Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 3/6

Cet article fait partie du dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation.

C’est la traduction du témoignage d’un éditeur de Wikipédia ayant aidé les étudiants à atteindre leur objectif, à savoir la quête de l’Article de Qualité, qui est ici présentée.

Copie d'écran - Wikipédia - Témoignage wikipédien

Wikipédia et université : Murder, Madness and Mayhem ?

Wikipedia and academia: Murder, Madness and Mayhem?

EyeSerene – 14 avril 2008 – Wikipédia
(Traduction Framalang : Olivier)

Quand l’idée a été soulevée de mettre sur pied une équipe d’éditeurs spécifiquement dédiée à l’obtention du label Article de Qualité, nous sommes entrés en contact avec le Wikiprojet Murder, Madness and Mayhem (NdT : Meutre, Folie et Chaos, MMM) pour ce que nous pourrions appeler notre première mission. Deux réactions antagonistes sont alors nées en moi. Je me suis exclamé « magnifique ! » mais une voie plus sceptique murmurait « hum… pourquoi pas ». La première émane de ma foi dans « le rêve », la deuxième de mon expérience sur le terrain du travail sur Wikipédia.

Je crois avec ferveur en la vision de Wikipédia ainsi résumée « Imaginez un monde dans lequel chacun puisse avoir, partout sur la planète, libre accès à la somme de toutes les connaissances humaines. C’est ce que nous sommes en train de faire » (Jimmy Wales). Évidemment, certains avertissements sont de rigueur, peut-être que l’adjectif « vérifiable » devrait être ajouté ici !, mais derrière tous les articles de groupes de musique méconnus, d’écoles primaires et d’épisodes des Simpson, le rêve se poursuit. Les gens instruits sont des gens libres et autonomes et une longue route a été tracée depuis le temps où le savoir et l’éducation n’étaient réservés qu’à une petite élite… mais il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Peut-être sommes nous de doux rêveurs à croire qu’une encyclopédie peut changer le monde, mais pour moi l’important n’est pas là. C’est le concept sous-jacent qui me motive. Et si les gens, indépendamment de leur race, de leur religion, de leur emplacement géographique ou quoi que ce soit d’autre pouvaient s’unir comme nous le faisons ici ? Et si ils pouvaient s’affranchir des frontières, des gouvernements et des contraintes sociales pour communiquer et collaborer les uns avec les autres de manière constructive et créer quelque chose qui est infiniment plus grand que la somme de ses parties ? Je pense alors qu’il serait très difficile de convaincre un public ainsi informé et lié que tel groupe ou telle nationalité est en fait leur ennemi, alors qu’une longue expérience personnelle leur affirme le contraire. Le fait que Wikipédia soit banni ou restreint dans certaines parties du monde et chez certains régimes politiques en dit long sur la peur que peut engendrer ce simple concept « d’information en accès libre ».

Évidemment, et quand bien même tous ceux qui comme moi tiennent à la crédibilité de notre encyclopédie aiment à penser que le savoir que nous mettons à disposition est vraiment utile, nous devons aussi tenir compte de tous ces articles de groupes de musique méconnus, d’écoles primaires ou d’épisodes des Simpson. Mais sous bien des aspects c’est ce qui fait la force de notre modèle.La force magnétomotrice, un article technique qui capte une audience relativement faible et spécialisée, est classé dans la catégorie des articles à étoffer même s’il existe dans l’encyclopédie depuis bientôt quatre ans. L’article Les Simpson fait quant à lui l’objet de modifications permanentes, il s’est largement étoffé et se décline aujourd’hui dans plus de soixante langues (alors qu’on ne trouve que six localisations de la force magnétomotrice). Si nous acceptons le fait que Wikipédia est plus qu’une encyclopédie, nos articles sur la pop-culture font clairement parti de notre succès. Ils participent à la collaboration et aux interactions sociales au-delà des continents et des océans et peut-être que ce sont ces articles qui reflètent le mieux la vision de Wikipédia.

La crédibilité culturelle de Wikipédia n’est plus à démontrer. Vous voulez savoir quel docteur a pris la suite de Patrick Troughton (NdT : dans la série TV Docteur Who) ? Vous voulez connaître le nom de la maison de Harry Potter ? Où irons-nous alors en priorité ? J’aimerais cependant que Wikipédia soit également reconnu comme une source académiquement acceptable. On sait bien désormais que Wikipédia constitue la première étape de n’importe quelle recherche pour la majorité des étudiants, et ce dès le secondaire. On peut débattre du bien-fondé de cette habitude, mais en tant qu’étudiant planchant en fin d’étude sur la diffractométrie de rayons X, j’aurais certainement apprécié en 1989 avoir cette ressource primaire, quand bien même l’article en lui même n’aurait évidemment pas été suffisant.

Wikipédia ne peut pas se substituer à une recherche bibliographique, vous devez quand même lire les bons articles et les bons journaux. Il ne peut pas vous enseigner une matière non plus, nos articles ne sont pas écrits dans cette optique, bien qu’ils soient assez complets pour qu’un lecteur néophyte puisse comprendre de quoi il en retourne. Si vous attendez ceci de Wikipédia (que tout le travail soit déjà fait ou qu’il vous enseigne une matière), vous vous trompez lourdement sur les buts de Wikipédia. Mais le fait est que notre encyclopédie a été, est et restera certainement toujours utilisée ainsi. Cependant combien d’étudiants comprennent véritablement la différence entre se rendre sur leur source d’information en ligne préférée pour vérifier la réponse à une question de quizz sur le nombre de test centuries que Andrew Strauss a inscrit (la réponse est 12 au fait) et citer cette information dans la biographie d’un joueur de cricket ?

C’est là, pour moi, la fascinante dichotomie du Wikiproject Murder Madness and Mayhem de Jbmurray. Il faut avouer qu’on a commencé à s’habituer à ce que notre encyclopédie ou nos articles soient tournés en ridicule par le monde universitaire et, même si ce n’est pas toujours de gaieté de cœur, il nous faut bien reconnaître que leurs critiques ne sont pas infondées. Wikipédia a la réputation de ne pas respecter l’expertise auto-proclamée et les arguments des experts sont rarement pris au sérieux. Du fait de l’anonymat des éditeurs et de l’impossibilité de vraiment connaître les références de la personne de l’autre côté du modem je ne vois pas comment il pourrait en être autrement… mais devoir étayer chaque affirmation par une source vérifiable a sans aucun doute repoussé des éditeurs qui autrement auraient apporté une contribution importante à notre effort.

De nombreux universitaires, indignés d’être traités de la sorte par des gens qu’ils ne connaissaient pas ou qu’ils ne respectaient pas (intellectuellement s’entend !), se sont retirés du projet avec dégoût, résolus à ne jamais plus employer Wikipédia et à ne plus jamais en encourager l’usage non plus.

J’ai également souvenir d’un incident où l’auteur d’un livre cité dans un article a tenté de corriger l’article, mais sa modification a été refusée par des éditeurs qui se sont servis de son propre livre pour justifier le rejet. Frustré, il répondit en substance « C’est moi l’auteur de ce foutu texte que vous citez à tort, je sais de quoi je parle ! », mais ça ne l’a pas beaucoup aidé. D’un autre côté, pourquoi en tant qu’éditeurs devrions-nous accepter aveuglément ce que nous dit un « expert » auto-proclamé ? N’est-ce pas ce qui fait en partie la vision de Wikipédia ? Nous ne nous contentons pas (ou nous ne devrions pas nous contenter) de donner les faits… idéalement nous fournissons aussi des sources afin que tout un chacun puisse vérifier ces faits. On retombe sur « l’accès libre à l’information » !

Mon enthousiasme pour le projet novateur de Jbmurray, l’espoir qu’il est possible non seulement d’améliorer notre encyclopédie (ce qui me tient à cœur) en aidant les élèves dans leurs études, mais aussi de renforcer sa crédibilité et peut-être même de recruter de nouveaux accrocs à Wikipédia éditeurs, a donc été quelque peu tempéré par les expériences qu’ont eu de nombreux universitaires avec nous. Évidemment, Jbmurray n’était pas exactement un novice sur Wikipédia et il était déjà au courant des particularismes, voire même parfois des absurdités, qui maintiennent notre effort sur de bons rails, mais cela ne préfigurait en rien du succès de son projet.

Côté technique, j’avais de gros doute qu’on puisse ne serait-ce qu’approcher le grade d’Article de Qualité pour chaque article du projet. Malgré ce que peuvent en dire les critiques, rédiger un Article de Qualité est un processus complexe et rigoureux qui demande une grande disponibilité, beaucoup d’énergie et, oserais-je le dire, de l’expertise (pas seulement sur le sujet de l’article mais aussi sur les critères strictes des Articles de Qualité). Le seul moyen d’atteindre ce but était que la FA-Team collabore étroitement avec Jbmurray et les éditeurs de MMM.

J’ai tiré de mon expérience sur Wikipédia la conclusion que pour certains éditeurs le principe de la collaboration restera à tout jamais un mystère. Et pourtant il n’y a rien de bien sorcier si tout le monde y met de la bonne volonté. C’est évident que si les éditeurs sont traités avec respect, approchés de manière ouverte et amicale, remerciés pour ce qu’ils font de bien et réprimandés (poliment !) lorsqu’ils se trompent, ils répondront alors positivement dans la plupart des cas. Que ce soit sur Internet ou dans la vraie vie, certains sembleront toujours génétiquement incapables de formuler des encouragements ou de recevoir des critiques, mais ces personnes poussent à bout la patience de la communauté et finalement abandonnent le navire.

Bien que nous baignons dans un monde virtuel, nous avons à faire avec des personnes bien réelles avec des émotions bien réelles au bout de la connexion, alors pourquoi devraient-elles être traitées plus durement que si nous les rencontrions dans notre bureau, notre salle de classe ou au bar… et au nom de quoi devrions nous fermer les yeux sur de tels agissements ? Wikipédia s’auto-gère assez bien, ce qui profite à la collaboration, et comme le note Jbmurray ceci peut déboucher sur une synergie qui vous permet de croire que notre vision est vraiment à notre portée. Il soulève ici un corolaire très intéressant, un corolaire qui touche à la critique universitaire. Lorsque la collaboration existe (et en déformant les paroles bibliques, lorsque deux éditeurs ou plus s’unissent au nom de Wikipédia…), de grandes choses peuvent se produire.

Mais lorsque l’on permet aux articles de se morfondre dans leur médiocrité, et cela arrive encore trop souvent pour des articles techniques, ésotériques ou académiques, c’est notre réputation qui s’en retrouve entachée. Au bout du compte, tout ce que l’on obtient alors est de l’antagonisme, qu’il représente aussi bien le « contraire de la synergie » que la « caractérisation de la réaction des personnes qui accèdent à ces articles ».

Grâce au soutien universitaire de Jbmurray, aux encouragement et aux conseils techniques de la FA-Team, les rédacteurs étudiants de MMM ont produit un impressionnant travail de fond, fait d’autant plus remarquable que beaucoup n’avaient jamais édité dans Wikipédia avant ce travail. Dans un certain sens nous poussons ici plus loin encore qu’à l’accoutumée les capacités de la communauté à travailler dans la même direction, puisque, contrairement à nous wikipédiens, les éditeurs de MMM ne sont pas ici de leur plein gré mais parce qu’ils y sont obligés, de leur succès dépendent leurs notes ! Voilà qui les pousse à collaborer encore davantage pour atteindre leur but, mais c’est une motivation autre que celle qui anime d’ordinaire nos éditeurs volontaires.

Je ne suis pas naïf au point d’imaginer que tous les wikipédiens adhèrent à l’idéal de Wales, chaque éditeur a sa propre motivation et certaines sont moins louables que d’autres. Quoiqu’il en soit, si on met de côté ceux qui sont là pour, par exemple, créer des articles vaniteux ou pour faire de la publicité pour leur commerce, le résultat final est le même et encore une fois, c’est la collaboration de tant de personnalités différentes pour aboutir à un but commun qui me donne espoir et qui me fait croire à la mission de Wikipédia.

La collaboration n’est pas toujours simple (si c’était le cas, des groupes comme le Comité d’Arbitrage et des pages comme l’Appel aux commentaires seraient largement superflus) et dès le début certains des éditeurs de MMM ont dû se frayer un chemin dans le méandre des révisions des articles, prenant alors potentiellement le risque de déclencher de nouvelles guerres d’édition ou pire encore. Ils y sont très bien parvenus grâce à leur propre envie d’apprendre et grâce à la bonne volonté dont ont fait preuve les éditeurs réguliers qui n’étaient pas familiers avec ce projet et ces objectifs, sachant que la différence entre le premier essai timide d’un nouvel éditeur et l’acte de vandalisme est parfois difficile à discerner.

Alors, sur quoi va déboucher cette expérience MMM ? On en aura évidemment une meilleure idée quand elle aura déjà un peu de vécu, mais on peut espérer que les étudiants la trouveront enrichissante et instructive, qu’ils en retiendront plus que juste les notes qu’ils recevront. Scolairement parlant, comme l’écrit Jbmurray, ils devraient en tirer une meilleure compréhension de la nécessité d’étayer leurs informations avec des sources vérifiables et ils devraient aussi mieux percevoir les limitations d’une encyclopédie en temps que ressource. Wikipédia ne peut être, même dans le meilleur des cas, que le point de départ d’une recherche approfondie. Le projet a peut-être aussi posé les bases d’un modèle qui aura du succès dans le monde universitaire.

Cela ne fait aucun doute, de nombreuses personnes parmi les éditeurs sont hautement qualifiées dans leur domaine et dans le partage de leurs connaissances dans ce domaine au sein même de l’encyclopédie, contribuant à améliorer le niveau global de Wikipédia. Mais la sempiternelle question de la couverture du sujet reste toujours en suspens dans la communauté (ou plutôt chez ceux qui s’intéressent plus particulièrement à la qualité des articles). Nous pouvons imposer des règles et des critères pour les Bons Articles ou pour les Articles de Qualité mais, en tant que non-experts, comment être surs qu’un article est complet et précis ? Nous pouvons utiliser les sources mentionnées et vérifier les références, mais sans un expert à disposition nous devons nous reposer sur l’article lui-même pour obtenir ces informations.

D’une manière générale notre travail est satisfaisant, car même en tant que non-experts quelques recherches nous permettent de juger de la profondeur (ou du manque de profondeur) de la couverture d’un article. Mais comme l’a prouvé cette expérience, les conseils d’experts sont inestimables. Pour résumer, nous avons besoin des universitaires car apparemment leurs étudiants ont besoin de nous.

Naturellement, des mises en garde sont de rigueur. Si certains experts ne voient en Wikipédia que frustration et antagonisme, c’est principalement car ils n’ont pas à l’esprit la spécificité de Wikipédia, à savoir sa communauté et ses lois. Même si la grande majorité des éditeurs supposera la bonne foi, le respect se gagne. C’est seulement en lisant les règles de Wikipédia et en faisant l’effort de vous y tenir que vous gagnerez ce respect qui donnera du poids à vos opinions et vos propositions. Quelle crédibilité peut-on accorder à universitaire étranger débarquant dans un séminaire en imposant ses propres pratiques et en faisant fi des convenances et traditions locales ?

Pourquoi devrions nous alors accepter ce genre de comportement ? Comme Jbmurray le fait remarquer, la capacité à développer une idée et de la défendre avec ardeur a moins de valeur sur Wikipédia que la capacité à négocier un consensus… et de se retirer avec élégance si ce consensus ne va pas dans notre sens, même lorsque les autres éditeurs ont ponctuellement clairement tort (ce qui arrive inévitablement avec une communauté de cette dimension). Mais à long terme, est-ce vraiment important ? Le consensus peut évoluer, et un article peut toujours être revu une semaine après, un mois après, une année après…

L’incapacité chronique de certains universitaires et experts à réaliser que Wikipédia n’est pas l’extension de leur faculté et qu’elle n’est pas par conséquent sous leur autorité, que notre mission est simplement de reproduire ce qui a déjà été publié par des sources vérifiables (vérifiabilité, pas vérité), et que leurs compétences dans un domaine ne les dote pas nécessairement de la capacité à bien faire dans d’autres domaines, a sans aucun doute affecté les relations dans les deux sens. Cependant le monde académique a beaucoup à y apporter, si l’on ne se trompe pas sur ce qu’est Wikipédia (et encore plus ce qu’elle n’est pas ou ce qu’elle ne prétend pas être). C’est ce que démontre le projet MMM de Jbmurray où tout le monde est au final gagnant.

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008

Les autres articles du dossier

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.



Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 4/6

Cet article fait partie du dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation.

