De la confiance au sein d’une communauté

Notsogoodphotography - CC bySi j’ai demandé l’autorisation à son auteur d’exhumer et reproduire ici-même un de ses articles pourtant déjà vieux de presque dix ans, c’est parce qu’il touche à une notion simple mais essentielle : la confiance.

La grande chance, ou plutôt la grande force, du logiciel libre, et dans son sillage de toute la culture libre, c’est de bénéficier dès le départ d’un certain niveau de confiance.

Pourquoi ? Parce que la licence libre qui l’accompagne.

C’est cette mise sous licence libre qui non seulement donne son nom au logiciel libre mais qui, de par les garanties offertes, favorise l’émergence d’une communauté autour du projet et tisse des liens solides entres ses membres.

Cela ne constitue évidemment pas un gage absolu de succès (cf Comment détruire votre communauté en 10 leçons), mais c’est tout de même un sacré avantage lorsque l’on sait combien cette confiance peine à s’installer dans des structures plus « classiques ».

Le texte ci-dessous est de Jean-Yves Prax qui travaille à Polia Consulting, une société de conseil en Knowledge Management.

Il ne se focalise nullement sur le logiciel libre en tant que tel mais ne s’aventure pas non plus jusqu’à la relation amoureuse[1]. Il se limite ici « à une analyse de la confiance dans un environnement professionnel (même si cette limite ne supprime pas complètement les facteurs affectifs et moraux, loin s’en faut), et principalement dans le champ de l’action collective au sein d’une communauté : travail en équipe, partage de connaissance, mutualisation de compétence, décision collective, process… ».

Vous trouverez en bas de page une version PDF de l’article.

Le rôle de la confiance dans la performance collective

URL d’origine du document

”Texte de la conférence faite par Jean-Yves Prax pour l’ouverture du KMForum 2001, le mardi 25 septembre 2001, au Palais des Congrès, Porte Maillot, Paris.

La confiance est un facteur déterminant de la performance collective et en particulier dans le cas des communautés virtuelles ou/et d’équipes dont la production est à forte intensité immatérielle. Même si, d’expérience ou d’intuition, nous partageons tous cette conviction, les mécanismes de création de la confiance restent énigmatiques et peu maîtrisables : la confiance, qu’est-ce que c’est ? comment la créer ? A quelle rationalité obéit-elle ?

Analyser la confiance, c’est aborder l’un des aspects les plus délicat du fonctionnement d’une communauté.

La confiance, qu’est-ce que c’est ?

La littérature sur le sujet est abondante et les définitions très diverses et variées, par exemple :

  • La confiance analysée d’un point de vue rationnel, comme un choix raisonné, par exemple le ratio effort-bénéfice d’une action individuelle au sein d’un collectif ; on entend parler d’indice de confiance, de ce qui est maîtrisable ; la notion peut être utile en cas de délégation.
  • La confiance analysée d’un point de vue normatif, conforme à un label, une certification : par exemple, nous sommes capables de confier notre santé et notre vie à un médecin parfaitement inconnu au seul prétexte qu’il a obtenu un diplôme national, diplôme que nous ne vérifions même pas, alors que nous hésiterons à confier les clefs de notre véhicule à un laveur de voitures.
  • Une confiance par intuition, par croyance, qui ne suppose pas de véritable délibération critique, elle est affective, esthétique, c’est-à-dire purement émotionnelle et par conséquent tout à fait irrationnelle. Beaucoup de comportement racistes sont typiquement dans ce registre (la fameuse "note de sale gueule") mais si vous ne le croyez pas, essayez donc d’aller solliciter un emprunt à votre banquier en babouches !
  • La confiance vue d’un point de vue social, basé sur une sorte « d’engagement de moyens » issu d’un code partagé (souvent implicite) de devoirs réciproques, de valeurs morales et d’éthique. « Il n’a pas réussi, mais il a fait tout ce qu’il pouvait ».

La perspective rationnelle se définit comme « une attente sur les motivations d’autrui à agir conformément à ce qui était prévu dans une situation donnée ». Elle considère l’individu comme un acteur rationnel, prévisible, et sa rationalité est confortée par le fait que ses choix et ses actes sont gagnants, utiles. Cette définition de la confiance, largement présente dans le monde professionnel, a des avantages et des limites.

  • L’avantage majeur est qu’il n’y a pas confusion entre « confiance » et « affinité » ; une personne peut acheter un livre par amazon.com, car elle a confiance dans le système de paiement et de livraison, mais aucune affinité. Ne vous est-il jamais arrivé, impressionné par le professionnalisme d’un individu que vous n’aimez pas beaucoup, de dire « il est bon et je lui fais entièrement confiance, mais je ne passerais pas mes vacances avec lui ».
  • La limite réside dans la prévision de rationalité : un individu confronté à un système complexe : environnement incertain, jeu de contraintes, choix difficiles, n’agit pas toujours de la façon qui était prévue et n’obtient pas toujours les résultats escomptés. Les freins à l’innovation se cachent dans ce domaine : un individu sera freiné dans ses idées et initiatives dès le départ, non pas à cause d’une analyse du projet, mais tout simplement parce qu’il dérange l’ordre établi.

La théorie de la rationalité en économie voudrait que les choix individuels s’appuient sur des raisonnements utilitaires :

  • Si je préfère A à B et B à C, alors je préfère A à C ;
  • Toute décision est fondée sur un calcul coût-bénéfice, ou sur une analyse de risque.

Dans la vraie vie, cette rationalité n’existe pas ! En effectuant leurs choix les hommes n’obéissent pas aux lois bayésiennes de la décision :

  • ils accordent trop de poids à l’information qui leur est parvenue en dernier ;
  • ils ne sont pas sensibles à la taille de l’échantillon, c’est même souvent l’inverse[2],
  • ils réagissent plus à la forme qu’au fond.

La perspective sociale considère qu’un individu n’est pas évalué uniquement par ses résultats mais aussi en tant qu’acteur social ; il peut conforter les prévisions ou de les décevoir, à condition qu’il le fasse dans le respect de ses obligations morales et d’un certain nombre de codes.

Une intentionnalité limitée au champ d’interaction

Comme nous le constatons, le champ d’investigation est immense, mais on peut singulièrement le réduire si l’on accepte l’hypothèse d’une confiance limitée au domaine d’interaction ; je m’explique : lorsqu’on fait confiance à une autre personne, ce n’est pas dans l’absolu, c’est dans un domaine précis, qui est le champ d’interaction prévu ; ainsi une jeune adolescente qui accepte de sortir au cinéma avec son ami lui fait confiance par rapport à un certain nombre de critères ; ces critères ne sont pas les mêmes que ceux qui dicteront le choix du futur directeur général d’une firme internationale, ou encore d’un guide de haute montagne.

Nous nous limiterons ici à une analyse de la confiance dans un environnement professionnel (même si cette limite ne supprime pas complètement les facteurs affectifs et moraux, loin s’en faut), et principalement dans le champ de l’action collective au sein d’une communauté : travail en équipe, partage de connaissance, mutualisation de compétence, décision collective, process…

Si l’on prend soin de distinguer la confiance de l’affinité, alors on devine que, dans un groupe de travail ou une équipe, la confiance est en forte interaction avec la compétence : chaque membre fait confiance à un individu pour sa capacité à…

Alors la question devient : « comment créer dans une équipe les conditions de la confiance mutuelle ? »

Comment créer la confiance ?

L’approche de la compétence que propose R. Wittorski[3] nous renseigne sur le processus de création de confiance au sein d’un groupe ; selon lui, la compétence s’élabore à partir de cinq composantes :

La composante cognitive : elle est constituée de deux éléments : les représentations et les théories implicites (paradigmes) ; on distingue les représentations cognitives (savoirs et schèmes d’interprétation) et les représentations actives (construction par l’auteur du sens de la situation).

