Des routes et des ponts (8) – ce qui motive les contributeurs

Participer à l’open source est souvent une activité bénévole donc non rémunérée mais qui peut parfois devenir chronophage et difficilement compatible avec une autre activité ou un emploi. Nadia Eghbal, dans ce nouveau chapitre nous donne à voir aujourd’hui les trois motivations principales des contributeurs de l’open source.

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Image de Cécile Delannoy, Photo Philippe Boubovska CC-BY 2.0

Pourquoi les gens continuent-ils de contribuer à ces projets, alors qu’ils ne sont pas payés pour cela ?

Traduction Framalang : Adélie, goofy, xi, woof, Diane, Asta, Rozmador, Lumibd, Piup, teromene, mika, lyn. et deux anonymes
De nombreuses infrastructures numériques sont entretenues par des contributeurs individuels ou par une communauté de contributeurs. Dans la plupart des cas, ces contributeurs ne sont pas directement rémunérés pour ce travail. En réalité, ils contribuent pour des raisons propres aux communautés open source, pour se construire une réputation, par exemple, ou dans un esprit de service public. Ce chapitre explorera certaines de ces motivations plus en détail.

Contribuer à l’open source pour se construire une réputation.

Se construire une réputation est peut-être la motivation la plus concrète pour contribuer à un projet open source. Pour les développeurs, rédacteurs techniques et autres, ces projets sont une occasion de faire leurs preuves en public, et leur offrent une chance de participer à quelque chose de grand et d’utile.
Dans le cadre d’un programme appelé Google Summer of Code (l’été du code de Google), Google propose des bourses d’été à des étudiants développeurs pour qu’ils contribuent à des projets open source populaires. Le programme fonctionne bien, parce que les développeurs sont des étudiants, novices dans le domaine de l’informatique et avides de démontrer leurs talents.
Les développeurs, en particulier, tirent profit de leurs expériences de contribution à l’open source pour se constituer un portfolio. De plus, en contribuant à des projets populaires dotés de communautés actives, un développeur a des chances de se construire une réputation en devenant « connu ».

GitHub, site web déjà cité, est une plateforme populaire pour l’élaboration collaborative de code. Quand un développeur contribue à un projet public de logiciel, ses contributions apparaissent sur son profil. Le profil GitHub d’un développeur peut faire office de portfolio pour des sociétés de logiciels, mais seules les contributions effectuées pour des projets publics (c’est-à-dire open source) sont visibles par tous.

Cependant, les motivations basées sur la réputation ne sont pas dénuées de risques, surtout parmi les jeunes développeurs. Un développeur dont la carrière est encore naissante peut contribuer à un projet open source dans le seul but de trouver un employeur, puis arrêter de contribuer une fois cet objectif atteint. De plus, un développeur cherchant uniquement à se construire un portfolio risque de proposer des contributions de moindre qualité, qui ne seront pas acceptées et qui pourront même ralentir le processus de développement du projet. Enfin, si le but d’une contribution publique de la part d’un développeur est de se construire une réputation, alors ce développeur sera tenté de contribuer uniquement aux projets les plus populaires et attractifs (une extension du « syndrome de la pie » déjà évoqué), et de ce fait, les projets plus anciens auront du mal à trouver de nouveaux contributeurs.

Le projet est devenu très populaire de manière inattendue, et son développeur se sent obligé d’en assurer le suivi.

Des entreprises, des particuliers ou des organisations peuvent devenir dépendants d’un projet open source populaire. En d’autres termes, le code est utilisé dans des logiciels opérationnels, écrits et déployés par d’autres, ces logiciels peuvent servir pour un tas de choses : achats en ligne ou soins médicaux. En raison de la complexité du réseau de dépendances (dont beaucoup ne sont même pas connues de l’auteur du projet, puisqu’il ne peut pas savoir exactement qui utilise son code), la personne qui maintient le projet peut se sentir moralement obligée de continuer à l’entretenir.
Arash Payan, le développeur d’Appirater mentionné au début de ce rapport, a publié son projet en 2009. Au sujet de sa décision de continuer à maintenir le projet, il déclare :

« Ce n’est pas quelque chose de très excitant, mais il y a tellement de gens qui utilisent le projet (qui en dépendent, même ?) pour leurs applications, que je me sens obligé d’en prendre soin correctement. Personnellement, j’ai quitté iOS, donc maintenir une bibliothèque iOS n’est pas exactement la première chose que je veux faire de mon temps libre. »

