Désinformation, le rapport – 2

La traduction suivante est la suite et la continuation du travail entamé la semaine dernière sur le long rapport final élaboré par le comité « Digital, Culture, Media and Sport » du Parlement britannique, publié le 14 février dernier, sur la désinformation et la mésinformation.

Il s’agit cette fois de poser le décor. Participants, méthodes de travail, acteurs audités. Une bonne mise en bouche qui vous rendra impatient⋅e de lire les articles suivants.

Le groupe Framalang a en effet entrepris de vous communiquer l’intégralité du rapport en feuilleton suivant l’avancement de la traduction.

Vous trouverez le texte intégral en suivant ce lien vers le PDF original (3,8 Mo).

La traduction est effectuée par le groupe Framalang, avec l’aide de toutes celles et ceux qui veulent bien participer et pour cet opus :
Lumibd, maximefolschette, Alio, wazabyl, Khrys, serici, Barbara + 1 anonyme

Introduction et contexte

1. Le Rapport Provisoire du Comité DCMS, « Désinformation et infox », a été publié en juillet 2018 1. Depuis l’été 2018, le Comité a tenu trois audiences supplémentaires pour y entendre témoigner les organismes de réglementation du Royaume-Uni et le gouvernement, et nous avons reçu 23 autres témoignages écrits 2. Nous avons également tenu un “International Grand Commitee”3 en novembre 2018, auquel ont participé des parlementaires de neuf pays : Argentine, Belgique, Brésil, Canada, France, Irlande, Lettonie, Singapour et Royaume-Uni.

2. Notre longue enquête sur la désinformation et la mésinformation a mis en lumière le fait que les définitions dans ce domaine sont importantes. Nous avons même changé le titre de notre enquête de « infox » à « désinformation et infox », car le terme “infox” a développé sa propre signification très connotée. Comme nous l’avons dit dans notre rapport préliminaire les “infox” ont été utilisées pour décrire un contenu qu’un lecteur pourrait ne pas aimer ou désapprouver. Le président américain Donald Trump a qualifié certains médias de « faux médias d’information » et d’être « les véritables ennemis du peuple »4.

3. Nous sommes donc heureux que le gouvernement ait accepté les recommandations de notre rapport provisoire et, au lieu d’utiliser l’expression “infox”, il utilise l’expression « désinformation » pour décrire « la création et le partage délibérés de renseignements faux ou manipulés qui visent à tromper et à induire en erreur le public, soit dans le but de nuire, soit pour leur procurer un avantage politique, personnel ou financier »5.

4. Ce rapport final s’appuie sur les principales questions mises en évidence dans les sept domaines couverts dans le rapport provisoire : la définition, le rôle et les responsabilités juridiques des plateformes de médias sociaux ; le mauvais usage des données et le ciblage, fondé sur les allégations Facebook, Cambridge Analytica et Aggregate IQ (AIQ), incluant les preuves issues des documents que nous avons obtenus auprès de Six 4 Three à propos de la connaissance de Facebook de donnés de partages et sa participation dans le partage de données ; les campagnes électorales ; l’influence russe dans les élections étrangères l’influence des SCL dans les élections étrangères; et la culture numérique. Nous intégrons également les analyses réalisées par la société de conseil 89up, les données litigieuses relatives à la base de données AIQ que nous avons reçues de Chris Vickery.

5. Dans le présent rapport final, nous nous appuyons sur les recommandations fondées sur des principes formulés dans le rapport provisoire. Nous avons hâte d’entendre la réponse du gouvernement à ces recommandations d’ici deux mois. Nous espérons que cette réponse sera beaucoup plus complète, pratique et constructive que leur réponse au rapport provisoire publié en octobre 2018. 6 Plusieurs de nos recommandations n’ont pas reçu de réponse substantielle et il est maintenant urgent que le gouvernement y réponde. Nous sommes heureux que le Secrétaire d’État, le très honorable député Jeremy Wright, ait décrit nos échanges comme faisant partie d’un « processus itératif » et que ce rapport soit « très utile, franchement, pour pouvoir alimenter nos conclusions futures avant la rédaction du Livre Blanc » et que nos opinions fassent partie des considérations du gouvernement. 7 Nous attendons avec impatience le livre blanc du gouvernement dénommé Online Harms, rédigé par le Ministère du Numérique, de la Culture, des Médias et des Sports et le Ministère de l’Intérieur, qui sera publié au début de 2019, et qui abordera les questions des préjudices en ligne, y compris la désinformation. 8 Nous avons réitéré plusieurs des recommandations figurant dans notre rapport provisoire, demeurées sans réponse de la part du gouvernement auxquelles le gouvernement n’a pas répondu. Nous présumons et nous nous espérons que le gouvernement réponde à la fois aux recommandations du présent rapport final et à celles du rapport provisoire restées sans réponse.

