L’ordinateur personnel est mort pour laisser place à des prisons dorées ?

Victoria Reay - CC byQu’est-ce que Framasoft, si ce n’est au départ avant tout un vaste service se proposant de mettre en relation les développeurs et les utilisateurs (que l’on souhaite toujours plus nombreux) de logiciels libres.

Un service d’autant plus pertinent que l’on peut facilement installer et tester les logiciels et que les développeurs (dont on n’entrave ni la création ni l’innovation) se trouvent disséminés un peu partout sur le Web.

Le problème c’est qu’aujourd’hui tout ce processus est remis en cause par le développement conjoint du cloud et des appareils mobiles (smartphones, tablettes…) à qui l’on demande de ne venir s’abreuver qu’à une seule source dûment contrôlée : la boutique d’applications, ou apps, Apple ou Google. Pire encore, ces plateformes fermées ne se contentent pas de proposer des applications « logiciel », elle offrent également des applications « contenu ». Et c’est toute l’information qui se trouve prisonnière du bon vouloir de quelques sociétés (américaines) qui détiennent alors un pouvoir potentiel exorbitant.

Même des ses rêves hégémoniques les plus fous, Microsoft n’aurait osé envisager une telle situation pour ses PC Windows qui, en comparaison, apparaissent tout d’un coup bien plus ouverts qu’il ne l’étaient une dizaine d’années auparavant[1].

Certains appellent cela le progrès et célèbrent avec ferveur et dévotion le génial Steve Jobs à l’occasion de son triste départ. D’autres ne doivent pas s’en laisser compter, parce que quand la trappe sera définitivement refermée, il sera trop tard…

Jonathan Zittrain est professeur de droit et d’informatique à Harvard et est l’auteur de The Future of the Internet and How to Stop It.

L’ordinateur personnel est mort

The Personal Computer Is Dead

Jonathan Zittrain – 30 novembre 2011 – TechnologyReview
(Traduction Framalang : Clochix et Goofy)

Le pouvoir migre rapidement des utilisateurs finaux et des développeurs de logiciels vers les vendeurs de systèmes d’exploitation.

Le PC est mort. Le nombre croissant de terminaux mobiles, légers et centré sur le cloud n’est pas qu’une mue dans la forme. Au contraire, nous sommes en présence d’un transfert de pouvoir sans précédent des utilisateurs finaux et des développeurs logiciels d’un côté vers les vendeurs de systèmes d’exploitation de l’autre — et même ceux qui conservent leur PC sont emportés par ce mouvement. C’est un peu pour le meilleur, et beaucoup pour le pire.

C’est une transformation de produits en services. Les applications que nous avions l’habitude d’acheter tous les deux ou trois ans — comme les systèmes d’exploitation — sont désormais en relation permanente avec le vendeur, tant pour les utilisateurs finaux que pour les développeurs de logiciels. J’avais décrit cette mutation, motivée par un désir d’une meilleure sécurité et de plus de confort, dans mon livre de 2008 Le futur de l’Internet — et comment l’arrêter.

Pendant des années, nous avons utilisé avec plaisir un moyen simple de créer des logiciels et de les partager ou de les vendre. Les gens achetaient des ordinateurs généralistes, des PC y compris ceux qu’on appelle Mac. Ces ordinateurs étaient livrés avec un système d’exploitation qui s’occupait des tâches de base. Tout le monde pouvait écrire et exécuter un logiciel pour un système d’exploitation donné, et c’est ainsi que sont apparus une suite sans fin de tableurs, traitements de texte, messageries instantanées, navigateurs Web, clients de messagerie et jeux. Ces logiciels allaient du sublime au ridicule et au dangereux — pour en décider il n’y avait d’autre arbitre que le bon goût et le bon sens de l’utilisateur, avec un peu d’aide de sites Web rédigés par des passionnés d’informatique et des logiciels antivirus (cela fonctionnait tant que l’antivirus n’était pas lui-même un malware, chose qui a eu tendance à devenir fâcheusement monnaie courante).

Choisir un système d’exploitation (ou OS), c’était aussi faire le choix des logiciels qui y étaient attachés. Windows plutôt que Mac signifiait opter sur le long terme entre différentes collections de logiciels. Même si parfois un développeur offrait des versions de son logiciel pour chaque OS, migrer d’un OS à un autre signifiait qu’il fallait racheter ce logiciel.

C’est une des raisons pour lesquelles nous avons fini par avoir un OS dominant ces deux dernières décennies. Les gens étaient sous Windows, ce qui poussait les développeurs de logiciels à coder pour Windows, ce qui incitait davantage de gens à acheter Windows, ce qui le rendait encore plus attirant pour les développeurs, et ainsi de suite. Dans les années 90, les gouvernements américains et européens se sont lancées dans une bataille contre la position dominante de Microsoft, bataille légendaire et pourtant facilement oubliable vue d’aujourd’hui. Leur principal reproche ? Microsoft a faussé la concurrence entre son propre navigateur, Internet Explorer, et son principal concurrent de l’époque, Netscape Navigator. Microsoft a procédé en imposant aux fabricants de PC de s’assurer qu’Internet Explorer serait prêt à être utilisé sur le bureau de Windows lorsque l’utilisateur déballerait son ordinateur et l’allumerait (la fameuse icône du « E bleu »). Des années de procédure et un dossier de trois kilomètres de long peuvent se résumer en un péché original : un fabricant de système d’exploitation avait excessivement favorisé ses propres applications.

Lorsque l’iPhone est arrivé sur le marché en 2007, sa conception était bien plus restrictive. Aucun code étranger n’était autorisé sur le téléphone, toutes les applications installées étaient issues d’Apple. On n’y a pas pris garde sur le moment car ça n’était qu’un téléphone et non un ordinateur, et les téléphones concurrents étaient tout autant verrouillés. Nous comptions sur les ordinateurs pour être des plateformes ouvertes et considérions ces téléphones comme de simples appareils, plus proches des postes de radio, des téléviseurs et des percolateurs.

