Et pourquoi pas aussi l’Open Money ?

Jessica Shannon - CC by-saCela demande analyse et précision au cas par cas mais on ne peut que constater que « l’état d’esprit du logiciel libre » est en train de s’infiltrer un peu partout actuellement. Et si le très sérieux journal britannique The Guardian posait récemment la question de la construction d’un monde Open Source il doit bien y avoir une raison.

Dans la sphère anglophone cela se traduit en effet par la multiplication des expressions précédées de l’adjectif « Open ». Les idées véhiculées ne sont pas forcément neuves ni originales mais elle retrouvent force et vigueur à l’heure du numérique, en s’inspirant toutes plus ou moins directement de la matrice Open Source.

Ce qui donne, et j’en oublie certainement, Open Hardware, Open Format, Open Data, Open ID, ou encore Open Politics, Open Gouvernance, et puis également Open Content, Open Knowledge, Open Research, Open Education (dont le très prometteur dérivé Open Educational Resources), sans oublier, cela va de soi, le champ culturel avec par exemple ses Open Music et Open Movie.

Et si la lecture de cette longue liste vous a donné soif, nous vous suggérons Open Cola ou, avec modération, Open Beer 😉

Tout comme Wikipédia dont sont issus l’ensemble des liens précédents, ces jeunes expressions ne sont pas figées. Elles sont en construction et susceptibles de fortement évoluer avec le temps. Mais mises en commun cela donne du sens et témoigne indéniablement que quelque chose d’intéressant est en train de se produire.

L’Histoire nous dira ce qui émergera exactement de cette effervescence. Certains voudraient déjà remplacer un modèle par un autre. Nous n’en sommes pas encore là mais il y a peut-être déjà un acquis : celui d’introduire une perturbation dans de nombreux systèmes dont nous ne nous étions pas toujours rendus compte qu’ils s’étaient avec le temps souvent refermés sur eux-même en laissant à l’économie et à l’argent une trop large place.

L’argent[1], justement, tiens, parlons-en ! Dans ce contexte-là pourquoi ne pas en profiter pour le mettre lui aussi sur la sellette ? Ne peut-on pas quelque part le considérer en l’état comme propriétaire ? Quelques hurluberlus ont donc osé s’attaquer de front au tabou pour créer une nouvelle expression à ajouter au corpus : « l’Open Money ».

C’est la traduction d’un vieux document que nous vous proposons ci-dessous pour alimenter le débat. Vous jugerez peut-être ce manifeste naïf, utopique et irréalisable, mais GNU/Linux, Wikipédia ou Creative Commons n’étaient-ils pas eux aussi des projets impossibles ?

Ce n’est qu’un simple exemple mais ne vous arrive-t-il pas de rêver à des alternatives à PayPal, carte de crédit et grosse ponction au passage, lorsque vous souhaitez faire un simple don à un logiciel libre sur Internet ? Pourquoi est-ce si compliqué, alors même que l’argent se dématérialise ? Et dois-je vous faire l’affront d’évoquer la crise globale que nous subissons aujourd’hui avec fatalisme, venue d’on ne sait où si ce n’est d’un monde financier devenu légèrement dément ?

Une folie en vaut bien une autre. Alors pourquoi ne pas tenter ensemble de lentement mais sûrement organiser différemment les échanges, la richesse, l’argent, les banques… en privilégiant cette fois-ci l’humain et le bien commun ?

Vous trouverez en fin d’article, une première liste de liens connexes autour du sujet (que nous vous invitons à compléter dans les commentaires). Nous vous proposons également en pièce-jointe la page du dossier « Sortie de crise : l’enjeu vital de la création de la monnaie » du journal Vendredi, qui a eu la bonne idée de reprendre ce billet dans son édition du 10 avril 2009.

Le manifeste de la monnaie libre

Open money manifesto

Michael Linton – 2001 – OpenMoney.info
(Traduction Framalang : Claude, Don Rico et Poupoul2)

Les problèmes dûs à l’argent proviennent entièrement du traitement de la monnaie conventionnelle : elle est créée par des banques centrales en quantité limitée. Il y a trois choses que nous savons sur cet argent. Nous savons ce qu’il fait : il va et il vient. Nous savons ce qu’il est : rare et difficile à obtenir. Et nous savons d’où il vient : il vient d’eux, pas de nous.

Ces trois caractéristiques, communes à toutes les monnaies nationales, font que l’on doit constamment lutter pour partager un bout du truc qui fait tourner le monde. Cet argent peut aller n’importe où, ce qu’il fait inévitablement, laissant la communauté démunie de son moyen d’échange.

C’est tout simplement dans la nature de la monnaie conventionnelle de créer, par ses allées et venues, les conditions de compétition et de rareté à l’intérieur des communautés ou entre elles.

Ainsi devons-nous courir après l’argent pour survivre, obligés de combattre pour lui, souvent durement. Tentés d’avoir le plus pour le moins, nous cherchons les meilleures affaires en tant qu’individus, entreprises, associations caritatives, gouvernements ou nations.

Telle société, telle génération : il semble que nous soyons déterminés à tout avoir, quelques soient les conséquences de nos excès et négligences sur les autres, maintenant et dans le futur.

Nous dépendons de cet argent, en n’ayant guère de choix et malgré ses défauts évidents. Certains ont peu ou rien, ne pouvant trouver le nécessaire pour vivre dans ce monde. D’autres en ont une quantité énorme sans, pour autant, que cela soit bénéfique pour eux et pour le monde.

Et tout cela, à propos de quoi ? Un argent rare qui court dans toutes les directions mais venant d’eux. Leur argent arrive avec de nombreux problèmes.

  • Le problème de la bonne quantité de monnaie en circulation ? Personne ne parait savoir comment garder un équilibre entre trop et pas assez.
  • Le problème de la distribution : où est-il ? qui le possède et qui n’en a pas ? Est il là où nécessaire ? Certainement pas.
  • Le problème du coût: coût de la création et de la sécurité, des opérations et de la comptabilité, le coût des intérêts, le coût des tribunaux.

Mais avant tout, et impossible à chiffrer, notre conduite monétaire dirigée a des effets absolument dévastateurs sur notre société et l’environnement mondial.

C’est la mauvaise nouvelle que vous deviez probablement déjà connaître. Maintenant, voici la bonne nouvelle: tous ces problèmes peuvent être résolus avec une monnaie mieux conçue.

L’argent n’est qu’une information, une façon de mesurer ce que nous échangeons, il n’a pas de valeur en lui même. Et nous pouvons en fabriquer nous-même en complément de la monnaie conventionnelle. Ce n’est qu’une question de conception.

Il n’y a aucune raison valable, pour une communauté, de rester sans argent . Être à cours d’argent quand il y a du travail à faire, revient à ne pas avoir assez de centimètres pour construire une maison. Nous avons le matériel, les outils, l’espace, le temps, la technique et l’envie de construire… mais nous n’avons pas de centimètres aujourd’hui ? Pourquoi être à cours de centimètres ? pourquoi être à court de monnaie ?