Payan estime que maintenir le projet à jour lui prend 1 à 2 heures par mois maximum, donc cela ne le dérange pas.
Mais certains projets devenus populaires de façon inattendue prennent plus de temps à maintenir. Andrey Petrov est un développeur indépendant qui a écrit une bibliothèque Python appelée urllib3. Sa publication en 2008 fut une avancée majeure pour la bibliothèque standard déjà existante, et elle est devenue populaire parmi les développeurs Python. Aujourd’hui, tous les utilisateurs de Python en dépendent.
Andrey a rendu le projet open source dans l’espoir que d’autres gens soutiendraient son développement et sa maintenance. Il est développeur indépendant ; bien qu’il apprécie de maintenir urllib3, il ne peut s’en occuper que pendant son temps libre puisqu’il n’est pas payé pour ce travail. Cory Benfield, qui est employé par la Hewlett Packard Enterprise pour aider à maintenir des bibliothèques Python d’importance critique (que HPE utilise et dont HPE dépend), est désormais affecté à la maintenance de urllib3 dans le cadre de son travail ; cela a allégé la charge de travail d’Andrey.

Le projet est une passion plus qu’un travail

Eric Holsher est l’un des créateurs de Read the Docs, une plateforme qui héberge de la documentation sur des logiciels. La documentation est l’équivalent d’un mode d’emploi. De même qu’on a besoin d’un mode d’emploi pour monter un meuble, un développeur a besoin de documentation pour savoir comment implémenter un projet. Sans la documentation adéquate, il serait difficile pour un développeur de savoir par où commencer.
Read the Docs fournit de la documentation pour 18 000 logiciels, y compris pour des entreprises clientes, et compte plus de 15 millions de pages consultées chaque mois.
Bien qu’il génère des revenus grâce à de grosses sociétés clientes, le projet Read the Docs est toujours majoritairement financé par les dons de ses utilisateurs. Le coût des serveurs est quant à lui couvert grâce au mécénat de l’entreprise Rackspace.
Eric et son cofondateur, Anthony Johnson, s’occupent de la maintenance du projet et n’en tirent pas de revenus réguliers bien qu’ils s’y consacrent à temps plein. Une subvention ponctuelle de 48 000 $ de la Fondation Mozilla, reçue en décembre 2015, les aidera à court terme à couvrir leurs salaires. Ils expérimentent actuellement un modèle publicitaire (qui ne piste pas ses utilisateurs) qui rendrait le modèle viable.
Eric remarque que la difficulté ne réside pas uniquement dans le travail de développement, mais aussi dans les fonctions extérieures au code, comme le support client, qui nécessite qu’un mainteneur soit d’astreinte chaque week-end en cas de problème. Pour expliquer pourquoi il continuait de maintenir le projet, Eric l’a qualifié de « travail-passion ».

« Soit les humains sont irrationnels, soit ils ne sont pas intéressés seulement par l’argent. Il y a clairement une autre motivation pour moi dans ce cas. C’est un travail-passion. Si je le voulais, je pourrais clore ce projet demain et ne plus jamais y revenir, mais je travaille dessus depuis 5 ans et je n’ai aucune envie que ça se termine. »

Eric est motivé pour travailler sur Read the Docs parce qu’il perçoit la valeur que cela crée pour les autres. Pour beaucoup de mainteneurs de projets, cet impact sur autrui est la première motivation, parce qu’ils peuvent directement constater l’effet positif que leur travail a sur la vie d’autres personnes. En ce sens, l’open source a beaucoup de points communs avec le secteur à but non-lucratif. Cependant, tout comme dans le secteur à but non-lucratif, cette mentalité de « travail-passion » peut augmenter la difficulté qu’ont les communautés open source à aborder le sujet qui fâche : comment pérenniser des projets qui nécessitent davantage de ressources et d’attention que ce que les contributeurs actuels peuvent fournir ?




Si Google vous ignore, votre projet est en péril

L’affaire a eu un certain retentissement : une entreprise qui propose du courrier électronique chiffré à ses clients et dont la croissance commence à faire de l’ombre à Gmail disparaît subitement des écrans de radar, ou plutôt des premières pages de la recherche Google, ce qui met en danger son modèle économique.

Aujourd’hui tout est réparé, mais cet épisode illustre une fois de plus le pouvoir de nuisance de Google dans la recherche sur Internet, qui est désormais un tentacule parmi d’autres de la pieuvre Alphabet.

