients d’une « grande compagnie d’assurance » santé américaine. En utilisant les informations concernant la démographie, la structure familiale, les achats, la possession d’une voiture et d’autres données, McKinsey a déclaré que ces « renseignements peuvent aider à identifier des sous-groupes stratégiques de patients avant que des périodes de coûts élevés ne surviennent ».
L’entreprise d’analyse santé GNS Healthcare a aussi calculé les risques individuels de santé de patients à partir d’un large champ de données tel que la génétique, les dossiers médicaux, les analyses de laboratoire, les appareils de santé mobiles et le comportement du consommateur. Les sociétés partenaires des assureurs tels que Aetna donnent une note qui identifie « les personnes susceptibles de subir une opération » et proposent de prédire l’évolution de la maladie et les résultats des interventions. D’après un rapport sectoriel, l’entreprise « classe les patients suivant le retour sur investissement » que l’assureur peut espérer s’il les cible pour des interventions particulières.
LexisNexis Risk Solutions, à la fois, un important courtier en données et une société d’analyse de risque, fournit un produit d’évaluation de santé qui calcule les risques médicaux ainsi que les frais de santé attendus individuellement, en se basant sur une importante quantité de données consommateurs, incluant les achats.
Collecte et utilisation massives de données client
Les plus importantes plates-formes connectées d’aujourd’hui, Google et Facebook en premier lieu, ont des informations détaillées sur la vie quotidienne de milliards de personnes dans le monde. Ils sont les plus visibles, les plus envahissants et, hormis les entreprises de renseignement, les publicitaires en ligne et les services de détection des fraudes numériques, peut-être les acteurs les plus avancés de l’industrie de l’analyse et des données personnelles. Beaucoup d’autres agissent en coulisse et hors de vue du public.
Le cœur de métier de la publicité en ligne consiste en un écosystème de milliers d’entreprises concentrées sur la traque constante et le profilage de milliards de personnes. À chaque fois qu’une publicité est affichée sur un site web ou une application mobile, un profil d’utilisateur vient juste d’être vendu au plus gros enchérisseur dans les millisecondes précédentes. Contrairement à ces nouvelles pratiques, les agences d’analyse de solvabilité et les courtiers en données clients exploitent des données personnelles depuis des décennies. Ces dernières années, ils ont commencé à combiner les très nombreuses données dont ils disposent sur la vie hors-ligne des personnes avec les bases de données utilisateurs et clients utilisées par de grandes plateformes, par des entreprises de publicité et par une multitude d’autres entreprises dans de nombreuses secteurs.
Les entreprises de données ont des informations détaillées sur des milliards de personnes
Plateformes en ligne grand public
Facebook dispose
des profils de
1,9 milliards d’utilisateurs de Facebook
1,2 milliards d’utilisateurs de Whatsapp
600 millions d’utilisateurs d’Instagram
Google dispose
des profils de
2 milliards d’utilisateurs d’Android
+ d’un milliard d’utilisateurs de Gmail
+ d’un milliard d’utilisateurs de Youtube
Apple dispose
des profils de
1 milliard d’utilisateurs d’iOS
Sociétés d’analyse de la solvabilité
Experian
dispose des données de solvabilité de 918 millions de personnes
dispose des données marketing de 700 millions de personnes
a un “aperçu” sur 2,3 milliards de personnes
Equifax
dispose des données de 820 millions de personnes
et d’1 milliard d’appareils
TransUnion
dispose des données d’1 milliard de personnes
Courtiers en données clients
Acxiom
dispose des données de
700 millions de personnes
1 milliard de cookies et d’appareils mobiles
3,7 milliards de profils clients
Oracle
dispose des données de
1 milliard d’utilisateurs d’appareils mobiles
1,7 milliards d’internautes
donne accès à
5 milliards d’identifiants uniques client
Facebook utilise au moins 52 000 caractéristiques personnelles pour trier et classer ses 1,9 milliard d’utilisateurs suivant, par exemple, leur orientation politique, leur origine ethnique et leurs revenus. Pour ce faire, la plateforme analyse leurs messages, leurs Likes, leurs partages, leurs amis, leurs photos, leurs mouvements et beaucoup d’autres comportements. De plus, Facebook acquiert à d’autres entreprises des données sur ses utilisateurs. En 2013, la plateforme démarre son partenariat avec les quatre courtiers en données Acxiom, Epsilon, Datalogix et BlueKai, les deux derniers ont ensuite été rachetés par le géant de l’informatique Oracle. Ces sociétés aident Facebook à pister et profiler ses utilisateurs bien mieux qu’il le faisait déjà en lui fournissant des données collectées en dehors de sa plateforme.
Les courtiers en données et le marché des données personnelles
Les courtiers en données client ont un rôle clé dans le marché des données personnelles actuel. Ils agrègent, combinent et échangent des quantités astronomiques d’informations sur des populations entières, collectées depuis des sources en ligne et hors-ligne. Les courtiers en données collectent de l’information disponible publiquement et achètent le droit d’utiliser les données clients d’autres entreprises. Leurs données proviennent en général de sources qui ne sont pas les individus eux-mêmes, et sont collectées en grande partie sans que le consommateur soit au courant. Ils analysent les données, en font des déductions, construisent des catégories de personnes et fournissent à leurs clients des informations sur des milliers de caractéristiques par individu.
Dans les profils individuels créés par les courtiers en données, on trouve non seulement des informations à propos de l’éducation, de l’emploi, des enfants, de la religion, de l’origine ethnique, de la position politique, des loisirs, des centres d’intérêts et de l’usage des médias, mais aussi à propos du comportement en ligne, par exemple les recherches sur Internet. Sont également collectées les données sur les achats, l’usage de carte bancaire, le revenu et l’endettement, la gestion bancaire et les polices d’assurance, la propriété immobilière et automobile, et tout un tas d’autres types d’information. Les courtiers en données calculent et attribuent aussi des notes aux individus afin de prédire leur comportement futur, par exemple en termes de stabilité économique, de projet de grossesse ou de changement d’emploi.
Quelques exemples de données clients fournies par Acxiom et Oracle
Acxiom, un important courtier en données
Fondée en 1969, Acxiom gère l’une des plus grandes bases de données client commerciales au monde. Disposant de milliers de sources, l’entreprise fournit jusqu’à 3000 types de données sur 700 millions de personnes réparties dans de nombreux pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Née sous la forme d’une entreprise de marketing direct, Acxiom a développé ses bases de données client centralisées à la fin des années 1990.
À l’aide de son système Abilitek Link, l’entreprise tient à jour une sorte de registre de la population dans lequel chaque personne, chaque foyer et chaque bâtiment reçoit un identifiant unique. En permanence, l’entreprise met à jour ses bases de données sur la base d’informations concernant les naissances et les décès, les mariages et les divorces, les changements de nom ou d’adresse et aussi bien sûr de nombreuses autres données de profil. Quand on lui demande des renseignements sur une personne, Acxiom peut par exemple donner une appartenance religieuse parmi l’une des 13 retenues comme « catholique », « juif », ou « musulman » et une appartenance ethnique sur quasiment 200 possibles.
Acxiom commercialise l’accès aux profils détaillés des consommateurs et aide ses clients à trouver, cibler, identifier, analyser, trier, noter et classer les gens. L’entreprise gère aussi directement pour ses propres clients 15 000 bases de données clients représentant des milliards de profils consommateurs. Les clients d’Acxiom sont des grandes banques, des assureurs, des services de santé et des organismes gouvernementaux. En plus de son activité de commercialisation de données, Acxiom fournit également des services de vérification d’identité, de gestion du risque et de détection de fraude.
Acxiom et ses fournisseurs de données, ses partenaires et ses services
Depuis l’acquisition en 2014 de la société de données en ligne LiveRamp, Acxiom a déployé d’importants efforts pour connecter son dépôt de données – couvrant une dizaine d’années – au monde numérique. Par exemple, Acxiom était parmi les premiers courtiers en données à fournir de l’information additionnelle à Facebook, Google et Twitter afin d’aider ces plateformes à mieux pister ou catégoriser les utilisateurs en fonction de leurs achats mais aussi en fonction d’autres comportements qu’ils ne savaient pas encore eux-mêmes pister.
LiveRamp de Acxiom connecte et combine les profils numériques issus de centaines d’entreprises de données et de publicité. Au centre se trouve son système IdentityLink, qui aide à reconnaître les individus et à relier les informations les concernant, dans les bases de données, les plateformes et les appareils en se basant sur leur adresse de courriel, leur numéro de téléphone, l’identifiant de leur téléphone, ou d’autres identifiants. Bien que l’entreprise assure que les correspondances et les associations se fassent de manière « anonyme » et « dé-identifiée », elle dit aussi pouvoir « connecter des données hors-ligne et en ligne sur un seul identifiant ».
Parmi les entreprises qui ont récemment été reconnues comme étant des fournisseurs de données par LiveRamp, on trouve les géants de l’analyse de solvabilité Equifax, Experian et TransUnion. De plus, de nombreux services de pistage numérique collectant des données par Internet, par les applications mobiles, et même par des capteurs placés dans le monde réel, fournissent des données à LiveRamp. Certains d’entre eux utilisent les base de données de LiveRamp, qui permettent aux entreprises « d’acheter et de vendre des données client précieuses ». D’autres fournissent des données afin que Acxiom et LiveRamp puissent reconnaître des individus et relier les informations enregistrées avec les profils numériques d’autres provenances. Mais le plus préoccupant, c’est sans doute le partenariat entre Acxiom et Crossix, une entreprise avec des données détaillées sur la santé de 250 millions de consommateurs américains. Crossix figure parmi les fournisseurs de données de LiveRamp.
Quiconque enregistrant des données sur les consommateurs peut potentiellement être un fournisseur de données. »
Travis May, Directeur général de Acxiom-LiveRamp
Oracle, un géant des technologies de l’information pénètre le marché des données client
En faisant l’acquisition de plusieurs entreprises de données telles que Datalogix, BlueKai, AddThis et CrossWise, Oracle, un des premiers fournisseurs de logiciels d’entreprises et de bases de données dans le monde, est également récemment devenu un des premiers courtiers en données clients. Dans son « cloud », Oracle rassemble 3 milliards de profils utilisateurs issus de 15 millions de sites différents, les données d’un milliard d’utilisateurs mobiles, des milliards d’historiques d’achats dans des chaînes de supermarchés et 1500 détaillants, ainsi que 700 millions de messages par jour issus des réseaux sociaux, des blogs et des sites d’avis de consommateurs.
Oracle rassemble des données sur des milliards de consommateurs
Oracle catalogue près de 100 fournisseurs de données dans son répertoire de données, parmi lesquels figurent Acxiom et des agences d’analyse de solvabilité telles que Experian et TransUnion, ainsi que des entreprises qui tracent les visites de sites Internet, l’utilisation d’applications mobiles et les déplacements, ou qui collectent des données à partir de questionnaires en ligne. Visa et MasterCard sont également référencés comme fournisseurs de données. En coopération avec ses partenaires, Oracle fournit plus de 30 000 catégories de données différentes qui peuvent être attribuées aux consommateurs. Réciproquement, l’entreprise partage des données avec Facebook et aide Twitter à calculer la solvabilité de ses utilisateurs.
Le Graphe d’Identifiants Oracle détermine et combine des profils utilisateur provenant de différentes entreprises. Il est le « trait d’union entre les interactions » à travers les différentes bases de données, services et appareils afin de « créer un profil client adressable » et « d’identifier partout les clients et les prospects ». D’autres entreprises peuvent envoyer à Oracle, des clés de correspondance construites à partir d’adresses courriel, de numéros de téléphone, d’adresse postale ou d’autres identifiants, Oracle les synchronisera ensuite à son « réseau d’identifiants utilisateurs et statistiques, connectés ensemble dans le Graphe d’Identifiants Oracle ». Bien que l’entreprise promette de n’utiliser que des identifiants utilisateurs anonymisés et des profils d’utilisateurs anonymisés, ceux-ci font tout de même référence à certains individus et peuvent être utilisés pour les reconnaître et les cibler dans de nombreux contextes de la vie.
Le plus souvent, les clients d’Oracle peuvent télécharger dans le « cloud » d’Oracle leurs propres données concernant : leurs clients, les visites sur leur site ou les utilisateurs d’une application ; ils peuvent les combiner avec des données issues de nombreuses autres entreprises, puis les transférer et les utiliser en temps réel sur des centaines d’autres plateformes de commerce et de publicité. Ils peuvent par exemple les utiliser pour trouver et cibler des personnes sur tous les appareils et plateformes, personnaliser leurs interactions, et le cas échéant mesurer la réaction des clients qui ont été personnellement ciblés.
La surveillance en temps réel des comportements quotidiens
Les plateformes en ligne, les fournisseurs de technologies publicitaires, les courtiers en données, et les négociants de toutes sortes d’industries peuvent maintenant surveiller, reconnaître et analyser des individus dans de nombreuses situations. Ils peuvent étudier ce qui intéresse les gens, ce qu’ils ont fait aujourd’hui, ce qu’ils vont sûrement faire demain, et leur valeur en tant que client.
Les données concernant les vies en ligne et hors ligne des personnes
Une large spectre d’entreprises collecte des informations sur les personnes depuis des décennies. Avant l’existence d’Internet, les agences de crédit et les agences de marketing direct servaient de point d’intégration principal entre les données provenant de différentes sources. Une première étape importante dans la surveillance systématique des consommateurs s’est produite dans les années 1990, par la commercialisation de bases de données, les programmes de fidélité et l’analyse poussée de solvabilité. Après l’essor d’Internet et de la publicité en ligne au début des années 2000, et la montée des réseaux sociaux, des smartphones et de la publicité en ligne à la fin des années 2000, on voit maintenant dans les années 2010 l’industrie des données clients s’intégrer avec le nouvel écosystème de pistage et de profilage numérique.