Puis, en 2008, Apple a annoncé un kit de développement logiciel pour l’iPhone. Les développeurs tiers étaient invités à créer des logiciels pour le téléphone, de la même manière qu’ils l’avaient fait pendant des années avec Windows et Mac OS. Avec une grosse différence : les utilisateurs ne pouvaient installer un logiciel sur leur téléphone que s’il était disponible dans la boutique Apple d’applications pour iPhone. Les développeurs devaient montrer patte blanche et être accrédités par Apple. Ainsi chaque application se trouvait être contrôlée et filtrée selon les critères propres, flous et changeants d’Apple. Par exemple, les applications qui émulaient ou même amélioraient les propres applications d’Apple n’étaient pas autorisées. Le péché originel de Microsoft était devenu bien pire. Le problème n’était pas de savoir si on pouvait acheter un iPhone sans le navigateur Safari d’Apple. Il était qu’aucun autre navigateur ne serait autorisé (et s’il était, il ne s’agissait que d’une tolérance ponctuelle d’Apple). Sans oublier que pas moins de 30% du prix de chaque application vendue pour l’iPhone (et de de toutes les transactions effectuées grâce à l’application) vont dans les poches d’Apple.

Même Microsoft, connu pour ses logiciels privateurs, n’aurait pas osé prélever une taxe sur chaque bout de code écrit par d’autres pour Windows, mais peut-être n’était-ce dû qu’au fait qu’en l’absence de connexion fiable à Internet dans les années 90, il n’y avait aucun moyen réaliste de le faire en gérant les achats et les licences. Quinze ans plus tard, c’est exactement ce qu’Apple a fait avec la boutique d’applications pour iOS.

En 2008, on pouvait penser que cette situation n’était pas aussi inquiétante que le comportement de Microsoft à l’époque de la guerre des navigateurs. D’abord parce que la part d’Apple dans le marché des téléphones mobiles n’avait rien à voir avec la domination de Microsoft sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC. Ensuite parce qu’on était passé d’un système totalement verrouillé en 2007 à un système partiellement ouvert aux développeurs extérieurs. De plus, bien qu’Apple rejetât de nombreuses applications pour n’importe quelle raison (et que certains développeurs étaient suffisament apeurés par le couperet qu’ils confessaient avoir peur de dire publiquement du mal d’Apple), dans les faits des centaines de milliers d’application passaient la barrière. Enfin, indépendamment de la volonté de contrôle d’Apple, ces restrictions avaient au moins quelques bonnes raisons sécuritaires sur le papier, au moment même où le nombre croissant de logiciels malveillants voyait le monde du PC Windows glisser de l’anarchie au chaos. Une mauvaise frappe sur le clavier ou un mauvais clic de souris pouvait livrer tout le contenu du PC à un lointain créateur de virus. Apple était déterminé à ce que cela n’arrive pas avec l’iPhone.

À la fin de 2008, il y avait à priori encore moins de raisons de s’inquiéter : la place de marché pour le système Android de Google avait été inaugurée (NdT : Android Market), créant de la compétition pour l’iPhone avec un modèle un peu moins paranoïaque de développement d’applications par des tiers. Les développeurs devaient toujours s’enregistrer pour proposer des logiciels via la place de marché, mais une fois qu’ils étaient enregistrés, ils pouvaient diffuser leur logiciel immédiatement, sans que Google les contrôle. Il y avait encore une taxe de 30% sur les ventes, et les applications qui ne respectaient pas les règles pouvaient être supprimées rétroactivement de la place de marché. Mais il y avait et il y a toujours une grosse soupape de sécurité : les développeurs pouvaient donner ou vendre leurs applications directement aux possesseurs de terminaux Android, sous passer par Android Market. S’ils n’aimaient pas les règles de la place de marché, cela ne signifiait pas qu’ils devaient renoncer à atteindre les utilisateurs d’Android. Aujourd’hui, la part de marché d’Android est nettement supérieure à celle de l’iPhone (c’est l’inverse pour les tablettes, actuellement trustée par l’iPad à 97% mais de nouvelles tablettes arrivent, comme le Kindle Fire d’Amazon basé sur Android et le roi peut rapidement être démis de son trône).

Avec cette évolution positive et ces réponses apportées entre 2007 et 2011, pourquoi devrions-nous alors nous inquiéter ?

La principale raison relève de l’effet boule de neige du modèle de l’iPhone. Le modèle de la boutique d’applications est revenu comme un boomerang sur le PC. On trouve à présent une telle boutique pour le Mac qui correspond à celles de l’iPhone et de l’iPad, et elle comporte les mêmes restrictions. Certaines, acceptées car jugées normales dans le cadre d’un téléphone mobile, semblent beaucoup moins familières dans le monde de l’ordinateur de bureau.

Par exemple, les logiciels dans la boutique pour Mac n’ont pas le droit de modifier l’apparence de l’environnement du Mac. (Ironique de la part d’une compagnie dont un précédent slogan incitait les gens à penser différemment). Les développeurs ne peuvent ainsi ajouter une icône pour leur application sur le bureau ou dans le dock sans demander la permission à l’utilisateur, ce qui est un extraordinaire écho à ce qui a valu des ennuis à Microsoft (bien que dans le cas de Microsoft le problème était d’interdire la suppression de l’icône d’Internet Explorer, mais jamais Microsoft n’a essayé d’empêcher l’ajout d’icônes d’autres applications, qu’elles soient installées par le constructeur du PC ou par l’utilisateur). Les développeurs ne peuvent pas développer de fonctionnalités déjà présentes dans la boutique. Ils ne peuvent pas diffuser leur logiciel sous une licence libre, car les termes de ces licences entrent en conflit avec ceux de la licence d’Apple.

Les restrictions de contenus sont des territoires encore inexplorés. Du haut de sa domination du marché Windows, Microsoft n’a eu aucun rôle dans le choix des logiciels qui pourraient ou ne pourraient pas s’exécuter sur ses machines, et encore moins son mot à dire pour autoriser le contenu de ces applications à voir la lumière de l’écran. L’éditorialiste dessinateur Mark Fiore, lauréat du Prix Pulitzer, a ainsi vu son application iPhone refusée car elle contenait du « contenu qui ridiculisait des personnalités publiques ». Fiore était suffisamment connu pour que ce refus provoque des froncements de sourcils, et Apple est revenue sur sa décision. Mais le fait que des applications doivent de manière routinière être approuvées masque à quel point la situation est extraordinaire : des entreprises de technologies ont entrepris d’approuver, un à un, tous les textes, les images et les sons que nous sommes autorisés à trouver et utiliser sur les portails que nous utilisons le plus souvent pour nous connecter au réseau mondial. Est-ce ainsi que nous souhaitons que la culture se diffuse ?

