Nous sommes tous des gus dans un garage

Shym0n - CC by« Nous sommes tous des juifs allemands » est l’une des citations célèbres de mai 68, proclamée par la jeunesse en signe de solidarité à Daniel Cohn-Bendit, alors interdit de séjour en France.

Ce soir, la Quadrature du Net peut compter sur « un gus de plus dans son garage », suite à la rocambolesque affaire de la dépêche AFP modifiée que nous relate le site PC INpact.

Ce dimanche 8 mars à 8h13, la dépêche AFP, titrée « Internet : texte antipiratage à l’Assemblée pour la défense de la création », se terminait ainsi :

Un collectif de citoyens, la Quadrature du Net, encourage les internautes à abreuver les députés de mails hostiles à cette loi. « Ce sont cinq gus dans un garage qui font des mails à la chaîne », relativise le cabinet de Mme Albanel.

Une « pointe » de mépris que ne manquât pas de relever PC INpact dans son premier article La Quadrature ? « 5 gus dans un garage » pour le cabinet d’Albanel.

Consciencieux, PC INpact nous a alors pondu un deuxième article : Réaction de la Quadrature du Net aux propos du ministère dont voici un large extrait :

Jérémie Zimmermann : « Nous sommes flattés de tant d’attention de la part du ministère ! Cela prouve que l’action des nombreux citoyens épris de liberté qui contactent leurs députés commence à porter ses fruits. Cela révèle la peur de la ministre de se retrouver confrontée aux réalités techniques et à l’opinion des citoyens. Quelque chose nous dit qu’elle n’a pas fini de nous faire rire !

Internet et les technologies numériques, dont le cabinet de la ministre démontre sa méconnaissance totale dans cette loi imbécile, ont été en grande partie inventés par des gus dans des garages ! C’est peut-être un juste retour des choses : l’arrivée dans le débat des gus dans les garages après des années de lobbyistes dans les cabinets ministériels.

Il faut continuer à informer ses députés, en prenant bien soin d’envoyer des mails personnalisés, et surtout en téléphonant et sollicitant des entretiens ! »

Un peu plus tard dans la journée, troisième épisode et coup de théâtre : la dépêche originale de l’AFP a été « mise à jour » et ne figure alors plus la mention des « gus dans leur garage » !

Le problème c’est qu’il est assez difficile de jouer les cachottiers sur Internet[1]. Toujours aussi consciencieux, PC INpact a en effet gardé une copie écran de la première version de la dépêche dans ce dernier article intitulé La communication autour de la loi antipiratage commence mal.

Vous voulez que je vous dise… je crois que nous nous sommes trouvés un beau slogan !

Merci l’AFP, Mme Albanel et son cabinet.

Notes

[1] Crédit photo : Shym0n (Creative Commons By)




De l’efficacité des agités du bocal Internet

Grégoire Lannoy - CC byNumerama et le Framablog ont une intersection de lecteurs non vide mais une réunion non confondue. Lorsque l’excellent Guillaume Champeau a mis en ligne l’article que je vous propose reproduit ci-dessous, je lui ai de suite envoyé un mail pour le féliciter et lui dire qu’il me dispensait alors d’écrire un billet similaire qui me trottait dans la tête depuis un petit bout de temps (oui, je sais, ça mange pas de pain, et ça fonctionne avec tout le monde : bonjour Mr Kant, merci pour votre Critique de la raison pure, que j’avais justement pour projet de rédiger…).

Comment se fait-il qu’on se retrouve avec un projet de loi Hadopi qui fait quasiment l’unanimité contre lui sur le Net mais qui se heurte à l’indifférence de Mme Michu ? La faute aux grands médias ? Non, la faute aux internautes qui se complaisent à penser qu’en restant assis le cul derrière leur chaise à parer leur site de noir, il vont faire pencher la balance du bon côté. Telle serait, en (très) gros, la problématique posée par l’article.

Bon, il faut dire aussi que l’on n’est pas forcément aidé par nos représentants publiques, à commencer par certains partis politiques[1] traditionnels qui se distinguent par leur… atonie ! Le parti Chasse, pêche, nature et traditions défend des intérêts bien identifiés, faudra-t-il en venir à la création d’un équivalent du Parti pirate suédois ?

En apparté : Même si de gros progrès ont eu lieu ces derniers temps sous l’impulsion de nombreux acteurs de terrain, on est assez proche de la même situation pour ce qui concerne Mme Michu et les logiciels libres : il y a bien un moment où il faut descendre dans l’arène si on veut réellement être efficace et rassembleur (on en parlait hier justement).

Riposte graduée : pourquoi la contestation s’arrête aux frontières du net ?

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Guillaume Champeau – 5 mars 2009 – Numerama.com
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A moins d’une semaine de l’examen du projet de loi Création et Internet, le débat sur la riposte graduée et ses implications sur la société tout entière n’a pas émergé. Pas en dehors du net, où les voix, pourtant extrêmement nombreuses et majoritaires, ne se font pas entendre. Pourquoi ?

Le débat sur la loi Création et Internet et la riposte graduée doit débuter mardi à l’Assemblée Nationale. Et Madame Michu l’ignore.

Elle ignore que le texte présenté par le gouvernement prévoit de l’obliger à sécuriser sa connexion à Internet, et qu’elle n’aura ni les moyens juridiques ni les moyens matériels de se défendre si, par malheur, elle était accusée par l’Hadopi d’avoir téléchargé le dernier single de P. Diddy. Laurence Ferrari ne l’a pas prévenue.

Elle ignore, aussi, que le texte pose la première pierre d’une obligation générale de filtrage qui, sans qu’un juge n’ait son mot à dire, aboutira à limiter la liberté d’expression de ses concitoyens, au bon vouloir du gouvernement. David Pujadas n’en a rien dit.

Elle ignore enfin, que le paysage dévasté par le piratage que décrit Nicolas Sarkozy a été dessiné par les lobbys qui ont intérêt à voir la loi s’appliquer, alors qu’il est en fait riche de mille fleurs et n’a jamais été aussi prolifique. Le Président l’a dit dans sa dernière interview : « on m’a fait beaucoup de reproches dans ma vie politique, pas de mentir ». Comment Madame Michu pourrait-elle en douter ?

Comment Madame Michu pourrait-elle savoir que le projet de loi anti-piratage qu’on lui présente comme un texte de pédagogie et de méthode douce favorable aux artistes vise en réalité à contourner la justice au bénéfice de quelques intérêts privés et à imposer à tous les internautes des outils de filtrage qui pourront être employés, à des fins politiques, pour censurer tel ou tel site Internet gênant. Ou, de manière plus subtile et en apparence plus démocratique, pour favoriser les sites d’information sponsorisés par l’Etat qui recevront un label de qualité pris en compte par les filtres imposés par l’Hadopi ?

La loi Création et Internet n’est pas une loi sur le piratage, c’est une loi sur la liberté d’expression, qui concerne tout le monde.

L’opposition, sur Internet, existe. Elle est même très vive. Il est difficile, voire impossible, de trouver des communautés favorables à la loi, y compris dans les rangs de l’UMP. Mais comme au moment de la loi DADVSI, le débat reste figé dans les frontières d’Internet. Les actions, qu’elles soient symboliques ou plus musclées, restent cloîtrées dans les mailles de fibres optiques, sans jamais atteindre le tube cathodique (ou la dalle LCD) de Madame Michu. Même François Bayrou, qui a fait de la défense des valeurs républicaines et d’Internet son cheval de bataille lors la dernière élection présidentielle, se désintéresse totalement de la loi Création et Internet alors qu’elle pourrait apporter au MoDem une vitrine précieuse à quelques mois des élections européennes. Les quelques députés du Parti Socialiste qui s’apprêtent à défendre avec force les internautes à l’hémicycle, le feront sans le soutien public de leur première secrétaire Martine Aubry, qui se garde bien de se mettre les artistes les plus populaires à dos, et surtout sans la force médiatique que peut offrir l’appareil lorsqu’il se met en marche pour attaquer le fichier Edvige ou le CPE.

Comme il y a trois ans avec la loi DADVSI, le débat sur la loi Création et Internet restera un débat de spécialistes, concentré sur les questions techniques et sur les dommages causés par le piratage, sans que les questions sociétales ne soient soulevées.

La faute aux médias ? Non, la faute aux internautes, incapables de porter leur opposition au delà des frontières du numérique.

Nicolas Vanbremeersch, plus connu sous le pseudonyme de Versac, tente une explication intéressante sur le site Slate.fr : « Les internautes sont incapables de s’organiser pour faire pression avec efficacité (…) Il existe un camp, en France, prêt à rassembler plusieurs centaines de milliers de signataires sur une pétition, plusieurs dizaines de milliers de relais actifs, mais incapable de transformer cette action dans la vraie vie (…) Le web manque d’acteurs qui ont un réel intérêt dans cette affaire. Pas de génération spontanée d’acteur fédérateur, militant, actif. »

« Cette absence de mobilisation est symptomatique, non de la déshérence des internautes, mais de l’atonie des corps constitués, des intermédiaires de représentation, des syndicats et associations, qui, pour la plupart, ne sont pas à la recherche de soutiens populaires, d’appels à mobilisations. C’est également symptomatique d’un corps politique également assez protégé de l’opinion, et attendant plus de son leader politique que des citoyens mobilisés. A force de blocages, de manque d’ouvertures, d’autisme, les corps constitués anéantissent l’espoir des citoyens que leurs mobilisations puissent parvenir à quelque chose. La lassitude est forte. »

« A travers le débat sur Hadopi, c’est en fait l’effritement d’un système médiatique et politique, ses failles, ses lambeaux de peinture, qui sont mis sous nos yeux, et la nécessité d’une forme de renouveau, qui peut venir du web, qui est, en creux, mise en exergue », estime Nicolas Vanbremeersch.

Le net, qui réinvente des modèles économiques parfois proches d’une forme de néo-communisme, porte peut-être en lui le germe d’une nouvelle démocratie qui ne voit pas l’utilité d’aller se faire entendre dans le champ traditionnel de la démocratie déclinante. On commence à voir apparaître, en Suède, toute une nouvelle génération d’électeurs prête à porter aux urnes une nouvelle forme de démocratie. Si les lois ne s’adaptent pas à Internet, les internautes les ignoreront, comme ils l’ont fait depuis 10 ans des lois anti-piratage. Chaque nouvelle législation qui tente de ramener Internet vers les lois historiques de la démocratie traditionnelle en ignorant les spécificités et la culture sociétales portées par Internet accentuent une tension entre deux mondes qui, un jour, explosera, sous une forme ou sous une autre.

Et vous, qu’en pensez-vous ? Pourquoi sommes nous incapables de lancer des chaussures contre le ministère de la culture, d’entourer le cercueil de la justice dans une longue procession funèbre de la place Vendôme jusqu’à la Bastille, ou de bloquer les trains gare du Nord ?

Notes

[1] Crédit photo : Grégoire Lannoy (Creative Commons)




Hadopi : le scénario catastrophe mais plausible de l’Isoc France

Karynsig - CC byIl n’y a pas que les « anarchistes du Net » et les « hacktivistes libristes » qui sont contre le projet de loi Internet et Création. Il y a aussi des « gens très sérieux » qui réfléchissent depuis longtemps à toutes ces questions.

Fondée en mars 1996 par une poignée de pionniers, l’Isoc France est le Chapitre Français de l’Isoc. Association internationale. Sa mission prioritaire est d’être l’un des « interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics et des entreprises sur l’ensemble des questions de gouvernance d’Internet, tant sur le plan technique que sociétal ».

Or l’Isoc France vient de nous pondre, sous la plume de Paul Guermonprez, un « article de prospective » de poids à verser au dossier : Loi Création et Internet « Le boomerang législatif » Janvier 2009 – Avril 2010, article qui tente d’anticiper les conséquences du projet de loi.

De la pure science-fiction ? Rien n’est moins sûr malheureusement !

Je vous invite vivement à le lire (13 pages). D’abord parce que, nonobstant le sentiment d’épouvante[1] qui nous étreint parfois, c’est fort instructif. Mais également parce qu’il s’agit en quelque sorte, et selon moi, du coup de grâce porté à la loi.

Ce document est résumé dans le communiqué de l’Isoc France que je me suis permis de reproduire ci-dessous.

Création & Internet : le boomerang législatif

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Isoc France – 24 février 2009 – Communiqué de Presse

Loin de provoquer un changement des mentalités sur le respect des droits des auteurs et de la distribution la loi Création et Internet, peu adaptée à la complexité du terrain numérique, va générer des tensions fortes et de nombreux problèmes d’application.

Le Chapitre Français de l’Internet Society remonte en ligne, à quelques jours de la soumission de la Loi devant l’Assemblée Nationale. Le débat est loin d’être clos.

Évolution des mentalités : Le conflit direct entre détenteurs de droits et le public sans intervention des forces de l’ordre et de la justice va créer une tension improductive et n’aura pas de portée éducative. De même que l’interdit bancaire n’a jamais appris à lutter contre l’endettement, le bannissement d’Internet ne sera pas utile pour éduquer sur le respect du droit d’auteur.

Pratique : Les internautes pirates vont continuer à télécharger par des méthodes techniquement différentes à l’abri des poursuites (P2P sans tracker, site d’archives, serveurs payants). L’échange de main à main se développera, provoquant un coming-out de leurs auteurs et une plus grande acceptation sociale.

Marché : Le monopole d’iTunes se renforcera et les inconvénients pour les producteurs d’un monopole apparaîtront plus clairement. La monétisation des œuvres prendra des formes plus variées (publicité/streaming, P2P légal). Les producteurs indépendants continueront leur évolution vers des offres directes fortement rémunératrices.

Effets collatéraux : Premièrement le réseau ne sera plus neutre – avec de nombreuses répercutions : déséquilibre entre compagnies productrices et entre opérateurs, frein au développement d’offres et services innovants. Les points d’accès non personnels (HotSpots publics, cafés internet…) seront fermés ou restreints à une liste blanche, notamment les réseaux WiMax dans les zones rurales, excluant d’Internet une partie des Français !

Politique : De neutre et universel, le réseau évoluera vers un intranet proposant l’offre d’un opérateur-producteur. De plus cette rupture provoquera une politisation involontaire du réseau, certains extrémistes allant jusqu’à saboter les infrastructures. D’un acte illégal et peu réfléchi, le piratage deviendra un acte politique de rébellion anti-majors et anti-Sarkozy.

Pour toutes ces raisons, l’Isoc France considère que cette loi « Création et Internet » est une bombe à retardement !

Une version de prospective 2009-2010 (13 pages) est disponible.

Notes

[1] Crédit photo : Karynsig (Creative Commons By)




Projet de loi Création et Internet : l’April s’insurge et appelle à la mobilisation

Qualifié, malheureusement à juste titre, de DADVSI 2, le projet de loi « Création et Internet » (ou Hadopi) vient de chauffer aux oreilles de l’April. Il faut dire qu’il y a de quoi et le rapporteur (et benjamin) de l’UMP Franck Riester d’en prendre pour son grade.

Je vous laisse, je dois contacter mon député…

Riposte graduée : le rapporteur s’oppose à l’interopérabilité, l’April appelle à la mobilisation

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APRIL – 23 février 2009 – Communiqué de presse

Trois ans après DADVSI, le gouvernement et la majorité semblent n’avoir rien retenu des débats sur l’interopérabilité[1] et le logiciel libre. Lors de l’examen du texte « Création et Internet » en commission des lois de l’Assemblée nationale, le rapporteur UMP Franck Riester s’est opposé à l’interopérabilité des moyens de sécurisation imposés par le projet de loi, au motif que l’interopérabilité empêcherait le libre choix de l’utilisateur ! L’April s’insurge et appelle chacun à contacter son député pour l’alerter.