Cartographie de la collecte de données clients
De longue date, les courtiers en données clients et d’autres entreprises acquièrent des informations sur les abonnés à des journaux et à des magazines, sur les membres de clubs de lecture et de ciné-clubs, sur les acheteurs de catalogues de vente par correspondance, sur les personnes réservant dans les agences de voyage, sur les participants à des séminaires et à des conférences, et sur les consommateurs qui remplissent les cartes de garantie pour leurs achats. La collecte de données d’achats grâce à des programmes de fidélité est, de ce point de vue, une pratique établie depuis longtemps.
En complément des données provenant directement des individus, sont utilisées, par exemple les informations concernant le type quartiers et d’immeubles où résident les personnes afin de décrire, étiqueter, trier et catégoriser ces personnes. De même, les entreprises utilisent maintenant des profils de consommateurs s’appuyant sur les métadonnées concernant le type de sites Internet fréquentés, les vidéos regardées, les applications utilisées et les zones géographiques visitées. Au cours de ces dernières années, l’échelle et le niveau de détail des flux de données comportementales générées par toutes sortes d’activités du quotidien, telles que l’utilisation d’Internet, des réseaux sociaux et des équipements, ont rapidement augmenté.
Ce n’est pas un téléphone, c’est mon mouchard /pisteur/. New York Times, 2012
Un pistage et un profilage omniprésents
Une des principales raisons pour lesquelles le pistage et le profilage commerciaux sont devenus si généralisés c’est que quasiment tous les sites Internet, les fournisseurs d’applications mobiles, ainsi que de nombreux vendeurs d’équipements, partagent activement des données comportementales avec d’autres entreprises.
Il y a quelques années, la plupart des sites Internet ont commencé à inclure dans leur propre site des services de pistage qui transmettent des données à des tiers. Certains de ces services fournissent des fonctions visibles aux utilisateurs. Par exemple, lorsqu’un site Internet montre un bouton Facebook « j’aime » ou une vidéo YouTube encapsulée, des données utilisateur sont transmises à Facebook ou à Google. En revanche, de nombreux autres services ayant trait à la publicité en ligne demeurent cachés et, pour la plupart, ont pour seul objectif de collecter des données utilisateur. Le type précis de données utilisateur partagées par les éditeurs numériques et la façon dont les tierces parties utilisent ces données reste largement méconnus. Une partie de ces activités de pistage peut être analysée par n’importe qui ; par exemple en installant l’extension pour navigateur Lightbeam, il est possible de visualiser le réseau invisible des trackers des parties tierces.
Une étude récente a examiné un million de sites Internet différents et a trouvé plus de 80 000 services tiers recevant des données concernant les visiteurs de ces sites. Environ 120 de ces services de pistage ont été trouvés sur plus de 10 000 sites, et six entreprises surveillent les utilisateurs sur plus de 100 000 sites, dont Google, Facebook, Twitter et BlueKai d’Oracle. Une étude sur 200 000 utilisateurs allemands visitant 21 millions de pages Internet a montré que les trackers tiers étaient présents sur 95 % des pages visitées. De même, la plupart des applications mobiles partagent des informations sur leurs utilisateurs avec d’autres entreprises. Une étude menée en 2015 sur les applications à la mode en Australie, en Allemagne et aux États-Unis a trouvé qu’entre 85 et 95 % des applications gratuites, et même 60 % des applications payantes se connectaient à des tierces parties recueillant des données personnelles.
Une carte interactive des services cachés de pistage tiers sur les applications Android créée par des chercheurs européens et américains peut être explorée à l’adresse suivante : haystack.mobi/panopticon
En matière d’appareils, ce sont peut-être les smartphones qui actuellement contribuent le plus au recueil omniprésent données. L’information enregistrée par les téléphones portables fournit un aperçu détaillé de la personnalité et de la vie quotidienne d’un utilisateur. Puisque les consommateurs ont en général besoin d’un compte Google, Apple ou Microsoft pour les utiliser, une grande partie de l’information est déjà reliée à l’identifiant d’une des principales plateformes.
La vente de données utilisateurs ne se limite pas aux éditeurs de sites Internet et d’applications mobiles. Par exemple, l’entreprise d’intelligence commerciale SimilarWeb reçoit des données issues non seulement de centaines de milliers de sources de mesures directes depuis les sites et les applications, mais aussi des logiciels de bureau et des extensions de navigateur. Au cours des dernières années, de nombreux autres appareils avec des capteurs et des connexions réseau ont intégré la vie de tous les jours, cela va des liseuses électroniques et autres accessoires connectés aux télés intelligentes, compteurs, thermostats, détecteurs de fumée, imprimantes, réfrigérateurs, brosses à dents, jouets et voitures. À l’instar des smartphones, ces appareils donnent aux entreprises un accès sans précédent au comportement des consommateurs dans divers contextes de leur vie.
Publicité programmatique et technologie marketing
La plus grande partie de la publicité numérique prend aujourd’hui la forme d’enchères en temps réel hautement automatisées entre les éditeurs et les publicitaires ; on appelle cela la publicité programmatique. Lorsqu’une personne se rend sur un site Internet, les données utilisateur sont envoyées à une kyrielle de services tiers, qui cherchent ensuite à reconnaître la personne et extraire l’information disponible sur le profil. Les publicitaires souhaitant livrer une publicité à cet individu, en particulier du fait de certains attributs ou comportements, placent une enchère. En quelques millisecondes, le publicitaire le plus offrant gagne et place la pub. Les publicitaires peuvent de la même façon enchérir sur les profils utilisateurs et le placement de publicités au sein des applications mobiles.
Néanmoins, ce processus ne se déroule pas, la plupart du temps, entre les éditeurs et les publicitaires. L’écosystème est constitué d’une pléthore de toutes sortes de données différentes et de fournisseurs de technologies en interaction les uns avec les autres, parmi lesquels des réseaux publicitaires, des marchés publicitaires, des plateformes côté vente et des plateformes côté achat. Certains se spécialisent dans le pistage et la publicité suivant les résultats de recherche, dans la publicité généraliste sur Internet, dans la pub sur mobile, dans les pubs vidéos, dans les pubs sur les réseaux sociaux, ou dans les pubs au sein des jeux. D’autres se concentrent sur l’approvisionnement en données, en analyse ou en services de personnalisation.
Pour tracer le portrait des utilisateurs d’Internet et d’applications mobiles, toutes les parties impliquées ont développé des méthodes sophistiquées pour accumuler, regrouper et relier les informations provenant de différentes entreprises afin de suivre les individus dans tous les aspects de leur vie. Nombre d’entre elles recueillent et utilisent des profils numériques sur des centaines de millions de consommateurs, leurs navigateurs Internet et leurs appareils.
De nombreux secteurs rejoignent l’économie de pistage
Au cours de ces dernières années, des entreprises dans plusieurs secteurs ont commencé à partager et à utiliser à très grande échelle des données concernant leurs utilisateurs et clients.
La plupart des détaillants vendent des formes agrégées de données sur les habitudes d’achat auprès des entreprises d’études de marchés et des courtiers en données. Par exemple, l’entreprise de données IRI accède aux données de plus de 85 000 magasins (‘alimentation, grande distribution, médicaments, d’alcool et d’animaux de compagnie, magasin à prix unique et magasin de proximité). Nielsen déclare recueillir les informations concernant les ventes de 900 000 magasins dans le monde dans plus de 100 pays. L’enseigne de grande distribution britannique Tesco sous-traite son programme de fidélité et ses activités en matière de données auprès d’une filiale, Dunnhumby, dont le slogan est « transformer les données consommateur en régal pour le consommateur ». Lorsque Dunnhumby a fait l’acquisition de l’entreprise technologique de publicité allemande Sociomantic, il a été annoncé que Dunnhumby « conjuguerait ses connaissances étendues au sujet sur les préférences d’achat de 400 millions de consommateurs » avec les « données en temps réel de plus de 700 millions de consommateurs en ligne » de Sociomantic afin personnaliser et d’évaluer les publicités.
Cartographie de l’écosystème du pistage et du profilage commercial
De grands groupes médiatiques sont aussi fortement intégrés dans l’écosystème de pistage et de profilage numérique actuel. Par exemple, Time Inc. a fait l’acquisition d’Adelphic, une importante société de pistage et de technologies publicitaires multi-support, mais aussi de Viant, une entreprise qui déclare avoir accès à plus de 1,2 milliard d’utilisateurs enregistrés. La plateforme de streaming Spotify est un exemple célèbre d’éditeur numérique qui vend les données de ses utilisateurs. Depuis 2016, la société partage avec le département données du géant du marketing WPP des informations à propos de ce que les utilisateurs écoutent, sur leur humeur ainsi que sur leur comportement et leur activité en termes de playlist. WPP a maintenant accès « aux préférences et comportements musicaux des 100 millions d’utilisateurs de Spotify ».
De nombreuses grandes entreprises de télécom et de fournisseurs d’accès Internet ont fait l’acquisition d’entreprises de technologies publicitaires et de données. Par exemple, Millennial Media, une filiale d’AOL-Verizon, est une plateforme de publicité mobile qui collecte les données de plus de 65 000 applications de différents développeurs, et prétend avoir accès à environ 1 milliard d’utilisateurs actifs distincts dans le monde. Singtel, l’entreprise de télécoms basée à Singapour, a acheté Turn, une plateforme de technologies publicitaires qui donne accès aux distributeurs à 4,3 milliards d’appareils pouvant être ciblés et d’identifiants de navigateurs et à 90 000 attributs démographiques, comportementaux et psychologiques.
Comme les compagnies aériennes, les hôtels, les commerces de détail et les entreprises de beaucoup d’autres secteur, le secteur des services financiers a commencé à agréger et utiliser des données clients supplémentaires grâce à des programmes de fidélité dans les années 80 et 90. Les entreprises dont la clientèle cible est proche et complémentaires partagent depuis longtemps certaines de leurs données clients entre elles, un processus souvent géré par des intermédiaires. Aujourd’hui, l’un de ces intermédiaires est Cardlytics, une entreprise qui gère des programmes de fidélité pour plus de 1 500 institutions financières, telles que Bank of America et MasterCard. Cardlytics s’engage auprès des institutions financières à « générer des nouvelles sources de revenus en exploitant le pouvoir de [leurs] historiques d’achat ». L’entreprise travaille aussi en partenariat avec LiveRamp, la filiale d’Acxiom qui combine les données en ligne et hors ligne des consommateurs.
Pour MasterCard, la vente de produits et de services issus de l’analyse de données pourrait même devenir son cœur de métier, sachant que la production d’informations, dont la vente de données, représentent une part considérable et croissante de ses revenus. Google a récemment déclaré qu’il capture environ 70 % des transactions par carte de crédit aux États-Unis via « partenariats tiers » afin de tracer les achats, mais n’a pas révélé ses sources.
Ce sont vos données. Vous avez le droit de les contrôler, de les partager et de les utiliser comme bon vous semble.
C’est ainsi que le courtier en données Lotame s’adresse sur son site Internet à ses entreprises clientes en 2016.
Relier, faire correspondre et combiner des profils numériques
Jusqu’à récemment, les publicitaires, sur Facebook, Google ou d’autres réseaux de publicité en ligne, ne pouvaient cibler les individus qu’en analysant leur comportement en ligne. Mais depuis quelques années, grâce aux moyens offerts par les entreprises de données, les profils numériques issus de différentes plateformes, de différentes bases de données clients et du monde de la publicité en ligne peuvent désormais être associés et combinés entre eux.
Connecter les identités en ligne et hors ligne
Cela a commencé en 2012, quand Facebook a permis aux entreprises de télécharger leurs propres listes d’adresses de courriel et de numéros de téléphone sur la plateforme. Bien que les adresses et numéros de téléphone soient convertis en pseudonyme, Facebook est en mesure de relier directement ces données client provenant d’entreprises tierces avec ses propres comptes utilisateur. Cela permet par exemple aux entreprises de trouver et de cibler très précisément sur Facebook les personnes dont elles possèdent les adresses de courriel ou les numéros de téléphone. De la même façon, il leur est éventuellement possible d’exclure certaines personnes du ciblage de façon sélective, ou de déléguer à la plateforme le repérage des personnes qui ont des caractéristiques, centre d’intérêts, et comportements communs.
C’est une fonctionnalité puissante, peut-être plus qu’il n’y paraît au premier abord. Elle permet en effet aux entreprises d’associer systématiquement leurs données client avec les données Facebook. Mieux encore, d’autres publicitaires et marchands de données peuvent également synchroniser leurs bases avec celles de la plateforme et en exploiter les ressources, ce qui équivaut à fournir une sorte de télécommande en temps réel pour manipuler l’univers des données Facebook. Les entreprises peuvent maintenant capturer en temps réel des données comportementales extrêmement précises comme un clic de souris sur un site, le glissement d’un doigt sur une application mobile ou un achat en magasin, et demander à Facebook de trouver et de cibler aussitôt les personnes qui viennent de se livrer à ces activités. Google et Twitter ont mis en place des fonctionnalités similaires en 2015.