  • La composante affective : c’est l’un des moteurs de la compétence. Elle regroupe trois éléments : l’image de soi (valorisation de notre personne), l’investissement affectif dans l’action (plaisir de ce que l’on fait), l’engagement (motivation). Le premier élément suggère à quel point elle est influencée par l’environnement social immédiat : un jugement positif ou négatif agira directement sur l’image de soi et aura pour effet de renforcer ou casser la motivation (voir l’effet Pygmalion ci-dessous).
  • La composante sociale : elle représente la reconnaissance par l’environnement immédiat de la pratique de l’individu ou du groupe et aussi l’image que ces derniers se font de cette reconnaissance ; ce dernier point indique que la composante sociale comporte également le choix que l’acteur fera de « ce qui est montrable ». La stratégie du connaisseur n’est pas tant de connaître mais de faire savoir qu’il connaît.
  • La composante culturelle : elle représente l’influence de la culture sociale sur les compétences.
  • La composante praxéologique : elle renvoie à la pratique dont le produit fait l’objet d’une évaluation sociale ; il s’agit de la partie observable (évaluable) de la compétence.
L’effet Pygmalion

Nous opterons pour une approche mixte, à la fois rationnelle, sociale et affective de la confiance, c’est à dire l’ensemble des facteurs permettant la collaboration entre les membres d’une équipe, basées sur le respect mutuel, l’intégrité, l’empathie, la fiabilité. Les cinq composantes citées ci-dessus sont à la fois l’image de soi même, et l’image de soi vu à travers le regard des autres. Le groupe agit comme un miroir grossissant ; en psychologie, on appelle cela l’effet Pygmalion : "La prédiction faite par un individu A sur un individu B finit par se réaliser par un processus subtil et parfois inattendu de modification du comportement réel de B sous la pression des attentes implicites de A".

Il s’agit d’un mécanisme amplificateur en boucle : un jugement négatif de A casse la confiance de B en lui même, ce qui se voit et a pour effet de renforcer A dans son jugement négatif initial[4].

La confiance dans le partage de connaissances

Au cours de nos missions de Knowledge Management, nous avons pu interroger un certain nombre de professionnels de tous niveaux sur la question : « qu’est-ce qui favorise (ou empêche) le partage de connaissance dans un groupe de travail ? » Tous ont spontanément insisté sur le caractère primordial de la confiance dans une équipe et ils ont précisé les facteurs susceptibles de la créer :

1. Réciprocité (jeu gagnant-gagnant)

J’accepte de donner mes idées, mon ingéniosité, mon expérience au groupe, mais j’attends que les autres membres en fassent autant ; chacun veille à respecter un équilibre en faveur d’une performance collective. Ce mécanisme de surveillance exclut le « passager clandestin », c’est à dire celui qui à l’intention de recueillir les fruits du travail du groupe sans y avoir vraiment contribué.

2. Paternité (identité, reconnaissance)

J’accepte de donner une bonne idée à mon entreprise, et de voir cette dernière transformée en une innovation majeure ; mais je ne tolèrerais jamais de voir l’idée signée du nom de mon chef à la place du mien. Il s’agit d’un fort besoin de reconnaissance de la contribution d’un individu au sein d’un groupe.

3. Rétroaction (feed-back du système)

L’erreur est la première source d’apprentissage ; à condition d’avoir un feed-back du système.

L’enfant apprend par un processus répétitif de type essai-erreur-conséquence :

  • essai : il faut que l’organisation encourage les initiatives, les « stratégies tâtonnantes » afin de développer l’autonomie et la créativité ; comment un enfant apprendrait t’il à marcher s’il avait peur d’être ridicule ?
  • erreur : elle doit être documentée et communiquée (feed-back) ; la conséquence la plus immédiate sera d’éviter aux autres de la reproduire !
  • conséquence : c’est le point le plus fondamental ; un système est apprenant dans la mesure où il délivre à l’individu le feedback sur son action, ce qui lui permet immédiatement d’évaluer l’impact de son action sur le système. C’est ce qui pose problème dans les très grandes organisations : l’individu peut faire tout et son contraire, dans la mesure où il n’a jamais de réponse du système , il ne saura jamais évaluer le bien-fondé de ses actions et progresser.

Dans un groupe, l’erreur doit être admise, c’est un signe très fort de la confiance et du fonctionnement effectif du groupe. En revanche on ne devrait jamais laisser quelqu’un la dissimuler.

4. Sens (unité de langage, de valeurs)

Une connaissance strictement personnelle ne peut être partagée que par l’utilisation d’un code et d’une syntaxe connue d’un groupe social, qu’il soit verbal ou non verbal, alphabétique ou symbolique, technique ou politique En faisant partie de la mémoire collective, le langage fournit à chaque individu des possibilités de son propre développement tout en exerçant un fort contrôle social sur lui. Ainsi, le langage est à la fois individuel, communicationnel et communautaire.

Mais ce n’est pas tant un problème de traduction que de sens : dans une conversation, deux interlocuteurs peuvent arriver à partager des mêmes points-de-vue s’ils établissent un processus de coopération : écoute active, participation, questionnement, adaptation sémantique, feed-back, reformulation. En effet, si le mot, comme symbole collectif, appartient à la communauté linguistique et sémantique, le sens qu’il recouvre est purement individuel car il est intimement lié à l’expérience et à l’environnement cognitif dans lequel se place l’individu.

La confiance, une construction incrémentale

Les auteurs et nos expériences s’accordent sur la nature incrémentale du processus de construction de la confiance ; dans certains domaines commerciaux, par exemple, on dit « il faut 10 ans pour gagner la confiance d’un client, et 10 minutes pour la perdre ! ».

Cette notion est largement étayée par le modèle de Tuckman qui voit quatre état chronologiques (ontologiques) majeurs dans le développement d’un groupe : formation, turbulence, normalisation, performance[5].

La confiance se construit, puis se maintient ; alors qu’il est difficile de distinguer un processus standard de construction de la confiance, en revanche, il semble qu’un modèle en 5 composantes puisse rendre compte de son maintien : instantanée, calculée, prédictive, résultat, maintien.

La confiance instantanée

A l’instant même de la rencontre, un individu accorde à l’autre un « crédit de confiance » ; c’est un processus instantané mais limité, peu fondé ni étayé, donc fragile, sous haute surveillance ; une sorte de confiance sous caution. C’est ce qui permet à des gens qui sont parachutés dans des groupes temporaires de pouvoir travailler ensemble, par exemple dans les équipes de théâtre ou de production cinématographique, dans les équipages d’avion, dans les staffs médicaux, etc.

Cette confiance se base principalement sur deux facteurs :

  • On estime que les autres membres ont été sélectionnés par rapport à des critères de fiabilité, compétence, valeurs, etc. On a affaire à la notion de tiers-certificateur, dont on verra plus loin que le rôle peut être capital.
  • On suppose qu’il y a réciprocité : si je n’accorde pas ma confiance à l’autre, alors l’autre en fera autant et il nous sera impossible de construire la moindre relation.

Ce type d’équipe se met très vite au travail et devient performant sans passer par les longues et progressives étapes de maturation.

La confiance calculée

Cette étape est franchie lorsque les acteurs attendent qu’une collaboration apporte un certain bénéfice. La confiance trouve alors sa source dans la conformité ou non de l’exécution d’une tâche collaborative particulière ; par exemple, la confiance d’un client dans une entreprise générale qui construit sa maison peut être assortie de mécanismes de contrôle et de clauses de pénalités de façon à maîtriser des dérives ou des comportements opportunistes.

L’une des façons de créer un climat de confiance est de mettre en place des procédures, comme la définition des rôles et responsabilités, des mécanismes de reporting, etc.