Les monnaies libres sont virtuelles et personnelles. Chaque communauté, réseau ou entreprise peut créer son propre argent libre. libre comme dans liberté d’expression, radical libre, librement disponible mais pas gratuit comme dans déjeuner gratuit ou tour gratuit. Vous ne l’avez pas pour rien. (NdT : Le classique problème de traduction en anglais de l’adjectif free)

La monnaie libre doit être méritée pour être respectée. Quand vous l’émettez, vous êtes obligé de l’honorer. Votre monnaie est votre parole : une question de réputation dans votre communauté.

La monnaie libre est une monnaie plate (NdT : ou neutre pour flat). Elle ne confère aucun pouvoir à l’un sur l’autre, on ne fait qu’un avec l’autre. Pas de problème d’exploitation, quand vous possédez votre propre monnaie, vous ne pouvez pas être acheté ou vendu facilement. Vous pouvez choisir ce que vous voulez faire pour gagner votre argent. Il n’y a pas de monopole, tous les systèmes co-existent dans le même espace. Plus plate que plate, la monnaie libre est super plate.

La monnaie libre est virtuelle et infinie. Les objets physiques existent dans l’espace et le temps (ce qui les rend limités), en nombre, en masse, en lieu et place. Les objets virtuels n’existent pas et n’ont pas a respecter de telles limites.

Tout est possible dans l’espace de la monnaie virtuelle, sous toutes les formes. Il n’est question que de mettre au point un système de notation pour ceux qui consentiraient à l’utiliser : l’argent n’est qu’un accord social.

Bien entendu, un système ne marchera en tant que monnaie que s’il est bien conçu. Un système de notation que personne ne veut utiliser n’est pas une monnaie valable. Aussi, bien qu’aucune limite aux monnaies ne puisse être pensée, toutes ne vont pas fonctionner.

C’est nous qui créerons la nouvelle monnaie qui fonctionnera, en quantité suffisante pour satisfaire nos besoins, et dans un contexte ouvert afin que chacun puisse contribuer et être reconnu. La monnaie libre circulera dans les réseaux et communautés qu’elle sert, complètement légale et virtuellement libre, par conception.

Nous pensons que les problèmes venant de la monnaie conventionnelle peuvent être résolus avec un système de monnaie libre.

  • Où la monnaie conventionnelle est rare et chère, la nouvelle monnaie existe en quantité suffisante et est libre.
  • Où la monnaie conventionnelle est créée par des banques centrales, la nouvelle monnaie vient de nous, comme des promesses de rachat : notre monnaie est notre parole.
  • Où la monnaie conventionnelle se propage avec inconstance, dans et hors de nos communautés, créant des dépendances nuisibles à l’économie, la société et la nature, la nouvelle monnaie complémentaire circule en permanence, encourageant le commerce et les échanges.

Donc, réglons le problème de l’argent et, pour les autres dangers menaçant notre monde, voyons ce qu’il adviendra.

Imaginons simplement…

  • Imaginons avoir l’argent nécessaire pour subvenir à tous nos besoins.
  • Imaginons une société et une économie fonctionnant sans les problèmes monétaires courants de pauvreté, d’exploitation, de sans-abris, de chômage, de peur et d’angoisse.
  • Imaginons un monde où chacun pourrait travailler et payer, travailler et jouer.
  • Imaginons un air sain, une eau et une nourriture saine pour tout le monde.
  • Imaginons une société humaine vivant en équilibre avec l’environnement.

Trop beau pour être vrai ? Ou peut être pas ? Peut-être cela mérite-t-il d’être vérifié ?

Ce sont nos convictions à propos de monnaie libre, nos idées de développement d’un système de monnaie libre, et notre intention d’agir maintenant pour mettre en œuvre nos convictions…nous vous invitons à adhérer.

Cette déclaration ne s’adresse pas à tel individu ou tel organisme. Les déclarations n’appartiennent pas à une personne ou une entité et ne sont en rien prévues pour servir les intérêts particuliers d’un individu ou d’une organisation.

Le but du manifeste de la monnaie libre s’auto-détermine : il est inhérent à son contenu.

  • Il n’est pas négocié, personne ne vote pour lui.
  • Il n’est ni une question d’opinion ni une proposition politique.
  • Sa validité est basée sur le sens interne créé et le sens externe généré…

Les concepts de monnaie libre n’appartiennent à personne.

Le manifeste est une série ouverte d’idées : les concepts sont là pour être étendus, développés, affinés. Nous vous invitons à adhérer.

Le manifeste est un document actif.

  • C’est un constat de preuves vérifiables : il y a des problèmes avec l’argent.
  • C’est une question de conception : les problèmes lié à l’argent peuvent être réglés facilement.
  • C’est une déclaration d’intention : Nous sommes en train de les régler.

Amagill - CC by

Quelques liens connexes

A l’heure de la crise, le mouvement open-money propose une approche au moins aussi stimulante de l’économie que l’open-source l’est pour le monde du logiciel. L’open money, c’est la libération des moyens de paiement. Nos monnaies actuelles sont en effet en un sens des systèmes propriétaires : l’euro et le dollar sont gérés par des banques centrales qui décident de leur mode d’émission tout en se faisant rémunérer pour leur mise à disposition aux banques commerciales. Ces dernières redistribuent ces liquidités (avec effet de levier grâce aux mécanismes de l’argent scriptural et des taux de réserves obligatoires) aux agents économiques. Deux agents économiques voulant commercer avec de l’euro ou du dollar doivent donc nécessairement faire appel à un système commercial extérieur sur lequel ils n’ont aucun contrôle.

(…) Le système monétaire classique est donc bel et bien verrouillé comme l’est, dans un autre genre, un logiciel propriétaire. Partant de ce constat, l’open money reprend l’héritage des LETS (Local Exchange Trading Systems, en français SEL pour Systèmes d’échanges locaux) pour proposer des circuits monétaires alternatifs libres : il s’agit d’implanter au sein d’une communauté donnée une ou plusieurs monnaies que les membres gèrent directement. Les échanges entre membres ne sont dès lors plus soumis à des conditions extérieures à la communauté telle que la quantité et la qualité de la monnaie en circulation.

Vous avez déjà joué au Monopoly, n’est-ce pas, avec des joueurs et une banque ? Si la banque ne donne pas d’argent, le jeu s’arrête, même si vous possédez des maisons. On peut entrer en pauvreté, non par manque de richesse, mais par manque d’outil de transaction, de monnaie. Dans le monde d’aujourd’hui, 90% des personnes, des entreprises et même des États sont en manque de moyens d’échange, non qu’ils soient pauvres dans l’absolu (ils ont du temps, des compétences, souvent des matières premières), mais par absence de monnaie. Pourquoi ? Parce que, comme dans le Monopoly, leur seule monnaie dépend d’une source extérieure, qui va en injecter ou pas. Il n’y a pas autonomie monétaire des écosystèmes.