Les plateformes de gestion de données
De nos jours, la plupart des entreprises de technologie publicitaire croisent en continu plusieurs sources de codage relatives aux individus. Les plateformes de gestion de données permettent aux entreprises de tous les domaines d’associer et de relier leurs propres données clients, comprenant des informations en temps réel sur les achats, les sites web consultés, les applications utilisées et les réponses aux courriels, avec des profils numériques fournis par une multitude de fournisseurs tiers de données. Les données associées peuvent alors être analysées, triées et classées, puis utilisées pour envoyer un message donné à des personnes précises via des réseaux ou des appareils particuliers. Une entreprise peut, par exemple, cibler un groupe de clients existants ayant visité une page particulière sur son site ; ils sont alors perçus comme pouvant devenir de bons clients, bénéficiant alors de contenus personnalisés ou d’une réduction, que ce soit sur Facebook, sur une appli mobile ou sur le site même de l’entreprise.
L’émergence des plateformes de gestion de données marque un tournant dans le développement d’un envahissant pistage des comportements d’achat. Avec leur aide, les entreprises dans tous les domaines et partout dans le monde peuvent très facilement associer et relier les données qu’elles ont collectées depuis des années sur leurs clients et leurs prospects avec les milliards de profils collectés dans le monde numérique. Les principales entreprises faisant tourner ces plateformes sont : Oracle, Adobe, Salesforce (Krux), Wunderman (KBM Group/Zipline), Neustar, Lotame et Cxense.
Nous vous afficherons des publicités basées sur votre identité, mais cela ne veut pas dire que vous serez identifiable.
Erin Egan, Directeur de la protection de la vie privée chez Facebook, 2012
Identifier les gens et relier les profils numériques
Pour surveiller et suivre les gens dans les différentes situations de leur vie, pour leur associer des profils et toujours les reconnaître comme un seul et même individu, les entreprises amassent une grande variété de types de données qui, en quelque sorte, les identifient.
Parce qu’il est ambigu, le nom d’une personne a toujours été un mauvais identifiant pour un recueil de données. L’adresse postale, par contre, a longtemps été et est encore, une indication clé qui permet d’associer et de relier des données de différentes origines sur les consommateurs et leur famille. Dans le monde numérique, les identifiants les plus pertinents pour relier les profils et les comportements sur les différentes bases de données, plateformes et appareils sont : l’adresse de courriel, le numéro de téléphone, et le code propre à chaque smartphone ou autre appareil.
Les identifiants de compte utilisateur sur les immenses plateformes comme Google, Facebook, Apple et Microsoft jouent aussi un rôle important dans le suivi des gens sur Internet. Google, Apple, Microsoft et Roku attribuent un « identifiant publicitaire » aux individus, qui est maintenant largement utilisé pour faire correspondre et relier les données d’appareils tels que les smartphones avec les autres informations issues du monde numérique. Verizon utilise son propre identifiant pour pister les utilisateurs sur les sites web et les appareils. Certaines grandes entreprises de données comme Acxiom, Experian et Oracle disposent, au niveau mondial, d’un identifiant unique par personne qu’elles utilisent pour relier des dizaines d’années de données clients avec le monde numérique. Ces identifiants d’entreprise sont constitués le plus souvent de deux identifiants ou plus qui sont attachés à différents aspects de la vie en ligne et hors ligne d’une personne et qui peuvent être d’une certaine façon reliés l’un à l’autre.
Des Identifiants utilisés pour pister les gens sur les sites web, les appareils et les lieux de vie
Les entreprises de pistage utilisent également des identifiants plus ou moins temporaires, comme les cookies qui sont attachés aux utilisateurs surfant sur le web. Depuis que les utilisateurs peuvent ne pas autoriser ou supprimer les cookies dans leur navigateur, elles ont développé des méthodes sophistiquées permettant de calculer une empreinte numérique unique basée sur diverses caractéristiques du navigateur et de l’ordinateur d’une personne. De la même manière, les entreprises amassent les empreintes sur les appareils tels que les smartphones. Les cookies et les empreintes numériques sont continuellement synchronisés entre les différents services de pistage et ensuite reliés à des identifiants plus permanents.
D’autres entreprises fournissent des services de pistage multi-appareils qui utilisent le machine learning (voir Wikipédia) pour analyser de grandes quantités de données. Par exemple, Tapad, qui a été acheté par le géant des télécoms norvégiens Telenor, analyse les données de deux milliards d’appareils dans le monde et utilise des modèles basés sur les comportements et les relations pour trouver la probabilité qu’un ordinateur, une tablette, un téléphone ou un autre appareil appartienne à la même personne.
Un profilage « anonyme » ?
Les entreprises de données suppriment les noms dans leurs profils détaillés et utilisent des fonctions de hachage (voir Wikipedia) pour convertir les adresses de courriel et les numéros de téléphone en code alphanumérique comme “e907c95ef289”. Cela leur permet de déclarer sur leur site web et dans leur politique de confidentialité qu’elles recueillent, partagent et utilisent uniquement des données clients « anonymisées » ou « dé-identifiées ».
Néanmoins, comme la plupart des entreprises utilisent les mêmes process déterministes pour calculer ces codes alphanumériques, on devrait les considérer comme des pseudonymes qui sont en fait bien plus pratiques que les noms réels pour identifier les clients dans le monde numérique. Même si une entreprise partage des profils contenant uniquement des adresses de courriels ou des numéros de téléphones chiffrés, une personne peut toujours être reconnue dès qu’elle utilise un autre service lié avec la même adresse de courriel ou le même numéro de téléphone. De cette façon, bien que chaque service de pistage impliqué ne connaissent qu’une partie des informations du profil d’une personne, les entreprises peuvent suivre et interagir avec les gens au niveau individuel via les services, les plateformes et les appareils.
Si une entreprise peut vous suivre et interagir avec vous dans le monde numérique – et cela inclut potentiellement votre téléphone mobile ou votre télé – alors son affirmation que vous êtes anonyme n’a aucun sens, en particulier quand des entreprises ajoutent de temps à autre des informations hors-ligne aux données en ligne et masquent simplement le nom et l’adresse pour rendre le tout « anonyme ».
Joseph Turow, spécialiste du marketing et de la vie privée dans son livre « The Daily You », 2011
Gérer les clients et les comportements : personnalisation et évaluation
S’appuyant sur les méthodes sophistiquées d’interconnexion et de combinaison de données entre différents services, les entreprises de tous les secteurs d’activité peuvent utiliser les flux de données comportementales actuellement omniprésents afin de surveiller et d’analyser une large gamme d’activités et de comportements de consommateurs pouvant être pertinents vis-à-vis de leurs intérêts commerciaux.
Avec l’aide des vendeurs de données, les entreprises tentent d’entrer en contact avec les clients tout au long de leurs parcours autant de fois que possible, à travers les achats en ligne ou en boutique, le publipostage, les pubs télé et les appels des centres d’appels. Elles tentent d’enregistrer et de mesurer chaque interaction avec un consommateur, y compris sur les sites Internet, plateformes et appareils qu’ils ne contrôlent pas eux-mêmes. Elles peuvent recueillir en continu une abondance de données concernant leurs clients et d’autres personnes, les améliorer avec des informations provenant de tiers, et utiliser les profils améliorés au sein de l’écosystème de commercialisation et de technologie publicitaire. À l’heure actuelle, les plateformes de gestion des données clients permettent la définition de jeux complexes de règles qui régissent la façon de réagir automatiquement à certains critères tels que des activités ou des personnes données ou une combinaison des deux.
Par conséquent, les individus ne savent jamais si leur comportement a déclenché une réaction de l’un de ces réseaux de pistage et de profilage constamment mis à jour, interconnectés et opaques, ni, le cas échéant, comment cela influence les options qui leur sont proposées à travers les canaux de communication et dans les situations de vie.
Tracer, profiler et influencer les individus en temps réel
Personnalisation en série
Les flux de données échangés entre les publicitaires en ligne, les courtiers en données, et les autres entreprises ne sont pas seulement utilisés pour diffuser de la publicité ciblée sur les sites web ou les applis mobiles. Ils sont de plus en plus utilisés pour personnaliser les contenus, les options et les choix offerts aux consommateurs sur le site d’une entreprise par exemple. Les entreprises de technologie des données, comme par exemple Optimizely, peuvent aider à personnaliser un site web spécialement pour les personnes qui le visitent pour la première fois, en s’appuyant sur les profils numériques de ces visiteurs fournis par Oracle.
Les boutiques en ligne, par exemple, personnalisent l’accueil des visiteurs : quels produits seront mis en évidence, quelles promotions seront proposées, et même le prix et des produits ou des services peuvent être différents selon la personne qui visite le site. Les services de détection de la fraude évaluent les utilisateurs en temps réel et décident quels moyens de paiement et de transport peuvent être proposés.
Les entreprises développent des technologies pour calculer et évaluer en continu le potentiel de valeur à long terme d’un client en s’appuyant sur son historique de navigation, de recherche et de localisation, mais aussi sur son usage des applis, sur les produits achetés et sur ses amis sur les réseaux sociaux. Chaque clic, chaque glissement de doigt, chaque Like, chaque partage est susceptible d’influencer la manière dont une personne est traitée en tant que client, combien de temps elle va attendre avant que la hotline ne lui réponde, ou si elle sera complètement exclue des relances et des services marketing.
L’Internet des riches n’est pas le même que celui des pauvres.
Michael Fertik, fondateur de reputation.com, 2013
Trois types de plateformes technologiques jouent un rôle important dans cette sorte de personnalisation instantanée. Premièrement, les entreprises utilisent des systèmes de gestion de la relation client pour gérer leurs données sur les clients et les prospects. Deuxièmement, elles utilisent des plateformes de gestion de données pour connecter leurs propres données à l’écosystème de publicité numérique et obtiennent ainsi des informations supplémentaires sur le profil de leurs clients. Troisièmement, elles peuvent utiliser des plateformes de marketing prédictif qui les aident à produire le bon message pour la bonne personne au bon moment, calculant comment convaincre quelqu’un en exploitant ses faiblesses et ses préjugés.
Par exemple, l’entreprise de données RocketFuel promet à ses clients de « leur apporter des milliers de milliards de signaux numériques ou non pour créer des profils individuels et pour fournir aux consommateurs une expérience personnalisée, toujours actualisée et toujours pertinente » s’appuyant sur les 2,7 milliards de profils uniques de son dépôt de données. Selon RocketFuel, il s’agit « de noter chaque signal selon sa propension à influencer le consommateur ».
La plateforme de marketing prédictif TellApart, qui appartient à Twitter, associe une valeur à chaque couple client/produit acheté, une « synthèse entre la probabilité d’achat, l’importance de la commande et la valeur à long terme », s’appuyant sur « des centaines de signaux en ligne et en magasin sur un consommateur anonyme unique ». En conséquence, TellApart regroupe automatiquement du contenu tel que « l’image du produit, les logos, les offres et toute autre métadonnée » pour construire des publicités, des courriels, des sites web et des offres personnalisées.
Tarifs personnalisés et campagnes électorales
Des méthodes identiques peuvent être utilisées pour personnaliser les tarifs dans les boutiques en ligne, par exemple, en prédisant le niveau d’achat d’un client à long terme ou le montant qu’il sera probablement prêt à payer un peu plus tard. Des preuves sérieuses suggèrent que les boutiques en ligne affichent déjà des tarifs différents selon les consommateurs, ou même des prix différents pour le même produit, en s’appuyant sur leur comportement et leurs caractéristiques. Un champ d’action similaire est la personnalisation lors des campagnes électorales. Le ciblage des électeurs avec des messages personnalisés, adaptés à leur personnalité, et à leurs opinions politiques sur des problèmes donnés a fait monter les débats sur une possible manipulation politique.
Utiliser les données, les analyser et les personnaliser pour gérer les consommateurs
Tests et expériences sur les personnes
La personnalisation s’appuyant sur de riches informations de profil et sur du suivi invasif en temps réel est devenue un outil puissant pour influencer le comportement du consommateur quand il visite une page web, clique sur une pub, s’inscrit à un service, s’abonne à une newsletter, télécharge une application ou achète un produit.
Pour améliorer encore cela, les entreprises ont commencé à faire des expériences en continu sur les individus. Elles procèdent à des tests en faisant varier les fonctionnalités, le design des sites web, l’interface utilisateur, les titres, les boutons, les images ou mêmes les tarifs et les remises, surveillent et mesurent avec soin comment les différents groupes d’utilisateurs interagissent avec ces modifications. De cette façon, les entreprises optimisent sans arrêt leur capacité à encourager les personnes à agir comme elles veulent qu’elles agissent.
Les organes de presse, y compris à grand tirage comme le Washington Post, utilisent différentes versions des titres de leurs articles pour voir laquelle est la plus performante. Optimizely, un des principaux fournisseurs de technologies pour ce genre de tests, propose à ses clients la capacité de « faire des tests sur l’ensemble de l’expérience client sur n’importe quel canal, n’importe quel appareil, et n’importe quelle application ». Expérimenter sur des usagers qui l’ignorent est devenu la nouvelle norme.
En 2014, Facebook a déclaré faire tourner « plus d’un millier d’expérimentations chaque jour » afin « d’optimiser des résultats précis » ou pour « affiner des décisions de design sur le long terme ». En 2010 et 2012, la plateforme a mené des expérimentations sur des millions d’utilisateurs et montré qu’en manipulant l’interface utilisateur, les fonctionnalités et le contenu affiché, Facebook pouvait augmenter significativement le taux de participation électorale d’un groupe de personnes. Leur célèbre expérimentation sur l’humeur des internautes, portant sur 700 000 individus, consistait à manipuler secrètement la quantité de messages émotionnellement positifs ou négatifs présents dans les fils d’actualité des utilisateurs : il s’avéra que cela avait un impact sur le nombre de messages positifs ou négatifs que les utilisateurs postaient ensuite eux-mêmes.
