Promenons-nous dans New York en photographiant pour Wikipédia

La « culture libre » non seulement c’est bien en théorie mais c’est également tout à fait sympathique et convivial en pratique. Et ça fait descendre dans la rue le sourire aux lèvres pour se rencontrer, échanger et participer ensemble à la construction de biens communs.

Le 4 octobre dernier avait lieu la « chasse au trésor » Wikis Take Manhattan! Et le trésor en question consistait à rapporter de la ballade new-yorkaise des photographies, bien entendu sous licence libre (Creative Commons By-Sa), pour alimenter Wikipédia (et StreetsWiki).

Je ne sais pas pourquoi je pense à cela mais nous sommes tout d’un coup très loin du vieux dispositif qui consiste à suivre docilement un guide assermenté et rémunéré pour un parcours imposé dans un lieu touristique balisé en prenant tous, quand on y est autorisé, les mêmes photos qui ne serviront qu’à soi.

Et comme il est dit en conclusion du reportage de l’évènement, sous-titré par Framalang : « On adore l’Internet, la culture libre, et les logiciels libres… Tout se recoupe au bout du compte ».

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Quand les passants de Sydney adorent le nouveau Windows

Lu sur LinuxFr et, tout juste, sous-titré par Framalang :

« ZDNet Australie a réalisé une vidéo dans les rues de Sydney en faisant semblant de montrer une vidéo de démonstration du prochain Windows 7, alors qu’il s’agit en réalité de… KDE 4 !

En effet, il a été de très nombreuses fois constatées que le bureau de la version bêta (Build 7000) du prochain Windows présente une ressemblance troublante à cet autre environnement très présent dans le monde de Linux qu’est KDE. Mais au-delà de l’apparence du bureau, on se rend compte que toutes ces fonctionnalités de KDE plaisent énormément aux personnes passées dans la vidéo, et ne se doutent pas (apparemment) qu’il ne s’agit pas de Windows. La plupart en revanche, critiquent Vista pour diverses raisons.

Alors, KDE4 est-il Windows 7, ou Windows est-il KDE 4, ou simplement un peu des deux finalement ou ils n’ont rien à voir ? À vous de juger… »

—> La vidéo au format webm




Conte cruel de la jeunesse ou le copyright expliqué par une fille

Winter Wonderland est un peu aux USA l’équivalent de notre Petit Papa Noël de Tino Rossi, un standard de la chanson populaire qui s’en revient à chaque fois que tombent les premières neiges, et ce depuis 1934, date de sa création par Felix Bernard et Richard B. Smith.

Comme des milliers d’autres teenagers de sa génération, qui aiment la musique, en jouent et s’amusent à échanger leurs expériences sur YouTube, Juliet Waybret, 15 ans, avait téléchargé une vidéo où elle proposait sa propre interprétation de Winter Wonderland au piano.

Vous ne verrez pas cette vidéo.

Elle a en effet été supprimée par YouTube suite à une plainte des ayant-droits, en l’occurrence Warner Bros.

La distance qui nous sépare de la genèse de l’oeuvre (plus de soixante-dix ans !) associée à la notion toute américaine du Fair Use, auraient pu laisser croire que cette innocente et inoffensive reprise demeurât en ligne. Mais non, c’était sans compter sur l’implacable logique juridique et financière des Majors.

Du coup c’est une Juliet Waybret plus que désappointée qui nous relate rapidement sa mésaventure dans une autre vidéo YouTube[1] sous-titrée ci-dessous par nos soins.

Quelles leçons, elle et ses visiteurs, vont-ils en tirer ? Que peuvent-ils bien penser de ces adultes incapables de faire la distinction entre un remix créatif et une atteinte aux droits d’auteur ? L’incompréhension est grande et la rupture n’est pas loin[2].

Une anecdote à valeur de symbole que nous ferions bien de méditer au moment même où la loi « Création et Internet » est en passe d’être adoptée en France…

—> La vidéo au format webm

Notes

[1] Voici le lien vers la vidéo pointée par Juliet Waybret dans sa propre vidéo.

[2] Sur cette « affaire », on pourra également lire Contenus effacés sur YouTube, l’EFF prépare une riposte juridique sur ReadWriteWeb France.




Faute de pirates, le livre électronique restera-t-il à quai ?

Curiouslee - CC byL’iPod d’Apple est un indéniable et spectaculaire succès. Dans quelle mesure le « piratage » de la musique y aura-t-il contribué ?

La question reste ouverte, mais ce qui est sûr c’est que lorsqu’il m’arrive, en professeur curieux, de demander naïvement à mes élèves si ils ont bien acheté tous les morceaux musique qui se trouvent dans leur iPod personnel, ils me regardent généralement d’un air incrédule qui me donne instantanément un petit coup de vieux !

Un tel succès se répétera-t-il demain avec le Kindle d’Amazon qui se rêve déjà en « iPod du livre » ?

Peu probable en l’état, nous dit Bobbie Johnson dans un article du Guardian traduit ci-dessous, pour la simple et bonne raison qu’il n’y a justement pas pour le moment de… « piratage » massif de livres électroniques propre à bousculer et faire évoluer le monde de l’édition[1].

Pourquoi les livres électroniques ne s’imposent-ils pas ? On ne les pirate pas assez.

Why aren’t ebooks taking off? Not enough pirates

Bobbie Johnson – 9 février 2009 – Guardian.co.uk (Blog Technology)
(Traduction Framalang : Don Rico)

Le Kindle d’Amazon veut faire exploser le marché du livre électronique, mais le plus gros frein à son succès pourrait être le manque de téléchargements illégaux.

On compare souvent l’industrie de la musique et l’édition. Le Kindle d’Amazon, nous dit-on, pourrait être le « iPod du livre ». Tout le monde meurt d’envie de connaître le succès fulgurant qu’à rencontré iTunes, et chacun redoute les dégâts que les supports numériques pourraient infliger à une industrie des médias à la traîne et retranchée sur ses positions.

Chacun observe le mécanisme qu’on a vu se produire pour la musique et la vidéo – un médium ancien, transformé en profondeur par la technologie –, et attend qu’il s’applique au livre. Mais les chances que ce phénomène se produise dans un futur proche sont extrêmement minces. Pourquoi ? C’est très simple.

Si les acteurs de l’industrie du disque ont eu l’idée de proposer de la musique au téléchargement, ce n’est pas parce qu’ils ont eu un coup de génie visionnaire, ni même parce qu’Apple leur a forcé la main en mettant en place un écosystème astucieux autour de l’iPod (l’iTunes Store n’a été ouvert qu’en 2003). Non, la véritable raison, c’est que les clients avaient choisi de pirater la musique.

Pour l’exprimer de façon moins triviale, la technologie ne force pas l’industrie du livre à affronter un changement radical dans les pratiques de consommation, car ce scénario ne se produit pas. Les clients n’imposent pas cette mutation en abandonnant les livres papiers au profit des livres électroniques. Voilà pourquoi l’édition n’est pas confrontée à ce problème.

Des problèmes, il y en a, bien sûr. L’industrie du livre connaît des difficultés. On n’achète plus de livres. Les ventes sont en berne. Sites Internet, grandes surfaces et librairies géantes étouffent les petites structures et étranglent le marché.

Mais contrairement à ce qu’a connu l’industrie du disque – dont les clients perdus se sont rués sur Napster, Kazaa ou Gnutella –, le lecteur moyen, pour se procurer ses romans, ne se reporte pas sur des sources légalement douteuses ou ne va pas se procurer une copie du dernier bestseller à la mode auprès du dealer de livres du coin de la rue. S’il veut partager des fichiers, il trouve quelqu’un pour lui prêter un exemplaire, ou se rend dans un lieu où le partage de l’information bénéficie du soutien officiel de l’industrie (on appelle ça des bibliothèques).

Mais au fond, le véritable problème, c’est simplement que les clients n’achètent plus autant de livres… voire plus de livres du tout.

Auteurs et éditeurs se servent de la technologie quand elle leur bénéficie directement – comme outil promotionnel ou canal de vente —, mais s’ils n’agissent pas dès à présent pour propulser le marché du livre électronique, il semble peu probable qu’ils se réveillent un matin en s’étonnant qu’un pirate leur a piqué leur petit-déjeuner.

