Le making of d’Arduino ou la fabuleuse histoire d’un circuit imprimé

Oomlout - CC by-saL’histoire retiendra que c’est dans un bar d’une petite ville du nord de l’Italie qu’est né le projet Arduino qui, de manière totalement inattendue, est en train de révolutionner le domaine de l’électronique à l’échelle mondiale, puisque pour la première fois tout le monde peut vraiment s’y essayer et découvrir qu’il aime ça !

L’histoire retiendra également que rien de tout ceci n’aurait été possible sans le choix initial des licences libres qui a conditionné non seulement son bas prix et sa massive diffusion mais également son approche et son état d’esprit[1].

Acteur et non consommateur, on retrouve ici le goût de comprendre, créer et faire des choses ensemble. Concepts simple et plein de bon sens mais que notre époqu’Apple a fortement tendance à oublier.

PS : Ceci est la troisième traduction de suite initiée sur Twitter/Identica et réalisée dans un Framapad. Je remercie vivement tous les volontaires qui ont bossé dur hier soir pour arriver à un résultat d’un étonnante qualité quand on pense que les invitations sont ouvertes à tout le monde. On se donne rendez-vous, on communique, on se met d’accord sur tel ou tel passage via le chat intégré… au final on passe un moment ponctuel et commun agréable tout en travaillant (bénévolement). Je reste fasciné par le dynamisme et la bienveillance des gens et par la capacité d’Internet à favoriser cela. Si vous voulez vous aussi participer aux prochaines, il suffit de me suivre sur Twitter ou Identica avec le hashtag (que je viens d’inventer) « #EnFrSprint ».

La genèse d’Arduino

The Making of Arduino

David Kushner – Octobre 2011 – Spectrum
(Traduction Framalang : Yoha, Keyln, Fab et Luc)

Ou comment cinq amis ont conçu la petite carte électronique qui a bouleversé le monde du DIY (Do It Yourself – Faites-le vous-même).

La pittoresque ville d’Ivrea, qui chevauche la rivière bleue-verte Dora Baltea au nord de l’Italie, est connue pour ses rois déchus. En l’an 1002, le roi Arduin (Arduino en italien) devint le seigneur du pays, pour être détrôné par Henri II d’Allemagne, deux ans plus tard. Aujourd’hui, le Bar di Re Arduino, un bar dans une rue pavée de la ville, honore sa mémoire, et c’est là qu’un nouveau roi inattendu naquit.

C’est en l’honneur de ce bar où Massimo Banzi a pour habitude d’étancher sa soif que fut nommé le projet électronique Arduino (dont il est le cofondateur). Arduino est une carte microcontrôleur à bas prix qui permet — même aux novices — de faire des choses époustouflantes. Vous pouvez connecter l’Arduino à toutes sortes de capteurs, lampes, moteurs, et autres appareils, et vous servir d’un logiciel facile à appréhender pour programmer le comportement de votre création. Vous pouvez construire un affichage interactif, ou un robot mobile, puis en partager les plans avec le monde entier en les postant sur Internet.

Sortie en 2005 comme un modeste outil pour les étudiants de Banzi à l’Interaction Design Institute Ivrea (IDII), Arduino a initié une révolution DIY dans l’électronique à l’échelle mondiale. Vous pouvez acheter une carte Arduino pour seulement 30 dollars ou vous construire la vôtre à partir de rien : tous les schémas électroniques et le code source sont disponibles gratuitement sous des licences libres. Le résultat en est qu’Arduino est devenu le projet le plus influent de son époque dans le monde du matériel libre.

La petite carte est désormais devenu le couteau suisse de nombreux artistes, passionnés, étudiants, et tous ceux qui rêvaient d’un tel gadget. Plus de 250 000 cartes Arduino ont été vendues à travers le monde — sans compter celles construites à la maison. « Cela a permis aux gens de faire des choses qu’ils n’auraient pas pu faire autrement. », explique David A. Mellis, ancien étudiant à l’IDII et diplômé au MIT Media Lab, actuellement développeur en chef de la partie logicielle d’Arduino.

On trouve des alcootests, des cubes à DEL, des systèmes de domotique, des afficheurs Twitter et même des kits d’analyse ADN basés sur Arduino. Il y a des soirées Arduino et des clubs Arduino. Google a récemment publié un kit de développement basé sur Arduino pour ses smartphones Android. Comme le dit Dale Dougherty, l’éditeur et rédacteur du magazine Make, la bible des créateurs passionnés. Arduino est devenu « la partie intelligente dans les projets créatifs ».

Mais Arduino n’est pas qu’un projet open source ayant pour but de rendre la technologie plus accessible. C’est aussi une start-up conduite par Banzi et un groupe d’amis, qui fait face à un challenge que même leur carte magique ne peut résoudre : comment survivre au succès et s’élargir « Nous devons passer à l’étape suivante, et devenir une entreprise établie. » m’explique Banzi.

Arduino a soulevé un autre défi formidable : comment apprendre aux étudiants à créer rapidement de l’électronique. En 2002, Banzi, un architecte logiciel barbu et avunculaire (NDT : qui ressemble à un oncle) y a été amené par l’IDII en tant que professeur associé pour promouvoir de nouvelles approches pour la conception interactive — un champ naissant parfois connu sous le nom d’informatique physique. Mais avec un budget se réduisant et un temps d’enseignement limité, ses options de choix d’outils étaient rares.

Comme beaucoup de ses collègues, Banzi se reposait sur le BASIC Stamp, un microcontrôleur créé et utilisé par l’entreprise californienne Parallax depuis près de 10 ans. Codé avec le langage BASIC, le Stamp était comme un tout petit circuit, embarquant l’essentiel : une alimentation, un microcontrôleur, de la mémoire et des ports d’entrée/sortie pour y connecter du matériel. Mais le BASIC Stamp avait deux problèmes auxquels Banzi se confronta : il n’avait pas assez de puissance de calcul pour certains des projets que ses étudiants avaient en tête, et il était aussi un peu trop cher — une carte avec les parties basiques pouvait coûter jusqu’à 100 dollars. Il avait aussi besoin de quelque chose qui puisse tourner sur Macintosh, omniprésents parmi les designers de l’IDII. Et s’ils concevaient eux-mêmes une carte qui répondrait à leurs besoins ?

Un collègue de Banzi au MIT avait développé un langage de programmation intuitif, du nom de Processing. Processing gagna rapidement en popularité, parce qu’il permettait aux programmeurs sans expérience de créer des infographies complexes et de toute beauté. Une des raisons de son succès était l’environnement de développement extrêmement facile à utiliser. Banzi se demanda s’il pourrait créer un logiciel similaire pour programmer un microcontrôleur, plutôt que des images sur l’écran.

Un étudiant du programme, Henando Barragán, fit les premiers pas dans cette direction. Il développa un prototype de plateforme, Wiring, qui comprenait un environnement de développement facile à appréhender et une circuit imprimé prêt-à-l’emploi. C’était un projet prometteur — encore en activité à ce jour — mais Banzi pensait déjà plus grand: il voulait faire une plateforme encore plus simple, moins chère et plus facile à utiliser.

Banzi et ses collaborateurs croyaient fermement en l’open source. Puisque l’objectif était de mettre au point une plateforme rapide et facile d’accès, ils se sont dit qu’il vaudrait mieux ouvrir le projet au plus de personnes possibles plutôt que de le garder fermé. Un autre facteur qui a contribué à cette décision est que, après cinq ans de fonctionnement, l’IDII manquait de fonds et allait fermer ses portes. Les membres de la faculté craignaient que leurs projets n’y survivent pas ou soient détournés. Banzi se souvient : « Alors on s’est dit : oublions ça, rendons-le open source ! ».

Le modèle de l’opensource a longtemps été utilisé pour aider à l’innovation logicielle, mais pas matérielle. Pour que cela fonctionne, il leur fallait trouver une licence appropriée pour leur carte électronique. Après quelques recherches, ils se rendirent compte que s’ils regardaient leur projet sous un autre œil, ils pouvaient utiliser une licencesCreative Commons, une organisation à but non-lucratif dont les contrats sont habituellement utilisés pour les travaux artistiques comme la musique et les écrits. « Vous pouvez penser le matériel comme un élément culturel que vous voulez partager avec d’autres personnes. » argumente Banzi.

Le groupe avait pour objectif de conception un prix particulier, accessible aux étudiants, de 30$. « Il fallait que ce soit équivalent à un repas dans une pizzeria. » raconte Banzi. Ils voulaient aussi faire quelque chose de surprenant qui pourrait se démarquer et que les geeks chevronnés trouveraient cool. Puisque les autres circuits imprimés sont souvent verts, ils feraient le leur bleu ; puisque les constructeurs économisaient sur les broches d’entrée et de sortie, ils en ajouteraient plein à leur circuit. Comme touche finale, ils ajoutèrent une petite carte de l’italie au dos de la carte. « Une grande partie des choix de conception paraîtraient étranges à un vrai ingénieur », se moque savamment Banzi, « mais je ne suis pas un vrai ingénieur, donc je l’ai fait n’importe comment ! ».

Pour l’un des vrais ingénieurs de l’équipe, Gianluca Martino, la conception inhabituelle, entre chirurgie et boucherie, était une illumination. Martino la décrit comme une « nouvelle manière de penser l’électronique, non pas de façon professionnelle, où vous devez compter vos électrodes, mais dans une optique DIY ».