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Remerciements particuliers au graphiste James Belkevitz de Glasgow pour cette image

Traduction Framalang : Penguin, goofy, Asta, Rozmador, Lumibd, KoS, xi
Article original sur le site de ProtonMail : Search Risk – How Google Almost Killed ProtonMail

Le risque de la recherche — Comment Google a bien failli faire disparaître ProtonMail

par Andy Yen

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Andy est un cofondateur de ProtonMail

Ces deux derniers mois, nombre d’entre vous nous ont contactés pour en savoir plus sur le mystérieux tweet que nous avons envoyé à Google en août. Chez ProtonMail, la transparence est une valeur fondamentale, et nous essayons d’être aussi transparents envers notre communauté que possible. Comme beaucoup de gens continuent à nous poser des questions, nous devons être plus transparents à ce sujet pour éviter toute confusion et spéculation. C’est pourquoi nous racontons toute l’affaire aujourd’hui pour clarifier ce qui est arrivé.

Que s’est-il passé ?

Pour faire court, depuis un an Google ne faisait pas apparaître ProtonMail dans les résultats de recherche (NdT : en langue anglaise) sur les requêtes telles que secure email (e-mail sécurisé) et encrypted email (e-mail chiffré). C’était très suspect car ProtonMail a longtemps été le plus important fournisseur de messagerie chiffrée au monde.

Lorsque la version bêta de ProtonMail a été lancée en mai 2014, notre communauté a rapidement grandi tandis que des gens du monde entier se sont réunis et nous ont soutenu dans notre mission de protection de la vie privée à l’ère numérique. Notre campagne de financement collaboratif a battu tous les records en récoltant plus d’un demi-million de dollars des donateurs et nous a fourni les ressources nécessaires afin d’être compétitifs, même contre les plus gros mastodontes du secteur de l’e-mail.

À l’été 2015, ProtonMail avait passé la barre du demi-million d’utilisateurs et était le service sécurisé de courriels le plus connu au monde. ProtonMail était aussi bien classé à l’époque dans les résultats de recherche de Google, sur la première ou la deuxième page pour la plupart des requêtes comme secure email et encrypted email. Pourtant, à la fin du mois d’octobre 2015, la situation avait complètement changé, et ProtonMail n’apparaissait mystérieusement plus dans les résultats de recherche pour nos deux mots-clefs principaux.

Entre le début de l’été et l’automne 2015, ProtonMail a, il faut le souligner, connu beaucoup de changements. Nous avons lancé ProtonMail 2.0, sommes passés complètement en open source, nous avons lancé des applications mobiles en bêta, et nous avons mis à jour notre site, remplaçant notre ancien domaine de premier niveau .ch par .com, plus connu. Nous avons aussi doublé en taille, atteignant près d’un million d’utilisateurs à l’automne. Tous ces changements auraient dû amélioré le classement de ProtonMail dans les résultats de recherche puisque nous offrions une solution de plus en plus pertinente pour davantage d’utilisateurs.

En novembre 2015, nous nous sommes aperçu du problème et avons consulté un certain nombre d’experts en référencement reconnus. Aucun d’entre eux ne pouvait comprendre le problème, en particulier parce que ProtonMail n’a jamais utilisé de tactiques déloyales de référencement, et que nous n’avons jamais observé l’utilisation de ces mêmes techniques contre nous. Mystérieusement, le problème était entièrement restreint à Google, puisque cette anomalie n’était constatée pour aucun autre moteur de recherche. Ci-dessous, le classement dans les résultats de recherche de ProtonMail pour les mots-clefs secure email et encrypted email au début du mois d’août 2016 pour les principaux moteurs de recherche. Nous apparaissons sur la première ou la deuxième page partout sauf pour Google où nous n’apparaissons pas du tout.

protonmail_seo_rank_augustTout au long du printemps 2016, nous avons tenté activement d’établir le contact avec Google. Nous avons créé deux tickets sur leur formulaire de signalement de spam où nous expliquions la situation. Nous avons même contacté le président des Relations Stratégiques EMOA chez Google, mais n’avons ni reçu de réponse ni constaté d’amélioration. Vers cette époque, nous avons aussi entendu parler de l’action liée au droit de la concurrence engagée par la Commission Européenne contre Google, accusant Google d’abuser de son monopole sur les recherches pour abaisser le classement de ses concurrents. Il s’agissait d’une nouvelle inquiétante, car en tant que service de courriels qui valorise d’abord la vie privée des utilisateurs, nous sommes la première alternative à Gmail pour les personnes qui souhaitent que leurs données personnelles restent confidentielles.

En août, à défaut d’autre solution, nous nous sommes tournés vers Twitter pour exposer notre problème. Cette fois, nous avons enfin eu une réponse, en grande partie grâce aux centaines d’utilisateurs de ProtonMail qui ont attiré l’attention sur notre situation et l’ont rendue impossible à ignorer. Quelques jours plus tard, Google nous a informés qu’ils avaient « réparé quelque chose » sans fournir plus de détails. Les résultats ont été visibles immédiatement.