Le piratage est un gros problème pour les industries qui produisent du contenu numérique, mais pour l’instant on achète un livre, pas un document texte caché entre deux feuilles de papier – n’en déplaise à de nombreux fanas du livre électronique. Les chaînes de distribution de l’industrie du livre ont été frappées de plein fouet par l’avènement de la technologie, mais le produit physique, lui, résiste plutôt bien.

En fait, du point de vue des éditeurs, publier un livre électronique c’est encourager le piratage, parce que cela revient à mettre un texte copyrighté sous un format numérique qui, même bardé de DRM, sera cracké un jour ou l’autre, simplement parce que c’est possible.

L’industrie du disque, quant à elle, a initié ce changement en remplaçant les enregistrements analogiques par des fichiers numériques. Le téléchargement remplace peut-être le CD, mais cette modification des pratiques a eu lieu seulement parce que la première technologie a rendu la seconde possible. Car sans CD à encoder, il serait bien plus difficile d’accéder à de la musique numérisée.

Mon propos n’est pas de dire que le seul moyen pour l’industrie du livre électronique de connaître le succès est de promouvoir le piratage. Mais sans celui-ci, pas besoin de se mettre au boulot. Aucun lien de cause à effet évident ne forcera les éditeurs à bouger de leur fauteuil en cuir et réagir.

Le véritable changement se produira sans doute à mesure que davantage d’auteurs appartenant déjà à l’ère numérique insisteront pour que l’industrie du livre innove. Mais il s’agit d’une transition de génération, et nous en sommes encore très loin.

Non pas que je ne croie pas au succès potentiel du livre électronique ; je pense simplement que sans catalyseur externe pour bousculer l’industrie, les progrès dans ce domaine seront très, très lents.

Notes

[1] Crédit Photo : Curiouslee (Creative Commons By)




Le logiciel libre, la dictature de l’entreprise et la démocratie des pays

Joshua Davis - CC by-saNous avons déjà évoqué la place à part et le rôle majeur joués par les leaders de projets de logiciels libres dans un billet dédié. Mais de là à caractériser « l’Open Source » comme une « dictature » issue de la culture de l’entreprise par opposition aux « médias sociaux » qui seraient eux plutôt du côté de la « démocratie » chère aux nations dignes de ce nom, il y a un pas que Chris Anderson ose franchir sur son blog dans une courte réflexion que nous vous proposons traduite ci-dessous.

Il convient bien entendu de s’entendre sur les termes employés (d’où l’existence de nombreux guillemets dans le paragraphe précédent), ainsi Wikipédia serait ici bien plus un média social qu’un projet Open Source. Il convient également de ne pas oublier le principe de méritocratie qui n’est ni une dictature ni une démocratie. Il n’empêche qu’il n’est pas loin de détruire un mythe qui a la vie dure au sein de la communauté lorsqu’il affirme que « de nombreuses personnes pensent à tort que les projets Open Source sont émergents, auto-organisés et démocratiques » alors que « la vérité est tout à fait l’inverse »[1].

L’Open source est une entreprise, les médias sociaux un pays

Chris Anderson – 12 mars 2009 – The Long Tail (Wired)
(Traduction Framalang : Simon)

Open source is a company; social media is a country

Au petit déjeuner Sourceforge ce matin, nous avons abordé quelques questions portant sur les différences entre l’organisation de l’Open source et celle des médias sociaux. Voici ma réponse :

L’un des paradoxes observés dans la gestion du début du 20e siècle c’est que les compagnies sont mieux gérées sous un régime dictatorial, alors que les pays le sont eux, avec une démocratie. Pourquoi donc ? Charles Barnard, théoricien de la gestion, suggéra dans sa théorie des entreprises que les organisations se créaient pour poursuivre un objectif commun et partagé. Alors que les pays eux, existaient seulement pour servir leur peuple.

Un objectif commun nécessite une vision unique, un commandement et une hiérarchie verticale descendante. De l’autre côté, le service du peuple tire plus de profits d’une hiérarchie ascendante, de la reconnaissance des besoins de chacun, et des décisions prises collectivement (vote).

De nombreuses personnes pensent à tort que les projets Open Source sont émergents, auto-organisés et démocratiques. La vérité est tout à fait l’inverse : la plupart sont gérés par un dictateur bienveillant, ou deux. Ce qui fait le succès d’un projet Open Source, c’est sa direction, tout simplement. Une ou deux personnes articulent une vision, commencent à construire dans sa direction, et embarquent les autres au passage, leur donnant des tâches et des droits précis. Les meilleurs projets sont ceux qui ont les meilleurs meneurs.

Les média sociaux, d’un autre côté, ne se créent pas pour atteindre un objectif commun. Ils existent pour servir les individualités. Nous ne gazouillons pas (NdT : to tweet), pour fabriquer Twitter, nous gazouillons pour nous-mêmes. Nous bloguons parce que nous le pouvons, pas parce nous nous sommes inscrits dans un projet de blogs.

Vus sous cet angle, les projets Open Source sont comme des compagnies et les média sociaux ressemblent à des pays. Les dictatures bienveillantes dirigent les premiers ; des démocraties les seconds.

Notes

[1] Crédit photo : Joshua Davis (Creative Commons By-Sa)




Traduction du plan d’action britannique en faveur de l’Open Source

Paolo Camera - CC byChose promise chose due. Voici la traduction (of course non officielle) du plan d’action gouvernemental britannique du 24 février dernier dont l’objectif clairement affiché est de « passer à la vitesse supérieure » pour ce qui concerne l’usage public du logiciel Open Source.

Nous l’avions évoqué dans deux récents articles qui constituent deux regards intéressants sur l’annonce de ce plan : celui de la BBC et celui du site d’enseignants OpenSourceSchools.

Vous y trouverez bon nombre d’arguments que les défenseurs du logiciel libre portent depuis des années. Reste à voir bien sûr si ces belles déclarations d’intention seront pragmatiquement suivies d’effets. Mais quoiqu’il arrive les Anglais[1] disposent désormais d’un document de poids sur lequel s’appuyer.

Avec ce travail, nous souhaitons informer le public francophone des avancées internationales du logiciel libre mais nous souhaitons également en profiter pour interroger ce qu’il se passe également chez nous. Y a-t-il une volonté similaire en France ? Si oui, les initiatives ont-elles la même envergure et la même ambition ?

Dans la mesure où le doute subsiste, que diriez-vous si nous tentions d’apporter cette traduction sur le bureau de notre nouvelle secrétaire d’État au développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, pour lui poser directement la question ?

PS : Vous trouverez en fin d’article, pour impression ou… ré-utilisation, une version PDF (et OpenOffice.org) de la traduction.

Open Source, standards ouverts et ré-utilisation : le plan d’action du gouvernement

Open Source, Open Standards and Re-Use: Government Action Plan

Gouvernement du Royaume-Uni – 24 février 2009 – CIO.gov.UK
(Traduction Framalang : Poupoul2, Googy, Olivier et Don Rico)

Avant-propos

L’Open Source est l’un des développements majeurs de la culture informatique de ces vingt dernières années : il a démontré que des particuliers, en travaillant ensemble par le biais d’Internet, peuvent créer des produits qui rivalisent avec ceux de gigantesques entreprises, voire les dépassent ; il a également démontré que ces mêmes entreprises, mais aussi les gouvernements, peuvent devenir plus innovants, plus souples et plus efficaces dans leur gestion des coûts en tirant les fruits du travail communautaire. Grâce à cette base informatique, le mouvement Open Source a apporté ses lettres de noblesse à une nouvelle vision des droits de la propriété intellectuelle, du partage et de la disponibilité de l’information pour tout un chacun.

Depuis longtemps, ce gouvernement a pour principe, formellement exprimé pour la dernière fois en 2004, de chercher à utiliser des solutions Open Source là où elles offrent le choix le plus judicieux pour les dépenses du service public financées par le contribuable. Même si nous respectons depuis toujours l’opinion de ceux pour qui les gouvernements devraient favoriser l’Open Source par principe, notre position a toujours été que le critère principal devait être le meilleur rapport qualité-prix pour le contribuable.

Au cours des cinq dernières années, de nombreux services gouvernementaux ont démontré que l’Open Source peut s’avérer le meilleur choix pour le contribuable, dans nos services accessibles sur le Web, dans le National Health Service (NDT : Service de santé publique du Royaume-Uni) et dans d’autres services publics essentiels.