Suite à la critique massive de Facebook par le public concernant cette expérience, la plateforme de rendez-vous OkCupid a publié un article de blog provocateur défendant de telles pratiques, déclarant que « nous faisons des expériences sur les êtres humains » et « c’est ce que font tous les autres ». OkCupid a décrit une expérimentation dans laquelle a été manipulé le pourcentage de « compatibilité » montré à des paires d’utilisateurs. Quand on affichait un taux de 90 % entre deux utilisateurs qui en fait étaient peu compatibles, les utilisateurs échangeaient nettement plus de messages entre eux. OkCupid a déclaré que quand elle « dit aux gens » qu’ils « vont bien ensemble », alors ils « agissent comme si c’était le cas ».
Toutes ces expériences qui posent de vraies questions éthiques montrent le pouvoir de la personnalisation basée sur les données pour influer sur les comportements.
Dans les mailles du filet : vie quotidienne, données commerciales et analyse du risque
Les données concernant les comportements des personnes, les liens sociaux, et les moments les plus intimes sont de plus en plus utilisées dans des contextes ou à des fins complètement différents de ceux dans lesquels elles ont été enregistrées. Notamment, elles sont de plus en plus utilisées pour prendre des décisions automatisées au sujet d’individus dans des domaines clés de la vie tels que la finance, l’assurance et les soins médicaux.
Données relatives aux risques pour le marketing et la gestion client
Les agences d’évaluation de la solvabilité, ainsi que d’autres acteurs clés de l’évaluation du risque, principalement dans des domaines tels que la vérification des identités, la prévention des fraudes, les soins médicaux et l’assurance fournissent également des solutions commerciales. De plus, la plupart des courtiers en données s’échangent divers types d’informations sensibles, par exemple des informations concernant la situation financière d’un individu, et ce à des fins commerciales. L’utilisation de l’évaluation de solvabilité à des fins de marketing afin soit de cibler soit d’exclure des ensembles vulnérables de la population a évolué pour devenir des produits qui associent le marketing et la gestion du risque.
L’agence d’évaluation de la solvabilité TransUnion fournit, par exemple, un produit d’aide à la décision piloté par les données à destination des commerces de détail et des services financiers qui leur permet « de mettre en œuvre des stratégies de marketing et de gestion du risque sur mesure pour atteindre les objectifs en termes de clients, canaux de vente et résultats commerciaux », il inclut des données de crédit et promet « un aperçu inédit du comportement, des préférences et des risques du consommateur. » Les entreprises peuvent alors laisser leurs clients « choisir parmi une gamme complète d’offres sur mesure, répondant à leurs besoins, leurs préférences et leurs profils de risque » et « évaluer leurs clients sur divers produits et canaux de vente et leur présenter uniquement la ou les offres les plus pertinente pour eux et les plus rentables » pour l’entreprise. De même, Experian fournit un produit qui associe « crédit à la consommation et informations commerciales, fourni avec plaisir par Experian. »
En matière de surveillance, il n’est pas question de connaître vos secrets, mais de gérer des populations, de gérer des personnes.
Katarzyna Szymielewicz, Vice-Présidente EDRi, 2015
Vérification des identités en ligne et détection de la fraude
Outre la machine de surveillance en temps réel qui a été développée au travers de la publicité en ligne, d’autres formes de pistage et de profilage généralisées ont émergé dans les domaines de l’analyse de risque, de la détection de fraudes et de la cybersécurité.
De nos jours, les services de détection de fraude en ligne utilisent des technologies hautement intrusives afin d’évaluer des milliards de transactions numériques. Ils recueillent d’énormes quantités d’informations concernant les appareils, les individus et les comportements. Les fournisseurs habituels dans l’évaluation de solvabilité, la vérification d’identité, et la prévention des fraudes ont commencé à surveiller et à évaluer la façon dont les personnes surfent sur le web et utilisent leurs appareils mobiles. En outre, ils ont entrepris de relier les données comportementales en ligne avec l’énorme quantité d’information hors-connexion qu’ils recueillent depuis des dizaines d’années.
Avec l’émergence de services passant par l’intermédiaire d’objets technologiques, la vérification de l’identité des consommateurs et la prévention de la fraude sont devenues de plus en plus importantes et de plus en plus contraignantes, notamment au vu de la cybercriminalité et de la fraude automatisée. Dans un même temps, les systèmes actuels d’analyse du risque ont agrégé des bases de données gigantesques contenant des informations sensibles sur des pans entiers de population. Nombre de ces systèmes répondent à un grand nombre de cas d’utilisation, parmi lesquels la preuve d’identité pour les services financiers, l’évaluation des réclamations aux compagnies d’assurance et des demandes d’indemnités, de l’analyse des transactions financières et l’évaluation de milliards de transactions en ligne.
De tels systèmes d’analyse du risque peuvent décider si une requête ou une transaction est acceptée ou rejetée ou décider des options de livraison disponibles pour une personne lors d’une transaction en ligne. Des services marchands de vérification d’identité et d’analyse de la fraude sont également employés dans des domaines tels que les forces de l’ordre et la sécurité nationale. La frontière entre les applications commerciales de l’analyse de l’identité et de la fraude et celles utilisées par les agences gouvernementales de renseignement est de plus en plus floue.
Lorsque des individus sont ciblés par des systèmes aussi opaques, ils peuvent être signalés comme étant suspects et nécessitant un traitement particulier ou une enquête, ou bien ils peuvent être rejetés sans plus d’explication. Ils peuvent recevoir un courriel, un appel téléphonique, une notification, un message d’erreur, ou bien le système peut tout simplement ne pas indiquer une option, sans que l’utilisateur ne connaisse son existence pour d’autres. Des évaluations erronées peuvent se propager d’un système à l’autre. Il est souvent difficile, voire impossible de faire recours contre ces évaluations négatives qui excluent ou rejettent, notamment à cause de la difficulté de s’opposer à quelque chose dont on ne connaît pas l’existence.
Exemples de détection de fraude en ligne et de service d’analyse des risques
L’entreprise de cybersécurité ThreatMetrix traite les données concernant 1,4 milliard de « comptes utilisateur uniques » sur des « milliers de sites dans le monde. » Son Digital Identity Network (Réseau d’Identité Numérique) enregistre des « millions d’opérations faites par des consommateurs chaque jour, notamment des connexions, des paiements et des créations de nouveaux comptes », et cartographie les « associations en constante évolution entre les individus et leurs appareils, leurs positions, leurs identifiants et leurs comportements » à des fins de vérification des identités et de prévention des fraudes. L’entreprise collabore avec Equifax et TransUnion. Parmi ses clients se trouvent Netflix, Visa et des entreprises dans des secteurs tels que le jeu vidéo, les services gouvernementaux et la santé.
De façon analogue, l’entreprise de données ID Analytics, qui a récemment été achetée par Symantec, exploite un Réseau d’Identifiants fait de « 100 millions de nouveaux éléments d’identité quotidiens issus des principales organisations interprofessionnelles. ». L’entreprise agrège des données concernant 300 millions de consommateurs, sur les prêts à haut risque, les achats en ligne et les demandes de carte de crédit ou de téléphone portable. Son Indice d’Identité, ID Score, prend en compte les appareils numériques ainsi que les noms, les numéros de sécurité sociale et les adresses postales et courriel.
Trustev, une entreprise en ligne de détection de la fraude dont le siège se situe en Irlande et qui a été rachetée par l’agence d’évaluation de la solvabilité TransUnion en 2015, juge des transactions en ligne pour des clients dans les secteurs des services financiers, du gouvernement, de la santé et de l’assurance en s’appuyant sur l’analyse des comportements numériques, les identités et les appareils tels que les téléphones, les tablettes, les ordinateurs portables, les consoles de jeux, les télés et même les réfrigérateurs. L’entreprise propose aux entreprises clientes la possibilité d’analyser la façon dont les visiteurs cliquent et interagissent avec les sites Internets et les applications. Elle utilise une large gamme de données pour évaluer les utilisateurs, y compris les numéros de téléphone, les adresses courriel et postale, les empreintes de navigateur et d’appareil, les vérifications de la solvabilité, les historiques d’achats sur l’ensemble des vendeurs, les adresses IP, les opérateurs mobiles et la géolocalisation des téléphones. Afin d’aider à « accepter les transactions futures », chaque appareil se voit attribuer une empreinte digitale d’appareil unique. Trustev propose aussi une technologie de marquage d’empreinte digitale sociale qui analyse le contenu des réseaux sociaux, notamment une « analyse de la liste d’amis » et « l’identification des schémas ». TransUnion a intégré la technologie Trustev dans ses propres solutions identifiantes et anti-fraude.
Selon son site Internet, Trustev utilise une large gamme de données pour évaluer les personnes
De façon similaire, l’agence d’évaluation de la solvabilité Equifax affirme qu’elle possède des données concernant près de 1 milliard d’appareils et peut affirmer « l’endroit où se situe en fait un appareil et s’il est associé à d’autres appareils utilisés dans des fraudes connues ». En associant ces données avec « des milliards d’identités et d’événements de crédit pour trouver les activités douteuses » dans tous les secteurs, et en utilisant des informations concernant la situation d’emploi et les liens entre les ménages, les familles et les partenaires, Equifax prétend être capable « de distinguer les appareils ainsi que les individus ».
Je ne suis pas un robot
Le produit reCaptcha de Google fournit en fait un service similaire, du moins en partie. Il est incorporé dans des millions de sites Internets et aide les fournisseurs de sites Internets à décider si un visiteur est un être humain ou non. Jusqu’à récemment, les utilisateurs devaient résoudre diverses sortes de défis rapides tels que le déchiffrage de lettres dans une image, la sélection d’images dans une grille, ou simplement en cochant la case « Je ne suis pas un robot ». En 2017, Google a présenté une version invisible de reCaptcha, en expliquant qu’à partir de maintenant, les utilisateurs humains pourront passer « sans aucune interaction utilisateur, contrairement aux utilisateurs douteux et aux robots ». L’entreprise ne révèle pas le type de données et de comportements utilisateurs utilisés pour reconnaître les humains. Des analyses laissent penser que Google, outre les adresses IP, les empreintes de navigateur, la façon dont l’utilisateur frappe au clavier, déplace la souris ou utilise l’écran tactile « avant, pendant et après » une interaction reCaptcha, utilise plusieurs témoins Google. On ne sait pas exactement si les individus sans compte utilisateur sont désavantagés, si Google est capable d’identifier des individus particuliers plutôt que des « humains » génériques, ou si Google utilise les données enregistrées par reCaptcha à d’autres fins que la détection de robots.
Le pistage numérique à des fins publicitaires et de détection de la fraude ?
Les flux omniprésents de données comportementales enregistrées pour la publicité en ligne s’écoulent vers les systèmes de détection de la fraude. Par exemple, la plateforme de données commerciales Segment propose à ses clients des moyens faciles d’envoyer des données concernant leurs clients, leur site Internet et les utilisateurs mobiles à une kyrielle de services de technologies commerciales, ainsi qu’à des entreprises de détection de fraude. Castle est l’une d’entre-elles et utilise « les données comportementales des consommateurs pour prédire les utilisateurs qui présentent vraisemblablement un risque en matière de sécurité ou de fraude ». Une autre entreprise, Smyte, aide à « prévenir les arnaques, les messages indésirables, le harcèlement et les fraudes par carte de crédit ».
La grande agence d’analyse de la solvabilité Experian propose un service de pistage multi-appareils qui fournit de la reconnaissance universelle d’appareils, sur mobile, Internet et les applications pour le marketing numérique. L’entreprise s’engage à concilier et à associer les « identifiants numériques existants » de leurs clients, y compris des « témoins, identifiants d’appareil, adresses IP et d’autres encore », fournissant ainsi aux commerciaux un « lien omniprésent, cohérent et permanent sur tous les canaux ».
La technologie d’identification d’appareils provient de 41st parameter (le 41e paramètre), une entreprise de détection de la fraude rachetée par Experian en 2013. En s’appuyant sur la technologie développée par 41st parameter, Experian propose aussi une solution d’intelligence d’appareil pour la détection de la fraude au cours des paiements en ligne. Cette solution qui « créé un identifiant fiable pour l’appareil et recueille des données appareil abondantes » « identifie en quelques millisecondes chaque appareil à chaque visite » et « fournit une visibilité jamais atteinte de l’individu réalisant le paiement ». On ne sait pas exactement si Experian utilise les mêmes données pour ses services d’identification d’appareils pour détecter la fraude que pour le marketing.
Cartographie de l’écosystème du pistage et du profilage commercial
Au cours des dernières années, les pratiques déjà existantes de surveillance commerciale ont rapidement muté en un large éventail d’acteurs du secteur privé qui surveillent en permanence des populations entières. Certains des acteurs de l’écosystème actuel de pistage et de profilage, tels que les grandes plateformes et d’autres entreprises avec un grand nombre de clients, tiennent une position unique en matière d’étendue et de niveau de détail de leurs profils de consommateurs. Néanmoins, les données utilisées pour prendre des décisions concernant les individus sur de nombreux sujets ne sont généralement pas centralisées en un lieu, mais plutôt assemblées en temps réel à partir de plusieurs sources selon les besoins.