La confiance prédictive

Dans le process prédictif, la confiance est largement basée sur le fait que les acteurs se connaissent bien : ils se basent sur le comportement passé pour prédire le comportement à venir. Les acteurs qui n’ont pas la possibilité d’avoir des relations ou expériences communes réclameront des séances d’entraînement, des réunions ou d’autres dispositifs leur permettant de mieux se connaître.

La confiance basée sur le résultat

Dans ce mécanisme, la confiance est basée sur la performance de l’autre. Au départ, cette confiance dépend des succès passés ; elle sera encore renforcée si l’autre accomplit sa tâche avec succès, et rompue si des problèmes sont rencontrés. Ce mécanisme est particulièrement important dans les communautés virtuelles où les acteurs ne se connaissent pas, ne peuvent pas voir comment les autres travaillent ; ils ne peuvent juger que sur le résultat : délai, qualité des produits

La confiance intensive

Finalement la confiance intensive suppose que les deux parties identifient et acceptant les objectifs, finalités et valeurs de l’autre.

La confiance dans les communautés virtuelles

Le texte ci-dessous est le résultat d’une expérience menée avec quatre groupes d’étudiants devant effectuer une travail commun à distance en utilisant des outils de groupware et de visioconférence.

L’expérience a montré que la confiance jouait un rôle primordial dans la qualité du travail collaboratif et que l’usage d’un outil présentait de nombreux risques de sérieusement l’entamer, voire la détruire. Un certain nombre de comportements ont été révélés comme porteurs de danger :

  • s’enflammer : s’énerver tout seul et se décharger dans un longue tirade écrite ;
  • poser des requêtes ou assigner des tâches irréalisables ;
  • ignorer les requêtes ; ne pas répondre à ses mails ;
  • dire du mal ou critiquer quelqu’un ;
  • ne pas remplir ses engagements.

Bien entendu on se doute que ce genre de comportement n’est pas fait pour améliorer la confiance, mais il se trouve que l’usage d’un outil les rend davantage possibles qu’une interaction physique. En effet, dans une conversation face-à-face, il se produit des sortes de micro-boucles qui ont la vertu de désamorcer des conflits par une meilleure compréhension des points-de-vue de chacun. La plupart des crises sociales sont des crises du langage et du sens.

Le tableau ci-dessous résume les facteurs qui renforcent ou au contraire diminuent l’établissement de la confiance dans une communauté.

La confiance est renforcée quand :

  • La communication est fréquente, les membres sont bien informés et partagent leurs compréhensions.
  • Les messages sont catégorisés ou formatés, ce qui permet aux récepteurs une économie de temps.
  • Les tâches, rôles et responsabilités sont bien définis, chaque membre connaît ses propres objectifs.
  • Les membres tiennent leurs délais et leurs échéances.
  • Il y a un esprit positif permanent, chaque membre reçoit des encouragements et un feed-back.
  • Les membres s’entraident mutuellement.
  • Les attentes personnelles et celles du groupe ont été clairement identifiées.
  • Les membres ont le même niveau d’engagement.

La confiance est affaiblie quand :

  • Il y a peu de communication, les idées ne sont pas partagées.
  • Les membres ne sont pas réactifs ; certains messages urgents restent sans réponse.
  • Les objectifs n’ont pas été clairement définis.
  • Les délais et livrables n’ont pas été clairement définis.
  • L’esprit n’est pas positif et il n’y a pas de feed-back ou celui ci est systématiquement négatif.
  • Les attentes personnelles et celles du groupe n’ont pas été identifiées.
  • Les membres cherchent plutôt à esquiver, à éviter de contribuer.
  • Les membres ne s’engagent pas vraiment.

Ces facteurs contribuent à une performance du groupe élevée ou faible, qui elle-même contribue par une boucle de retour à la motivation des acteurs pour coopérer. On peut parler d’une véritable spirale de la confiance.

La spirale de la confiance

A partir des différents éléments cités ci-dessus, on peut donc évoquer un processus cumulatif, une sorte de spirale, qui peut être positive ou négative :

  • au départ, un acteur va contribuer au groupe sur la base d’une « confiance instantanée », donc forcément limitée ;
  • en fonction de la contribution des autres, du côté positif du feed-back et éventuellement de la performance constatée, cet acteur sera incité à renforcer sa contribution.

En sens opposé, on peut vite imaginer comment se crée un « processus contre-productif » où la dimension sociale d’un groupe joue dans le sens contraire de la compétence individuelle et finit par démotiver complètement la personne. En d’autres termes, si on oppose une personne compétente à un système déficient, le système gagne à tous les coups.

La compétence individuelle, 6ème facteur de performance collective

Dans cet esprit, une étude nord-américaine a démontré que la compétence individuelle n’intervenait qu’en sixième position comme facteur de performance collective ; les spécifications des produits, le système organisationnel, les feed-back du système aux actions étant des préalables à l’efficacité collective :

  1. Spécifications claires (produit de sortie, standards )
  2. Support organisationnel (ressources, priorités, processus, rôles )
  3. Conséquences personnelles (reconnaissance des autres )
  4. Feedback du système (résultat d’une action)
  5. Savoir-être de l’individu (physique, mental, émotionnel)
  6. Compétence et savoir individuel

Cela tend à montrer que les dispositifs de formation professionnelle sont certes nécessaires, mais qu’il peuvent être très dispendieux s’ils ne s’inscrivent pas dans une démarche globale, incluant une refonte des organisations (modes de fonctionnement de l’équipe, management), du système d’évaluation et de reconnaissance (objectifs, réalisation, évaluation de la performance), des processus (modélisation des tâches et des compétences), des spécifications produits.

Les conventions du travail collaboratif

Revenons à nos équipes virtuelles ; il semblerait qu’un certain nombre de conventions ou protocole favorisent l’établissement d’un niveau de confiance suffisant pour un travail collaboratif efficace. Ces conventions se regroupent en cinq catégories :

  • Catégorie : Intégrité
    • Caractéristiques : honnêteté, éthique, loyauté, respect, fiabilité et engagement
    • Facteurs et comportements : être honnête, tenir ses engagements,être réactif, être droit et loyal, être fiable
  • Catégorie : Habilitation
    • Caractéritiques : savoirs, savoir-faire, compétences individuelles et collectives
    • Facteurs et comportements : mettre en application avec succès les savoirs, compétences, partager les expériences, les bonnes pratiques
  • Catégorie :Ouverture
    • Caractéristiques : volonté de partager des idées et des informations, intérêt aux autres, apprendre des erreurs
    • Facteurs et comportements : informer les autres,partager librement les idées et les informations, être curieux,donner un feed-back positif,reconnaître ses erreurs
  • Catégorie : Charisme
    • Caractéristiques :empathie, envie de bien faire, bonne volonté, générosité
    • Facteurs et comportements : s’entraider,être amical, être courtois,avoir de la considération,rester humble,savoir apprécier le travail des autres
  • Catégorie : Attentes
    • Caractéristiques : bénéfice potentiel, cohérence, évaluation
    • Facteurs et comportements : être à l’écoute des attentes, rechercher un consensus ou des compromis, rester cohérent sur les attentes

Ce qui est important dans cette énumération de facteurs, c’est qu’ils n’ont pas tous la même importance par rapport au processus cumulatif de construction de la confiance :

  • Certains sont mineurs, ils seront corrigés en temps réel : quelqu’un oublie de communiquer une information, le groupe lui fait remarquer, il s’en excuse ; c’est une mise au point nécessaire.
  • Certains sont « proportionnels » : tout le monde n’a pas le même charisme et cela n’empêche pas forcément un groupe de fonctionner.
  • Certains sont majeurs et définitifs : c’est notamment le cas des facteurs regroupés dans la catégorie « intégrité » ; une trahison sera perçue comme une atteinte définitive à la confiance.