Mais il faut à présent passer à la vitesse supérieure.

  • (1) Nous voulons nous assurer que les services publics bénéficient toujours des meilleures solutions possibles au meilleur rapport qualité-prix, et être surs de payer au plus juste ce que nous achetons.
  • (2) Nous voulons partager et ré-utiliser ce que le contribuable a déjà financé au sein du secteur public, non seulement pour éviter de payer deux fois, mais aussi afin de réduire les risques et trouver des solutions communes aux besoins du gouvernement.
  • (3) Nous voulons encourager l’innovation au sein du Gouvernement, en incitant à penser Open Source, mais aussi en dehors du Gouvernement, en favorisant le développement d’un marché en pleine effervescence.
  • (4) Nous voulons offrir à l’industrie informatique, et plus largement à l’économie, les bénéfices de l’information que nous produisons et des logiciels que le Gouvernement développe.

Ainsi, nous estimons le moment venu de mettre à profit notre réputation d’impartialité et nos réussites, et d’engager de nouvelles actions concrètes pour que le recours aux logiciels libres soit envisagé avec sérieux et impartialité par les services informatiques gouvernementaux. Nous devons aussi rendre publiques nos exigences et publier nos statistiques concernant les formats ouverts, et chercher à atteindre le niveau de souplesse inhérent à l’Open Source dans nos relations avec les fournisseurs de logiciels propriétaires.

Cette stratégie Open Source répond à ces points essentiels. Elle détaille les étapes que nous devons franchir, au Gouvernement et avec nos fournisseurs informatiques, afin de tirer profit des atouts de l’Open Source.

Tom Watson, député au Parlement britannique
Ministre de l’Engagement numérique
(NdT : Équivalent du secrétaire d’état à l’économie numérique français).

Plan d’action gouvernemental

1. Le Gouvernement a revu pour la dernière fois sa politique liée à l’Open Source en 2004[2]. Cette politique indiquait clairement que le Gouvernement examinerait les solutions Open Source au même titre que les solutions propriétaires dans les passations de marchés informatiques et que les contrats seraient jugés sur des critères financiers.

2. Depuis 2004, le Gouvernement utilise davantage de logiciels Open Source, particulièrement en ce qui concerne les systèmes d’exploitation et les composants middleware des solutions métier. Par exemple :

  • 50% des principaux sites Web des services gouvernementaux ont adopté le serveur web Apache.
  • La colonne vertébrale du NHS utilise un système d’exploitation libre, et lorsque le remplacement de Netware par Open Enterprise Server sera achevé, 35 % des services du NHS, représentant 300 000 utilisateurs, seront pris en charge par une infrastructure Linux.
  • Des composants libres sont utilisés dans des systèmes cruciaux pour des missions décisives telles que Directgov (NdT : Site d’accès aux services publics britanniques) ou Electronic Vehicle Licensing (NdT : Service public de réduction fiscale lié à l’utilisation d’un véhicule électrique).

3. Cependant, depuis 2004 l’industrie du logiciel et le marché de l’informatique se sont aussi développés pour rendre les produits Open Source plus compétitifs et plus faciles à intégrer à l’univers professionnel des entreprises. Par exemple :

  • des modèles économiques solides et pérennes ont émergé. Ils permettent l’implémentation et le support des solutions Open Source.
  • un nombre croissant d’acteurs majeurs de l’industrie informatique se sont engagés activement dans l’Open Source et soutiennent l’utilisation de standards ouverts.
  • de grandes entreprises et des ministères font un usage quotidien d’éléments Open Source sur des systèmes sensibles ; par conséquent, les chefs d’entreprise appréhendent mieux les différents modèles commerciaux, ainsi que les modèles de gestion des coûts, des licence et des risques.

4. La manière d’aborder l’informatique gouvernementale a évolué et par conséquent il en est de même pour la manière d’aborder l’Open Source :

  • La création de la profession d’informaticien pour le gouvernement et l’ouverture du recrutement aux professionnels de la technologie ont permis d’améliorer les capacités et les connaissances pour aller vers une concurrence plus ouverte entre fournisseurs de solutions technologiques.
  • La création du Conseil des DSI a conduit à davantage d’ouverture et d’échanges d’informations sur les bonnes solutions logicielles et les expériences positives au sein du gouvernement. Il existe une forte volonté et des structures de service rodées pour réutiliser de façon optimale les produits informatiques déjà existants du gouvernement. L’Open Source et les standards ouverts peuvent apporter une importante contribution à ce processus.
  • La mise en place de la structure interministérielle gouvernementale et son adoption par les principaux fournisseurs informatiques du gouvernement ont permis de morceler les solutions professionnelles « fermées » en composants répondant à des besoins précis. Ceci permet le partage et la réutilisation des briques logicielles entre les différents domaines de l’action publique.
  • Les politiques de licences des fournisseurs de logiciels, en particulier quand le gouvernement n’est pas considéré comme une entité unique, et le manque de transparence des tarifs dans la filière de production sont autant d’obstacles à une réduction des coûts plus efficace et à une meilleure mutualisation des services entre les ministères.
  • Beaucoup de ministères ont d’ores et déjà conçu des « écosystèmes » permettant d’utiliser une gamme élargie de fournisseurs de solutions informatiques grâce à un partenariat général pour les prestations de service.
  • Les technologies et la culture de l’Open Source ont été adoptées dans d’autres domaines de l’action gouvernementale, par exemple pour la consultation publique du Livre blanc des sciences publié par le secrétariat d’état à la Recherche et à l’université (Department for Innovation, Universities and Skills, DIUS) et des conclusions du groupe de travail « Pouvoir de l’information » du Cabinet Office (NdT : Cabinet du premier ministre et secrétariat du Royaume-Unis).
La marche à suivre

5. Le gouvernement considère qu’afin d’atteindre ses objectifs clés, une série de mesures concrètes est nécessaire pour s’assurer qu’il existe une véritable « égalité des chances » entre le logiciel Open Source et le logiciel propriétaire, et pour que soit reconnu le rôle que peuvent jouer les logiciels Open Source concernant des objectifs plus vastes, tels que la réutilisation et les standards ouverts. Ce programme doit comporter à la fois une déclaration plus précise des stratégies menées et des actions concrètes entreprises par le gouvernement et ses fournisseurs. Les objectifs clés seront les suivants :

  • (1) s’assurer que le gouvernement adopte des standards ouverts et les utilise pour communiquer avec les citoyens et les entreprises qui auront adopté des solutions Open Source.
  • (2) s’assurer que les solutions Open Source seront prises en considération avec équité et choisies pour répondre aux appels d’offre gouvernementaux lorsqu’elles présentent le meilleur rapport qualité/prix (en tenant compte d’autres avantages tels que la réutilisation possible et la flexibilité).
  • (3) renforcer les compétences, l’expérience et les capacités au sein du gouvernement et de ses fournisseurs pour utiliser l’Open Source de façon optimale
  • (4) instaurer une culture Open Source du partage, de la réutilisation et du développement collaboratif entre le gouvernement et ses fournisseurs, en s’appuyant sur les processus et stratégies de réutilisation déjà validés par le Conseil des DSI et ainsi stimuler l’innovation, réduire les coûts et les risques, et enfin accroître la réactivité du marché.
  • (5) s’assurer qu’il n’existe pas d’obstacle procédurier à l’adoption des produits Open Source par le gouvernement, en accordant une attention particulière aux filières de productions et modèles économiques impliqués.
  • (6) s’assurer que les intégrateurs de systèmes et les fournisseurs de logiciels propriétaires pourront s’aligner sur le monde de l’Open Source pour ce qui est de la flexibilité et de la réutilisation de leurs produits et de leurs solutions.
Politique

6. La politique du gouvernement est la suivante :

Logiciels Open Source

  • (1) Le gouvernement examinera de façon équitable et approfondie solutions Open Source et solutions propriétaires dans les décisions d’attribution de marchés.
  • (2) Les attributions de marchés seront décidées en fonction du meilleur rapport qualité/prix pour l’objectif recherché, en prenant en compte le coût total de la solution logicielle sur toute sa durée de vie, y compris les coûts de résiliation et de transfert, après s’être assuré que les solutions satisfont aux conditions minimales exigées en termes de capacité, sécurité, extensibilité, possibilité de transfert, support et facilité de maintenance.
  • (3) Le gouvernement attendra des prestataires de TIC qu’ils proposent si nécessaire des produits alliant Open Source et logiciels propriétaires afin de disposer de l’offre la plus complète possible.
  • (4) Lorsque la différence tarifaire entre produits Open Source et propriétaires sera négligeable, les produits Open Source seront choisis au regard de leur plus grande souplesse d’utilisation.