Le produit que l’équipe créa se constituait d’éléments bon marchés qui pourraient être trouvés facilement si les utilisateurs voulaient construire leurs propres cartes (par exemple, le microcontrôleur ATmega328). Cependant, une décision clé fut de s’assurer que ce soit, en grande partie, plug-and-play : ainsi quelqu’un pourrait la sortir de la boîte, la brancher, et l’utiliser immédiatement. Les cartes telles que la BASIC Stamp demandaient à ce que les adeptes de DIY achètent une dizaine d’autres éléments à ajouter au prix final. Mais pour la leur, l’utilisateur pourrait tout simplement connecter un câble USB de la carte à l’ordinateur — Mac, PC ou Linux — pour la programmer.

« La philosophie derrière Arduino est que si vous voulez apprendre l’électronique, vous devriez être capable d’apprendre par la pratique dès le premier jour, au lieu de commencer par apprendre l’algèbre. » nous dit un autre membre de l’équipe, David Cuartielles, ingénieur en télécommunications.

L’équipe testa bientôt cette philosophie. Ils remirent 300 circuits imprimés nus (sans composants) aux étudiants de l’IDII avec une consigne simple : regardez les instructions de montage en ligne, construisez votre propre carte et utilisez-la pour faire quelque chose. Un des premiers projets était un réveil fait maison suspendu au plafond par un câble. Chaque fois que vous poussiez le bouton snooze, le réveil montait plus haut d’un ton railleur jusqu’à ce que ne puissiez que vous lever.

D’autres personnes ont vite entendu parler de ces cartes. Et ils en voulaient une. Le premier acheteur fut un ami de Banzi, qui commanda une unité. Le projet commençait à décoller mais il manquait un élément majeur — un nom pour leur invention. Une nuit, autour d’un verre au pub local, il vint à eux : Arduino, juste comme le bar — et le roi.

Rapidement, l’histoire d’Arduino se répandit sur la toile, sans marketing ni publicité. Elle attira très tôt l’attention de Tom Igoe, un professeur d’informatique physique au Programme de Télécommunications Intéractives de l’Université de New York et aujourd’hui membre de l’équipe centrale d’Arduino. Igoe enseignait à des étudiants non techniciens en utilisant le BASIC Stamp mais fut impressionné par les fonctionnalités d’Arduino. « Ils partaient de l’hypothèse que vous ne connaissiez ni l’électronique, ni la programmation, que vous ne vouliez pas configurer une machine entière juste pour pouvoir programmer une puce — vous n’avez qu’à allumer la carte, appuyer sur upload et ça marche. » dit-il. « J’étais aussi impressionné par l’objectif d’un prix de 30$, ce qui la rendait accessible. C’était l’un des facteurs clefs pour moi. »

De ce point de vue, le succès de l’Arduino doit beaucoup à l’existence préalable de Processing et de Wiring. Ces projets donnèrent à Arduino une de ses forces essentielles : l’environnement de programmation convivial. Avant Arduino, coder un microcontrôleur nécessitait une courbe d’apprentissage difficile. Avec Arduino, même ceux sans expérience électronique préalable avaient accès à un monde matériel précédemment impénétrable. Maintenant, les débutants n’ont pas à apprendre beaucoup avant de pouvoir construire un prototype qui fonctionne vraiment. C’est un mouvement puissant à une époque où la plupart des gadgets les plus populaires fonctionnent comme des “boîtes noires” fermées et protégées par brevet.

Pour Banzi, c’est peut-être l’impact le plus important d’Arduino : la démocratisation de l’ingénierie. « Cinquante ans avant, pour écrire le logiciel, il vous fallait du personnel en blouses blanches qui savait tout sur les tubes à vide. Maintenant, même ma mère peut programmer. », développe Banzi. « Nous avons permis à beaucoup de gens de créer elles-même des produits ».

Tous les ingénieurs n’aiment pas Arduino. Les plus pointilleux se plaignent de ce que la carte abaisse le niveau créatif et inonde le marché des passionnés avec des produits médiocres. Cependant, Mellis ne voit pas du tout l’invention comme dévaluant le rôle de l’ingénieur : « il s’agit de fournir une plateforme qui laisse une porte entrouverte aux artistes et aux concepteurs et leur permet de travailler plus facilement avec les ingénieurs en leur communiquant leurs avis et leurs besoins ». Et il ajoute : « je ne pense pas que cela remplace l’ingénieur ; cela facilite juste la collaboration ».

Pour accélérer l’adoption d’Arduino, l’équipe cherche à l’ancrer plus profondément dans le monde de l’éducation, depuis les écoles primaires jusqu’aux universités. Plusieurs d’entre elles, dont Carnegie Mellon et Stanford, utilisent déjà Arduino. Mellis a observé comment les étudiants et les profanes abordaient l’électronique lors d’une série d’ateliers au MIT Media Lab. Mellis a ainsi invité des groupes de 8 à 10 personnes à l’atelier où le projet à réaliser devait tenir dans une seule journée. Parmi les réalisations, on peut noter des enceintes pour iPod, des radios FM, et une souris d’ordinateur utilisant certains composants similaires à ceux d’Arduino.

Mais diffuser la bonne parole d’Arduino n’est qu’une partie du travail. L’équipe doit aussi répondre aux requêtes pour les cartes. En fait, la plateforme Arduino ne se résume plus à un type de carte — il y a maintenant toute une famille de cartes. En plus du design originel, appelé Arduino Uno, on trouve parmi les nouveaux modèles une carte bien plus puissante appelée Arduino Mega, une carte compacte, l’Arduino Nano, une carte résistante à l’eau, la LilyPad Arduino, et une carte capable de se connecter au réseau, récemment sortie, l’Arduino Ethernet.

Arduino a aussi créé sa propre industrie artisanale pour l’électronique DIY. Il y a plus de 200 distributeurs de produits Arduino dans le monde, de grandes sociétés comme SparkFun Electronics à Boulder, Colorado mais aussi de plus petites strucutres répondant aux besoins locaux. Banzi a récemment entendu parler d’un homme au Portugal qui a quitté son travail dans une société de téléphonie pour vendre des produits Arduino depuis chez lui. Le membre de l’équipe Arduino Gianluca Martino, qui supervise la production et la distribution, nous confie qu’ils font des heures supplémentaires pour atteindre les marchés émergents comme la Chine, l’Inde et l’Amérique du Sud. Aujourd’hui, près de 80% du marché de l’Arduino est concentré entre les États-Unis et l’Europe.

Puisque l’équipe ne peut pas se permettre de stocker des centaines de milliers de cartes, ils en produisent entre 100 et 3000 par jour selon la demande dans une usine de fabrication près d’Ivrea. L’équipe a créé un système sur mesure pour tester les broches de chaque carte, comme la Uno, qui comprend 14 broches d’entrée/sortie numériques, 6 broches d’entrée analogiques et 6 autres pour l’alimentation. C’est une bonne assurance qualité quand vous gérez des milliers d’unités par jour. L’Arduino est suffisament peu chère pour que l’équipe promette de remplacer toute carte qui ne fonctionnerait pas. Martino rapporte que le taux de matériel défectueux est de un pour cent.

L’équipe d’Arduino gagne maintenant suffisament pour payer deux employés à plein temps et projette de faire connaître de façon plus large la puissance des circuits imprimés. En septembre, à la Maker Faire, un congrès à New York soutenu par le magazine Make, l’équipe a dévoilé sa première carte à processeur 32 bits — une puce ARM — à la place du processeur 8 bits précédent. Cela permettra de répondre à la demande de puissance des périphériques plus évolués. Par exemple, la MakerBot Thing-O-Matic, une imprimante 3D à monter soi-même basée sur Arduino, pourrait bénéficier d’un processeur plus rapide pour accomplir des tâches plus complexes.

Arduino a eu un autre coup d’accélérateur cette année quand Google à mis à disposition une carte de développement pour Android basée sur Arduino. Le kit de développement d’accessoires (ADK) d’Android est une plateforme qui permet à un téléphone sous Android d’interagir avec des moteurs, capteurs et autres dispositifs. Vous pouvez concevoir une application Android qui utilise la caméra du téléphone, les capteurs de mouvements, l’écran tactile, et la connexion à Internet pour contrôler un écran ou un robot, par exemple. Les plus enthousiastes disent que cette nouvelle fonctionnalité élargit encore plus les possibilités de projets Arduino.

L’équipe évite cependant de trop complexifier Arduino. Selon Mellis, « Le défi est de trouver un moyen pour loger toutes les différentes choses que les personnes veulent faire avec la plateforme sans la rendre trop complexe pour quelqu’un qui débuterait. ».

En attendant, ils profitent de leur gloire inattendue. Des fans viennent de loin simplement pour boire au bar d’Ivrea qui a donné son nom au phénomène. « Les gens vont au bar et disent Nous sommes ici pour l’Arduino ! » narre Banzi. « Il y a juste un problème », ajoute-t-il dans un éclat de rire, « les employés du bar ne savent pas ce qu’est Arduino ! ».

Notes

[1] Crédit photo : Oomlout (Creative Commons By-Sa)




Le code deviendra-t-il le latin du XXIe siècle ?