C’est d’autant plus dérangeant que les gouvernements ont réalisé que ce cadre rend leur propre censure bien plus facile : alors que leur lutte pour arrêter la diffusion de livres, tracts et à présent de sites Web ressemblait au travail de Sisyphe, elle va de plus en plus se résumer à l’envoi de demandes de suppression aux gardiens des portails numériques. Soudain, les contenus dérangeants peuvent être supprimés en mettant la pression sur un intermédiaire technique. Lorsque Exodus International (« mobiliser le corps du Christ pour soigner par la grâce et la vérité un monde impacté par l’homosexualité ») a publié une application qui entre autres lançait des invectives contre l’homosexualité, ses opposants ne se sont pas contenté de mal la noter (il y avait deux fois plus de notations une étoile que cinq étoiles), mais ils ont également envoyé des pétitions à Apple pour lui demander de supprimer l’application. Apple l’a fait (NdT : cf cet article des Inrocks).

Précisons qu’à la différence de ses homologues pour iPhone et iPad, la boutique d’applications pour Mac n’est pas le seul moyen de mettre des logiciels sur un Mac. Pour l’instant, vous pouvez toujours installer des logiciels sans passer par la boutique. Et même sur l’iPhone et l’iPad, qui sont bien plus verrouillés, il reste le navigateur : Apple peut contrôler le contenu des applications (et de ce fait en être jugée responsable) mais personne ne semble penser qu’Apple devrait se lancer dans le contrôle, le filtrage et la restriction de sites Web que les utilisateurs du navigateur Safari peuvent visiter. Une question aux gens qui ont lancé la pétition contre Exodus : est-ce que vous seriez également favorables à une pétition demandant qu’Apple interdise aux utilisateurs de Safari d’aller sur le site Web d’Exodus ? Sinon, qu’elle différence faites-vous, puisque Apple pourrait très simplement programmer Safari pour implémenter de telles restrictions ? Y a-t-il un sens à ce que les épisodes de South Park puissent être téléchargés via iTunes, mais que l’application South Park, qui contient le même contenu, ait été bannie de l’App Store ?

Étant donné que des applications tierces peuvent toujours s’exécuter sur un Mac et sur Android, il faut se demander pourquoi les boutiques et les places de marché occupent une position aussi dominante (et suffisamment attractives pour que les développeurs acceptent de relever le défi de faire approuver leurs applications et de perdre 30% de leurs revenus) plutôt que de simplement vendre directement leurs applications. L’iPhone a des restrictions sur l’exécution de code tiers, mais les développeurs peuvent toujours, dans de nombreux cas, se débrouiller pour offrir les fonctionnalités via un site Web enrichi et accessible avec le navigateur Safari du téléphone. Très rares sont les structures qui ont cette démarche avec leurs développeurs. Le Financial Times est un de ces fournisseurs de contenus qui a retiré son application de la boutique iOS pour éviter de partager avec Apple les données de ses utilisateurs et ses profits, mais il est isolé dans le monde des médias.

La réponse réside peut-être dans des choses en apparence triviales. En effet, même un ou deux clics de plus peuvent dissuader un utilisateur de consommer ce qu’il avait l’intention de faire (une leçon que l’affaire Microsoft a mise en lumière, quand l’accessibilité d’Internet Explorer directement sur le bureau a été vue comme un avantage déterminant par rapport à Netscape que les utilisateurs devaient télécharger et installer). Le choix par défaut a tous les pouvoirs, un constat confirmé par le montant des accords pour choisir le moteur par défaut des navigateurs. Ce genre d’accords a fourni en 2010 à Mozilla, le créateur de Firefox, 97% de ses revenus, c’est-à-dire pas moins de 121 millions de dollars. La soupape de sécurité des applications « tout-terrain » semble moins utile lorsque les gens sont attirés par les boutiques et les places de marché pour chercher sans effort les applications dont ils ont besoin.

La sécurité est également un facteur à prendre en considération. Lorsqu’ils voient tant de logiciels malveillant dans la nature, les consommateurs peuvent vouloir déléguer le contrôle de leurs programmes aux vendeurs de systèmes d’exploitation. Il existe une grande variété d’approches pour gérer la question de la sécurité, certaines impliquant l’utilisation d’un bac à sable, c’est à dire d’un environnement protégé à l’intérieur duquel s’exécute le logiciel. L’exécution dans un bac à sable sera bientôt obligatoire pour les application de la boutique pour Mac. On trouvera plus d’informations sur le sujet et une discussion sur ses avantages et ses inconvénients, ici.

Le fait est qu’aujourd’hui les développeurs écrivent du code en veillant non seulement à ce qu’il soit acceptable par les consommateurs, mais aussi par les vendeurs. Aujourd’hui, si un développeur souhaite proposer une application, il va devoir nécessairement en passer par la place de marché Android de Google et par la boutique iOS d’Apple; aucun des deux ne peut remplacer l’autre. Les deux placent le développeur dans une relation de dépendance avec le vendeur du système d’exploitation. L’utilisateur aussi est mis en difficulté : si je migre de l’iPhone à Android, je ne peux pas emporter mes applications avec moi, et vice-versa. Et au fur et à mesure que le contenu est distribué par des applications, cela peut signifier que je ne peux pas non plus emporter avec moi mon contenu ! (ou, si je peux, c’est uniquement parce qu’il y a un autre acteur comme Amazon qui a une application qui s’exécute sur plus d’une plateforme, aggrégeant le contenu). On ne se libère ici de la relation suffocante avec Apple, Google ou Microsoft que grace à un nouvel entrant comme Amazon, qui a structurellement la dimension suffisante pour peser et faire la même chose.

L’avènement du PC et du Web ont été un formidable accélérateur de communication et d’innovation. Des myriades d’applications sont nées créant une relation directe entre développeurs et utilisateurs sur des myriades de sites Web. À présent l’activité s’agglutine autour d’une poignée de portails, deux ou trois fabricants de systèmes d’exploitation qui sont en position de gérer en continu toutes les applications (et leur contenu).

Les développeurs de logiciels et les utilisateurs devraient exiger davantage. Les développeurs devraient chercher des moyens d’atteindre leurs utilisateurs sans être entravés, via des plateformes ouvertes, ou en faisant pression sur les conditions imposées par les plateformes fermées. Et les utilisateurs, informés et avertis, ne doivent pas céder à la facilité et au confort, en retournant à l’esprit originel du PC.

Si nous nous laissons bercer, voire hypnotiser, par ces beaux jardins clos, nous passerons à côté des innovations que les gardiens de ces jardins refusent. Et nous pouvons nous préparer à une censure du code et des contenus qui aurait été impossible et inenvisageable quelques années auparavant. Nous avons besoin de nerds en colère.