Conclusion : le rôle de la confiance dans la connaissance collective

Une fois admis que la subjectivité, l’affectif, l’émotion, gouverne nos représentations individuelles, on conçoit que le processus de construction collective d’une représentation passe nécessairement par une étape de mise en commun des perceptions, de confrontation, de négociation et de délibération de ces différentes subjectivités. Ce processus nécessite des qualités humaines d’empathie, de « reliance  »[6] davantage que des capacités d’analyse.

En ce sens, l’organisation n’est pas tant un système de « traitement de l’information » mais bien de « création de connaissance collective ». C’est là que réside l’enjeu humain du Knowledge Management.

Du Knowledge Management au knowledge enabling

Partant de ces considérations sur la nature de la connaissance, profondément engrammée dans l’individu en tant que sujet, on peut en déduire qu’on ne manage pas la connaissance, comme on manage un objet ; le terme Knowledge Management, que j’utilise volontiers, est en fait un abus de langage ; tout au plus peut on manager les conditions dans lesquelles la connaissance peut se créer, se formaliser, s’échanger, se valider, etc. Les anglo-saxons parleraient de knowledge enabling.

Cela permet également d’introduire une précision fondamentale : le management de la connaissance collective est avant tout une problématique de flux ; ce qui est important c’est de manager les transitions entre tous les états de la connaissance : tacite, implicite, explicite, individuel, collectif, etc. Tous les outils du KM (socialisation, formalisation, médiatisation, pédagogie) doivent se focaliser sur l’optimisation de ces flux de transition.

Notes

[1] Crédit photo : Notsogoodphotography – CC by (Creative Commmons By)

[2] « Un mort c’est un drame, dix morts c’est un accident, mille morts c’est une statistique »

[3] R. Wittorski, De la fabrication des compétences, Education permanente, n°135, 1998-2

[4] Alain, dans Dieux déguisés, nous décrit magnifiquement l’effet Pygmalion : « J’ai souvent constaté, avec les enfants et avec les hommes aussi, que la nature humaine se façonne aisément d’après les jugements d’autrui, …Si vous marquez un galérien, vous lui donnez une sorte de droit sauvage. Dans les relations humaines, cela mène fort loin, le jugement appelant sa preuve, et la preuve fortifiant le jugement… La misanthropie ne mène à rien. Si vous vous défiez, vous serez volé. Si vous méprisez, vous serez haï. Les hommes se hâtent de ressembler au portrait que vous vous faites d’eux. Au reste essayez d’élever un enfant d’après l’idée, mille fois répétée à lui, qu’il est stupide et méchant; il sera tel… »

[5] Les termes originaux de Tuckman forming, storming, norming, performing sont assez difficiles à traduire. Beaucoup d’auteurs français traduisent notamment Storming par conflit ; je pense que, dans le mot anglais storming, comme par exemple dans brainstorming, il y a une connotation de chaos créatif, de nécessité de passer d’un état à un autre ; l’adolescence pourrait être une bonne métaphore. De même « Performing » doit être compris au sens de la « représentation d’un orchestre » où l’on entend une pâte musicale unique, au sein de laquelle il est impossible de dissocier un instrument.

[6] Le mot est d’Edgar Morin




Est-ce grave docteur quand Linux baisse et Ubuntu stagne dans Google Trends ?

Dans un récent billet intitulé Quel avenir pour Linux sur le poste de travail ?, Tristan Nitot posait la question suivante, que l’on peut aussi qualifiée de question qui tue : « Alors qu’on constate que le marché du PC est en fort déclin et que le téléphone mobile se profile comme étant le moyen d’accès à Internet premier pour une majorité de gens, Linux aura-t-il le temps de percer avant que la fenêtre d’opportunité ne se ferme ? Linux aura-t-il le temps de conquérir l’ordinateur de bureau avant que celui-ci ne devienne marginal ? »

Une chose est sûre, si l’on se fie à Google Trends, « Linux » est en spectaculaire déclin :

Google Trends - Linux

Voyez par vous-même

Pour rappel Google Trends « est un outil issu de Google Labs permettant de connaître la fréquence à laquelle un terme a été tapé dans le moteur de recherche Google, avec la possibilité de visualiser ces données par région et par langue » (source Wikipédia).

On pourrait se dire que peut-être est-ce à cause de l’irrésistible envolée d’Ubuntu. Mais non Ubuntu, quand bien même il ait rattrapé Linux, stagne aussi, jusqu’à baisser même sensiblement ces derniers temps :

Google Trends - Ubuntu

Voyez par vous-même

Les deux ensemble :

Google Trends - Linux + Ubuntu

Voyez par vous-même

Attention, cela ne signifie donc rien d’autre que le fait suivant : les internautes passant par le moteur de recherche Google tapent moins souvent les mots clés « Linux » et « Ubuntu » qu’avant. Et c’est tout.

Mais j’ai bien peur que cela soit quand même signifiant…




10 différences entre les OS libres Linux et BSD

Beastie - Logo BSDIl est trop rare que nous évoquions le système d’exploitation libre BSD (Berkeley Software Distribution). La dernière fois il s’agissait d’un billet consacré à l’histoire d’Unix, à l’occasion de son quarantième anniversaire.

Et c’est dommage parce que cela finit par laisser à penser qu’il n’existe que GNU/Linux dans le monde des OS libres. Or il y a aussi la famille BSD (FreeBSD, OpenBSD, NetBSD…), louée pour la propreté de son code, sa sécurité, sa fiabilité et sa stabilité, que l’on compare souvent à son « cousin » GNU/Linux justement, histoire de l’appréhender plus facilement et de mieux comprendre ce qui fait sa spécificité.

Si on le rencontre peu souvent sur ce blog, c’est aussi parce qu’il serait difficile de le conseiller de prime abord à un utilisateur lambda pour sa machine personnelle, surtout si ce dernier provient de l’univers Windows. La matériel est moins bien et moins vite supporté, il y a moins d’applications disponibles et il se destine surtout au monde des serveurs. Mais rien ne dit qu’un jour, vous aussi…

Ce billet s’adresse donc à tous les curieux et plus particulièrement à ceux qui se sont déjà frottés de près ou de loin à une distributions GNU/Linux. Il s’adresse également aux experts et aux aficionados de BSD qui sont cordialement invités à témoigner, compléter et surtout critiquer l’article et ses arguments dans les commentaires.

D’autant plus que l’auteur propose en conclusion une classification des OS en fonction de la maîtrise de leurs utilisateurs qui ne fera sans doute pas l’unanimité !

Remarque 1 : Le personnage ci-dessus s’appelle Beastie (bi-esse-di), c’est la mascotte BSD et il représente un charmant petit démon, oups, je veux dire daemon.

Remarque 2 : Il y a du BSD dans Mac OS X, comme aiment à la rappeler certains Macfans et les geeks qui, ayant adopté cet OS, « culpabilisent » moins ainsi 😉

10 différences entre Linux et BSD

10 differences between Linux and BSD

Jack Wallen – 4 août 2010 – TechRepublic
(Traduction Framalang : Loque huaine et Mathieu)

Malgré une tendance courante à minimiser leurs différences, Linux et BSD ont un certain nombre de caractéristiques qui les distinguent. Jack Wallen attire l’attention sur plusieurs différences importantes.

Combien de fois avez-vous déjà entendu les gens mettre Linux et n’importe quel BSD dans le même panier ? Bien sûr, il existe un grand nombre de similarités entre Linux et BSD : ils sont tous les deux basés sur UNIX. Dans l’ensemble, les deux systèmes sont développés par des organisations à but non lucratif. Et je dois dire que Linux comme les variantes BSD ont un but commun : créer le plus utile et le plus fiable des systèmes d’exploitation qui soit.