I Write CodeOutre sa dimension historique, culturelle et civilisationnelle, apprendre le latin c’est aussi mieux connaître les bases de notre langue française pour mieux la maîtriser.

Et si, pour mieux comprendre et avoir la capacité de créer (et non subir), la programmation informatique prenait peu ou prou la même place que le latin dans la nouvelle ère qui s’annonce ?

Même si c’est avec un léger train de retard, c’est la question que l’on se pose actuellement en France, mais aussi comme ci-dessous dans une Grande-Bretagne passablement secouée par le récent sermon de Monsieur Google.

« Bien informés, les hommes sont des citoyens ; mal informés ils deviennent des sujets. »
Alfred Sauvy

La programmation – le nouveau latin

Coding – the new Latin

Rory Cellan-Jones – 28 novembre 2011 – BBC
(Traduction Framalang : Goofy, Pandark, Penguin, e-Jim et Marting)

La campagne de promotion de l’apprentissage de l’informatique à l’école — en particulier la programmation — rassemble ses forces.

Aujourd’hui, Google, Microsoft et les autres grands noms du domaine technologique vont prêter leur soutien au dossier soumis au gouvernement plus tôt cette année dans un rapport appelé Next Gen. Il soutient notamment que le Royaume-Uni pourrait être un centre mondial pour l’industrie des jeux vidéos et des effets spéciaux — mais seulement si le système éducatif s’y emploie.

Les statistiques sur le nombre d’étudiants allant à l’université pour étudier l’informatique donnent à réfléchir. En 2003, environ 16 500 étudiants postulaient à l’UCAS (NdT : Universities and Colleges Admissions Service, service gérant les admissions à l’Université au Royaum-Uni) pour des places en cours d’informatique.

En 2007, ce nombre était tombé à 10 600, bien qu’il soit un peu remonté depuis, 13 600 l’année dernière, à cause de la hausse globale des demandes à l’université. Le pourcentage d’étudiants cherchant à étudier le sujet est donc descendu de 5% à 3%. Plus encore, la réputation de l’informatique comme domaine réservé aux hommes geeks a été renforcée, avec un pourcentage de candidats masculins en hausse de 84% à 87%.

Mais le problème, d’après les promoteurs du changement, commence dès l’école avec les ICT (NdT : Technologies de l’Information et de la Communication, TIC ou TICE chez nous), une matière vu par ses détracteurs comme l’enseignement de simples compétences techniques (NdT : Savoir mettre en gras dans un traitement de texte par exemple) plutôt que de la réelle compréhension de l’informatique.

Et il semble bien que les enfants reçoivent le même message car ils sont de moins en moins à étudier cette matière. La réponse, d’après les entreprises et associations qui appellent au changement, est de mettre des cours d’informatique appropriés au programme, sous forme d’apprentissage à la programmation.

Et il semblerait bien qu’ils aient trouvé ce qui pourrait être un bon slogan pour leur campagne. « Coder, c’est le nouveau latin », dit Alex Hope, co-auteur du rapport de Next Gen qui a donné le signal de départ à tout cela. « Nous devons donner aux enfants une compréhension correcte des ordinateurs si nous voulons qu’ils puissent comprendre et s’adapter à toutes sortes de futurs métiers. ».

M. Hope croit fermement que l’association des nouvelles technologies et de l’industrie culturelle est le meilleur espoir de la Grande Bretagne — et il est bien placé pour le savoir.

Son entreprise d’effets spéciaux Double Negative est une belle réussite, avec des apparitions aux génériques de Films comme Harry Potter, Batman ou Inception, pour lequel elle a gagné un Oscar. Il emploie désormais plus d’un millier de personnes depuis ses débuts éblouissants en 1998.

Alex Hope dit que sa société a besoin d’un riche mélange de talents : « nous cherchons des génies universels — des gens avec des connaissances en informatique, mathématiques, physique, ou arts plastiques qui peuvent toutes s’épanouir et se développer ». Il explique comment le travail pour donner une apparence réelle à la Tamise en image de synthèse dans Harry Potter implique des mathématiques et de la physique complexe.

Mais il trouve difficile de recruter des personnes avec une expérience en sciences dites dures. « Nous ne produisons tout simplement pas assez de diplomés avec des compétences en informatique ou en mathématiques ».

Comme bien d’autres tirant la sonnette d’alarme pour une éducation différente, Alex Hope en revient à 1980 lorsqu’il apprenait à programmer en utilisant un BBC Micro. Aujourd’hui, il va être rejoint par le principal ingénieur de Google au Royaume-Uni et le dirigeant de Microsoft éducation au Royaume-Uni pour proposer une nouvelle approche. Ils disent rien de moins que c’est le potentiel de croissance et d’emplois qui est en jeu pour une partie vitale de l’économie.

« Le gouvernement cherche des opportunités de croissance » dit Alex Hope. « Pour cela, ils y a nécessité à former les programmeurs dont les entreprises créatives et de hautes technologies ont et auront besoin pour monter leurs affaires ».

Et il semble que le gouvernement soit réceptif à ce message. Il y a deux semaines, j’ai posé des questions au premier ministre concernant le problème de l’éducation à l’informatique. David Cameron a admis que « nous ne faisons pas assez pour former la prochaine génération de programmeurs », et déclaré que des actions seraient menées à ce sujet.

Nous découvrirons bientôt de quels types d’actions il s’agit, lorsque le gouvernement publiera ses réponses au rapport de Next Gen écrit par Alex Hope et Ian Livingstone. On attend une réponse largement positive, bien qu’un engagement définitif de mettre tout de suite l’informatique au programme soit peu probable.

Mais ce qui pourrait être plus important, ce serait de changer l’image de cette matière. Et alors que « coder est le nouveau latin » est peut-être un bon message à envoyer aux parents et aux politiciens, quelque chose de plus sexy sera nécessaire pour convaincre les écoliers que l’informatique est quelque chose de cool.




Encourager ou criminaliser le jailbreaking ? Un choix de société !

FHKE - CC by-saDrôle de monde que celui dans lequel nous vivons et qui entrave à tous les étages le partage et le bidouillage.

Parce que déverrouiller son iPhone ou son Android n’est pas qu’un jeu gratuit pour hackers malfaisants. Il permet, mais si, mais si, de favoriser l’innovation, d’améliorer la sécurité et d’assurer une meilleure protection de ses données personnelles.

Cela répond également à la légitime curiosité d’aller regarder sous le capot pour comprendre comment les choses fonctionnent[1].

Messieurs les censeurs, écoutez l’appel de l’Electronic Frontier Foundation, et cessez de criminaliser des pratiques utiles à la communauté. Et ne nous y trompons pas, derrière ce petit problème technique se cache (n’ayons pas peur des mots) un véritable choix de société.

Pourquoi Apple, Sony, Amazon, Microsoft et les autres devraient encourager le jailbreaking

Why Apple (and Sony, Amazon, Microsoft etc.) Should Support Jailbreaking

Trevor Timm – 2 décembre 2011 – EFF.org
(Traduction Framalang : Goofy, Clochix et Poupoul2)

Hier l’Electronic Frontier Foundation a demandé à l’administration du Copyright des États-Unis d’accorder une exemption au Digital Millenium Act en faveur du droit de « jailbreaker » les smartphones, les tablettes et les consoles de jeux vidéos. Ces exceptions visent à épargner aux utilisateurs tout souci légal qui pourraient les empêcher de faire tourner des applications et des systèmes d’exploitation qui ne sont pas approuvés par le fabricant de l’appareil. Elles amendent la section 1201 du DMCA qui interdit tout contournement de « mesure technique qui contrôle effectivement l’accès à une œuvre protégée à ce titre ».

En 2009, malgré les cris d’orfraie et la vive opposition d’Apple, l’EFF a obtenu du bureau du Copyright le droit pour les utilisateurs de déverrouiller les iPhones et autres smartphones. C’est en partie grâce à cette disposition légale qu’une communauté en ligne très active s’est constituée autour du jailbreaking pour perfectionner à un degré incommensurable l’innovation, la sécurité, la confidentialité sur ces appareils.

Pourquoi donc Apple et les autres fabricants s’opposeraient-ils à ce processus ? Voilà une question intéressante. Quand Apple a combattu la première fois le droit légal de jailbreaker, la firme a prétendu que cela nuirait à son modèle économique en ruinant sa rentabilité. Pourtant les profits d’Apple atteignent des records jamais atteints selon toutes les statistiques fiables.

En réalité, loin de nuire à des entreprises comme Apple, la communauté autour du jailbreaking finit souvent par leur rendre service, dans la mesure où Apple et d’autres fabricants finissent par adopter de nombreuses fonctionnalités qui avaient été exclues dans un premier temps. Faisons une petite rétrospective de tous le bénéfices du jailbreaking à la fois pour les industriels et les utilisateurs de smartphones, et voyons pourquoi cette pratique devrait être étendue aux tablettes et consoles de jeux vidéos comme le PlayStation 3, la Wii de Nintendo et la XBox 360.

Innovation

À tous égards, la communauté du jailbreaking a formidablement amélioré l’ergonomie des smartphones. Ses membres ont par exemple développé des applications, d’abord rejetées par Apple, qui permettait aux anciennes versions de l’iPhone d’enregistrer des vidéos. Les jailbreakers ont également été les premiers à réussir à configurer le clavier pour qu’il se connecte sans fil au smartphone. Apple a par la suite adopté chacune de ces fonctionnalités.