6. Ce rapport final est le fruit de plusieurs mois de collaboration avec d’autres pays, organisations, parlementaires et particuliers du monde entier. Au total, le Comité a tenu 23 séances d’audiences, reçu plus de 170 mémoires écrits, entendu 73 témoins, posé plus de 4 350 questions lors de ces audiences et eu de nombreux échanges de correspondance publique et privée avec des particuliers et des organisations.

7. Il s’agit d’une enquête collaborative, dans le but de s’attaquer aux questions techniques, politiques et philosophiques complexes qui sont en jeu et de trouver des solutions pratiques à ces questions. Comme nous l’avons fait dans notre rapport provisoire, nous remercions les nombreuses personnes et entreprises, tant nationales qu’internationales, y compris nos collègues et associés en Amérique, d’avoir bien voulu nous partager leurs opinions et informations. 9

8. Nous aimerions également souligner le travail réalisé par d’autres parlementaires qui se sont penchés sur des questions semblables en même temps que notre enquête. Le Comité permanent canadien de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique a publié en décembre 2018 un rapport intitulé « Démocratie menacée : risques et solutions à l’ère de la désinformation et du monopole des données » 10 . Ce rapport souligne l’étude du Comité canadien sur la violation des données personnelles impliquant Cambridge Analytica et Facebook, et les questions concernant plus largement l’utilisation faite des données personnelles par les média sociaux et leur responsabilité dans la diffusion d’information dites fake news ou dans la désinformation . Leurs recommandations concordent avec bon nombre des nôtres dans le présent rapport.

9. La commission du Sénat américain sur le renseignement mène actuellement une enquête sur l’ampleur de l’ingérence de la Russie dans les élections américaines de 2016. Grâce à l’ensemble des données fournis par Facebook, Twitter et Google au Comité du renseignement, sous la direction de son groupe de conseillers techniques, deux rapports tiers ont été publiés en décembre 2018. New Knowledge , une société travaillant sur l’intégrité de l’information, a publié “The Tactics and Tropes of the Internet Research Agency” (La stratégie et la rhétorique de l’agence de renseignement sur internet), qui met en lumière les tactiques et les messages utilisés par ladite agence pour manipuler et influencer les américains, rapport qui inclus un ensemble de présentations, des statistiques éclairantes, des infographies et un présentation thématique de mèmes 11. The Computational Propaganda Research Project (Le projet de recherche sur la propagande informatique) et Graphikap ont publié le second rapport, qui porte sur les activités de comptes connus de l’Internet Research Agency, utilisant Facebook, Instagram, Twitter et YouTube entre 2013 et 2018, afin d’influencer les utilisateurs américains 12. Ces deux rapports seront intégrés au rapport du Comité du renseignement en 2019.

10. La réunion du Grand Comité International qui s’est tenue en novembre 2018 a été le point culminant de ce travail collaboratif. Ce Grand Comité International était composé de 24 représentants démocratiquement élus de neuf pays, incluant 11 membres du Comité du DCMS, qui représentent au total 447 millions de personnes. Les représentants ont signé un ensemble de principes internationaux lors de cette réunion. 13 Nous avons échangé des idées et des solutions en privé et en public, et nous avons tenu une séance de témoignage oral de sept heures. Nous avons invité Mark Zuckerberg, PDG de Facebook, l’entreprise de média social qui compte plus de 2,25 milliards d’utilisateurs et qui a réalisé un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars en 2017, à témoigner devant nous et devant ce Comité ; il a choisi de refuser, par trois fois14. Cependant, dans les 4 heures qui ont suivi la publication des documents obtenus auprès de Six4Three – concernant la connaissance et la participation au partage de données par Facebook, M. Zuckerberg a répondu par un message sur sa page Facebook 15. Nous remercions nos collègues du “International Grand Commitee” pour leur participation à cette importante session, et nous espérons pouvoir continuer notre collaboration cette année.