Notes

[1] Crédit photo : Victoria Reay (Creative Commons By)




Les inspecteurs de l’éducation nationale convoqués chez Microsoft

Paris, mardi 22 novembre 2011, communiqué de presse.

À l’occasion du salon de l’éducation Éducatec-Éducatice 2011[1], les inspecteurs de l’Éducation nationale chargés de mission nouvelles technologies (IEN-TICE), conseillers techniques des inspecteurs d’académie, tiendront leurs journées annuelles. Cette année, l’administration centrale de l’Éducation nationale les convoque directement au siège de la société Microsoft, à Issy-les-Moulineaux. L’April et Framasoft regrettent vivement que le programme de ces journées ne mentionne pas les logiciels et ressources libres.

Pas moins d’une centaine d’IEN-TICE sont donc conviés au siège de Microsoft, le mardi 22 novembre, veille de l’ouverture du salon, pour une réunion dédiée aux technologies de cette entreprise[2].

Convocation IEN Microsoft

Convocation IEN Microsoft

Les journées se poursuivront ensuite jusqu’au 24 novembre, à la Porte de Versailles, selon un programme pré-établi qui semble faire la part belle aux technologies propriétaires.

Nous pensons, comme de nombreux enseignants, que le fait que les IEN-TICE soient convoqués chez Microsoft constitue une véritable entorse à l’indispensable neutralité scolaire[3]. Cela nous semble incompatible avec les missions et les valeurs du système éducatif et des enseignants, contraire à leur culture de diversité, de pluralisme, de diffusion et d’appropriation de la connaissance par tous. « Les IEN-TICE ont droit à une formation qui respecte la neutralité scolaire et le pluralisme technologique. En 2011, il est difficile d’ignorer les nombreux apports du libre pour l’éducation ou de les passer sous silence » estime Rémi Boulle, vice-président de l’April, en charge du groupe de travail Éducation.

Selon le programme, une table-ronde aura pour objectif de dégager les grandes tendances et les besoins qui se dessinent sur le plan des usages pédagogiques et des ressources numériques éducatives. Nous espérons que de nombreuses références seront faites aux ressources libres et que les questions de « l’exception pédagogique » et de l’incitation à la mutualisation sous licence libre seront évoquées.

Rappelons que, depuis longtemps, le monde du logiciel libre s’engage auprès du Ministère et aux cotés des professionnels de l’éducation, en faveur de l’égalité des chances, du droit à l’accès aux technologies les plus récentes, et pour la réduction de la fracture numérique.

De nombreuses associations et entreprises développent des ressources et des logiciels libres pour l’enseignement. Citons notamment, pour le premier degré, GCompris, les produits de la société Ryxéo ou ceux de DotRiver, les logiciels du Terrier développés par des enseignants pour des enseignants, FrenchKISS, OpenOffice4kids, le serveur d’exercices WIMS, édubuntu…

Ces solutions sont pérennes et bénéficient d’une large base d’utilisateurs dans les écoles françaises. Les logiciels libres constituent des solutions alternatives de qualité, et à moindre coût, dans une perspective de pluralisme technologique. Par ailleurs, ils favorisent l’emploi local.

Soulignons que le Ministère lui-même met à la disposition des enseignants le service SIALLE[4], une source d’informations sur l’offre en matière de logiciels libres éducatifs. Le Ministère est également impliqué dans le projet national et le pôle de compétences EOLE[5]. Enfin, un accord cadre[6] a été signé par le ministère de l’Éducation nationale en faveur de l’utilisation de logiciels et ressources libres dans l’éducation. Malgré tout, leur importance continue d’être minimisée par certains acteurs.

Dans l’intérêt des professeurs et des élèves, il aurait été indispensable que le programme des journées IEN-TICE prévoie au moins un espace dédié aux logiciels et ressources libres. C’est d’autant moins compréhensible que le salon fait toute sa place au programme Sankoré (un écosystème international, public et privé, de production de ressources numériques éducatives libres) qui concerne au premier chef l’enseignement primaire.

Nous nous tenons à la disposition des inspecteurs pour toute information complémentaire sur les logiciels et ressources libres pour l’éducation et leur souhaitons un riche salon Éducatec-Éducatice.

Notes

[1] Éducatec-Éducatice

[2] http://www.april.org/sites/default/files/convocation-IEN-TICE-Microsoft_1.png et http://www.april.org/sites/default/files/convocation-IEN-TICE-Microsoft_2.png

[3] Sur cette même thématique, on pourra lire avec profit le « Code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire »

[4] SIALLE

[5] http://eole.orion.education.fr/ : EOLE est tout un ensemble de modules développés pour les établissements scolaires. Citons Amon (pare-feu libre), Scribe (serveur pédagogique complet), Eclair (serveur de clients légers GNU/Linux qui permet de faire démarrer, depuis le réseau, des machines sans système d’exploitation installé), Amon Ecole…

[6] http://eduscol.education.fr/data/fiches/aful.htm : signé en 1998 entre l’AFUL et le Ministère. Il a été reconduit depuis.




Geektionnerd : Windows 8 not Linux friendly ?

D’après PC INpact et Numerama, le Secure Boot de Windows 8, le prochain Windows, pourrait faire du tort à GNU/Linux.

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




20 ans que sans concurrence Microsoft équipe l’Europe !

Sébastien Bertrand - CC byLes institutions européennes, toujours promptes à donner la leçon, ont peut-être d’autres chats à fouetter actuellement mais il nous semble bon de leur rappeler un passé peu glorieux et un présent scandaleux[1].

Cela fait en effet près de 20 ans que l’on déroule le tapis rouge à la société non européenne Microsoft sans jamais prendre la peine d’évaluer les autres solutions, parmi lesquelles, évidemment, figure le logiciel libre.

Peut-être qu’en 1992, il était hasardeux de choisir autre chose que Windows pour ses postes clients. Mais pourquoi avoir systématiquement reconduit cette forme de partenariat exclusif jusqu’à aujourd’hui alors que parallèlement de réelles et crédibles alternatives voyaient le jour ?