Souvent réduit à son aspect médiatique, le cinquième pouvoir est en fait une force de décentralisation : médiatique, énergétique, alimentaire… et aussi monétaire comme l’explique Jean-François dans cette vidéo enregistrée en annonce de la conférence qui se déroule sur le sujet à Mexico.

Le passage des monnaies uniques, c’est-à-dire de l’économie propriétaire et centralisée, à l’économie diverse et ouverte pourrait valoir un prix Nobel. Mais comme les autres transitions en cours, elle n’est pas l’œuvre d’une personne mais d’une multitude d’acteurs. Comme les nouveaux médias, les nouvelles monnaies existent déjà. Dans les jeux vidéo, partout sur les services d’échange en ligne, dans nos vies lorsque nous rendons services à un ami qui nous rend plus tard service…

La réappropriation de nos existences passe aussi par la réappropriation des monnaies d’échange. C’est possible à l’âge numérique. Avec ces nouvelles monnaies, la notion de croissance vole en éclat. Nous passons de l’autre côté.

Tous nos échanges ne se fondent pas sur l’argent ni sur la valeur monétaire de ce que nous échangeons, expliquent les auteurs du forum. En échange d’une photo qu’on offre à la communauté Flickr, nous n’attendons pas nécessairement de l’argent en retour, mais plutôt un sentiment d’appartenance à une communauté, une visibilité, le plaisir de faire plaisir à ceux avec qui on l’a partage… Ce type d’échanges non monétaires n’a rien de nouveau, mais la question est de savoir si nos outils numériques peuvent favoriser leur renouveau ?

(…) A une époque où nous allons vers une monnaie virtuelle, le coût marginal d’introduire de nouvelles monnaies se rapproche de zéro, explique le consultant et éditorialiste David Birch, organisateur du Digital Money Forum britannique, d’où la probabilité qu’elles se démultiplient. Dans un scénario post-monétaire, quels autres types de biens et de services pourrions-nous échanger ? Comment persuader les gens de rejoindre votre économie alternative ? Comment expliquer ses bénéfices aux autres ?

Dans son livre « The Future of Money », Lietaer fait remarquer – comme l’a fait hier le gouvernement britannique – que dans des situations comme celle que nous connaissons actuellement tout s’arrête brusquement à cause de la pénurie de liquidités. Mais il explique également qu’il n’y a aucune raison pour que cet argent doive prendre la forme de la livre sterling ou qu’il soit émis par les banques. L’argent ne consiste qu’à « un accord au sein de la communauté d’utiliser quelque chose comme moyen d’échange ». Ce moyen d’échange pourrait être n’importe quoi, du moment que tous ceux qui l’utilisent ont la certitude que tous les autres en reconnaîtront la valeur. Durant la Grande Dépression, des entreprises aux Etats-Unis ont émis des queues de lapins, des coquillages et des disques de bois comme monnaie, de même que toutes sortes de bons de papier et de jetons de bois.

Une monnaie libre consiste en un ensemble de règles et processus qui définissent l’émission, l’évolution, la circulation et la consommation d’une monnaie ouverte, suffisante, décentralisée, peer-to-peer et démocratique. Elle appartient au domaine public tout comme les logiciels ou les productions intellectuelles du logiciel libre. Elle est conçue, développée, testée, documentée et mise en circulation de manière collaborative, chacune de ses parties pouvant être transformée et améliorée par quiconque. Les monnaies libres sont désignées sous le terme d’Open Money en anglais, suivant les travaux de Michael Linton et Ernie Yacub à l’origine de cette vision.

Notes

[1] Crédit photos : Jessica Shannon (Creative Commons By-Sa) – AMagill (Creative Commons By)




De quelques causes réelles de l’effondrement des Majors

Hryck - CC byVoici un article d’Ars Technica qui parle d’un livre qui n’a que peu de chances d’être traduit.

Il nous a semblé pourtant intéressant de vous le proposer ici en ces temps d’Hadopi dans la mesure où la thèse est d’expliquer que la crise de l’industrie musicale cherche ses causes bien en amont du problème du « piratage » et du P2P.

N’oublions pas en effet par exemple que lorsque nous sommes passés du vinyl au CD, les prix ont plus ou moins doublé[1] alors que la part réservée aux artistes n’a elle pas bougé !

Edit : Cet article a été reproduit dans le journal Vendredi du 15 mai 2009 (image scannée).

Crever le p***** d’abcès : comment le numérique a tué la musique à gros sous

"Lancing the f***ing boil": how digital killed Big Music

Nate Anderson – 24 mars 2009 – Ars Technica
(Traduction Framalang : Olivier et Don Rico)

Dans son livre Appetite for Self-Destruction: The Spectacular Crash of the Record Industry in the Digital Age (NdT : Envie d’auto-destruction : la chute spectaculaire de l’industrie du disque à l’ère du numérique), Steve Knopper se penche sur le music business. Ars se plonge dans le livre, qui affirme que l’effondrement des majors n’est pas (essentiellement) dû au P2P.

Contrairement aux idées reçues, même les grands pontes du music business ont le sens de l’humour, comme cela transparaît souvent dans le nouveau livre de Steve Knopper, Appetite for Self-Destruction: The Spectacular Crash of the Record Industry in the Digital Age. Dans l’histoire que raconte Knopper, la cause du déclin des maisons de disques n’est pas seulement la technologie ou les programmes de partage ; c’est surtout une question de personnalités, et son livre regorge d’anecdotes dépeignant les dirigeants des majors.

En voici une que l’on trouve vers la fin du livre :

La tension autour du SDMI atteignit un pic à la fin août, à la Villa Castelletti, un somptueux hôtel dans un vignoble vallonné à une trentaine de kilomètres de Florence. Tous les cadres étaient réunis dans une cour de la villa, au loin, on entendait de temps à autre des coups de fusil destinés à éloigner les oiseaux des vignes. La réunion suivait son cours et Al Smith (Vice-président de Sony Music), comme à son habitude, était en rogne, en désaccord avec une proposition du président de session, Talal Shamoon. Finalement, Smith quitta la réunion. À peine trois secondes plus tard, un énorme Pan ! retentit. Les membres de la SDMI se regardèrent fébrilement. Shamoon dit alors du tac au tac : « Je crois qu’une place vient de se libérer chez Sony Music ».