 




Politique : pour les arcanes c’est Arcadie

Nous avons tendance à voir et juger d’un peu loin le monde politique, ou plutôt par le miroir déformant des affaires et des scandales : la corruption du milieu parlementaire, hélas bien présente, fait presque écran au fonctionnement réel des institutions et de ceux qui sont censés nous représenter. S’informer davantage, mieux connaître, comprendre, identifier qui fait quoi et dans quelles conditions demande du temps et des recherches dans de multiples directions. C’est pourquoi le projet Arcadie, initiée par Tris Acatrinei, revêt toute son importance. On peut même considérer qu’il est d’utilité publique et citoyenne. En rendant disponibles et compréhensibles sur un portail unique des informations peu accessibles et dispersées, il donne un bon exemple d’utilisation des données publiques pour le bien commun.

 

Bonjour Tris, peux-tu te présenter brièvement ?
Brièvement, je ne sais pas faire, je ne suis pas comme François Hollande, une experte de la synthèse. Plaisanterie mise à part, je suis juriste de formation mais j’ai commencé à bricoler en informatique, ce qui m’a amenée à rencontrer  notamment Eric Walter et à rejoindre l’Hadopi. Après un passage dans un cabinet de droit de propriété intellectuelle et industrielle, période pendant laquelle, je me suis beaucoup occupée de mon premier « bébé » Hackers Republic, j’ai été embauchée comme assistante parlementaire. J’en suis partie pour monter le Projet Arcadie.

Sérieux, t’as bossé pour la Hadopi ? Mais alors, ça existe ?
Et même que si tu dis le nom de l’institution trois fois, MFM apparaît dans ta douche.

C’est bien comme nom Arcadie, mais pourquoi ce choix ? À cause de l’utopie ?
Officiellement, oui. En réalité, le nom m’a été inspiré par XFiles et Resident Evil.

L’accroche du projet c’est « Pour enfin tout savoir sur les parlementaires français ». C’est alléchant, mais est-ce que ça veut dire qu’on ne sait pas tout sur les parlementaires ? Pourtant il y a des pages Wikipédia, des fiches de l’Assemblée Nationale, les sites web des parlementaires eux-mêmes, des journalistes qui parfois font leur métier et tout… il y a des choses qu’on ignore, donc ?
Il y a toujours des choses qu’on ignore mais en fait, quand j’étais AP (assistante parlementaire), je passais beaucoup de temps à chercher qui étaient les députés, leurs résultats d’élections, leur présence sur le Web, etc. Je ne trouvais rien qui centralise toutes les infos essentielles, notamment les fonctions dans les partis. Or, ce que peu de gens savent, c’est que les élus qui ont des responsabilités au sein de leur parti ne sont pas forcément les plus productifs dans leurs assemblées. Par ailleurs, les fiches sur le site de l’AN et du Sénat sont déclaratives.
Ma valeur ajoutée est la vérification des infos, le croisement : je farfouille partout et je veux que les gens puissent trouver en trois clics les infos qui les intéressent. Par exemple, connaître à l’instant T le nombre de parlementaires LREM, également avocats, toujours en activité.

La page d’accueil du projet Arcadie

Qu’est-ce qui a motivé ce projet au départ ? Tu dis sur ton site que c’était un projet professionnel, et que ça n’a pas abouti. Pas trop aigrie ?
Je me disais que si j’avais un besoin d’infos centralisées, à jour et vérifiées, je ne devais pas être la seule. Au début, je voulais en faire un projet entrepreneurial mais comme je ne suis pas une commerciale, ça ne l’a pas fait. En fait, je suis plus heureuse de ne dépendre que des dons car les gens savent pourquoi ils en font. Le risque de dépendre du mécénat ou de subvention est que tu te muselles pour ne pas déplaire. Et si un jour, ça doit s’arrêter, eh bien, ça s’arrêtera.