Véritable DADVSI 2, le projet de loi « Création et Internet » déjà validé par le Sénat est actuellement programmé à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Après un examen en commissions, le texte sera examiné en séance à partir du 10 mars 2009.

L’essentiel du projet de loi est bien d’échafauder une nouvelle autorité administrative – l’Hadopi[2] – qui aura pour but de faire une répression de masse sur la base de relevés informatiques. Mais il prévoit également d’imposer aux titulaires d’un accès à Internet des « moyens de sécurisation » visant à empêcher que leur connexion soit utilisée pour commettre des infractions.

« On ignore tout de la nature de ces moyens de sécurisation : on ne sait pas ce qu’ils font, ni où ils s’installent, et quelle est la maîtrise que l’utilisateur pourra en avoir, » déplore Alix Cazenave, responsable des affaires publiques de l’April. « Qu’ils ne fassent pas le jeu d’éditeurs pratiquant la vente liée serait un minimum ! » L’April a d’ailleurs été reçue par des députés de tous les groupes pour leur faire part de ses questions et de ses inquiétudes[3].

Pourtant sur la question précise de l’interopérabilité, les députés Jean Dionis du Séjour (Nouveau Centre) et Patrick Bloche (Socialiste, Radical et Citoyen) se sont heurtés à un refus catégorique du rapporteur, motivé par un argument que nul n’aurait imaginé : il est simplement défavorable à l’interopérabilité[4] ! Il s’est de même opposé à ce que l’abonné soit exonéré de sa responsabilité lorsqu’il n’existe pas de moyens de sécurisation adaptés à sa configuration. L’April avait pourtant, dès le 6 mars 2008[5], alerté le conseiller juridique de la ministre de la culture sur le risque que comporte ce genre de mesures pour l’interopérabilité et le logiciel libre. À l’époque déjà, aucune réponse n’avait été apportée quant à la nature de ces moyens de sécurisation, le conseiller Henrard se contentant d’affirmer que la loi créerait le marché (sic).

« Ce que Franck Riester ne comprend pas, c’est que l’interopérabilité est le libre choix des consommateurs. On se croirait de retour en 2006 avec le benjamin de l’époque, Laurent Wauquiez, qui avait au moins eu l’honnêteté de reconnaître son incompétence[6]. En 2005, la SACEM voulait nous faire changer nos licences[7] ; Franck Riester voudrait-il nous obliger à changer de système d’exploitation ?», s’interroge Frédéric Couchet, délégué général de l’April.

« Monsieur Riester est la preuve qu’il reste encore à l’Assemblée nationale des députés opposés à l’interopérabilité et au logiciel libre[8]. Il soutient un dispositif qui va, une fois de plus, pénaliser sans aucune justification les auteurs et utilisateurs de logiciels libres, les mettant dans une situation d’insécurité juridique absolument inacceptable. Le groupe UMP a décidément bien choisi son rapporteur : tout comme cette loi, il nie la réalité technique, protège des intérêts particuliers et souffre d’un archaïsme affligeant » s’insurge Benoît Sibaud, président de l’April.

Comme pour DADVSI, l’urgence est déclarée. Comme pour DADVSI, ce texte est annoncé comme le remède miracle contre le téléchargement non autorisé d’œuvres en peer-to-peer. Comme pour DADVSI, des mesures « techniques » de contrôle d’usage sont imposées. Comme pour DADVSI, l’interopérabilité est méprisée. Comme pour DADVSI, le logiciel libre est ignoré, et ses utilisateurs menacés.

C’est pourquoi, comme pour la loi DADVSI, l’April appelle tous les citoyens attachés au logiciel libre à contacter leurs députés[9] et à les alerter afin qu’ils s’opposent à cette nouvelle menace. Elle les invite également à écrire au rapporteur Riester pour lui demander de revenir sur ses positions inacceptables.

Notes

[1] rappelons au passage l’article 7, adopté le 16 mars en seconde délibération à l’unanimité, faisant de la France le premier pays d’Europe à véritablement défendre activement l’interopérabilité, première mondiale saluée Outre-Atlantique. Communiqué du 18 avril 2006 « Projet de loi "DADVSI" : à contre-courant, le Sénat rejette l’interopérabilité et prône la brevetabilité du logiciel ».

[2] Haute Autorité pour la diffusion et la protection des œuvres sur Internet, créée à partir de l’Autorité de régulation des mesures techniques de la loi DADVSI.

[3] Notamment les porte-paroles des groupes Nouveau Centre (NC), Socialiste, Radical et Citoyen (SRC), Gauche Démocratique et Républicaine (GDR), ainsi que par la rapporteure pour avis (UMP) de la commission des affaires culturelles. Elle doit également être auditionnée par le rapporteur pour avis (UMP) de la commission des affaires économiques.

[4] Extrait du compte-rendu n°28 de la réunion de la commission des lois, mercredi 18 février 2009, séance de 9h30 : — Art. L. 331-30 (nouveau) du code de la propriété intellectuelle : Liste des moyens de sécurisation efficaces : La Commission adopte un amendement du rapporteur précisant les consultations auxquelles la HADOPI devra procéder avant de rendre officielles les spécifications fonctionnelles des moyens de sécurisation et supprimant l’établissement d’une liste officielle de ces spécifications. Elle est ensuite saisie d’un amendement de M. Jean Dionis du Séjour précisant que les moyens de sécurisation devront être interopérables et mis à la disposition des consommateurs gratuitement. – M. le rapporteur : Les moyens de sécurisation mis en place ne sauraient être gratuits, à l’image des logiciels de contrôle parental, mis à la disposition des consommateurs à titre payant, même si leur prix est modique. – M. Jean Dionis du Séjour : J’accepte de supprimer de mon amendement la condition de gratuité. – M. le rapporteur : J’en viens au second objet de l’amendement : l’interopérabilité. Je n’y suis pas favorable. Il faut laisser au consommateur sa totale liberté de choix en fonction de son système d’exploitation. L’interopérabilité n’est pas nécessaire pour les consommateurs et elle est trop contraignante pour les éditeurs de logiciels. La Commission rejette l’amendement, puis adopte deux amendements du rapporteur, le premier visant à préciser que la HADOPI établit une liste labellisant les moyens de sécurisation, le second de nature rédactionnelle. Elle rejette ensuite, par cohérence, un amendement de M. Patrick Bloche précisant que les moyens de sécurisation devront être interopérables et mis à la disposition des consommateurs gratuitement.

[5] Voir le compte rendu de la réunion avec Laurent Ladouari et Olivier Henrard.

[6] « Nous devons reconnaître honnêtement les limites de nos compétences techniques – certains d’entre nous en ont apporté la preuve, moi le premier hier soir – sur des sujets extrêmement techniques comme le MP4 ou les fichiers MP3. » – Laurent Wauquiez, député UMP benjamin de l’AN sous la XIIème législature, porteur de la partie civile de l’amendement Vivendi, lors de l’examen du DADVSI. Franck Riester est « benjamin du groupe UMP et troisième plus jeune député de l’hémicycle » selon ce portrait.

[7] « Vendredi 18 novembre 2005, au ministère de la Culture, le SNEP et la SCPP déclarent aux auteurs de Logiciel Libre : « Vous allez changer vos licences. » La SACEM ajoute : « Vous allez arrêter de publier vos logiciels. » Et se déclare prête à « poursuivre les auteurs de logiciels libres continuant de divulguer leur code source » – Extrait du communiqué de presse de la FSF France du 25 novembre 2005.

[8] Contrairement au prédécesseur de Franck Riester sur la 5ème circonscription de Seine-et-Marne, Guy Drut, UMP lui aussi, qui a été un des questeurs à l’origine de la migration vers le logiciel libre du poste de travail des députés français.

[9] Pour une liste des députés, leurs fiches individuelles et leurs coordonnées, voir également le Mémoire Politique disponible sur le wiki de la Quadrature du Net.




Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 1/6

Dossier Wikipédia - Étudiants de Jon Beasley-Murray - CC byTous les articles de l’encyclopédie libre Wikipédia possèdent un historique. Certains ont même une véritable histoire…

Il existe dans Wikipédia des articles qui possèdent le label « Article de Qualité » ou le label « Bon Article ». Il s’agit de « refléter la diversité et la richesse de l’encyclopédie ». Pour qu’un article puisse y prétendre, il doit répondre à certains critères parmi lesquels avant tout la qualité encyclopédique (clarté, exhaustivité, neutralité, pertinence, citation des sources…) mais aussi la qualité de finition (orthographe, syntaxe, mise en page, illustrations…) et le respect des licences. Tout contributeur peut y soumettre un article et tout contributeur peut participer au processus de vote.

Au moment où j’écris ces lignes, on trouve dans la version française de Wikipédia 527 « Articles de Qualité » et 529 « Bons Articles » sur un total de 765 360 articles. Moins de 0,1% des articles de l’encyclopédie sont des « Articles de Qualité » ou des « Bons Articles ».

La version anglaise de l’encyclopédie Wikipédia a pris l’habitude de mettre chaque jour en lumière sur sa page d’accueil un « Article de Qualité » fraîchement labellisé. Le 5 mai 2008, c’est l’article El Señor Presidente, traitant du roman éponyme du prix Nobel guatémaltèque Miguel Ángel Asturias, qui a connu ce petit honneur. C’est l’histoire pédagogiquement remarquable de cet article (et de quelques autres connexes) que nous vous proposons aujourd’hui dans ce mini-dossier de six pages.

Jon Beasley-Murray est professeur de littérature latino-américaine à l’Université de la Colombie Britannique (Vancouver – Canada). Ayant constaté que ce domaine était très faiblement couvert par la version anglaise de Wikipédia, il a décidé d’intégrer l’encyclopédie à l’un de ses cours en lançant le « défi » suivant à ses étudiants : quitte à les créer pour l’occasion, choisissons quelques articles afférents, répartissez-vous par groupes, et faisons en sorte qu’ils obtiennent tous le label « Article de Qualité » dans le temps imparti du semestre universitaire.

Le chemin fut semé d’embûches, certains écueils ne purent être évités et l’implication ne fut pas forcément la même pour tout le monde, mais globalement le succès aura été au rendez-vous. Succès pour les étudiants, pour leur professeur, mais aussi pour Wikipédia qui se retrouve non seulement avec des articles bonifiés mais également avec un exemple, décrit et analysé par ses acteurs, dont on peut dresser le bilan et s’interroger sur les conditions de sa reproductibilité.

Oscillant entre la tentation de l’interdiction et la préconisation sans précaution, le corps enseignant a souvent du mal à composer avec cet objet mutant qu’est Wikipédia, dont il ne peut que constater l’usage massif qu’en font, pas toujours à bon escient, leurs étudiants. Le malaise est latent, pour ne pas dire patent, et aboutit à ce que Wikipédia et monde éducatif se regardent parfois un peu en chien de faïence (cf notre page de liens connexes).

Ce projet pédagogique pose de nombreuses questions, apportent quelques réponses et permet en outre à tout lecteur non familier avec Wikipédia de mieux comprendre ce qu’est réellement l’encyclopédie et comment elle fonctionne « de l’intérieur ». C’est pourquoi il nous est apparu intéressant de l’étudier dans le détail en traduisant ces quelques articles qui sont autant de témoignages enrichissants. Pour ajouter modestement notre contribution au débat, lever éventuellement quelques malentendus, et, sait-on jamais, inciter certains collègues à se lancer eux-aussi dans une future et similaire aventure…

Dans la mesure où ce dossier est conséquent et qu’il est peut-être plus confortable de lire le tout sur papier imprimé, vous trouverez ci-dessous en annexe une version complète au format PDF (merci Garburst).

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008




Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 2/6

Cet article fait partie du dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation.

C’est la traduction du témoignage de l’enseignant qui est ici présentée.

Copie d'écran - Wikipédia - Jon Beasley-Murray

Introduction de Wikipédia dans les salles de classe : le loup est-il dans la bergerie ?

Was introducing Wikipedia to the classroom an act of madness leading only to mayhem if not murder?

Jon Beasley-Murray – avril 2008 – Wikipédia
(Traduction Framalang : Olivier)

Réflexions sur l’utilisation de Wikipédia dans le cadre du cours SPAN312 à l’Université de la Colombie Britannique, « Murder, Madness, and Mayhem: Latin American Literature in Translation » (NdT : « Meurtre, Folie et Chaos : la littérature latino-américaine en mouvement »), printemps 2008.

Wikipédia : mal aimée mais omniprésente dans l’éducation

Tel un membre non invité, Wikipédia s’aventure aujourd’hui très près du monde universitaire. Les objectifs de Wikipédia sont éminemment académiques : l’encyclopédie se focalise sur la collecte, le traitement, l’enregistrement et la transmission du savoir. À en juger par le nombre d’articles et de lecteurs, elle a particulièrement bien réussi à encourager une culture de curiosité intellectuelle. Elle est pourtant régulièrement sujette aux critiques formulées par les universitaires eux-mêmes.

Et pourtant tout le monde en fait usage d’une manière ou d’une autre, même si c’est difficile à admettre. Et surtout, nos étudiants l’utilisent, ouvertement ou non (puisqu’on leur impose souvent de ne pas citer les articles de Wikipédia dans leurs travaux), mais sans nécessairement en connaître véritablement le fonctionnement. On leur dit que l’usage de Wikipédia n’est pas conseillé, mais on leur dit rarement pourquoi, alors qu’eux la voient comme une ressource incroyablement utile.

La consigne : créer un « Article de Qualité »

J’ai décidé de faire de Wikipédia un axe central d’une matière que j’enseignais, en pensant que c’est seulement en y contribuant activement que les élèves découvriraient ses points faibles et ses points forts. J’avais aussi en tête l’idée qu’ils pourraient par la même occasion améliorer les articles dans un domaine qui à mes yeux manquait cruellement de contenu, en l’occurrence la littérature latino-américaine.

Wikipédia devait être un point important du cours mais sans en être pour autant l’essentiel. Ce n’était pas un cours sur Wikipédia mais, comme mes autres cours, il devait plutôt se concentrer sur l’Amérique Latine ainsi que sur la lecture d’un corpus de textes littéraires d’Amérique Latine. Dans ce cours intitulé « Murder, Madness, and Mayhem » (NdT : Meurtre, Folie et Chaos), les textes choisis comportaient une série de romans sur la dictature de la période du dix-neuvième siècle avec l’argentin Domingo Faustino Sarmiento jusqu’à l’époque contemporaine avec certains des auteurs d’Amérique Latine les plus en vue comme Gabriel García Márquez et Mario Vargas Llosa. Ces livres n’étant ni simples ni courts, les étudiants devaient passer une bonne partie de leur temps personnel à la lecture, la majeure partie du temps en classe étant consacrée aux explications et à la discussion.

Wikipédia n’était que peu abordé durant les cours. La tâche qui leur était assignée était plutôt d’éditer (ou, dans deux cas, de créer), en groupe, les articles de Wikipédia se rapportant aux œuvres et aux auteurs étudiés. Au cours de la session ils devaient réussir à faire obtenir à ces articles ce qu’on nomme dans le jargon Wikipédia le grade d’Article de Qualité.