Un large éventail d’entreprises de données et de services d’analyse en marketing, en gestion client et en analyse du risque recueillent, analysent, partagent et échangent de façon uniforme des données client et les associent avec des informations supplémentaires issues de milliers d’autres entreprises. Tandis que l’industrie des données et des services d’analyse fournissent les moyens pour déployer ces puissantes technologies, les entreprises dans de nombreuses industries contribuent à augmenter la quantité et le niveau de détail des données collectées ainsi que la capacité à les utiliser.
Cartographie de l’écosystème du pistage et du profilage commercial numérique
Google et Facebook, ainsi que d’autres grandes plateformes telles que Apple, Microsoft, Amazon et Alibaba ont un accès sans précédent à des données concernant les vies de milliards de personnes. Bien qu’ils aient des modèles commerciaux différents et jouent par conséquent des rôles différents dans l’industrie des données personnelles, ils ont le pouvoir de dicter dans une large mesure les paramètres de base des marchés numériques globaux. Les grandes plateformes limitent principalement la façon dont les autres entreprises peuvent obtenir leurs données. Ainsi, ils les obligent à utiliser les données utilisateur de la plateforme dans leur propre écosystème et recueillent des données au-delà de la portée de la plateforme.
Bien que les grandes multinationales de différents secteurs ayant des interactions fréquentes avec des centaines de millions de consommateurs soient en quelque sorte dans une situation semblable, elles ne font pas qu’acheter des données clients recueillies par d’autres, elles en fournissent aussi. Bien que certaines parties des secteurs des services financiers et des télécoms ainsi que des domaines sociétaux critiques tels que la santé, l’éducation et l’emploi soient soumis à une réglementation plus stricte dans la plupart des juridictions, un large éventail d’entreprises a commencé à utiliser ou fournissent des données aux réseaux actuels de surveillance commerciale.
Les détaillants et d’autres entreprises qui vendent des produits et services aux consommateurs vendent pour la plupart les données concernant les achats de leurs clients. Les conglomérats médiatiques et les éditeurs numériques vendent des données au sujet de leur public qui sont ensuite utilisées par des entreprises dans la plupart des autres secteurs. Les fournisseurs de télécoms et d’accès haut débit ont entrepris de suivre leurs clients sur Internet. Les grandes groupes de distribution, de médias et de télécoms ont acheté ou achètent des entreprises de données, de pistage et de technologie publicitaire. Avec le rachat de NBC Universal par Comcast et le rachat probable de Time Warner par AT&T, les grands groupes de télécoms aux États-Unis sont aussi en train de devenir des éditeurs gigantesques, créant par là même des portefeuilles puissants de contenu, de données et de capacité de pistage. Avec l’acquisition de AOL et de Yahoo, Verizon aussi est devenu une « plateforme ».
Les institutions financières ont longtemps utilisé des données sur les consommateurs pour la gestion du risque, notamment dans l’évaluation de la solvabilité et la détection de fraude, ainsi que pour le marketing, l’acquisition et la rétention de clientèle. Elles complètent leurs propres données avec des données externes issues d’agences d’évaluation de la solvabilité, de courtiers en données et d’entreprises de données commerciales. PayPal, l’entreprise de paiements en ligne la plus connue, partage des informations personnelles avec plus de 600 tiers, parmi lesquels d’autres fournisseurs de paiements, des agences d’évaluation de la solvabilité, des entreprises de vérification de l’identité et de détection de la fraude, ainsi qu’avec les acteurs les plus développés au sein de l’écosystème de pistage numérique. Tandis que les réseaux de cartes de crédit et les banques ont partagé des informations financières sur leurs clients avec les fournisseurs de données de risque depuis des dizaines d’années, ils ont maintenant commencé à vendre des données sur les transactions à des fins publicitaires.
Une myriade d’entreprises, grandes ou petites, fournissant des sites Internets, des applications mobiles, des jeux et d’autres solutions sont étroitement liées à l’écosystème de données commerciales. Elles utilisent des services qui leur permettent de facilement transmettre à des services tiers des données concernant leurs utilisateurs. Pour nombre d’entre elles, la vente de flux de données comportementales concernant leurs utilisateurs constitue un élément clé de leur business model. De façon encore plus inquiétante, les entreprises qui fournissent des services tels que les enregistreurs d’activité physique intègrent des services qui transmettent les données utilisateurs à des tierces parties.
L’envahissante machine de surveillance en temps réel qui a été développée pour la publicité en ligne est en train de s’étendre vers d’autres domaines dont la politique, la tarification, la notation des crédits et la gestion des risques. Partout dans le monde, les assureurs commencent à proposer à leurs clients des offres incluant du suivi en temps réel de leur comportement : comment ils conduisent, quelles sont leurs activités santé ou leurs achats alimentaires et quand ils se rendent au club de gym. Des nouveaux venus dans l’analyse assurantielle et les technologies financières prévoient les risques de santé d’un individu en s’appuyant sur les données de consommation, mais évaluent aussi la solvabilité à partir de données de comportement via les appels téléphoniques ou les recherches sur Internet.
Les courtiers en données sur les consommateurs, les entreprises de gestion de clientèle et les agences de publicité comme Acxiom, Epsilon, Merkle ou Wunderman/WPP jouent un rôle prépondérant en assemblant et reliant les données entre les plateformes, les multinationales et le monde de la technologie publicitaire. Les agences d’évaluation de crédit comme Experian qui fournissent de nombreux services dans des domaines très sensibles comme l’évaluation de crédit, la vérification d’identité et la détection de la fraude jouent également un rôle prépondérant dans l’actuel envahissant écosystème de la commercialisation des données.
Des entreprises particulièrement importantes qui fournissent des données, des analyses et des solutions logicielles sont également appelées « plateforme ». Oracle, un fournisseur important de logiciel de base de données est, ces dernières années, devenu un courtier en données de consommation. Salesforce, le leader sur le marché de la gestion de la relation client qui gère les bases de données commerciales de millions de clients qui ont chacun de nombreux clients, a récemment acquis Krux, une grande entreprise de données, connectant et combinant des données venant de l’ensemble du monde numérique. L’entreprise de logiciels Adobe joue également un rôle important dans le domaine des technologies de profilage et de publicité.
En plus, les principales grandes entreprises du conseil, de l’analyse et du logiciel commercial, comme IBM, Informatica, SAS, FICO, Accenture, Capgemini, Deloitte et McKinsey et même des entreprises spécialisées dans le renseignement et la défense comme Palantir, jouent également un rôle significatif dans la gestion et l’analyse des données personnelles, de la gestion de la relation client à celle de l’identité, du marketing à l’analyse de risque pour les assureurs, les banques et les gouvernements.
Vers une société du contrôle social numérique généralisé ?
Ce rapport montre qu’aujourd’hui, les réseaux entre plateformes en ligne, fournisseurs de technologies publicitaires, courtiers en données, et autres peuvent suivre, reconnaître et analyser des individus dans de nombreuses situations de la vie courante. Les informations relatives aux comportements et aux caractéristiques d’un individu sont reliées entre elles, assemblées, et utilisées en temps réel par des entreprises, des bases de données, des plateformes, des appareils et des services. Des acteurs uniquement motivés par des buts économiques ont fait naître un environnement de données dans lequel les individus sont constamment sondés et évalués, catégorisés et regroupés, notés et classés, numérotés et comptés, inclus ou exclus, et finalement traités de façon différente.
Ces dernières années, plusieurs évolutions importantes ont donné de nouvelles capacités sans précédent à la surveillance omniprésente par les entreprises. Cela comprend l’augmentation des médias sociaux et des appareils en réseau, le pistage et la mise en relation en temps réel de flux de données comportementales, le rapprochement des données en ligne et hors ligne, et la consolidation des données commerciales et de gestion des risques. L’envahissant pistage et profilage numériques, mélangé à la personnalisation et aux tests, ne sont pas seulement utilisés pour surveiller, mais aussi pour influencer systématiquement le comportement des gens. Quand les entreprises utilisent les données sur les situations du quotidien pour prendre des décisions parfois triviales, parfois conséquente sur les gens, cela peut conduire à des discriminations, et renforcer voire aggraver des inégalités existantes.
Malgré leur omniprésence, seul le haut de l’iceberg des données et des activités de profilage est visible pour les particuliers. La plupart d’entre elles restent opaques et à peine compréhensible par la majorité des gens. Dans le même temps, les gens ont de moins en moins de solutions pour résister au pouvoir de cet ecosystème de données ; quitter le pistage et le profilage envahissant, est devenu synonyme de quitter la vie moderne. Bien que les responsables des entreprises affirment que la vie privée est morte (tout en prenant soin de préserver leur propre vie privée), Mark Andrejevic suggère que les gens perçoivent en fait l’asymétrie du pouvoir dans le monde numérique actuel, mais se sentent « frustrés par un sentiment d’impuissance face à une collecte et à une exploitation de données de plus en plus sophistiquées et exhaustives. »
Au regard de cela, ce rapport se concentre sur le fonctionnement interne et les pratiques en vigueur dans l’actuelle industrie des données personnelles. Bien que l’image soit devenue plus nette, de larges portions du système restent encore dans le noir. Renforcer la transparence sur le traitement des données par les entreprises reste un prérequis indispensable pour résoudre le problème de l’asymétrie entre les entreprises de données et les individus. Avec un peu de chance, les résultats de ce rapport encourageront des travaux ultérieurs de la part de journalistes, d’universitaires, et d’autres personnes concernés par les libertés civiles, la protection des données et celle des consommateurs ; et dans l’idéal des travaux des législateurs et des entreprises elles-mêmes.
En 1999, Lawrence Lessig, avait bien prédit que, laissé à lui-même, le cyberespace, deviendrait un parfait outil de contrôle façonné principalement par la « main invisible » du marché. Il avait dit qu’il était possible de « construire, concevoir, ou programmer le cyberespace pour protéger les valeurs que nous croyons fondamentales, ou alors de construire, concevoir, ou programmer le cyberespace pour permettre à toutes ces valeurs de disparaître. » De nos jours, la deuxième option est presque devenue réalité au vu des milliards de dollars investis dans le capital-risque pour financer des modèles économiques s’appuyant sur une exploitation massive et sans scrupule des données. L’insuffisance de régulation sur la vie privée aux USA et l’absence de son application en Europe ont réellement gêné l’émergence d’autres modèles d’innovation numérique, qui seraient fait de pratiques, de technologies, de modèles économiques qui protègent la liberté, la démocratie, la justice sociale et la dignité humaine.
À un niveau plus global, la législation sur la protection des données ne pourra pas, à elle seule, atténuer les conséquences qu’un monde « conduit par les données » a sur les individus et la société que ce soit aux USA ou en Europe. Bien que le consentement et le choix soient des principes cruciaux pour résoudre les problèmes les plus urgents liés à la collecte massive de données, ils peuvent également mener à une illusion de volontarisme. En plus d’instruments de régulation supplémentaires sur la non-discrimination, la protection du consommateur, les règles de concurrence, il faudra en général un effort collectif important pour donner une vision positive d’une future société de l’information. Sans quoi, on pourrait se retrouver bientôt dans une société avec un envahissant contrôle social numérique, dans la laquelle la vie privée deviendrait, si elle existe encore, un luxe pour les riches. Tous les éléments en sont déjà en place.
La production de ce rapport, matériaux web et illustrations a été soutenue par Open Society Foundations.
Bibliographie
Christl, W. (2017, juin). Corporate surveillance in everyday life. Cracked Labs.
Christl, W., & Spiekermann, S. (2016). Networks of Control, a Report on Corporate Surveillance, Digital Tracking, Big Data & Privacy (p. 14‑20). Consulté à l’adresse https://www.privacylab.at/wp-content/uploads/2016/09/Christl-Networks__K_o.pdf
Epp, C., Lippold, M., & Mandryk, R. L. (2011). Identifying emotional states using keystroke dynamics (p. 715). ACM Press. https://doi.org/10.1145/1978942.1979046
Kosinski, M., Stillwell, D., & Graepel, T. (2013). Private traits and attributes are predictable from digital records of human behavior. Proceedings of the National Academy of Sciences, 110(15), 5802‑5805. https://doi.org/10.1073/pnas.1218772110
Turow, J. (s. d.). Daily You | Yale University Press. Consulté 25 septembre 2017, à l’adresse https://yalebooks.yale.edu/book/9780300188011/daily-you
Frama.site : testons la contribution
Bousculons nos habitudes : Frama.site n’est pas (encore) un service « prêt à l’emploi », on ne peut pas (encore) créer un site web les doigts dans le nez (faut dire que c’est un peu crado…).
C’est normal : avec cette première action de la campagne Contributopia, nous voulons expérimenter d’autres manières de faire, pour faire ensemble.
Le confort de blogger et tumblr se paie cher
Vous avez remarqué qu’on ne dit plus « je fais un site web »…? On « ouvre un tumblr, » un « blogger », on « fait une page sur wix », on « publie un article sur Medium »… quand ce n’est pas directement la page Facebook qui devient le lieu d’expression unique de notre boîte, association, collectif, démarche artistique…
Certes, ces plateformes sont très pratiques, c’est même pour ça qu’elles ont autant de succès : pas besoin de se prendre le chou avec un hébergement, d’y installer un CMS (un kit de base pour créer son site web), de le personnaliser, et d’apprendre à l’utiliser. Non, là, c’est confortable : on se crée un compte, on remplit un formulaire, on appuie sur un bouton et hop ! Yapluka remplir son site web.