Toutefois, il y a aussi des différences significatives. Et quand les gens n’y font pas attention, c’est toute la communauté BSD qui frissonne de colère. Aussi, j’ai pensé que je pourrais aider mes frères de BSD et expliquer un peu en quoi Linux est différent de BSD.

1. Licences

Comme nous le savons tous, le système d’exploitation Linux est sous licence GPL. Cette licence est utilisée pour empêcher l’inclusion de logiciels aux sources fermées et pour assurer la disponibilité du code source. La GPL essaye d’empêcher la distribution de sources sous forme de binaires seulement.

La Licence BSD est bien moins restrictive et autorise même la distribution de source sous forme de binaires. La principale différence peut cependant être vue de la façon suivante : la GPL vous donne le droit d’utiliser le logiciel de n’importe quelle façon, mais vous DEVEZ vous assurer que le code source est disponible pour la prochaine personne qui utilisera le logiciel (ou votre variante du logiciel). La licence BSD n’exige pas que vous soyez sûr que la prochaine personne qui utilise (ou modifie votre code) rende ce code disponible.

2. Contrôle

Le code BSD n’est pas « contrôlé » par une personne en particulier, ce que beaucoup de gens voient comme un gros plus. Alors que le noyau Linux est principalement contrôlé par Linus Torvalds (le créateur de Linux), BSD n’est pas régi par une personne unique dictant ce qui peut ou ne peut pas aller dans le code. À la place, BSD utilise une « équipe centrale » (NdT : core team) pour gérer le projet. Cette équipe centrale a un droit de parole dans la direction du projet plus important que celui des autres membre de la communauté BSD.

3. Noyau contre système d’exploitation

Le projet BSD maintient un système d’exploitation entier, alors que le projet Linux se focalise principalement sur le seul noyau. Ce n’est pas aussi fondamental que ça en a l’air parce qu’un grand nombre d’applications qui sont utilisées le sont sur les deux systèmes d’exploitation.

4. UNIX-like

Il y a un vieux dicton à propos de BSD contre Linux : « BSD est ce que vous obtenez quand une poignée d’hackers UNIX se rassemblent pour essayer de porter un système UNIX sur un PC. Linux est ce que vous obtenez quand une poignée d’hackers PC se rassemblent et essaient d’écrire un système UNIX pour le PC » (NdT : BSD is what you get when a bunch of UNIX hackers sit down to try to port a UNIX system to the PC. Linux is what you get when a bunch of PC hackers sit down and try to write a UNIX system for the PC).

Cette expression en dit long. Ce que vous pourrez constater, c’est que les BSD ressemblent beaucoup à UNIX parce qu’ils sont en fait des dérivés directs du traditionnel UNIX. Linux, en revanche, était un OS nouvellement créé, vaguement basé sur un dérivé d’UNIX (Minix, pour être précis).

5. Systèmes de base

Ce point est crucial pour comprendre les différences entre BSD et Linux.

Le « système de base » pour Linux n’existe pas vraiment, puisque Linux est un conglomérat de systèmes plus petits qui s’imbriquent ensemblent pour former un tout. La plupart diront que le système de base de Linux est le noyau. Le problème c’est qu’un noyau est plutôt inutile sans aucune application utilisable. BSD en revanche, a un système de base comprenant de nombreux outils — même libc fait partie du système de base. Parce que ces pièces sont toutes traitées comme un système de base, elles sont toutes développées et packagées ensemble. D’aucun argueront du fait que cela crée un tout plus cohésif.

6. Plus à partir des sources

À cause de la façon dont BSD est développé (en utilisant le système de Ports), davantage d’utilisateurs ont tendance à installer à partir des sources plutôt que de paquets binaires pré-empaquetés.

Est-ce un avantage ou un inconvénient ? Cela dépend des individus. Si vous êtes adepte de la simplicité et de la convivialité, vous vous en détournerez. Ceci est particulièrement vrai pour les nouveaux utilisateurs. Peu de nouveaux utilisateurs veulent avoir à compiler à partir des sources. Cela peut engendrer une distribution pataude. Mais installer à partir des sources a aussi ses avantages (gestion des versions des bibliothèques, construction de paquets spécifiques au système, etc.).

7. Changements de version

Grâce à la façon dont BSD est développé (voir le point 5), vous pouvez mettre à jour l’ensemble de votre système de base vers la plus récente des versions avec une seule commande. Ou bien vous pouvez télécharger les sources de n’importe quelle version, les décompresser, et compiler comme vous le feriez pour n’importe quelle autre application. Avec Linux, vous pouvez aussi changer un système de version en utilisant le gestionnaire de paquets du système. La première façon ne mettra à jour que le système de base, la seconde mettra à jour l’ensemble de l’installation. Rappelez-vous cependant que passer à la nouvelle version du système de base ne veut pas dire que tous vos paquets supplémentaires seront mis à jour. Alors qu’avec les mises à jour de version de Linux, tous vos paquets bénéficieront du processus de mise à niveau. Est-ce que cela signifie que la façon de faire de Linux est meilleure ? Pas nécessairement. J’ai vu de mes propres yeux une mise à jour Linux qui s’est horriblement mal passée, nécessitant la réinstallation du système tout entier. Cela a beaucoup moins de chances de se produire avec un changement de version BSD.

8. Dernier cri

Il est peu probable que vous voyiez un BSD exécuter la toute dernière version de quoi que ce soit. Linux au contraire, a beaucoup de distributions qui offrent les dernières versions des paquets. Si vous êtes fan du « Si ce n’est pas cassé, ne le corrigez pas » (NdT : If it isn’t broken, don’t fix it), vous serez un grand fan de BSD. Mais si vous êtes du genre à avoir besoin que tout soit le plus récent possible, vous feriez mieux de migrer vers Linux aussi vite que possible histoire de ne pas être à la traîne.

9. Support matériel

Vous constaterez, en général, que Linux supporte le matériel bien plus tôt que BSD. Ça ne veut pas dire que BSD ne supporte pas autant de matériel que Linux. Ça veut juste dire que Linux le supporte avant BSD (dans certains cas, BIEN avant BSD). Donc si vous voulez la toute dernière carte graphique, ne pensez même pas à BSD. Si vous voulez le nouveau portable qui en jette avec un chipset sans-fil dernier cri, vous aurez plus de chance avec Linux.

10. Communauté d’utilisateurs

Je vais me risquer ici à généraliser sur les utilisateurs d’ordinateurs. En préambule je dirai qu’il y a des exceptions à TOUTES les règles (ou généralités, dans le cas présent). Mais je vous présente ma généralisation sur la répartition des distributions en fonction des utilisateurs. De la gauche vers la droite on passe des utilisateurs maîtrisant le moins un PC à ceux le maîtrisant le plus. Comme vous pouvez le constater, Linux est au milieu, alors que BSD penche plus sur la droite. Beaucoup ne seront pas d’accord ; certains en seront même offensés. Mais c’est d’après moi une généralité assez juste sur l’usage du système d’exploitation selon l’utilisateur.

Mac —–> Windows —–> Linux —–> BSD —–> UNIX

Autres différences ?

Cette liste n’est en aucune façon destinée à dire que l’un est meilleur que l’autre. Je trouve que BSD et Linux ont chacun leur place. Et vous ?

Trouvez-vous les différences entre Linux et BSD assez significatives pour préférer rester sur l’un plutôt que l’autre ? Avez-vous essayé les deux ? Qu’est-ce qui vous fait préférer l’un par rapport à l’autre ? Argumentez, et faites connaître votre opinion à vos amis lecteurs.




Les jeunes ne jurent que par Apple (et se foutent du logiciel libre ?)

Multitrack - CC byIndépendamment de la question financière, que choisirait actuellement un jeune bachelier si il avait le choix de s’équiper en matériel high tech ?