Lorsque je leur ai assigné cette tâche je ne réalisais pas à quel point c’était ambitieux. Wikipédia définit un Article de Qualité comme un article qui « représente ce que l’on peut de trouver de mieux, et qui répond à des standards professionnels d’écriture et de présentation ». Et ces standards placent de fait la barre très haut. C’est manifestement un des paradoxes de Wikipédia : ses standards sont irréprochables alors même que la majeure partie de son contenu en est fort éloigné. Pour vous donner une idée, moins de 0,1% des articles de Wikipédia possèdent le label Article de Qualité.

En effet, alors que Wikipédia a déjà fait l’objet de nombreux projets pédagogiques au sein d’universités aussi dispersées que celles de Sydney, Hong-Kong, Minnesota et Leiden, c’était à ma connaissance la première fois qu’on demandait explicitement à des étudiants de créer des Articles de Qualité.

Considérations initiales : les avantages de Wikipédia

En plus d’enseigner (même indirectement) aux étudiants les faiblesses et les forces de Wikipédia et en même temps (peut-être incidemment) d’améliorer le contenu de l’encyclopédie concernant l’Amérique Latine, d’autres raisons plus positives venaient étayer ce choix de travail.

L’idée que les étudiants se lançaient dans un projet concret ayant des effets tangibles et publics, à défaut d’être éternels, me plaisait. Après tout, une dissertation ou un examen est un parfait exemple de travail inutile : souvent rédigé à la hâte pour un lecteur unique, le professeur, et ensuite mis de côté.

Je trouve regrettable qu’à de rares exceptions près, comme par exemple dans les ateliers d’écriture, les étudiants ne soient pas plus encouragés à relire et à réfléchir à leur propre travail, où trop souvent ils ne font que jeter un coup d’œil aux commentaires que le professeur aura laborieusement griffonné. C’est compréhensible, puisqu’ayant à ce stade très peu de chances de pouvoir retravailler leur devoir, ils ne s’intéressent alors qu’à leur note et c’est tout. Les étudiants ne découvrent que rarement l’importance des corrections dans un bon travail d’écriture. Alors qu’au contraire, sur Wikipédia, les corrections font (presque) tout : les contributeurs sont appelés « éditeurs » justement parce que leurs écrits sont en permanence au stade de la correction.

De plus ils participeraient à l’élaboration de pages qui, pour certaines (l’article sur Gabriel García Márquez par exemple), reçoivent plus de 60 000 visiteurs par mois. Même les articles les moins visités sur lesquels ils travaillaient recevaient plusieurs centaines de visites par mois. Ici ils écrivaient des articles pour un lectorat ayant la possibilité rare de répondre, de ré-écrire et de commenter le contenu qu’ils produisaient. En effet, travailler sur Wikipédia ouvre la porte au travail collaboratif : les étudiants devaient non seulement collaborer entre eux, mais aussi avec d’autres éditeurs ou des wikipédiens qu’ils ne rencontraient que sur le wiki.

Pour finir, l’idée même que l’attribution de la note soit extérieure à la classe m’attirait. L’idée que le travail soit jaugé à l’aune de son impact et non par le jugement personnel d’un professeur (aussi professionnel soit-il) me plaisait. Dès le départ, j’ai établi avec eux que les groupes qui réussiraient à faire obtenir à leur article la mention Article de Qualité seraient notés A+, c’est aussi simple que ça. Ceux qui atteignaient la mention Bon Article (la barre est placée moins haut, mais les Bons Articles ne représentent tout de même que 0,15% de tous les articles de Wikipédia en anglais) recevraient un A. La note pour ce devoir, en d’autres termes, serait déterminée par l’appréciation collective et publique des autres auteurs.

Considérations initiales : pièges potentiels

J’avoue que je n’ai pas beaucoup pris en considération les écueils de ce plan. Je reconnais que c’était un peu une expérience, mais la tenter me rendait enthousiaste. Ce n’était de toute façon pas le seul point sur lequel le cours serait noté et l’évaluation ne reposerait pas entièrement dessus : les étudiants devaient également tenir à jour un blog hebdomadaire sur leurs lectures et rendre deux devoirs, un à mi-session et un autre à la fin.

(En fin de compte le devoir de fin de session a été abandonné à la majorité des 2/3 de la classe après un vote des étudiants à bulletin secret : 85% d’entre eux ont voté pour l’annulation du devoir final et pour un plus gros coefficient du travail sur Wikipédia.)

J’avais surtout peur que les étudiants soient pris dans une guerre d’édition non constructive et potentiellement décourageante. Une guerre d’édition est un débat sans fin entre des éditeurs qui n’arrivent pas à s’accorder sur le contenu de l’article. Comme dans beaucoup d’interactions en ligne, ces désaccords deviennent rapidement désagréables et provoquent l’intervention d’un administrateur de Wikipédia qui peut décider de « bloquer » l’un des individus impolis, voire les deux. Je n’étais que trop conscient de ce problème puisque dans mes tentatives d’exploration de Wikipédia quelques mois avant de donner ce cours, je me suis retrouvé (plutôt par inadvertance) pris dans de telles guerres, et je me suis fait bloquer pendant quelque temps.

C’est toujours un peu risqué d’amener les étudiants à interagir directement avec la sphère publique. Et, d’une certaine manière, nous devons veiller sur eux. C’est peut-être la raison pour laquelle tellement de technologies de l’éducation (dont WebCT est le meilleur exemple) sont hermétiquement isolées du « monde réel ». Et ça ne serait pas très productif si l’un de mes étudiants se retrouvait bloqué et ne pouvait pas poursuivre son travail ! J’ai donc croisé les doigts en espérant que cette éventualité ne se présente pas.

Premiers pas : « notre » projet se met en route

Wikipédia ne m’était pas totalement inconnue puisque j’avais déjà à mon actif de nombreuses éditions d’articles et même quelques créations (même si ces derniers n’étaient rien d’autre que des ébauches, des versions courtes et préliminaires). Mais jusque là je n’avais pas encore travaillé de manière durable sur un article de Wikipédia. Et bien que j’avais quand même un sentiment de familiarité ainsi qu’un certain sens de la culture Wikipédia, j’avoue que j’étais malgré tout (et le suis d’ailleurs toujours) perplexe devant certains des détails les plus impénétrables des techniques et procédures de ce qui est maintenant devenu une gigantesque et labyrinthique entreprise.

D’un autre côté, cela m’a permis de comprendre l’intimidation que les élèves ne manqueraient pas de ressentir devant la tâche qui se présentaient à eux. Seuls un ou deux étudiants avaient déjà fait des modifications sur Wikipédia et ils étaient peu nombreux à montrer des signes de familiarité avec les conventions du Web. Et ne parlons même pas du code spécifique à Wikipédia (même si celui-ci est simplifié). Je crois que je peux comprendre leur étonnement quand, ayant cliqué pour la première fois sur le bouton « Modifier », ils sont tombés sur une masse confuse de gribouillis caractéristiques des logiciels de wiki.

Pour poser les bases du projet et obtenir du soutien, j’ai enregistré le projet sur une page Wikipédia dédiée à ce genre de choses, j’ai fait apparaître sur tous les articles du projet qu’ils faisaient partie d’une tâche pédagogique, et j’ai démarré une « page projet » décrivant nos objectifs. J’ai aussi laissé des messages sur d’autres projets Wikipédia jugés connexes (principalement des groupes d’éditeurs de Wikipédia qui se concentrent sur un sujet particulier comme par exemple la littérature ou l’Amérique du Sud); j’ai même laissé un mot au journal maison de l’encyclopédie, le Wikipédia Signpost (NdT : le Wikimag en français). J’ai ensuite présenté le projet à la classe, demandé aux étudiants de se créer un compte sur Wikipédia et j’ai croisé les doigts pour que ça marche.

Vous avez peut-être remarqué que je parle de « notre » projet et de « nos » objectifs. J’essaie en général d’inclure tout le monde quand je parle en classe : « nous » lisons les textes « ensemble  », « nous » essayons de comprendre comment les interpréter. Mais ici la sensation était presque palpable : dès le départ je sentais que je faisais aussi partie du projet, sentiment qui n’ira qu’en s’amplifiant dans les semaines suivantes.

Leçon numéro 1 : « ceci pourra être effacé »

Assez rapidement, quand tout le monde fut censé s’être enregistré et avoir commencé à jouer un peu avec les modifications, j’ai apporté mon ordinateur en cours et j’ai présenté les bases aux étudiants. Raccordé à un vidéoprojecteur, je leur ai montré sur grand écran où se trouve l’onglet « Modifier », comment faire une modification mineure (en changeant un mot sur la page Wikipédia de notre université) et comment faire une modification majeure (en vaporisant un article associé à l’université qui était manifestement un plagiat d’un autre site Web).

Un élève m’a par la suite demandé de leur montrer comment créer une nouvelle page. Deux des articles sur lesquels ils travaillaient n’existaient pas alors et j’ai alors décidé de créer El Señor Presidente, dont le seul contenu initial était : « El Señor Presidente est le titre d’un roman de Miguel Ángel Asturias ». J’ai ensuite poursuivi sur d’autres pages avant de revenir à celle-ci quelques instants plus tard… et c’était tout pour la première leçon. Sauf que, à mon grand embarras (et devant la classe entière) j’ai découvert qu’en à peine une minute d’autres éditeurs de Wikipédia avaient déjà collé une énorme bannière rose sur notre tout frais nouvel article avec la mention suivante : « Cette page est susceptible de remplir les critères de Wikipédia pour suppression rapide ». « Les salauds ! » murmurai-je dans ma barbe et je me suis dépêché de modifier le contenu de l’article pour y afficher « El Señor Presidente est le titre du roman le plus important du romancier, lauréat du prix Nobel, Miguel Ángel Asturias », inquiet que notre petit projet se fasse torpiller à peine commencé.

Si j’avais voulu montrer aux étudiants que la modification de Wikipédia est un exercice de négociation avec l’entière communauté d’éditeurs et de lecteurs, je n’aurais pas pu mieux choisir mon exemple. J’ai découvert (depuis) que pour d’autres projets pédagogiques sur Wikipédia, les étudiants sont souvent encouragés à faire un brouillon de leurs articles à l’abri des regards et de les enregistrer sur les pages publiques uniquement lorsqu’ils sont prêts à affronter un examen général. Ici tout était exposé et ouvert dès le début. Mais je n’ai aucun regret. C’est en effet là que le projet a puisé certains de ses meilleurs atouts.

La FA-Team : synergies, du bon et du mauvais

Mais on a rapidement eu un gros coup de chance, alors même que les messages que j’avais envoyés aux différents projets Wikipédia pré-existants semblaient lettre morte (la plupart, d’après ce que j’ai pu voir, étant enterrés ou plus souvent simplement débordés). Il s’est en effet trouvé qu’un groupe d’éditeurs expérimentés de Wikipédia avait commencé à lancer des idées pour augmenter le nombre d’Articles de Qualité sur Wikipédia. Ils se sont baptisés la « FA-Team » (NdT : L’équipe des Articles de Qualité, FA pour Featured Articles) et cherchaient alors un projet auquel participer. Or ils « nous » ont repéré et nous ont écrit pour savoir si nous désirions un coup de main.

Est-ce que nous désirions un coup de main ? Évidemment !

La FA-Team s’est répartie les articles du projet, ils ont laissé des messages d’accueil sur la page de discussion de chaque étudiant (les pages personnelles spécifiques à chaque utilisateur enregistré de Wikipédia et qui fonctionnent comme des pages où les éditeurs peuvent entrer en contact directement avec l’utilisateur) et ils ont débuté leur mission d’encouragement, de conseil et de guide auprès de notre groupe afin de nous pousser à rédiger des articles de Wikipédia de haut niveau. Ce sont des gens très méticuleux, dévoués, et par dessus tout généreux.

Je réalise maintenant que la FA-Team nous a fait la démonstration de la plus grand force (et peut-être aussi la plus grande faiblesse) de Wikipédia : la synergie. Les éditeurs de Wikipédia sont attirés par l’activité. J’irai même plus loin : ils sont particulièrement attirés par l’activité qui aboutit à l’ajout de contenu nouveau à l’encyclopédie. Un bon exemple de cette attraction est l’avertissement que j’ai reçu après avoir créé une page : il existe un noyau de volontaires de Wikipédia qui scrute sans cesse la création de nouvelles pages, prêts à se jeter dessus si un sujet déplacé ou non-encyclopédique est proposé. N’importe qui peut créer une page Wikipédia, mais si vous en créez une sur vous, votre petit groupe de musique ou votre chat, attendez vous à la voir disparaître sans avoir le temps de dire ouf.

De même, beaucoup de personnes émettent des critiques à l’encontre de Wikipédia, la plus connue étant peut-être celle du comédien américain Stephen Colbert, justement parce que n’importe qui peut ajouter n’importe quelle bêtise à un article. Mais je crois que ces personnes ne réalisent pas que des équipes dévouées de wikipédiens surveillent les modifications récentes pour éliminer rapidement ces bêtises flagrantes.

Mais l’aspect vraiment constructif de la réactivité de Wikipédia s’est également manifesté quand, dans les deux jours suivants la création de la page El Señor Presidente, une petite armée d’éditeurs a apporté des modifications mineures qui, combinées, ont apporté des changements importants dans la mise en page. Un des étudiants a ensuite ajouté un fragment d’information qu’il avait trouvé sur un autre site Web. Un petit coup de mise en page réalisée par d’autres éditeurs et au cours suivant cet article ressemblait déjà aux autres pages Wikipédia. Un peu court peut-être, plutôt incomplet et avec quelques sources tirées un peu au hasard d’Internet, mais il apportait des informations sur le sujet aux lecteurs, au moins le minimum, et surtout il était intégré au grand vaisseau Wikipedia.

(Je devrais préciser ici que j’étais indifférent au fait que le travail final des étudiants pourrait ne pas être « entièrement leur travail ». Pour moi, réussir à persuader d’autres personnes de travailler avec eux, travailler en harmonie avec des inconnus faisait également partie du projet. On peut évidemment se dire qu’ils pouvaient tricher pour accomplir leur devoir, comme pour n’importe quel autre devoir, par exemple en payant une tierce personne pour écrire les articles à leur place. Mais en fait le logiciel wiki qui suit les contributions de chacun offre une transparence inégalée, on sait ce que les étudiants font, étape par étape, qui, quoi et quand.)

Ainsi, l’intervention de la FA-Team n’était donc pas exceptionnelle. Ce n’est qu’un exemple de ce principe de synergie porté à une échelle légèrement plus importante et développée. On peut énoncer le principe de synergie ainsi : plus vous contribuez à Wikipédia, plus votre activité résonne et est développée et multipliée par l’activité d’autres personnes. Certes, les guerres d’édition existent, mais d’après mon expérience elles n’affectent en général pas l’ajout de nouveaux contenus. Ce n’était pas juste de la chance, on était tombé sur l’un des principes de base du fonctionnement du wiki.

L’inconvénient de ce principe est que là où Wikipédia est moribond, il le demeure. Bien qu’en théorie l’activité sur Wikipédia bourdonne en continu, en pratique un coup d’œil à l’historique de quelques pages (une information à portée de clic) suffira à vous convaincre que ces pages sont en fait plutôt stables. Un mauvais article pourra le rester pendant une très longue période. Ainsi dans notre projet nous avions les exemples de deux articles plus anciens (et donc plus importants) : les entrées pour Gabriel García Márquez et Mario Vargas Llosa, restées presque inchangées pendant des années, mis à part un petit peaufinage ça ou là. Nous nous devions donc d’y remédier.