C’est amusant, mais aussi assez navrant – pas à cause des oiseaux et des fusils, mais parce que cette réunion se tenait dans le cadre de l’extrêmement coûteuse Secure Digital Music Initiative, que les majors ont initiée en 1998 pour coller des DRM sur la musique. Ces grandes réunions se sont tenues partout dans le monde (dans des lieux comme la Villa Castelletti qui sont loin… d’être donnés) pour finalement accoucher d’un procédé de tatouage numérique soi-disant "inviolable". Le groupe a alors lancé un concours et invité des équipes à cracker SDMI ; le professeur d’informatique Ed Felten a rapidement mis à mal quatre procédés de tatouage numérique différents. La SDMI la ensuite menacé pour le dissuader de rendre ses résultats publiques, le professeur a alors riposté en les attaquant en justice, et pour finir toute l’affaire a été finalement abandonnée. Tout comme la SDMI.

Si l’industrie du disque avait abordé la musique numérique comme elle a abordé le CD, sans cette obsession pour les protections anti-copies, en acceptant un nouveau format et en amassant de l’argent à la pelle, elle se porterait peut-être encore pour le mieux. Mais l’industrie en a décidé autrement, et, comme le raconte Knopper, elle en a payé le prix.

Bienvenue dans la jungle

L’industrie du disque n’est pas une industrie comme les autres et ne l’a jamais été. Prenons par exemple, juste pour illustrer, une anecdote à propos du label Casablanca dans les années 70 :

Danny Davis, le gars qui s’occupait de la promo, se souvient d’une fameuse discussion téléphonique avec un programmeur radio pendant qu’un collègue, muni d’un club de golf, détruisait tout sur son bureau avant d’y mettre le feu, et ce n’était pas une hallucination due aux drogues.

« On pouvait s’attendre à tout, chez Casablanca », raconte Bill Aucoin, qui était alors manager du groupe de rock le plus connu chez Casablanca, KISS. « Nos premiers bureaux étaient en fait une maison avec un cabanon à côté de la piscine. Dans ce cabanon, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, que vous fussiez promoteur de disque ou DJ, vous pouviez vous envoyer en l’air quand vous le vouliez. »

L’industrie a appris à frapper des hits (et donc de l’argent) dans les années 60 et 70, mais c’est le CD qui a fait des maisons de disque les monstres que l’on connait. Knopper consacre la moitié de son livre à expliquer le boom du CD, et n’évoque Napster qu’au bout de 113 pages. C’est parce que, de son point de vue, on ne peut comprendre la chute des labels à l’ère de la distribution numérique qu’en étudiant le précédent changement de format majeur et les énormes profits qu’il a apportés à l’industrie.

Si vous avez suivi Battlestar Galactica récemment, ou si vous lisez Nietzsche, vous connaissez les théories traitant de la nature cyclique de l’Histoire, et c’est sous cet angle que Knopper présente son histoire. À l’arrivée du CD, nombreux furent les dirigeants des maisons de disque à le détester. L’un d’entre eux raconte, même maintenant : « Je pensais que (les ingénieurs qui l’avait produit) aurait pu trouver un moyen d’éviter le piratage ».

Mais avec du recul, ces petits disques de plastique ont été une véritable mine d’or. Les gens ont adoré ce nouveau format, et nombreux furent ceux qui rachetèrent toute leur collection en CD, et les prix de la musique enregistrée grimpèrent en flèche. Comment l’industrie a-t-elle répondu à cette aubaine ? En entubant les artistes.

Knopper raconte comment les labels ont écrit de nouveaux contrats pour ce nouveau format, des contrats où figuraient des « réductions d’emballage » et des « indemnités de marchandise gratuite » plus élevées. En plus de ces déductions, les taux de royalties touchés par les artistes ont été réduits. « Après que les labels ont inventé ces nouvelles déductions », ajoute Knopper, « l’artiste moyen touchait 81 cents par disque. À l’époque des vinyles, les artistes touchaient un peu plus de 75 cents par disque. Donc les labels vendaient les CD huit dollars plus cher que les vinyles, mais les artistes ne gagnaient que six cents de plus par album. »

Ces pratiques ont alimenté un boom du CD qui a duré de 1984 à 2000, date à laquelle le sol a commencé à se dérober sous les pieds de l’industrie. Après deux décennies de musique à prix d’or, et d’investissement minimum pour des singles de bas-étage, les labels se sont engraissés en pondant à la chaîne des albums ne contenant que deux tubes. Les autres chansons pouvaient être médiocre, mais les fans qui cherchaient un tube particulier achetaient l’album quoiqu’il arrive (j’en veux pour exemple le fait que j’ai un jour eu en ma possession un exemplaire de l’album Tubthumper de Chumbawamba).

Le succès de Napster a bien montré à l’industrie du disque que le nouveau format majeur était arrivé. Avec tout le blé qu’ils s’étaient fait lors du précédent changement de format, on aurait pu croire que l’industrie serait enchantée de voir débarquer un nouveau système à même de faire consommer plus de musique à plus de fans encore plus vite. Leur priorité numéro 1 aurait dû être de faire de la musique numérique leur nouveau CD, mais ça ne s’est pas passé comme ça. L’industrie a simplement souhaité la mort du numérique.

Une spirale infernale

Le nombre d’interviews que Knopper a réalisées pour le livre est impressionnant ; elles lui permettent de mettre à nu les personnalités qui se cachent derrière l’industrie du disque. Par conséquent, il a aussi à sa disposition de nombreuses anecdotes aussi obscures qu’instructives, comme celle du dirigrant de Liquid Audio (vous vous souvenez de ça ?), Gerry Kearby. Kearby voulait créer l’anti-Napster, un distributeur de musique en ligne légal, qui utiliserait donc des DRM. Mais au moment de négocier avec les labels, personne n’a vraiment voulu s’engager.

Kearby raconte à Knopper l’instant où il a compris que ça ne marcherait jamais. « Un jour, dans un moment de pure sincérité, (un représentant de Sony) m’a dit, « Écoute Kearby, mon rôle, c’est de te couler. Nous ne voulons pas que tu réussisses, à aucun prix. » Certains étaient plus curieux que les autres, pas de doute là-dessus. Mais, au fond, on aurait dit des vendeurs de carrosses cherchant à repousser l’avènement de la voiture aussi longtemps que possible. »

Un des défauts de ce livre, c’est que cette triste histoire d’incompétence numérique est déjà largement connue. Appetite for Self-Destruction n’apporte rien de nouveau pour ceux qui suivent les sites comme Ars Technica. En voici un résumé : après l’affaire Napster, les labels ont commencé à faire joujou en traînant les pieds avec leurs propres services tout pourris (si je vous dis PressPlay ?) mais ne se sont jamais sérieusement mis à la distribution numérique. Il a fallu que Steve Jobs et l’iPod propulsent Apple aux commandes, une position qui leur a permis de lancer l’iTunes Music Store avec le contenu des maisons de disques et d’offrir les chansons pour 1$. Les DRM, que les labels ont imposés, ont assis la position de leader d’Apple sur le marché de la musique aux USA (ils refusaient de mettre leur système Fairplay sous licence, et l’iPod était le lecteur le plus vendu). Les labels n’ont compris que tardivement ce qui s’était passé, après quoi ils ont tenté de mettre des bâtons dans les roues d’Apple en permettant à des magasins comme Amazon de vendre de la musique sans DRM. Il parle aussi un peu de Kazaa, du fiasco que fut le rootkit de Sony BMG, et de la futilité de la campagne de poursuite lancée par la RIAA.