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Classement dans les résultats de recherche Google de ProtonMail pour Encrypted Email

Dans le graphique ci-dessus, l’axe des abscisses représente le temps et l’axe des ordonnées le classement dans les résultats (les nombres les plus bas sont les meilleurs). Les dates pour lesquelles il n’y a pas de point correspondent à des moments où nous n’apparaissions pas du tout dans les résultats de Google. Après les quelques changements de Google, le classement de ProtonMail s’est immédiatement rétabli et ProtonMail est maintenant n°1 et n°3 respectivement pour secure email et encrypted email. Sans plus d’explications de la part de Google, nous ne saurons sans doute jamais pourquoi ProtonMail a été déclassé. En tout cas, nous apprécions le fait que Google ait enfin fait quelque chose pour résoudre le problème, nous aurions seulement souhaité qu’ils le fassent plus tôt.

Le risque de la recherche

Cet incident souligne cependant un danger auparavant méconnu que nous appelons maintenant le « Risque de la Recherche ». Le danger est que n’importe quel service comme ProtonMail peut facilement être supprimé par les entreprises qui gèrent les moteurs de recherche, ou le gouvernement qui contrôle ces entreprises. Cela peut même arriver à travers les frontières nationales. Par exemple, même si Google est une société américaine, elle contrôle plus de 90 % du trafic de recherche européen. Dans ce cas précis, Google a directement causé une réduction de la croissance mondiale de ProtonMail de plus de 25 % pendant plus de dix mois.

Cela signifiait que les revenus que Protonmail tirait de ses utilisateurs ont été aussi été réduits de 25 %, mettant de la pression financière sur nos activités. Nous sommes passés  de la capacité à  couvrir toutes nos dépenses mensuelles à la nécessité de puiser de l’argent de notre fonds de réserve d’urgence. La perte de revenus et les dommages financiers consécutifs ont été de plusieurs milliers de francs suisses (1 CHF = 1,01 USD), qui ne seront jamais remboursés.

La seule raison pour laquelle nous avons survécu pour raconter cette histoire est que la majeure partie de la croissance de ProtonMail provient du bouche à oreille, et que notre communauté est trop active pour l’ignorer. Bien d’autres entreprises ne seront pas aussi chanceuses. Cet épisode montre que bien que les risques en matière de recherche internet sont sérieux, et nous soutenons donc maintenant la commission européenne : compte tenu de la position hégémonique de Google sur la recherche web, plus de transparence et de surveillance sont indispensables.

Se défendre contre le risque de la recherche

Cet épisode démontre que pour que ProtonMail réussisse, il est important que nous puissions nous développer indépendamment des moteurs de recherche, de sorte qu’il devienne impossible pour n’importe quelle entreprise qui gère la recherche de nous paralyser sans le vouloir. Plus facile à dire qu’à faire, mais voici une liste d’actions que nous pouvons tous mener pour préserver l’avenir de ProtonMail :

  • Parler de ProtonMail à vos amis et votre famille. Vous en tirerez également un autre avantage : le chiffrement automatique de bout en bout lorsque vous leur enverrez un courriel ;
  • Écrire des billets de blog sur ProtonMail et aidez à diffuser le message sur l’importance de la vie privée en ligne ;
  • Passer à un compte payant ou faites un don afin que nous puissions reconstituer plus rapidement notre fonds de réserve d’urgence épuisé ;
  • Aider ProtonMail à atteindre davantage d’utilisateurs à travers les réseaux sociaux. Vous pouvez tweeter ou partager ProtonMail sur Facebook avec les boutons de partage ci-dessous.

Plus nous diffuserons l’idée que la vie privée en ligne est très importante, plus nous rendrons impossible de supprimer ou interdire les services de messagerie chiffrés tels que ProtonMail, ou d’exercer sur eux une pression quelconque. Nous croyons que la vie privée en ligne est essentielle pour un avenir ouvert, démocratique et libre, et quels que soient les obstacles devant nous, nous allons continuer à élaborer les outils nécessaires pour protéger cet avenir. Nous vous remercions de nous soutenir et de rendre cela possible.

Cordialement,
L’équipe ProtonMail




Des routes et des ponts (7) – pour une infrastructure durable

Une question épineuse pour les projets libres et open source est leur maintenance à long terme, et bien évidemment les ressources, tant financières qu’humaines, que l’on peut y consacrer. Tel est le sujet qu’aborde ce nouveau chapitre de l’ouvrage de Nadia Eghbal Des routes et des ponts que le groupe Framalang vous traduit semaine après semaine (si vous avez raté les épisodes précédents)

Elle examine ici une série de cas de figures en fonction de l’origine de l’origine projet.