C’est la traduction d’une interview du professeur et de trois de ses étudiantes parue dans la Gazette du Wikipédia anglais qui est ici présentée[1].

Copie d'écran - Wikipédia - Interview

Rencontre avec l’équipe du 2000ème Article de Qualité

Wikinews interviews team behind the 2,000th featured Wikipedia article

Brian McNeil – 14 avril 2008 – Wikipedia Signpost
(Traduction Framalang : Olivier)

Cette semaine, la version anglaise de Wikipédia célèbre son 2000ème Article de Qualité avec l’accession à ce grade de l’article El Señor Presidente. Les Articles de Qualité (AdQ) sont les exemples de ce que Wikipédia a de mieux à offrir en termes de qualité, de précision, de neutralité, d’exhaustivité et de style, et sont par conséquent considérés comme les meilleurs articles sur Wikipédia.

Le système d’évaluation de Wikipédia (proposition d’Articles de Qualité) qui juge les candidatures a élevé cinq articles au rang d’Article de Qualité en même temps : Walter de Coventre, Maximian, El Señor Presidente, Lord of the Universe et Red-billed Chough. Lorsque cinq articles se voient simultanément attribuer cette distinction comment déterminer lequel est le 2000ème autrement qu’arbitrairement ? À vrai dire chacun de ces articles pouvait légitimement revendiquer cet honneur.

Ce qui démarque El Señor Presidente des autres est qu’il est le premier exemple connu d’Article de Qualité directement issu d’un projet pédagogique, le wikiprojet Madness, Murder, and Mayhem (NdT : Meurtre, Folie et Chaos). Jon Beasley-Murray, professeur de littérature espagnole à l’Université de la Colombie Britannique, a en effet décidé de demander à ses élèves de participer à Wikipédia plutôt que de rendre des dissertations classiques. Il leur a ainsi attribué un ensemble d’articles à créer sur la littérature espagnole. Et de la qualité de l’article dépendait la note finale, un Bon Article apportant un A à ses auteurs tandis qu’un Article de Qualité leur assurait un A+. La classe a reçu l’aide de la FA-team, un nouveau Wikiproject dont le but est d’aider les nouveaux wikipédiens à obtenir le statut d’Article de Qualité. Parmi les douze articles sélectionnés, huit ont atteint le grade de Bon Article et trois au total sont devenus des Articles de Qualité (Mario Vargas Llosa et The General in His Labyrinth ont obtenu leur distinction dans la foulée de El Señor Presidente). Au début du projet la plupart de ces articles ne figuraient pas dans l’encyclopédie et certains ont donc été créés pour l’occasion comme ce fut le cas pour El Señor Presidente.

L’idée de Beasly-Murray était de se servir de Wikipédia comme d’un espace collaboratif où ses étudiants pourraient à la fois travailler leur matière et fournir, en quelque sorte un service public virtuel. Il a donc initié un projet Wikipédia, Murder Madness and Mayhem, dans le but de créer ou bonifier des articles sur les ouvrages de littérature d’Amérique Latine étudiés dans son cours. El Señor Presidente est l’œuvre de l’écrivain guatémaltèque lauréat du prix Nobel Miguel Ángel Asturias. C’est donc sans surprise qu’il est vu comme l’un des titres majeurs de la littérature sud-américaine.

Beasley-Murray a décrit cette expérience dans un essai. Il y raconte comment ce devoir a permis aux étudiants d’améliorer leurs aptitudes de recherche et comment ils se sont adaptés au cas particulier de l’écriture à destination d’un large public. Wikipédia, dit-il, n’encourage pas le type d’écriture persuasive généralement demandée en université, mais c’est un très bon exercice de recherche où il faut faire preuve d’esprit critique. On notera que ce WikiProject a causé quelques remous dans certains forums Internet dédiés à l’éducation, comme dans ce message intitulé : « Est-ce que Murder, Madness and Mayhem représente le futur des études supérieures ? ».

Ce n’est pas le premier projet universitaire faisant partie d’un cursus. C’est en revanche le premier à rencontrer un tel succès. Par le passé, des projets semblables ont connu des destinées diverses et variées, certains n’apportant que peu d’informations aux pages concernées, d’autres étant carrément chaotiques, sans réelle gouvernance, ne montrant aucun respect pour les règles de Wikipédia et n’ayant pas vraiment d’autres consignes que « étoffez pour avoir une bonne note ». Ce projet a réussi là où d’autres ont échoué pour deux principales raisons : le leadership du professeur, Jbmurray et les conseils de la FA-Team qui a aidé les étudiants et leur professeur à se faire aux us et coutumes du site et autres bizarreries typiquement wikipédiennes.

L’équipe de Wikinews a contacté le professeur Beasley-Murray pour qu’il nous raconte plus en détails cette histoire dans une interview. Vous trouverez ses réponses ci-dessous. Elles sont complétées par les interventions de trois de ses étudiants qui ont participé à la création et à l’élévation de El Señor Presidente au rang d’Article de Qualité. En plus du 2000ème Article de Qualité, le projet a pour l’instant aussi donné naissance à sept Bons Articles.

Murder, Madness and Mayhem

Wikinews : Professeur Beasley-Murray, merci de nous accorder un peu de votre précieux temps et merci d’avoir accepté de nous rencontrer. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a conduit à initier ce projet ?

Dossier Wikipédia - Jon Beasley-Murray - CC byProf. Jon Beasley-Murray : En premier lieu, je voudrais dire que j’ai déjà écrit quelques réflexions à propos du projet sur Wikipédia même, c’est un essai que j’ai intitulé « Madness ».

Mais je peux vous en faire un résumé : j’ai fait quelques modifications sur Wikipédia il y a un an. J’ai commencé un peu par accident, après avoir découvert avec surprise qu’une partie de mes travaux universitaires se sont retrouvés sur le site. J’ai consacré un peu de temps à réorganiser et à étoffer des articles et des catégories liées à l’Amérique Latine, en particulier à la culture sud-américaine, qui est ma spécialité. J’ai découvert que la couverture de ce sujet sur Wikipédia était inégale, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est en m’engageant là dedans que j’ai pris conscience que des étudiants pourraient apporter une participation constructive au site. Ils se servent déjà de Wikipédia, pourquoi ne pas trouver une manière de les faire participer ? C’est là que j’ai réalisé que c’est seulement en contribuant à cette encyclopédie qu’on peut vraiment la connaître, mieux distinguer ses forces et ses faiblesses, mais surtout comprendre ce qui fait qu’elle est comme elle est.

En fait j’ai toujours été attiré par l’usage de la technologie dans l’enseignement : listes de diffusion, sites Web, etc. Mais je n’ai jamais été un grand fan des « technologies de l’éducation » et ses prgrammes comme WebCT que les élèves ne rencontrent qu’en classe. En créant une sorte ghetto pédagogique, les technologies de l’éducation semblent passer complètement à côté des possibilités les plus intéressantes et les plus passionnantes qu’offre Internet : l’ouverture sur le vaste monde qui existe en dehors de la salle de classe et la re-définition des liens, parfois fragiles, entre les enseignants (censés être des experts et des puits de savoir) et les étudiants (trop souvent considérés comme les destinataires passifs de ce savoir).

Globalement, le projet sur Wikipédia avait plusieurs avantages :

  • faire mieux découvrir Wikipédia aux étudiants, un site important qu’ils emploient souvent (et trop souvent à mauvais escient);
  • améliorer Wikipédia en créant du contenu nouveau sur des sujets encore incomplets;
  • encourager les étudiants à créer quelque chose qui irradie au-delà du périmètre du cours, dans la sphère publique;
  • leur donner des objectifs tangibles qui seraient jugés autrement que par mon point de vue professoral;
  • changer leur approche de l’écriture en mettant en valeur l’importance de l’amélioration permanente;
  • leur apprendre la recherche et comment utiliser et évaluer une source.

Avez-vous consulté d’autres universitaires ou des étudiants avant de lancer ce projet ?

JMB : Non, pas vraiment en fait. Peut-être aurais-je dû ! Mais j’ai évoqué cette idée l’été dernier avec un ami qui travaille dans les technologies de l’éducation à l’Université de Colombie Britannique qui m’avait déjà aidé par le passé à intégrer des blogs dans mes cours. Cet ami, Brian Lamb, s’est montré comme à l’accoutumée enthousiaste pour ce genre d’expérimentation. Il s’est renseigné pour savoir si des bourses allouées à ce type d’initiatives existaient, mais apparemment ce n’était pas le cas. J’ai malgré tout décidé de poursuivre mon idée en solo.

Et en janvier, au moment où le projet allait débuter, je me suis inscrit sur Wikipédia : Projets Pédagogiques. De nombreux autres projets y étaient déjà référencés, certains déjà achevés, d’autres encore en cours. Je me suis alors dit que je n’étais pas vraiment seul finalement et que mon projet n’était pas si innovant. Je ne me suis rendu compte à quel point notre projet était différent et ambitieux que bien plus tard : notre but était de créer des Articles de Qualité, douze si possible, alors qu’aucun autre projet pédagogique n’y était parvenu !

Je suppose que la communauté Wikipédia vous soutenait. Des personnes extérieures à cette communauté vous ont-elles adressé des critiques négatives ?

JMB : Non, mais comme je vous l’ai dit, je n’en ai parlé à quasiment personne.

Mais je voudrais quand même préciser qu’il ne fallait par prendre le soutien de la communauté Wikipédia pour argent comptant. Pour d’autres projets pédagogiques, la première réaction des wikipédiens n’était pas si favorable. C’est en partie dû au fait que les étudiants sont encouragés à créer un nouvel article sur ce qu’ils veulent et ceux-ci se retrouvent rapidement menacés de suppression. C’est aussi parce qu’ils écrivent leurs dissertations hors ligne puis les envoient, et évidemment le plus souvent elles ne respectent pas les règles en vigueur sur Wikipédia (celles sur les Travaux inédits par exemple). Ces articles se retrouvent très vite décorés de commentaires et les pages de discussion qui y sont associées sont remplies d’avertissements et de reproches. Nous avons globalement réussi à éviter cela… principalement par chance ! Mais aussi que c’est parce que j’avais déjà passé pas mal de temps sur Wikipédia, et que j’étais familier de certaines coutumes du sites (mais pas toutes, loin s’en faut). Et puis surtout nous avions un but précis : les étudiants ne contribuaient pas à Wikipédia juste pour le plaisir de contribuer à Wikipédia.

Malgré cela, l’un de nos articles a été marqué pour « suppression rapide ». L’article s’est retrouvé affublé de ce bandeau moins d’une minute après que je l’ai créé devant tous les étudiants pendant un cours. Ce fut, devant toute la classe, un horrible moment de solitude, et j’ai eu furtivement le sentiment que tout allait très mal se passer. L’article marqué pour suppression immédiate était El Señor Presidente… qui est devenu, comme vous le savez, le 2000ème Article de Qualité sur Wikipédia.

Quelle importance dans la notation finale des étudiants avez-vous accordée au travail sur Wikipédia ?

JMB : À la base, le travail sur Wikipédia devait seulement représenter 30% de la note finale pour ce cours. Mais arrivé à la moitié du semestre j’ai commencé à m’inquiéter car le projet n’avait que peu avancé. J’ai donc proposé aux élèves de modifier la méthode d’évaluation en annulant les examens de fin de semestre. Par conséquent, les autres travaux qu’ils avaient réalisés (un partiel, leurs blogs et Wikipédia) devenaient tous plus importants. Après avoir évoqué cette proposition je leur ai laissé le temps de la réflexion. La décision a été prise par vote à bulletin secret avec la règle suivante : l’évaluation ne serait modifiée que si au moins deux tiers (66%) de la promotion étaient pour. Finalement, 85% de la classe a voté en faveur de l’augmentation du coefficient du projet Wikipédia pour qu’il représente 40% de leur note finale.

Étant moi-même (Brian McNeil) membre du comité de communication de la fondation Wikimedia, j’entends souvent les arguments des deux camps sur la pertinence et la fiabilité de Wikipédia. Les cas de figure peuvent être diamétralement opposés : depuis des étudiants se demandant pourquoi leur bibliothécaire ou leurs professeurs ont proscrit l’usage de Wikipédia pour un devoir, jusqu’au cas plus récent d’un enseignant chirurgien au Royaume-Uni demandant la permission de citer abondamment Wikipédia pour une publication sur la pertinence de l’encyclopédie et l’utilité qu’elle pourrait avoir pour les étudiants en médecine. J’ai une réponse toute prête pour expliquer comment vérifier les sources de Wikipédia : Wikipédia est un point de départ formidable pour vos recherches et si vous rejetez Wikipédia vous devriez aussi rejeter Britannica. Êtes-vous d’accord avec ça ?

JMB : Au cours de ce semestre je me suis forgé ma propre réponse à cette question. Si l’article Wikipédia est bon vous n’aurez même pas à le citer car il contient tous les liens nécessaires. S’il ne contient pas ces liens, ce n’est pas un bon article et il ne devrait donc surtout pas être cité.

Avant ce semestre je demandais expressément à mes étudiants de ne pas citer Wikipédia dans leurs devoirs, et je vais continuer dans cette voie. Je me méfie aussi quand ils citent des définitions du dictionnaire. Et même s’ils ne citent pas l’encyclopédie Britannica (je pense que Wikipédia a remplacé Britannica en fait), je ne serais pas non plus impressionné s’ils le faisaient.

Mais évidemment, comme vous le dites, Wikipédia peut être un excellent point de départ pour une recherche. Je l’utilise d’ailleurs souvent dans cette optique.

Feriez-vous à nouveau appel à un wiki si vous deviez recommencer une expérience collaborative ? On parle de quelque chose qu’on pourrait appeler « Eduwiki » pour la création de contenu pédagogique. Seriez-vous prêt à vous impliquer dans un tel projet ? Pensez-vous que le logiciel Mediawiki pourrait être utilisé dans d’autres domaines de l’éducation ? Ce type d’initiatives pourraient faire partie de plus vastes projets lancés par la fondation Wikimedia tels que Wikibooks ou Wikiversity. Choisiriez-vous ce type de fonctionnement ouvert au détriment d’un projet fermé au sein du monde universitaire où les compétences des contributeurs peuvent être vérifiées ?

JMB : Je ne sais pas vraiment. Comme vous avez déjà pu vous en apercevoir, j’ai fortement tendance à douter de tout ce qui comprend « édu » dans la dénomination. Je dis ça avec tout le respect que je dois à mes amis qui sont dans « EduTech », mais je devrais ajouter qu’ils sont souvent aussi suspicieux que je le suis, si ce n’est plus ! J’ai déjà travaillé deux fois avec des wikis dans des environnements plutôt fermés, ça n’a jamais été un succès. Je pense que c’est parce que nous n’avions pas atteint la masse critique. Ce qui fait que Wikipédia marche c’est la masse critique (même si, bien sûr, un faible pourcentage des lecteurs de Wikipédia deviennent contributeurs).

Dossier Wikipédia - Université de la Colombie Britannique - CC by-saIl faut dire aussi que peu de gens du monde universitaire comprennent l’esprit des wikis. Il leur (nous) est difficile de ne pas se (nous) montrer possessifs vis-à-vis de leur (notre) travail. Je crois que c’est de là que naissent les antagonismes et la frustration que ressentent les universitaires lorsqu’ils s’impliquent sur Wikipédia. C’est rarement « l’expertise » qui est en cause mais plutôt la propriété. Je reconnais que je ne suis pas très précis, mais par exemple un wiki avait été mis en place dans mon université, mais il était impossible de modifier le texte de quelqu’un d’autre. On aurait très bien pu alors afficher des pdf. C’était plus un exercice de monographie qu’un exercice d’écriture collaborative.

Et pour ce qui est des qualifications, sujet largement débattu sur Wikipédia, je pense que ce sont des sornettes. Je ne pense pas que les qualifications aient une si grande importance. Mes étudiants ne peuvent pas s’enorgueillir de beaucoup de titres, mais ils ont quand même produit un excellent résultat.

Comment qualifieriez-vous la réaction de vos étudiants à l’idée de faire ce devoir alors que tout le monde peut observer leur progression, y étaient-ils réceptifs ?