Logiciels non Open Source

  • (5) Le gouvernement évitera, chaque fois que possible, les engagements contraignants qui le lierait à des logiciels propriétaires. Les coûts de résiliation, de renégociation et de redéploiement seront pris en compte dans les attributions de marchés, et il sera demandé aux prestataires de logiciels propriétaires de détailler les modalités de résiliation.
  • (6) Lorsque l’acquisition de produits non Open Source sera nécessaire, le gouvernement demandera que leurs licences soient valables pour l’ensemble du secteur public et que les licences déjà acquises puissent être transférées à tout le secteur public sans surcoût ni restriction. Le gouvernement négociera si nécessaire avec les fournisseurs des accords généraux interministériels afin d’être considéré comme une entité unique pour bénéficier du transfert de licences et des rabais inhérents aux commandes en volume.

Standards ouverts

  • (7) Le gouvernement utilisera les standards ouverts pour passer ses appels d’offres et exigera des solutions compatibles avec les standards ouverts. Le gouvernement soutiendra le développement des standards ouverts et des normes.

Ré-utilisation

  • (8) Le gouvernement veillera à bénéficier des pleins droits sur le code des logiciels modifiés ou adaptés à partir des produits commerciaux d’origine, de manière à s’assurer de leur possible réutilisation directe partout ailleurs dans le secteur public. Le cas échéant, les logiciels d’intérêt général développés pour le compte du gouvernement seront publiés suivant les principes de l’Open Source.
  • (9) Si le secteur public est déjà propriétaire d’un système, d’un outil ou d’une plateforme, le gouvernement exigera que ce produit soit réutilisé et que les contrats commerciaux en tiennent compte. Pour des acquisitions nouvelles, les prestataires devront garantir qu’ils n’ont pas déjà développé ou produit une solution similaire, pour tout ou partie, vendue par le passé au secteur public, ou si tel était le cas, dans quelle mesure ce précédent se traduira par une réduction des coûts, des risques et des délais.
  • (10) Lorsque les fournisseurs proposent un logiciel tiers, la transparence des coûts est de rigueur. En cas d’accord interministériel, il devrait être possible de procéder à la passation de marché au cas où cela conférerait une valeur ajoutée au secteur public dans son ensemble. Seuls les frais du fournisseur devront être facturés au gouvernement, à moins que le prestataire puisse apporter la preuve de façon claire et transparente de la valeur ajoutée du logiciel tiers.
Plan d’action

Les points-clés de l’action gouvernementale sont donc les suivants :

Action 1 : Transparence dans les passations de marchés. Le conseil des DSI, appuyé par « l’Office for Government Commerce » (NdT : L’organisme chargé de définir les appels d’offre pour le gouvernement), assurera l’équité entre les produits Open Source et les produits propriétaires en présentant des lignes directrices construites autour du rapport qualité/prix. Ces lignes directrices seront publiées et comprendront :

  • a) Les moyens de mise en œuvre et d’évaluation de la compatibilité avec les standards ouverts, ainsi que leur réutilisation généralisée potentielle dans le secteur public.
  • b) des formules standards à faire apparaître dans les cahiers des charges pour réaffirmer que la politique du gouvernement est de juger les solutions Open Source en fonction de leurs qualités intrinsèques et de leur coût total d’utilisation.
  • c) un guide faisant autorité, destiné aux acheteurs du secteur public, sur les problèmes spécifiques de licences, garanties et dédommagements inhérents à l’Open Source.

Action 2 : Amélioration des compétences au sein du gouvernement : le Conseil des DSI et l’OGC, en partenariat avec l’industrie et en s’inspirant des bonnes pratiques observées dans d’autres pays, vont lancer un programme de formation et d’acquisition de compétences destiné aux employés en charge de l’informatique et des passations de marchés au gouvernement. Ils pourront acquérir le savoir-faire nécessaire à l’évaluation et à la bonne utilisation des solutions Open Source. Cette opération a pour but d’améliorer l’information des fonctionnaires, leur niveau de compétence et leur assurance par rapport aux problématiques de licence, de maintenance et d’économie propres aux solutions Open Source.

Action 3 : La réutilisation comme principe pratique : les principes de fonctionnement du conseil des DSI mettent en exergue la transmission du savoir. Lorsque les solutions Open Source auront été évaluées et approuvées par une partie du Gouvernement, cette évaluation ne devrait pas être réitérée mais partagée. À cette fin, les ministères conserveront et partageront des archives de leurs approbation et utilisation des solutions Open Source, y compris pour les composants Open Source dans des solutions hybrides.

Action 4 : Maturité et développement durable : il existe une multitude de logiciels Open Source. Selon la nature de la mission gouvernementale, l’aboutissement du produit, la sécurité de son code noyau et la pérennité du projet lui-même sont des critères primordiaux. Le Conseil des DSI effectuera une évaluation régulière de l’aboutissement des produits et recommandera une liste de solutions et d’implémentations qui satisferont à ces critères consensuels.

Action 5 : Mise en demeure des fournisseurs : considérant les actions ci-dessus, les ministères du Gouvernement mettront en demeure leurs fournisseurs de leur démontrer qu’ils sont compétent en matière d’Open Source et que les produits Open Source ont été réellement envisagés comme tout ou partie de la solution logicielle qu’ils proposent. Lorsqu’aucune solution entièrement Open Source n’existe, les fournisseurs seront tenus d’envisager l’utilisation des produits Open Source au sein de solutions globales afin d’optimiser le coût de l’acquisition. Une attention particulière sera portée aux cas où des produits Open Source existent et ont déjà fait leurs preuves ailleurs au sein du gouvernement. Les fournisseurs qui mettront en avant des produits non Open Source auront à fournir la preuve qu’ils ont véritablement recherché des alternatives Open Source et devront expliquer pourquoi elles ont été écartées.

Action 6 : Exemples et politiques dans le monde entier, veille permanente des évolutions : le gouvernement du Royaume-Uni s’intéressera particulièrement aux exemples d’autres pays et d’autres secteurs pour encourager le développement des connaissances sur les produits et favoriser la concurrence entres fournisseurs. Le Royaume-Uni s’impliquera activement dans le développement de stratégies dans toute l’Union européenne et à l’international.

Action 7 : Collaboration active Gouvernement/Industrie : le Conseil des DSI travaillera de pair avec les intégrateurs de systèmes et les fournisseurs de logiciels pour que puissent émerger des solutions qui satisferont aux standards ouverts, intègreront l’Open Source et faciliteront sa réutilisation. Le gouvernement encouragera et facilitera la création de liens étroits entre les fournisseurs Open Source (organisations fournissant aide et support pour l’Open Source comprises) et les intégrateurs de systèmes. Le gouvernement partagera l’information avec l’industrie à propos des déploiements de l’Open Source en cours et des tests déjà effectués, de telle sorte que les connaissances acquises puissent être réutilisées.

Action 8 : Standards ouverts : Le gouvernement précisera les exigences du cahier des charges en référence aux standards ouverts et, dans la mesure du possible, demandera des solutions compatibles avec les standards ouverts. Il soutiendra l’utilisation du format Open Document (ISO/IEC 26300:2006) ainsi que des versions libres émergentes de formats auparavant propriétaires (par ex. ISO 19005-1:2005 (PDF) et ISO/IEC 29500 (formats Office Open XML)). La publication de l’information gouvernementale dans des formats ouverts sera de sa responsabilité, et l’usage de standards ouverts sera exigé sur les sites Web de l’État.

Action 9 : Technologies Open Source, ré-utilisation au sein du Gouvernement et publication adéquate du code : les acheteurs du gouvernement utiliseront une clause standard OJEU approuvée par l’OGC pour établir clairement que les solutions logicielles sont acquises sur la base de leur possible réutilisation partout ailleurs dans le secteur public. Les clauses du contrat standard OGC contiendront un article stipulant que le Gouvernement conservera les pleins droits sur les adaptations du code des logiciels ou les modifications des produits commerciaux tels qu’ils sont vendus, et qui établira clairement que ces droits couvrent la réutilisation partout ailleurs dans le secteur public et la possibilité de publier le code sur le principe de l’Open Source. Le cas échéant, les logiciels d’intérêt général développés par ou pour le gouvernement seront publiés suivant le principe de l’Open Source.