Comment les projets d’infrastructure numérique sont-ils gérés et maintenus ?

TraductionFramalang : Diane, Penguin, Asta, Rozmador, Lumibd, jum-s, goofy, salade, AFS, Théo

Nous avons établi que les infrastructures numériques sont aussi nécessaires à la société moderne que le sont les infrastructures physiques. Bien qu’elles ne soient pas sujettes aux coûts élevés et aux obstacles politiques auxquels sont confrontées ces dernières, leur nature décentralisée les rend cependant plus difficiles à cerner. Sans une autorité centrale, comment les projets open source trouvent-ils les ressources dont ils ont besoin ?

En un mot, la réponse est différente pour chaque projet. Cependant, on peut identifier plusieurs lieux d’où ces projets peuvent  émaner : au sein d’une entreprise, via une startup, de développeurs individuels ou collaborant en communauté.

Au sein d’une entreprise

Parfois, le projet commence au sein d’une entreprise. Voici quelques exemples qui illustrent par quels moyens variés un projet open source peut être soutenu par les ressources d’une entreprise :

Go, le nouveau langage de programmation évoqué précédemment, a été développé au sein de Google en 2007 par les ingénieurs Robert Griesemer, Rob Pike, et Ken Thompson, pour qui la création de Go était une expérimentation. Go est open source et accepte les contributions de la communauté dans son ensemble. Cependant, ses principaux mainteneurs sont employés à plein temps par Google pour travailler sur le langage.

React est une nouvelle bibliothèque JavaScript dont la popularité grandit de jour en jour.
React a été créée par Jordan Walke, ingénieur logiciel chez Facebook, pour un usage interne sur le fil d’actualités Facebook. Un employé d’Instagram (qui est une filiale de Facebook) a également souhaité utiliser React, et finalement, React a été placée en open source, deux ans après son développement initial.
Facebook a dédié une équipe d’ingénieurs à la maintenance du projet, mais React accepte aussi les contributions de la communauté publique des développeurs.

Swift, le langage de programmation utilisé pour iOS, OS X et les autres projets d’Apple, est un exemple de projet qui n’a été placé en open source que récemment. Swift a été développé par Apple en interne pendant quatre ans et publié en tant que langage propriétaire en 2014. Les développeurs pouvaient utiliser Swift pour écrire des programmes pour les appareils d’Apple, mais ne pouvaient pas contribuer au développement du cœur du langage. En 2015, Swift a été rendu open source sous la licence Apache 2.0.

Pour une entreprise, les incitations à maintenir un projet open source sont nombreuses. Ouvrir un projet au public peut signifier moins de travail pour l’entreprise, grâce essentiellement aux améliorations de la collaboration de masse.
Cela stimule la bonne volonté et l’intérêt des développeurs, qui peuvent alors être incités à utiliser d’autres ressources de l’entreprise pour construire leurs projets.

Disposer d’une communauté active de programmeurs crée un vivier de talents à recruter. Et parfois, l’ouverture du code d’un projet aide une entreprise à renforcer sa base d’utilisateurs et sa marque, ou même à l’emporter sur la concurrence. Plus une entreprise peut capter de parts de marché, même à travers des outils qu’elle distribue gratuitement, plus elle devient influente. Ce n’est pas très différent du concept commercial de « produit d’appel ».

Même quand un projet est créé en interne, s’il est open source, alors il peut être librement utilisé ou modifié selon les termes d’une licence libre, et n’est pas considéré comme relevant de la propriété intellectuelle de l’entreprise au sens traditionnel du terme. De nombreux projets d’entreprise utilisent des licences libres standard qui sont considérées comme acceptables par la communauté des développeurs telles que les licences Apache 2.0 ou BSD. Cependant, dans certains cas, les entreprises ajoutent leurs propres clauses. La licence de React, par exemple, comporte une clause additionnelle qui pourrait potentiellement créer des conflits de revendications de brevet avec les utilisateurs de React.

En conséquence, certaines entreprises et individus sont réticents à utiliser React, et cette décision est fréquemment décrite comme un exemple de conflit avec les principes de l’open source.

Via une startup

Certains projets d’infrastructures empruntent la voie traditionnelle de la startup, ce qui inclut des financements en capital-risque. Voici quelques exemples :
Docker, qui est peut-être l’exemple contemporain le plus connu, aide les applications logicielles à fonctionner à l’intérieur d’un conteneur. (Les conteneurs procurent un environnement propre et ordonné pour les applications logicielles, ce qui permet de les faire fonctionner plus facilement partout). Docker est né en tant que projet interne chez dotCloud, une société de Plate-forme en tant que service (ou PaaS, pour  platform as a service en anglais), mais le projet est devenu si populaire que ses fondateurs ont décidé d’en faire la principale activité de l’entreprise. Le projet Docker a été placé en open source en 2013. Docker a collecté 180 millions de dollars, avec une valeur estimée à plus d’1 milliard de dollars.