JMB : Dans les cours précédents j’ai souvent demandé à mes étudiants de tenir un blog, blog qui était évidemment visible de tous. Mais à vrai dire, peu de personnes se retrouvent pas hasard sur le blog d’un étudiant. Ce n’est pas vraiment le fait que les articles de Wikipédia soient publics qui importait mais plutôt le fait qu’ils allaient contribuer à l’un des dix sites les plus visités sur Internet. Alors je me suis décidé un jour à faire mes petites recherches pour savoir combien de personnes visitaient les pages sur lesquelles nous travaillions (j’ai accumulé ces résultats et je les ai plus tard mis à jour ici). Durant le cours suivant nous avons joué à deux petits jeux de devinette. Il fallait d’abord qu’ils devinent le pourcentage d’Articles de Qualité sur Wikipédia ; ils ont commencé avec 30% et ça leur a pris du temps avant de baisser leur estimation à 0,15%. Nous avons fait ce petit jeu juste après qu’El Señor Presidente eut atteint le statut d’Article de Qualité, ça leur a donné une idée de la performance qu’ils avaient réalisée je pense.

La deuxième devinette concernait le nombre de pages vues que généraient leurs articles chaque mois. Je ne sais plus quel nombre ils m’ont dit en premier, mais ce que je sais c’est qu’il était bien inférieur aux 50000 visites que l’article sur Gabriel García Márquez reçoit effectivement. Après avoir calculé que cet article devait recevoir plus de 600000 visites par an (je crois que c’est 750000 maintenant), l’équipe en charge de cette page a reçu un choc. Mais je pense aussi que réaliser l’importance de leur travail était excitant en même temps. Et je sais aussi que les étudiants qui verront bientôt leur article sur la page d’accueil du site anglais (le 5 mai) seront vraiment enchantés. Mais je crois que ce qui les intéresse le plus (eux et les autres étudiants) n’est pas le fait que le « public » ait accès à leur travail mais plutôt le fait de pouvoir dire à leurs amis et à leur famille de jeter un œil à leur travail.

Certains de vos étudiants ont-ils eu des problèmes d’adaptation qui les ont empêchés de travailler sur Wikipédia ?

JMB : Oui. Les réponses ont été assez variées. Certains étaient vraiment enthousiastes. Pour d’autres, il fallait laisser le temps à l’idée de faire son chemin. Quelques-uns ne se sont jamais vraiment sentis à l’aise avec le travail sur Wikipédia. Il m’est difficile de dire individuellement pourquoi. Certains ont été trop intimidés par la technologie, mais je pense surtout qu’ils n’y ont pas consacré assez de temps pour dépasser les premières barrières. De plus, comme c’était un travail de groupe, certains de ses effets pouvaient être angoissants par moments. C’est un aspect auquel je devrais réfléchir avant de tenter à nouveau une expérience similaire.

Pensez-vous que fonctionner ainsi, de manière aussi ouverte, a poussé les étudiants à travailler plus consciencieusement qu’ils ne l’auraient fait autrement ?

JMB : Oui, absolument, c’est certain ! Les étudiants, les plus actifs tout du moins, ont participé à l’élaboration d’articles comprenant entre 4000 et 8000 mots étayés par des recherches exhaustives, corrigés à maintes reprises, avec un souci du détail méticuleux. N’importe lequel des articles qu’ils ont rédigés est bien meilleur que n’importe quelle dissertation qu’ils auraient produite autrement. Évidemment, certains étudiants étaient plus actifs que d’autres. Ils ont donc appris plus et ont aussi été plus poussés que les autres. Mais les remarques et les questions incessantes des autres éditeurs de Wikipédia, en particulier des membres de la FA-Team, qui a réalisé l’essentiel du travail de révision, les ont forcés à toujours réfléchir à ce qu’ils disaient, à comment ils le disaient et à bien citer leurs sources.

Rétrospectivement, que feriez-vous différemment ?

JBM : Certains aspects du travail en groupe n’ont pas fonctionné de manière optimale. Nous avons également commencé assez lentement : il faudrait que je réfléchisse à comment y remédier. De plus, une fois que le projet sera achevé, la FA-Team et moi (et n’importe quel étudiant intéressé évidemment) prévoyons une réflexion « post-mortem » sur tous les aspects de la collaboration. On peut toujours améliorer les choses. J’ai aussi beaucoup appris grâce à ce projet et j’espère bien me servir de cette expérience la prochaine fois.

Vous en êtes à 6000 éditions, avez-vous attrapé le « virus wiki » ? Allez-vous continuer à participer ?

JMB : 7000 maintenant ! Il faudra bien que je lève le pied quand le projet sera terminé car il m’a pris énormément de temps. Mais je compte me remettre en selle à l’automne.

Maintenant que l’on peut dire que votre projet est une réussite, qu’auriez-vous à dire à d’autres universitaires pour les persuader de se lancer dans des expériences similaires ?

JMB : Je les y encouragerai c’est sûr, mais je ne voudrais pas passer pour un évangéliste de Wikipédia. Je peux tout à fait comprendre pourquoi des activités précédemment engagées avec l’encyclopédie ont pu se révéler décevantes, frustrantes ou pire encore. Mais je pense que, particulièrement si les universitaires prennent le temps de comprendre les aspects de la culture de Wikipédia, certaines activités peuvent se montrer très gratifiantes. Nous avons eu beaucoup de chance de croiser le chemin de la FA-Team, un groupe d’éditeurs expérimentés de Wikipédia qui venait juste de se former pour aider les autres à atteindre le statut d’Article de Qualité. Leur participation a été un vrai don du ciel. Mais je ne vois pas pourquoi d’autres ne pourraient pas bénéficier d’une assistance semblable (voire différente, sait-on jamais, et peut-être meilleure) dans d’autres circonstances.

Avant de continuer en faisant participer vos étudiants à la discussion, j’aimerais conclure en vous demandant votre avis sur l’intégration d’un tel exercice au programme. L’envisagez-vous ? Pensez-vous que d’autres institutions devraient étudier votre projet en vue de le reproduire ?

JMB : Je recommencerai cette expérience, ça ne fait aucune doute. Le seul côté négatif pour le professeur est que, s’il veut que le projet soit correctement mené, il doit y consacrer beaucoup de travail. Mais d’un autre côté, en terme de ressources, ce genre de projet n’en requiert quasiment pas. Mon université (et bien d’autres) paye des licences à plusieurs millions de dollars pour des logiciels pédagogiques comme WebCT. C’est de l’argent gaspillé, beaucoup d’argent gaspillé d’après moi, mais je reconnais que c’est un racket lucratif pour ceux qui vendent ces logiciels. Je pense aussi que l’université se désengage d’une part importante de sa mission : investir dans les Biens Communs. La tendance aujourd’hui, dans le monde universitaire, est à la privatisation et au cloisonnement (même si je dois dire qu’il existe encore quelques valeureuses exceptions, le travail sur l’accès libre de mon ancien collègue John Willinsky est à ce titre exemplaire). À mesure que les universités s’impliqueront dans Wikipédia, elles réaliseront qu’elles peuvent le faire sans nécessairement y perdre leurs exigences de qualité en matière de recherche et la rigueur universitaire qu’il est également de leur devoir de défendre, et que cela profite non seulement à leurs étudiants mais aussi au bien commun.

Bons Articles et Articles de Qualité

En plus de l’Article de Qualité, sept autres articles ont atteint le statut de Bons Articles. Était-ce une source de motivation pour tous ceux d’entre vous impliqués dans le projet ?

Dossier Wikipédia - Étudiants de Jon Beasley-Murray - CC byMonica Freudenreich : Je ne peux pas parler au nom de toute la classe, mais je crois que nous étions tous un peu hésitants. Nous n’avions jamais été confrontés dans notre cursus à un projet d’une telle envergure et nous ne savions pas vraiment ce qui allait en ressortir, c’est le moins que l’on puisse dire. Nous autres étudiants, nous avons l’habitude de toujours faire les choses à la dernière minute et pour ce projet ça n’était vraiment pas possible. Et donc, malgré un démarrage assez poussif dans l’ensemble, je pense que le statut que la plupart des articles du projet ont atteint est vraiment impressionnant et que cette réussite est une énorme motivation en elle-même.

Katy Konik : Je ne peux pas parler au nom de tous, mais je pense que de voir tous ces articles atteindre le statut de Bons Articles a prouvé que l’objectif était tout à fait atteignable. Je crois que le seul problème est qu’au sein de la classe chacun travaille à son rythme. Voir que d’autres ont déjà atteint le statut de Bon Article quand on n’y est pas encore peut mettre la pression.

Elyse Economides : Cela nous a servi d’encouragement, mais en même temps rendait la tâche un peu plus intimidante. C’était formidable de voir tant de groupes atteindre le statut de Bon Article au bout de quatre mois, mais cela nous rappelait également tous les efforts et le temps qui devaient y être consacrés. Heureusement, voir nos camarades obtenir le statut de Bon Article nous a convaincus que ce défi était à notre portée.

À quel moment avez-vous ressenti qu’il était possible d’atteindre les statuts de Bon Article ou d’Article de Qualité ? Depuis combien de temps travailliez-vous sur Wikipédia à ce moment là ?

MF : Je me suis créé un compte en janvier, comme beaucoup d’autres étudiants de notre classe, je ne savais même pas avant qu’on pouvait modifier Wikipédia. La page a été créée, je crois, le 15 janvier, avec l’aide du Dr Beasley-Murray. Comme je n’avais aucune idée de la manière de créer une page, après que le bandeau « suppression immédiate » ait été apposé sur l’article, je me suis dit que je devrais y apporter du contenu pour éviter qu’elle soit supprimée. Nous avions entrepris notre travail depuis 3 mois avant d’être promus sur la liste des articles candidats au grade de Bon Article puis à partir de là il nous a fallu 1 mois supplémentaire pour recevoir notre étoile d’or récompensant les Articles de Qualité. Mais je ne crois pas que ce soit le temps qui compte dans l’obtention d’un Bon Article ou d’un Article de Qualité, c’est plutôt la qualité du contenu et la volonté des autres wikipédiens de collaborer sur le projet. J’ai fait confiance aux utilisateurs plus expérimentés pour nous prévenir quand les statuts de Bon Article ou d’Article de Qualité étaient envisageables et pour nous donner une liste de choses qui restaient à faire pour atteindre ces étapes.

KK : Lorsque le projet nous a été présenté à la mi-janvier nous étions tous très motivés pour atteindre le grade d’Article de Qualité et je crois que je ne réalisais pas très bien la quantité de travail et de ré-écriture nécessaire pour atteindre ce but. À la mi-février nous avons consacré quelques jours à la lecture de toutes les sources en langue anglaise que nous pouvions trouver et nous balancions tout ce que nous trouvions sur la page. C’est à ce moment là que d’autres personnes ont véritbalement commencé à montrer de l’intérêt pour notre travail en proposant des suggestions et en faisant des tas de modifications elles-mêmes. Pour être honnête c’était un peu décourageant de voir à quel point les règles sur Wikipédia sont strictes et de se rendre compte de la quantité de travail de ré-écriture qui nous attendait. Même si ces critères pouvaient paraître de prime abord décourageants, ils nous donnaient une idée exacte de ce que nous devions faire et ils rendaient nos objectifs plus concrets et atteignables.

EE : Une fois que professeur Beasley-Murray nous a vraiment encouragés à commencer nos articles en nous donnant comme consigne de faire une modification, importante ou pas, à notre article, éditer un article sur Wikipédia était déjà moins intimidant même si l’entreprise nous semblait toujours pharamineuse. La base de l’article, le plan et les informations qui ont survécu aux révisions, ont été créés vers la fin février, c’est à ce moment-là que le statut de Bon Article est devenu un objectif tangible. C’est également à ce moment-là que les contributions extérieures à notre groupe se sont faites plus importantes, un apport positif qui s’est maintenu durant le reste de notre progression.

Si vous pouviez modifier les directives pour conseiller les gens qui désirent promouvoir un article au rang d’Article de Qualité, que changeriez-vous ?

KK : Je pense que les directives sont équilibrées et c’est ce qui fait que les Articles de Qualité sont des sources fiables. Je n’aurais en fait qu’une remarque à faire vis-à-vis des Conventions de Style qui sont carrément incompréhensibles pour les profanes comme moi. Si nous n’avions pas reçu le soutien d’éditeurs professionnels qui savaient ce qu’ils faisaient je ne sais pas si nous aurions pu surmonter cet obstacle.

EE : Même si je n’ai probablement pas une expérience des directives aussi importante que les autres membres de mon groupe, de ce que j’en ai vu, un certain niveau d’exigence technique et professionnel est requis, ce qui est nécessaire pour assurer la continuité et le sérieux des articles, mais cela peut se révéler compliqué à comprendre et à mettre en application pour les utilisateurs néophytes. Les directives sont une composante nécessaire de Wikipédia et Wikipédia fournit les explications nécessaires à leur compréhension. Je pense que pour bien se familiariser avec ces directives il faut s’entraîner et prendre exemple sur les autres articles.

Chacune de vos contributions était directement consultable sur Internet. Pensez-vous que ça vous ait encouragé à plus vous appliquer que pour une dissertation conventionnelle que le professeur est seul à lire ?

MF : Pas vraiment. Je pense surtout que ce sont les autres éditeurs de Wikipédia qui nous ont poussés à nous appliquer davantage. Ils nous stimulaient en permanence pour que nous trouvions de meilleurs sources à référencer. Lorsque vous visez un Bon Article ou un Article de Qualité ils mettent la barre extrêmement haut. Les blogs ou d’autres sites Internet comme Facebook rendent également toute contribution directement visible et pourtant leur contenu peut-être d’un niveau très médiocre, si l’on peut parler de niveau. Je pense donc que le fait que notre travail apparaissait sur Internet n’a rien à voir avec notre détermination à travailler dur sur ce projet. Le soutien que nous ont apporté les autres wikipédiens tout au long de l’aventure m’a permis de me motiver pour poursuivre le travail et aussi me fixer des objectifs de qualité élevés.

KK : Je ne pense pas que ça ait quelque chose à voir avec le fait que notre travail était directement visible en ligne. Je crois personnellement que ce sont surtout la possibilité de recevoir des commentaires et de re-travailler les pages qui nous ont poussé à toujours améliorer la qualité de nos contributions. C’est vraiment très différent d’une dissertation que vous ne pouvez rendre qu’une seule fois sans pouvoir la corriger en fonction des commentaires reçus. Par cet aspect du travail nous avons appris beaucoup plus grâce à Wikipédia que grâce à une dissertation, nous pouvions vraiment utiliser les commentaires des autres éditeurs.

EE : J’aurais presque tendance à dire que ça a eu l’effet inverse. Même si de nombreux utilisateurs de Wikipédia font très attention à leurs contributions, Wikipédia reste anonyme et les contributions de chacun ne sont pas nécessairement retraçables. Il faut dire aussi que Wikipédia change perpétuellement au gré des allées et venues des éditeurs, une information que l’on ajoute n’est jamais inamovible. Une dissertation est toujours liée à son auteur et contrairement à Wikipedia, son contenu est définitif.

Ressentez-vous un sentiment d’accomplissement plus grand en ayant apporté quelque chose aux « Communs numériques » plutôt que d’avoir rendu une dissertation ?

MF : Cela ne fait aucun doute. Un nombre incalculable de personnes vont lire cette page au cours de son existence. J’ai investi tellement d’énergie dans la rédaction et l’amélioration de cet article que je suis vraiment fière du résultat final. Quand je le relis, j’ai même du mal à croire que j’y ai contribué. Les dissertations que je rends finissent en général dans un classeur, qui restera bien rangé sous mon lit ou alors dans un coin de mon disque dur, pour ne jamais être ré-ouvertes. La page sur Wikipédia sera consultée et servira certainement à quelqu’un. Je dois dire que je suis plutôt sure que la bibliographie référence quasiment tout ce qui a été publié en anglais sur le sujet. Si quelqu’un cherche à approfondir El Señor Presidente tout est là et je trouve que c’est vraiment incroyable !

EE : Oui et non. Contribuer à la création d’un Article de Qualité est synonyme de répandre cette information à un nombre potentiellement illimité de personne, mais rédiger une dissertation est également un accomplissement à part entière, ça implique beaucoup de recherches et de rédaction. Sur Wikipédia un nombre largement plus important de personnes pourront consulter et apprécier le travail de quelqu’un, je le reconnais, mais c’est aussi moins personnel. Je trouve que les deux font naître un sentiment d’accomplissement, peut-être mêlé à un sentiment de soulagement aussi.

Avez-vous attrapé le « virus wiki » ? Allez-vous continuer à contribuer ?

MF : Je n’en suis pas certaine, je pense que Wikipédia est une formidable ressource et j’éprouve beaucoup d’admiration pour tous ceux qui œuvrent pour que Wikipédia soit une source complète et fiable, mais je ne sais pas encore si je vais continuer à y participer. J’aimerais pouvoir dire que oui, mais entre deux emplois et les cinq cours que je suis, il va falloir que j’arrête ou que je me limite avant la fin du semestre. Ensuite, cet été, je cumulerai trois emplois et deux cours, là non plus je ne sais pas combien de temps je pourrai accorder à Wikipédia. Mais je pense que quand je lirai des romans ou que je ferai des recherches pour des devoirs futurs, j’utiliserai les informations et les références recueillies pour étoffer les articles concernant les sujets étudiés.