Action 10 : Communication, consultation et suivi : le gouvernement communiquera largement sur cette politique et ses actions connexes, et accroîtra sa communication si nécessaire. Il s’engagera aux côtés de la communauté Open Source et encouragera activement les projets qui pourraient, une fois leurs objectifs atteints, être labellisés comme des produits « Approuvés par le gouvernement ». Il suivra avec soin la stratégie et la politique de ces projets et rendra compte publiquement de leur évolution.

Commentaires

Pour contribuer au débat collectif en ligne à propos de ce plan d’action, nous avons créé une page publique qui recense des liens vers des blogs, des sites d’information et de réactions sur le gouvernement du Royaume-Uni, l’Open Source et les standards ouverts. Si vous publiez en ligne sur ces thèmes, veuillez utiliser le tag #ukgovOSS pour nous permettre de retrouver vos commentaires.

Notes

[1] Crédit photo : Paolo Camera (Creative Commons By)

[2] Usage des logiciels Open Source : Usage au sein du Gouvernement de Grande Bretagne, version 2. Cabinet Office/OGC, 28 octobre 2004.




Un autre monde musical est possible nous dit Trent Reznor

On peut voir le document que nous vous présentons aujourd’hui comme la majeure contribution du Framablog au débat actuel sur le trop fameux projet de loi « Création et Internet », qui porte si mal son nom. Nous sommes en effet fiers de vous proposer la traduction (sous-titrage et transcription écrite ci-dessous) d’une conférence qui apporte comme un grand bol d’oxygène à la période tendue et crispée que nous sommes en train de traverser.

Oui, avec du talent et de l’imagination, on peut (économiquement) réussir dans la musique en dehors des circuits traditionnels (comprendre avant tout les Majors du disque) en utilisant à plein les extraordinaires potentialités d’Internet pour se mettre directement en relation avec son public.

C’est ce que démontre le parcours de l’artiste Trent Reznor, chanteur des Nine Inch Nails, brillamment analysé ici par Mike Masnick, dont le blog décrypte les tendances des nouveaux médias sociaux.

Cette conférence d’une quinzaine de minutes a été donnée en janvier dernier au MIDEM 2009 de Cannes. L’étrange équation énoncée, « CwF + RtB = $$$ », tient de la formule magique mais elle est pourtant simple à comprendre pourvu qu’on accepte la nouvelle donne et surtout les nouvelles règles du jeu.

N’ayez pas peur, disait l’autre. Nous ne sommes plus ici dans le monde des « pirates » à éradiquer mais dans celui, passionnant, de ceux qui ouvrent la voie d’un nouveau paradigme…

—> La vidéo au format webm

Trent Reznor et l’équation pour de futurs modèles économiques de la musique

Trent Reznor And The Formula For Future Music Business Models

Mike Masnick – 17 janvier 2008 – TechDirt
(Traduction Framalang : Don Rico, Joan, Yostral)

Je suis Mike Masnick, mon entreprise s’appelle Floor64. Voici notre site web : nous avons diverses activités, travaillons avec différentes entreprises, les aidons à comprendre les tendances des nouveaux médias sociaux et à établir un lien avec les communautés auxquelles elles s’adressent.

On me connaît surtout, quand on me connaît, pour TechDirt, le blog que nous publions sur Floor64. Voilà à quoi ça ressemble. Sur ce blog, j’aborde très souvent le sujet de l’industrie musicale et de l’industrie du disque, et j’ai notamment beaucoup écrit sur les initiatives de Trent Reznor et les modèles économiques qu’il applique et expérimente depuis quelque temps. Ces billets sont bien sûr à l’origine de cette intervention : « Pourquoi Trent Reznor et Nine Inch Nails représentent l’avenir de l’industrie musicale ».

Nous sommes un peu en retard car nous devions commencer à 11h45. Chez moi, en Californie, il est 2h45 du matin. Je souffre du décalage horaire, comme d’autres ici je pense, alors pour qu’on reste éveillés, je vais faire défiler que 280 diapos au cours de cette intervention, car je pense qu’en gardant un rythme soutenu on ne s’endormira pas trop vite. Mais pendant ces 280 diapos je vais quand même aborder quelques points importants sur les actions de Trent Reznor et expliquer pourquoi les modèles économiques qu’il expérimente représentent vraiment l’avenir de la musique.

Sans plus attendre, rentrons dans le vif du sujet.

Chapitre 1

Que ce soit volontaire ou pas, je n’en sais d’ailleurs rien, il semblerait que Trent Reznor ait découvert le secret d’un modèle économique efficace pour la musique. Ça commence par quelque chose de très simple : CwF, qui signifie « Créer un lien avec les fans ». Ajoutez-y une pincée de RtB : « Une Raison d’acheter ». Associez les deux, et vous obtenez un modèle économique. Ça parait très simple, et beaucoup pensent que ça n’a rien de sorcier. Mais le plus stupéfiant, c’est la difficulté qu’ont d’autres à combiner ces deux ingrédients afin de gagner de l’argent, alors que Trent Reznor, lui, s’en est sorti à merveille, à de nombreuses reprises, et de nombreuses façons.

Tout a commencé quand il était encore signé chez une major. Il a appliqué ce modèle de façon très intéressante sur l’album Year Zero, en 2007. Avant la sortie de l’album, il a établi un lien avec ses fans en organisant une sorte de chasse au trésor, ou un jeu de réalité virtuelle. Voici le dos du t-shirt qu’il portait pendant la tournée de 2007. Certaines lettres des noms de ville sont en surbrillance : en les isolant puis en les remettant dans l’ordre, on obtient la phrase « I am trying to believe ». Certains ont été assez futés pour assembler la phrase et y ajouter un « point com ». Puis ils sont allés sur le site « Iamtryingtobelieve.com » et se sont retrouvés dans un jeu de réalité virtuelle, qui était assez marrant. Voici qui a apporté un gros plus à l’expérience générale pour les fans et permis d’établir avec eux un lien qui allait au-delà de la seule musique.

Du coup, les fans étaient plus impliqués, motivés et impatients. Il est allé plus loin encore : vous approuverez ou pas, tout dépend de l’endroit où vous êtes assis dans la salle. Ça a mis en rogne la maison de disque de Reznor, parce qu’il s’est amusé à mettre de nouveaux morceaux sur des clés USB qu’il abandonnait ensuite par-terre dans les toilettes à chaque concert qu’il donnait. Les fans trouvaient ces clés USB dans les différentes salles de concert, les ramenaient chez eux, les branchaient sur leur ordinateur et y trouvaient de nouveaux morceaux de Nine Inch Nails, et bien sûr ils les partageaient.

De cette façon, le groupe a impliqué les fans, les a motivés et les a mis dans tous leurs états. Les seuls à ne pas avoir été ravis, c’était la RIAA, qui a envoyé des messages d’avertissement pour de la musique que Trent Reznor lui-même distribuait gratis. Ça, ce n’est pas un moyen d’établir un lien avec les fans, mais plutôt de se les mettre à dos.

Trent Reznor continuait donc à donner aux gens des raisons d’acheter alors qu’il refilait lui-même sa musique. Quand l’album est sorti, le CD changeait de couleur. On le mettait dans le lecteur, et en chauffant la couleur du disque changeait. C’est gadget, mais c’était assez sympa et ça donnait aux fans une raison d’acheter le CD, parce qu’on ne peut pas reproduire ça avec un MP3.

C’était un exemple simple datant de l’époque où il était encore sous contrat avec une major, mais passons au…

Chapitre 2

Après cet album, il n’avait plus de maison de disque, et a préféré voler de ses propres ailes, s’aventurant alors sur les terres soi-disant dévastées de l’industrie musicale d’aujourd’hui. Pourtant ça ne lui a pas posé problème, car il savait qu’en créant un lien avec les fans et en leur donnant une raison d’acheter il pouvait créer un modèle économique efficace. Il a donc commencé par l’album Ghosts I-IV, et il a créé des liens avec ses fans en leur offrant plusieurs choix, au lieu d’essayer de leur imposer une façon unique d’interagir avec sa musique. On avait différentes options, et il leur a donné une raison d’acheter en proposant une offre améliorée.