Chercher et… chercher encore

C’est alors devenu un travail de recherche. Les étudiants devaient trouver ce qui est appelé en jargon wikipédien des sources sûres. Une doctrine fondamentale de Wikipédia (même si cela peut sembler étrange voire paradoxal, particulièrement pour des universitaires) est qu’elle ne sert pas à la publication de résultats inédits. Une entrée encyclopédique n’est pas faite pour introduire un débat. C’est la différence principale entre dissertation traditionnelle et Wikipédia.

La FA-Team ayant pris en charge le travail de mise en page ainsi que les tâches routinières, les étudiants étaient libres de s’adonner entièrement à la recherche. Mais c’était sans compter un autre piège qui nous a beaucoup ralenti et que nous aurions dû pourtant anticiper puisque ses racines plongent au cœur même des règles de Wikipédia : le fait que les étudiants n’évaluent pas suffisamment leurs sources.

Il faut se rappeler que le problème à la base de ce projet est que les étudiants se fient trop à Wikipédia sans vraiment en considérer les risques et les inconvénients. Il n’était en fait guère étonnant de les voir reproduire les mêmes erreurs en cherchant des sources pour les articles qu’ils devaient rédiger. Ainsi, il n’était pas rare qu’ils ajoutent des informations non vérifiables ou mal documentées (et trop souvent plagiées) ou qu’ils usent et abusent de citations d’autres pages Web et encyclopédies en ligne.

Et pourtant c’est de là aussi qu’a été tirée l’une des meilleures leçons de ce travail. Parce que Wikipédia exige que chaque information soit étayée par une référence (ce que les membres de la FA-Team répétaient inlassablement), les étudiants se sont retrouvés forcés de citer leurs sources. Ces sources pas forcément fiables se sont donc retrouvées exposées, ce qui n’aurait pas nécessairement été le cas pour un examen de session. De plus, justement parce que la rédaction sur Wikipédia est un processus de révision permanente, il a été demandé à certains de reprendre leur travail de recherche pour ré-évaluer leurs sources, pour en trouver de plus fiables avant de reprendre la rédaction. Par la même occasion le problème des plagiats a été réglé simplement parce que plus personne ne recopiait de passages en les faisant passer pour un produit fini.

Pour résumer, ce travail a fait ressortir les faiblesses initiales des étudiants dans le domaine de la recherche, mais ces faiblesses étaient bien la raison d’être de ce devoir. Ils ont cependant appris que rechercher des informations (et les mettre en forme) est un processus, souvent long, où l’on commence avec des sources parfois douteuses (comme Wikipédia lui-même) pour progresser vers des éléments ou preuves toujours plus solides, jusqu’à découvrir de nouvelles informations occultées par les premières sources.

Autres observations : un travail professionnel

Au moment où j’écris ceci, l’accouchement sous péridurale du projet n’est toujours pas terminé. Un article, celui que j’avais ironiquement créé devant la classe, a passé sa première inspection avec succès, une inspection particulièrement rigoureuse d’ailleurs, ce qui lui vaut maintenant le grade de Bon Article. Mes étudiants sont donc à l’origine d’une partie des 0,15% de ce que Wikipédia a de meilleur à offrir et tout cela en partant de rien. De plus, parmi ces 0,15% ne figure aucun autre travail littéraire d’Amérique Latine. Ils (nous ?) ont toutes les raisons d’être fiers d’eux[1]. Pour autant que je sache, c’est le seul travail éducatif sur Wikipédia à avoir directement abouti à un Bon Article[2].

Évidemment tout ne s’est pas fait sans accroc. Deux articles n’ont pour le moment pas vraiment progressé. Le rêve de créer douze nouveaux Articles de Qualité ne restera sans doute qu’un rêve (signifiant par là-même que toute la classe aurait eu la note A+ à un devoir représentant désormais 40% de leur note finale). Mais je suis sûr qu’il en sortira encore une série de Bons Articles (deux autres sont en cours d’évaluation), et certains seront sûrement nominés pour le grade d’Article de Qualité.

Voici donc la résultante d’un travail rigoureux qui, parce qu’il avait pour cadre ce site Web tant décrié qu’est Wikipédia, était loin d’être une solution de facilité. C’était même plutôt le contraire.

Je ne suis toujours pas aveuglé par Wikipédia, loin s’en faut. Il faut bien se dire que c’est une encyclopédie dont seulement une infime fraction de ses articles sont considérés comme de « bons » articles, même par ses propres éditeurs. D’autres faiblesses de Wikipédia sont plus apparentes que jamais, on les retrouve même à un certain degré dans ce projet : un article moribond aura tendance à le rester, et certaines sources sont discutables et souvent plagiées.

Mais, pour la défense de Wikipédia, je dois dire que je n’avais jusqu’alors pas réalisé à quel point ses propres critères sont ambitieux et avec quelle rigueur ils sont appliqués, ni même remarqué l’efficacité du processus collaboratif… si vous êtes prêt à apporter votre contribution et surtout si vous êtes prêt à faire les recherches nécessaires à l’ajout d’informations vérifiables. Là encore je dois dire que nous avons été particulièrement chanceux dans les rencontres que nous avons faites, mais je pense aussi que d’autres bénéficieront de la même bonne fortune.

En ce qui concerne le travail, qui je le répète est loin d’être achevé… j’aimerais croire qu’il enseigne aux étudiants l’art de la recherche et de l’écriture dans un environnement proche du monde réel. Il leur a été assigné au début du semestre un but à moyen terme, voire à long terme, et il leur a été demandé de travailler en collaboration au sein de leurs propres groupes mais aussi avec des inconnus dans un environnement ouvert afin d’établir comment parvenir à ce but et comment le réaliser. Ce travail devait déboucher sur un résultat professionnel, visible par des milliers de personnes, une ressource qui dans la plupart des cas serait la première escale de chercheurs futurs, qu’ils soient étudiants comme eux ou qu’ils fassent simplement partie des millions de visiteurs de Wikipédia de par le monde. La plupart de ces articles sont en effet le premier résultat affiché (ou presque) lors d’une recherche sur Internet sur le sujet traité.

En comparaison, les dissertations et les examens classiques que nous donnons à nos étudiants paraissent plutôt anecdotiques.

Inutile ? Pas d’argumentation

Ce que les étudiants n’apprennent pas par contre à travers ce projet est le développement d’un argument. L’argumentation, la construction cohérente d’une série d’idées, la défense et l’étayement d’une thèse convaincante, est évidemment au cœur de l’enseignement académique. J’attache beaucoup d’importance à cette compétence.

Mais on peut également dire que dans la plupart des emplois qu’occuperont les étudiants après la fin de leur cursus, l’argumentation ne tiendra pas une place aussi importante que dans le monde académique. À l’opposé, la recherche d’informations, la présentation, l’exactitude, l’aptitude à travailler en équipe et la capacité à négocier avec la sphère publique leur seront bien plus utiles (même si ça me fait un peu mal de l’admettre).

De plus, l’écriture sur Wikipédia leur inculque la pensée critique, peut-être pas celle qui est en général abordée à l’université… mais peut-être le devrait-elle. Les éditeurs de Wikipédia sont sans cesse encouragés à faire preuve d’esprit critique vis-à-vis des informations qu’ils trouvent et également vis-à-vis de leurs propres écrits.

J’ai un peu peur d’avoir trop enjolivé la chose. Je le ferai différemment si je suis un jour amené à le refaire. Et je dois vous avouer que j’ai souvent eu l’impression de faire un numéro d’équilibriste, que tout pouvait s’écrouler à tout moment. D’ailleurs nous ne sommes toujours pas à l’abri. Mais si quelque chose tourne mal je pourrai toujours modifier ce texte…

Oh, et si ça vous dit, n’hésitez pas à donner un coup de main sur Murder, Madness, and Mayhem !

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008

Les autres articles du dossier

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 2/6 – Le projet vu par l’enseignant
    Présentation, chronique et analyse du projet par le professeur Jon Beasley-Murray (à lire en premier).
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.

Notes

[1] Le 10 avril 2008, El Señor Presidente est devenu le 2000ème Article de Qualité de Wikipedia. Cet article apparaîtra sur la première page de Wikipédia le 5 mai. Au final, les étudiants ont porté deux autres articles au niveau d’exigence requis pour obtenir le grade d’Article de Qualité (Mario Vargas Llosa et The General in His Labyrinth) tandis que huit autres ont obtenu le grade de « Bon Article ». Les seuls autres articles portant sur la littérature Latino-américaine à ce niveau sont Mário de Andrade et Jorge Luis Borges (bien qu’aujourd’hui ils n’obtiendraient certainement plus cet honneur, il est en effet intéressant de noter que les critères de qualité de Wikipédia augmentent régulièrement avec le temps). Grâce à nous, le nombre d’Articles de Qualité sur la culture latino-américaine a donc très fortement augmenté

[2] Plus de détails ici.




Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 3/6

Cet article fait partie du dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation.

C’est la traduction du témoignage d’un éditeur de Wikipédia ayant aidé les étudiants à atteindre leur objectif, à savoir la quête de l’Article de Qualité, qui est ici présentée.

Copie d'écran - Wikipédia - Témoignage wikipédien

Wikipédia et université : Murder, Madness and Mayhem ?

Wikipedia and academia: Murder, Madness and Mayhem?

EyeSerene – 14 avril 2008 – Wikipédia
(Traduction Framalang : Olivier)

Quand l’idée a été soulevée de mettre sur pied une équipe d’éditeurs spécifiquement dédiée à l’obtention du label Article de Qualité, nous sommes entrés en contact avec le Wikiprojet Murder, Madness and Mayhem (NdT : Meutre, Folie et Chaos, MMM) pour ce que nous pourrions appeler notre première mission. Deux réactions antagonistes sont alors nées en moi. Je me suis exclamé « magnifique ! » mais une voie plus sceptique murmurait « hum… pourquoi pas ». La première émane de ma foi dans « le rêve », la deuxième de mon expérience sur le terrain du travail sur Wikipédia.

Je crois avec ferveur en la vision de Wikipédia ainsi résumée « Imaginez un monde dans lequel chacun puisse avoir, partout sur la planète, libre accès à la somme de toutes les connaissances humaines. C’est ce que nous sommes en train de faire » (Jimmy Wales). Évidemment, certains avertissements sont de rigueur, peut-être que l’adjectif « vérifiable » devrait être ajouté ici !, mais derrière tous les articles de groupes de musique méconnus, d’écoles primaires et d’épisodes des Simpson, le rêve se poursuit. Les gens instruits sont des gens libres et autonomes et une longue route a été tracée depuis le temps où le savoir et l’éducation n’étaient réservés qu’à une petite élite… mais il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Peut-être sommes nous de doux rêveurs à croire qu’une encyclopédie peut changer le monde, mais pour moi l’important n’est pas là. C’est le concept sous-jacent qui me motive. Et si les gens, indépendamment de leur race, de leur religion, de leur emplacement géographique ou quoi que ce soit d’autre pouvaient s’unir comme nous le faisons ici ? Et si ils pouvaient s’affranchir des frontières, des gouvernements et des contraintes sociales pour communiquer et collaborer les uns avec les autres de manière constructive et créer quelque chose qui est infiniment plus grand que la somme de ses parties ? Je pense alors qu’il serait très difficile de convaincre un public ainsi informé et lié que tel groupe ou telle nationalité est en fait leur ennemi, alors qu’une longue expérience personnelle leur affirme le contraire. Le fait que Wikipédia soit banni ou restreint dans certaines parties du monde et chez certains régimes politiques en dit long sur la peur que peut engendrer ce simple concept « d’information en accès libre ».

Évidemment, et quand bien même tous ceux qui comme moi tiennent à la crédibilité de notre encyclopédie aiment à penser que le savoir que nous mettons à disposition est vraiment utile, nous devons aussi tenir compte de tous ces articles de groupes de musique méconnus, d’écoles primaires ou d’épisodes des Simpson. Mais sous bien des aspects c’est ce qui fait la force de notre modèle.La force magnétomotrice, un article technique qui capte une audience relativement faible et spécialisée, est classé dans la catégorie des articles à étoffer même s’il existe dans l’encyclopédie depuis bientôt quatre ans. L’article Les Simpson fait quant à lui l’objet de modifications permanentes, il s’est largement étoffé et se décline aujourd’hui dans plus de soixante langues (alors qu’on ne trouve que six localisations de la force magnétomotrice). Si nous acceptons le fait que Wikipédia est plus qu’une encyclopédie, nos articles sur la pop-culture font clairement parti de notre succès. Ils participent à la collaboration et aux interactions sociales au-delà des continents et des océans et peut-être que ce sont ces articles qui reflètent le mieux la vision de Wikipédia.

La crédibilité culturelle de Wikipédia n’est plus à démontrer. Vous voulez savoir quel docteur a pris la suite de Patrick Troughton (NdT : dans la série TV Docteur Who) ? Vous voulez connaître le nom de la maison de Harry Potter ? Où irons-nous alors en priorité ? J’aimerais cependant que Wikipédia soit également reconnu comme une source académiquement acceptable. On sait bien désormais que Wikipédia constitue la première étape de n’importe quelle recherche pour la majorité des étudiants, et ce dès le secondaire. On peut débattre du bien-fondé de cette habitude, mais en tant qu’étudiant planchant en fin d’étude sur la diffractométrie de rayons X, j’aurais certainement apprécié en 1989 avoir cette ressource primaire, quand bien même l’article en lui même n’aurait évidemment pas été suffisant.

Wikipédia ne peut pas se substituer à une recherche bibliographique, vous devez quand même lire les bons articles et les bons journaux. Il ne peut pas vous enseigner une matière non plus, nos articles ne sont pas écrits dans cette optique, bien qu’ils soient assez complets pour qu’un lecteur néophyte puisse comprendre de quoi il en retourne. Si vous attendez ceci de Wikipédia (que tout le travail soit déjà fait ou qu’il vous enseigne une matière), vous vous trompez lourdement sur les buts de Wikipédia. Mais le fait est que notre encyclopédie a été, est et restera certainement toujours utilisée ainsi. Cependant combien d’étudiants comprennent véritablement la différence entre se rendre sur leur source d’information en ligne préférée pour vérifier la réponse à une question de quizz sur le nombre de test centuries que Andrew Strauss a inscrit (la réponse est 12 au fait) et citer cette information dans la biographie d’un joueur de cricket ?

C’est là, pour moi, la fascinante dichotomie du Wikiproject Murder Madness and Mayhem de Jbmurray. Il faut avouer qu’on a commencé à s’habituer à ce que notre encyclopédie ou nos articles soient tournés en ridicule par le monde universitaire et, même si ce n’est pas toujours de gaieté de cœur, il nous faut bien reconnaître que leurs critiques ne sont pas infondées. Wikipédia a la réputation de ne pas respecter l’expertise auto-proclamée et les arguments des experts sont rarement pris au sérieux. Du fait de l’anonymat des éditeurs et de l’impossibilité de vraiment connaître les références de la personne de l’autre côté du modem je ne vois pas comment il pourrait en être autrement… mais devoir étayer chaque affirmation par une source vérifiable a sans aucun doute repoussé des éditeurs qui autrement auraient apporté une contribution importante à notre effort.

De nombreux universitaires, indignés d’être traités de la sorte par des gens qu’ils ne connaissaient pas ou qu’ils ne respectaient pas (intellectuellement s’entend !), se sont retirés du projet avec dégoût, résolus à ne jamais plus employer Wikipédia et à ne plus jamais en encourager l’usage non plus.