KK : Je ne sais pas si je vais continuer à contribuer, il faut voir la quantité de travail et de recherche nécessaire pour produire du contenu de qualité. Si j’ai attrapé le « virus wiki » ça serait plutôt pour le respect que j’accorde maintenant aux autres Bons Articles ou Articles de Qualité. Même si je n’ai pas forcément le droit de les citer dans mes dissertations, j’aurai au moins appris que ce sont des sources excellentes et qu’ils peuvent me mener vers d’autres articles universitaires. Quand je ne connais rien dans un domaine c’est toujours vers Wikipédia que je me tourne et si je peux y trouver des liens vers d’autres sources alors je sais que je suis sur un bon article.

EE : Je pense que je vais continuer à participer, même si ça sera surtout par des modifications mineures comme des corrections orthographiques ou grammaticales, c’est là que je m’épanouis le plus. Je pense que toute modification sur Wikipédia, peu importe son importance, donne à l’utilisateur un sentiment de satisfaction.

Si le Professeur Beasley-Murray souhaitait recommencer ce projet dans les années à venir, quel conseil donneriez-vous aux étudiants qui prendraient votre relève et feraient leurs débuts sur Wikipédia  ?

MF : Je leur conseillerais de s’y prendre tôt et de commencer avec les recherches. En plus du projet sur Wikipédia nous avions à rendre des comptes rendus de lecture. Je conseillerais également une approche hebdomadaire du projet aux étudiants, je leur recommanderais de prendre au moins une heure par semaine pour éditer Wikipédia ou pour faire des recherches sur le sujet. Pour commencer, les bases de données de journaux en ligne sont très utiles, mais il faut reconnaître que de nombreux articles traitant des romans ne sont pas publiés en ligne et l’aide de votre assistant bibliothécaire vous sera très précieuse. J’ai eu recours à leurs compétences trois fois pour savoir comment obtenir les informations que je cherchais. Je leur conseillerais également de ne pas se laisser dépasser par l’ampleur de la tâche. Les wikipédiens imposent des critères de qualité très élevés, mais ils ne sont pas hors d’atteinte. Ayez confiance en vous, même en tant que non diplômé et même si l’anglais n’est pas votre spécialité vous pouvez apporter une contribution importante et voir vos efforts se matérialiser en quelque chose de concret.

EE : Je les encouragerais moi aussi à commencer leurs recherches tôt afin de réunir autant d’informations que possible sur le sujet. Les vétérans et utilisateurs expérimentés de Wikipédia semblent graviter autour des pages qui font preuve d’une activité importante. Je les encouragerais également à trouver leur rythme (ce que j’aurais du faire), à prendre exemple sur d’autres pages et à chercher conseil auprès des autres utilisateurs. Je les encouragerais à se réunir avec les autres membres du groupe assez tôt pour mettre sur pied un plan pour la recherche et l’écriture.

Qui d’après vous note le plus sévèrement ? Les autres professeurs à qui vous avez rendu des devoirs conventionnels ou l’équipe qui juge les contributions faites à Wikipédia en vue de leur attribuer les grades de Bon Article ou d’Article de Qualité ?

MF : La question ne se pose même pas ! L’inspection pour obtenir le grade de Bon Article a vraiment été intense et je dois avouer que j’étais plutôt intimidée au début. Ils ont dégagé toute une liste de points à re-travailler, après les avoir corrigés je me suis rendu compte que ces améliorations étaient à la fois nécessaires et importantes. Mais nous n’étions pas encore au bout de nos peines. En fait, avant même la fin de l’inspection un autre éditeur a passé l’article en revue, vérifiant chaque ligne pour nous présenter à la fin une liste d’améliorations encore plus longue. Une fois qu’elles furent intégrées l’article a encore été révisé de fond en comble. Par moment j’ai vraiment été découragée par la montagne de travail que cela représentait et je n’étais pas tout à fait sûre de pouvoir tout corriger. Mais grâce à leur soutien indéfectible et leur aide nous y sommes parvenus. Pour les devoirs que nous rendons habituellement, les professeurs ne font que peu de commentaires avant de nous rendre les copies. En presque quatre ans passés à l’université, un seul professeur nous a rendu nos devoirs en nous laissant la possibilité de les revoir et de re-travailler les passages problématiques. Et personnellement, je trouve cet exercice de ré-écriture, clarification et amélioration du texte extrêmement formatrice. Au cours des mois écoulés j’ai appris tellement à propos de l’écriture que je ne saurais même pas par où commencer… et ça se voit. J’ai toujours eu des notes autour de B+/A- tout au long de mes études universitaires et aux deux derniers devoirs que j’ai rendus j’ai eu des A ! Je pense que les notes parlent d’elles-mêmes.

KK : Wikipédia était carrément plus intense, mais je pense aussi que le processus était plus juste. La critique ne me gène pas tant qu’on a l’occasion de corriger les choses. C’est exactement ce que j’ai apprécié dans le déroulement de ce projet sur Wikipédia et je crois que c’est la raison pour laquelle ce fut une très bonne expérience pédagogique.

EE : Dans l’ensemble, Wikipédia semble être plus constant et cohérent dans son appréciation alors que les professeurs peuvent parfois noter de manière inattendue. Mais malgré tout, que ce soit avec Wikipédia ou avec mes professeurs, dans les deux cas, un travail de très bonne qualité est attendu et l’auteur est mis au défi de produire un tel travail.

D’autres wikipédiens ne faisant par partie de la classe ont-ils apporté des contributions importantes ? Et si oui, cela vous a-t-il aidé ?

MF : Si au commencement nous étions pratiquement seuls, à mesure que nous nous sentions plus à l’aise sur Wikipédia et que nous étoffions nos recherches sur le sujet, nous avons reçu plus d’aide de la part d’autres wikipédiens, des gens que nous ne connaissions vraiment pas et qui désiraient nous aider à atteindre notre objectif ambitieux : l’Article de Qualité. Cette aide nous a été très précieuse, je pense même que nous n’aurions pu atteindre notre but sans l’assistance et les conseils qu’ils nous ont prodigués tout au long du projet. Je ne les remercierai jamais assez de nous avoir ainsi guidés et remis dans le droit chemin quand nous rencontrions des obstacles.

EE : Oui, d’autres utilisateurs de Wikipédia ont largement contribué, même avant que notre groupe n’approche du statut de Bon Article. Cet esprit communautaire développé entre tous les utilisateurs est vraiment l’un des éléments de base de Wikipédia. Lorsqu’ils identifient un besoin, ils apportent rapidement leur aide et leur soutien.

Une question assez ouverte : voyez-vous une place pour l’utilisation de la technologie wiki dans d’autres matières que vous suivez, ou même dans le futur emploi que vous visez ?

MF : Wikipédia est à mes yeux une formidable ressource où l’on peut trouver des informations concises et bien organisées. Notre société allant toujours plus vite, l’encyclopédie ne fera que gagner en importance pour les personnes qui doivent rapidement vérifier des noms ou des lieux pour leur travail. J’utilise déjà Wikipédia pour vérifier rapidement certaines références ou pour m’informer sur quelqu’un ou quelque chose lorsque je ne suis pas familière avec le sujet.

KK : Je vois plein d’usages potentiels de la technologie wiki. Mon premier réflexe lorsque j’ai une question est souvent de me rendre sur Wikipédia. Même si je ne peux pas citer Wikipédia dans mes devoirs, j’ai appris que si l’article est bon j’y trouverai beaucoup d’informations pour mes travaux universitaires et si ce n’est pas le cas, Wikipédia n’en reste pas moins une excellente ressource où trouver des connaissances de base. Je pense que si plus d’articles pouvaient atteindre au moins le statut de Bon Article l’encyclopédie commencerait à être reconnue comme une source fiable.

EE : J’ai toujours apprécié Wikipédia en tant que ressource où trouver des informations de base pour beaucoup des matières que j’étudie. Et même si elle n’est pas reconnue comme une source purement académique je m’en sers pour me familiariser avec un sujet avant de m’engager dans des recherches plus approfondies. Je trouve également Wikipédia très utile pour les sujets non-académiques, c’est d’ailleurs là que réside sa beauté.

Le 2000ème

Quel a été votre sentiment quand El Señor Presidente a reçu le statut d’Article de Qualité ? Y-avez-vous porté un toast ou avez-vous fait la fête pour célébrer ?

MF : J’étais (et je le suis toujours) extrêmement excitée. Avant que le semestre ne commence en janvier je ne savais même pas que n’importe qui pouvait modifier Wikipédia, ne parlons même pas de créer une page pour la commencer à partir de rien. Je ne savais vraiment pas si nous arriverions à le mener jusqu’aux propositions d’Articles de Qualité mais nous avons bénéficié de tant de soutien pour la révision et les aspects techniques de Wikipédia touchant à la création d’un article que rien n’aurait été possible sans l’aide que nous ont apportée quelques wikipédiens. Malheureusement nous n’avons pas pu fêter ça, le travail d’étudiant semble sans fin, mais je vous avoue que je m’en vante sans vergogne devant ma famille ou mes amis.

KK : C’était vraiment formidable mais, pour être honnête, j’avais tellement pris l’habitude d’éditer Wikipédia pendant deux mois que j’étais presque triste que tout se termine. Créer un article sur Wikipédia est vraiment un travail de groupe et j’étais un peu triste que tout s’arrête après avoir collaboré si intensément avec un groupe extraordinaire.

EE : C’était presque un sentiment surnaturel. On a du mal à croire qu’un article créé en janvier mérite maintenant le statut d’Article de Qualité moins de quatre mois plus tard. Toute notre classe a célébré la fin des cours, j’imagine que nous fêtions un peu en même temps la fin de notre projet sur Wikipédia.

Avez-vous été déçues que plus d’articles n’atteignent pas le statut d’Article de Qualité ?

MF : Je n’ai pas participé à l’élaboration des autres articles, donc ça me touche moins. Peut-être devriez-vous poser cette question à Dr. Beasley-Murray qui a participé, lui, à chaque article.

Est-ce que ça a été plus dur que vous ne l’imaginiez d’atteindre ce statut ?

MF : En fait je ne sais pas vraiment ce que j’attendais. Au début projet j’ai lu d’autres articles traitant de livres qui avaient atteint le statut d’Articles de Qualité et ils étaient vraiment très bons, donc dès le début je savais que ça allait être difficile et j’étais prête à affronter les difficultés et à me lancer.

KK : Je ne dirais pas que c’était plus dur que je ne l’imaginais, mais ça nous a demandé plus de travail. Par chance nous avions avec nous un groupe d’utilisateurs et d’éditeurs de Wikipédia fantastique qui nous a aidés à comprendre dès le début ce qui nous attendait. Et pour être honnête, sans leur aide je pense que tout ce processus aurait été bien plus difficile, voire impossible. J’ai appris à travers cette expérience que si vous êtes prêt à y accorder le travail et le temps nécessaire ce n’est vraiment pas impossible.

EE : L’engagement requis, en temps et en efforts, est important, mais je pense que l’on doit s’y attendre pour un article reconnu. Notre chance a été d’être guidés à chaque étape par des éditeurs expérimentés, c’est grâce à eux que nous sommes arrivés si loin et si vite.

Que les auteurs ne soient pas crédités sur Wikipédia vous pose-t-il problème ?

MF : Absolument pas. Wikipédia est vraiment un effort de groupe et je pense que ça serait injuste de ne citer que quelques noms. J’ai peut-être été l’un des principaux éditeurs, travaillant sans relâche sur l’article, mais en même temps il n’aurait jamais atteint le statut d’Article de Qualité sans le soutien indéfectible d’autres collaborateurs dont l’aide a été extrêmement précieuse. Ce qui m’impressionne toujours, c’est la rigueur de leur relecture, leur capacité à se concentrer sur les passages perfectibles, tout ceci a rendu l’article final tout simplement remarquable.

KK : Cela ne me dérange vraiment pas personnellement car je l’ai fait dans le cadre d’un devoir scolaire. Donc comme je ne me suis occupé que d’un unique article le manque de crédit ne me gène pas, surtout que c’est vraiment un effort collectif. Ce qui me dérange plus est le manque de reconnaissance dont est victime Wikipédia dans le monde universitaire. Beaucoup de personnes ont travaillé d’arrache-pied sur cet article, et il en va de même pour les autres Articles de Qualité évidemment, pour lui assurer de solides bases universitaires et pourtant l’encyclopédie a toujours mauvaise réputation. Je crois que les Articles de Qualité méritent plus de reconnaissance de la part du monde universitaire car ce sont d’excellentes sources d’informations.

EE : Pas vraiment. Le but de Wikipédia est de partager et de diffuser l’information, pas de formuler de nouvelles idées ou d’avancer des hypothèses. En fait, les utilisateurs sont surtout des agrégateurs, ils rassemblent les informations et les organisent en une page cohérente. Même si certains utilisateurs contribuent plus que d’autres, tous les utilisateurs travaillent de concert vers un objectif commun, et cet objectif n’est pas la reconnaissance individuelle. De plus, Wikipédia a mis en place son propre système de reconnaissance et de récompenses pour rendre à César ce qui appartient à César.

« Publier ou mourir » semble être le mantra du monde académique. Pensez-vous que le milieu éducatif devrait adopter Wikipédia, ou tout du moins sa technologie sous-jacente, pour réduire les coûts de publication ?

MF : Étant donné que je ne suis pas encore diplômée je ne peux pas vraiment dire que j’ai été confrontée à cette pression du « publie ou crève » (NdT : publish or die). Je pense en revanche que ce devoir nous a été très profitable et j’y vois beaucoup de points positifs. D’habitude ce que nous autres étudiants écrivons n’est jamais publié, c’était donc une chance pour nous de publier quelque chose sur Wikipédia. Je pense aussi que nous avons acquis beaucoup de compétences importantes grâce à l’édition de Wikipédia parce que personne n’écrit jamais quelque chose pour ne plus jamais y revenir. Wikipédia encourage les révisions multiples, le travail de ré-écriture ou encore les recherches plus approfondies pour clarifier un point développé. Je pense que notre écriture s’est améliorée également et que nous avons pu amender nos points faibles. Je ne sais pas si j’ai vraiment répondu à la question, mais oui, je pense que le milieu éducatif devrait voir Wikipédia comme un outil pédagogique précieux pour les étudiants. Comme le nom des personnes n’est lié à aucun article ou que le vrai nom de la personne n’apparaît pas lorsqu’elle édite, je pense qu’il serait très difficile d’utiliser Wikipédia, sous sa forme actuelle, pour réduire les coûts élevés de publication.

EE : Wikipédia est très utile pour se renseigner (et même plus que simplement se renseigner dans certains cas) sur certains sujets universitaires et je pense que l’encyclopédie devrait être mieux reconnue. Il faudrait aussi que les étudiants, quel que soit leur niveau d’étude, puissent citer Wikipédia comme n’importe quelle autre source universitaire dans leurs devoirs ou leurs projets. Je peux tout à fait concevoir par contre qu’il est difficile de considérer Wikipédia comme une source universitaire rigoureuse puisqu’elle est ouverte aux modifications par des universitaires et des non-universitaires sans discrimination. Je crois que Wikipédia devrait continuer à être employée pour la recherche d’informations ou pour débuter une recherche et comme tremplin vers d’autres sources.

Après avoir travaillé sur un article pour qu’il atteigne le statut d’Article de Qualité, votre opinion sur Wikipédia a-t-il changé par rapport au début de ce projet ?

MF : Comme je l’ai déjà dit, j’ignorais même que quelqu’un pouvait éditer Wikipédia avant de commencer le projet, mon opinion sur Wikipédia a donc été profondément modifiée. Après avoir travaillé sur cette page si longtemps et après avoir obtenu le grade d’Article de Qualité ,j’ai nettement plus de respect maintenant pour les éditeurs qui œuvrent à améliorer l’information qu’on y trouve. Wikipédia est une ressource formidable et ça ne fait aucun doute pour moi que ça n’ira qu’en s’améliorant. Puisque, avant de commencer le projet, on nous demandait de ne jamais citer Wikipédia dans nos écrits universitaires, je m’étais dit qu’on ne pouvait pas faire confiance à son contenu. En même temps, l’un de mes professeurs cette année a inclus dans la bibliographie qu’il nous a transmise pour son cours certains articles de Wikipédia sur la théorie du Big-Bang et j’en ai été choquée. J’en ai tiré une leçon : Wikipédia peut être un outil de recherche extrêmement précieux, au moins en ce qui concerne les Bons Articles et les Articles de Qualité, le lecteur peut y trouver une liste complète et fiable de travaux universitaires. Je ne pourrais jamais exprimer tout mon respect pour ceux qui travaillent chaque jour sur les articles de Wikipédia à regrouper des sources et des informations, ils font vraiment quelque chose de remarquable. Que ça plaise ou non aux professeurs, Wikipédia est largement utilisée par les étudiants pour faire des vérifications rapides sur des faits, des personnes, des endroits, des évènements ou des travaux et je pense qu’avec l’aide d’éditeurs dévoués l’encyclopédie ne pourra que s’améliorer et en nous impressionnant toujours davantage.