Ce processus d’imitation a été reproduit pour un tas d’autres innovations initiées par la communauté du jailbreaking, depuis la conception de l’interface utilisateur jusqu’à la gestion des applications sur le téléphone. Comme l’a remarqué David Kravets du magazine Wired, « parmi ces bidouillages on trouve les notifications qui se replient, l’accès direct à la caméra depuis l’écran d’accueil verrouillé et la synchronisation sans fil, pour n’en citer que quelques-uns ».

Sécurité

Les améliorations de la sécurité développées par la communauté des jailbreakers protègent les utilisateurs de smartphones quand le fabricant tarde à régler les problèmes de vulnérabilité ou les néglige carrément.

Quand on a découvert une faille de sécurité à l’ouverture d’un fichier PDF par le navigateur de l’iPhone, Apple ne s’est pas pressé pour régler le problème. Les utilisateurs qui ne voulaient pas attendre que le fabricant s’en occupe avaient une meilleure façon de se protéger : débrider leur appareil et installer un correctif « non autorisé » créé par un développeur indépendant.

Mais la débâcle de DigiNotar en 2011 est le meilleur exemple pour expliquer pourquoi il est si vital de pouvoir déverrouiller un téléphone. Jusqu’à une époque récente, DigiNotar était une autorité de certification — une organisation qui émet des certificats numériques utilisés pour authentifier et sécuriser les communications entre différents services en ligne, comme les transactions de cartes de crédit. Mais en septembre, elle a été piratée et a commencé à émettre des certificats frauduleux, qui ont permis à des utilisateurs mal intentionnés de compromettre des terminaux et des services. Les premières versions d’Android ne se mettaient pas à jour automatiquement, ne laissant aux utilisateurs avec d’anciens systèmes d’exploitation d’autre recours que de déverrouiller leur téléphone pour pouvoir se protéger.

Confidentialité

Alors que les préoccupations sur le respect de la vie privée par les terminaux mobiles augmentent, la communauté des « déverrouilleurs de téléphones » a aussi été vitale en rendant le respect de la vie privée plus sécurisé lorsque les fabricants ne s’en souciaient pas.

Les ouvreurs de prisons numériques ont été les premiers à introduire une application non autorisée sur l’iPhone qui masque les messages apparaissant automatiquement sur l’écran pour signaler qui est aux alentours. Les déverrouilleurs ont également créé une modification du logiciel pour empêcher la journalisation d’informations détaillées sur la localisation de l’iPhone à laquelle se livrait Apple sans y avoir été autorisée. De même, sur Android, une application non autorisée appelée LBE Privacy Guard permet aux utilisateurs de chercher et surveiller les données sensibles auxquelles des applications tierces pourraient essayer d’accéder. Mais ces applications protectrices de la vie privée ne sont accessibles qu’aux utilisateurs qui déverrouillent leur terminal.

La popularité des tablettes a explosé au cours des dernières années, et l’EFF veut que les utilisateurs de terminaux comme l’iPad et le Nook bénéficient également de ce dont ont profité les utilisateurs de smartphones au cours des trois dernières années.

Mais ce n’est pas tout, nous réclamons également une exemption pour les consoles de jeu vidéo.

Consoles de jeux vidéo

Les fabricants de consoles de jeu comme la PlayStation 3, la Xbox et la Wii de Nintendo limitent également le système d’exploitation de l’utilisateur, et les options des logiciels, même lorsque rien ne prouve que d’autres programmes violeraient le copyright. L’exception que nous réclamons permettrait aux utilisateurs d’exécuter le système de leur choix sur leurs consoles, aussi bien que des applications « maison » écrites par eux-mêmes.

Les consoles de jeu vidéo ont des processeurs puissants qui peuvent permettre aux gens de les utiliser comme des alternatives peu coûteuses aux PC de bureau. Des chercheurs, et même l’armée des EUA, ont transformé des grappes de PS3 en puissants supercalculateurs, à l’époque où Sony permettait l’installation de systèmes d’exploitation alternatifs. Mais Sony a supprimé cette possibilité avec une mise à jour du firmware en 2010, et les PS3 ne peuvent désormais plus faire tourner Linux sans être déverrouillées. En fait, plus tôt cette année, Sony avait été jusqu’à poursuivre quelques chercheurs qui avaient publié des informations sur des trous de sécurité qui permettraient aux gens d’installer et de faire tourner Linux sur leur PS3 personnelle. Nous espérons que l’exception que nous cherchons à obtenir énoncera clairement que les gens ont le droit de faire tourner le système d’exploitation et les applications de leur choix sur leur machine.

L’EFF adjure Apple, Sony et les autres de soutenir cette demande d’exemption au DMCA pour améliorer l’expérience des utilisateurs et garantir la sécurité et la confidentialité de leurs données personnelles.

Notes

[1] Crédit photo : FHKE (Creative Commons By-Sa)




Les inspecteurs de l’éducation nationale convoqués chez Microsoft

Paris, mardi 22 novembre 2011, communiqué de presse.

À l’occasion du salon de l’éducation Éducatec-Éducatice 2011[1], les inspecteurs de l’Éducation nationale chargés de mission nouvelles technologies (IEN-TICE), conseillers techniques des inspecteurs d’académie, tiendront leurs journées annuelles. Cette année, l’administration centrale de l’Éducation nationale les convoque directement au siège de la société Microsoft, à Issy-les-Moulineaux. L’April et Framasoft regrettent vivement que le programme de ces journées ne mentionne pas les logiciels et ressources libres.

Pas moins d’une centaine d’IEN-TICE sont donc conviés au siège de Microsoft, le mardi 22 novembre, veille de l’ouverture du salon, pour une réunion dédiée aux technologies de cette entreprise[2].

Convocation IEN Microsoft

Convocation IEN Microsoft

Les journées se poursuivront ensuite jusqu’au 24 novembre, à la Porte de Versailles, selon un programme pré-établi qui semble faire la part belle aux technologies propriétaires.

Nous pensons, comme de nombreux enseignants, que le fait que les IEN-TICE soient convoqués chez Microsoft constitue une véritable entorse à l’indispensable neutralité scolaire[3]. Cela nous semble incompatible avec les missions et les valeurs du système éducatif et des enseignants, contraire à leur culture de diversité, de pluralisme, de diffusion et d’appropriation de la connaissance par tous. « Les IEN-TICE ont droit à une formation qui respecte la neutralité scolaire et le pluralisme technologique. En 2011, il est difficile d’ignorer les nombreux apports du libre pour l’éducation ou de les passer sous silence » estime Rémi Boulle, vice-président de l’April, en charge du groupe de travail Éducation.

Selon le programme, une table-ronde aura pour objectif de dégager les grandes tendances et les besoins qui se dessinent sur le plan des usages pédagogiques et des ressources numériques éducatives. Nous espérons que de nombreuses références seront faites aux ressources libres et que les questions de « l’exception pédagogique » et de l’incitation à la mutualisation sous licence libre seront évoquées.

Rappelons que, depuis longtemps, le monde du logiciel libre s’engage auprès du Ministère et aux cotés des professionnels de l’éducation, en faveur de l’égalité des chances, du droit à l’accès aux technologies les plus récentes, et pour la réduction de la fracture numérique.

De nombreuses associations et entreprises développent des ressources et des logiciels libres pour l’enseignement. Citons notamment, pour le premier degré, GCompris, les produits de la société Ryxéo ou ceux de DotRiver, les logiciels du Terrier développés par des enseignants pour des enseignants, FrenchKISS, OpenOffice4kids, le serveur d’exercices WIMS, édubuntu…

Ces solutions sont pérennes et bénéficient d’une large base d’utilisateurs dans les écoles françaises. Les logiciels libres constituent des solutions alternatives de qualité, et à moindre coût, dans une perspective de pluralisme technologique. Par ailleurs, ils favorisent l’emploi local.

Soulignons que le Ministère lui-même met à la disposition des enseignants le service SIALLE[4], une source d’informations sur l’offre en matière de logiciels libres éducatifs. Le Ministère est également impliqué dans le projet national et le pôle de compétences EOLE[5]. Enfin, un accord cadre[6] a été signé par le ministère de l’Éducation nationale en faveur de l’utilisation de logiciels et ressources libres dans l’éducation. Malgré tout, leur importance continue d’être minimisée par certains acteurs.

Dans l’intérêt des professeurs et des élèves, il aurait été indispensable que le programme des journées IEN-TICE prévoie au moins un espace dédié aux logiciels et ressources libres. C’est d’autant moins compréhensible que le salon fait toute sa place au programme Sankoré (un écosystème international, public et privé, de production de ressources numériques éducatives libres) qui concerne au premier chef l’enseignement primaire.

Nous nous tenons à la disposition des inspecteurs pour toute information complémentaire sur les logiciels et ressources libres pour l’éducation et leur souhaitons un riche salon Éducatec-Éducatice.