Je vais rapidement énumérer ces options. À la base, il y avait un téléchargement gratuit. L’album comptait 36 morceaux. On pouvait télécharger gratuitement les 9 premiers, et les 36 étaient sous licence Creative Commons, donc il était possible de les partager légalement. Bref, quand on voulait les télécharger gratuitement sur le site de NIN, on n’avait que les neuf premiers. Pour 5 dollars, on recevait les 36 morceaux et un fichier PDF de 40 pages. 5$ pour 36 morceaux, c’est beaucoup moins cher que le modèle d’iTunes à 1$ par chanson. Pour 10$, vous receviez une boîte avec deux CDs et un livret de 16 pages. 10 $ pour une boîte de 2 Cds, c’est pas mal. Mais ça, beaucoup d’autres le font, tout le monde applique ce principe de musique offerte et de vente de CDs à prix raisonnable sur le site.

Ce qui est intéressant, c’est ce qu’il a proposé en plus. Là, on commence par un coffret édition deluxe à 75 dollars, qui contenait tout un tas de choses. C’était une sorte de coffret, mais centré sur ce seul album et qui contenait un dvd et un disque blu-ray, un beau livret, le tout fourni dans une boîte sympa. 75$, bonne affaire pour des fans qui veulent vraiment soutenir Reznor. Mais le plus intéressant, c’était le coffret ultra deluxe édition limitée à 300 $.

Comme on le voit sur ce site, tous ont été vendus. Il y a tout un tas de suppléments dans ce coffret. Voici à quoi ça ressemblait.

Là encore, on trouve le contenu du coffret de base, plus d’autres trucs. Mais ce qui est vraiment important, c’est qu’il n’a été tiré qu’à 2500 exemplaires, et que tous étaient dédicacés par Trent Reznor. Le tout coûtait 300$, mais c’était exceptionnel, unique, et ça ajoutait de la valeur à la musique. Les 2500 ont été vendus, ce qui n’a rien d’étonnant. Mais ce qui est impressionnant, c’est la vitesse à laquelle ils sont partis. Moins de 30 heures. Faites le calcul : ça donne 750 000 dollars en 30 heures pour de la musique qu’il donnait gratuitement.

Rien que la première semaine, si l’on inclut les autres offres, ils ont encaissé 1,6 million de dollars, là encore pour de la musique qu’ils distribuaient gratuitement, sans label, mais c’était vraiment une façon de créer un lien avec les fans, de leur donner une raison d’acheter, et de trouver un modèle économique efficace. Même si c’était gratuit et qu’on pouvait tout télécharger légalement une fois les morceaux mis en ligne sur des sites de Torrent ou de partage de fichiers, voici ce qu’a publié Amazon la semaine dernière : la liste de leurs meilleures ventes d’albums au téléchargement en 2008, où Ghosts I-IV arrive en tête.

Donc, voici un album gratuit qui en une seule semaine a rapporté 1,6 million de dollars, et qui a continué à bien se vendre sur Amazon tout le reste de l’année. On se rend bien compte qu’ici, la question ce n’est pas le prix. Le fait que l’album soit disponible gratuitement ne signifie pas la fin du modèle économique, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tant que l’on crée un lien avec les fans et qu’on leur donne une raison d’acheter, il y a de l’argent à se faire.

Chapitre 3

Dans cette série d’expériences, deux mois seulement après Ghosts I-IV est sorti The Slip, et cette fois-ci c’était complètement gratuit, il suffisait de donner son adresse e-mail et on pouvait le télécharger en entier. Un lien de plus avec les fans. Les téléchargements étaient de qualité, on avait le choix entre des versions MP3 ou lossless. Pas du tout le principe « on vous file gratis la version merdique, passez à la caisse pour une meilleure version ». Encore une fois, il a essayé d’innover pour créer un lien plus fort avec les fans.

Voici les données de TopSpin, qui fournissait l’infrastructure pour les téléchargements, et qui a créé ces cartes sympas sur Google Earth pour qu’on voit d’où tous les autres téléchargeaient. Pas forcément utile, mais c’était chouette, et ça contribuait à construire la communauté, à créer un lien avec les fans. En parallèle, le jour de la sortie de The Slip, ils ont publié la liste des concerts pour la tournée 2008. On pouvait donc télécharger la musique, l’écouter, et aussitôt acheter des places.

Bien entendu, Reznor et NIN on toujours veillé à ce qu’il y ait une raison d’acheter des billets : ils ne donnent pas de simples concerts, mais offrent un spectacle complet. Ils jouaient devant un grand écran et amenaient plein d’idées afin d’en faire une expérience passionnante pour les fans, et les fans en redemandent. Ils sont emballés à l’idée d’aller à ces concerts, et pas seulement parce qu’ils vont voir Trent Reznor jouer. Bien sûr, Reznor n’en faisait pas profiter que NIN. Il y avait des premières parties sur la tournée, et il a enregistré un disque samplé, téléchargeable gratuitement lui aussi, avec des fichiers de bonne qualité de morceaux des différents groupes qui jouaient en première partie, permettant ainsi aux fans de créer un lien et leur donnant des raisons d’acheter des places de concerts pour aller voir ces groupes s’ils leur plaisaient.

Là encore, même si l’album était gratuit, il a donné d’autres raisons d’acheter en pressant l’album sur CD et vinyl, avec un tas de contenu supplémentaire dans une édition limitée et numérotée. On en revient au procédé de Ghosts I-IV, avec des tas de suppléments. J’insiste sur ce point parce que c’est vraiment important.

Chapitre 4

On n’a parlé que de sortie d’album, mais ces règles ne s’appliquent pas seulement quand on sort un album. Il faut créer un lien avec les fans tout le temps, sans discontinuer. Voici le site Web de Reznor, où il a mis en place des tas d’idées intéressantes, et je vais passer vite dessus parce qu’il y a beaucoup de choses, mais le lien se crée en permanence. Quand on se connecte, on voit les nouveautés, et puis on trouve les fonctions habituelles : de la musique à écouter, des outils communautaires comme les forums, les tchats. Mais il y a aussi des éléments moins évidents. Par exemple ce flux de photos, qui proviennent de Flickr. Ces photos ne sont pas toutes des clichés du groupe prises par des pros, mais ceux que les fans mettent sur Flickr sont regroupés sur le site. Ainsi on peut voir ce que les autres voyaient aux concerts où vous êtes allés, ou à ceux que vous avez manqué.

Il offre aussi des fonds d’écran que l’on peut télécharger, sous licence Creative Commons. On peut les retoucher, et d’ailleurs vous remarquerez que les images d’illustration que j’utilise sont justement tirées de ces fonds d’écran, légèrement modifiés pour que ça rentre sur les diapos. Dans le même esprit que les photos Flickr, il y a les vidéos. En gros, les fans filment des vidéos avec leur téléphone mobile, les mettent en ligne sur YouTube, et elles sont toutes regroupées sur le site. Pas de problème de procès, pas d’avertissements, pas de réclamations de la part de YouTube, les vidéos servent juste à créer du lien avec les fans, à leur donner une raison d’acheter.

Sur le site, on peut aussi télécharger des fichiers bruts, et NIN encourage les fans à les remixer, à les écouter, à les noter, à les échanger, ce qui implique vraiment les fans.

Autres idées amusantes : des concours, par exemple des tickets cachés qu’il faut trouver sur le site, des coordonnées indiquant l’emplacement de places gratuites pour un concert que NIN donnait dans un tunnel d’égout à Los Angeles. Il a mis sur son site une enquête de 10 pages à remplir, ce qui a permis d’élaborer un profil complet de ses fans. Mais le plus intéressant, c’est le courriel qu’il a envoyé, assez long comme vous le voyez, qui a montré que Reznor est proche de ses fans, ce qui hélas est rare dans l’industrie musicale.