EE : J’ai découvert l’attrait de Wikipédia, non seulement pour accéder à l’information, mais aussi pour la partager. J’ai aussi découvert tous les efforts qui sont faits « en coulisse » pour créer, entretenir et éditer les articles. Wikipédia m’avait toujours semblé être une ressource dominée par des personnes expertes dans leur domaine, ou en tout cas des passionnés. Travailler sur un article m’a cependant montré que vraiment n’importe qui peut apporter sa pierre à l’édifice « Wikipédia » et avoir un impact important.

Je voudrais tous vous remercier d’avoir pris un peu de votre temps pour aider à la création de cet article pour Wikinews… qui sait, finira-t-il peut-être aussi dans la liste des Articles de Qualité !

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008

Les autres articles du dossier

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 4/6 – Le projet vu par les étudiant(e)s
    Interview du professeur Jon Beasley-Murray et de trois de ses étudiantes par la gazette anglophone de Wikipédia.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.

Notes

[1] Crédit photos : 1. Jon Beasley-Murray – 2. Ubccampus – 3. Monicaandkaty01




Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 5/6

Cet article fait partie du dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation.

C’est la traduction d’un article qui part de notre exemple de projet pédagogique réussi pour effectuer une courte analyse des relations entre Wikipédia et l’éducation qui est ici présentée[1].

Copie d'écran - Wikipédia - Bilan et perspectives

Des écoles et des universités à l’origine de contenu de qualité

Featured content from schools and universities

Jbmurray et Tony1 – 9 mai 2008 – Wikipédia
(Traduction Framalang : Olivier et Jean)

Les relations entre Wikipédia et le système éducatif peuvent parfois être paradoxales. Les expériences récentes de deux projets universitaires aux destinées diamétralement opposées en sont le parfait exemple. Comme le relate le Signpost daté du 14 avril 2008, le projet MMM alias Murder, Madness, and Mayhem (NdT : Meurtre, Folie et Chaos) a fourni trois Articles de Qualité et huit Bons Articles au cours du semestre universitaire. Parmi ces articles se trouve le tout premier exemple de contenu de qualité créé dans le cadre d’un examen académique, un article sur le roman guatémaltèque El Señor Presidente qui a eu les honneurs de la page d’accueil du 5 mai 2008.

Dossier Wikipédia - College graduate students - CC byA l’opposé, ces derniers jours nous ont fourni un contre-exemple d’intégration de Wikipédia à un cursus universitaire. L’histoire a déjà fait couler beaucoup d’encre sur le forum des administrateurs : un professeur d’économie internationale (NdT : « Global Economics ») a demandé à ses étudiants d’envoyer leurs travaux sur Wikipédia, mais ils ont pour la plupart étaient rapidement effacés, fusionnés ou redirigés. Parmi les soixante-dix articles nouvellement créés, environ la moitié a été effacée et beaucoup ont été fusionnés ou redirigés, seuls sept ont à peu près survécu dans leur forme originale et un seul (sur le trafic d’organes) n’est pas affublé d’une étiquette demandant des changements. Reste maintenant à savoir si les projets futurs ressembleront à Murder, Madness and Mayhem et sauront éviter les écueils de la tentative de notre professeur de « Global Economics ».

Historique des projets pédagogiques sur Wikipédia

Ces deux extrêmes ne sont pas les premiers projets éducatifs dans Wikipedia. Au cours des cinq dernières années plus de soixante-dix initiatives semblables sont apparues sur la page Wikpedia:School and university projects. À leur origine, des institutions aussi diverses que l’université de Yale ou l’université de Tartu, en Estonie sur des sujets allant de l’immunologie à la Rome antique. Il est très probable que pour chaque projet déclaré, plusieurs autres ont lieu sans déclaration formelle. Il y a deux ans de cela, le Signpost titrait Nette augmentation des projets pédagogiques sur Wikipédia. En effet, de plus en plus d’universitaires et de professeurs valorisent les contributions de leurs étudiants à Wikipédia et on estime que ce mouvement est en augmentation. Les professeurs et les étudiants peuvent trouver des conseils et de l’aide sur la page WikiProject Classroom Coordination.

Tous ces projets ne visaient pas l’obtention du grade de contenu de qualité, Wikipédia peut contribuer à l’apprentissage des étudiants de bien d’autres manières. La structure et les buts des expériences d’apprentissage menées sur Wikipédia sont aussi nombreux et variés que les projets eux-mêmes, de l’écriture d’un article ou d’une série d’articles à la découverte « du chaos et de la joie de l’édition collaborative » (Université de Hong Kong) et « se familiariser avec Wikipédia en tant que communauté et comme puits de connaissances » (Université de l’Idaho).

Créer du contenu de qualité

Dossier Wikipédia - Students in computer lab - CC by-saQue peuvent apporter les écoles et les universités à Wikipédia ? L’un des objectifs de l’encyclopédie est de fournir des articles de qualité professionnelle et les Articles de Qualité sont définis comme « des exemples de ce que nous pouvons produire de mieux ». L’innovation qu’introduit Murder, Madness, and Mayhem repose sur son objectif revendiqué d’accroître le nombre d’Articles de Qualité. D’autres écoles ou d’autres universités peuvent-elle marcher dans les pas de ce projet ?

Il faudrait au moins trouver un moyen d’éviter que la débâcle des suppressions multiples se reproduise. Dans le cas du projet « Global Economics » on en est arrivé à envisager dans les discussions le blocage de pans entiers d’adresses IP appartenant aux universités. Comme le montrent de telle réactions radicales, lorsque la relation entre université et Wikipédia échoue, cela est perçu comme une perturbation dans Wikipedia, quant aux professeurs (et leurs étudiants) l’expérience doit être toute aussi frustrante. Même dans les cas plus favorables, on peut citer l’exemple de l’université de Washington-Bothell qui a eu les honneurs de CNN ainsi que d’autres média, la relation n’est pas toujours facile. Pour reprendre les mots d’un article d’ArsTechnica : Un professeur remplace les partiels par des contributions à Wikipédia, bonjour les dégâts !.

Les deux parties doivent y mettre du leur. À propos des évènements récents, l’éditeur Noble Story a déclaré : « Aucun projet pédagogique n’arrivera peut-être jamais à reproduire le succès du projet MMM, mais nous pouvons au moins les encourager à essayer ».

Les clés du succès

En tant que coordinateur de Murder, Madness, and Mayhem, je pense que la réussite du projet tient à plusieurs facteurs qui ne doivent pas être sorciers à reproduire. Il n’y a en effet aucune raison pour laquelle un projet futur ne pourrait pas imiter notre succès, et contribuer à des articles qui illustrent le meilleur de Wikipédia tout en fournissant aux étudiants une expérience d’apprentissage enrichissante. Il n’y a aucune raison pour laquelle un travail éducatif ne devrait pas conduire à la production d’un contenu de qualité. Voici quelques principes qui pourront améliorer vos chances de succès :

  • L’enseignant doit déjà avoir de l’expérience avec Wikipédia, nous parlons ici d’expérience en tant qu’éditeur, avec toutes les frustrations et récompenses qui vont avec, comme par exemple de voir vos modifications annulées ou de voir apparaître un bandeau « Cet article ou cette section doit être recyclé ».
  • L’enseignant doit être prêt à participer au travail sur Wikipédia au moins autant que ses étudiants, voire beaucoup plus. L’encyclopédie est un lieu d’interaction et de négociation permanentes, l’instigateur du projet ne peut pas simplement observer ce qui se passe et attendre que les étudiants s’adaptent.
  • Le projet doit être inscrit sur la page des projets pédagogiques et tous les Wikiprojets et bulletins communautaires concernés devraient en être informés. Nous vous recommandons fortement de démarrer un nouveau Wikiprojet pour votre propre projet afin que ses objectifs et ses méthodes soient totalement explicites et transparents.
  • Il faut donner du temps au projet, probablement un semestre entier. N’importe quel écrit sérieux est le fruit d’un processus dynamique et continu de ré-écriture. Et ceci est plus évident encore sur Wikipédia que partout ailleurs. Un Article de Qualité, voire juste un Bon Article, passera par de très nombreuses révisions, plusieurs centaines très probablement. Il faut que les étudiants soient témoins de ce processus, cela fait partie de leur apprentissage et pourrait les amener à modifier leur façon d’aborder la rédaction.
  • Les objectifs du travail universitaire à fournir doivent être bien définis et compatibles avec ceux de Wikipédia. Alors qu’on accorde une importance conséquente aux « travaux inédits » dans le milieu académique, Wikipédia fait la part belle aux capacités de recherche et de rédaction. Le projet devrait prendre en compte l’état des articles existant dans Wikipedia, et non dupliquer du contenu déjà présent.
  • Les étudiants doivent être prêts à travailler à partir de textes rédigés par d’autres, à éditer et retravailler des ébauches ou des articles incomplets plutôt que de croire que leur travail est de commencer à partir de rien.
  • Les étudiants doivent être prêts à voir leur texte modifié par d’autres personnes, à négocier avec ces mêmes personnes et à tirer profit de l’environnement collaboratif de l’encyclopédie.

Pour compléter ce dernier point : une idée plus controversée suggère que les étudiants débutent immédiatement dans l’arène (plutôt que de commencer à travailler leurs articles dans leur espace utilisateur, hors-ligne, en dehors du site ou sur un autre wiki), afin de s’imprégner tout de suite des conventions qui ont cours sur Wikipédia en profitant immédiatement des conseils (et peut-être des critiques) des autres éditeurs.

Viser l’Article de Qualité

Créer un Article de Qualité n’est pas chose aisée, il existe cependant différentes manières de simplifier une tâche complexe. Une classe devrait garder à l’esprit les points suivants pour avoir une chance raisonnable de réussir dans cette entreprise :

  • Commencez tôt. Commencer avec une page « Le saviez-vous… ? » (le sujet a été abordé dans le « Dispatches » de la semaine dernière) n’est pas forcément une mauvaise idée pour lancer la machine.
  • Commencez avec de bonnes sources. Il est tentant de commencer avec ce qui est facilement disponible. Mais toute information qui est issue d’uns source peu fiable devra être recherchée à nouveau, doublant ainsi le temps et l’effort nécessaires.
  • Utilisez la bibliothèque. Ne négligez pas le système de prêt entre bibliothèques. Wasted Time R ne plaisante qu’à moitié quand, dans ses conseils pour écrire un article sur l’Histoire il dit : « Trouvez des sources en dehors de Google, vous serez un pionnier ! ». Et cela ne s’applique pas qu’à l’Histoire.
  • Commencez avec des références précises. Chaque fois qu’une citation est ajoutée, elle devrait contenir tous les détails bibliographiques , avec numéros de pages, et on devrait pouvoir distinguer clairement ce qui est directement cité, et ce qui ne l’est pas. Chaque imprécision ou confusion qui se glisse devra être corrigée plus tard, ce qui fera plus que doubler le temps et les efforts nécessaires.

Murder, Madness, and Mayhem a eu beaucoup de chance en attirant très tôt l’attention de la FA-Team, une équipe d’éditeurs expérimentés dont le but est d’aider les nouveaux utilisateurs à améliorer leurs articles pour obtenir le grade d’Article de Qualité. Sans leur aide nous n’aurions jamais atteint notre ambitieux objectif. Mais, sans jeter le discrédit sur les efforts et l’implication de la FA-Team, ce n’est pas non plus leur rôle de s’assurer que n’importe quel groupe organisé et préparé aux efforts nécessaires de la recherche en amont, attirera l’attention d’autres collaborateurs qui apporteront leurs conseils sur le respect des conventions de style ou du droit d’auteur.

Même les articles issus du projet récent « Global Economics » ont reçu énormément d’attention et de contributions. L’énergie dépensée pour donner des avis et des conseils a été extraordinaire, sans parler des efforts d’édition et de mise en forme des articles eux-mêmes, pour tenter de sauver quelque chose de ce qui, globalement, demeure une expérience décevante.

Autre contenu de qualité

Dossier Wikipédia - Université de la Colombie Britannique - RosegardenLes contenus de qualité de Wikipedia s’étendent bien au delà des Articles de Qualité, pour englober des domaines qui sont utiles à des niveaux et sujets particuliers d’études. Les listes de qualité comprennent moins de texte d’explications, mais doivent être soigneusement étudiées et incluses dans le contenu existant dans l’encyclopédie. Les images de qualité peuvent être un projet idéal pour les étudiants en photographie. Et les étudiants en musique ou les étudiants ingénieurs du son pourront trouver dans la rigueur du processus de vérification des sons de qualité un test stimulant de leurs capacités.

L’avis des étudiants

Le 5 mai 2008, le travail des étudiants du projet MMM, Eecono, Katekonyk, Mfreud et de la FA-Team a eu les honneurs de la page d’accueil, ce qui leur a valu ce jour-ci la visite de dizaines de milliers de visiteurs du monde entier. Une belle récompense pour leur dur labeur comme le souligne Mfreud (Monica Freudenreich) :

J’ai investi tellement d’énergie dans la rédaction et l’amélioration de cet article que je suis vraiment fière du résultat final. Quand je le relis, j’ai même du mal à croire que j’y ai contribué. Les dissertations que je rends finissent en général dans un :classeur qui restera bien rangé sous mon lit ou alors dans un coin de mon disque dur pour ne jamais être ré-ouvertes. La page sur Wikipédia sera consultée et servira certainement à quelqu’un. Je dois dire que je suis quasi-certaine que la bibliographie référence quasiment tout ce qui a été publié en anglais sur le sujet. Si quelqu’un cherche à approfondir El Señor Presidente tout est là et je trouve que c’est vraiment incroyable !

Les éditeurs les plus actifs de Mario Vargas Llosa et de The General in His Labyrinth nourrissent également l’espoir qu’à terme leur article aura les honneurs de la page d’accueil. En réponse à des commentaires sur les pages du comité de relecture et des propositions d’Articles de Qualité, un étudiant a écrit « Le fait qu’ils aient obtenu le grade d’Article de Qualité me rend vraiment jaloux… mais ça me motive ! », après que ses camarades de classe aient atteint leur but. Nous espérons que tous ces Articles de Qualité réalisés par le projet MMM grâce aux efforts des étudiants, encourageront d’autres projets d’écoles et universités à leur emboiter le pas.

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008

Les autres articles du dossier

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 5/6 – Le projet vu comme un bon exemple d’usage pédagogique de Wikipédia
    Au delà de cet exemple, quelles sont les clés de la réussite d’un projet éducatif intégrant Wikipédia.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.



Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation 6/6

Cet article clôt le dossier Wikipédia et éducation : un exemple de réconciliation.

Il propose une sélections de liens pour informer, débattre et aller plus loin.