En contrepartie, les plateformes d’hébergement nous font « accepter » des conditions d’utilisations qu’on ne lit même pas, qu’on n’a pas vraiment envie de décortiquer, parce que… Parce que ça fait mal de lire que la plupart des contenus que l’on crée et publie leur appartiendront aussi, d’une manière ou d’une autre. Parce que c’est dur de se rendre compte qu’en utilisant leur service, on leur livre les vies et les intimités des personnes qui s’intéresseront à nos productions numériques.
Parce qu’on préférerait croire qu’on le fait pour nous, alors que ces plateformes nous font bosser pour leur pomme. Aral Balkan, un développeur et militant britannique, compare les géants du web à des fermes industrielles nous exploitant comme du bétail. On peut compléter la métaphore en expliquant ce que sont les plateformes Blogger (de Google de Alphabet), Tumblr (de Yahoo de Verizon) et les Pages (de Facebook de Markounet). Ce sont des seigneurs médiévaux qui nous concèdent un bout de terre numérique, afin de jouir des bénéfices de nos productions. Les nobliaux du web ont fait de nous leurs serfs.
Framasite est un service d’hébergement et de création de sites web.
Le but est de démontrer que l’on peut faire autrement, que l’on peut retrouver une indépendance numérique, y occuper un morceau de la toile. L’idée est de vous proposer un espace d’hébergement, c’est à dire un peu de place sur les « serveurs », ces ordinateurs en permanence allumés et connectés à Internet pour qu’on puisse aller y lire des sites web (entre autres choses). Des outils vous permettant de gérer (et donc de créer) vos sites web sont directement installés sur cet espace d’hébergement.
Concrètement, la volonté est de simplifier la vie de chacun·e : on se crée un compte, on choisit quel type de site on veut faire (blog, CV en ligne, page web unique, wiki, etc.), on lui donne un nom, et on appuie sur un bouton ! Ayé, votre site est créé, vous n’avez plus qu’à le remplir de textes, images, etc.
Étant proposé par Framasoft, ce service bénéficie forcément des libertés et des contraintes décrites dans nos conditions générales d’utilisation (qui se lisent en 3 minutes, et sans avoir besoin d’avoir avalé un code de la propriété intellectuelle !).
Cela signifie que :
Vos contenus vous appartiennent… et que vous en êtes responsables :
si vos contenus sont illégaux, « on veut pas finir en taule », donc ils peuvent être supprimés ;
il faut toujours, toujours, toujours penser à faire des sauvegardes régulières… Si ça vous tient à cœur de publier un contenu, chouchoutez-le : prenez la précaution d’en conserver une copie !
Nous ne permettons pas (et n’admettrons jamais) l’installation de bouts de codes qui épient vos visiteuses et visiteurs ;
Nous partageons une ressource commune, dont chacun·e doit avoir une utilisation raisonnable :
Les fichiers (photos, etc.) mis en ligne ne peuvent pas faire plus de 5 Mo ;
Si vous pensez avoir besoin de plus de 150 Mo d’hébergement, dépasser les 300-500 pages web, ou la vingtaine de sites et wiki… venez en discuter avec nous car il est possible que Framasite ne soit pas la solution adaptée à vos besoins ;
Nous ne recommandons surtout pas Framasite pour une utilisation professionnelle, c’est à dire pour faire un site dont dépendraient vos revenus : Framasoft reste une petite association, qui fait de son mieux mais ne fait que de son mieux (et y’a forcément des jours où ça plante, d’ailleurs on l’affiche à cette adresse), et qui ne peut pas être considérée comme éternelle ! Si un jour nous ne recevions plus de dons, par exemple, l’association et ses services mourraient, tout simplement.
Le rêve est de faire en sorte que Framasite soit si simple d’utilisation, si pratique, que votre association, votre boulangerie ou votre artiste favori·te préfère cette solution aux plateformes centralisatrices. C’est de remettre à leur place les réseaux sociaux nobliaux : celle d’un lieu de passage, un lieu qui mène vers votre site web à vous, vers votre coin perso que vous cultivez sur la toile… plutôt que de les laisser devenir des fermes industrielles exploitant vos productions numériques comme aux pires époques du servage.
Car l’avantage, c’est que Framasite n’utilise que du logiciel libre : que ce soit Grav (pour les blogs, pages et sites web), Dokuwiki (pour les wiki, ces fameux sites permettant de construire du savoir collaboratif) ou notre interface de génération de site : tout est sous licence libre !
Imaginez : vous testez Framasite, puis vous vous rendez compte que les conditions dans lesquelles nous proposons ce service ne vous conviennent pas ou ne correspondent plus à vos usages… Aucun souci : vous cliquez sur le bouton « exporter », récupérez vos contenus et allez les installer sur un autre espace d’hébergement équipé de ces mêmes logiciels libres… votre serveur, par exemple !
Le fait est que, à ce jour, Framasite est encore loin de la facilité évidente dont nous rêvons pour ce service. Ce n’est pas (encore) un service « prêt à l’emploi », comme nous avions l’habitude de les proposer lors des trois années de la campagne Dégooglisons Internet. C’est normal, nous cheminons vers Contributopia : Framasoft ne peut pas faire et décider à elle seule de l’évolution à venir, il va falloir travailler dessus ensemble et, en un mot comme en cent : contribuer.
Pour cette première expérimentation de la contribution nous vous proposons trois phases :
Durant les prochains jours/les prochaines semaines, nous allons améliorer l’interface de création de site, la clarté des options, et les contenus automatiquement paramétrés. En même temps, nous comptons publier des tutoriels et de la documentation pour faciliter l’utilisation du service.
D’ici la fin de l’année 2017, nous voulons trouver comment proposer la location et la personnalisation automatisée des noms de domaine (comment aider quiconque à passer d’une adresse web « monsupersite.frama.site » à « monsupersite.fr », par exemple).
De mi-décembre à mi-février, nous voulons accompagner un·e stagiaire en développement pour qu’iel contribue au logiciel libre Grav et le rende encore plus aisé à utiliser, et faciliter encore plus l’autonomie numérique.
Comment contribuer ?
Pour cette première expérimentation dans la contribution, nous n’avons pas les épaules pour ouvrir une « boite à idée » (qui deviendrait très vite un cahier de doléances) car nous risquerions de crouler sous les demandes répétées, difficiles à traiter… Or, nous ne sommes qu’une petite association de 35 membres.
Nous allons donc commencer modestement, avec un outil qui demande certaines connaissances techniques (et un compte sur notre gitlab) : le dépôt Framasite sur Framagit.org.
Si vous voulez faire des remarques, apports, suggestions, retours, ou reporter des bugs concernant Framasite, faites une issue ici ;
Si vous voulez contribuer au code de notre interface, forkez directement le dépôt puis proposez une merge request ;
Si vous voulez proposer des tutoriels d’utilisation, cela se passe directement sur le dépôt de notre documentation (où de nombreux exemples peuvent vous guider dans votre rédaction) ;
Si vous souhaitez simplement aider à financer cette proposition qu’est Framasite et l’animation de son évolution, vous pouvez aussi nous soutenir d’un don.
Une autre façon de contribuer, qui est essentielle et importante, c’est de savoir parler autour de vous d’une telle solution. Si cela vous est disponible, prenez le temps d’accompagner votre entourage à la fois dans la démarche proposée (c’est pas parfait, car c’est à nous de le perfectionner ensemble) et dans l’adoption d’outils libres !
L’aventure Contributopia a pour but de poursuivre et d’approfondir le travail entamé lors de la campagne « Dégooglisons Internet ». Pour la première année de cette campagne, nous comptons donc continuer à ouvrir des services web alternatifs… mais en nous y prenant un poil différemment.
Faire avec vous, pour faire mieux
Hors de question de reprendre le rythme effréné des années de campagne « Dégooglisons Internet » où nous avons sorti près de 10 services par an (vous pouvez vérifier, on a compté !). Durant cette première année de Contributopia, nous voulons prendre le temps dans l’élaboration et l’évolution de quatre services majeurs :
Framatube, parce que YouTube est devenu incontournable, et qu’il faut trouver comment faire autrement.
Prendre le temps pour mettre en ligne ces services nous permettra de mieux nous impliquer. Sauf exceptions (Framadate, Framaestro, etc.), Framasoft ne développe pas les logiciels libres qui permettent d’ouvrir les services répertoriés par Dégooglisons Internet. La plupart du temps, nous y contribuons (développement de fonctionnalités, documentation, bidouilles esthétiques, traductions, etc.) puis nous les hébergeons, les tenons à jour et nous facilitons leur adoption.
Cette fois-ci, nous voulons investir encore plus de temps professionnel, et donc de l’argent qui provient de vos dons, dans la création et l’évolution de ces projets. Nous pourrons ainsi contribuer à une réflexion plus poussée autour d’outils numériques qui sont franchement sensibles. Nous pourrons aussi et surtout prendre le temps d’être à votre écoute, de vous exposer les points d’étapes et de vous impliquer dans l’évolution de ces logiciels… S’ils sont faits pour vous, autant les faire avec vous, non ?
Quatre services Contributopistes !
Entrons dans le vif du sujet, avec les quatre services sur lesquels nous vous proposons de contribuer cette année…
Première action de cette Contributopia, Framasite est d’ores et déjà ouvert : il suffit d’aller sur Frama.site pour contribuer à la phase de test ! Vous pouvez donc vous y créer un compte afin de produire un (ou plusieurs !) sites internet, pages web, blog, et même des wiki (ces fameux outils pour partager des connaissances de manière collaborative).
Nous reviendrons dessus en détail cette semaine sur le Framablog, mais l’idée est simple : offrir à la fois un espace d’hébergement et des outils pour faciliter l’expression de chacun·e sur la toile. Nous nous engageons à un hébergement éthique : vos contenus publiés sur Framasite vous appartiennent et les données des personnes qui les visiteront ne seront ni épiées, ni transmises, ni monétisées (c’est dans nos conditions d’utilisation !)
Basé sur les logiciels libres Dokuwiki (pour les wiki) et Grav (pour les sites, pages web, blogs…) nous savons qu’à ce jour, Framasite n’atteint pas encore son but : permettre de créer un site web aisément, même quand on ne s’y connaît pas trop. C’est normal, il est en phase de test.
Durant les semaines qui arrivent, nous allons travailler à sa simplification, tout en produisant des tutoriels selon des exemples précis (CV en ligne, blog, etc.). Ensuite, nous souhaitons faciliter le choix des noms de domaine (l’adresse web de votre Framasite). Enfin, fort·e·s des retours et suggestions que vous nous ferez, un⋅e stagiaire nous aidera à contribuer au logiciel Grav afin qu’il soit encore plus facile et pratique d’utilisation.
Framameet, se regrouper sans se faire pister
Aujourd’hui, les personnes souhaitant se rencontrer de visu autour de ce qui les rassemble utilisent soit des produits Facebook (les groupes, les pages et les événements), soit MeetUp, dont la création de groupes est devenue payante. Cela signifie, au choix : forcer les gens à être sur Facebook et lui donner encore plus d’informations personnelles et collectives, ou confier à MeetUp toutes les données des personnes intéressées par une activité de groupe.
Il existe des projets dans le logiciel libre qui souhaitent se poser en alternative à MeetUp, mais nous n’en avons pas (encore) vu qui offrent toutes les fonctionnalités attendues et qui sont d’ores et déjà utilisables par le grand public. Qu’à cela ne tienne, c’est une grande devise libriste : « juste fais-le ! » Nous verrons donc qui veut nous suivre dans cette aventure pour créer ensemble une alternative libre à MeetUp qui n’exploite ni les données ni les vies numériques des personnes souhaitant se regrouper.
Framapetitions, s’exprimer en toute confiance
Ah ça fait un moment qu’on en rêve, de celui-là, hein ? Déjà pendant l’été 2016, nous traduisions l’article inquiétant d’une journaliste italienne, Stephania Maurizi, sur l’exploitation financière des signataires de pétitions faites sur Change.org. Nos opinions sur le monde qui nous entoure (qui sont donc, littéralement, politiques) représentent des données sensibles. Elles valent mieux qu’une exploitation financière ou qu’un code obscur dont on ignore ce qu’il fait, non ?
Lorsque nous avons créé le service de formulaires en ligne Framaforms, nous savions qu’en bidouillant et retravaillant ce code, nous pourrions proposer un service Framapetitions, une alternative à Avaaz ou Change.org. Sauf que la différence entre un formulaire en ligne et une pétition, c’est que cette dernière peut être rejointe par des millions de personnes !
Ayant vu sur plus d’un an comment les serveurs de Framaforms tenaient la charge que représentent vos questionnaires et leurs réponses, nous sommes désormais assez confiant·e·s pour nous lancer dans la production de Framapetitions… mais nous aurons grand besoin de votre aide pour tester massivement ce service ensemble avant de le publier !
Framatube, briser l’hégémonie de YouTube
C’est un gros morceau : comment faire pour que YouTube ne soit plus aussi incontournable ? Ce réseau social de vidéos bénéficie de toute la puissance de Google… et autant vous dire qu’il en faut, des sous, des fibres et des serveurs, pour centraliser des milliards de vidéos dont certaines sont vues par des milliers (millions ?) de personnes en même temps.
Et si la solution c’était de faire autrement…? De faire non pas un énième hébergement alternatif (un « Framatube » centralisateur) mais une fédération d’hébergements vidéos, où chacun peut communiquer avec les autres ? Mastodon (une alternative à Twitter libre et fédérée) nous a montré qu’un réseau fédéré peut permettre à chaque hébergeur de choisir ses propres règles du jeu (modération, monétisation, conditions générales) tout en offrant aux utilisateur·trice·s un accès à l’ensemble du réseau.