À suivre

Passons au dernier chapitre. Je l’intitule « À suivre » plutôt que « Dernier chapitre », parce que c’est loin d’être fini. Reznor continue en permanence à expérimenter de nouvelles idées. Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai dû compléter cette intervention, en espérant qu’il allait calmer le rythme de ses expérimentations, parce que ça commençait à être dur de maintenir cette présentation à jour. Il a publié un billet sur son blog expliquant sur le ton de la plaisanterie avoir été contacté par un mystérieux groupe d’agitateurs qui avaient filmé trois concerts et mis en ligne les rushes, des rushes en haute définition. Il y en a pour 450 gigas de rushes. La plupart des disques durs n’ont pas une telle capacité, et ça m’étonnerait que beaucoup d’entre vous ici aient 450 Go sur votre portable. Et puis il y a les fournisseurs comme ComCast qui limitent la bande passante à 250 Go par mois, voire TimeWarner qui descend encore plus bas, à 5 Go par mois. Et voilà Reznor qui refile 450 Go de vidéo HD et déclare : « Je suis sûr que des fans entreprenants vont nous mitonner un truc sympa ». Ça c’est vraiment un super moyen de créer le lien avec les fans, de leur donner une raison d’acheter, et c’est ce qui donne le modèle économique.

On peut voir ça sous un autre angle : au lieu de signifier Connect with Fans, CtW pourrait être l’acronyme de Compete With Free (NdT : le Gratuit Compétitif) et Rtb, au lieu de Reason to Buy, peut être l’abréviation de Retour au Business. Au lieu de se plaindre sans cesse du piratage et de diaboliser les nouvelles technologies, il vaut mieux s’efforcer de trouver un modèle économique qui fonctionne.

Ce qu’il faut retenir, c’est que ça fonctionne pour de bon, sans qu’il y ait besoin de recourir aux licences collectives, aux DRM ou aux procès. Techniquement parlant, et c’est ce qui agace certains, il n’y a pas besoin de recourir aux droits d’auteur pour que ça marche: il suffit de créer le lien avec les fans et de leur donner une raison d’acheter.

Ce qu’il faut retenir aussi, c’est que ça vaut pour tous les musiciens, connus ou moins connus. Je me suis concentré sur Reznor, parce que c’est le sujet de mon intervention, mais des tas de petits groupes appliquent ce même modèle. En gros, Reznor ne fait qu’ouvrir la voie pour des tas d’autres et permettre que ça fonctionne. Quant aux autres, ils ne plagient pas, ils ne se contentent pas de copier les idées de Reznor. Ils partent de la recette de départ pour l’adapter à leur façon, et ça fonctionne aussi pour eux sans qu’ils aient à se soucier des licences, des DRM ou des procès. Pas de problème de copyright. Ils ne leur reste qu’à se concentrer sur l’avenir, sur la musique, et à inventer les modèles économiques qui fonctionnent de nos jours.

Voilà, j’ai expliqué dans cette intervention pourquoi Trent Reznor et NIN représentent l’avenir de l’industrie musicale. Si vous souhaitez me contacter, voici mes deux adresses e-mail.

Merci.




Petit précis de lutte contre le copyright par Cory Doctorow

Joi - CC byEn ces temps troublés où fait rage le débat (ou plutôt la lutte en ce qui nous concerne) sur l’adoption du projet de loi Hadopi, où l’engagement et l’indignation des uns se heurte à l’indifférence, à la mauvaise foi ou à l’entêtement forcené des autres, il est bon d’avoir l’avis d’un artiste, un écrivain en l’occurrence, qui sait de quoi il parle.

Il s’agit de Cory Doctorow, dont nous avions déjà traduit ses difficultés existentielles d’écrivain à l’ère d’Internet.

Petit rappel : Cory Doctorow[1] est un auteur de science-fiction d’origine canadienne, journaliste et blogueur, animateur du site BoingBoing, militant à l’EFF, partisan de la free-culture et, comme il se définit lui-même, « activiste du numérique ».

En plus d’écrire des romans de qualité (Dans la dèche au royaume enchanté, Folio SF ; et son dernier, Little Brother, doit bientôt paraître chez Pocket, et ça les amis, c’est un scoop, de l’insider information.) publiés de façon classique, Cory Doctorow met à disposition toutes ses œuvres sous licence Creative Commons, à télécharger gratuitement (en anglais, les traductions françaises sont quant à elles soumises au régime des droits d’auteur).

Dans la préface à ses romans proposés au format pdf, il explique que cette démarche est pour lui la meilleure façon de ne pas vivre dans l’ombre et de voir son art diffusé, citant l’aphorisme de Tim O’Reilly : « Pour la majorité des écrivains, le gros problème ce n’est pas d’être piraté, c’est de rester inconnu ».

Dans cet article publié sur LocusMag.com (site d’un magazine de SF), Cory Doctorow expose de façon claire et pédagogique son point de vue sur le copyright (on pourrait dire droit d’auteur mais la notion n’est pas exactement la même), et explique en substance qu’à trop vouloir verrouiller le partage, on va finir par tuer la culture.

J’adapterai sa conclusion à la situation que nous vivons en ce moment en France et qui est en plein dans l’actualité, le projet de loi « Création et Internet » devant être examiné aujourd’hui, et ajouterai qu’en cherchant à préserver un modèle obsolète de diffusion du contenu culturel, les soi-disant défenseurs de la culture ne font que scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Why I Copyfight : pourquoi je suis contre le copyright

Why I Copyfight

Cory Doctorow – novembre 2008 – LocusMag
(Traduction Framalang : Don Rico)

Pourquoi accorder tant d’importance à la question de la réforme du copyright ? Qu’est-ce qui est en jeu ?

Tout.

Jusqu’à une époque récente, le copyright était une réglementation industrielle. Si l’on tombait dans le domaine du copyright, cela signifiait que l’on utilisait quelque prodigieuse machine industrielle – une presse d’imprimerie, une caméra de cinéma, une presse à disques vinyles. Le coût d’un tel équipement étant conséquent, y ajouter deux cents billets pour s’offrir les services d’un bon avocat du droit de la propriété intellectuelle n’avait rien d’un sacrifice. Ces frais n’ajoutaient que quelques points de pourcentage au coût de production.

Lorsque des entités n’appartenant pas une industrie (individus, écoles, congrégations religieuses, etc.) interagissaient avec des œuvres soumises au copyright, l’utilisation qu’elles en avaient n’était pas régie par le droit de la propriété intellectuelle : elles lisaient des livres, écoutaient de la musique, chantaient autour du piano ou allaient au cinéma. Elles discutaient de ces œuvres. Elles les chantaient sous la douche. Les racontaient (avec des variations) aux enfants à l’heure du coucher. Les citaient. Peignaient des fresques inspirées de ces œuvres sur le mur de la chambre des enfants.

Puis vinrent les débuts du copyfight (NdT : lutte contre le copyright, abrégé ici en « anti-copyright ») : ce fut l’ère analogique, lorsque magnétoscopes, double lecteurs de cassettes, photocopieuses et outils de copie apparurent. Il était alors possible de se livrer à des activités relevant du droit de la propriété intellectuelle (copie, interprétation, projection, adaptation) avec des objets de tous les jours. On trouvait parfois sur les stands de vente des conventions SF des « romans » fanfics grossièrement reliés, les ados se draguaient à coups de compils, on pouvait apporter un film enregistré sur cassette chez les voisins pour se faire une soirée vidéo.

Pourtant, en comparaison, on risquait alors beaucoup moins gros. Même si l’on pouvait douter du caractère légal de certaines de ces activités (nul doute que les gros détenteurs de droits d’auteur les considéraient comme des valises nucléaires technologiques, comparaient les magnétoscopes à Jack l’Éventreur et affirmaient que « copier un disque sur une cassette allait tuer la musique »), faire appliquer la loi coûtait très cher. Éditeurs, maisons de disques et studios de cinéma ne pouvaient surveiller les activités auxquelles vous vous livriez chez vous, au travail, dans les fêtes ou aux conventions ; en tout cas pas sans recourir à un réseau ruineux de cafteurs rémunérés dont les salaires auraient dépassé les éventuelles pertes subies.

Arrive alors l’Internet et l’ordinateur personnel. Voici deux technologies qui forment une combinaison parfaite pour précipiter les activités ordinaires des gens ordinaires dans le monde du copyright : chaque foyer possède l’équipement nécessaire pour commettre des infractions en masse (le PC), lesquelles infractions se déroulent par le biais d’un vecteur public ‘l’Internet) que surveiller ne coûte rien, permettant ainsi une mise en application du copyright à faible coût dirigée contre des milliers d’Internautes comme vous et moi.