Liens francophones connexes

Revue de « presse » de ce dossier

  • Wikipédia comme support de travail universitaire ? – Adrienne Alix – Compteurdedit – 17 février 2009
    « Il va encore plus loin en se demandant s’il est plus formateur et plus utile à un étudiant de savoir argumenter sur un sujet donné (cadre d’une dissertation) ou de savoir présenter les connaissances liées à ce sujet, d’être capable de faire des recherches sur un sujet, de synthétiser des sources, de confronter son travail au regard des autres et de travailler en collaboration. C’est le genre de débat qui créerait immédiatement des hurlements dans une assemblée d’enseignants, mais je crois que c’est très intéressant si on se demande un peu ce que Wikipédia peut apporter à l’enseignement universitaire. Le volet argumentation pure, très académique, est une chose sans doute essentielle à maîtriser. Mais l’écriture collaborative, avec des exigences de qualité formelle et de sourçage, la synthétisation du savoir existant, la confrontation au regard des autres, toutes ces choses qui sont le principe même du fonctionnement de Wikipédia, je crois très sincèrement que c’est une part de pédagogie qui n’existe pas dans l’enseignement et qui serait pourtant très bonne pour l’esprit et très utile dans le monde professionnel, où on argumente rarement par dissertation. »
  • Une expérience canadienne réconcilie Wikipedia et éducation – Mathieu Grégoire-Racicot – Le Quotidien Jurassien – 20 février 2009
    « Avenir et partage de la connaissance pour les uns, royaume du plagiat et l’opinion mal formulée pour les autres, l’encyclopédie collaborative Wikipedia a une réputation controversée, sulfureuse, spécialement dans le monde de l’éducation. Or une petite histoire, rapportée par le très fouillé et très actif Framablog, tenu par un professeur de lycée français, montre à quel point des projets pédagogiques pourraient se trouver enrichis, encadrés et davantage formateurs en utilisant Wikipedia, non comme une source, mais comme aboutissement de travaux de recherche. »

Autour de l’éducation

  • Projets pédagogiques – Wikipédia
    « Si vous êtes un enseignant dans une école ou dans une université, nous vous encourageons à utiliser Wikipédia dans votre classe non seulement comme source d’information mais comme espace de rédaction et de construction de connaissances. »
  • Wikipédia : la rejeter ou la domestiquer ? – Eric Bruillard – Médialog 61 – mars 2007
    « Le phénomène Wikipédia interpelle le monde enseignant. Quelle confiance peut-on accorder à une encyclopédie rédigée par ses lecteurs et dont les articles sont modifiés en permanence ? Quelle place l’École peut-elle lui faire ? »
  • D’un Club Histoire à un Club Wikipédia – Sylvain Négrier – septembre 2008
    « Quels usages vos élèves font-ils de Wikipédia ? Wikipédia est visiblement une source d’information importante pour eux. Sa valorisation par les moteurs de ucation-a-education-exemple-projet-pedagogique-6exemple-projet-pedagogique-6recherche (dont Google) en fait un point de départ quasi obligé. C’est particulièrement net pour les TPE et l’ECJS. Le problème majeur, mais ce n’est pas une découverte, c’est le manque de recul (voire de compréhension) de certains élèves. Cela leur joue parfois des tours : lors d’une composition à faire à la maison (…) Ceci dit les élèves ne sont pas totalement naïfs, et je les invite à exercer leur esprit critique, y compris envers ce que je leur enseigne : je ne me considère pas comme infaillible. »
  • Wikipédia et le cours d’histoire – Les Clionautes – septembre 2008
    « L’encyclopédie en ligne est devenue un des pôles majeurs sur le web, et une référence de choix pour beaucoup d’élèves et enseignants. Elle fait néanmoins l’objet de réticences et a suscité des débats très vifs ces dernières années. Ce premier article, qui prolonge la page Wikipédia en débats, a pour objectif de revisiter les étapes et les enjeux d’un débat très médiatisé, sur fond de divergences quant à la vision de la société et de l’éducation. Une réflexion sur la place de Wikipedia à l’école invite à interroger nos pratiques, et à proposer des pistes pragmatiques, à court et à moyen terme. »
  • L’histoire peut-elle être Open Source ? Les historiens et Wikipedia – Roy Rosenzweig (traduction Clioweb) – juin 2006
    « L’histoire est un art (un métier ?) éminemment individualiste. Les travaux signés d’une seule personne sont la règle dans la profession (…) Cet individualisme qui caractérise la recherche en histoire est aussi très possessif. Afin de travailler honnêtement, et éviter les accusations de plagiat, nous autres historiens devons attribuer idées et expressions à ceux qui les ont émises (…) Il est donc presque impossible d’envisager dans notre culture professionnelle des travaux historiques dénués de propriétaire, effectués par une multitude d’auteurs anonymes. C’est pourtant la définition exacte de Wikipedia. »
  • Wikipédia tente de pénétrer le milieu éducatif – François Jarraud – Café Pédagogique – décembre 2005
    « Le problème c’est que Wikipédia n’est malheureusement plus un outil recommandable pour les enseignants. Le projet, fort sympathique au départ, sert des intérêts qui suscitent des interrogations (…) Tant que la clarté ne sera pas faite sur le fonctionnement de Wikipédia et le ménage dans ses articles, nous déconseillons aux enseignants de l’utiliser avec les élèves. »
  • Wikipédia, une encyclopédie sans auteurs ? – Serge Pouts-Lajus – Les dossiers de l’Ingénierie Educative n°58 – juin 2007
    « Wikipédia est un projet apparemment sympathique. Il possède des qualités qui ne peuvent lui être contestées et auxquelles je suis, comme tout le monde, sensible : l’encyclopédie libre est utile, gratuite et d’accès facile. Mais justement, lorsqu’il s’agit de savoirs, d’œuvres de l’esprit et de culture, les considérations utilitaristes ne suffisent pas. Tant que l’on reste attaché au principe de responsabilité des individus et des collectifs particuliers relativement aux œuvres qu’ils produisent, il n’est pas possible d’adhérer à un tel projet. »
  • De sévères critiques de Wikipédia – Alithia – Blog : Wikipédia ou le mythe de la neutralité – janvier 2007
    « Cet article et le suivant qui le complète, cite un très grand nombre de critiques faites à wikipedia, par des professionnels de l’enseignement, de la recherche et de l’éducation. »
  • L’édition de référence libre et collaborative : le cas de Wikipédia – INRP – mars 2006 (le dossier complet en pdf)
    « Selon Cormac Lawler, Wikipedia n’est pas simplement une encyclopédie, ni même un nouveau modèle éditorial : le projet présente en effet les caractéristiques d’une organisation apprenante tant dans sa structure que dans son fonctionnement. A la lumière des recherches sur les communautés virtuelles ou les communautés de pratique, il identifie les éléments de convergence suivants : Wikipedia est auto-gérée, auto-sélective et auto-évolutive. Le potentiel de la communauté réside selon lui dans la promotion d’une pédagogie de la découverte et dans le développement de l’esprit critique nécessaire à son fonctionnement. Le conflit est perçu comme un ingrédient nécessaire à la négociation car il requiert une mise en perspective des différents points de vue et une prise en compte des différences culturelles (…) La confrontation des partis-pris culturels est un signe d’action critique manifeste dans un contexte où l’adhésion à la règle de neutralité est partagée et où la convivialité est assumée comme essentielle. »
  • Le phénomène Wikipédia : une utopie en marche – Christian Vandendorpe – Le Débat, no 148 – janvier 2008
    « Au lieu d’élever un pare-feu autour de Wikipédia, l’École aurait donc tout intérêt à s’en servir comme d’un outil pédagogique. Outil d’éducation pour apprendre à respecter le bien public et à ne pas vandaliser des articles ; outil de formation à la lecture critique, surtout, afin d’apprendre à ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui s’écrit : en vérifiant la présence de sources crédibles, en comparant divers états d’un article, en comparant la version française avec des versions rédigées dans d’autres langues, en faisant des recherches complémentaires dans d’autres sources, numériques ou imprimées. Une telle attitude critique est plus nécessaire que jamais, alors que le mensonge et la dissimulation s’épanouissent dans la culture anonyme du web et que les plus hautes sphères de l’administration de pays qui se présentent comme des modèles de démocratie pratiquent la désinformation à grande échelle, comme on l’a vu lors de la campagne qui a conduit les États-Unis à envahir l’Iraq. »
  • Wikipédia, un objet problème en information-documentation – Pascal Duplessis et Laure Endrizzi – mai 2008
    « En premier lieu, certainement, Wikipédia s’affiche en tant qu’objet documentaire, support de ressources informationnelles, et dont l’usage doit pouvoir être garanti : l’information offerte, même si elle est gratuite et facilement accessible, est-elle pour autant « consommable », c’est-à-dire sans risque de préjudice pour la santé intellectuelle ? Si de nombreux collègues de discipline ne s’offusquent pas de cette incertitude, sans doute par insuffisance d’expertise, le garant de l’information documentaire en circulation dans l’établissement, lui, s’en inquiète. Quel statut accorder à cet apport d’information au regard des autres ressources disponibles dans ou à partir du CDI ? Quelles précautions prendre ? Quel type d’accompagnement proposer aux élèves ? Quel discours tenir au sujet de Wikipédia ? »
  • Wikipédia – Une encyclopédie libre, gratuite et écrite coopérativement – Alain Caraco – BBF – août 2004
    « Wikipédia est-elle l’encyclopédie qu’attendaient les bibliothèques publiques françaises ? J’aurais tendance à répondre oui et non à la fois. Non dans son état actuel : trop de domaines sont insuffisamment couverts, trop d’articles sont encore à l’état d’une ébauche rédigée hâtivement. Mais, très certainement, oui dans un état futur (…) La Wikipédia en ligne ne peut être qu’en travaux permanents. C’est une sorte de chaudron bouillonnant, où l’on produit la matière première, toujours instable. Des éditions stabilisées, monolingues ou multilingues, sur cédérom, sur papier ou en ligne pourraient en être dérivées. Elles pourraient même être vendues par des éditeurs commerciaux, avec de la valeur ajoutée, notamment en matière de présentation ou d’illustration. Ce modèle économique existe déjà pour les logiciels libres : on peut télécharger Linux auprès de la communauté des développeurs, ou bien acheter une version commerciale, avec un mode d’emploi et une assistance téléphonique. »
  • C’est rien qu’à cause de Wikipédia si nos enfants échouent ! – Framablog – octobre 2008
    « Hier on apprenait en Écosse que c’est Internet qu’il faut blâmer pour le taux d’échec aux examens (…) Wikipédia, parmi d’autres sources, était cité comme étant la raison pour laquelle les étudiants échouent. Est-ce que Internet les rend stupides ? Ou bien est-ce que les étudiants ont seulement besoin d’apprendre à utiliser les nouveaux outils de recherche du Web de façon plus appropriée ? »
  • Ceux qui disent non… à Wikipédia – Astrid Girardeau – Les Écrans – janvier 2008
    « Diaboliser et interdire des sites Internet sous prétexte que les étudiants n’utilisent pas assez leurs propres cerveaux et les contenus académiques, on a vu plus constructif et efficace. Quand on observe l’ergonomie ou la disponibilité des outils d’information académiques accessibles à l’université pour les étudiants, fait remarquer Ertzcheid, on comprend hélas très facilement pourquoi ils préfèrent utiliser Wikipédia ou Google. S’en désoler ne servira à rien. »
  • Wikipédia est un projet encyclopédique et un bien commun de l’humanité – Astrid Girardeau – Les Écrans – janvier 2008
    « Pour 1 enseignant ou 1 université interdisant d’utiliser Wikipédia, 100 autres forment les étudiants à son usage, les aident à décrypter ses contenus. Ce faux-procès en incompétence qui est de plus en plus souvent fait à Wikipédia est d’autant plus horripilant que Wikipédia affiche clairement sur sa page d’accueil le fait qu’elle ne doit pas être utilisée comme une source primaire d’information. »

Plus général

  • Wikipédia – Wikipédia
    « Comme l’indique la première ligne de sa page d’accueil, Wikipédia a pour slogan : Le projet d’encyclopédie librement distribuable que chacun peut améliorer. Ce projet est décrit par son cofondateur Jimmy Wales comme un effort pour créer et distribuer une encyclopédie libre de la meilleure qualité possible à chaque personne sur la terre dans sa langue maternelle (…) En revanche, Wikipédia n’a pas pour but de présenter des informations inédites. Comme pour les encyclopédies classiques, son ambition se limite à exposer des connaissances déjà établies et reconnues. Les travaux personnels ou originaux n’ont pas leur place dans Wikipédia. »
  • Critiques de Wikipédia – Wikipédia
    « Sébastien Blondeel, dans un livre sur Wikipédia, a écrit en 2006 : Wikipédia est un projet avec lequel il faudra compter. Et si les critiques commencent à se faire entendre, c’est paradoxalement plutôt bon signe : justifiées, elles permettent de prendre conscience des problèmes ; gratuites ou exagérées, elles confirment l’influence et le succès du projet. »
  • Wikipédia : constats et propositions – Nat Makarevitch – avril 2006
    « Ce document expose des problèmes et incohérences de Wikipedia, projet d’encyclopédie libre publiée sur le Web, dans le but de l’améliorer, non de dénigrer. Nous y montrons le caractère abusif de certaines actions menées par certains contributeurs. »
  • WikiGrill – Les articles de Wikipédia passés sur le gril de Books
    « Pour remarquable qu’elle soit, et globalement salutaire, l’entreprise Wikipédia invite à la critique. Si beaucoup d’articles de cette encyclopédie d’inspiration démocratique sont de grande qualité, d’autres ne résistent pas à un examen attentif. Soit parce que leur contenu est léger ou inconsistant, soit parce qu’il est manipulé, parfois avec une grande habileté, par des internautes ou des lobbies qui défendent un intérêt. Or, Wikipédia est devenu le premier mode d’accès au savoir pour les jeunes et les moins jeunes qui, sans avoir reçu de formation universitaire poussée, naviguent quotidiennement sur le web. Avec sa rubrique WikiGrill, Books souhaite attirer l’attention sur l’existence de biais qui influencent de manière plus ou moins cryptée la qualité ou l’objectivité de certains articles de Wikipédia. »
  • La réponse de Sylvain Négrier à l’initiative WikiGrill (décembre 2008) : Une lecture critique de Wikigrill
    « Les wikipédiens s’interrogent depuis longtemps sur ce qu’est un bon article. Ils ont défini progressivement deux labels, attribués après un vote des contributeurs, représentant chacun un palier dans le niveau des articles. Il s’agit du label Article de Qualité, le plus prestigieux, pour le moment décerné à un peu plus de 500 articles, et du label Bon Article, qui concerne près de 500 articles et qui récompense ceux qui sont satisfaisants mais qui paraissent encore améliorables. Les conditions d’attribution de ces labels se sont considérablement durcies ces derniers mois, au grand dam de certains wikipédiens, essentiellement pour que ces articles, proposés comme vitrine de Wikipédia (notamment en page d’accueil), puissent échapper aux critiques les plus évidentes. Cela ne constitue toutefois pas une garantie totale : ces articles ne sont que très rarement relus par d’authentiques spécialistes, et les discussions lors des votes se portent assez volontiers sur les aspects formels. Il aurait donc été particulièrement intéressant que les auteurs de Wikigrill™ s’attachent prioritairement à ces articles labellisés. Sont-ils réellement d’un bon niveau ? La procédure d’attribution des labels telle qu’elle existe est-elle à même de repérer les meilleurs articles ? Ne faudrait-il pas la remplacer par une relecture par un/des spécialiste(s) ? »
  • La réponse de Jean-Claude Guédon à l’initiative WikiGrill (janvier 2009) : Wikipedia ? Moi, j’aime plutôt bien
    « Wikipedia n’est pas un produit textuel fixe offert à la consommation; il s’agit d’un processus incessant qui nous convie à la table du plus grand banquet intellectuel jamais construit dans l’histoire de l’humanité. Déjà étonnamment utile, essayons d’imaginer ce que ce sera dans dix ou vingt ans. »
  • L’encyclopédie de non-référence – Denis Berger – février 2005
    « On sait que l’idée de Wikipedia, comme sa licence LGPL, viennent de l’univers du logiciel libre, tendance Stallman, et visent à reproduire dans le domaine de la connaissance ce qui a si bien réussi dans celui de l’informatique : l’élaboration d’un bien commun par la participation de tous, en fonction des moyens de chacun, puisque tout un chacun est présupposé dépositaire d’une parcelle de connaissance qui, si menue soit-elle, est susceptible d’intéresser l’ensemble. Mais la ressemblance entre un programme et une encyclopédie se limite au fait que, dans un cas comme dans l’autre, il faut commencer par les écrire ; le programme, lui, ensuite, s’exécute, et dispose donc de son propre système de correction d’erreurs, brutal mais efficace : s’il est mal écrit, il plante. Il offre donc, paradoxalement pour un logiciel libre par définition livré sans, une garantie quant à son fonctionnement, la disponibilité des sources comme des programmeurs permettant, de plus, en l’espèce, de résoudre rapidement les problèmes. Autrement dit, l’exportation de ce concept, tel qu’il est présenté, vers un projet encyclopédique se révèle privé de pertinence puisque, là, rien, en dehors d’une éventuelle relecture d’un participant qui pourra peut-être se trouver contredite un peu plus tard par un autre, ne garantit la qualité de l’information publiée ; ici, le mécanisme cumulatif et automatique qui permet l’amélioration continue du logiciel libre ne joue pas.  »
  • Inside Wikipédia – Camille Gévaudan – Les Écrans – juillet 2008
    « Ecrans.fr s’invite à l’intérieur de Wikipédia et vous propose d’aller voir comment un projet aussi pharaonique peut fonctionner au quotidien. »
  • Wikifeuilleton – Le Tigre
    « Les coulisses de l’encyclopédie collaborative Wikipedia. »
  • À propos de Wikipédia – Rui Nibau – Framasoft – mars 2006
    « Ici, je n’ai fait que voir un verre à moitié vide en n’abordant qu’un unique aspect des critiques formulées à l’encontre de Wikipédia. D’autres internautes peuvent – à juste titre – le voir à moitié plein. A un moment de son histoire où l’encyclopédie acquiert une visibilité croissante dans d’autres médias, et attire donc l’attention d’acteurs aux intérêts divergents, l’avenir proche nous dira si ce verre finira par se remplir ou par se briser. » (et la réponse de Nojhan : Wikipédia, l’encylopédie asymptotique)
  • Wikipédia : le refus du pouvoir – Mémoire de fin d’étude de Sylvain Firer-Blaess – Institut d’Etudes Politiques de Lyon – 2006/2007
    « Wikipédia refuse le pouvoir : elle refuse la possession de l’information aux plus fortuné, en rendant l’information libre. Elle refuse aussi la production du savoir par quelque uns, en donnant ce pouvoir à tous. Elle refuse dans son organisation les statuts spéciaux, elle refuse la centralisation de la surveillance et de la décision. Ainsi elle dissout le pouvoir et en donne une parcelle à chacun : le pouvoir de décider, le pouvoir de créer le savoir, le pouvoir de s’informer. Elle empêche ainsi fortement les processus de domination dans son organisation interne. Elle a aussi un impact sur le monde réel, impact certes minime, mais donner la possibilité aux personnes qui disposent d’une connexion internet de disposer d’un savoir libre et gratuit, c’est déjà quelque chose. »
  • D’Amour & de Neutralité : Ce(ux) qui résiste(nt) – Martin Erpicum – Mémoire universitaire – juillet 2005
    « L’objet empirique de ce mémoire est l’encyclopédie libre Wikipédia. De tout temps, les encyclopédies ont été un support à l’apprentissage d’un intérêt certain. L’apparition d’un type d’encyclopédie rédigée coopérativement par des pairs sur le réseau Internet a entraîné bon nombre de questionnements : critères de validation de la connaissance, contrôle des actes de vandalisme, régulation des contributeurs, etc. Afin d’éclairer en partie ces questionnements, le présent travail va tenter de décrire les pratiques de régulations inhérentes à la tâche de rédacteur encyclopédique, et de rendre compte des contraintes et normes émergentes qui encadrent l’activité des pairs. »