Peertube est un logiciel libre en cours de développement, qui permet de faire la même chose pour l’hébergement de vidéos. Et il offre un gros plus : la diffusion vidéo en pair à pair. Il fait en sorte que le navigateur web de chaque spectateur·trice d’une vidéo la partage avec les autres personnes qui sont en train de la regarder, soulageant ainsi et le réseau et les serveurs qui hébergent ces vidéos.
Nous prenons le pari de financer le salaire du développeur de ce logiciel, qui jusqu’à présent menait le projet sur son temps libre, afin qu’il parvienne à une version qu’on puisse déployer à grande échelle. C’est un pari fort car nous pensons sincèrement que, une fois cette brique logicielle construite, Peertube peut révolutionner notre monde numérique, et que d’autres pourront construire par dessus.
Ainsi, Framatube ne sera pas un endroit où déposer des vidéos, mais bien le petit maillon d’une grande chaîne que nous espérons composée d’artistes, associations, collectifs, organisations et médias qui hébergeront et diffuseront leurs vidéos.
Faire mieux que dégoogliser, oui, mais ensemble !
Alors oui : « seulement » quatre services en une année, nous vous avions habitué·e·s à plus. Mais, nous espérons que vous l’aurez compris, le but de cette année n’est pas de répondre à une urgence qui pousse vers la quantité de services, mais bien à une exigence de penser ensemble des services différemment. Sans compter qu’en parallèle, nous devons prendre le temps de poser les fondations qui nous permettront de consacrer les années suivantes à l’essaimage, puis à l’éducation populaire.
Cette année est aussi une année de transition, pour nous comme pour tou·te·s celles et ceux d’entre vous qui choisiront de nous suivre dans cette aventure. Cette transition veut tendre vers la contribution. Nous devons trouver ensemble comment commencer à ouvrir les espaces nous permettant de collaborer sur les actions présentes et à venir.
Quitte à avoir moins d’annonces-surprises fracassantes sur le Framablog, nous essaierons de vous tenir informé·e·s des points d’étapes de chaque projet. Cela pourra se passer ici, mais aussi sur nos réseaux sociaux (Diaspora*, Mastodon, Twitter et même Facebook -_- !) ainsi que via notre lettre d’information, afin que vous ayez l’opportunité de prendre part à cette aventure.
Le maintien des projets existants et la naissance des actions à venir restent financés par les dons. Plus de deux mille personnes nous permettent de travailler. Nous tenons à vous remercier de cet engagement nécessaire à nos côtés, et de ce soutien qui fait chaud au cœur.
Vous désirez embarquer avec nous dans ce voyage en Contributopia ?
Framasoft vous invite à un voyage exaltant : explorons ensemble des mondes numériques. Des mondes où les outils informatiques se conçoivent en collaboration, où les pratiques respectueuses essaiment et pollinisent, où s’ouvrent les portes de la contribution.
Ne plus faire contre, pour faire autrement
Après avoir conclu la campagne Dégooglisons Internet, une leçon s’impose : se réduire à proposer des alternatives aux services de Google & compagnie, ce serait se perdre sur la voie du Libre. Car, d’une part, cela implique de s’épuiser dans une course à la réaction, face à des géants du Web aux jambes bien longues. Mais surtout, cela oblige à jouer selon leurs règles, donc à rester dans leur conception du monde.
Ne nous y trompons pas : derrière chaque nouveau service et produit des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), il y a une vision de la société, celle que les médias traditionnels se plaisent à qualifier de « ubérisée », celle qui fait de nous des objets de consommation. Derrière l’adage « si c’est gratuit, c’est toi le produit », il y a une vérité cruelle : les ogres dévoreurs de data de la Silicon Valley nous forcent à donner une livre de nos vies en échange de leurs outils, et nous mettent en position de devoir choisir entre notre confort et nos libertés.
Oui, c’est déprimant… mais d’autres mondes sont possibles.
Lors des multiples rencontres et échanges avec vous, nous nous sommes rendu compte d’autre chose : des alternatives existent. Dans de nombreux domaines, des personnes agissent au quotidien avec une autre vision en tête que la société proposée par les GAFAM, NATU et autres BATX (passez votre souris sur ces acronymes pour découvrir les zolis noms derrière -_-).
Que ce soit dans des associations, des entreprises de l’économie sociale et solidaire, des regroupements, des collectifs, etc., ces personnes contribuent, chacun·e à leur manière, pour proposer des alternatives variées qui mettent au centre de leurs préoccupations les libertés et les humain·e·s.
Ce n’est donc pas une surprise si c’est auprès de ces personnes que les discours du logiciel libre et de sa culture font mouche : nous partageons ensemble des notions d’éthique, de solidarité et de contribution. Lors de la campagne Dégooglisons Internet, nous avons pu voir combien cette audience était une des plus friandes d’informations et de solutions. Voilà des personnes qui comprennent tout de suite les enjeux, et qui non seulement s’approprient les alternatives libristes, mais vont en plus les diffuser ensuite auprès de leurs réseaux. Ce n’est pas pour rien : nous rêvons, ensemble, de concrétiser d’autres utopies.
« Mais vous êtes… utopistes ? »
Eh, chiche, on répond juste : « Évidemment. » ;)…
Déjà, parce que ce n’est pas une insulte que d’être qualifié d’utopiste. Mais aussi parce que, dans le cadre des univers numériques, le mot est parfaitement approprié. Bidouillé au XVIe siècle par l’auteur britannique Thomas More, il signifie littéralement « (qui n’est) en aucun lieu. » Comment mieux décrire le travail, les interactions et les œuvres de l’esprit produites depuis nos ordinateurs, sur nos réseaux ? Les 35 membres de l’association Framasoft vivent dans 33 villes différentes : l’endroit où tous nos projets se font, en collaboration avec plus de 700 contributeurs et contributrices et de nombreuses communautés, n’est réellement en aucun lieu !
Ce que le public te reproche, cultive-le : c’est toi.
(J. Cocteau, Le Potomak, 1919)
Bon, ne faisons pas l’autruche : lorsqu’on le crache comme une insulte, c’est pour donner à « utopiste » le sens de « irréaliste ». Mais, lorsque des salles de machines traitaient des cartes perforées, n’était-ce pas irréaliste d’imaginer avoir des ordinateurs dans nos poches ? Lorsque le savoir était contraint aux pages des encyclopédies papier écrites par quelques hommes, n’était-il pas irréaliste d’imaginer que des millions de personnes contribueraient chaque jour à faire de Wikipédia une encyclopédie fiable ? Lorsque Framasoft a présenté les 30 services visés par la campagne Dégooglisons Internet, n’étions-nous pas irréalistes de croire que nous allions (presque) y arriver…?
Plus qu’une utopie, la contribution fait le quotidien des communautés du logiciel libre, et de sa culture. C’est aussi bien une façon de faire qu’une manière de penser, qui est partagée avec toutes ces autres personnes qui rêvent d’autres sociétés. Nul besoin d’être militant·e du libre pour vouloir créer et agir ensemble dans le respect des libertés de chacun·e, mais les communautés du libre ont le pouvoir de façonner des communs numériques pensés pour être pratiques, solidaires et éthiques, au cœur même de leur code.
C’est là tout l’enjeu de Contributopia : trouver comment concevoir et proposer des outils qui sont pensés hors des sentiers battus et rebattus par ces entreprises-silos dont le seul but est de moissonner nos données. Nous n’imaginons pas faire cela sans travailler de concert avec nos alter-ego du monde des communs, sans approfondir nos relations avec les réseaux de l’éducation populaire ni être à l’écoute des personnes qui animent, quotidiennement, le milieu associatif que l’on connaît bien. À nos yeux, c’est en contribuant pour et avec ces personnes-là (et bien d’autres…) que les travaux des communautés du logiciel libre peuvent trouver la résonance qu’ils méritent dans la société civile.
Contributopia… Contributo… quoi ?
Contributopia, c’est notre petit bout de réponse à un problème qui picote un peu : aujourd’hui, les contributeurs les plus massifs au logiciel libre s’appellent Google, Facebook, Microsoft, Tesla, etc. Il nous semble urgent de contribuer avec d’autres réseaux et communautés, celles qui, avec nous, cherchent des alternatives à cette consommation généralisée de… de l’humain.
Lorsque, au cours de la campagne Dégooglisons Internet, nous avons mis le nez hors de notre petite bulle libriste, nous l’avons bien vu : ces alter-ego sont bien souvent déjà acquis·e·s à la culture du logiciel libre, parfois même sans le savoir. Il nous suffit d’être présent·e·s, dans l’écoute et l’échange, pour trouver des personnes qui adhèrent aux mêmes valeurs et savent convaincre leurs pairs. Or, on le sait : parler aux utilisatrices et utilisateurs de logiciels libres d’aujourd’hui, c’est trouver les contributeurs et contributrices de demain.
Contributopia, c’est aussi une déclaration d’intention : nous souhaitons continuer à tisser des liens de plus en plus privilégiés entre les communautés des libertés numériques et celles qui œuvrent dans d’autres domaines avec le même état d’esprit. Ces échanges nous renforceront mutuellement et nous changeront sûrement : nous avons encore beaucoup à apprendre (et à gagner) à écouter des personnes qui travaillent avec les mêmes intentions, dans d’autres domaines que l’informatique.
Contributopia, c’est enfin un site web, magnifiquement illustré par David Revoy (♥). Nous en profitons pour le remercier chaudement car ce formidable illustrateur libriste a mis dans cette commande beaucoup d’écoute, de chaleur, d’attention… et de talent : c’est beau, hein ? Grâce à son travail, ce site web présente sur trois ans les douze actions que Framasoft compte mener pour outiller ces personnes qui concrétisent chaque jour le monde différent dont elles rêvent, qu’elles soient libristes ou se définissent autrement.
Bon, nous annonçons douze actions, mais vous nous connaissez : rendez-vous dans trois ans pour savoir combien il y en aura en plus ! 😉
Trois mondes à explorer
Les douze actions de Contributopia s’explorent sur trois planètes, une pour chaque année.
De 2017 à 2018, nous proposerons, dans la continuité de l’aventure Dégooglisons Internet, des services en ligne, libres et respectueux de vos données :
Framasite : créer et héberger des sites et pages web, blogs, wiki… dont la phase de test s’ouvre à vous dès aujourd’hui ! ;
Framameet : favoriser réunions et rencontres, en alternative à MeetUp et aux produits Facebook ;
Framapetitions : faire entendre ses opinions, en alternative à Avaaz ou Change.org ;
Framatube : casser, ensemble, le monopole de YouTube.
Nous détaillerons ces services très prochainement sur le Framablog, car nous souhaitons aller un peu plus loin que lors de la campagne Dégooglisons Internet. Nous allons encore plus nous impliquer dans la conception de ces services, et contribuer avec vous à leur évolution ! Par exemple, la phase de test de Framasite s’ouvre à vous dès aujourd’hui. Comme d’habitude avec Framasoft, nous aimons accompagner nos déclarations d’intention avec des actions concrètes. Néanmoins, il ne s’agit plus ici de sortir un service « prêt-à-utiliser-par-quiconque », mais bien de s’enrichir de vos retours pour le faire évoluer sous vos yeux, tout en produisant des tutoriels selon les besoins exprimés. Bien entendu, nous vous en parlerons plus en détails sur le Framablog dans les prochains jours.
Pour les mondes des prochaines années, ils sont un peu plus lointains et les actions qu’ils représentent restent encore à définir ensemble, au gré des échanges que nous aurons sur le chemin…
De 2018 à 2019, nous souhaitons parcourir plus avant la planète de l’essaimage : celle où chacun·e peut acquérir et approfondir son indépendance numérique. Les noms de codes de ces projets sont CHATONS, YUNOHOST, Internationalisation (pas des services hébergés par Framasoft, hein !) et Framasoft Winter of Code.
Enfin, vers 2019 et 2020, nous désirons défricher les territoires de l’éducation populaire, avec des actions de médiation aux outils numériques, de git (outil de contribution) rendu accessible à tou·te·s, un cours en ligne pour les CHATONS et même une Université Populaire du Libre !
Pour comprendre ces intentions et mieux pouvoir en discuter avec nous au fil des rencontres, n’hésitez pas à parcourir ces mondes sur contributopia.org
Une Contributopia à rêver ensemble !
Il fallait bien partir d’une première proposition, donc voici celle que nous vous faisons sur les trois prochaines années. Contributopia est notre nouvelle campagne : à l’instar de Dégooglisons Internet, elle ne nous empêchera pas de poursuivre nos nombreux autres projets ni d’essayer de mettre en lumière et soutenir toujours plus d’initiatives libres, qui font la richesse de nos communs numériques.
Cette campagne, comme toutes les propositions faites et maintenues par Framasoft, ne vit que par votre soutien, vos échanges et… vos dons. Ce nouveau cap pour Framasoft est pour nous un gros pari : continuerez-vous de nous faire confiance et de nous soutenir, sachant que vos dons représentent près de 90 % de nos ressources ?
Néanmoins, c’est un risque que nous voulons prendre, fort·e·s de la confiance que vous nous avez apportée au fil des ans. Nous le prenons car, plus que de changer de cap, il nous semble essentiel d’élargir la route (qui reste longue) afin qu’un plus grand nombre de personnes nous accompagnent dans cette voie (qui reste libre !).