Notes

[1] Éducatec-Éducatice

[2] http://www.april.org/sites/default/files/convocation-IEN-TICE-Microsoft_1.png et http://www.april.org/sites/default/files/convocation-IEN-TICE-Microsoft_2.png

[3] Sur cette même thématique, on pourra lire avec profit le « Code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire »

[4] SIALLE

[5] http://eole.orion.education.fr/ : EOLE est tout un ensemble de modules développés pour les établissements scolaires. Citons Amon (pare-feu libre), Scribe (serveur pédagogique complet), Eclair (serveur de clients légers GNU/Linux qui permet de faire démarrer, depuis le réseau, des machines sans système d’exploitation installé), Amon Ecole…

[6] http://eduscol.education.fr/data/fiches/aful.htm : signé en 1998 entre l’AFUL et le Ministère. Il a été reconduit depuis.




Manuel « Introduction à la science informatique » – Commentaires sur les commentaires

La mise en ligne sur le Framablog de l’article Sortie du manuel « Introduction à la science informatique » a naturellement suscité des commentaires, bienvenus, variés et intéressants.

Quelques éléments pour poursuivre le débat entamé.

1) Quelle culture générale scolaire au 21è siècle ?

L’enseignement de spécialité optionnel « Informatique et Sciences du numérique » créé en Terminale S à la rentrée 2012 est un enseignement de culture générale. Comme il y en a d’autres au lycée : mathématiques, histoire-géographie, sciences physiques, philosophie… Il n’a pas vocation à former des spécialistes, cela étant il peut contribuer à susciter des vocations. Il correspond aux missions du système éducatif, à savoir former l’homme, le travailleur et le citoyen.

Les disciplines enseignées évoluent au fil du temps. On ne fait plus de géométrie descriptive en mathématiques mais des probabilités et des statistiques. Le latin et le grec n’ont plus la même place qu’au début du siècle dernier. Les sciences physiques sont devenues discipline scolaire car elles sous-tendaient les réalisations de la société industrielle. Or le monde devient numérique… L’informatique doit avoir sa place dans la culture générale scolaire car elle fait partie de la culture générale de notre époque. C’est un choix que la société fait, doit faire. Car il est clair que l’on ne peut pas tout étudier à l’Ecole. Il faut choisir le « midi qui a le plus de portes ».

Dans les commentaires, un argument nous a quelque peu surpris. Il ne faudrait pas d’informatique à l’École car « cela dégoûterait les élèves ». Le propos vaut-il pour la lecture ? N’apprenons pas à lire aux enfants. Comme cela ils ne seront pas dégoûtés et tous sauront lire. Pas sûr…

Il a été fait état, c’est inévitable, de la comparaison avec la conduite des automobiles. Rappelons que conduire une voiture, en fabriquer et étudier la thermodynamique sont trois activités de natures différentes. Comme l’utilisation des ordinateurs, leur fabrication et la science informatique le sont.

Tout le monde a en tête les débats vifs qui ont accompagné la transposition de la directive européenne DADVSI ou le vote de la loi Hadopi, et du sentiment que l’on a pu éprouver que beaucoup ne savaient pas de quoi ils parlaient. Quand les citoyens s’intéressent au nucléaire ils peuvent peu ou prou se référer à ce qu’ils ont appris à l’école en cours de sciences physiques (atome, courant électrique…). Quand ils s’intéressent aux OGM ils peuvent se référer à leurs cours de SVT. Le problème concernant l’informatique et le numérique est qu’il n’y a pas encore de cours d’informatique, scientifique et technique.

Enseigner une discipline informatique au lycée signifie fondamentalement être en phase avec la société telle qu’elle est devenue.

2) Pourquoi de la programmation ?

Faisons un détour par les mathématiques. Tous les élèves en font, de la Maternelle à la Terminale. Pourtant, bien peu seront chercheurs en mathématiques. Et tous ne seront pas ingénieurs ou professeurs de mathématiques. Ils apprennent à résoudre des équations, chose qu’ils ne feront plus le reste de leur vie. Ils étudient et construisent des fonctions. Pourquoi ? Parce qu’il est important de savoir qu’une grandeur peut dépendre d’une autre grandeur. Que, par exemple, la courbe du chômage indique une progression, éventuellement une accélération de cette progression. Pour s’approprier ces notions, il y a tout un long cheminement avec des appropriations de notions dont on ne se servira plus dans la vie. Mais il reste la culture, à savoir ce qui reste quand on a tout oublié !

Il en va de même pour la programmation. Elle est avec l’algorithmique, la théorie de l’information, l’architecture et les matériels l’un des quatre grands domaines de l’informatique, constituant une clé de voûte où les quatre arcs qui structurent l’informatique se rejoignent, A ce titre elle est déjà incontournable. Elle permet de comprendre ce qu’est l’informatique, de percevoir sa « nature profonde », de s’en imprégner. Pour s’approprier des notions (fichier, protocole de communication, « verrou mortel »…), rien de tel que d’écrire des « petits » programmes.

Cela vaut également pour l’apprentissage des autres disciplines. Encore faut-il que les élèves sachent programmer ! La programmation est un élément de cursus informatique apprécié des élèves, car elle les place dans une situation active et créative, dans laquelle ils peuvent eux-mêmes fabriquer un objet. On constate en effet avec l’ordinateur une transposition des comportements classiques que l’on observe dans le domaine de la fabrication des objets matériels. À la manière d’un artisan qui prolonge ses efforts tant que son ouvrage n’est pas effectivement terminé et qu’il fonctionne, un lycéen, qui par ailleurs se contentera d’avoir résolu neuf questions sur dix de son problème de mathématiques (ce qui n’est déjà pas si mal !), s’acharnera jusqu’à ce que « tourne » le programme de résolution de l’équation du second degré que son professeur lui a demandé d’écrire, pour qu’il cerne mieux les notions d’inconnue, de coefficient et de paramètre. Ces potentialités pédagogiques de la programmation, qui favorisent l’activité intellectuelle, sont parfois paradoxalement et curieusement oubliées par des pédagogues avertis (qui, par ailleurs apprécient les vertus de l’ordinateur et d’internet, outil pédagogique).

De plus, la programmation est une excellente école de la rigueur, de la logique. Vraiment, pourquoi s’en priver ?

3) Formation de culture générale et formations professionnalisantes

Si les disciplines scolaires sont générales et concernent tous les élèves, il n’empêche qu’elles contribuent à donner des fondamentaux que certains retrouveront dans leurs formations ultérieures et leur vie professionnelle. Toutes les disciplines sont des outils au service des autres, et aussi des fins en soi. Cela vaut par exemple pour les mathématiques qui sont au service des sciences physiques ou des sciences économiques. Et pour l’informatique bien sûr. Plus les disciplines sont au service des autres, plus elles deviennent une fin en elles-mêmes. Plus elles sont des composantes majeures de la culture des hommes. Informatique et littérature même combat. Écrire un programme ou écrire un texte sont deux activités d’égale dignité, tout aussi passionnantes l’une que l’autre : une fin en soi !

Une formation structurée sur une longue durée doit être organisée comme une fusée à deux étages : les premières années doivent être consacrées à l’apprentissage de savoirs fondamentaux, puis doivent venir les savoirs spécialisés, qui ont vocation à être directement utilisés dans (les premières années d’) une activité professionnelle. Par exemple la formation d’un médecin consiste à apprendre d’abord (dès l’école primaire, le collège et le lycée) des généralités sur l’anatomie et la physiologie humaine, avant d’apprendre tel ou tel geste chirurgical ou la posologie de tel ou tel médicament. Cette seconde phase de la formation est très variable en fonction du métier que l’on souhaite exercer : les mêmes savoirs spécialisés ne sont pas nécessaires à un ophtalmologiste et un anesthésiste, alors que l’un et l’autre doivent savoir que le cœur est à gauche et le foie à droite ou qu’une cellule humaine contient vingt-trois paires de chromosomes.

Avec l’arrivée de l’informatique au lycée se pose la question de l’identification des savoirs fondamentaux que l’on souhaite partager, non avec ses collègues, mais avec tous. Pour faire partie de la culture générale ces savoirs doivent :

  • avoir une certaine stabilité,
  • donner une image diversifiée, mais cohérente de la discipline,
  • éclairer la vie quotidienne, mais aussi ouvrir de nouveaux horizons,
  • permettre de comprendre comment utiliser des objets mais aussi comment ils sont conçus,
  • être agréables et valorisants à apprendre.

Les besoins croissants en matière d’informatique et de numérique concernent des compétences diversifiées qui évoluent rapidement (outils, langages…), des métiers nouveaux avec peu de formations existantes (web 2,0, e-économie…). Cela signifie qu’il faut distinguer la formation pour tous aux fondamentaux de culture générale informatique, scientifique et technique, dans l’enseignement scolaire et dans l’enseignement supérieur, et les formations professionnalisantes qui, de par les évolutions incessantes des besoins, doivent justement pouvoir s’appuyer sur une solide formation initiale.

Jean-Pierre Archambault
Gilles Dowek




Dans les ateliers libres du futur tout objet produit est en bêta

Il y a de l’espoir. Qu’on les appelle fab lab ou, comme ici, open source workshops, il se passe véritablement quelque chose dans le monde matériel actuellement. Quelque chose qui localement nous donne envie de nous retrouver pour créer ensemble et donner du sens à cette production[1].

Dans ce monde en gestation, certains mots comme compétition, délocalisation, marketing, argent, banque, normalisation… s’estompent pour laisser place à un vivre ensemble potentiel qui sonne moins creux que dans la bouche des politiciens.