Il est grand temps d’opposer au lobbying un certain bon sens citoyen. Je le dirai à mon député européen la prochaine fois que je le croiserai 🙂

Depuis 20 ans la Commission européenne achète du Microsoft sans concurrence

European Commission buys Microsoft for 20 years without competition

Mark Ballard – 15 août 2011 – ComputerWeekly.com
(Traduction Framalang : Goofy, ZeHiro, Pandark, Lolo le 13)

La Commission européenne achète des produits Microsoft depuis 1993 sans appel d’offre ouvert à la concurrence qui aurait pu proposer des alternatives, selon des documents transmis au magazine Computer Weekly.

Ces documents transmis au magazine Computer Weekly soulevent des questions quant à une politique d’achat qui a permis à un fournisseur unique de régner en maître pendant si longtemps en s’appuyant sur des exceptions législatives habituellement réservées à des circonstances extraordinaires.

Ils soulevent aussi des interrogations quant à la validité des explications officielles fournies par la Commission pour sécuriser ses accords commerciaux avec Microsoft, appelés « procédures négociées ». Le dernier en date, concerne l’acquisition pour environ 50 millions d’euros de licences logicielles pour les 36 000 PC et les infrastructures associées que comptent les 42 institutions européennes, y compris le Parlement Européen et la Cour de Justice.

Karsten Gerloff, président de la Free Software Foundation Europe, a dit que l’accord en cours avec Microsoft était une « honte » pour la Commission Européenne. « Il est effarant de constater que tous les accords passés entre la Commission et Microsoft depuis 1993 ont été conclus sans aucun appel d’offre public » a-t-il déclaré. « Il en résulte que la Commission Européenne est totalement dépendante d’un seul et unique fournisseur de logiciels pour ses outils de bureautique. Il est clair que les lois régulant les procédures d’achat de l’Europe doivent être rapidement mises à jour. Actuellement, celles-ci laissent bien trop de place aux accords négociés et anticoncurrentiels. »

« Ceci montre bien que le marché n’est ni juste ni égal », renchérit Paul Holt, directeur des ventes chez Canonical (NdT : Ceux qui distribuent Ubuntu). Il a ajouté que les accords que Microsoft a signé avec les institutions européennes empêchent celles-ci d’utiliser des standards ouverts qui permettraient de promouvoir la concurrence. Ainsi, Microsoft a pu imposer aux institutions européennes ses propres spécificités techniques.

Un porte-parole de Microsoft a affirmé que l’entreprise ne ferait pas de commentaires. « La Commission est le contractant et eux seuls décident de leur procédure d’achat » a-t-il dit.

Computer Weekly comprend toutefois que Microsoft s’appuie sur la ligne adoptée par le Directoire pour l’Informatique de la Commission Européenne (DIGIT) en réponse aux récentes questions des députés européens à propos de leurs contrats.

Maroš Šef?ovi?, le vice-président de la Commission et commissaire pour l’administration et les relations inter-institutionnelles, qui mène une réforme majeure des Technologies de l’Information et de la Communication dans la Commission Européenne, a déclaré aux députés européens que la Commission s’engageait dans la « promotion de l’interopérabilité » en utilisant des standards. Mais il a indiqué que ces standards pouvaient inclure ceux implémentés par les vendeurs de logiciels commerciaux. Il a démenti que la Commission ait été contrainte de se procurer des produits chez un unique fournisseur.

Le DIGIT affirma en 1992 qu’il était obligé de signer un arrangement privé avec Microsoft parce qu’aucune autre entreprise ne pouvait fournir le logiciel adéquat. Mais la justification officielle de la Commission pour cet arrangement demeure vague. Des procédures similairesen 1996 et 1999 confirment la position de Microsoft comme étant le seul fournisseur de systèmes d’exploitation et d’applications de bureautique pour la Commission.

Depuis 2003 cependant, la justification officielle de la Commission a évolué. La raison invoquée ici est qu’un logiciel alternatif impliquerait une incompatibilité technique et des migrations trop lourdes. Aiinsi il n’y a pas d’autre choix que de continuer à acheter du Microsoft.

La Commission a utilisé la même excuse d’incompatibilité pour justifier des achats sans concurrence avec Microsoft en 2007 et 2011. La justification contredit apparemment le discours de Šef?ovi? qui prétend que la Commission n’est pas pieds et poings liés à Microsoft, et qu’elle s’était engagée résolument dans la voie des standards interopérables.

Un porte-parole du DIGIT a déclaré que les directives concernant les achats de l’Union Européenne avaient changé plusieurs fois ces vingt dernières années, mais que les fournisseurs ont été choisis après une analyse approfondie du marché, des besoins des utilisateurs et du coût des achats.

« Il existe un grand nombre de procédures pour l’achat de biens et de services et tout choix particulier est dûment motivé et explicité. Il résulte d’une analyse poussée de la situation du marché, des besoins des utilisateurs et du coût total de l’acquisition. L’ensemble est mené dans un cadre qui a fait ses preuves, celui de la procédure Gestion des Technologies », a-t-il indiqué dans une déclaration écrite. Les décisions prises ont été soumises à un contrôle interne et sont conformes à la législation européenne.

Il a affirmé avec insistance que la Commission n’était pas contrainte à acheter des produits Microsoft : « Nous avons toujours dit clairement que ce n’était pas le cas, et que nous analysons en permanence les options offertes par le marché ».

Le dernier accord conclu en mai a assuré l’achat de licences pour que l’administration européenne puisse continuer à utiliser une gamme complète de logiciels Microsoft. Elle comprend les systèmes d’exploitation, la suite Office, le logiciel de gestion de base de données SQL Server Entreprise, des outils pour collaborer et gérer des projets ainsi qu’un volet sur la sécurité et le courrier électronique.

Mais Šef?ovi? a créé plusieurs comités de gestion des TIC qui n’ont toujours pas décidé si la Commission devait continuer à utiliser exclusivement des logiciels Microsoft. Ainsi on attend toujours la décision à prendre concernant la mise à niveau vers le système d’exploitation Windows 7, et ce neuf mois après avoir été soumise aux équipes dirigeantes.

Graham Taylor, directeur général d’Open Forum Europe, un groupe de pression activé par Google, IBM, Oracle et Red Hat, a déclaré qu’ils avaient abordé la procédure négociée avec « la plus extrême prudence », sans comprendre pourquoi la Commission l’avait utilisée pour empêcher la concurrence sur le marché du logiciel pour ordinateur de bureau.

Notes

[1] Crédit photo : Sébastien Bertrand (Creative Commons By)




Geektionnerd : Microsoft Skype

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)




Le saviez-vous ? Microsoft contribue au noyau Linux !