J’ai également souvenir d’un incident où l’auteur d’un livre cité dans un article a tenté de corriger l’article, mais sa modification a été refusée par des éditeurs qui se sont servis de son propre livre pour justifier le rejet. Frustré, il répondit en substance « C’est moi l’auteur de ce foutu texte que vous citez à tort, je sais de quoi je parle ! », mais ça ne l’a pas beaucoup aidé. D’un autre côté, pourquoi en tant qu’éditeurs devrions-nous accepter aveuglément ce que nous dit un « expert » auto-proclamé ? N’est-ce pas ce qui fait en partie la vision de Wikipédia ? Nous ne nous contentons pas (ou nous ne devrions pas nous contenter) de donner les faits… idéalement nous fournissons aussi des sources afin que tout un chacun puisse vérifier ces faits. On retombe sur « l’accès libre à l’information » !

Mon enthousiasme pour le projet novateur de Jbmurray, l’espoir qu’il est possible non seulement d’améliorer notre encyclopédie (ce qui me tient à cœur) en aidant les élèves dans leurs études, mais aussi de renforcer sa crédibilité et peut-être même de recruter de nouveaux accrocs à Wikipédia éditeurs, a donc été quelque peu tempéré par les expériences qu’ont eu de nombreux universitaires avec nous. Évidemment, Jbmurray n’était pas exactement un novice sur Wikipédia et il était déjà au courant des particularismes, voire même parfois des absurdités, qui maintiennent notre effort sur de bons rails, mais cela ne préfigurait en rien du succès de son projet.

Côté technique, j’avais de gros doute qu’on puisse ne serait-ce qu’approcher le grade d’Article de Qualité pour chaque article du projet. Malgré ce que peuvent en dire les critiques, rédiger un Article de Qualité est un processus complexe et rigoureux qui demande une grande disponibilité, beaucoup d’énergie et, oserais-je le dire, de l’expertise (pas seulement sur le sujet de l’article mais aussi sur les critères strictes des Articles de Qualité). Le seul moyen d’atteindre ce but était que la FA-Team collabore étroitement avec Jbmurray et les éditeurs de MMM.

J’ai tiré de mon expérience sur Wikipédia la conclusion que pour certains éditeurs le principe de la collaboration restera à tout jamais un mystère. Et pourtant il n’y a rien de bien sorcier si tout le monde y met de la bonne volonté. C’est évident que si les éditeurs sont traités avec respect, approchés de manière ouverte et amicale, remerciés pour ce qu’ils font de bien et réprimandés (poliment !) lorsqu’ils se trompent, ils répondront alors positivement dans la plupart des cas. Que ce soit sur Internet ou dans la vraie vie, certains sembleront toujours génétiquement incapables de formuler des encouragements ou de recevoir des critiques, mais ces personnes poussent à bout la patience de la communauté et finalement abandonnent le navire.

Bien que nous baignons dans un monde virtuel, nous avons à faire avec des personnes bien réelles avec des émotions bien réelles au bout de la connexion, alors pourquoi devraient-elles être traitées plus durement que si nous les rencontrions dans notre bureau, notre salle de classe ou au bar… et au nom de quoi devrions nous fermer les yeux sur de tels agissements ? Wikipédia s’auto-gère assez bien, ce qui profite à la collaboration, et comme le note Jbmurray ceci peut déboucher sur une synergie qui vous permet de croire que notre vision est vraiment à notre portée. Il soulève ici un corolaire très intéressant, un corolaire qui touche à la critique universitaire. Lorsque la collaboration existe (et en déformant les paroles bibliques, lorsque deux éditeurs ou plus s’unissent au nom de Wikipédia…), de grandes choses peuvent se produire.

Mais lorsque l’on permet aux articles de se morfondre dans leur médiocrité, et cela arrive encore trop souvent pour des articles techniques, ésotériques ou académiques, c’est notre réputation qui s’en retrouve entachée. Au bout du compte, tout ce que l’on obtient alors est de l’antagonisme, qu’il représente aussi bien le « contraire de la synergie » que la « caractérisation de la réaction des personnes qui accèdent à ces articles ».

Grâce au soutien universitaire de Jbmurray, aux encouragement et aux conseils techniques de la FA-Team, les rédacteurs étudiants de MMM ont produit un impressionnant travail de fond, fait d’autant plus remarquable que beaucoup n’avaient jamais édité dans Wikipédia avant ce travail. Dans un certain sens nous poussons ici plus loin encore qu’à l’accoutumée les capacités de la communauté à travailler dans la même direction, puisque, contrairement à nous wikipédiens, les éditeurs de MMM ne sont pas ici de leur plein gré mais parce qu’ils y sont obligés, de leur succès dépendent leurs notes ! Voilà qui les pousse à collaborer encore davantage pour atteindre leur but, mais c’est une motivation autre que celle qui anime d’ordinaire nos éditeurs volontaires.

Je ne suis pas naïf au point d’imaginer que tous les wikipédiens adhèrent à l’idéal de Wales, chaque éditeur a sa propre motivation et certaines sont moins louables que d’autres. Quoiqu’il en soit, si on met de côté ceux qui sont là pour, par exemple, créer des articles vaniteux ou pour faire de la publicité pour leur commerce, le résultat final est le même et encore une fois, c’est la collaboration de tant de personnalités différentes pour aboutir à un but commun qui me donne espoir et qui me fait croire à la mission de Wikipédia.

La collaboration n’est pas toujours simple (si c’était le cas, des groupes comme le Comité d’Arbitrage et des pages comme l’Appel aux commentaires seraient largement superflus) et dès le début certains des éditeurs de MMM ont dû se frayer un chemin dans le méandre des révisions des articles, prenant alors potentiellement le risque de déclencher de nouvelles guerres d’édition ou pire encore. Ils y sont très bien parvenus grâce à leur propre envie d’apprendre et grâce à la bonne volonté dont ont fait preuve les éditeurs réguliers qui n’étaient pas familiers avec ce projet et ces objectifs, sachant que la différence entre le premier essai timide d’un nouvel éditeur et l’acte de vandalisme est parfois difficile à discerner.

Alors, sur quoi va déboucher cette expérience MMM ? On en aura évidemment une meilleure idée quand elle aura déjà un peu de vécu, mais on peut espérer que les étudiants la trouveront enrichissante et instructive, qu’ils en retiendront plus que juste les notes qu’ils recevront. Scolairement parlant, comme l’écrit Jbmurray, ils devraient en tirer une meilleure compréhension de la nécessité d’étayer leurs informations avec des sources vérifiables et ils devraient aussi mieux percevoir les limitations d’une encyclopédie en temps que ressource. Wikipédia ne peut être, même dans le meilleur des cas, que le point de départ d’une recherche approfondie. Le projet a peut-être aussi posé les bases d’un modèle qui aura du succès dans le monde universitaire.

Cela ne fait aucun doute, de nombreuses personnes parmi les éditeurs sont hautement qualifiées dans leur domaine et dans le partage de leurs connaissances dans ce domaine au sein même de l’encyclopédie, contribuant à améliorer le niveau global de Wikipédia. Mais la sempiternelle question de la couverture du sujet reste toujours en suspens dans la communauté (ou plutôt chez ceux qui s’intéressent plus particulièrement à la qualité des articles). Nous pouvons imposer des règles et des critères pour les Bons Articles ou pour les Articles de Qualité mais, en tant que non-experts, comment être surs qu’un article est complet et précis ? Nous pouvons utiliser les sources mentionnées et vérifier les références, mais sans un expert à disposition nous devons nous reposer sur l’article lui-même pour obtenir ces informations.

D’une manière générale notre travail est satisfaisant, car même en tant que non-experts quelques recherches nous permettent de juger de la profondeur (ou du manque de profondeur) de la couverture d’un article. Mais comme l’a prouvé cette expérience, les conseils d’experts sont inestimables. Pour résumer, nous avons besoin des universitaires car apparemment leurs étudiants ont besoin de nous.

Naturellement, des mises en garde sont de rigueur. Si certains experts ne voient en Wikipédia que frustration et antagonisme, c’est principalement car ils n’ont pas à l’esprit la spécificité de Wikipédia, à savoir sa communauté et ses lois. Même si la grande majorité des éditeurs supposera la bonne foi, le respect se gagne. C’est seulement en lisant les règles de Wikipédia et en faisant l’effort de vous y tenir que vous gagnerez ce respect qui donnera du poids à vos opinions et vos propositions. Quelle crédibilité peut-on accorder à universitaire étranger débarquant dans un séminaire en imposant ses propres pratiques et en faisant fi des convenances et traditions locales ?

Pourquoi devrions nous alors accepter ce genre de comportement ? Comme Jbmurray le fait remarquer, la capacité à développer une idée et de la défendre avec ardeur a moins de valeur sur Wikipédia que la capacité à négocier un consensus… et de se retirer avec élégance si ce consensus ne va pas dans notre sens, même lorsque les autres éditeurs ont ponctuellement clairement tort (ce qui arrive inévitablement avec une communauté de cette dimension). Mais à long terme, est-ce vraiment important ? Le consensus peut évoluer, et un article peut toujours être revu une semaine après, un mois après, une année après…

L’incapacité chronique de certains universitaires et experts à réaliser que Wikipédia n’est pas l’extension de leur faculté et qu’elle n’est pas par conséquent sous leur autorité, que notre mission est simplement de reproduire ce qui a déjà été publié par des sources vérifiables (vérifiabilité, pas vérité), et que leurs compétences dans un domaine ne les dote pas nécessairement de la capacité à bien faire dans d’autres domaines, a sans aucun doute affecté les relations dans les deux sens. Cependant le monde académique a beaucoup à y apporter, si l’on ne se trompe pas sur ce qu’est Wikipédia (et encore plus ce qu’elle n’est pas ou ce qu’elle ne prétend pas être). C’est ce que démontre le projet MMM de Jbmurray où tout le monde est au final gagnant.

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008

Les autres articles du dossier

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.



Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 4/6

Cet article fait partie du dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation.

C’est la traduction d’une interview du professeur et de trois de ses étudiantes parue dans la Gazette du Wikipédia anglais qui est ici présentée[1].

Copie d'écran - Wikipédia - Interview

Rencontre avec l’équipe du 2000ème Article de Qualité

Wikinews interviews team behind the 2,000th featured Wikipedia article

Brian McNeil – 14 avril 2008 – Wikipedia Signpost
(Traduction Framalang : Olivier)

Cette semaine, la version anglaise de Wikipédia célèbre son 2000ème Article de Qualité avec l’accession à ce grade de l’article El Señor Presidente. Les Articles de Qualité (AdQ) sont les exemples de ce que Wikipédia a de mieux à offrir en termes de qualité, de précision, de neutralité, d’exhaustivité et de style, et sont par conséquent considérés comme les meilleurs articles sur Wikipédia.

Le système d’évaluation de Wikipédia (proposition d’Articles de Qualité) qui juge les candidatures a élevé cinq articles au rang d’Article de Qualité en même temps : Walter de Coventre, Maximian, El Señor Presidente, Lord of the Universe et Red-billed Chough. Lorsque cinq articles se voient simultanément attribuer cette distinction comment déterminer lequel est le 2000ème autrement qu’arbitrairement ? À vrai dire chacun de ces articles pouvait légitimement revendiquer cet honneur.

Ce qui démarque El Señor Presidente des autres est qu’il est le premier exemple connu d’Article de Qualité directement issu d’un projet pédagogique, le wikiprojet Madness, Murder, and Mayhem (NdT : Meurtre, Folie et Chaos). Jon Beasley-Murray, professeur de littérature espagnole à l’Université de la Colombie Britannique, a en effet décidé de demander à ses élèves de participer à Wikipédia plutôt que de rendre des dissertations classiques. Il leur a ainsi attribué un ensemble d’articles à créer sur la littérature espagnole. Et de la qualité de l’article dépendait la note finale, un Bon Article apportant un A à ses auteurs tandis qu’un Article de Qualité leur assurait un A+. La classe a reçu l’aide de la FA-team, un nouveau Wikiproject dont le but est d’aider les nouveaux wikipédiens à obtenir le statut d’Article de Qualité. Parmi les douze articles sélectionnés, huit ont atteint le grade de Bon Article et trois au total sont devenus des Articles de Qualité (Mario Vargas Llosa et The General in His Labyrinth ont obtenu leur distinction dans la foulée de El Señor Presidente). Au début du projet la plupart de ces articles ne figuraient pas dans l’encyclopédie et certains ont donc été créés pour l’occasion comme ce fut le cas pour El Señor Presidente.

L’idée de Beasly-Murray était de se servir de Wikipédia comme d’un espace collaboratif où ses étudiants pourraient à la fois travailler leur matière et fournir, en quelque sorte un service public virtuel. Il a donc initié un projet Wikipédia, Murder Madness and Mayhem, dans le but de créer ou bonifier des articles sur les ouvrages de littérature d’Amérique Latine étudiés dans son cours. El Señor Presidente est l’œuvre de l’écrivain guatémaltèque lauréat du prix Nobel Miguel Ángel Asturias. C’est donc sans surprise qu’il est vu comme l’un des titres majeurs de la littérature sud-américaine.

Beasley-Murray a décrit cette expérience dans un essai. Il y raconte comment ce devoir a permis aux étudiants d’améliorer leurs aptitudes de recherche et comment ils se sont adaptés au cas particulier de l’écriture à destination d’un large public. Wikipédia, dit-il, n’encourage pas le type d’écriture persuasive généralement demandée en université, mais c’est un très bon exercice de recherche où il faut faire preuve d’esprit critique. On notera que ce WikiProject a causé quelques remous dans certains forums Internet dédiés à l’éducation, comme dans ce message intitulé : « Est-ce que Murder, Madness and Mayhem représente le futur des études supérieures ? ».

Ce n’est pas le premier projet universitaire faisant partie d’un cursus. C’est en revanche le premier à rencontrer un tel succès. Par le passé, des projets semblables ont connu des destinées diverses et variées, certains n’apportant que peu d’informations aux pages concernées, d’autres étant carrément chaotiques, sans réelle gouvernance, ne montrant aucun respect pour les règles de Wikipédia et n’ayant pas vraiment d’autres consignes que « étoffez pour avoir une bonne note ». Ce projet a réussi là où d’autres ont échoué pour deux principales raisons : le leadership du professeur, Jbmurray et les conseils de la FA-Team qui a aidé les étudiants et leur professeur à se faire aux us et coutumes du site et autres bizarreries typiquement wikipédiennes.

L’équipe de Wikinews a contacté le professeur Beasley-Murray pour qu’il nous raconte plus en détails cette histoire dans une interview. Vous trouverez ses réponses ci-dessous. Elles sont complétées par les interventions de trois de ses étudiants qui ont participé à la création et à l’élévation de El Señor Presidente au rang d’Article de Qualité. En plus du 2000ème Article de Qualité, le projet a pour l’instant aussi donné naissance à sept Bons Articles.

Murder, Madness and Mayhem

Wikinews : Professeur Beasley-Murray, merci de nous accorder un peu de votre précieux temps et merci d’avoir accepté de nous rencontrer. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a conduit à initier ce projet ?

Dossier Wikipédia - Jon Beasley-Murray - CC byProf. Jon Beasley-Murray : En premier lieu, je voudrais dire que j’ai déjà écrit quelques réflexions à propos du projet sur Wikipédia même, c’est un essai que j’ai intitulé « Madness ».