Il en aura fallu passer par internet, et par l’expérience virtuelle probante de projets collaboratifs comme le logiciel libre ou Wikipédia, pour en arriver là. Là c’est-à-dire en des lieux où il ne tient qu’à nous de faire pousser nos propres ateliers libres, tel l’Open Design City de Berlin dont nous vous racontons l’histoire ci-dessous.

Comme le dit Stallman lorsqu’il nous salue : « Happy Hacking! »

Un aperçu du futur du « Do It Yourself » : les ateliers libres – Tout produit est en bêta !

A Peek at the Future of DIY: Open-source Workshops – Every product is beta!

Jude Stewart – 4 octobre 2010 – Fast Co Design
(Traduction Framalang : Lolo le 13, Goofy, Julien, Mammig et Martin)

Le « faites-le vous-même » (NdT : Traduction littérale et non satisfaisante du DIY pour Do It Yourself) règne en maître dans le monde virtuel. Nous pouvons en effet aujourd’hui construire librement et sans trop de frais nos propres blogs, e-books et magazines Web. Par contre fabriquer des choses réelles, palpables et tangibles semble être le domaine réservé de ceux qui savent s’y prendre avec un marteau et des clous.

Fast Co Design

Ce n’est pourtant plus le cas désormais. La révolution open source est en train de mettre la conception des produits entre les mains de tout un chacun. Prenez l’Open Design City (ODC) basé à Berlin. C’est un atelier dans lequel n’importe qui peut apprendre à faire à peu près n’importe quoi, du portefeuille en bioplastique à la lampe à pull-overs (cf ci-dessous). La recette est simple comme un sourire : rassemblez des personnes qui veulent partager des idées et collaborer, apprennez-leur à utiliser quelques machines-outils, puis faites des choses sympas ensemble.

C’est un mouvement qui peut potentiellement se substituer à la manière traditionnelle de concevoir et fabriquer industriellement des objets, voire même changer notre mode de consommation. « Je crois fortement que nous verrons émerger de plus en plus d’espaces comme celui-ci » dit Christoph Fahle d’Open Design City. « Nous ne sommes pas à proprement parler dans du développement scientifique, parce que pour que cela marche, il n’y a pas besoin d’expert en balistique. Il s’agit plutôt de favoriser les interactions sociales permettant de créer de nouvelles choses. Si vous regardez Facebook, ce bien moins sa technologie qui a influencé les usages que l’idée du réseau social

Les ateliers ouverts sont une conséquence et un prolongement de la fièvre que connaît actuellement le Do It Yourself. Il y a beaucoup de ressources et d’énergie sur des sites comme MAKE, Instructables.com et IKEAhacker ou de réseaux de vente comme Etsy et Supermarket. Aujourd’hui les gens peuvent acheter leurs propres imprimantes 3D pour moins de 1 000 $.

Fast Co Design

Le co-fondateur Jay Cousins est arrivé dans Open Design City par une voie détournée. Il était un concepteur de produits haut de gamme spécialisé dans ce qu’il appelle la vaisselle et il fut déçu de cette expérience. « Ce travail s’est transformé en piège, tout devenait management au lieu d’être créativité » se souvient-il. « C’est ce qui m’a fait penser en un lieu où les concepteurs et les inventeurs se retrouvent ensemble pour participer à la production. » À la recherche d’une nouvelle inspiration, Jay Cousins a déménagé à Berlin en 2009 et a attéri à Palomar 5, un espace innovant sponsorisé par Deutsche Telecom (malgré son nom qui sonne très hippie). À Palomar 5, « nous avons beaucoup observé comment nous nous collaborions » dit Jay Cousins. « Vous entrez dans un intense conscience de ce qui vous soutient dans votre énergie créative et de ce qui vous bloque ». Là-bas, il rencontra Christopher Doering, un concepteur produit qui est passé par la Bauhaus University de Weimar.

Après ces six semaines à Palomar 5, tout deux eurent envie de créer leur propre atelier ouvert. La fortune souriant aux audacieux, l’occasion de présenta et, au cours du printemps dernier, Jay Cousins et Christopher Doering mirent sur pied un atelier DoIt Yourself à Betahaus, un nouvel espace de travail collaboratif dans le quartier Kreuzberg de Berlin, Open Design CIty était né.

Fast Co Design

Fast Co Design

À Open Design City les travailleurs du premier étage peuvent déambuler au rez-de chaussée et louer des outils à l’heure ou au jour. Ils peuvent participer à un atelier ouvert dans lequel un responsable enseigne au groupe une technique particulière puis ouvre l’étage aux expérimentations.

L’équipement mis à leur disposition des participants est vaste. Ils peuvent ainsi faire joujou avec des outils (scies, scies sauteuses, marteaux…), un sérigraphe pour les textiles, du matériel photographique, des plaques électriques et un évier, de la laine, du savon et du papier-bulle pour faire du feutre, un stock généreux de fécule, de vinaigre et de glycérine qui une fois mélangés avec de l’eau et chauffés font un bioplastique modelable et modulable.

Peu d’outils sont véritablement high-tech mis à part une imprimante 3D qui imprime en pressant de fines couches de certains matériaux et qui est capable de produire une forme en utilisant les données en trois dimensions que l’utilisateur lui donne. Une telle machine ressemble à un four : une fine couche de nylon est chauffée jusqu’à ce qu’elle s’amolisse puis est injectée dans un moule dans lequel elle se durcit à nouveau. Open Design City n’a pas de découpage laser ou d’autres outils similaires permettant de le qualifier pleinement de « fablab ».

La grosse partie de l’équipement provient des dons. « Un type a un jour acheté une tonne de briques Légo blanches en choisissant d’en offrir quelques uns à l’atelier » dit Fahle.

Fast Co Design

Fast Co Design

Apprendre à utiliser l’équipement est d’ordinaire la partie la plus difficile.

Doering se souvient d’un membre de l’ODC, une responsable de communication née en Iran qui travailait au betahaus. Elle voulait faire des énormes lettres en polystyrène expansé pour écrire des slogans lors d’un événement de soutien à la résistance iranienne (cf ci-dessous). Après avoir fait faire des devis « incroyablement cher » dans un atelier de prototypage traditionnel, elle est venue à l’ODC pensant qu’elle pourrait expliquer son projet et ensuite le laisser entre des mains plus expertes. Eh bien non. « Nous avons fait un marché : qu’elle nous aide à acheter une machine pour couper le polystyrène et on lui enseignera alors (à elle et à ses amis) comment l’utiliser » explique Doering. « Au début, elle ne cessa de répéter : Ce n’est pas possible ! Comment pourrai-je faire ça ? Mais une fois que nous avions passé 15 minutes ensemble, elle a vu comment c’est vraiment amusant et facile à faire. Elle et ses amis se sont totalement éclatés à faire ça. Ils ont passé une semaine à couper comme des dingues, monter une fausse prison en briques et inventer une méthode pour joindre les lettres. Tout ce dont il y avait besoin était ce petit coup de pouce de départ. »

Fast Co Design

Open Design City enourage une méthode parallèle de travail qui compose avec les égos et promeut le sens du jeu. Cousins explique : « Si je crois qu’un projet doit être réalisé d’une certaine manière et Chris a une idée différente, au lieu de nous disputer pour savoir laquelle est la meilleure, nous essayons les deux méthodes en même temps et partageons ce que nous apprenons au fur et à mesure. »

Est-ce que le talent ou l’expérience importe dans ce meilleur des mondes ? Oui et non.

Doering aime la façon dont les ateliers ouverts comme Open Design City remettent en question l’idée même de qualité (d’autant que c’est le sujet de sa thèse au Bauhaus). « La qualité doit toujours répondre à certains critères objectifs, bien sûr », explique-t-il, « la culture industrielle dit : voici un produit pour une certaine utilisation et qui a une certaine valeur. Mais les objets aiment à s’échapper des carcans. Il est totalement limitant de dire : c’est une lampe, son but est de remplir l’espace avec de la lumière. Parce que c’est aussi un cadeau de votre grand-mère, c’est une touche personnelle dans votre living-room, etc. et il faut conserver cette flexibilité-là. »

Il a pris une feuille de plastique d’amidon sur l’établi et il l’a brandie. « C’est un biopolymère. Ce n’est pas résistant à l’eau et je ne sais pas combien de temps cela peut tenir en état, un an, peut-être. Voilà au contraire ce qui se passe avec les plastiques à base de pétrole : ils durent éternellement et ce n’est pas une bonne façon de penser. Nous n’aimons pas nos produits aussi longtemps ».

La valorisation des déchets (NdT : upcycling), qui récupère de vieux produits pour les recombiner dans de nouveaux objets désirables, est au programme de futurs événements de l’ODC.

Fast Co Design

Tout cela résonne furieusement anti-industriel — et d’un certain côté c’est bien le cas.

Mais en tant que concepteur produit et pionnier du mouvement Open Design, Ronen Kadushin nous rappelle que renverser la structure du pouvoir dans l’entreprise n’est pas le but. « Vous connaissez le vieux proverbe romain à propos de la hache de votre grand-père ? » dit-il. « Mon père a changé son manche et j’ai changé la lame. Rien de ce que j’ai dans la main ne vient de mon grand-père, mais c’est toujours la sienne. C’est une tradition de valeur. Nous n’avons désormais plus d’objets qui remplissent ce besoin ; nous n’avons pas de hache. La meilleure façon de rester attaché à un produit ou un objet est de le faire soi-même. »

Vers quel avenir pourrait nous mener la fabrication libre de tels produits ?