—> La vidéo au format webm




Le rêve de Staline ou le cauchemar de Stallman

Eva Blue - CC byUne petite mise à jour de la pensée de Stallman avec cette interview donnée par un confrère américain ?

On y retrouve certaines constantes pour lesquelles il se bat depuis près de trente ans (« la conscience du logiciel libre a été presque entièrement cachée sous le tapis par l’open source »). Mais il donne également son avis, souvent lapidaire, sur des sujets d’actualité comme l’essor de la téléphonie mobile, qualifiée de « rêve de Staline » (où même l’OS Android ne trouve pas grâce à ses yeux).

En toute logique, il ne possède pas de téléphone portable. « Les décisions que vous prenez dépendent de vos valeurs. Et la plupart des gens sont conduits à penser uniquement au prix et à la performance des logiciels, et non au fait de savoir s’ils respectent votre liberté. Les gens qui prennent des décisions sur ces valeurs ne feront jamais aucune concession pour obtenir un logiciel libre, alors que moi je suis prêt à travailler pendant des années et des années pour ne pas avoir de logiciels propriétaires sur mon ordinateur ».

Et vous ?

Et de conclure l’entretien par un message plus politique en référence aux mouvements sociaux du Wisconsin : « Les entreprises et les medias de masse ont, dans une large mesure, convaincu les Américains qu’ils n’ont pas de légitimité pour refuser le système économique, quels que soient les objectifs de ce système économique. Nous avons besoin d’un esprit de résistance en Amérique. Nous devons retrouver l’esprit de liberté avec lequel nous avons bâti les États-Unis. »

PS : Pour ceux qui désireraient mieux connaître le personnage nous rappelons l’existence de notre framabook sur Richard Stallman. Eyrolles vient de nous communiquer les ventes de l’année 2010 qui sont plus qu’encourageantes avec un total dépassant les 2 300 exemplaires.

Les téléphones mobiles sont le « rêve de Staline », selon le fondateur du mouvement du logiciel libre

Cell phones are ‘Stalin’s dream,’ says free software movement founder

Jon Brodkin – 14 mars 2011 – Network World
(Traduction Framalang : Étienne, Siltaar, Pandark, Lolo le 13, Goofy, Ypll, Yoann, Garburst)

Richard Stallman[1] : Les iPhones et autres Androids sont des traceurs à la Big Brother.

Près de trente ans après le début de sa croisade pour débarrasser le monde du logiciel propriétaire, Richard Stallman constate que les smartphones sont une nouvelle menace pour la liberté des utilisateurs.

« Je n’ai pas de téléphone portable. Je n’utiliserai pas de téléphone portable », déclare Stallman, fondateur du mouvement des logiciels libres et créateur du système d’exploitation GNU. « C’est le rêve de Staline. Les téléphones mobiles sont les outils de Big Brother. Je ne vais pas porter sur moi un traceur qui enregistre où je vais en permanence, ni un outil de surveillance qui autorise les écoutes. »

Stallman croit fermement que seul le logiciel libre (NdT: free software dans le texte) peut nous préserver de ces technologies de contrôle, qu’elles soient dans les téléphones portables, les PCs, les tablettes graphiques, ou tout autre appareil. Et par free il n’entend pas gratuit mais la possibilité d’utiliser, de modifier et distribuer le logiciel de quelque façon que ce soit.

Stallman a fondé le mouvement du logiciel libre entre le début et le milieu des années 80, avec le projet GNU et la Free Software Foundation, dont il est toujours le président.

Quand j’ai demandé à Stallman de lister quelques-uns des succès du mouvement du logiciel libre, le premier à être mentionné était Android mais pas la version de Google, non, une autre version du système d’exploitation mobile débarrassé de tout logiciel propriétaire (voir également Stallman soutient LibreOffice).

« Ce n’est que très récemment qu’il est devenu possible de faire fonctionner des téléphones portables largement répandus avec du logiciel libre », dit Stallman. « Il existe une version d’Android appelée Replicant qui peut faire fonctionner le HTC Dream sans logiciel propriétaire, à part aux États-Unis. Aux États-Unis, il a quelques semaines, il y avait encore un problème avec certaines bibliothèques, même si elles fonctionnaient en Europe. À l’heure qu’il est, peut-être cela fonctionne-t’il, peut-être pas. Je ne sais pas. »

Bien qu’Android soit distribué sous des licences libres, Stallman note que les constructeurs peuvent produire et livrer le matériel avec des exécutables non libres, que les utilisateurs ne peuvent pas remplacer « parce qu’il y a un élément dans le téléphone qui vérifie si le logiciel a été changé, et ne laissera pas des exécutables modifiés se lancer». Stallman appelle cela la Tivoisation, parce que TiVo utilise des logiciels libres tout en plaçant des restrictions matérielles qui l’empêchent d’être altéré. « Si le constructeur peut remplacer l’exécutable, mais que vous ne pouvez pas, alors le produit est dans une cage », dit-il.

En théorie, les téléphones qui n’utilisent que des logiciels libres peuvent être à l’abri des risques d’espionnage électronique. « Si vous n’avez que des logiciels libres, vous pouvez probablement vous en protéger, parce que c’est par les logiciels qu’on peut vous espionner », explique Stallman. Petit paradoxe au passage, Stallman répondait à mes questions sur un téléphone portable. Pas le sien, bien entendu, mais celui qu’il avait emprunté à un ami espagnol pour sa tournée de conférneces en Europe. Pendant les 38 minutes de notre échange, la connexion a été coupée cinq fois, y compris juste après un commentaire de Stallman sur l’espionnage électronique et les logiciels libres sur les téléphones. Nous avons essayé de nous reconnecter plusieurs heures plus tard mais il nous a été impossible de terminer l’interview par téléphone. Stallman a répondu au reste de mes questions par email.

Sacrifier le confort est une chose dont Stallman est familier. Il refuse d’utiliser Windows ou Mac, bien évidemment, mais même un logiciel tel qu’Ubuntu, peut-être le système d’exploitation le plus populaire basé sur GNU et le noyau Linux, ne satisfait pas ses critères de liberté. « Peu de monde est prêt à faire les mêmes sacrifices », reconnaît-il.

« Les décisions que vous prenez dépendent de vos valeurs », dit-il. « Et la plupart des gens sont conduits à penser uniquement au prix et à la performance des logiciels, et non au fait de savoir s’ils respectent votre liberté. Les gens qui prennent des décisions sur ces valeurs ne feront jamais aucune concession pour obtenir un logiciel libre, alors que moi je suis prêt à travailler pendant des années et des années pour ne pas avoir de logiciels propriétaires sur mon ordinateur ».