Ce n’est qu’une impression mais il semblerait bien que tous ou presque souhaitent désormais posséder du Apple : MacBook, iPod, iPhone, iPad…

Deux liens qui corroborent cette impression.

Le premier lien est économique. Un cabinet financier américain vient tout juste de dégrader la notation de Microsoft estimant que l’éditeur ne parvenait pas à séduire les jeunes générations (source ZDNet). Ainsi 70% des étudiants entrant à l’université possèderaient un Mac[1].

Cela fait beaucoup quand même ! Mais justement le second lien est académique. Le département Information Technology and Communication de l’Université de Virginie nous propose d’intéressantes statistiques sur l’équipement informatique de ses étudiants de première année.

On peut y constater de notables évolutions de 1997 à nos jours. Comme on s’y attendait les étudiants tendent à être tous équipés, et au profit aujourd’hui presque exclusif de l’ordinateur portable. Mais pour quel OS ? Et là effectivement la comparaison est édifiante. Les courbes de Windows et de Mac suivent des chemins diamétralement opposés. En 2004, nous avions 89% pour Windows et 8% pour le Mac. En 2009 c’est 56% de Windows et 43% de Mac. On est encore loin des 70% évoqués plus haut, mais au train où vont les choses, c’est apparemment pour bientôt.

Pourquoi avoir choisi l’année 2004 comme repère ? Parce qu’ils étaient alors 77 étudiants à avoir un autre OS que Windows ou Mac (autrement dit un OS libre). Or ils ne sont plus que 8 en 2010, soit 0,3% !

D’où cette double question que je soumets à votre sagacité : Est-ce que selon vous Apple fascine réellement toute la jeunesse ? Et si oui cela a-t-il, dès aujourd’hui et pire encore demain, des conséquences sur le logiciel libre ?

À parcourir ces trois récents articles du Framablog : Pourquoi je n’achèterai pas un iPad, La fin du Web ouvert – Apple ou la banlieue riche du Web et Combien de futurs hackers Apple est-il en train de tuer ?, je crains déjà votre réponse. Et me demande dans la foulée si cela ne met pas une nouvelle fois en exergue la faillite absolue en amont de l’école (et des parents) quant à la sensibilisation au logiciel libre et sa culture.

Notes

[1] Crédit photo : Multitrack (Creative Commons By)




La vie n’est pas en lecture seule

Ciprian Ionescu - CC byUn fichier informatique est dit « en lecture seule » lorsque vous n’avez que le droit de l’exécuter et donc de le lire. Alors qu’un ficher disponible « en lecture/écriture » vous offre en plus la possibilité de le modifier.

Vous n’en ferez peut-être rien mais cette liberté supplémentaire change la donne puisque vous n’êtes plus condamné à être passif. Si un jour il vous prend l’envie d’ajouter du code à un logiciel libre ou de compléter un article de Wikipédia, vous pouvez le faire.

Par extrapolation, nous ne voulons pas d’une vie qui nous serait proposée par d’autres uniquement en lecture seule. Nous souhaitons pouvoir agir sur elle et y participer. « L’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire », nous dit ainsi Benjamin Bayart.

Techniquement parlant, tout est en place pour que cela ait bien lieu et les nouvelles pratiques de la jeune génération témoignent tous les jours de cette aspiration[1].

Et pourtant, il semblerait que certains ne souhaitent pas nous voir profiter pleinement de ce progrès. Et d’ériger alors toujours plus de barrières et de péages artificiels.

Comme nous le signale son auteur en fin d’article, ce petit texte rédigé dans le train en 2006 « a pour simple but de vous faire réflechir aux politiques des grands groupes des médias et/ou de votre gouvernement ». De nombreux bits ont beau avoir coulé sous les ponts d’Internet depuis, il garde toute son acuité. Jusqu’à y voir parfois modestement une sorte de manifeste de la jeunesse du début de ce nouveau siècle.

La vie n’est pas en lecture seule

Life is not read-only

Olivier Cleynen – 2006 – Licence Creative Commons By
(Traduction Framalang : Olivier, Pablo, Djidane et Siltaar)

Pour eux, c’est de la piraterie. Carrément du vol, voilà ce qu’est le téléchargement. Vous prenez quelque chose qui a un prix, sans le payer. Volez-vous à l’étalage ou cambriolez-vous des maisons ? Pourquoi alors télécharger gratuitement ?

Créer du contenu est très difficile : rien que pour remasteriser, créer l’emballage et faire de la publicité pour la dernière compilation, il faut aligner trois millions de dollars. Comment les artistes peuvent-ils s’en sortir ? Comment la vraie culture peut-elle encore survivre ?

En fait. Peut-être que vous n’avez pas vraiment dépossédé quelqu’un de quelque chose. Peut-être ne vous êtes-vous pas vraiment servi dans un rayon. Peut-être que vous n’auriez de toute façon pas dépensé un centime pour ce truc « protégé contre la copie ».

Et tous ces trucs ont la peau dure. De la musique que vous n’avez pas le droit de copier, des films que vous n’avez pas le droit d’enregistrer, des fichiers protégés par des restrictions et des bibliothèques musicales qui disparaissent lorsque vous changez de baladeur… Certaines entreprises produisent même des téléphones et des ordinateurs sur lesquels elles restent maîtresses des programmes que vous pouvez installer.
Les choses empirent lorsque la loi est modifiée pour soutenir ces pratiques : dans de nombreux pays il est devenu illégal de contourner ces restrictions.

Qu’attendez-vous de la vie ? Quelles sont les choses qui comptent vraiment ? Lorsque vous faites le bilan de votre année, qu’en retenez-vous ? Les bons moments passés entre amis ou en famille ? La découverte d’un album génial ? Exprimer votre amour, ou votre révolte ? Apprendre de nouvelles choses ? Avoir une super idée ? Un e-mail de la part de quelqu’un qui compte pour vous ?

Et des choses passent au second plan : un grand nombre de pixels, le tout dernier iPod… déjà dépassé, un abonnement « premium », une augmentation vite dépensée, profiter de sa toute nouvelle télévision HD… Tout le monde apprécie ces trucs, mais si on y réfléchit un peu, c’est pas si important.

Vous ne deviendrez certainement pas un astronaute exceptionnel. Vous ne traverserez pas l’Atlantique à la nage. Vous ne serez pas leader international. La vie c’est maintenant. Et c’est quand on partage ses idées, ses pensées et sentiments.

La vie n’est pas en lecture seule. Elle est faite de petites choses qui ne peuvent être vendues avec des verrous. Si l’on ne peut plus choisir, essayer, goûter, assister, penser, découvrir, faire découvrir, exprimer, partager, débattre, ça ne vaut pas grand chose. La vie devrait être accessible en lecture et en écriture.

Peut-être que le droit d’auteur n’est pas aussi légitime que certains voudraient nous faire croire. En fait, le discours de Martin Luther King « I have a Dream © » est toujours protégé par le droit d’auteur. Vous ne pouvez pas chanter la chanson « Joyeux anniversaire © » dans un film sans payer de droits. L’expression « Liberté d’expression™ » est une marque déposée.

Le partage de fichiers est criminalisé. Certains sont jugés et emprisonnés pour avoir développé des technologies qui permettent d’échanger des fichiers (la loi réprime le fait « d’éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public des copies non-autorisées d’œuvres ou objets protégés »).
Mais qu’en est-il de ceux qui ont inventé et vendu les magnétoscopes, les photocopieurs, les lecteurs de cassette munis d’un bouton d’enregistrement ? Et d’ailleurs, où sont les personnes qui ont inventé les baladeurs numériques ?

Vous avez dit deux poids, deux mesures ? Des milliers de personnes gagnent leur vie en poussant nos enfants à fumer ou en développant l’export de mines anti-personnelles. Et à coté de ça, le partage de fichier, ces mêmes fichiers que l’on peut voir sur YouTube, est puni par une amende compensatoire pouvant atteindre 150 000 dollars par fichier.