Framasoft a longtemps été considéré comme une porte d’entrée dans la culture du logiciel libre. L’avantage d’une porte, c’est qu’on peut la franchir dans les deux sens. Il est grand temps que nous proposions aussi d’être une porte de sortie, une ouverture vers ces mondes de la contribution, afin que nous les explorions ensemble.
La route est longue mais la voie est libre,
L’équipe de Framasoft.
Le site Dégooglisons Internet a servi, durant trois ans, à présenter une campagne d’information, d’actions, d’intentions de Framasoft tout en proposant un portail d’accès aux services qui venaient s’ajouter aux conquêtes de la communauté libriste.
Maintenant que nous avons conclu cette campagne, il va remplir une fonction unique : faciliter l’adoption de services éthiques, respectueux de ces données personnelles qui décrivent nos vies numériques. En trois ans, nous avons fait bien plus qu’héberger des services, et il était grand temps de vous présenter tout cela de manière claire et facile d’accès.
Dès l’accueil, nous vous invitons à faire feu des GAFAM (les géants du web que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) en expliquant en trois bulles la problématique à laquelle nous essayons de répondre.
Bien vite, on arrive au cœur de la proposition : les services. Si vous ne pouvez pas les essayer, comment pourrez-vous les adopter ? Nous vous invitons donc à trouver le service que vous cherchez suivant deux entrées possibles (on y reviendra !)
Néanmoins, tester des services n’est qu’une première étape, et nous vous proposons ensuite d’aller plus loin :
savoir s’il n’y aurait pas un hébergeur éthique près de chez vous : l’un des CHATONS.
Seulement voilà, vous pouvez aussi vous poser des questions sur les raisons d’une telle démarche. C’est même très sain, puisque c’est ainsi que peut naître la confiance (ou la défiance, d’ailleurs) : ce sentiment qui nous pousse à confier nos données, nos vies numériques, à un hébergeur. Nous exposons donc :
Un espace final est réservé aux médias qui ont parlé de cette aventure, avec un lien vers notre espace médias, que chacun·e peut librement visiter et utiliser.
Chacun·e peut trouver service à son pied
Nous avons décidé de présenter de deux manières différentes les 32 services qui sont actuellement à votre disposition, car tout le monde ne cherche pas de la même manière.
La première démarche, lorsque l’on cherche selon un besoin précis, correspond à cette partie de la page d’accueil :
La deuxième démarche consiste à chercher un service alternatif au service propriétaire que l’on utilise et que l’on connaît.
Ici vous retrouverez d’abord la fameuse carte Dégooglisons, où il vous suffit de cliquer sur le camp romain du service qui vous intéresse pour en découvrir une alternative.
Mais il n’y a pas que les « Framachins » dans la vie. Très vite, vous trouverez en dessous de cette carte une liste bien plus complète d’alternatives en tous genres pour se dégoogliser plus complètement. Cette liste est inspirée de l’excellent site Prism-Break, un site à garder dans ses marque-pages !
À vous de dégoogliser !
Vous l’avez saisi, l’idée du site degooglisons-internet.org, c’est qu’il vous soit utile. Que ce soit pour trouver des alternatives qui vous sont nécessaires, ou pour aider votre entourage à se dégoogliser, c’est désormais à vous de vous en emparer.
D’ailleurs, n’hésitez pas à aller visiter l’espace médias, qui s’est enrichi d’une fresque racontant ces trois années de Dégooglisons, ainsi que des dessins de Péhä, aux côtés de nombreux autres visuels libres… et à partager dans vos réseaux !
Nous espérons, sincèrement, que la refonte de ce site vous simplifiera la dégooglisation et même (soyons folles et fous) la vie !
Rassurez-vous : hors de question de fermer les services ni de s’arrêter en si bon chemin ! Seulement voilà : en octobre 2014, nous annoncions nous lancer dans la campagne Dégooglisons Internet pour les 3 années à venir.
3 ans plus tard, il est temps de conclure ce chapitre… pour mieux continuer cette histoire commune.
Nous nous lancions dans un pari flou, non pas celui de remplacer Google et consorts (il n’en a jamais été question, même s’il nous a fallu le préciser à chaque fois, à cause d’un titre trop accrocheur), mais celui de sensibiliser qui voulait l’entendre à un enjeu sociétal qui nous inquiète encore aujourd’hui : la captation des données numériques qui décrivent nos vies (rien de moins) par quelques grands acteurs privés, les trop fameux GAFAM (pour qui découvre tout cela, on parle de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et tous les prédateurs qui ne rêvent que de prendre leur place et qui un jour ou l’autre leur tailleront des croupières.
Pour cela, nous souhaitions démontrer que le logiciel libre est une alternative éthique et pratique, en proposant sur trois ans la mise en ligne de 30 services alternatifs à ceux des GAFAM, tous issus du logiciel libre. L’idée de cette démonstration, dans nos têtes, était simple :
Venez tester les services chez nous, utilisez-les tant que vous n’avez pas d’autre solution, puis voguez vers votre indépendance numérique en cherchant un hébergement mutualisé, en les hébergeant pour votre asso/école/syndicat/entreprise/etc. ou carrément en auto-hébergeant vos services web chez vous !
Sur le papier ça paraissait simple, comme allant de soi. Bon OK, c’était déjà un sacré défi, mais un défi naïf. Car nous n’avions pas prévu ni l’engouement de votre côté ni la complexité de proposer un tel parcours… Bref, nous nous sommes confrontés à la réalité.
C’est en dégooglisant qu’on devient dégooglisons
Nous avons eu la chance qu’une telle proposition (que d’autres ont pu faire avant nous et à leur manière, la mère zaclys, lautre.net, infini.fr, etc.) arrive à un moment et d’une façon qui a su parler à un public bien plus large que le petit monde libriste, tout en étant saluée par ce dernier.
Sauf qu’un grand coup de bol implique de grandes responsabilités : avec près d’une centaine de rencontres par an (publiques et/ou privées), que ce soit dans des conférences, des ateliers, des stands, des festivals, des partenariats… Nous avons appris et compris de nombreuses choses :
Proposer un service fonctionne mieux dans les conditions de la confiance (transparence sur les Conditions Générales d’Utilisation et le modèle économique, réputation, jusqu’à cet affreux nommage des Frama-trucs, qui rassure mais que même nous on n’en peut plus !) ;
Proposer ne suffit pas, il faut accompagner la transition vers un service libre, avec des tutoriaux, des exemples d’utilisation, un peu de bidouille esthétique – car nous ne sommes ni ergonomes, ni designers – des ateliers… et des réponses à vos questions. Donc beaucoup, beaucoup, beaucoup de support ;
Notre proposition deviendrait contre-productive et centraliserait vos vies numériques si nous ne nous lancions pas, en parallèle, dans les projets qui vous permettront à terme de sortir de Framasoft pour aller vers l’indépendance numérique (parce que les tutos « comment faire la même chose sur vos serveurs » , c’est bien… et ça ne suffit pas).
Nous avons donc passé trois ans à écouter, à chercher et à comprendre ce que signifiait Dégoogliser Internet. Dégoogliser, c’est :
et en même temps soutenir les personnes et communautés qui créent les logiciels derrière ces alternatives (la plupart du temps, ce n’est pas nous !!!) ;
et en même temps répondre aux invitations, aller à votre rencontre, faire des conférences et ateliers, communiquer sans cesse ;
et en même temps rester à votre écoute et répondre à vos questions aussi nombreuses que variées ;
et en même temps mettre en place les fondations vers des hébergements locaux et mutualités (comme les CHATONS, un collectif « d’AMAP du numérique ») ou vers l’auto-hébergement (en consacrant du temps salarié de développement au projet YUNOHOST) ;
et en même temps poursuivre une veille sur les nouvelles trouvailles des GAFAM pour mieux vous en informer, ainsi que sur ces personnes formidables qui cherchent à mieux cerner les dangers pour nos vies et nos sociétés;
et en même temps vous donner la parole pour mettre en lumière vos projets et initiatives ;
et en même temps ne pas oublier de vous demander votre soutien, car ce sont vos dons qui assurent notre budget pour continuer ;
et en même temps boire des coups, avec ou sans alcool modération (non parce qu’on va pas faire tout ça dans la tristesse, non plus, hein !).
Ce que l’on retient de ces trois années…
…c’est qu’il est temps d’arrêter. Non pas d’arrêter de Dégoogliser (c’est loin d’être fini : on vous prépare plein de belles choses !), mais d’arrêter de le faire comme ça, à une telle cadence. Il y a dans ces trois ans un aspect publish or perish, « sors un service ou finis aux oubliettes » , qui ne convient pas à l’attention et au soin que l’on veut apporter à nos propositions.
Jusqu’à présent, cette cadence nous a servi à proposer 32 alternatives, un ensemble sérieux et solide, mais continuer ainsi pourrait desservir tout le monde.
Certes, il serait possible de transformer Framasoft en entreprise, de faire une levée de fonds de quelques millions d’euros, d’en profiter pour faire un « séminaire de team building » aux Bahamas (ouais, on a besoin de repos ^^) et de… perdre notre identité et nos valeurs. Ce n’est clairement pas notre choix. En trois ans, notre association est passée de 2 à 7 permanent·e·s (avec environ 35 membres), et même si cette croissance pose déjà de nombreux soucis, nous sommes fier·e·s de rester cette bande de potes qui caractérise l’association Framasoft, et de ne pas nous prendre au sérieux (tout en faisant les choses le plus sérieusement possible).
Ce que l’on retient, aussi, c’est que la problématique des silos de données centralisés par quelques monopoles mérite une réponse bien plus complexe et complète que simplement proposer « 32 services alternatifs ». Nous pourrions continuer et faire grimper les enchères : « 42… 42 sur ma gauche, 53, ah ! 69 services ! Qui dit mieux ? », mais à quoi bon si on n’inscrit pas cette réponse dans un ensemble d’outils et de projets pensés différemment de ce « GAFAM way of life » qui nous est vendu avec chaque Google Home qui nous écoute, avec chaque iPhone qui nous dévisage, et avec tous ces autres projets ubérisants ?
Ce que l’on retient, enfin, c’est que nombre de personnes (qui ne s’intéressent pas spécialement à l’informatique ni au Libre) partagent, parfois sans le savoir, les valeurs du Libre. Ce sont des membres d’associations, de fédérations, des gens de l’Économie Sociale et Solidaire, de l’éducation populaire, du personnel enseignant, encadrant, formateur. Ce sont des personnes impliquées dans une vie locale, dans des MJC, des tiers-lieux, des locaux syndicaux, des espaces de co-working et des maisons associatives. Ce sont des personnes à même de comprendre, intégrer et partager ces valeurs autour d’elles et de nous enseigner leurs valeurs, connaissances et savoirs en retour.
Le plus souvent : c’est vous.
« OK, mais il est où mon Framamail ? »
Alors voilà, touchant du doigt la fin des 3 années annoncées, c’est l’occasion de faire le bilan (on vous prépare une belle infographie afin de raconter cela) et de prendre un peu de recul pour chercher quelle suite donner à cette aventure. Car c’est loin d’être fini : si nous avons bel et bien dégooglisé trente services, c’est que nous en avons rajouté en cours de route, et certains ne sont pas (encore) là…
Nous allons vous décevoir tout de suite : nous n’allons pas proposer de Framamail, tout du moins pas sous la forme que vous imaginez. L’e-mail est une technologie à la fois simple (dans sa conception) et extrêmement complexe (dans sa maintenance parmi le champ de mines que sont les SPAM et les règles imposées par les géants du web). C’est d’autant plus complexe si vous avez un grand nombre de boîtes mail à gérer (et ouvrir un Framamail, c’est risquer d’avoir 10 000 inscriptions dès la première semaine -_-…)
Nous sommes dans l’exemple typique de ce que l’on décrivait juste avant : si on ouvre un Framamail, et si on ne veut pas de pannes de plus de deux heures sur un outil aussi sensible, il nous faut embaucher deux administratrices système et un technicien support à plein temps juste pour ce service. Ce qui peut se financer par vos dons… mais au détriment des autres services et projets ; ou en faisant de vous des clients-consommateurs (alors que, depuis le début, nous cherchons à prendre chacun de nos échanges avec vous comme autant de contributions à cette aventure commune).
Heureusement, il existe d’autres pistes à explorer… pour l’email tout comme pour les alternatives à YouTube, Change.org, MeetUp, Blogger qu’il nous reste à rayer de la carte !
Bienvenue au banquet de Dégooglisons !
Il est donc temps de clore cet album, de sortir des gauloiseries en vous invitant à aiguiser vos canines sur les GAFAM… Nous en profitons pour remercier l’illustrateur Péhä de cette magnifique image qui nous permet de conclure en beauté ces trois années d’expérimentations en commun.
Nous vous proposons, dès aujourd’hui, une refonte complète du site Dégooglisons Internet visant à répondre au plus vite à vos attentes. C’est un peu la v1, la première mouture finie de ce portail, après trois années de gestation. Nous espérons que vous aurez encore plus de facilité à partager ce site pour Dégoogliser votre entourage.
Cette conclusion est pour nous l’opportunité d’avoir une pensée emplie de gratitude et de datalove pour toutes les personnes, les communautés, les bénévoles, les donatrices, les salariés, les passionnées, les partageurs, les contributrices… bref, pour cette foultitude qui a rendu cela possible.
Chaque fin d’album est surtout l’occasion de tourner la page, afin d’ouvrir un nouveau chapitre… Promis, ceci n’est que le début, on en reparle d’ici quelques semaines.
Merci, vraiment, du fond de nos petits cœurs de libristes, et à très vite,