Stallman utilise un ordinateur portable Lemote Yeeloong faisant tourner gNewSense, une distribution GNU/Linux ne comportant que des logiciels libres.

« Il y a des choses que je ne peux pas faire. J’utilise actuellement un ordinateur assez lent, parce que c’est le seul portable avec un BIOS libre. gNewSense est la seule distribution entièrement libre qui tourne sur Lemote, qui est équipé d’un processeur de type MIPS » explique Stallman. Une autre distribution était fournie avec le Lemote, mais elle comprenait des logiciels non libres que Stallman a remplacés par gNewSense.

Stallman, 57 ans, a commencé à faire l’expérience du partage de logiciels à ses débuts au Laboratoire d’intelligence artificielle du MIT en 1971. Cette communauté de partage s’est dispersée au début des années 80 à peu près au moment où Digital Equipment Corp. a arrêté le serveur central sur lequel s’organisait la communauté. Stallman aurait pu rejoindre le monde des logiciels propriétaires s’il avait accepté de « signer des accords de confidentialité et promettre de ne pas aider mes camarades hackers », selon ses propres mots. Au lieu de cela, il a lancé le mouvement du logiciel libre.

Stallman est un personnage fascinant du monde de l’informatique, admiré par beaucoup et injurié par des entreprises comme Microsoft, qui voient en lui une menace pour les profits qu’ils peuvent tirer des logiciels.

Stallman n’a pas réussi à casser la domination de Microsoft/Apple sur le marché de l’ordinateur de bureau, sans parler de celle d’Apple sur les tablettes. Par contre, le mouvement du logiciel libre qu’il a créé a directement participé à la prolifération de serveurs sous Linux dans les data centers qui propulsent une grande partie d’Internet. Il y a peut-être là une ironie, Stallman ayant exprimé de la rancoeur au sujet de la reconnaissance acquise par le noyau Linux aux dépens de son système d’exploitation GNU.

Stallman se dit « plutôt » fier de cette multiplication des serveurs libres, « mais je suis plus inquiet de la taille du problème à corriger que du chemin que nous avons déjà accompli ».

Les logiciels libres dans les data centers, c’est bien, mais « dans le but d’apporter la liberté aux utilisateurs, leurs propres PC de bureau, portable et téléphone sont ce qui a le plus d’effet sur leur liberté ». On se soucie principalement de logiciel plutôt que de matériel, mais le mouvement insiste sur « du matériel avec des spécifications telles que l’on peut créer des logiciels libres qui le supporte totalement », insiste-t-il. « Il est outrageux de proposer du matériel à la vente et de refuser de dire à l’acheteur comment l’utiliser. Cela devrait être illégal ».

Avant d’accepter d’être interviewé par Network World, Stallman a exigé que l’article utilise sa terminologie de référence — par ex. « logiciel libre » à la place d’« open source » et « GNU/Linux » au lieu de juste « Linux ». Il a aussi demandé que l’interview soit enregistrée et que, si l’enregistrement était mis en ligne, il soit publié dans un format compatible avec le libre.

Il y a quatre libertés logicielles essentielles, expliquées par Stallman. « La liberté zéro est la liberté d’utiliser le programme comme bon vous semble. La liberté 1 est la liberté d’étudier le code source, et de le changer pour qu’il fonctionne comme vous le souhaitez. La liberté 2 est la liberté d’aider les autres ; c’est la liberté de réaliser et de distribuer des copies exactes quand vous le souhaitez. Enfin la liberté 3 est la liberté de contribuer à votre communauté, c’est la liberté de distribuer des copies de vos versions modifiées quand vous le souhaitez ».

Stallman a évoqué le terme « copyleft » pour désigner les licences qui garantissent que le code d’un logiciel libre ne peut pas être redistribué dans des produits propriétaires.

La clé de la philsophie de Stallman est la suivante : « Sans ces quatre libertés, le propriétaire contrôle le programme et le programme contrôle les utilisateurs », a-t-il affirmé. « Le programme se retrouve alors être un instrument de pouvoir injuste. Les utilisateurs méritent d’avoir la liberté de contrôler leur informatique. Un programme non libre est un système de pouvoir injuste et ne devrait pas exister. L’existence et l’usage de logiciels non libres est un problème sociétal. C’est un mal. Et notre but est un monde délivré de ce problème. »

Ce problème n’a pas été créé par une entreprise en particulier, mais Microsoft est d’habitude la plus critiquée par les gens comme Stallman.

« Ils continuent à nous considérer comme leurs ennemis », insiste Stallman. Il y a dix ans, dans une saillie restée célèbre, le PDG de Microsoft Steve Ballmer traitait Linux de « cancer ». Depuis Microsoft a baissé le ton en public, mais Stallman ne s’en laisse pas compter : « D’un certain côté ils ont appris à être un peu plus subtils mais leur but est de faire utiliser Windows et non un système d’exploitation libre ». Après cette phrase, notre appel téléphonique s’est une fois de plus interrompu.

À part Microsoft, Stallman épingle « Apple et Adobe, ainsi qu’Oracle et beaucoup d’autres qui font des logiciels propriétaires et contraignent les gens à les utiliser ».

Google « fait de bonnes choses et d’autres mauvaises » dit Stallman. « Il a mis à disposition des logiciels libres comme le codec WebM, et pousse YouTube à adopter son support. Toutefois, le nouveau projet Google Art ne peut être utilisé qu’à travers des logiciels propriétaires. »

Stallman est également en porte-à-faux avec ce qu’on appelle la communauté open source. Les partisans de l’open source sont issus du mouvement du logiciel libre, et la plupart des logiciels open source sont aussi des logiciels libres. Cependant, pour Stallman, ceux qui se disent partisans du logiciel libre ont tendance à considérer que l’accès au code source est simplement un avantage pratique, et ignorent les principes éthiques du logiciel libre. Diverses entreprises commerciales ont pris en route le train de l’open source sans adhérer aux principes auquel croit Stallman et qui devraient selon lui être au cœur du logiciel libre.

« je ne veux pas présenter les choses de façon manichéenne », déclare Stallman. « Il est certain que beaucoup de gens qui ont des points de vue open source ont contribué à des logiciels utiles qui sont libres, et il existe des entreprises qui ont jeté les bases de logiciels utiles qui sont libres aussi. C’est donc du bon travail. Mais en même temps, à un niveau plus fondamental, mettre l’accent sur l’open source détourne l’attention des gens de l’idée qu’ils méritent la liberté. »

L’une des cibles de Stallman est Linus Torvalds, le créateur du noyau Linux et l’une des personnalités les plus célèbres du monde du logiciel libre.