Mais pour l’essentiel des ces informations, on les trouve ailleurs, et pas seulement sous forme d’articles sur les différents blogs ou sites d’information qui ont couvert les évènements. Des auteurs comme Steven Levy dans le livre The Perfect Thing (iPod) ou Joseph Menn dans All the Rave (Napster) abordent les mêmes sujets, mais de manière bien plus détaillée.

Mais même si Appetite for Self-Destruction ne nous sert essentiellement que du réchauffé, ce qui le différencie, c’est l’accent qu’il met sur les personnes, un aspect trop souvent ignoré par les articles techniques. Après lecture, vous n’éprouverez certainement aucune compassion pour les maisons de disque, mais vous comprendrez mieux les grands pontes qui tiraient les ficelles, et les choix qu’ils ont fait à la lumière de leur propre histoire dans l’industrie de la musique.

Knopper réussit aussi très bien à établir un parallèle entre l’épisode Napster/iTunes/P2P et les grandes années du CD (même s’il en résulte un chapitre long et parfois fastidieux sur les boys band qui semble secondaire par rapport au sujet traité). C’est délibéré, et il le fait pour étayer sa propre thèse comme quoi la majorité des problèmes que rencontrent les maisons de disques avec la musique dématérialisée prennent leurs racines dans ces deux décennies passées à s’engraisser sur les ventes de CD. Ils n’étaient tout simplement pas prêts ou pas désireux de s’adapter à un nouveau monde où la musique s’achète à la carte et où les morceaux sont moins chers.

Knopper cite Robert Pittman, co-fondateur de MTV. « Voler de la musique, ce n’est pas tuer la musique », d’après Pittman. « Quand je discute avec les gens de l’industrie de la musique, ils admettent pour la plupart que le problème est surtout qu’ils vendent des chansons et plus des albums. Le calcul est vite fait. »

« Je me suis rendu compte que dans le milieu, nous étions tous à côté de la plaque », confiait Barney Wragg, cadre chez Universal après avoir quitté le label en 2005 (Wragg est entré l’année suivante chez EMI comme responsable de la musique numérique).

Et James Mercer, chanteur du groupe indépendant the Shins, y va encore plus franchement. « Vous voyez tous ces articles à propos de la débacle de l’industrie du disque », dit-il. « Quand on se penche sur toutes les erreurs commises, c’est un peu comme crever ce putain d’abcès et le désinfecter. Merde, c’est vraiment pas une catastrophe pour les groupes. »

Le piquant de ces citations et l’énorme travail d’interview réalisé font de Appetite for Self-Destruction une lecture passionnante. Pas grand chose de neuf pour les inconditionnels de technologie ou les fanas de droit, mais il résume bien quarante ans de personnalités et d’histoire de l’industrie de la musique pour qui veut comprendre comment l’industrie en est arrivée là.

Notes

[1] Crédit photo : Hryck (Creative Commons By)




Recherche évangéliste du Libre désespérément

Eduardoizquierdo -  CC byUne traduction sans prétention qui pose la question des lacunes marketing, supposées ou avérées, du logiciel libre (ou plutôt de l’Open Source pour être plus précis car nous sommes aux US et il est avant tout question de business). Un marketing qui serait porté par des spécialistes que le monde informatique anglo-saxon a pris l’habitude d’appeler des « évangélistes ».

Dans le domaine qui nous préoccupe ici, les évangélistes dignes de ce nom (Stallman, Shuttleworth…) se feraient donc rares et ce serait du coup un handicap alors même que tout est en place pour que logiciel libre crève l’écran LCD[1].

Il est vrai que lorsque l’on observe chez nous le travail de communication d’un Tristan Nitot (sur son blog, en conférence, dans les médias…), on se dit qu’effectivement il est plus qu’utile à Mozilla et, indépendamment de la qualité intrinsèque des produits, cela a dû certainement avoir une influence sur le succès en France et en Europe du navigateur Firefox.

L’Open Source a-t-il besoin de meilleurs évangélistes ?

Does OpenSource Need Better Evangelists

Sam Dean – 20 février 2009 – OStatic
(Traduction Framalang : Aragog, Goofy et Olivier)

Les sociétés commerciales Open Source ont-elles besoin de meilleurs évangélistes ? Tout pousse à le croire. Par exemple, Savio Rodrigues note que dans le récent tour d’horizon des « entreprises les plus novatrices du monde » du magazine Fast Company, pas une seule entreprise Open Source n’est répertoriée. Sun Microsystems figurait sur la liste l’année dernière, mais cette année elle n’apparaît plus que parmi les exclues dans la rubrique « Les 33 sociétés, parmi les 50 bien classées par Fast Company l’an dernier, qui ne figurent plus sur la liste cette fois mais qu’il faut suivre ». Je ne pense pas qu’ici le problème soit lié à un manque d’innovation parmi les candidats Open Source dignes d’une liste comme celle de Fast Company ; c’est plutôt un problème d’évangélisation médiocre.

Le terme « évangéliste » a été largement utilisé pendant des années par d’éminents employés de Microsoft et Apple lorsque ces entreprises se développaient. Je me rappelle avoir pensé que ce mot est étroitement associé à des gens, dont certains sont des fanatiques, qui recherchent une large audience pour les messages religieux. Pourtant, c’est exactement la raison pour laquelle le surnom a été attribué aux gens tels que Guy Kawasaki pour Apple. Le titre était censé évoquer la ferveur, la foi envers la plate-forme, le besoin de transmettre le message à la foule. Et en parlant d’Apple, qui est l’alter ego Open Source de Steve Jobs ?

Dans un article datant de l’année dernière et intitulé « Les quatre choses dont Linux a besoin », Joe Brockmeier soutenait qu’une des quatre choses nécessaires était le « marketing unifié ». Il écrivait :

« Si vous prenez tous les budgets marketing de tous les fournisseurs de Linux, que vous doublez ce chiffre et que vous y ajoutez un zéro, peut-être commenceriez vous à vous approcher de la somme que Microsoft dépense en marketing pour Windows. Les agences de publicité de diverses industries l’ont bien compris — c’est une bonne idée de mettre en commun votre argent pour augmenter votre part de marché quand vous faites conjointement concurrence à une autre entreprise. »

C’est le genre d’effort de marketing unifié que les évangélistes futés pourraient facilement mener, pour Linux certes, mais aussi pour l’Open Source dans son ensemble. Si cela se fait si peu dans la communauté Open Source, c’est en partie parce qu’elle est trop « communautariste », ce qui la dessert. Je pense que la Fondation Linux est en train de faire quelques bonnes percées dans le processus d’unification, mais davantage d’efforts sont nécessaires pour un évangélisme de l’Open Source fort et unifié, et davantage d’argent aussi.