Vers un Moyen Âge dopé au silicium, répondent Doering, Fahle et Cousins, dans lequel des artisans seraient connectés « localement » avec toute la planète grâce à internet. « Une telle perspective est un peu régressive, en fait » admet Cousins. « Elle nous ramène à l’ère du boulanger, du fabricant de meubles, du spécialiste en électronique, de votre homme à tout faire — un système distribué dans lequel nous reconnaissons mutuellement nos compétences, et les valorisons. Nous ne pouvons plus nous permettre de prendre un objet et de déclarer : « il est 100% éthique, personne n’a été blessé, aucune communauté n’a été décimée au cours de sa fabrication » parce que c’est trop complexe à gérer et non satisfaisant puisque nous demeurons passifs. Diffuser et partager la connaissance de la fabrication d’objets au sein de la communauté ODC nous apporte de la résilience tout en nous permettant de mieux nous débrouiller seuls ».

Fast Co Design

« Mais ce n’est pas seulement une question de survie », poursuit Cousins, « Nous luttons pour nous reconnecter à une communauté et une culture de la participation. C’est un lien très puissant qui s’est progressivement étiolé au cours de ces cent dernières années ». Le paradoxe n’est qu’apparent : les déchets de la révolution industrielle devenant le matériau brut pour des ateliers de type médiéval, un mouvement rendu possible par un Internet massivement collaboratif, une population lassée de vivre virtuellement, et des machines dont le prix s’est démocratisé grâce à une base de consommateurs désireuses d’acheter de nouveaux moyens de production. Ce qui est vieux redevient alors réellement nouveau.

Notes

[1] Crédit photos : Betahaus




Sortie du manuel Introduction à la science informatique

Introduction à la Science Informatique - CouvertureEn visite en Angleterre, voici ce que disait le patron de Google dans une récente traduction du Framablog : « Je suis sidéré d’apprendre qu’il n’existe même pas d’enseignement de base de l’informatique dans les écoles britanniques aujourd’hui. Votre programme de technologie se concentre sur la manière d’utiliser un logiciel, mais n’explique pas comment il a été conçu. »

Et Slate.fr d’en remettre une couche le 4 septembre dernier dans son pertinent article La programmation pour les enfants: et pourquoi pas le code en LV3 ? : « Lassés d’avoir bouffé des slides de PowerPoint et des tableurs Excel dans leurs jeunes années, les étudiants se sont détournés peu à peu de l’étude de l’informatique confondant, bien malgré eux, l’apprentissage d’applications qu’ils trouvent généralement inintéressantes et celui des sciences computationnelles dont ils ne comprennent même pas l’intitulé. »

Toujours dans le même article : « On fait beaucoup d’esbroufe sur la délocalisation d’activités telles que la création de logiciel, mais ce qui n’est pas clair dans cette histoire c’est où est la charrue et où sont les bœufs. Est-ce que les entreprises délocalisent par ce que cela leur coûte moins cher et dans ce cas nous perdons des emplois sur le territoire, ou bien le font-elles parce qu’elle ne peuvent tout simplement pas recruter ici si bien qu’elles à se mettent rechercher des gens compétents ailleurs ? ».

Owni, quant à lui, va encore plus loin, avec son appel à hacker l’école accompagné du témoignage d’un père qui souhaite que sa fille en soit.

Lentement mais sûrement on prend enfin conscience que l’enseignement de l’informatique est un enjeu fondamental du monde d’aujourd’hui. Il y a ceux qui maîtriseront, ou tout du moins comprendront, le code et il y a ceux qui utiliseront le code créé par d’autres.

C’est pourquoi l’arrivée en France pour la rentrée 2012 en Terminale S de l’enseignement de spécialité « Informatique et sciences du numérique » est une avancée importante que l’on doit saluer comme il se doit.

Tout comme nous saluons ci-dessous la sortie d’un manuel support de cette nouvelle discipline (mais qui pourra également être utile et précieux à tout public intéressé par le sujet). Sous licence Creative Commons il a été rédigé collectivement par certains de ceux qui se sont battus avec force, courage et diplomatie pour que cet enseignement voit le jour (à commencer par Jean-Pierre Archambault que les lecteurs de ce blog connaissent bien).

Peut-être penserez-vous que c’est dommage et pas assez ambitieux de se contenter d’une spécialité pour la seule classe tardive de Terminale S ? (Peut-être jugerez-vous également que la licence Creative Commons choisie par le manuel n’est pas « assez ouverte » ?) Certes oui, mais en l’occurrence nous partons de si loin que l’on ne peut que se réjouir de ce petit pas qui met le pied dans la porte.

Et le Libre dans tout ça ?

Point n’est besoin de consulter les communiqués dédiés de l’April et de l’Aful, mentionnés ci-dessous, pour comprendre qu’il devrait largement bénéficier lui aussi de l’apparition de ce nouvel enseignement, synonyme de progrès et d’évolution des mentalités à l’Education nationale.

Edit du 18 septembre : Il y a une suite à cet article puisque les auteurs, Gilles Dowek et Jean-Pierre Archambault, ont choisi de commenter les nombreux et intéressants commentaires dans un nouveau billet.

Un manuel Introduction à la science informatique

Un manuel Introduction à la science informatique est paru en juillet 2011, destiné aux professeurs qui souhaitent se former avant de dispenser l’enseignement de spécialité « Informatique et sciences du numérique », créé en Terminale S à la rentrée 2012[1]. Il s’adresse aussi potentiellement à d’autres publics souhaitant s’approprier les bases de la science informatique[2].

Edité par le CRDP de Paris[3], ce manuel a été écrit par 17 auteurs[4] et coordonné par Gilles Dowek, directeur de recherche à l’INRIA. La préface est de Gérard Berry, professeur au Collège de France et membre de l’Académie des Sciences. Ce livre est sous licence Creative Commons : paternité, pas d’utilisation commerciale, pas de modification.

Il est composé de 7 chapitres : Représentation numérique de l’information ; Langages et programmation ; Algorithmique ; Architecture ; Réseaux ; Structuration et contrôle de l’information ; Bases de données relationnelles et Web. Les chapitres comportent une partie de cours présentant les concepts, d’exercices corrigés et non corrigés, d’une rubrique consacrée aux questions d’enseignement, et de compléments permettant d’aller plus loin, en particulier d’aborder quelques questions de société en liens avec la révolution informatique.

Le programme des élèves de Terminale S

Ce contenu reprend, sous une forme plus approfondie, les éléments du programme de la spécialité « Informatique et Sciences du numérique » proposée à la rentrée 2012 aux élèves de Terminale S et qui est construit autour des quatre notions fondamentales d’information, d’algorithme, de langage et de machine), notionss qui structurent les grands domaines de la science informatique.

  • Représentation de l’information
    • Représentation binaire, opérations booléennes, numérisation, compression, structuration et organisation de l’information.
    • Ancrées dans les notions étudiées, des questions sociétales seront abordées : persistance de l’information, non-rivalité de l’information, introduction aux notions de propriété intellectuelle, licences logicielles.
  • Algorithmique
    • Des algorithmes simples (rechercher un élément dans un tableau trié par une méthode dichotomique) et plus avancés (recherche d’un chemin dans un graphe par un parcours en profondeur) seront présentés.
  • Langages de programmation
    • Types de données, fonctions, correction d’un programme, langages de description (présentation du langage HTML).
  • Architectures matérielles
    • Architectures des ordinateurs : éléments d’architectures, présentation des composants de base (unité centrale, mémoires, périphériques.), jeu d’instructions.
    • Réseaux : transmission série – point à point – (présentation des principes, introduction de la notion de protocole), adressage sur un réseau, routage.
    • La question de la supranationalité des réseaux sera abordée.
    • Initiation à la robotique

Quid du libre ?

La liberté des usagers de l’informatique, le contrôle des outils qu’ils utilisent supposent qu’ils comprennent et maîtrisent les concepts qui les sous-tendent. Un système d’exploitation, un traitement de texte ou un tableur sont des outils conceptuels compliqués et complexes de par les objets qu’ils traitent et la multitude de leurs fonctionnalités. Le libre, c’est-à-dire le code source que l’on connaît et non pas une approche en termes de « boîte noire » miraculeuse qui fait tout pour vous (curieuse d’ailleurs cette représentation mentale qu’ont certains de la prothèse du cerveau qu’est l’ordinateur, que l’on pourrait utiliser sans la connaître ni la comprendre), s’inscrit pleinement dans la vision qui considère que l’homme, le travailleur et le citoyen doivent avoir une culture générale informatique scientifique et technique.

C’est donc très naturellement que l’APRIL s’est félicité de la création de l’enseignement « Informatique et Sciences du numérique ». Le 5 janvier 2010, dans un communiqué de presse, rappelant qu‘« elle a toujours été favorable à ce que l’informatique soit une composante à part entière de la culture générale scolaire de tous les élèves sous la forme notamment d’un enseignement d’une discipline scientifique et technique », elle soulignait « cette première et importante avancée signe d’une certaine rupture ». Elle mentionnait que « l’expérience de ces dernières années a clairement montré que le B2i ne fonctionnait pas. Son échec prévisible tient notamment à des problèmes insolubles d’organisation, de coordination et de cohérence des contributions supposées et spontanées des disciplines enseignées. De plus ne sont pas explicitées les connaissances scientifiques et techniques correspondant aux compétences visées ».