Stallman et son équipe ont travaillé sur le système d’exploitation GNU pendant la majeure partie des années 80, mais il manquait une pièce au puzzle : un noyau, qui puisse fournir les ressources matérielles aux logiciels qui tournent sur l’ordinateur. Ce vide a été comblé par Torvalds en 1991 quand il a mis Linux au point, un noyau analogue à Unix.

Les systèmes d’exploitation qui utilisent le noyau Linux sont couramment appelés « Linux » tout court, mais Stallman se bat depuis des années pour que les gens emploient plutôt l’appellation « GNU/Linux ».

Stallman « voudrait être sûr que GNU reçoive ce qu’il mérite » dit Miguel de Icaza de chez Novell, qui a créé le l’environnement libre GNOME, mais a été critiqué par Stallman pour ses partenariats avec Microsoft et la vente de logiciel propriétaire. « Quand Linux est sorti, Richard n’y a pas prêté sérieusement attention pendant quelque temps, et il a continué à travailler sur son propre noyau. C’est seulement lorsque Linux s’est trouvé sous les feux de la rampe qu’il a pensé que son projet n’était pas assez reconnu. » Le problème, c’est qu’à cette époque, est apparue à l’improviste une communauté qui n’était pas nécessairement dans la ligne GNU.

Le noyau GNU, appelé Hurd, est toujours « en développement actif », selon le site internet du projet.

La contribution de Torvalds au logiciel libre sera largement célébrée cette année à l’occasion des 20 ans du noyau Linux. Mais Stallman n’en sera pas l’une de ses majorettes, et pas seulement à cause de cette querelle sur le nom.

« Je n’ai pas d’admiration particulière pour quelqu’un qui déclare que la liberté n’est pas importante », explique Stallman. « Torvalds a rendu un bien mauvais service à la communauté en utilisant ouvertement un programme non libre pour assurer la maintenance de Linux (son noyau, qui est sa contribution majeure au système d’exploitation GNU/Linux). je l’ai critiqué sur ce point, et bien d’autres avec moi. Quand il a cessé de le faire, ce n’était pas par choix délibéré. Plus récemment, il vient de rejeter la version 3 de la licence GPL pour Linux parce qu’elle protège la liberté de l’utilisateur contre la Tivoisation. Son refus de la GPL v.3 est la raison pour laquelle la plupart des téléphones sous Android sont des prisons ».

Même Red Hat et Novell, largement reconnus comme soutiens du logiciel libre, ne reçoivent pas une franche approbation. « Red Hat soutient partiellement le logiciel libre. Novell beaucoup moins », dit-il, notant que Novell a un agrément de brevet avec Microsoft.

En dépit de son pessimisme apparent, Stallman voit quelques points positifs motivant sa quête de logiciel libre. Quand il n’est pas chez lui à Cambridge (Massachusetts), Stallman parcourt le monde pour y donner des conférences et participer à des débats sur le logiciel libre.

Avant de voyager vers l’Espagne, Stallman s’est arrêté à Londres pour faire une conférence (dans laquelle il a qualifié Windows de « malware ») et pour rencontrer quelques membres du Parlement afin de leur expliquer les principes du logiciel libre. Il reçoit souvent un meilleur accueil en Europe que chez lui.

« Aux États-Unis, la conscience du logiciel libre a été presque entièrement cachée sous le tapis par l’open source. Dès lors on ne trouve aucun responsable gouvernemental qui accepte de parler avec moi ».

Mais hors de l’Amérique du Nord, quelques gouvernements s’engagent dans le logiciel libre. « J’ai découvert hier, qu’en France, les organismes d’État continuent à migrer vers le logiciel libre », dit-il. « Il n’y a pas une politique systématique qui leur enjoint de le faire, mais ils le font de plus en plus. Et dans certains pays, par exemple en Équateur, il existe une politique explicite pour que les organismes gouvernementaux migrent vers le logiciel libre, et ceux qui veulent continuer à utiliser des logiciels non libres doivent demander une dérogation temporaire pour le faire. »

Bien que Stallman ne l’ait pas mentionné, le gouvernement russe exige aussi des organismes qu’ils remplacent les logiciels propriétaires par des alternatives libres d’ici 2015, afin d’améliorer à la fois l’économie et la sécurité, selon le Wall Street Journal.

Au-delà du logiciel libre, Stallman se consacre aux questions politiques, et tient un blog pour le journal Huffington Post. De fait, il voit peu de différences entre les entreprises qui maltraitent la liberté logicielle et les « gredins de Washington » qui sont les obligés des lobbys d’entreprises qui leur font des dons.

Dans les mouvements sociaux récents du Wisconsin, Stallman retrouve quelque chose de son propre état d’esprit. « Quelquefois, la liberté demande des sacrifices et la plupart des Américains n’ont pas la volonté de faire le moindre sacrifice pour leur liberté », dit-il. « Mais peut-être que les manifestants du Wisconsin commencent à changer cela ». Les entreprises et les medias de masse « ont, dans une large mesure, convaincu les Américains qu’ils n’ont pas de légitimité pour refuser le système économique, quels que soient les objectifs de ce système économique. Nous avons besoin d’un esprit de résistance en Amérique. Nous devons retrouver l’esprit de liberté avec lequel nous avons bâti les États-Unis. »

Notes

[1] Crédit photo : Eva Blue (Creative Commons By)




Geektionnerd : Quand Microsoft aide Internet Explorer 6 à mourir

Il y a deux ans, nous publiions l’article Le jour où le Web refusa le navigateur Internet Explorer 6.

Cette fois-ci ce n’est plus le Web mais directement Microsoft qui, avec un nouveau site dédié, souhaite que les internautes se débarrassent définitivement de la version 6 du navigateur (qui possède encore 12% de part de marché dont 35% en Chine).

La raison en est simple : devenu totalement obsolète et (depuis toujours) non respectueux des standards, il oblige les webmasters à continuer à faire des contorsions pour que leurs sites s’affichent correctement dans IE 6.

Du coup, on peut s’amuser à étendre le principe à d’autres logiciels de Microsoft 😉

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Geektionnerd - Simon Gee Giraudot - CC by-sa

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)