Leur modèle économique repose sur du support technique, des projets privés et des services. Les revenus de Docker pour l’année 2014 ne dépassaient pas 10 millions de dollars.

Npm est un gestionnaire de paquets sorti en 2010 pour aider les développeurs de Node.js à partager et à gérer leurs projets. Npm a collecté près de 11 millions de dollars de financements depuis 2014 de la part de True Ventures et de Bessemer Ventures, entre autres. Leur modèle économique se concentre sur des fonctionnalités payantes en faveur de la vie privée et de la sécurité.

Meteor est un framework JavaScript publié pour la première fois en 2012. Il a bénéficié d’un programme d’incubation au sein de Y Combinator, un prestigieux accélérateur de startups qui a également été l’incubateur d’entreprises comme AirBnB et Dropbox. À ce jour, Meteor a reçu plus de 30 millions de dollars de financements de la part de firmes comme Andreessen Horowitz ou Matrix Partners. Le modèle économique de Meteor se base sur une plateforme d’entreprise nommée Galaxy, sortie en Octobre 2015, qui permet de faire fonctionner et de gérer les applications Meteor.

L’approche basée sur le capital-risque est relativement nouvelle, et se développe rapidement.
Lightspeed Venture Partners a constaté qu’entre 2010 et 2015, les sociétés de capital-risque ont investi plus de 4 milliards de dollars dans des entreprises open source, soit dix fois plus que sur les cinq années précédentes.

Le recours aux fonds de capital-risque pour soutenir les projets open source a été accueilli avec scepticisme par les développeurs (et même par certains acteurs du capital-risque eux-mêmes), du fait de l’absence de modèles économiques ou de revenus prévisibles pour justifier les estimations. Steve Klabnik, un mainteneur du langage Rust, explique le soudain intérêt des capital-risqueurs pour le financement de l’open source :

« Je suis un investisseur en capital-risque. J’ai besoin qu’un grand nombre d’entreprises existent pour gagner de l’argent… J’ai besoin que les coûts soient bas et les profits élevés. Pour cela, il me faut un écosystème de logiciels open source en bonne santé. Donc je fais quoi? … Les investisseurs en capital-risque sont en train de prendre conscience de tout ça, et ils commencent à investir dans les infrastructures. […]
Par bien des aspects, le matériel open source est un produit d’appel, pour que tu deviennes accro…puis tu l’utilises pour tout, même pour ton code propriétaire. C’est une très bonne stratégie commerciale, mais cela place GitHub au centre de ce nouvel univers. Donc pour des raisons similaires, a16z a besoin que GitHub soit génial, pour servir de tremplin à chacun des écosystèmes open source qui existeront à l’avenir… Et a16z a suffisamment d’argent pour en «gaspiller » en finançant un projet sur lequel ils ne récupéreront pas de bénéfices directs, parce qu’ils sont suffisamment intelligents pour investir une partie de leurs fonds dans le développement de l’écosystème. »

GitHub, créé en 2008, est une plateforme de partage/stockage de code, disponible en mode public ou privé, doté d’un environnement ergonomique. Il héberge de nombreux projets open source populaires et, surtout, il est devenu l’épicentre culturel de la croissance explosive de l’open source (dont nous parlerons plus loin dans ce rapport).
GitHub n’a reçu aucun capital-risque avant 2012, quatre ans après sa création. Avant cette date, GitHub était une entreprise rentable. Depuis 2012, GitHub a reçu au total 350 millions de dollars de financements en capital-risque.

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Image par Nick Quaranto (CC BY-SA 2.0)

Andreessen Horowitz (alias a16z), la firme d’investissement aux 4 millards de dollars qui a fourni l’essentiel du capital de leur première levée de fonds de 100 millions de dollars, a déclaré qu’il s’agissait là de l’investissement le plus important qu’elle ait jamais fait jusqu’alors.
En d’autres termes, la théorie de Steve Klabnik est que les sociétés de capital-risque qui investissent dans les infrastructures open source promeuvent ces plateformes en tant que « produit d’appel », même quand il n’y a pas de modèle économique viable ou de rentabilité à en tirer, parce que cela permet de faire croître l’ensemble de l’écosystème. Plus GitHub a de ressources, plus l’open source est florissant. Plus l’open source est florissant, et mieux se portent les startups. À lui seul, l’intérêt que portent les sociétés d’investissement à l’open source, particulièrement quand on considère l’absence de véritable retour financier, est une preuve du rôle-clé que joue l’open source dans l’écosystème plus large des startups.
Par ailleurs, il est important de noter que la plateforme GitHub en elle-même n’est pas un projet open source, et n’est donc pas un exemple de capital-risque finançant directement l’open source. GitHub est une plateforme à code propriétaire qui héberge des projets open source. C’est un sujet controversé pour certains contributeurs open source.