Dana Blankenhorn vient de faire un bon article qui montre que la communauté Open Source s’appuie plus sur des formules que sur les faits. Il montre du doigt les proclamations discutables formulées par Jonathan Schwartz de Sun sur JavaFX, présenté comme « la plate-forme de RIA (Rich Internet Application) dont la croissance est la plus rapide du marché. »

Pourquoi est-ce que Schwartz ne vante pas plutôt le succès fantastique qu’a rencontré récemment MySQL ? C’est aussi cela du bon évangélisme, la diffusion d’informations pertinentes avec force et conviction.

Voici une analyse récente du cloud computing, venant d’un groupe de réflexion de chercheurs de l’université de Californie, à Berkeley. Elle contient 25 pages de petits caractères sur l’état et l’avenir du cloud computing, mais ne mentionne qu’une seule fois l’Open Source, en passant. Voilà où nous en sommes, alors que les progrès de l’Open Source jouent aujourd’hui un rôle vital sur la scène du cloud computing.

Je trouve absurde que Hulu, qui propose du contenu vidéo en ligne (qui l’eut cru ?), soit numéro trois sur la liste des novateurs de Fast Company, alors que pas une seule société Open Source n’y apparait. Le problème n’est pas le manque d’innovation, mais plutôt un manque de bonne communication et un manque crucial d’évangélisme Open Source unifié.

Notes

[1] Crédit photo : Eduardoizquierdo (Creative Commons By)




Entretien avec Richard Stallman (crise, écologie, politiques européennes…)

D'Arcy Norman - CC byC’est un Richard Stallman qui a, comme d’habitude, laissé la langue de bois au vestiaire que nous retrouvons ici au cours d’un entretien rapporté par le magazine britannique eWeekEurope.

Le logiciel libre en toile de fond, il est notamment interrogé sur le Green computing (informatique écologique), les conséquences de la crise et les politiques toujours critiquables du Royaume-Uni et de l’Europe (surtout si l’on persiste à confondre « Open Source » et logiciel libre)[1].

Richard Stallman : Le logiciel libre est meilleur pour l’environnement

Richard Stallman: Free software costs the environment less

Andrew Donoghue – 18 mars 2009 – eWeek Europe
(Traduction Framalang : Olivier et Claude)

Le créateur de GNU affirme que les logiciels libres sont plus durables que les logiciels propriétaires et soutient que le Royaume-Uni et l’Europe ne voient pas le côté éthique des logiciels.

Le président de la Free Software Foundation, Richard Stallman, ne souffre pas les idiots. En fait il ne souffre pas grand chose, surtout quand c’est propriétaire.

Lors d’une conférence de presse qui s’est récemment déroulée à Budapest, à la suite d’un discours assez suivi sur les droits d’auteur, Stallman a prévenu ses hôtes hongrois de ne pas lui demander s’il désire quelque chose car cela ne ferait que l’ennuyer. On peut voir dans cette approche directe de l’arrogance ou simplement l’expression d’un esprit passionné, chacun son point de vue.

Stallman est un personnage passionné, pas de doute la dessus. Et pas seulement au sujet des logiciels libres – il rejette le terme Open Source qui d’après lui n’a rien à voir avec la liberté. Un rapide coup d’œil à son site Internet et vous verrez que l’homme à qui l’on doit le système d’exploitation GNU – qui a ouvert la route à Linux – est en mission contre tout ce qu’il trouve injuste ou qui restreint la liberté.

Stallman a bien en ligne de mire des problèmes divers comme le réchauffement climatique ou les cartes d’identité numériques, des problèmes qui attisent sa fougue au moins autant que son combat principal : les logiciels libres.

Au cours de la conférence de presse et de la session de Questions/Réponses faisant suite à son discours, Stallman a répondu aux questions de EWeek Europe UK, entre autres, pour donner son opinion sur l’informatique dite verte, l’impact de la crise et l’intérêt porté alors aux logiciels libres.

Qu’est-il arrivé à vos chaussures ?

Je les ai enlevées, j’ai rapidement chaud aux pieds.

La crise a-t-elle des conséquences sur l’intérêt porté aux logiciels libres ?

Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que beaucoup de gens continuent à rejoindre la FSF, nous dénombrons plus de membres maintenant qu’il y a un an. Les gens doivent renouveler leur inscription chaque année, donc on reçoit suffisamment de renouvèlement pour que notre base de membre grandisse. Nous ne sommes donc pas affectés. Mais qui suis-je pour l’affirmer.

Certains disent que la crise pousse les entreprises à adopter les logiciels Open Source ou « gratis » ?

Ce n’est pas la même chose. Les logiciels sont les mêmes, mais ce ne sont pas les mêmes idées. Donc…

Mais si vos idées se répandent pas d’autres moyens… c’est positif, non ?

Je ne vais pas dire non à plus d’utilisateurs, mais évidemment, si leur motivation première est l’économie d’un peu d’argent ils oublient l’essentiel, nous devons donc leur montrer qu’il y a plus important. Il ne faut pas oublier aussi que des programmeurs au chômage ce sont des programmeurs qui ont du temps pour écrire des programmes libres. Je ne sais pas encore si ça nous fera plus de bien que de mal. On verra.

Que pensez-vous de l’annonce récente, faite par le gouvernement du Royaume-Uni, d’ouvrir les appels d’offre pour les projets informatiques gouvernementaux aux solutions Open Source ?

Jusqu’à présent ils n’étaient ouverts qu’aux logiciels propriétaires, c’est donc une bonne chose, mais ce n’est toujours pas la bonne politique. Nous savons que le gouvernement britannique n’a aucun respect pour les droits de l’homme. On dirait que Tony « Blair(eau) » et le nouveau Gordon « Clown » donnent l’impression d’être en campagne pour complètement abolir les droits de l’Homme traditionnels. C’est maintenant un crime d’être suspecté au Royaume-Uni, ils peuvent littéralement inculper quelqu’un au motif qu’il est suspect.

Pensez-vous qu’on puisse vraiment qualifier un logiciel de « vert » et si oui, peut-on dire que les logiciels libres sont plus « verts » que les logiciels propriétaires ?

On ne peut pas faire de lien direct entre écologie et logiciels. Mais c’est vrai que Microsoft, en particulier, use de son pouvoir pour forcer les gens à acheter plus de matériel et à mettre au rebut leur vieux matériel, c’est la raison pour laquelle le US Green Party s’est joint à la Free Software Foundation pour condamner WIndows Vista.