Qui plus est, les échanges effectués par Internet sont davantage susceptibles de représenter une violation du copyright que leur équivalent hors-ligne, car chaque échange sur Internet implique une copie. L’Internet est un système conçu pour produire de façon efficace des copies entre ordinateurs. Alors qu’il suffit de simples vibrations de l’air pour rendre possible une discussion dans votre cuisine, la même discussion passant par Internet génère des milliers de copies. Chaque fois que vous pressez une touche, cette action est copiée plusieurs fois sur votre ordinateur, copiée vers votre modem, puis copiée sur toute une série de routeurs, et ensuite (souvent) sur un serveur, processus qui aboutit à des centaines de copies, éphémères ou durables, pour enfin parvenir aux autres participants à la discussion, chez qui seront sans doute produites des dizaines de copies supplémentaires.

Dans le droit de la propriété intellectuelle, on considère la copie comme un événement rare et non négligeable. Sur Internet, la copie est automatique, instantanée, et produite en masse. Punaisez une vignette de Dilbert sur la porte de votre bureau, vous n’enfreignez pas le copyright. Prenez une photo de la porte de votre bureau et publiez-la sur votre site perso de sorte que vos mêmes collègues la voient, vous avez enfreint le copyright. Et puisque le droit de la propriété intellectuelle considère la copie comme une activité très réglementée, il impose des amendes pouvant atteindre des centaines de milliers de dollars pour chaque infraction.

Il existe un mot pour désigner tout ce que nous faisons à partir de créations intellectuelles – discuter, raconter, chanter, jouer, dessiner et réfléchir : ça s’appelle la culture.

La culture est ancienne. Elle existait bien avant le copyright.

L’existence de la culture, voilà qui rend le copyright rentable. Notre soif infinie de chansons à chanter ensemble, d’histoires à partager, d’art à admirer et à ajouter à notre vocabulaire visuel, telle est la raison qui nous pousse à dépenser de l’argent pour satisfaire ces désirs.

J’insiste sur ce point : si le copyright existe, c’est parce que la culture génère un marché pour les œuvres de l’esprit. Sans marché pour ces œuvres, il n’existerait aucune raison de se soucier du copyright.

Le contenu n’est pas roi : c’est la culture qui est reine. Si nous allons au cinéma, c’est pour discuter du film. Si je vous expédiais sur une île déserte et vous sommais de choisir entre vos disques et vos amis, vous seriez un sociopathe si vous choisissiez la musique.

Pour qu’il y ait culture, il faut partager l’information : la culture, c’est le partage de l’information. Les lecteurs de science-fiction le savent : dans le métro, le gars assis en face de vous qui est en train de bouquiner un roman de SF à couverture tapageuse fait partie de votre clan. Il y a de fortes chances que vous partagiez certains goûts de lecture, les mêmes références culturelles, et des sujets de discussion.

Si vous adorez une chanson, vous la faites écouter aux autres membres de votre tribu. Quand vous adorez un livre, vous le fourrez dans les mains de vos amis pour les encourager à le lire à leur tour. Quand vous voyez une émission géniale à la télé, vous incitez vos amis à la regarder aussi, ou bien vous cherchez ceux qui l’ont déjà regardée et entamez la conversation.

La réflexe naturel de quiconque s’entiche d’une œuvre de création, c’est de la partager. Et puisque sur Internet « partager » équivaut à « copier », voilà qui vous met directement dans le colimateur du copyright. Tout le monde copie. Dan Glickman, ancien membre du Congrès à présent à la tête de la Motion Picture Association of America (NdT : équivalent pour le cinéma de la tristement célèbre RIAA), défenseur on ne peut plus zélé du copyright, a reconnu avoir copié le documentaire de Kirby Dick This Film is Not Yet Rated (NdT : ce film n’a pas encore été classé), une critique au vitriol du processus de classement des films par la MPAA, mais a pris comme prétexte que la copie se trouvait « dans (son) coffre-fort ». Prétendre qu’on ne pratique pas la copie, c’est être aussi crispé et hypocrite que les anglais de l’époque victorienne qui juraient ne jamais, au grand jamais, se masturber. Chacun sait qu’il nous arrive à tous de mentir, et un grand nombre d’entre nous sait que tous les autres mentent aussi.

Mais le problème auquel est confronté le copyright, c’est que la plupart de ceux qui copient le reconnaissent volontiers. La majorité des internautes américains pratiquent l’échange de fichiers, considéré comme illégal. Si demain l’échange de fichiers par réseau P2P était enrayé, ceux qui le pratiquent partageraient les mêmes fichiers, et plus encore, en échangeant des disques durs, des clés USB ou encore des cartes mémoire (et davantage de données changeraient de main, bien que plus lentement).

Ceux qui copient savent qu’ils enfreignent les lois du copyright mais ne s’en inquiètent pas, ou croient que la loi ne peut criminaliser leurs pratiques, et pensent qu’elle lutte contre des formes de copie plus extrêmes telles que la vente de DVD pirates à la sauvette. En réalité, le droit du copyright réprime beaucoup moins lourdement ceux qui revendent des DVD que ceux qui téléchargent les mêmes films gratuitement sur Internet, et l’on risque beaucoup moins gros en achetant un de ces DVD (à cause des coûts très élevés de la lutte contre ceux qui font du commerce dans le monde réel) qu’en les téléchargeant sur le Net.

D’ailleurs, ceux qui pratiquent la copie s’attachent à établir une philosophie très élaborée à propos de ce qu’on a le droit ou pas de télécharger, avec qui et dans quelles circonstances. Ils intègrent des cercles privés de partage, décident entre eux de normes à respecter, et créent une multitude de para-copyrights qui constituent l’expression d’un accord culturel définissant la façon dont ils doivent se comporter.

Le gros problème, c’est que ces para-copyrights n’ont quasi rien en commun avec le véritable droit du copyright. Peu importe que vous en soyez partisan ou non, vous enfreignez sans doute la loi – alors si vous concevez des vidéo-clips d’animés (des clips de musique conçus en mettant bout à bout des séquences de films mangas — cherchez « vidéo-clips d’animés » dans Google pour en voir des exemples), vous aurez beau respecter les règles établies par votre groupe – par exemple l’interdiction de montrer vos créations à des personnes extérieures à votre groupe et l’obligation de n’utiliser que certaines sources de musique et de vidéos –, vous n’en commettrez pas moins pour des millions de dollars d’infractions à chaque fois que vous vous installerez devant votre PC.

Rien d’étonnant à ce que le para-copyright et le copyright ne puissent trouver de terrain d’entente. Car après tout, le copyright réglemente les pratiques commerciales entre entreprises géantes. Le para-copyright ne réglemente que les pratiques d’individus dans un cadre culturel donné. Normal que ces ensembles de règles n’aient rien en commun.

Il est tout à fait possible qu’on parvienne un jour à une détente entre ceux qui pratiquent la copie et les détenteurs de copyright : par exemple avec un ensemble de règles qui ne s’appliqueraient qu’à la « culture » et non à « l’industrie ». Mais pour amener autour de la table ceux qui copient, il faut impérativement cesser d’insinuer que toute copie non autorisée équivaut à du vol, à un crime, à un acte condamnable. Face à de tels propos, ceux qui savent la copie facile, juste et bénéfique estiment que ses détracteurs racontent n’importe quoi ou que leurs arguments ne les concernent pas.

Si demain l’on mettait fin à la copie sur Internet, on mettrait également fin à la culture sur Internet. Sans sa mine de vidéos considérées en infraction, YouTube disparaîtrait ; sans ses petits avatars et ses passionnants extraits de livres, d’articles et de blogs, LiveJournal passerait l’arme à gauche ; sans toutes ses photos d’objets, d’œuvres et de scènes sous copyright, sous marque déposée ou protégées d’une façon ou d’une autre, Flickr se viderait de sa substance et crèverait.

C’est grâce à nos discussions que nous voulons acquérir les œuvres dont nous discutons. Les fanfics sont écrits par des fanas de littérature. Les vidéos sur YouTube sont mises en ligne par ceux qui veulent vous donner envie de regarder les émissions dont elles sont extraites afin d’en discuter. Les avatars de LiveJournal permettent de montrer que l’on apprécie une œuvre.

Si la culture perd la guerre du copyright, ce que le copyright est censé défendre mourra avec lui.

Notes

[1] Crédit photo : Joi Ito (Creative Commons By)