 

Par des personnes ou un groupe de personnes

Enfin, de nombreux projets d’infrastructures numériques sont intégralement développés et maintenus par des développeurs indépendants ou des communautés de développeurs. Voici quelques exemples :

Python, un langage de programmation, a été développé et publié par un informaticien, Guido van Rossum, en 1991.
Van Rossum déclarait qu’il « était à la recherche d’un projet de programmation « passe-temps », qui [le] tiendrait occupé pendant la semaine de Noël. »
Le projet a décollé, et Python est désormais considéré comme l’un des langages de programmation les plus populaires de nos jours.

Van Rossum reste le principal auteur de Python (aussi connu parmi les développeurs sous le nom de « dictateur bienveillant à vie » et il est actuellement employé par Dropbox, dont les logiciels reposent fortement sur Python.

Python est en partie géré par la Python Software Foundation (NdT: Fondation du logiciel Python), créée en 2001, qui bénéficie de nombreux sponsors commerciaux, parmi lesquel Intel, HP et Google.

RubyGems est un gestionnaire de paquets qui facilite la distribution de programmes et de bibliothèques associés au langage de programmation Ruby.
C’est une pièce essentielle de l’infrastructure pour tout développeur Ruby. Parmi les sites web utilisant Ruby, on peut citer par exemple Hulu, AirBnB et Bloomberg. RubyGems a été créé en 2003 et est géré par une communauté de développeurs. Certains travaux de développement sont financés par Ruby Together, une fondation qui accepte les dons d’entreprises et de particuliers.

Twisted, une bibliothèque Python, fut créée en 2002 par un programmeur nommé Glyph Lefkowitz. Depuis lors,  son usage s’est largement répandu auprès d’individus et d’organisations, parmi lesquelles Lucasfilm et la NASA.
Twisted continue d’être géré par un groupe de volontaires. Le projet est soutenu par des dons corporatifs/commerciaux et individuels ; Lefkowitz en reste l’architecte principal et gagne sa vie en proposant ses services de consultant.

Comme le montrent tous ces exemples, les projets open source peuvent provenir de pratiquement n’importe où. Ce qui est en général considéré comme une bonne chose. Cela signifie que les projets utiles ont le plus de chances de réussir, car ils évitent d’une part les effets de mode futiles inhérents aux startups, et d’autre part la bureaucratie propre aux gouvernements. La nature décentralisée de l’infrastructure numérique renforce également les valeurs de démocratie et d’ouverture d’Internet, qui permet en principe à chacun de créer le prochain super projet, qu’il soit une entreprise ou un individu.
D’un autre côté, un grand nombre de projets utiles proviendront de développeurs indépendants qui se trouveront tout à coup à la tête d’un projet à succès, et qui devront prendre des décisions cruciales pour son avenir. Une étude de 2015 menée par l’Université fédérale de Minas Gerai au Brésil a examiné 133 des projets les plus activement utilisés sur Github, parmi les langages de programmation, et a découvert que 64 % d’entre eux, presque les deux tiers, dépendaient pour leur survie d’un ou deux développeurs seulement.

Bien qu’il puisse y avoir une longue traîne de contributeurs occasionnels ou ponctuels pour de nombreux projets, les responsabilités principales de la gestion du projet ne reposent que sur un très petit nombre d’individus.

Coordonner des communautés internationales de contributeurs aux avis arrêtés, tout en gérant les attentes d’entreprises classées au Fortune 500 qui utilisent votre projet, voilà des tâches qui seraient des défis pour n’importe qui. Il est impressionnant de constater combien de projets ont déjà été accomplis de cette manière. Ces tâches sont particulièrement difficiles dans un contexte où les développeurs manquent de modèles clairement établis, mais aussi de soutien institutionnel pour mener ce travail à bien. Au cours d’interviews menées pour ce rapport, beaucoup de développeurs se sont plaints en privé qu’ils n’avaient aucune idée de qui ils pouvaient solliciter pour avoir de l’aide, et qu’ils préféreraient « juste coder ».

Pourquoi continuent-ils à le faire ? La suite de ce rapport se concentrera sur pourquoi et comment les contributeurs de l’open source maintiennent des projets à grande échelle, et sur les raisons pour lesquelles c’est important pour nous tous.