Et on dit que l’industrie de la musique est en danger.
Qui veut d’une industrie musicale ? Et plus particulièrement telle qu’elle existe ? Laissons l’industrie, aux boîtes de conserve et aux voitures.

La culture ne se meurt pas dès que vous téléchargez un fichier. La créativité n’est pas diminuée lorsque vous découvrez quelque chose. C’est toute la société qui en profite lorsqu’on peut apprendre et s’exprimer.

Participez. Appréciez. Découvrez. Exprimez. Partagez.

Donc. Une société équilibrée où les artistes peuvent gagner leur vie et où le partage de fichiers n’est pas criminalisé est possible. Voici quelques suggestions :

Musique

  • Allez voir les artistes en concerts (sauf s’ils vendent leurs places 200€)
  • Que pensent et font vos artistes favoris ? Renseignez-vous, vous découvrirez peut-être quelque chose
  • Achetez intelligemment votre musique
  • Si l’artiste est mort maintenant, gardez votre argent pour le dépenser autrement
  • Ne vous contentez pas d’écouter, chantez !
  • Ne racheter pas la musique que vous possédez déjà en CD ou vinyl.

Participez

Films

  • Fréquentez les petites salles (qui se soucient surement plus de l’artiste que de l’industrie)
  • Fuyez les MTP (DRM) et les lecteurs « labellisés »
  • Partagez les bons films avec vos amis, ceux qui sont pour vous immanquables.

Logiciel

Tous les jours

LifesNotReadOnly.net a pour simple but de vous faire réflechir aux politiques des grands groupes des médias et/ou de votre gouvernement. Ça n’est qu’un petit manifeste rédigé dans le train en 2006. Olivier Cleynen en est l’auteur. Vous êtes libre de répliquer le contenu de ce site Web, même pour des applications commerciales, sous les termes de la license CC-by.

Notes

[1] Crédit photo : Ciprian Ionescu (Creative Commons By)




Bagdad et Gaza : OpenStreetMap 1 Google Maps 0

Il y a deux mois, nous publiions un article sur le zoo de Berlin illustrant le fait qu’OpenStreetMap pouvait être plus pertinent que Google Maps dans ce cas très particulier.

Un commentaire nous signala alors qu’il en était de même pour certaines zones sensibles et de donner alors l’exemple de la ville de Bagad où la comparaison se révèle effectivement spectaculaire.

Bagdad

Sur Google Maps :

Bagdad - Google Maps - 2010

Sur OpenStreetMap (accueil du projet de cartographie de Bagdad) :

Bagdad - OpenStreetMap - 2010

Mais la bande de Gaza n’est pas en reste.

Gaza

Ici la ville de Gaza (ou Gaza City) n’existe carrément pas chez Google Maps !

Gaza - Google Maps - 2010

Chez OpenStreetMap (accueil du projet de cartographie de Gaza) :

Gaza - OpenStreetMap - 2010

But why ?

Pourquoi Google Maps se montre si peu précis ici ?

J’attends vos commentaires. La réponse est peut-être à rechercher du côté de la géopolitique américaine et des restrictions imposées à ses entreprises ?

Google a beau travailler dans les nuages, Google n’en a pas moins un pays d’origine et d’appartenance qui a ses propres règles et suit ses propres intérêts…

Règles et intérêts qui heureusement ne sont les mêmes que ceux d’un projet libre et coopératif comme OpenStreeMap !




Les logiciels libres ne sont pas les bienvenus dans l’App Store d’Apple

Annia316 - CC byNous avons déjà eu l’occasion d’en parler, Apple enferme les utilisateurs dans une prison dorée et les développeurs de logiciels dans une prison tout court !

Pour que votre application soit en effet proposée dans l’App Store, il est d’abord nécessaire qu’elle convienne à Apple qui se réserve le droit de la refuser sans fournir d’explication (et gare à vous si un bout de sein dépasse !)[1].

Mais une fois cet obstacle franchi, il faut aussi et surtout accepter les conditions d’utilisation de la plateforme.

Or ces conditions sont restrictives et donc discriminantes si on les observe avec le prisme des quatre libertés d’un logiciel libre. Elles interdisent donc aujourd’hui à un logiciel libre de pouvoir faire partie du catalogue parce que sa licence se télescope alors avec les termes du contrat d’Apple.

Un logiciel libre simulant le jeu de Go, GNU Go, s’est pourtant retrouvé récemment dans l’App Store. Et qu’a fait Apple lorsque la FSF lui a écrit pour soulever la contradiction et voir ensemble comment améliorer la situation ? Elle a purement simplement retiré GNU Go de sa plateforme, manière pour le moins radicale de résoudre le problème !

C’est l’objet de notre traduction du jour, qui constate au passage que cela se passe pour le moment mieux dans le store Android de Google.

On est en plein dans la problématique d’un billet précédent opposant la liberté à la gratuité. Ce n’est pas le fait que GNU Go soit gratuit qui contrarie Apple. C’est bien qu’il soit libre. Libre d’échapper au contrôle et aux contraintes imposés aux utilisateurs, sachant que c’est justement pour cela qu’il a été créé !

Apple préfère supprimer une application plutôt que s’encombrer d’une licence Open Source

Apple would rather remove app than leave open-source license

Amy Vernon – 11 juin 2010 – NetworkWorld
(Traduction Framalang : Don Rico, Joan et Goofy)


Pourquoi GNU Go a disparu de l’App Store d’iTunes, et pourquoi Apple a tort.


Qu’ils soient gratuits ou payants, ce sont les jeux qui rencontrent le plus grand succès dans les app-stores pour mobiles. Rien de surprenant, donc, que GNU Go, version libre du Go, jeu aussi ancien que populaire, ait été disponible gratuitement sur la boutique en ligne de l’iTunes. Jusqu’à récemment en tout cas.

Sa disparition est le résultat direct d’une plainte de la Free Software Foundation, qui reprochait aux conditions d’utilisation d’Apple d’enfreindre la licence du logiciel.

GNU Go est placé sous licence GPLv2, dont la Section 6 interdit expressément d’ajouter la moindre « restriction supplémentaire » à une licence qui permet à tout un chacun de copier, distribuer ou modifier le logiciel. Mais ce sont précisément les faits reprochés aux conditions d’utilisation de l’App Store, qui restreignent les supports sur lesquels on peut installer le programme.

La FSF a envoyé un courrier à Apple pour demander à l’entreprise de permettre à GNU Go (et toute autre application sous licence GPL) d’être distribuée en respectant les termes non-restrictifs de la licence, mais Apple a préféré retirer l’application.

Je me suis donc demandé quelle était la politique de Google concernant son app-store Android. Le charabia juridique a manqué me donner la migraine, mais après plusieurs lectures, il semblerait qu’un simple extrait des conditions d’utilisation de Google élimine ce problème (c’est moi qui souligne) :

10.2 Vous n’êtes autorisé (et vous ne pouvez autoriser quiconque) à copier, modifier, créer une œuvre dérivée, pratiquer de l’ingénierie inverse, décompiler ou tenter de quelque façon que ce soit d’extraire le code source du Logiciel ou toute partie dudit Logiciel, sauf si cela est expressément autorisé ou requis par la loi, ou sauf si Google vous en donne l’autorisation expresse par écrit.

Dans l’ensemble, les conditions d’utilisation de Google semblent aussi restrictives que celles d’Apple. Et on n’a probablement pas fini d’avoir de mauvaises surprises en examinant le copyright et la licence. Mais au détour de ce petit bout de phrase, voici au fond ce que dit Google : « Oh là ! Si la licence de ce logiciel dit que tu peux en faire ce que tu veux, vas-y. Sinon, pas touche ! »

Voilà la formule magique. C’est elle qui permet à Google de protéger ses produits sous copyright et ceux de ses développeurs, mais qui permet également aux logiciels d’être diffusés dans la licence de leur choix.