Succincte bibliographie

  • « Wikipédia, Découvrir, utiliser, contribuer » – Florence Devouard et Guillaume Paumier – Presses universitaires de Grenoble – janvier 2009
    « Ce livre vous guide à la découverte de cette gigantesque fourmilière et vous explique comment utiliser efficacement son contenu. Il vous incite ensuite à devenir acteur et à participer à la rédaction de l’encyclopédie, quels que soient votre âge et vos domaines de compétences. »
  • Wikipédia, Média de la connaissance démocratique ? Quand le citoyen lambda devient encyclopédiste – Marc Foglia – FYP Éditions – novembre 2007
    « Cherchez n’importe quel mot sur Google… Les deux premières pages de résultat, celles qui comptent, renvoient presque invariablement à un article de Wikipédia. Comment cette encyclopédie d’un nouveau genre s’est-elle installée comme une source universelle de connaissance, et désormais comme un réflexe intellectuel ? L’origine de ce phénomène, son fonctionnement et son évolution fulgurante sont autant d’appels à la réflexion.Wikipédia c’est la dématérialisation de la connaissance et la progression de son accessibilité : peut-on parler d’un nouveau média ? d’une Toile dans la Toile ? Que devient la propriété intellectuelle dans ce partage gratuit de la connaissance ? Pourra-t-on parler d’une « génération Wikipedia » ? Quels sont les risques que fait courir l’encyclopédie libre à la connaissance, au jugement et à l’esprit critique ? Ces interrogations nous permettent d’éclairer d’autres phénomènes contemporains comme le travail collaboratif en réseau, la frontière entre biens marchands et biens non-marchands, la frontière entre travail et bénévolat, la démocratie à l’ère du numérique, etc. Par une approche critique, philosophique et sociologique, l’ouvrage analyse en profondeur cette « l’encyclopédie collaborative » comme un phénomène émergent, comme expression de tendances de fond de la modernité au XXIe siècle, et une innovation remarquable susceptible d’éclairer d’autres évolutions de la société contemporaine. »
  • Wikipédia – Comprendre et participer – Sébastien Blondeel – Eyrolles – avril 2006
    « Qui n’a entendu parler de Wikipédia, l’encyclopédie collaborative de l’Internet la plus vaste et la plus consultée ? Qui ne connaît ce projet international auquel des experts de tous domaines contribuent ? Née en 2001, Wikipédia compte plus de trois millions d’articles début 2006, 120 langues actives, un million d’articles en anglais, 250 000 en français. Ce livre explique comment l’explorer et y participer, dans quelles limites réutiliser son contenu et quels sont ses secrets de fonctionnement (financement, contexte politique). »

El Senor Presidente - Accueil Wikipédia - 5 mai 2008

Les autres articles du dossier

  • 1/6 – Introduction
    Un projet pédagogique « de qualité ».
  • 3/6 – Le projet vu par un éditeur de Wikipédia
    Le point de vue d’un éditeur de Wikipédia, membre de « l’équipe des Articles de Qualité », ayant accompagné et soutenu les étudiants pendant la durée de leurs travaux.
  • 6/6 – Liens connexes
    Une sélection de liens francophones autour de Wikipédia et l’éducation.



Quand Serge Soudoplatoff nous parle d’Internet

Quand Serge Soudoplatoff nous parle d’Internet (et des mutations organisationnelles qu’il engendre) c’est non seulement accessible au grand public mais c’est surtout tout à fait passionnant.

Très à l’aise devant son auditoire, Serge Soudoplatoff réussit la gageure de partir un peu dans tous les sens (avec exemples, citations et anecdotes à l’appui) tout en restant cohérent avec sa ligne directrice.

Une intervention de 45 minutes donnée le 4 juillet 2008 au CEDAP et intitulée : « Comment Internet change nos organisations »

—> La vidéo au format webm

Pour en savoir plus sur l’auteur, rendez-vous sur son blog et en attendant voici une courte et caustique présentation telle qu’elle apparait sur AgoraVox.

Serge Soudoplatoff est vraiment né le 27 décembre 1954 par une longue nuit d’hiver. Les loups hurlaient dans la steppe. Sa mère, bretonne, lui apporta le goût du beurre et son père, russe, celui de la vodka. Cela perdure.

Après des études très primaires, qui devinrent vite secondaires, c’est en passant à Paris dans la rue de la Montagne Ste Geneviève en septembre 1973 que, la porte étant ouverte, il entra par hasard dans une prestigieuse école française. A sa sortie, trois ans plus tard, il se dirigea vers la cartographie, confondant dessiner le monde et le changer. Après 5 ans de recherches et de voyages à l’Institut Géographique National, il décida de quitter le traitement de l’image pour s’intéresser à celui de la parole dans un centre de recherche français, et américain, d’un grand constructeur d’ordinateurs. Après 5 ans de voyages et de recherches à IBM, il décida que la parole à une dimension ne valait pas mieux que l’image à deux, et se résigna à ne plus traiter que des problèmes ponctuels, en devenant directeur d’un centre de recherche en informatique dans une grande SSII. Après 5 ans à Cap Gemini Innovation, il alla mettre en réseau le monde de la recherche et celui des entreprises dans une association, le Cercle pour les projets Innovants en Informatique. C’est là qu’il comprit le passage de l’information à l’innovation, l’articulation entre l’informatique et la sociologie et la psychologie.

Ceci le fit bizarrement atterrir à la direction de l’innovation de France Telecom, où il s’est employé pendant trois ans à rendre concrètes les profondes mutations qu’engendre le monde Internet.

Il a finalement décidé de se muter lui-même en devenant fondateur d’une entreprise en essaimage de France Telecom, Highdeal, puis en créant Almatropie, dédiée à convaincre de l’importance d’Internet.




Vivre sa vie ou l’enregistrer ? Telle est la question !

Put the camera down - SoupPour une fois ce n’est pas le couple Obama qui impressione sur la photo ci-contre[1]. Cliquez dessus pour voir… et vous constaterez peut-être avec moi que « quelque chose ne va pas ».

Qu’est-ce qui pousse tous ces gens à vivre les moments forts de leur vie à travers le prisme de leurs écrans ? Quelles conséquences cela peut-il bien avoir sur l’évènement fort en lui-même mais également à long terme sur la perception et les émotions de nos propres vies ? C’est le sujet du jour qui fait écho à l’émission radio Place de la Toile (France-Culture) du 23 janvier dernier intitulée Et si on se déconnectait ? dont je vous suggère la synthèse réalisée par Hubert Guillaud sur InternetActu.

Il est soudainement loin le temps où l’on se moquait gentiment des touristes japonais rivés à leur appareil photo…

La technologie, c’est formidable, mais n’en oublie-t-on pas de vivre ?

Technology is Great, but Are We Forgetting to Live?

Sarah Perez – 22 janvier 2009 – ReadWriteWeb
(Traduction Framalang : Don Rico et aKa)

Imaginez, vous êtes à un concert où votre groupe préféré monte sur scène pour la dernière fois. Ou bien vous assistez à la prestation de serment du Président Obama. Ou alors vous êtes simplement assis en famille devant le sapin de Noël, à regarder vos enfants ouvrir leurs cadeaux. Qu’êtes-vous en train de faire dans tous ces cas de figure ? Si vous êtes comme la plupart de nos contemporains, vous êtes sans doute en train de filmer la scène avec un gadget électronique d’un genre ou d’un autre, smartphone, appareil photo numérique ou camescope. Il se peut même que vous partagiez ce moment avec d’autres sur Twitter, Facebook ou FriendFeed.

Nos vies sur support numérique

Grâce à la technologie, nous pouvons graver pour toujours chaque moment de notre vie. Nous pouvons prendre des photos, y ajouter un commentaire et les partager aussitôt. Nous pouvons les archiver pour la postérité sur le Web intemporel. Et peut-être qu’un jour, nos arrière-arrière-petits-enfants retrouveront nos profils de réseaux sociaux dans les pages en cache d’Internet Archive et découvriront tout ce que nous avons voulu faire savoir au monde à notre sujet.

D’accord, c’est génial. C’est vraiment dingue. Mais qu’en est-il de nous, et du temps que nous avons passé à enregistrer ces moments ? Ne sommes-nous pas passés à côté de notre vie à trop vouloir la consigner ?

La technologie a accompli des tels progrès que l’utiliser n’exige presque plus aucun effort et nous l’intégrons dans notre vie comme jamais auparavant. Finie l’époque où l’ordinateur était une machine qui vous connectait à un réseau de pages au temps de chargement interminable. Non, le Web d’aujourd’hui, notre cerveau universel, tient dans la poche et est accessible de partout[2].

On peut aujourd’hui transférer nos photos (et même nos vidéos) directement de l’appareil au Web grâce à d’ingénieuses inventions telles que les cartes SD sans fil d’Eye-Fi, technologie qui fait de notre vie un flux constant d’informations destiné à remplir les pages omniprésentes d’une Toile en expansion permanente. Une Toile dont la création constitue peut-être le symbole des efforts fournis par l’humanité pour comprendre le concept de l’Univers, car de quelle manière décrira-t-on le Web de demain ? Comme une entité qui n’a ni début[3] ni fin, un dépôt d’archives en expansion continue recueillant la totalité de nos vies numériques.

On en oublie de vivre

Durant notre bref passage sur Terre, à force de vouloir consigner les moindres instants de notre vie, il se peut que nous en oubliions, de temps à autre en tout cas, comment vraiment profiter de la vie. Et pour profiter de la vie, n’en déplaise à certains, il faut se déconnecter, ranger son appareil photo, et pour une fois savourer l’instant.

Jane Maynard, de l’association Silicon Valley Moms (NdT : Mamans de la Silicon Valley), nous rappelle que de nos jours c’est un travers répandu qui ne concerne plus seulement les fous de technologie. Prenant l’exemple d’un concert où elle allait voir ses enfants jouer, elle décrit ce qui lui pose problème : « Les caméras. Je suis en face d’un dilemme. En voulant consigner les moments fabuleux que l’on vit, on néglige parfois la vraie vie. Comme lorsqu’on assiste au récital de piano de son enfant via l’écran LCD de son appareil et non directement. C’est un équilibre délicat à trouver auquel, j’en suis sûre, nous réfléchissons tous et sommes tous confrontés, surtout à notre époque du tout-numérique. Je me force parfois à ne pas sortir ma caméra, même si j’ai très envie d’enregistrer une scène, de façon à la vivre pleinement au moment où elle se produit. Ces moments-là, je ne les regrette jamais… mais ces considérations m’ont poussée à me poser des questions. Combien de fois me suis-je tellement focalisée sur l’idée de prendre la photo parfaite de mes enfants que j’en ai oublié complètement de profiter du moment présent ? »

Et si on se déconnectait ?

Définir ce qui mérite d’être enregistré et ou pas n’a rien de compliqué. Nous estimons automatiquement que ce sont les moments les plus importants, les plus sensationnels et les plus incroyables qu’il faut enregistrer. Mais ce sont pourtant ces moments-là qu’il vaut mieux savourer pleinement, en leur accordant notre entière attention.

Selon Martin Kelly, blogueur axé sur la religion, « à certains moments, il est bien plus important d’être présent que d’enregistrer quoi que soit ». (Il venait de s’étonner lui-même en regardant les photos floues qu’il avait estimé nécessaire de prendre lors d’un mariage, alors que la mariée s’avançait vers l’autel. Avec le recul, il s’agissait précisément du genre d’instant dont il aurait pu se passer de photographier.)

« Cessez de vouloir vivre votre vie par procuration. Vous êtes déjà là. Vous n’avez rien à prouver », déclare Kat Orphanides en regardant des spectateurs enregistrer un concert au lieu de profiter de la musique. En réalité, c’est plus facile à dire qu’à faire. Si vous avez déjà ressenti une sensation de manque technologique quand vous vous déconnectez du Web (comment ne pas envoyer un tweet pour raconter ce que je viens de voir ? Il faut absolument que je prenne ça en photo !), c’est que vous êtes à deux doigts de ne faire plus qu’un avec la machine. Il est peut-être temps de vous rappeler que vivre se suffit à soi-même… du moins parfois. Vous n’aurez peut-être pas d’archive des moments tous plus extraordinaires les uns que les autres que vous aurez vécu, mais votre vie n’en sera que plus satisfaisante.

Notes

[1] Crédit photo : Put the camera down and enjoy a moment for once

[2] Bien évidemment, ces constatations s’appliquent aux parties du monde où la technologie moderne, comme les smartphones et le haut-débit, sont banals. On n’a pas accès à ces machins partout dans les monde, je le sais.

[3] La toute première page Web se trouve ici, mais elle n’est désignée comme page « Web » que parce que des liens hypertextes la relient à d’autres pages à l’aide de balises html. Alors, était-ce vraiment la première ? Ou est-elle soudain apparue en même temps que les autres ? Est-ce vraiment le point d’origine du Web ?




Écrire à l’ère de la distraction permanente

Joi - CC byLe Framablog et ses traducteurs aiment bien de temps en temps sortir des sentiers battus du Libre pour modestement apporter quelques éléments de réflexion autour des changements comportementaux induits par les nouvelles technologies et le monde connecté.

Après Et si cela ne servait plus à rien de mémoriser et d’apprendre par coeur ? et Internet et Google vont-ils finir par nous abrutir ?, voici que nous vous proposons aujourd’hui un article de Cory Doctorow, que je tiens personnellement pour l’une des personnalités les plus intéressantes et influentes de la « culture libre », sur la difficulté non plus de lire mais d’écrire à l’aube de ce nouveau siècle.

En faire un peu tous les jours, savoir suspendre sa plume, ne pas effectuer de recherche, ne pas attendre les conditions parfaites, laisser tomber le traitement de texte, ne pas répondre aux sirènes des messageries instantanées (et autres réseaux sociaux), tels sont les conseils avisés de notre auteur[1] pour y remédier.