Tu pouvais gagner ta vie honorablement en faisant du développement, du droit, du community management, de la sécu, etc. Bref tu as pas mal de cordes à ton arc. Pourquoi avoir choisi un projet comme celui-là et de t’y consacrer à plein temps ?
Pendant un moment, je jonglais entre Arcadie et d’autres activités mais avec l’affaire Fillon, puis l’affaire Le Roux, j’ai été plus exposée médiatiquement et mécaniquement, j’ai eu plus de travail à faire. Pour le moment, je consacre 75 % de mon temps à Arcadie mais on verra dans quelques mois. De ce que j’en vois, ce n’est pas uniquement la plateforme de données qui intéresse les gens mais aussi les livetweets de séance à l’AN, la pédagogie autour de la politique, de la chose parlementaire, les explications, etc. Je pars du principe que si tu veux faire les choses sérieusement, tu dois y consacrer un certain temps donc j’y passe le temps nécessaire.

La question qui pique : est-ce que ce site serait libre d’accès et public si tu avais réussi à le faire financer par une boite ?
Arcadie a été entièrement financé par mes économies 🙂 Aujourd’hui, la plateforme ne vit que de dons et ne reçoit ni mécénat d’entreprises ni subventions publiques. Pour être honnête, 3 jours avant l’affaire Fillon, je disais à ma meilleure amie que si une boîte me mettait une certaine somme d’argent sur la table, j’étais prête à en céder la propriété. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ou alors pour un montant colossal.

Toutes ces informations que tu centralises et rends disponibles avec un moteur de recherche et des filtres que l’on peut croiser, tu les trouves où ?
Sur les sites institutionnels, mais aussi les sites des partis politiques, la presse quotidienne régionale, la presse quotidienne, les blogs mais aussi, parfois, certaines informations me sont remontées en off.

Tu t’appuies donc aussi sur ton réseau de connaissances ?
Ça m’arrive mais je veille à avoir une source sérieuse, officielle ou explicite.

Tu récoltes tout à la main ?
Non, quelle drôle d’idée. J’ai des trackers qui font le boulot à ma place. Je me contente de vérifier que les contenus signalés comme ayant subi une modification correspondent à une réelle modification et pas à un faux-positif. Pour les nouvelles infos, je scrape carrément les sites et je fais le tri.

Les contenus textuels ainsi que les images font l’objet d’une licence Creative Commons CC-BY-NC-SA. mais ce qui fait fonctionner la plateforme, c’est sous quelle licence ?
Aujourd’hui, comme il s’agissait d’un concept entrepreneurial, il a été protégé auprès de l’INPI. Si certaines personnes veulent réutiliser les données, elles peuvent déjà s’appuyer sur les mêmes sources que moi. Le reste est aussi CC-BY-NC-SA.

Est-ce que tu utilises des outils libres pour la plateforme et le blog ou bien est-ce que tu as dû faire des concessions pour diverses raisons ?
La plateforme fonctionne avec Drupal et il y a deux outils qui ne sont pas très « propres » mais pour lesquels, j’ai dû faire des concessions. Le premier est Google Analytics mais je compte m’en débarrasser très bientôt et le second est PayPal mais lui va rester car cela permet à mon expert-comptable, qui maîtrise bien l’interface, de suivre les dons pour procéder aux déclarations.

Pour nos lecteurs les plus techies, comment tout ça tourne en arrière-plan ?
Mes trackers ne sont pas reliés à la plateforme. Au départ, c’était mon idée mais je me suis dit que si les sites sur lesquels je posais mes trackers changeaient, j’allais avoir un souci. Donc, les données sont ajoutées par des CSV que je génère moi-même, grâce à mes outils de collecte. De la même manière, si pour une raison ou pour une autre, la plateforme rencontre un gros problème technique qui nécessiterait de tout supprimer pour reconstruire, j’irais clairement plus vite.

Pour le design, j’ai tout refait avec Bootstrap et je suis aidée par un très bon développeur de chez Makina Corpus, que je sollicite parfois quand je « bugue ». Pour l’administration-système, j’ai tout casé chez Gandi, en Simple Hosting – car je n’ai pas assez de connaissances pour prendre un dédié et y installer Apache Solr, pour améliorer la recherche. Cela demanderait aussi d’autres dépenses.