Mais je peux vous en faire un résumé : j’ai fait quelques modifications sur Wikipédia il y a un an. J’ai commencé un peu par accident, après avoir découvert avec surprise qu’une partie de mes travaux universitaires se sont retrouvés sur le site. J’ai consacré un peu de temps à réorganiser et à étoffer des articles et des catégories liées à l’Amérique Latine, en particulier à la culture sud-américaine, qui est ma spécialité. J’ai découvert que la couverture de ce sujet sur Wikipédia était inégale, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est en m’engageant là dedans que j’ai pris conscience que des étudiants pourraient apporter une participation constructive au site. Ils se servent déjà de Wikipédia, pourquoi ne pas trouver une manière de les faire participer ? C’est là que j’ai réalisé que c’est seulement en contribuant à cette encyclopédie qu’on peut vraiment la connaître, mieux distinguer ses forces et ses faiblesses, mais surtout comprendre ce qui fait qu’elle est comme elle est.

En fait j’ai toujours été attiré par l’usage de la technologie dans l’enseignement : listes de diffusion, sites Web, etc. Mais je n’ai jamais été un grand fan des « technologies de l’éducation » et ses prgrammes comme WebCT que les élèves ne rencontrent qu’en classe. En créant une sorte ghetto pédagogique, les technologies de l’éducation semblent passer complètement à côté des possibilités les plus intéressantes et les plus passionnantes qu’offre Internet : l’ouverture sur le vaste monde qui existe en dehors de la salle de classe et la re-définition des liens, parfois fragiles, entre les enseignants (censés être des experts et des puits de savoir) et les étudiants (trop souvent considérés comme les destinataires passifs de ce savoir).

Globalement, le projet sur Wikipédia avait plusieurs avantages :

  • faire mieux découvrir Wikipédia aux étudiants, un site important qu’ils emploient souvent (et trop souvent à mauvais escient);
  • améliorer Wikipédia en créant du contenu nouveau sur des sujets encore incomplets;
  • encourager les étudiants à créer quelque chose qui irradie au-delà du périmètre du cours, dans la sphère publique;
  • leur donner des objectifs tangibles qui seraient jugés autrement que par mon point de vue professoral;
  • changer leur approche de l’écriture en mettant en valeur l’importance de l’amélioration permanente;
  • leur apprendre la recherche et comment utiliser et évaluer une source.

Avez-vous consulté d’autres universitaires ou des étudiants avant de lancer ce projet ?

JMB : Non, pas vraiment en fait. Peut-être aurais-je dû ! Mais j’ai évoqué cette idée l’été dernier avec un ami qui travaille dans les technologies de l’éducation à l’Université de Colombie Britannique qui m’avait déjà aidé par le passé à intégrer des blogs dans mes cours. Cet ami, Brian Lamb, s’est montré comme à l’accoutumée enthousiaste pour ce genre d’expérimentation. Il s’est renseigné pour savoir si des bourses allouées à ce type d’initiatives existaient, mais apparemment ce n’était pas le cas. J’ai malgré tout décidé de poursuivre mon idée en solo.

Et en janvier, au moment où le projet allait débuter, je me suis inscrit sur Wikipédia : Projets Pédagogiques. De nombreux autres projets y étaient déjà référencés, certains déjà achevés, d’autres encore en cours. Je me suis alors dit que je n’étais pas vraiment seul finalement et que mon projet n’était pas si innovant. Je ne me suis rendu compte à quel point notre projet était différent et ambitieux que bien plus tard : notre but était de créer des Articles de Qualité, douze si possible, alors qu’aucun autre projet pédagogique n’y était parvenu !

Je suppose que la communauté Wikipédia vous soutenait. Des personnes extérieures à cette communauté vous ont-elles adressé des critiques négatives ?

JMB : Non, mais comme je vous l’ai dit, je n’en ai parlé à quasiment personne.

Mais je voudrais quand même préciser qu’il ne fallait par prendre le soutien de la communauté Wikipédia pour argent comptant. Pour d’autres projets pédagogiques, la première réaction des wikipédiens n’était pas si favorable. C’est en partie dû au fait que les étudiants sont encouragés à créer un nouvel article sur ce qu’ils veulent et ceux-ci se retrouvent rapidement menacés de suppression. C’est aussi parce qu’ils écrivent leurs dissertations hors ligne puis les envoient, et évidemment le plus souvent elles ne respectent pas les règles en vigueur sur Wikipédia (celles sur les Travaux inédits par exemple). Ces articles se retrouvent très vite décorés de commentaires et les pages de discussion qui y sont associées sont remplies d’avertissements et de reproches. Nous avons globalement réussi à éviter cela… principalement par chance ! Mais aussi que c’est parce que j’avais déjà passé pas mal de temps sur Wikipédia, et que j’étais familier de certaines coutumes du sites (mais pas toutes, loin s’en faut). Et puis surtout nous avions un but précis : les étudiants ne contribuaient pas à Wikipédia juste pour le plaisir de contribuer à Wikipédia.

Malgré cela, l’un de nos articles a été marqué pour « suppression rapide ». L’article s’est retrouvé affublé de ce bandeau moins d’une minute après que je l’ai créé devant tous les étudiants pendant un cours. Ce fut, devant toute la classe, un horrible moment de solitude, et j’ai eu furtivement le sentiment que tout allait très mal se passer. L’article marqué pour suppression immédiate était El Señor Presidente… qui est devenu, comme vous le savez, le 2000ème Article de Qualité sur Wikipédia.

Quelle importance dans la notation finale des étudiants avez-vous accordée au travail sur Wikipédia ?

JMB : À la base, le travail sur Wikipédia devait seulement représenter 30% de la note finale pour ce cours. Mais arrivé à la moitié du semestre j’ai commencé à m’inquiéter car le projet n’avait que peu avancé. J’ai donc proposé aux élèves de modifier la méthode d’évaluation en annulant les examens de fin de semestre. Par conséquent, les autres travaux qu’ils avaient réalisés (un partiel, leurs blogs et Wikipédia) devenaient tous plus importants. Après avoir évoqué cette proposition je leur ai laissé le temps de la réflexion. La décision a été prise par vote à bulletin secret avec la règle suivante : l’évaluation ne serait modifiée que si au moins deux tiers (66%) de la promotion étaient pour. Finalement, 85% de la classe a voté en faveur de l’augmentation du coefficient du projet Wikipédia pour qu’il représente 40% de leur note finale.

Étant moi-même (Brian McNeil) membre du comité de communication de la fondation Wikimedia, j’entends souvent les arguments des deux camps sur la pertinence et la fiabilité de Wikipédia. Les cas de figure peuvent être diamétralement opposés : depuis des étudiants se demandant pourquoi leur bibliothécaire ou leurs professeurs ont proscrit l’usage de Wikipédia pour un devoir, jusqu’au cas plus récent d’un enseignant chirurgien au Royaume-Uni demandant la permission de citer abondamment Wikipédia pour une publication sur la pertinence de l’encyclopédie et l’utilité qu’elle pourrait avoir pour les étudiants en médecine. J’ai une réponse toute prête pour expliquer comment vérifier les sources de Wikipédia : Wikipédia est un point de départ formidable pour vos recherches et si vous rejetez Wikipédia vous devriez aussi rejeter Britannica. Êtes-vous d’accord avec ça ?

JMB : Au cours de ce semestre je me suis forgé ma propre réponse à cette question. Si l’article Wikipédia est bon vous n’aurez même pas à le citer car il contient tous les liens nécessaires. S’il ne contient pas ces liens, ce n’est pas un bon article et il ne devrait donc surtout pas être cité.

Avant ce semestre je demandais expressément à mes étudiants de ne pas citer Wikipédia dans leurs devoirs, et je vais continuer dans cette voie. Je me méfie aussi quand ils citent des définitions du dictionnaire. Et même s’ils ne citent pas l’encyclopédie Britannica (je pense que Wikipédia a remplacé Britannica en fait), je ne serais pas non plus impressionné s’ils le faisaient.

Mais évidemment, comme vous le dites, Wikipédia peut être un excellent point de départ pour une recherche. Je l’utilise d’ailleurs souvent dans cette optique.

Feriez-vous à nouveau appel à un wiki si vous deviez recommencer une expérience collaborative ? On parle de quelque chose qu’on pourrait appeler « Eduwiki » pour la création de contenu pédagogique. Seriez-vous prêt à vous impliquer dans un tel projet ? Pensez-vous que le logiciel Mediawiki pourrait être utilisé dans d’autres domaines de l’éducation ? Ce type d’initiatives pourraient faire partie de plus vastes projets lancés par la fondation Wikimedia tels que Wikibooks ou Wikiversity. Choisiriez-vous ce type de fonctionnement ouvert au détriment d’un projet fermé au sein du monde universitaire où les compétences des contributeurs peuvent être vérifiées ?

JMB : Je ne sais pas vraiment. Comme vous avez déjà pu vous en apercevoir, j’ai fortement tendance à douter de tout ce qui comprend « édu » dans la dénomination. Je dis ça avec tout le respect que je dois à mes amis qui sont dans « EduTech », mais je devrais ajouter qu’ils sont souvent aussi suspicieux que je le suis, si ce n’est plus ! J’ai déjà travaillé deux fois avec des wikis dans des environnements plutôt fermés, ça n’a jamais été un succès. Je pense que c’est parce que nous n’avions pas atteint la masse critique. Ce qui fait que Wikipédia marche c’est la masse critique (même si, bien sûr, un faible pourcentage des lecteurs de Wikipédia deviennent contributeurs).

Dossier Wikipédia - Université de la Colombie Britannique - CC by-saIl faut dire aussi que peu de gens du monde universitaire comprennent l’esprit des wikis. Il leur (nous) est difficile de ne pas se (nous) montrer possessifs vis-à-vis de leur (notre) travail. Je crois que c’est de là que naissent les antagonismes et la frustration que ressentent les universitaires lorsqu’ils s’impliquent sur Wikipédia. C’est rarement « l’expertise » qui est en cause mais plutôt la propriété. Je reconnais que je ne suis pas très précis, mais par exemple un wiki avait été mis en place dans mon université, mais il était impossible de modifier le texte de quelqu’un d’autre. On aurait très bien pu alors afficher des pdf. C’était plus un exercice de monographie qu’un exercice d’écriture collaborative.

Et pour ce qui est des qualifications, sujet largement débattu sur Wikipédia, je pense que ce sont des sornettes. Je ne pense pas que les qualifications aient une si grande importance. Mes étudiants ne peuvent pas s’enorgueillir de beaucoup de titres, mais ils ont quand même produit un excellent résultat.

Comment qualifieriez-vous la réaction de vos étudiants à l’idée de faire ce devoir alors que tout le monde peut observer leur progression, y étaient-ils réceptifs ?

JMB : Dans les cours précédents j’ai souvent demandé à mes étudiants de tenir un blog, blog qui était évidemment visible de tous. Mais à vrai dire, peu de personnes se retrouvent pas hasard sur le blog d’un étudiant. Ce n’est pas vraiment le fait que les articles de Wikipédia soient publics qui importait mais plutôt le fait qu’ils allaient contribuer à l’un des dix sites les plus visités sur Internet. Alors je me suis décidé un jour à faire mes petites recherches pour savoir combien de personnes visitaient les pages sur lesquelles nous travaillions (j’ai accumulé ces résultats et je les ai plus tard mis à jour ici). Durant le cours suivant nous avons joué à deux petits jeux de devinette. Il fallait d’abord qu’ils devinent le pourcentage d’Articles de Qualité sur Wikipédia ; ils ont commencé avec 30% et ça leur a pris du temps avant de baisser leur estimation à 0,15%. Nous avons fait ce petit jeu juste après qu’El Señor Presidente eut atteint le statut d’Article de Qualité, ça leur a donné une idée de la performance qu’ils avaient réalisée je pense.

La deuxième devinette concernait le nombre de pages vues que généraient leurs articles chaque mois. Je ne sais plus quel nombre ils m’ont dit en premier, mais ce que je sais c’est qu’il était bien inférieur aux 50000 visites que l’article sur Gabriel García Márquez reçoit effectivement. Après avoir calculé que cet article devait recevoir plus de 600000 visites par an (je crois que c’est 750000 maintenant), l’équipe en charge de cette page a reçu un choc. Mais je pense aussi que réaliser l’importance de leur travail était excitant en même temps. Et je sais aussi que les étudiants qui verront bientôt leur article sur la page d’accueil du site anglais (le 5 mai) seront vraiment enchantés. Mais je crois que ce qui les intéresse le plus (eux et les autres étudiants) n’est pas le fait que le « public » ait accès à leur travail mais plutôt le fait de pouvoir dire à leurs amis et à leur famille de jeter un œil à leur travail.

Certains de vos étudiants ont-ils eu des problèmes d’adaptation qui les ont empêchés de travailler sur Wikipédia ?

JMB : Oui. Les réponses ont été assez variées. Certains étaient vraiment enthousiastes. Pour d’autres, il fallait laisser le temps à l’idée de faire son chemin. Quelques-uns ne se sont jamais vraiment sentis à l’aise avec le travail sur Wikipédia. Il m’est difficile de dire individuellement pourquoi. Certains ont été trop intimidés par la technologie, mais je pense surtout qu’ils n’y ont pas consacré assez de temps pour dépasser les premières barrières. De plus, comme c’était un travail de groupe, certains de ses effets pouvaient être angoissants par moments. C’est un aspect auquel je devrais réfléchir avant de tenter à nouveau une expérience similaire.

Pensez-vous que fonctionner ainsi, de manière aussi ouverte, a poussé les étudiants à travailler plus consciencieusement qu’ils ne l’auraient fait autrement ?

JMB : Oui, absolument, c’est certain ! Les étudiants, les plus actifs tout du moins, ont participé à l’élaboration d’articles comprenant entre 4000 et 8000 mots étayés par des recherches exhaustives, corrigés à maintes reprises, avec un souci du détail méticuleux. N’importe lequel des articles qu’ils ont rédigés est bien meilleur que n’importe quelle dissertation qu’ils auraient produite autrement. Évidemment, certains étudiants étaient plus actifs que d’autres. Ils ont donc appris plus et ont aussi été plus poussés que les autres. Mais les remarques et les questions incessantes des autres éditeurs de Wikipédia, en particulier des membres de la FA-Team, qui a réalisé l’essentiel du travail de révision, les ont forcés à toujours réfléchir à ce qu’ils disaient, à comment ils le disaient et à bien citer leurs sources.

Rétrospectivement, que feriez-vous différemment ?

JBM : Certains aspects du travail en groupe n’ont pas fonctionné de manière optimale. Nous avons également commencé assez lentement : il faudrait que je réfléchisse à comment y remédier. De plus, une fois que le projet sera achevé, la FA-Team et moi (et n’importe quel étudiant intéressé évidemment) prévoyons une réflexion « post-mortem » sur tous les aspects de la collaboration. On peut toujours améliorer les choses. J’ai aussi beaucoup appris grâce à ce projet et j’espère bien me servir de cette expérience la prochaine fois.

Vous en êtes à 6000 éditions, avez-vous attrapé le « virus wiki » ? Allez-vous continuer à participer ?

JMB : 7000 maintenant ! Il faudra bien que je lève le pied quand le projet sera terminé car il m’a pris énormément de temps. Mais je compte me remettre en selle à l’automne.