D’une manière analogue, dans un communiqué le 23 mars 2010, l’AFUL faisait des propositions pour l’Ecole à l’ère numérique parmi lesquelles : « L’informatique devient une discipline à part entière, dont l’enseignement obligatoire dès le primaire est réalisé par des professeurs ayant le diplôme requis dans cette spécialité ou ayant bénéficié d’une formation qualifiante. La gestion des compétences, l’accompagnement des enseignants et la formation initiale et continue font l’objet du plus grand soin. ».

Gilles Dowek et Jean-Pierre Archambault

Remarque : En réponse aux commentaires ci-dessous, les auteurs ont choisi publié un nouvel article qui précise et complète un certains nombres de points évoqués ici.

Notes

[1] On peut le commander en suivant ce lien. On le trouvera également dans les librairies du CNDP, des CRDP et des CDDP.

[2] Parmi ces publics, il y a les étudiants ainsi que les professeurs de la spécialité SIN « Système d’Information et Numérique » du Bac STI2D qui se met en place en classe de Première à la rentrée 2011, les professeurs de technologie au collège, ceux qui expérimentent des enseignements d’informatique dans certains lycées en seconde et/ou en première, ou qui gèrent les parcs informatiques des établissements scolaires.

[3] Avec le soutien de l’EPI et de l’ASTI.

[4] Jean-Pierre Archambault (Chargé de mission au CNDP-CRDP Paris), Emmanuel Baccelli (Chargé de Recherche à l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), Sylvie Boldo (Chargée de Recherche à l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), Denis Bouhineau (Maître de Conférences à l’Université Joseph Fourier, Grenoble), Patrick Cégielski (Professeur à l’Université Paris-Est Créteil), Thomas Clausen (Maître de Conférences à l’École polytechnique), Gilles Dowek (Directeur de Recherche à l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), Irène Guessarian (Professeur émérite à l’Université Pierre et Marie Curie, chercheur au Laboratoire d’Informatique Algorithmique : Fondements et Applications), Stéphane Lopès (Maître de Conférences à l’Université de Versailles St-Quentin), Laurent Mounier (Maître de Conférences à l’Université Joseph Fourier, Grenoble), Benjamin Nguyen (Maître de Conférences à l’Université de Versailles St-Quentin), Franck Quessette (Maître de Conférences à l’Université de Versailles St-Quentin), Anne Rasse (Maître de Conférences à l’Université Joseph Fourier, Grenoble), Brigitte Rozoy (Professeur à l’Université de Paris-Sud), Claude Timsit (Professeur à l’Université de Versailles St-Quentin), Thierry Viéville (Directeur de Recherche à l’Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique),




Les enfants Montessori et le logiciel libre partagent de nombreux points commmuns

Brian Glanz - CC by-saNée dans un quartier pauvre de Rome il y a plus d’un siècle, l’originale pédagogie Montessori n’a jamais cessé d’essaimer et connaît même un fort regain d’intérêt à l’aube de ce nouveau millénaire qui nous demande une solide capacité d’adaptation aux changements.

Les fondateurs de Google ont été dans une école Montessori. Et le créateur du cèlèbre jeu SimCity en parle en ces termes : « Montessori m’a enseigné la joie de la découverte. Cela m’a montré que l’on pouvait s’intéresser à des théories complexes, comme celles de Pythagore par exemple, en jouant avec des cubes. Il s’agit d’apprendre pour soi-même plutôt que de recevoir l’enseignement du professeur. SimCity est directement issu de Montessori – si vous donnez aux gens ce modèle de construction des villes ils en tireront les principes de l’urbanisme ».

Michael Tiemann, figure du logiciel libre travaillant chez Red Hat mais aussi jeune papa, tente ici de rapprocher les deux domaines parce qu’il y voit de nombreux points communs. L’une de ses hypothèses est qu’un enfant qui aura suivi une méthode Montessori sera plus à même de comprendre, s’intéresser et s’impliquer dans le logiciel libre[1].

Par extension et extrapolation, sera-t-il plus à même de comprendre, s’intéresser et s’impliquer dans le monde d’aujourd’hui mais surtout de demain ?

Remarque personnelle : Je constate que de plus en plus de parents « bobos de gauche urbains » placent leurs enfants dans des écoles privées Montessori, pour l’épanouissement général de l’enfant mais aussi pour échapper à la carte scolaire et l’école publique du quartier.

Montessori et la voie de l’Open Source

Michael Tiemann – 12 août 2011 – OpenSource.com
(Traduction Framalang : ZeHiro et Mammig2)

Montessori and the open source way

J’ai lu avec grand plaisir l’article de Steve Denning « Montessori est-il à l’origine de Google et Amazon ? ». Son argumentaire est solide, il s’appuie sur de nombreux faits scientifiques, et il expose les résultats remarquables que l’on peut obtenir quand nous pouvons Faire confiance à l’enfant. Il écrit si bien et de façon si claire qu’il est inutile que je répète ses propos, vous pouvez (et devriez !) lire directement son article. Mais nous pouvons le compléter, en particulier en comprenant comment les principes et la philosophie de l’open source sont si proches de la méthode éducative de Montessori.

C’est en tant que parent, et assez tardivement, que j’ai découvert l’éducation Montessori. Au début, je ne connaissais strictement rien aux travaux de Montessori, mais l’école de ma fille prenait très au sérieux ses écrits et j’ai ainsi commencé à voir les liens profonds et étroits entre des activités scolaires en apparence simples. Après avoir lu La science derrière le génie, le schéma complet m’est apparu plus clairement, et depuis je suis devenu un fervent partisan de la méthode Montessori.

La thèse Faire confiance à l’enfant, développée par Montessori, repose sur l’idée d’accompagner le développement de l’individu. Montessori a montré que lorsque des enfants sont privés de la possibilité de faire leurs propres choix, alors leur personnalité ne se développe pas complètement, et ils peuvent dépendre beaucoup trop des autres pour prendre des décisions les concernant. Par analogie, l’open source permet à tous les participants, qu’ils soient utilisateurs, développeurs, distributeurs ou mainteneurs de devenir de vrais contributeurs. Cette opportunité encourage non seulement à améliorer le logiciel (dont la qualité peut être perçue comme 100 fois supérieure à celle des logiciels propriétaires), et le plus important est qu’il encourage également les individus à s’améliorer. C’est ce que j’ai pu constater en étant dans l’open source depuis plus de vingt ans et en tant que parent Montessori depuis dix ans.

“Faire confiance à l’enfant” ne se limite pas à observer ce que fera un enfant dans le cadre d’un programme éducatif imposé. Dans l’éducation Montessori, tout l’environnement est disponible pour étudier, et les enfants sont encouragés à passer du temps à l’extérieur, pour observer, inventorier, s’interroger, et chercher les connaissances nécessaires pour répondre à leurs questions. La démarche scientifique est modulaire et évolutive, c’est à dire que des résultats sont obtenus à partir de résultats qui proviennent eux-mêmes d’autres résultats.

Ces résutats scientifiques doivent être reproductibles ou bien ils ne sont pas scientifiquement acceptables. De façon similaire, la modularité naturelle des logiciels open source fait qu’ils deviennent eux-même une forme de science de la programmation. Les modules peuvent être aussi librement utilisés que les résultats scientifiques peuvent être librement reproduits. Et tout comme un grand scientifique essayera de rendre ses résultats aussi simples et accessibles que possible, il existe une forme de reconnaissance similaire pour ceux qui écrivent des logiciels qui sont le plus possible généralistes, portables, et techniquement transparents.

Une valeur primodiale de la méthode Montessori est que l’apprentissage devrait être l’affaire de toute une vie. Denning paraphrase ceci en disant que l’éducation n’est pas une destination mais un voyage. Denning observe également que ceux qui voient dans l’obtention de leurs diplômes universitaires le boût du chemin, se retrouvent dans une impasse en cas de changement. Pour ceux qui envisagent l’apprentissage comme un exercice de longue haleine, alors le changement est simplement une nouvelle opportunité d’apprendre. De la même façon, les logiciels open source ont tendance à avoir un avenir ouvert et en perpétuel développement. De nombreux logiciels et frameworks propriétaires s’élèvent puis chutent car ils sont conçus avec une idée d’achèvement. Au contraire, les logiciels open source sont constament re-écrits, re-inventés et leurs objectifs modifiés. En regardant l’évolution de Linux au court des vingt dernières années je me suis dit : a-t-il déjà existé un système d’exploitation qui ait autant évolué, aussi rapidement et soit allé aussi loin ? Voilà tout le génie d’une vision de l’apprentissage à long terme.

Un dernier point : Les enfants Montessori sont-ils enthousiastes à l’idée de mettre les mains dans le code source ? La réponse evidente vous fournira, s’il en était besoin, une ultime preuve des atomes crochus entre Montessori et l’open source.

Notes

[1] Crédit photo : Brian Glanz (Creative Commons By-Sa)