Que pensez-vous de ces quelques recommandations ? En apporteriez-vous d’autres ? Qu’est-ce qui nous permet d’échapper à la procrastination du travail rédactionnel qui s’éternise faute d’avoir su dire non aux sollicitations extérieures ? Les commentaires n’attendent que vous réponses… sauf si bien sûr, dans l’intervalle, vous avez le malheur de cliquer ailleurs 😉

Écrire à l’ère où tout est là pour nous distraire

Writing in the age of distraction

Cory Doctorow – 7 janvier 2008 – Locus Mag
(Traduction Framalang : Don Rico et Goofy)

Nous savons que nos lecteurs sont distraits, voire parfois submergés par les innombrables distractions qui se trouvent à portée de clic partout sur Internet, mais il va de soi que les rédacteurs sont tout autant confrontés à ce problème d’envergure, le monde foisonnant d’informations, de communication et de communautés tapis derrière notre écran, à portée des touches alt+tab de notre traitement de texte.

Le pire conseil sur l’écriture qu’on m’ait jamais donné était de me tenir à l’écart d’Internet, soi-disant que j’y perdrais du temps et que ça ne m’aiderait pas à écrire. C’était un conseil erroné du point de vue créatif, professionnel, artistique et personnel, mais je comprends bien ce qui avait incité cet écrivain à m’administrer une telle mise en garde. Régulièrement, quand je vois un site, un jeu ou un service nouveau, je ressens l’attraction irrésistible d’un trou noir de concentration : une activité chronophage prête à me prendre dans ses filets de distraction. Jeune papa impliqué qui écrit au moins un livre par an, une demi-douzaines d’articles par mois, au moins dix billets de blog par jour, auxquels s’ajoutent divers mini-romans, nouvelles et conférences, je suis bien placé pour savoir qu’on manque vite de temps et connaître les dangers de la distraction.

Mais l’Internet m’apporte beaucoup. Il nourrit ma créativité et mon esthétique, il me profite d’un point de vue professionnel et personnel, et pour chaque moment qu’il me vole, le plaisir que j’y prends me le rend au centuple. Je n’y renoncerai pas plus qu’à la littérature ou quelque autre vice délectable.

Je crois avoir réussi à trouver un équilibre grâce à quelques techniques simples que je perfectionne depuis des années. Il m’arrive toujours de me sentir lessivé et ivre d’infos, mais c’est rare. La plupart du temps, c’est moi qui ai la maîtrise de ma charge de travail et de ma muse. Voici comment je procède :

  • Des plages de travail courtes et régulières
    Lorsque je travaille à l’écriture d’une nouvelle ou d’un roman, je me fixe chaque jour un objectif modeste, en général une page ou deux, et je m’emploie à l’atteindre, ne faisant rien d’autre tant que je n’ai pas fini. Il n’est pas réaliste, ni souhaitable, de vouloir se couper du monde des heures durant, mais il est tout à fait possible de le faire pendant vingt minutes. En rédigeant une page par jour, je publie plus d’un livre par an, faites le calcul, et il est facile de trouver vingt minutes dans une journée, quelles que soient les circonstances. Vingt minutes, c’est un intervalle assez court pour être pris sur votre temps de sommeil ou votre pause déjeuner (même si cela ne doit pas devenir une habitude). Le secret, c’est de s’y astreindre tous les jours, week-end inclus, pour ne pas vous couper dans votre élan, et pour qu’entre deux séances de travail vos pensées puissent cheminer tranquillement jusqu’à la page du lendemain. Essayez de trouver un ou deux détails accrocheurs, ou un bon mot, à exploiter dans la page suivante, afin de savoir par où commencer lorsque vous vous installerez derrière votre clavier.
  • Ne vous arrêtez pas sur un travail fini
    Dès que vous atteignez votre objectif quotidien, arrêtez-vous. Même si vous êtes au beau milieu d’une phrase. Surtout si vous êtes au beau milieu d’une phrase, en fait. Ainsi, lorsque vous vous mettrez au travail le lendemain, vos cinq ou dix premiers mots seront déjà en place, ce qui vous donnera un petit coup de pouce pour vous lancer. Les tricoteuses laissent un bout de laine dépasser du dernier rang, afin de savoir où reprendre, une sorte de pense-bête. Les potiers, quant à eux, n’égalisent pas le pourtour de l’argile humide avant de la recouvrir de plastique pour la nuit, difficile de repartir sur une surface trop lisse.
  • N’effectuez aucune recherche
    Faire des recherches, ça n’est pas écrire, et vice-versa. Lorsque vous butez sur un point technique qu’une rapide recherche sur Google suffirait à éclaircir, abstenez-vous. Ne cédez pas à l’envie de chercher la longueur du pont de Brooklyn, le nombre d’habitants que compte de Rhode Island ou la distance qui sépare la Terre du Soleil. Ce serait alors la déconcentration assurée : une valse de clics sans fin qui transformerait vos vingt minutes de rédaction en une demi-journée à flâner sur le Web. Adoptez la méthode des journalistes (NdT : ces conseils s’adressent à des anglophones, pour le français il faudra bien sûr adapter) : tapez par exemple « TK » là où doit apparaître votre donnée, comme par exemple « Le pont de Brooklyn, d’un bout à l’autre de ses TK mètres, vacillait tel un cerf-volant." La graphie « TK » n’apparaissant que dans très peu de mots anglais (le seul sur lequel je sois tombé est « Atkins »), une recherche rapide de « TK » dans votre document suffira pour savoir si vous devez vérifier des détails techniques. Si vous en oubliez un, votre préparateur ou correcteur le repérera et vous le signalera.
  • Ne soyez pas trop à cheval sur vos conditions de travail
    N’écoutez pas ceux qui conseillent de créer l’atmosphère idéale pour attirer votre muse dans la pièce. Les bougies, la musique, le silence, le fauteuil confortable, la cigarette, attendre d’avoir couché les enfants… laissez tomber tout ça. Certes, il est agréable de se sentir à l’aise pour travailler, mais si vous vous persuadez que vous ne pouvez écrire que dans un monde parfait, vous vous retrouvez devant une double difficulté : trouver à la fois vingt minutes de libre et l’environnement idéal. Lorsque vous avez le temps, mettez-vous à votre clavier et écrivez. Vous pouvez bien tolérer le bruit/le silence/les enfants/l’inconfort/la faim pendant vingt minutes.
  • Éteignez votre traitement de texte
    Word, Google Docs et OpenOffice.org sont bardés d’une panoplie déconcertante de paramètres de mise en forme et de complétion automatique avec lesquelles vous pouvez passer votre temps à faire mumuse. Laissez tomber. Tout ça, c’est de la distraction, et ce qu’il faut absolument éviter, c’est que votre outil essaie de deviner ce que vous avez en tête, corrige votre orthographe, ou critique la construction de votre phrase, etc. Les programmeurs qui ont conçu votre traitement de texte passent leur journée à taper, tous les jours, et ils ont les moyens d’acheter ou de se procurer n’importe quel outil imaginable servant à entrer du texte dans un ordinateur. Et pourtant ils n’utilisent pas Word pour créer leur logiciel. Il se servent d’un éditeur de texte, comme vi, Emacs, TextPad, BBEdit, Gedit, et bien d’autres encore. Il s’agit là des outils les plus puissants, vénérables et fiables de l’histoire du logiciel (car ils sont au cœur de tous les autres logiciels), et ils ne comportent quasi aucune fonctionnalité susceptible de vous distraire ; en revanche, ils possèdent des fonctions chercher/remplacer très puissantes. Le plus gros avantage, c’est qu’un modeste fichier .txt peut être lu par presque toutes les applications présentes sur votre ordinateur, ou collé directement dans un courriel, sans risque de transmettre un virus.
  • Les outils de communication instantanée : à proscrire
    Ce qui nuit le plus à la concentration, c’est la présence sur votre ordinateur d’un écosystème d’applications intrusives : messagerie instantanée, alertes e-mail, alertes RSS, appels Skype, etc. Toute application exigeant que vous attendiez une réponse, même inconsciemment, accapare votre attention. Tout ce qui surgit sur votre écran pour vous annoncer un fait nouveau l’accapare aussi. Plus vous habituerez vos proches et amis à préférer les courriels, les forums et les technologies similaires qui vous permettent de choisir la plage de temps à consacrer à vos conversations au lieu d’exiger votre attention immédiatement, plus vous réussirez à vous ménager vos vingt minutes. En cas de besoin, vous pouvez prévoir une conversation, par VoIP, texte ou vidéo, mais laisser votre messagerie instantanée allumée revient à vous mettre au travail avec sur votre bureau un panneau géant DÉCONCENTREZ-MOI, du genre qui brille au point d’être visible du monde entier.

Je ne prétends pas être l’inventeur de ces techniques, mais grâce à elles je peux profiter pleinement du XXIème siècle.

Notes

[1] Crédit photo : Joi (Creative Commons By)




Cloud computing, logiciel libre et service public

Per Ola Wiberg - CC byEn ce début d’investiture Obama, de nombreux internautes expriment souhaits et desiderata à la nouvelle administration.

Le vœu de William Hurley a retenu notre attention. « Je suggère que vous créiez un cloud computing financé par l’État, mis à la disposition des facultés et des universités », nous dit-il. Nous n’en saurons pas vraiment plus car il n’est pas entré dans les détails mais nous avons néanmoins saisi la perche pour en faire un billet où nous pourrions nous interroger ensemble sur les relations entre l‘informatique dans les nuages, le logiciel libre et un éventuel rôle de la puissance publique.

Placer nos données personnelles, nos fichiers, nos liens, etc. sur le Grand Internet présente en effet de nombreux avantages pratiques à l’heure où l’on peut « quasiment » se connecter partout tout le temps. Mais ce n’est pas sans poser quelques questions pour ne pas dire quelques problèmes. Je pense par exemple à la mésaventure récente de ce pauvre Marc L***[1] que l’on pouvait suivre au jour le jour à la trace via Facebook et consorts. Je pense également à notre récent billet La tête dans les nuages mais les pieds sur terre. Je pense enfin à la toile tissée méthodiquement par Google avec tous ses services en ligne (Gmail, Reader, Maps, Earth, Picasa, Calendar, Docs, YouTube…) que nous sommes nombreux à utiliser au quotidien.

Et puisqu’il est question d’éducation supérieure et d’université[2], je dois bien vous avouer que, l’année dernière, lorsqu’il a été question de créer en deux-trois coups de cuillère à pot des adresses de messagerie (avec ou sans chat) pour tous les enseignants et étudiants de mon établissement scolaire, de se doter d’agendas partagés et d’une suite bureautique en ligne (fichiers tableurs et traitements de texte potentiellement accessibles en lecture écriture, selon les droits, à toute la communauté, et disponibles au format ODF), je me suis tourné vers… Google Apps Education sans avoir « malheureusement » à le regretter.

En tant que responsable TICE de mon lycée J’ai donc osé confier les données de mes élèves à Google ! Est-ce grave docteur ? Oui ça l’est ! J’en ai bien conscience et je compte bien un jour me soigner (quand bien même Google n’affiche bien entendu pas de publicités pour ce service spécifique au monde éducatif). Il faut tout de même dire, à ma décharge, que par rapport à ma problématique et à mes besoins (temps limité, budget nul et situation particulière d’un lycée à l’étranger) je ne pouvais raisonnablement pas m’appuyer sur un quelconque Espace Numérique de Travail (ENT) dont je doute de plus en plus de leur pertinence et efficience à mesure que le temps passe (surtout si l’on continue à s’obstiner à les développer académie par académie).

Les partisans du logiciel libre peuvent sensibiliser sur les risques encourus à confier nos documents et informations numériques à des services en ligne « gratuits » proposés par des sociétés commerciales « web 2.0 » qui n’offrent pas de garanties sur l’avenir et sont souvent opaques au niveau de nos droits et des formats. Ils peuvent pousser à ce que des licences plus adaptées et plus transparentes soient adoptées (telle la licence AGPL). Mais, contrairement à un Microsoft où il « suffisait » de proposer des alternatives logicielles libres, ils ne peuvent absolument pas concurrencer un Google sur son terrain, c’est-à-dire justement le cloud computing, qui nécessite des investissements très très lourds ne serait-ce que pour pour installer et maintenir les batteries de serveurs disséminés un peu partout sur le réseau. Et alors je crois effectivement que le politique et le secteur public (national ou supra-national) peuvent nous être d’un grand secours pour modifier la donne (si tant est que l’on juge que la donne mérite modification).

C’est certainement l’alliance « logiciel libre + secteur public » qui pourra faire en sorte de ne pas laisser le champ libre aux seules sociétés privées. Ne privatisons pas la totalité du cloud computing (surtout dans le domaine éducatif), voilà par extrapolation, le sujet du billet du jour. Un peu comme ce qu’a voulu faire le projet de bibliothèque numérique européenne Europeana pour contrarier Google Books avec pour le moment le succès que l’on sait

L’enseignement supérieur a besoin d’un nuage informatique national

Higher education needs a national computing cloud

William Hurley – 26 janvier 2009 – InfoWorld
(Traduction Framalang : Don Rico)

Le cloud computing (ou informatique dématérialisée ou informatique dans les nuages), est vital pour l’avenir de l’enseignement supérieur aux États-Unis, et j’invite le Président Obama à agir

Le 26 janvier 2009
M. le Président Barack Obama
La Maison Blanche
Washington, DC 20500-0001

M. le Président,

Je tiens à vous adresser mes plus sincères félicitations, Monsieur, pour votre récente investiture à la fonction de 44ème Président des États-Unis d’Amérique. Votre victoire est la preuve de la grandeur de notre démocratie, mais aussi de la capacité de transformation de cette même démocratie. Comme des millions de mes semblables du monde entier, j’ai regardé avec une grande fierté votre prestation de serment, lors de laquelle vous êtes devenu un exemple vivant de l’impact que peut avoir un seul citoyen américain.

Vous avez déclaré « Le monde change, et nous devons changer avec lui ». Je suis on ne peut plus d’accord, M. le Président, et je crois que la politique que mènera votre administration sera une fontaine d’innovation. Je sais que le vice-président et vous êtes profondément favorables au développement des initiatives de recherche dans les instituts d’enseignement supérieur qui sont au cœur de l’innovation américaine. Pour ces instituts, l’avenir est déjà là. Mais, comme l’a écrit William Gibson « il n’est pas encore tout à fait équitablement réparti ».

Nous avons laissé le coût de la technologie entraver notre capacité à innover. Les chercheurs ne sont plus limités par le manque d’idées ou de connaissances, mais plutôt par les moyens informatiques nécessaires pour conduire des expériences et en analyser les résultats.

Je suggère donc que vous créiez un cloud computing financé par l’État, mis à la disposition des facultés et des universités. Une telle ressource aurait le mérite de niveler le terrain universitaire. Les chercheurs qui travaillent d’arrache-pied dans des milliers d’instituts de taille modeste auraient alors accès à une puissance informatique qui n’est pour l’instant accessible qu’à une poignée de privilégiés. Il nous est impossible de prédire d’où viendra la prochaine grande innovation, mais des ressources informatiques dématérialisées publiques amélioreraient de façon extraordinaire nos moyens de coopérer et d’innover au niveau national.

Les grandes avancées technologiques et sociales peuvent se produire presque simultanément. En septembre 1962, un jeune chercheur publiait ce qui donnerait naissance aux plus grandes avancées technologiques de notre temps, et au même moment, un autre jeune homme originaire de Kosciusko, dans le Missouri, amorçait un itinéraire personnel qui aboutirait à un moment charnière dans la lutte pour les droits civiques. D’aucuns peuvent y voir une coïncidence, mais en ce qui me concerne j’y vois la providence. Les recommandations de Paul Baran en faveur d’une structure nationale publique destinée à transporter des données informatiques et l’entrée de James Meredith à l’université du Mississipi ont, du point de vue technologique et social, changé les États-Unis en profondeur.

Votre administration, par sa connaissance des nouvelles technologies, tient l’occasion d’accomplir un autre grand bond en avant. On ne peut comparer ma lettre à l’article de Baran, mais j’espère suggérer cette idée au moment opportun. Une idée trop en avance sur son temps a aussi peu de valeur qu’une idée avancée après que des engagements ont déjà été pris. J’espère donc attirer votre attention maintenant, avant que vos projets de réformes pour l’éducation aient été élaborés, et tant qu’il reste du temps pour prévoir le financement d’un cloud computing ayant le potentiel de transformer des chercheurs dispersés et inégaux en une locomotive d’innovation la plus puissante du monde.

Encore une fois, M. le Président, je tiens à vous féliciter, votre équipe et vous, pour votre victoire grandiose acquise grâce aux nouvelles technologies, ainsi que pour votre investiture inattendue, exaltante et triomphante.

Notes

[1] J’en profite pour saluer ici le très libre curieux magazine curieux Le Tigre.

[2] Crédit photo : Per Ola Wiberg (Creative Commons By)