Maintenant que l’on peut dire que votre projet est une réussite, qu’auriez-vous à dire à d’autres universitaires pour les persuader de se lancer dans des expériences similaires ?

JMB : Je les y encouragerai c’est sûr, mais je ne voudrais pas passer pour un évangéliste de Wikipédia. Je peux tout à fait comprendre pourquoi des activités précédemment engagées avec l’encyclopédie ont pu se révéler décevantes, frustrantes ou pire encore. Mais je pense que, particulièrement si les universitaires prennent le temps de comprendre les aspects de la culture de Wikipédia, certaines activités peuvent se montrer très gratifiantes. Nous avons eu beaucoup de chance de croiser le chemin de la FA-Team, un groupe d’éditeurs expérimentés de Wikipédia qui venait juste de se former pour aider les autres à atteindre le statut d’Article de Qualité. Leur participation a été un vrai don du ciel. Mais je ne vois pas pourquoi d’autres ne pourraient pas bénéficier d’une assistance semblable (voire différente, sait-on jamais, et peut-être meilleure) dans d’autres circonstances.

Avant de continuer en faisant participer vos étudiants à la discussion, j’aimerais conclure en vous demandant votre avis sur l’intégration d’un tel exercice au programme. L’envisagez-vous ? Pensez-vous que d’autres institutions devraient étudier votre projet en vue de le reproduire ?

JMB : Je recommencerai cette expérience, ça ne fait aucune doute. Le seul côté négatif pour le professeur est que, s’il veut que le projet soit correctement mené, il doit y consacrer beaucoup de travail. Mais d’un autre côté, en terme de ressources, ce genre de projet n’en requiert quasiment pas. Mon université (et bien d’autres) paye des licences à plusieurs millions de dollars pour des logiciels pédagogiques comme WebCT. C’est de l’argent gaspillé, beaucoup d’argent gaspillé d’après moi, mais je reconnais que c’est un racket lucratif pour ceux qui vendent ces logiciels. Je pense aussi que l’université se désengage d’une part importante de sa mission : investir dans les Biens Communs. La tendance aujourd’hui, dans le monde universitaire, est à la privatisation et au cloisonnement (même si je dois dire qu’il existe encore quelques valeureuses exceptions, le travail sur l’accès libre de mon ancien collègue John Willinsky est à ce titre exemplaire). À mesure que les universités s’impliqueront dans Wikipédia, elles réaliseront qu’elles peuvent le faire sans nécessairement y perdre leurs exigences de qualité en matière de recherche et la rigueur universitaire qu’il est également de leur devoir de défendre, et que cela profite non seulement à leurs étudiants mais aussi au bien commun.

Bons Articles et Articles de Qualité

En plus de l’Article de Qualité, sept autres articles ont atteint le statut de Bons Articles. Était-ce une source de motivation pour tous ceux d’entre vous impliqués dans le projet ?

Dossier Wikipédia - Étudiants de Jon Beasley-Murray - CC byMonica Freudenreich : Je ne peux pas parler au nom de toute la classe, mais je crois que nous étions tous un peu hésitants. Nous n’avions jamais été confrontés dans notre cursus à un projet d’une telle envergure et nous ne savions pas vraiment ce qui allait en ressortir, c’est le moins que l’on puisse dire. Nous autres étudiants, nous avons l’habitude de toujours faire les choses à la dernière minute et pour ce projet ça n’était vraiment pas possible. Et donc, malgré un démarrage assez poussif dans l’ensemble, je pense que le statut que la plupart des articles du projet ont atteint est vraiment impressionnant et que cette réussite est une énorme motivation en elle-même.

Katy Konik : Je ne peux pas parler au nom de tous, mais je pense que de voir tous ces articles atteindre le statut de Bons Articles a prouvé que l’objectif était tout à fait atteignable. Je crois que le seul problème est qu’au sein de la classe chacun travaille à son rythme. Voir que d’autres ont déjà atteint le statut de Bon Article quand on n’y est pas encore peut mettre la pression.

Elyse Economides : Cela nous a servi d’encouragement, mais en même temps rendait la tâche un peu plus intimidante. C’était formidable de voir tant de groupes atteindre le statut de Bon Article au bout de quatre mois, mais cela nous rappelait également tous les efforts et le temps qui devaient y être consacrés. Heureusement, voir nos camarades obtenir le statut de Bon Article nous a convaincus que ce défi était à notre portée.

À quel moment avez-vous ressenti qu’il était possible d’atteindre les statuts de Bon Article ou d’Article de Qualité ? Depuis combien de temps travailliez-vous sur Wikipédia à ce moment là ?

MF : Je me suis créé un compte en janvier, comme beaucoup d’autres étudiants de notre classe, je ne savais même pas avant qu’on pouvait modifier Wikipédia. La page a été créée, je crois, le 15 janvier, avec l’aide du Dr Beasley-Murray. Comme je n’avais aucune idée de la manière de créer une page, après que le bandeau « suppression immédiate » ait été apposé sur l’article, je me suis dit que je devrais y apporter du contenu pour éviter qu’elle soit supprimée. Nous avions entrepris notre travail depuis 3 mois avant d’être promus sur la liste des articles candidats au grade de Bon Article puis à partir de là il nous a fallu 1 mois supplémentaire pour recevoir notre étoile d’or récompensant les Articles de Qualité. Mais je ne crois pas que ce soit le temps qui compte dans l’obtention d’un Bon Article ou d’un Article de Qualité, c’est plutôt la qualité du contenu et la volonté des autres wikipédiens de collaborer sur le projet. J’ai fait confiance aux utilisateurs plus expérimentés pour nous prévenir quand les statuts de Bon Article ou d’Article de Qualité étaient envisageables et pour nous donner une liste de choses qui restaient à faire pour atteindre ces étapes.

KK : Lorsque le projet nous a été présenté à la mi-janvier nous étions tous très motivés pour atteindre le grade d’Article de Qualité et je crois que je ne réalisais pas très bien la quantité de travail et de ré-écriture nécessaire pour atteindre ce but. À la mi-février nous avons consacré quelques jours à la lecture de toutes les sources en langue anglaise que nous pouvions trouver et nous balancions tout ce que nous trouvions sur la page. C’est à ce moment là que d’autres personnes ont véritbalement commencé à montrer de l’intérêt pour notre travail en proposant des suggestions et en faisant des tas de modifications elles-mêmes. Pour être honnête c’était un peu décourageant de voir à quel point les règles sur Wikipédia sont strictes et de se rendre compte de la quantité de travail de ré-écriture qui nous attendait. Même si ces critères pouvaient paraître de prime abord décourageants, ils nous donnaient une idée exacte de ce que nous devions faire et ils rendaient nos objectifs plus concrets et atteignables.

EE : Une fois que professeur Beasley-Murray nous a vraiment encouragés à commencer nos articles en nous donnant comme consigne de faire une modification, importante ou pas, à notre article, éditer un article sur Wikipédia était déjà moins intimidant même si l’entreprise nous semblait toujours pharamineuse. La base de l’article, le plan et les informations qui ont survécu aux révisions, ont été créés vers la fin février, c’est à ce moment-là que le statut de Bon Article est devenu un objectif tangible. C’est également à ce moment-là que les contributions extérieures à notre groupe se sont faites plus importantes, un apport positif qui s’est maintenu durant le reste de notre progression.

Si vous pouviez modifier les directives pour conseiller les gens qui désirent promouvoir un article au rang d’Article de Qualité, que changeriez-vous ?

KK : Je pense que les directives sont équilibrées et c’est ce qui fait que les Articles de Qualité sont des sources fiables. Je n’aurais en fait qu’une remarque à faire vis-à-vis des Conventions de Style qui sont carrément incompréhensibles pour les profanes comme moi. Si nous n’avions pas reçu le soutien d’éditeurs professionnels qui savaient ce qu’ils faisaient je ne sais pas si nous aurions pu surmonter cet obstacle.

EE : Même si je n’ai probablement pas une expérience des directives aussi importante que les autres membres de mon groupe, de ce que j’en ai vu, un certain niveau d’exigence technique et professionnel est requis, ce qui est nécessaire pour assurer la continuité et le sérieux des articles, mais cela peut se révéler compliqué à comprendre et à mettre en application pour les utilisateurs néophytes. Les directives sont une composante nécessaire de Wikipédia et Wikipédia fournit les explications nécessaires à leur compréhension. Je pense que pour bien se familiariser avec ces directives il faut s’entraîner et prendre exemple sur les autres articles.

Chacune de vos contributions était directement consultable sur Internet. Pensez-vous que ça vous ait encouragé à plus vous appliquer que pour une dissertation conventionnelle que le professeur est seul à lire ?

MF : Pas vraiment. Je pense surtout que ce sont les autres éditeurs de Wikipédia qui nous ont poussés à nous appliquer davantage. Ils nous stimulaient en permanence pour que nous trouvions de meilleurs sources à référencer. Lorsque vous visez un Bon Article ou un Article de Qualité ils mettent la barre extrêmement haut. Les blogs ou d’autres sites Internet comme Facebook rendent également toute contribution directement visible et pourtant leur contenu peut-être d’un niveau très médiocre, si l’on peut parler de niveau. Je pense donc que le fait que notre travail apparaissait sur Internet n’a rien à voir avec notre détermination à travailler dur sur ce projet. Le soutien que nous ont apporté les autres wikipédiens tout au long de l’aventure m’a permis de me motiver pour poursuivre le travail et aussi me fixer des objectifs de qualité élevés.

KK : Je ne pense pas que ça ait quelque chose à voir avec le fait que notre travail était directement visible en ligne. Je crois personnellement que ce sont surtout la possibilité de recevoir des commentaires et de re-travailler les pages qui nous ont poussé à toujours améliorer la qualité de nos contributions. C’est vraiment très différent d’une dissertation que vous ne pouvez rendre qu’une seule fois sans pouvoir la corriger en fonction des commentaires reçus. Par cet aspect du travail nous avons appris beaucoup plus grâce à Wikipédia que grâce à une dissertation, nous pouvions vraiment utiliser les commentaires des autres éditeurs.

EE : J’aurais presque tendance à dire que ça a eu l’effet inverse. Même si de nombreux utilisateurs de Wikipédia font très attention à leurs contributions, Wikipédia reste anonyme et les contributions de chacun ne sont pas nécessairement retraçables. Il faut dire aussi que Wikipédia change perpétuellement au gré des allées et venues des éditeurs, une information que l’on ajoute n’est jamais inamovible. Une dissertation est toujours liée à son auteur et contrairement à Wikipedia, son contenu est définitif.

Ressentez-vous un sentiment d’accomplissement plus grand en ayant apporté quelque chose aux « Communs numériques » plutôt que d’avoir rendu une dissertation ?

MF : Cela ne fait aucun doute. Un nombre incalculable de personnes vont lire cette page au cours de son existence. J’ai investi tellement d’énergie dans la rédaction et l’amélioration de cet article que je suis vraiment fière du résultat final. Quand je le relis, j’ai même du mal à croire que j’y ai contribué. Les dissertations que je rends finissent en général dans un classeur, qui restera bien rangé sous mon lit ou alors dans un coin de mon disque dur, pour ne jamais être ré-ouvertes. La page sur Wikipédia sera consultée et servira certainement à quelqu’un. Je dois dire que je suis plutôt sure que la bibliographie référence quasiment tout ce qui a été publié en anglais sur le sujet. Si quelqu’un cherche à approfondir El Señor Presidente tout est là et je trouve que c’est vraiment incroyable !

EE : Oui et non. Contribuer à la création d’un Article de Qualité est synonyme de répandre cette information à un nombre potentiellement illimité de personne, mais rédiger une dissertation est également un accomplissement à part entière, ça implique beaucoup de recherches et de rédaction. Sur Wikipédia un nombre largement plus important de personnes pourront consulter et apprécier le travail de quelqu’un, je le reconnais, mais c’est aussi moins personnel. Je trouve que les deux font naître un sentiment d’accomplissement, peut-être mêlé à un sentiment de soulagement aussi.

Avez-vous attrapé le « virus wiki » ? Allez-vous continuer à contribuer ?

MF : Je n’en suis pas certaine, je pense que Wikipédia est une formidable ressource et j’éprouve beaucoup d’admiration pour tous ceux qui œuvrent pour que Wikipédia soit une source complète et fiable, mais je ne sais pas encore si je vais continuer à y participer. J’aimerais pouvoir dire que oui, mais entre deux emplois et les cinq cours que je suis, il va falloir que j’arrête ou que je me limite avant la fin du semestre. Ensuite, cet été, je cumulerai trois emplois et deux cours, là non plus je ne sais pas combien de temps je pourrai accorder à Wikipédia. Mais je pense que quand je lirai des romans ou que je ferai des recherches pour des devoirs futurs, j’utiliserai les informations et les références recueillies pour étoffer les articles concernant les sujets étudiés.

KK : Je ne sais pas si je vais continuer à contribuer, il faut voir la quantité de travail et de recherche nécessaire pour produire du contenu de qualité. Si j’ai attrapé le « virus wiki » ça serait plutôt pour le respect que j’accorde maintenant aux autres Bons Articles ou Articles de Qualité. Même si je n’ai pas forcément le droit de les citer dans mes dissertations, j’aurai au moins appris que ce sont des sources excellentes et qu’ils peuvent me mener vers d’autres articles universitaires. Quand je ne connais rien dans un domaine c’est toujours vers Wikipédia que je me tourne et si je peux y trouver des liens vers d’autres sources alors je sais que je suis sur un bon article.

EE : Je pense que je vais continuer à participer, même si ça sera surtout par des modifications mineures comme des corrections orthographiques ou grammaticales, c’est là que je m’épanouis le plus. Je pense que toute modification sur Wikipédia, peu importe son importance, donne à l’utilisateur un sentiment de satisfaction.

Si le Professeur Beasley-Murray souhaitait recommencer ce projet dans les années à venir, quel conseil donneriez-vous aux étudiants qui prendraient votre relève et feraient leurs débuts sur Wikipédia  ?

MF : Je leur conseillerais de s’y prendre tôt et de commencer avec les recherches. En plus du projet sur Wikipédia nous avions à rendre des comptes rendus de lecture. Je conseillerais également une approche hebdomadaire du projet aux étudiants, je leur recommanderais de prendre au moins une heure par semaine pour éditer Wikipédia ou pour faire des recherches sur le sujet. Pour commencer, les bases de données de journaux en ligne sont très utiles, mais il faut reconnaître que de nombreux articles traitant des romans ne sont pas publiés en ligne et l’aide de votre assistant bibliothécaire vous sera très précieuse. J’ai eu recours à leurs compétences trois fois pour savoir comment obtenir les informations que je cherchais. Je leur conseillerais également de ne pas se laisser dépasser par l’ampleur de la tâche. Les wikipédiens imposent des critères de qualité très élevés, mais ils ne sont pas hors d’atteinte. Ayez confiance en vous, même en tant que non diplômé et même si l’anglais n’est pas votre spécialité vous pouvez apporter une contribution importante et voir vos efforts se matérialiser en quelque chose de concret.

EE : Je les encouragerais moi aussi à commencer leurs recherches tôt afin de réunir autant d’informations que possible sur le sujet. Les vétérans et utilisateurs expérimentés de Wikipédia semblent graviter autour des pages qui font preuve d’une activité importante. Je les encouragerais également à trouver leur rythme (ce que j’aurais du faire), à prendre exemple sur d’autres pages et à chercher conseil auprès des autres utilisateurs. Je les encouragerais à se réunir avec les autres membres du groupe assez tôt pour mettre sur pied un plan pour la recherche et l’écriture.