Et maintenant, la grosse question : que penses-tu du rapport des libristes avec la vie politique ?
La question est compliquée car j’ai peur de paraître condescendante dans ma réponse mais j’aurais tendance à dire que le monde libriste fait parfois preuve de naïveté ou de candeur. On s’y figure que la politique est la recherche du Bien pour le plus grand monde, l’intérêt général, etc. C’est le cas mais parfois, pour y arriver, il faut être capable de biaiser, de louvoyer et cela s’accorde mal avec notre tendance jusqu’au-boutiste. Il ne faut pas voir les choses comme étant toutes noires ou toutes blanches. On a beaucoup de nuances de gris.

Beaucoup de connaissances trop approximatives sur les institutions et les rouages de la politique politicienne peut-être ?
Peut-être et surtout, il faut se blinder. Mon apprentissage politique, je l’ai commencé à l’Hadopi, je suis un peu tombée de mon arbre à ce moment-là et quand j’ai fait mes premiers pas à l’Assemblée Nationale, pour un UMP, on était à peine sorti de la guerre Copé-Fillon. Mine de rien, ça forge et j’avais une place d’autant plus privilégiée que je ne prenais pas les coups. Mais je voyais les autres en prendre et en donner. Alors, j’ai observé, j’ai regardé et j’ai appris.

Dans le film d’Henri Verneuil le Président (1961), le vieux président du Conseil, interprété par Jean Gabin, dénonce la corruption des parlementaires.

Parallèlement, tu as sans doute constaté la grande lassitude et même le dégoût de beaucoup pour le fonctionnement du système politique actuel et la recherche d’alternatives plus « citoyennes », qu’en penses-tu ?
Il y aurait tellement à dire sur certaines initiatives qui se disent vertueuses et sur certains qui veulent nous tromper, en nous faisant croire qu’ils œuvrent pour le bien commun, alors que la seule chose qui compte est leur gloriole personnelle. Je n’ai pas cette prétention, je me suis toujours présentée comme une mercenaire, ne représentant que moi-même et c’est déjà assez de boulot.

On voit que tu maîtrises bien ton affaire, mais comment tu fais pour gérer ça toute seule, ça fait beaucoup pour une seule personne, non ?
Je m’organise, je cale ma vie sur l’activité politique et parlementaire. Par exemple, cette année, je partirai en vacances après la session extraordinaire mais avant les sénatoriales. Comme je n’ai pas de contraintes particulières, je m’en sors bien. J’ai parfois des coups de fatigue comme tout le monde, mais dans l’ensemble, je ne me plains pas.

Tu es très proche du milieu politique dans ce qu’il a de plus institutionnel mais aussi dans ce qu’il a de moins ragoûtant : petits arrangements et grosses corruptions, trafic d’influence et abus de pouvoir, est-ce que ta situation n’est pas un peu dangereuse, du moins parfois pénible ?
Au contraire. Il n’y a rien de plus délicieux que de découvrir un « cadavre » sur quelqu’un qui se montre comme étant vertueux.

On imagine que tu subis des pressions régulièrement, non ?
À l’exception d’une personne qui m’emmerde, pour parler vulgairement, assez régulièrement, les autres me fichent la paix. Avant, je n’étais pas assez importante pour leur faire du tort – pensaient-ils – maintenant, tout le monde sait de quoi il retourne. Il ne faut jamais oublier que la personne la plus dangereuse est celle qui n’a rien à perdre. Aux débuts du projet, j’ai été aimable, j’ai souhaité instaurer un dialogue et je me suis fait piétiner. Maintenant que je montre les dents, bizarrement, certaines personnes ont envie de dialoguer.

Hum on devine que certains partis ou certaines personnalités te donnent envie de leur voler dans les plumes si l’on en croit ta récente intervention à Passage En Scène  où tu dénonces la corruption toujours bel et bien présente à quantité de degrés…
Non, je n’ai pas eu de récriminations. Non pas que ça aurait changé quoique ce soit d’ailleurs.