Apple a le droit le plus absolu de règlementer les applications en vente ou téléchargées sur son App Store. Mais l’entreprise outrepasse ses droits si elle impose des restrictions plus importantes à l’usage d’un logiciel. Bon d’accord, peut-être que légalement, l’entreprise est juste dans son droit, il n’empêche que ce n’est pas…juste.

J’aimerais croire que la formulation choisie par Google est la conséquence directe de la nature open source d’Android et de l’investissement de l’entreprise dans le monde de l’open source. Mais je suis perplexe quand je vois qu’Apple, tout populaire qu’il soit parmi les utilisateurs et défenseurs de l’open source, ne se donne pas la peine d’une simple rectification qui permettrait aux applications libres et open source d’être diffusées partout dans les mêmes conditions.

C’est juste une petite décision à prendre. Mais c’est une décision juste.

Notes

[1] Crédit photo : Annia316 (Creative Commons By)




Nous disons Liberté – Ils entendent Gratuité

Drewski Mac - CC by-saNous le savons, l’adjectif anglais free est un mot qui signifie aussi bien libre que gratuit.

Tout dépend du contexte. Lorsque Stevie Wonder chante I’m free, il n’y a pas d’équivoque possible. Mais il faut encore parfois préciser à un Anglo-Saxon qu’un free software est un logiciel libre et non un logiciel gratuit. C’est d’ailleurs l’une des raisons de l’existence de l’expression alternative (mais controversée) open source.

Il en va de même pour la célèbre citation « Information wants to be free », que notre ami Cory Doctorow nous propose ici d’abandonner parce qu’elle arrange trop ceux qui feignent de croire que nous voulons la gratuité alors qu’il ne s’agit que de liberté. Une gratuité « qui détruit toute valeur » et qu’il faut combattre, quitte à restreindre les… libertés ! CQFD

N’est-ce pas la même stratégie et le même dialogue de sourds que nous avons retrouvés lors de notre bataille Hadopi ? Ce n’est pas l’information gratuite qui nous importe, c’est l’information libre. Mais ça c’est tellement étrange et subversif que cela demeure impossible à entendre de l’autre côté de la barrière[1]. À moins qu’ils n’aient que trop compris et qu’ils ne fassent que semblant de faire la source oreille…

Remarque des traducteurs : Le mot « free » apparaît dix-sept fois dans la version originale de l’article, que nous avons donc traduit tantôt par « gratuit » tantôt par « libre », en fonction de ce que nous pensions être le bon contexte.

Répéter que l’information veut être gratuite fait plus de mal que de bien

Saying information wants to be free does more harm than good

Cory Doctorow – 18 mai 2010 – Guardian.co.uk
(Traduction Framalang : Barbidule et Daria)

Arrêtons la surveillance et le contrôle parce que ce que veulent les gens c’est avant tout être réellement libres.

Pendant dix ans, j’ai fait partie d’un groupe que l’industrie du disque et du cinéma désigne comme « ceux qui veulent que l’information soit gratuite ». Et durant tout ce temps, jamais je n’ai entendu quelqu’un utiliser ce cliché éculé – à part des cadres de l’industrie du divertissement.

« L’information veut être gratuite » renvoie au fameux aphorisme de Stewart Brand, énoncé pour la première fois lors de la Conférence de Hackers de Marin County, Californie (forcément), en 1984 : « D’un côté, l’information veut être chère, parce qu’elle a énormément de valeur. La bonne information au bon moment peut changer votre vie. D’un autre côté, l’information veut être gratuite, car le coût pour la diffuser ne fait que diminuer. Ces deux approches ne cessent de s’affronter. »

Ce savoureux petit koan résume élégamment la contradiction majeure de l’ère de l’information. Il signifie fondamentalement que l’accroissement du rôle de l’information en tant que source et catalyseur de valeur s’accompagne, paradoxalement, d’un accroissement des coûts liés à la rétention d’information. Autrement dit, plus vous avez de TIC à votre disposition, plus elles génèrent de valeur, et plus l’information devient le centre de votre monde. Mais plus vous disposez de TIC (et d’expertise dans les TIC), et plus l’information peut se diffuser facilement et échapper à toute barrière propriétaire. Dans le genre vision prémonitoire anticipant 40 années d’affrontements en matière de régulation, de politique et de commerce, il est difficile de faire mieux.

Mais il est temps qu’elle meure.

Il est temps que « l’information veut être gratuite » meure car c’est devenu l’épouvantail qu’agitent systématiquement les grincheux autoritaires d’Hollywood à chaque fois qu’ils veulent justifier l’accroissement continu de la surveillance, du contrôle et de la censure dans nos réseaux et nos outils. Je les imagine bien disant « ces gens-là veulent des réseaux sans entraves uniquement parce qu’ils sont persuadés que « l’information veut être gratuite ». Ils prétendent se soucier de liberté, mais tout ce qui les intéresse, c’est la gratuité ».

C’est tout simplement faux. « L’information veut être gratuite » est aux mouvements pour les droits numériques ce que « Mort aux blancs » est aux mouvements pour l’égalité raciale : une caricature, qui transforme une position de principe nuancée en personnage de dessins animés. Affirmer que « l’information veut être gratuite » est le fondement idéologique du mouvement revient à soutenir que brûler des soutiens-gorges est la principale préoccupation des féministes (dans l’histoire du combat pour l’égalité des sexes, le nombre de sous-tifs brûlés par des féministes est si proche de zéro qu’on ne voit pas la différence).

Mais alors, si les défenseurs des libertés numériques ne veulent pas de « l’information gratuite », que veulent-ils ?

Ils veulent un accès ouvert aux données et aux contenus financés par des fonds publics, parce que cela contribue à améliorer la recherche, le savoir et la culture – et parce qu’ils ont déjà payé au travers des impôts et des droits de licence.

Ils veulent pouvoir citer des travaux antérieurs et y faire référence, parce que c’est un élément fondamental de tout discours critique.

Ils veulent avoir le droit de s’inspirer d’œuvres antérieures afin d’en créer de nouvelles, parce que c’est le fondement de la créativité, et que toutes les œuvres dont ils souhaitent s’inspirer ont elles-mêmes été le fruit de la compilation des œuvres qui les ont précédées.

Il veulent pouvoir utiliser le réseau et leurs ordinateurs sans être soumis à des logiciels de surveillance et d’espionnage installés au nom de la lutte contre le piratage, parce que la censure et la surveillance ont un effet corrosif sur la liberté de penser, la curiosité intellectuelle et le progrès vers une société ouverte et équitable.

Ils veulent des réseaux qui ne soient pas bridés par des entreprises cupides, dont l’objectif est de vendre l’accès à leurs clients aux majors du divertissement, parce que quand je paie pour une connexion au réseau, je veux recevoir les bits de mon choix, aussi vite que possible, même si ceux qui fournissent ces bits refusent de graisser la patte de mon fournisseur d’accès.

Ils veulent avoir le droit de concevoir et d’utiliser les outils qui permettent de partager l’information et de créer des communautés, parce que c’est le fondement de la collaboration et de l’action collective – même si un petit nombre d’utilisateurs se servent de ces outils pour obtenir de la musique pop sans payer.

« l’information veut être gratuite » est d’une concision élégante, et elle joue subtilement sur le double sens du mot anglais free , mais aujourd’hui elle fait plus de mal que de bien.

Il vaut mieux dire « Internet veut être libre » .

Ou plus simplement : « les gens veulent être libres » .

Notes

[1] Crédit photo : Drewski Mac (Creative Commons By-Sa)