Qui d’après vous note le plus sévèrement ? Les autres professeurs à qui vous avez rendu des devoirs conventionnels ou l’équipe qui juge les contributions faites à Wikipédia en vue de leur attribuer les grades de Bon Article ou d’Article de Qualité ?

MF : La question ne se pose même pas ! L’inspection pour obtenir le grade de Bon Article a vraiment été intense et je dois avouer que j’étais plutôt intimidée au début. Ils ont dégagé toute une liste de points à re-travailler, après les avoir corrigés je me suis rendu compte que ces améliorations étaient à la fois nécessaires et importantes. Mais nous n’étions pas encore au bout de nos peines. En fait, avant même la fin de l’inspection un autre éditeur a passé l’article en revue, vérifiant chaque ligne pour nous présenter à la fin une liste d’améliorations encore plus longue. Une fois qu’elles furent intégrées l’article a encore été révisé de fond en comble. Par moment j’ai vraiment été découragée par la montagne de travail que cela représentait et je n’étais pas tout à fait sûre de pouvoir tout corriger. Mais grâce à leur soutien indéfectible et leur aide nous y sommes parvenus. Pour les devoirs que nous rendons habituellement, les professeurs ne font que peu de commentaires avant de nous rendre les copies. En presque quatre ans passés à l’université, un seul professeur nous a rendu nos devoirs en nous laissant la possibilité de les revoir et de re-travailler les passages problématiques. Et personnellement, je trouve cet exercice de ré-écriture, clarification et amélioration du texte extrêmement formatrice. Au cours des mois écoulés j’ai appris tellement à propos de l’écriture que je ne saurais même pas par où commencer… et ça se voit. J’ai toujours eu des notes autour de B+/A- tout au long de mes études universitaires et aux deux derniers devoirs que j’ai rendus j’ai eu des A ! Je pense que les notes parlent d’elles-mêmes.

KK : Wikipédia était carrément plus intense, mais je pense aussi que le processus était plus juste. La critique ne me gène pas tant qu’on a l’occasion de corriger les choses. C’est exactement ce que j’ai apprécié dans le déroulement de ce projet sur Wikipédia et je crois que c’est la raison pour laquelle ce fut une très bonne expérience pédagogique.

EE : Dans l’ensemble, Wikipédia semble être plus constant et cohérent dans son appréciation alors que les professeurs peuvent parfois noter de manière inattendue. Mais malgré tout, que ce soit avec Wikipédia ou avec mes professeurs, dans les deux cas, un travail de très bonne qualité est attendu et l’auteur est mis au défi de produire un tel travail.

D’autres wikipédiens ne faisant par partie de la classe ont-ils apporté des contributions importantes ? Et si oui, cela vous a-t-il aidé ?

MF : Si au commencement nous étions pratiquement seuls, à mesure que nous nous sentions plus à l’aise sur Wikipédia et que nous étoffions nos recherches sur le sujet, nous avons reçu plus d’aide de la part d’autres wikipédiens, des gens que nous ne connaissions vraiment pas et qui désiraient nous aider à atteindre notre objectif ambitieux : l’Article de Qualité. Cette aide nous a été très précieuse, je pense même que nous n’aurions pu atteindre notre but sans l’assistance et les conseils qu’ils nous ont prodigués tout au long du projet. Je ne les remercierai jamais assez de nous avoir ainsi guidés et remis dans le droit chemin quand nous rencontrions des obstacles.

EE : Oui, d’autres utilisateurs de Wikipédia ont largement contribué, même avant que notre groupe n’approche du statut de Bon Article. Cet esprit communautaire développé entre tous les utilisateurs est vraiment l’un des éléments de base de Wikipédia. Lorsqu’ils identifient un besoin, ils apportent rapidement leur aide et leur soutien.

Une question assez ouverte : voyez-vous une place pour l’utilisation de la technologie wiki dans d’autres matières que vous suivez, ou même dans le futur emploi que vous visez ?

MF : Wikipédia est à mes yeux une formidable ressource où l’on peut trouver des informations concises et bien organisées. Notre société allant toujours plus vite, l’encyclopédie ne fera que gagner en importance pour les personnes qui doivent rapidement vérifier des noms ou des lieux pour leur travail. J’utilise déjà Wikipédia pour vérifier rapidement certaines références ou pour m’informer sur quelqu’un ou quelque chose lorsque je ne suis pas familière avec le sujet.

KK : Je vois plein d’usages potentiels de la technologie wiki. Mon premier réflexe lorsque j’ai une question est souvent de me rendre sur Wikipédia. Même si je ne peux pas citer Wikipédia dans mes devoirs, j’ai appris que si l’article est bon j’y trouverai beaucoup d’informations pour mes travaux universitaires et si ce n’est pas le cas, Wikipédia n’en reste pas moins une excellente ressource où trouver des connaissances de base. Je pense que si plus d’articles pouvaient atteindre au moins le statut de Bon Article l’encyclopédie commencerait à être reconnue comme une source fiable.

EE : J’ai toujours apprécié Wikipédia en tant que ressource où trouver des informations de base pour beaucoup des matières que j’étudie. Et même si elle n’est pas reconnue comme une source purement académique je m’en sers pour me familiariser avec un sujet avant de m’engager dans des recherches plus approfondies. Je trouve également Wikipédia très utile pour les sujets non-académiques, c’est d’ailleurs là que réside sa beauté.

Le 2000ème

Quel a été votre sentiment quand El Señor Presidente a reçu le statut d’Article de Qualité ? Y-avez-vous porté un toast ou avez-vous fait la fête pour célébrer ?

MF : J’étais (et je le suis toujours) extrêmement excitée. Avant que le semestre ne commence en janvier je ne savais même pas que n’importe qui pouvait modifier Wikipédia, ne parlons même pas de créer une page pour la commencer à partir de rien. Je ne savais vraiment pas si nous arriverions à le mener jusqu’aux propositions d’Articles de Qualité mais nous avons bénéficié de tant de soutien pour la révision et les aspects techniques de Wikipédia touchant à la création d’un article que rien n’aurait été possible sans l’aide que nous ont apportée quelques wikipédiens. Malheureusement nous n’avons pas pu fêter ça, le travail d’étudiant semble sans fin, mais je vous avoue que je m’en vante sans vergogne devant ma famille ou mes amis.

KK : C’était vraiment formidable mais, pour être honnête, j’avais tellement pris l’habitude d’éditer Wikipédia pendant deux mois que j’étais presque triste que tout se termine. Créer un article sur Wikipédia est vraiment un travail de groupe et j’étais un peu triste que tout s’arrête après avoir collaboré si intensément avec un groupe extraordinaire.

EE : C’était presque un sentiment surnaturel. On a du mal à croire qu’un article créé en janvier mérite maintenant le statut d’Article de Qualité moins de quatre mois plus tard. Toute notre classe a célébré la fin des cours, j’imagine que nous fêtions un peu en même temps la fin de notre projet sur Wikipédia.

Avez-vous été déçues que plus d’articles n’atteignent pas le statut d’Article de Qualité ?

MF : Je n’ai pas participé à l’élaboration des autres articles, donc ça me touche moins. Peut-être devriez-vous poser cette question à Dr. Beasley-Murray qui a participé, lui, à chaque article.

Est-ce que ça a été plus dur que vous ne l’imaginiez d’atteindre ce statut ?

MF : En fait je ne sais pas vraiment ce que j’attendais. Au début projet j’ai lu d’autres articles traitant de livres qui avaient atteint le statut d’Articles de Qualité et ils étaient vraiment très bons, donc dès le début je savais que ça allait être difficile et j’étais prête à affronter les difficultés et à me lancer.

KK : Je ne dirais pas que c’était plus dur que je ne l’imaginais, mais ça nous a demandé plus de travail. Par chance nous avions avec nous un groupe d’utilisateurs et d’éditeurs de Wikipédia fantastique qui nous a aidés à comprendre dès le début ce qui nous attendait. Et pour être honnête, sans leur aide je pense que tout ce processus aurait été bien plus difficile, voire impossible. J’ai appris à travers cette expérience que si vous êtes prêt à y accorder le travail et le temps nécessaire ce n’est vraiment pas impossible.

EE : L’engagement requis, en temps et en efforts, est important, mais je pense que l’on doit s’y attendre pour un article reconnu. Notre chance a été d’être guidés à chaque étape par des éditeurs expérimentés, c’est grâce à eux que nous sommes arrivés si loin et si vite.

Que les auteurs ne soient pas crédités sur Wikipédia vous pose-t-il problème ?

MF : Absolument pas. Wikipédia est vraiment un effort de groupe et je pense que ça serait injuste de ne citer que quelques noms. J’ai peut-être été l’un des principaux éditeurs, travaillant sans relâche sur l’article, mais en même temps il n’aurait jamais atteint le statut d’Article de Qualité sans le soutien indéfectible d’autres collaborateurs dont l’aide a été extrêmement précieuse. Ce qui m’impressionne toujours, c’est la rigueur de leur relecture, leur capacité à se concentrer sur les passages perfectibles, tout ceci a rendu l’article final tout simplement remarquable.

KK : Cela ne me dérange vraiment pas personnellement car je l’ai fait dans le cadre d’un devoir scolaire. Donc comme je ne me suis occupé que d’un unique article le manque de crédit ne me gène pas, surtout que c’est vraiment un effort collectif. Ce qui me dérange plus est le manque de reconnaissance dont est victime Wikipédia dans le monde universitaire. Beaucoup de personnes ont travaillé d’arrache-pied sur cet article, et il en va de même pour les autres Articles de Qualité évidemment, pour lui assurer de solides bases universitaires et pourtant l’encyclopédie a toujours mauvaise réputation. Je crois que les Articles de Qualité méritent plus de reconnaissance de la part du monde universitaire car ce sont d’excellentes sources d’informations.

EE : Pas vraiment. Le but de Wikipédia est de partager et de diffuser l’information, pas de formuler de nouvelles idées ou d’avancer des hypothèses. En fait, les utilisateurs sont surtout des agrégateurs, ils rassemblent les informations et les organisent en une page cohérente. Même si certains utilisateurs contribuent plus que d’autres, tous les utilisateurs travaillent de concert vers un objectif commun, et cet objectif n’est pas la reconnaissance individuelle. De plus, Wikipédia a mis en place son propre système de reconnaissance et de récompenses pour rendre à César ce qui appartient à César.

« Publier ou mourir » semble être le mantra du monde académique. Pensez-vous que le milieu éducatif devrait adopter Wikipédia, ou tout du moins sa technologie sous-jacente, pour réduire les coûts de publication ?

MF : Étant donné que je ne suis pas encore diplômée je ne peux pas vraiment dire que j’ai été confrontée à cette pression du « publie ou crève » (NdT : publish or die). Je pense en revanche que ce devoir nous a été très profitable et j’y vois beaucoup de points positifs. D’habitude ce que nous autres étudiants écrivons n’est jamais publié, c’était donc une chance pour nous de publier quelque chose sur Wikipédia. Je pense aussi que nous avons acquis beaucoup de compétences importantes grâce à l’édition de Wikipédia parce que personne n’écrit jamais quelque chose pour ne plus jamais y revenir. Wikipédia encourage les révisions multiples, le travail de ré-écriture ou encore les recherches plus approfondies pour clarifier un point développé. Je pense que notre écriture s’est améliorée également et que nous avons pu amender nos points faibles. Je ne sais pas si j’ai vraiment répondu à la question, mais oui, je pense que le milieu éducatif devrait voir Wikipédia comme un outil pédagogique précieux pour les étudiants. Comme le nom des personnes n’est lié à aucun article ou que le vrai nom de la personne n’apparaît pas lorsqu’elle édite, je pense qu’il serait très difficile d’utiliser Wikipédia, sous sa forme actuelle, pour réduire les coûts élevés de publication.

EE : Wikipédia est très utile pour se renseigner (et même plus que simplement se renseigner dans certains cas) sur certains sujets universitaires et je pense que l’encyclopédie devrait être mieux reconnue. Il faudrait aussi que les étudiants, quel que soit leur niveau d’étude, puissent citer Wikipédia comme n’importe quelle autre source universitaire dans leurs devoirs ou leurs projets. Je peux tout à fait concevoir par contre qu’il est difficile de considérer Wikipédia comme une source universitaire rigoureuse puisqu’elle est ouverte aux modifications par des universitaires et des non-universitaires sans discrimination. Je crois que Wikipédia devrait continuer à être employée pour la recherche d’informations ou pour débuter une recherche et comme tremplin vers d’autres sources.

Après avoir travaillé sur un article pour qu’il atteigne le statut d’Article de Qualité, votre opinion sur Wikipédia a-t-il changé par rapport au début de ce projet ?

MF : Comme je l’ai déjà dit, j’ignorais même que quelqu’un pouvait éditer Wikipédia avant de commencer le projet, mon opinion sur Wikipédia a donc été profondément modifiée. Après avoir travaillé sur cette page si longtemps et après avoir obtenu le grade d’Article de Qualité ,j’ai nettement plus de respect maintenant pour les éditeurs qui œuvrent à améliorer l’information qu’on y trouve. Wikipédia est une ressource formidable et ça ne fait aucun doute pour moi que ça n’ira qu’en s’améliorant. Puisque, avant de commencer le projet, on nous demandait de ne jamais citer Wikipédia dans nos écrits universitaires, je m’étais dit qu’on ne pouvait pas faire confiance à son contenu. En même temps, l’un de mes professeurs cette année a inclus dans la bibliographie qu’il nous a transmise pour son cours certains articles de Wikipédia sur la théorie du Big-Bang et j’en ai été choquée. J’en ai tiré une leçon : Wikipédia peut être un outil de recherche extrêmement précieux, au moins en ce qui concerne les Bons Articles et les Articles de Qualité, le lecteur peut y trouver une liste complète et fiable de travaux universitaires. Je ne pourrais jamais exprimer tout mon respect pour ceux qui travaillent chaque jour sur les articles de Wikipédia à regrouper des sources et des informations, ils font vraiment quelque chose de remarquable. Que ça plaise ou non aux professeurs, Wikipédia est largement utilisée par les étudiants pour faire des vérifications rapides sur des faits, des personnes, des endroits, des évènements ou des travaux et je pense qu’avec l’aide d’éditeurs dévoués l’encyclopédie ne pourra que s’améliorer et en nous impressionnant toujours davantage.

EE : J’ai découvert l’attrait de Wikipédia, non seulement pour accéder à l’information, mais aussi pour la partager. J’ai aussi découvert tous les efforts qui sont faits « en coulisse » pour créer, entretenir et éditer les articles. Wikipédia m’avait toujours semblé être une ressource dominée par des personnes expertes dans leur domaine, ou en tout cas des passionnés. Travailler sur un article m’a cependant montré que vraiment n’importe qui peut apporter sa pierre à l’édifice « Wikipédia » et avoir un impact important.

Je voudrais tous vous remercier d’avoir pris un peu de votre temps pour aider à la création de cet article pour Wikinews… qui sait, finira-t-il peut-être aussi dans la liste des Articles de Qualité !

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008

Les autres articles du dossier

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 4/6 – Le projet vu par les étudiant(e)s
    Interview du professeur Jon Beasley-Murray et de trois de ses étudiantes par la gazette anglophone de Wikipédia.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.

Notes

[1] Crédit photos : 1. Jon Beasley-Murray – 2. Ubccampus – 3. Monicaandkaty01