… mais le projet Arcadie se doit d’être factuel et politiquement neutre, non ?
Les données de la plateforme sont neutres. Moi, non. L’expérience m’a aussi montré qu’en étant totalement neutre, les gens ne montraient qu’un intérêt poli sur Twitter. Mais quand tu commences à l’ouvrir, les choses deviennent intéressantes. Il y aura toujours des gens qui seront gênés par ma démarche. C’est leur problème, pas le mien.

Comment tu tiens ce grand écart ? On t’a probablement déjà accusée de partialité, non ?
Régulièrement. On m’a collé tellement d’étiquettes différentes ces derniers mois que je suis la représentation politique des deux assemblées à moi toute seule. La neutralité n’est pas ne pas taper ou ne se moquer de personne mais bien d’emmerder tout le monde, sans parti pris.

Au moment où tu as lancé le projet Arcadie, il a fallu batailler pour faire reconnaître la légitimité/légalité de ta collecte d’informations, il y avait pas mal de réticences dans le milieu parlementaire. Est-ce que maintenant ça va mieux de ce côté ?
Honnêtement, ça va mieux, aussi parce que les nouveaux députés ont une autre mentalité, donc ils discutent avec moi, ils échangent. Côté institutions, j’estime avoir de bons rapports avec la CNCCFP (la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques).
Avec le recul, je me rends compte que j’ai eu une sorte de procès en légitimité de la part de certaines personnes, parce que je n’avais pas un passif militant pur et dur et que je n’avais pas le cursus classique des politiques. Les gens ne savaient pas dans quelle case me ranger.

« Faire parler les élus malgré eux, grâce à l’open data » Tris Acatrinei, conférence sur la petite corruption au quotidien, Passage en Seine, 2017 (cliquer pour voir la conférence)

Est-ce qu’il arrive que des parlementaires ou ceux qui les entourent fassent appel à toi/à Arcadie comme une ressource fiable et informée ?
Dans le cadre du projet de loi moralisation, la députée LREM Aurore Bergé m’a contactée pour qu’on échange sur le sujet. On s’est donc vues et je lui ai parlé de ce que j’avais constaté comme manquements, ce qui pourrait être amélioré, etc. J’ai aussi discuté avec un autre député LREM concernant sa situation professionnelle. De façon générale, je me tiens à disposition de tous les parlementaires qui souhaitent échanger.

Allez je mets les pieds dans le plat : ton projet a une récente concurrence avec une équipe de journalistes qui prétendent faire à peu près la même chose ?
Ce n’est pas le tout de faire une base de données d’informations : encore faut-il la maintenir à jour et ne pas faire d’erreurs. C’est déjà plus compliqué qu’il n’y paraît. Sur la BDD dont tu me parles, j’ai vu des erreurs mais ça montre qu’il y a des points sur lesquels l’information n’a pas été correctement distribuée. Sur le moment, je l’ai mal pris mais le lendemain, ça m’a fait sourire.

Tu as un statut d’auto-entrepreneuse, mais comment tu peux couvrir les frais du site et rémunérer ton travail ? Seulement par des dons ?
J’évite les dépenses inutiles liés au projet donc les dons arrivent à couvrir les frais de fonctionnement, une gestion de bon père de famille comme on dit. Par ailleurs, et je ne m’en suis pas cachée, il m’arrive de collaborer sur des sujets avec des rédactions. Ainsi, la carte de France du népotisme avec Le Lanceur était un travail rémunéré car il fallait vérifier tous les liens familiaux éventuels entre les parlementaires et leurs collaborateurs. J’aimerais faire d’autres travaux du même genre mais Rome ne s’est pas faite en un jour.

Imaginons que subitement tu aies beaucoup plus de moyens à ta disposition, quel serait le développement dont tu rêves pour le projet Arcadie ?
J’en ai une douzaine en tête ! Je dois n’en choisir qu’un ?

On a envie de souhaiter longue vie au projet Arcadie – et pour ça chacun peut y contribuer financièrement et le faire connaître – mais on te laisse (c’est la tradition ici) le dernier mot :
Je me suis fixé un nouvel objectif : les partis politiques. Si l’objectif mensuel se pérennise, je fais une « petite sœur » à Arcadie car il y a un vrai manque sur le sujet. Je commence à avoir le squelette général en tête mais je vais attendre un peu.

 

Pour aller plus loin