De plus, les logiciels libres donnent aux utilisateurs le contrôle. Les logiciels propriétaires assujettissent les utilisateurs au contrôle des développeurs. Si le développeur est une entreprise avide, elle utilisera ce contrôle pour obtenir ce qu’elle veut de la part des utilisateurs, y compris des choses nuisibles ou désagréables. Je pense donc que votre empreinte écologique sera moindre avec des logiciels libres, mais ce n’est qu’une conséquence indirecte.

Pensez-vous que l’Union Européenne en fasse assez pour encourager l’utilisation des logiciels libres ?

Non, en fait l’Union Européenne ne veut pas parler de ce qui touche à la liberté. Ils ont mis en place un groupe pour étudier l’utilisation de « l’Open Source » mais j’ai lu aujourd’hui que ce groupe est infiltré par des organisations financées par Microsoft qui le sabote complètement. Que pouvez-vous espérer quand ils tournent la question de manière à ignorer les problèmes éthiques ? Cela fait des années que Microsoft fait semblant de participer à « l’Open Source », mais c’est bien parce que ce terme n’a aucune connotation éthique, contrairement aux logiciels libres, qu’il est facile pour Microsoft de développer quelques programmes qui se veulent Open Source et de dire « Vous voyez, nous sommes un développeur Open Source », comme ça ils sont invités dans ces commissions et ils peuvent freiner des quatres fers.

Alors que devrait faire l’Union Européenne ?

L’Union Européenne devrait reconnaître que les ordinateurs méritent d’être libérés et elle devrait arrêter d’adopter des directives qui rendent les gens moins libres.

Imaginiez-vous dans les années 70 que Windows, un système d’exploitation propriétaire, serait utilisé par plus de 90 pour cent des ordinateurs ?

Qui sait, je ne pensais pas à ça alors.

Qu’en pensez-vous maintenant ?

Je suis vraiment triste de voir qu’autant de gens utilisent des logiciels propriétaires, cela signifie que les développeurs ont hypnotisé les utilisateurs. Microsoft dispose d’un pouvoir que personne ne devrait jamais avoir. Apple aussi a le pouvoir sur ses utilisateurs.

Microsoft utilise une porte dérobée qui lui permet de modifier les logiciels quand ça lui chante. L’utilisateur n’a aucun contrôle, aucun moyen de se défendre. Windows n’est pas armé pour se protéger du pire auteur de logiciels malveillants, c’est à dire Microsoft. Apple a fait la même chose dans Mac OSX. Et non, GNU/Linux n’a pas de telle porte dérobée en général.

Vous décidez de la version du logiciel que vous voulez installer. Les utilisateurs de logiciels libres ont le contrôle. Si un utilisateur trouve une porte dérobée dans un logiciel libre, quelqu’un en publiera une version épurée et tout le monde l’adoptera. Les utilisateurs de Windows n’ont pas cette possibilité car ils n’ont aucun contrôle.

Notes

[1] Crédit photo : D’Arcy Norman (Creative Commons By)




Cent millions de photos sous licence Creative Commons sur Flickr

Joi - CC byCertains lecteurs me demandent parfois comment je m’y prends pour sélectionner les photographies illustrant les billets du Framablog. Il n’y a pas de secret. Je les sélectionne généralement à partir de cette page du site Flickr en restreignant la recherche aux licences Creative Commons (avec « autorisation d’utilisation commerciale » et « autorisation de modifier, adapter ou développer le contenu »). Exemple avec les tags sky, africa et sad.

Étant un adepte de Flickr depuis quelques années maintenant, j’ai pu observer la qualité croissante des photographies sous licence Creative Commons de l’annuaire, qualité qui allait de pair avec la quantité. Aujourd’hui le blog des Creative Commons est fier de nous annoncer que l’on a dépassé le cap symbolique des cent millions d’images, en offrant à quelques généreux donateurs le très beau livre de portraits de Joi Ito, photographe et accessoirement président actuel de Creative Commons[1].

Fêtons les 100 millions de photos sous Creative Commons de Flickr avec le livre Free Souls de Joi Ito

Celebrate 100 Million CC Photos on Flickr with Joi Ito’s Free Souls

Fred Benenson – 23 mars 2009 – Creative Commons Blog
(Traduction Framalang : Poupoul2)

Durant les dernières semaines, nous avons gardé un oeil attentif sur le nombre de photos de Flickr placées sous licence Creative Commons. Nos calculs nous montrent que Flickr a dépassé le cap des 100 millions de photos sous licences CC quelque part pendant la journée du samedi 21 mars 2009. A la date de lundi (NdT : 23 mars 2009), 100 191 085 photos sous licence CC étaient recensées.

Ces photos ont été utilisées dans des centaines de milliers d’articles de Wikipédia, de messages postés sur des blogs, et même dans des articles de presse traditionnelle; autant d’exemples de créations nouvelles qui n’auraient autrement pas vu le jour sans nos licences publiques standardisées. L’intégration des licences CC dans Flickr est à la fois l’une des premières et l’une des meilleures, non seulement elle permet aux utilisateurs d’associer chaque photo à une licence différente, mais Flickr propose une incroyable page de découverte par licence CC, qui répartit les recherches de matériel licencié CC par licence. Vous pourrez par exemple visualiser toutes les photos de New York sous licence CC Paternité, triées par niveau d’intérêt.

Afin de fêter dignement ce jalon historique de Flickr, nous offrons à douze de nos donateurs à 100$ une copie du livre Free Souls de Joi Ito (président de Creative Commons). Toutes les photos de Joi ne sont pas placées sous la plus permissive de nos licences, Paternité, mais elles sont également disponibles au téléchargement sur Flickr. En donnant à Creative Commons aujourd’hui, vous apportez votre support au travail que nous réalisons et vous recevrez l’une des 1024 copies du livre de Joi en édition limitée.

Notes

[1] Crédit Photo : Joi Ito (Creative Commons By)




The Copyright Song

Daphné Kauffmann - The Copyright SongNina Paley est la femme à tout faire du film d’animation Sita Sings the Blues, que nous évoquions récemment dans un billet annonçant aussi bien sa « libération » que ses rocambolesques déboires avec les ayant-droits de la bande musicale.

Elle nous offre ici un petit refrain tout à fait charmant qui, sait-on jamais en ces temps d’Hadopi, pourrait bien devenir aussi célèbre et fédérateur que la Free Software Song de Richard Stallman !

Vous en trouverez les paroles ainsi que leur traduction ci-dessous. Et dans la mesure où Nina nous invite à créer nos propres interprétations de sa chanson, j’ai mis mon écrivain, blogueuse, musicienne de sœur à contribution pour initier le mouvement. Sous l’œil bienveillant (et parfois un peu décalé) de sa webcam artisanale, elle nous en propose trois « copies » : un version « soft », une version « hard » et une version française de sa composition.

—> La vidéo au format webm

The Copyright Song

URL d’origine du document

Nina Paley – 17 mars 2009 – Licence Creative Commons By-Sa
(Traduction et sous-titrage Framalang : Joan et Yostral)

Copying isn’t theft
Stealing a thing leaves one less left
Copying it makes one thing more
That’s what copying’s for.

Copying isn’t theft
If I copy yours, you have it too
One for me and one for you
That’s what copies can do.

If I steal your bicycle,
You have to take the bus
But if I just copy it,
There’s one for each of us!

Making more of a thing
That is what we call copying
Sharing ideas with everyone
That’s why copying…
…Is fun!

Traduction

Copier n’est pas voler
Voler une chose en enlève une
La copier en rajoute une
C’est à ça que sert la copie.

Copier n’est pas voler
Si je copie la tienne, tu l’as toujours
Une pour moi et une pour toi
C’est le pouvoir des copies.

Si je vole ton vélo,
Tu devras prendre le bus
Mais si je ne fais que le copier,
On en aura un chacun !

Multiplier une chose
C’est ce qu’on appelle copier
Partager ses idées avec tout le monde
C’est ce qui fait que copier…
…Est fun !

Premiers remix par Daphné Kauffmann

Version « soft » :

—> La vidéo au format webm

Version « hard » :

—> La vidéo au format webm

Version française :

—> La vidéo au format webm

Copier n’est pas voler
Si on me vole, je n’ai plus rien
Si on copie, je n’ai pas moins
Copier c’est partager

Copier n’est pas voler
Je copie le tien, tu en gardes un
Et on a chacun le sien
C’est tout l’art de copier

Si je te vole ton vélo
Tu dois prendre le métro
Mais si j’en fais une copie
Tu en gardes un aussi

Faire d’une chose deux
C’est ce qu’on appelle la copie
On partage ses idées ainsi
C’est pourquoi copier…
…c’est mieux !

Paroles sous licence Creative Commons By-Sa par Daphné Kauffmann




Espérons que cela reste absurde !

Quand une bande de joyeux drilles (de chez LoadingReadyRun) s’amusent à plonger les fameux Contrats de Licence Utilisateur Final (CLUF) dans la vrai vie, cela donne cette savoureuse petite vidéo que nous n’avons pu nous empêcher de sous-titrer.

On pense à Facebook bien sûr, et derrière lui tout le web 2.0, mais on pense également aux licences de logiciels propriétaires que nous signons le plus souvent les yeux fermés.

Nous sommes en 2009. Orwell et Ionesco nous ont quittés depuis longtemps…

—> La vidéo au format webm

À propos d’Orwell et de pastiche, j’imagine que vous avez déjà vu cet extrait viral du film Brazil de Terry Gilliam, revu et corrigé par la Quadrature du Net.

Si tel n’était pas le cas, le voici :

La vidéo au format webm.




Open Education avec les professeurs Mozilla et Creative Commons

Lepiaf.geo - CC byVoici une excellente nouvelle (que vous ne trouverez pas dans le Café Pédagogique) : l’annonce d’un prochain séminaire de cours en ligne autour de « l’Open Education », réalisé conjointement par les deux poids lourds du « mouvement du Libre » que sont Mozilla et Creative Commons.

Ce concept « d’Open Education » demeure un peu flou (Wikipédia a encore du mal à le définir, c’est vous dire), mais ce sera justement l’occasion de le préciser. Disons qu’il regroupe non seulement les Ressources Éducatives Libres que la technologie associée (logiciels libres, formats ouverts…), sans oublier les modes collaboratifs de production.

Il sera destiné à tout éducateur intéressé par le sujet (c’est-à-dire dans quelques années à tout éducateur tout court). Le nombre de places est bien entendu limité mais les autres pourront accéder en temps réel aux cours dont, fallait-il le préciser, toutes les ressources seront placées sous licence libre (Creative Commons By)[1].

Pour ce qui me concerne, je suis ravi de trouver aussi Mozilla sur ce terrain-là. J’y vois en effet une piste plus qu’intéressante pour minimiser à terme l’influence trop forte de Microsoft dans le secteur éducatif, sachant que cette influence est beaucoup plus une question de mentalités, voire de culture, qu’une question pratique liée à la technique et au logiciel.

Mozilla et CreativeCommons vont donner des séminaires en ligne sur « l’Open Education »

Mozilla and CC to teach online seminar on open education

Jane Park – 17 mars 2009 – Creative Commons Blog
(Traduction Framalang : Don Rico)

ccLearn, en collaboration avec la Peer 2 Peer University et Mozilla, va former les enseignants, ou toute autre personne intéressée par l’initiative, sur les aspects pratiques de l’éducation ouverte (NdT : « open education »). Voici un extrait du wiki du stage :

« Ce stage de six semaines s’adresse aux enseignants, qui acquerront les compétences élémentaires en matière de licences, de technologie et de pédagogie ouvertes (NdT : « open pedagogy »). Ils travailleront sur des prototypes de projets d’éducation ouverte, et bénéficieront de l’expérience de certains des plus grands noms internationaux de l’innovation.

Le stage commencera par un séminaire en ligne le jeudi 2 avril et s’étalera sur 6 semaines.

Lors de séminaires en ligne hebdomadaires, on abordera de nouveaux sujets traitant par exemple du choix de licence pour les contenus, des dernières technologies ouvertes et des pratiques d’évaluation collégiale. Les participants partageront des idées de projets avec une communauté de pairs, travailleront sur des projets individuels, et recevront des retours de tuteurs chevronnés. On s’intéressa aussi de très près à certains des exemples de pédagogie ouverte les plus novateurs, et discutera avec leurs concepteurs. On étudiera par exemple :

  • Les cours sur les logiciels libres délivrés à l’université de Seneca ;
  • L’Introduction à la pédagogie ouverte de David Wiley ;
  • L’infrastructure de blog ouverte de l’université de Mary Washington ; etc.

Ce stage est destiné aux enseignants qui souhaitent contribuer à l’élaboration de l’enseignement ouvert de demain.

Vous désirez participer ? Rendez-vous sur le wiki du stage, et soumettez-nous vos idées de projets !

Descriptif du stage : https://wiki.mozilla.org/Education/EduCourse

Inscriptions : https://wiki.mozilla.org/Education/EduCourse/SignUp

Si vous avez des questions concernant le stage ou la procédure d’inscription, veuillez contacter :

Philipp Schmidt
Peer 2 Peer University
philipp AT peer2peeruniversity.org »

Les créneaux vont se remplir très vite, mais cela n’empêchera pas les non-inscrits de bénéficier d’un accès complet et ouvert au stage en temps réel. Et puisque les matériaux de Mozilla Education, mis à disposition sous licence CC BY, peuvent être réutilisés, redistribués et remixés, les utilisateurs sont libres de créer un wiki miroir et de mettre en place leurs propres projets.

Notes

[1] Crédit photo : Lepiaf.geo (Creative Commons By)