Des routes et des ponts (6) – créer une infrastructure numérique

Dans ce nouveau chapitre de l’ouvrage de Nadia Eghbal Des routes et des ponts que le groupe Framalang vous traduit semaine après semaine (si vous avez raté les épisodes précédents), l’autrice(1) établit cette fois-ci une comparaison éclairante entre l’infrastructure physique dont nous dépendons sans toujours en avoir conscience et l’infrastructure numérique dont la conception et le processus sont bien différents.

Qu’est-ce qu’une infrastructure numérique, et comment est-elle construite ?

Traduction Framalang : Diane, Penguin, Asta, teromene, Julien / Sphinx, Luc, salade, AFS, xi, goofy

Dans un chapitre précédent de ce rapport, nous avons comparé la création d’un logiciel à la construction d’un bâtiment. Ces logiciels publiquement disponibles contribuent à former notre infrastructure numérique. Pour comprendre ce concept, regardons comment les infrastructures physiques fonctionnent.

Tout le monde dépend d’un certain nombre d’infrastructures physiques qui facilitent notre vie quotidienne. Allumer les lumières, aller au travail, faire la vaisselle : nous ne pensons pas souvent à l’endroit d’où viennent notre eau ou notre électricité, mais heureusement que nous pouvons compter sur les infrastructures physiques. Les partenaires publics et privés travaillent de concert pour construire et maintenir nos infrastructures de transport, d’adduction des eaux propres et usées, nos réseaux d’électricité et de communication.

De même, même si nous ne pensons pas souvent aux applications et aux logiciels que nous utilisons quotidiennement, tous utilisent du code libre et public pour fonctionner. Ensemble, dans une société où le numérique occupe une place croissante, ces projets open source forment notre infrastructure numérique. Toutefois, il existe plusieurs différences majeures entre les infrastructures physiques et numériques, qui affectent la manière dont ces dernières sont construites et maintenues. Il existe en particulier des différences de coût, de maintenance, et de gouvernance.

Les infrastructures numériques sont plus rapides et moins chères à construire.

C’est connu, construire des infrastructures matérielles coûte très cher. Les projets sont physiquement de grande envergure et peuvent prendre des mois ou des années à réaliser.

Le gouvernement fédéral des États-Unis a dépensé 96 milliards de dollars en projets d’infrastructure en 2014 et les gouvernements des différents états ont dépensé au total 320 milliards de dollars cette même année. Un peu moins de la moitié de ces dépenses (43 pour cent) a été affectée à de nouvelles constructions ; le reste a été dépensé dans des opérations de maintenance de l’infrastructure existante.

Proposer puis financer des projets de nouvelles infrastructures physiques peut être un processus politique très long. Le financement des infrastructures de transport a été un sujet délicat aux États-Unis d’Amérique au cours de la dernière décennie lorsque le gouvernement fédéral a été confronté à un manque de 16 milliards de dollars pour les financer.

Le Congrès a récemment voté la première loi pluriannuelle de financement des transports depuis 10 ans, affectant 305 milliards de dollars aux autoroutes et autres voies rapides après des années d’oppositions politiques empêchant la budgétisation des infrastructures au-delà de deux années.

Même après qu’un nouveau projet d’infrastructure a été validé et a reçu les fonds nécessaires, il faut souvent des années pour le terminer, à cause des incertitudes et des obstacles imprévus auxquels il faut faire face.

Dans le cas du projet Artère Centrale/Tunnel à Boston, dans le Massachusetts, connu aussi sous le nom de Big Dig, neuf ans se sont écoulés entre la planification et le début des travaux. Son coût prévu était de 2,8 milliards de dollars, et il devait être achevé en 1998. Finalement, le projet a coûté 14,6 milliards de dollars et n’a pas été terminé avant 2007, ce qui en fait le projet d’autoroute le plus cher des États-Unis.

En revanche, les infrastructures numériques ne souffrent pas des coûts associés à la construction des infrastructures physiques comme le zonage ou l’achat de matériels. Il est donc plus facile pour tout le monde de proposer une nouvelle idée et de l’appliquer en un temps très court. MySQL, le second système de gestion de base de données le plus utilisé dans le monde et partie intégrante d’une collection d’outils indispensables qui aidèrent à lancer le premier boum technologique, fut lancé par ses créateurs, Michael Widenius & David Axmark, en mai 1995. Ils mirent moins de deux années à le développer.

Il a fallu à Ruby, un langage de programmation, moins de trois ans entre sa conception initiale en février 1993 et sa publication en décembre 1995. Son auteur, l’informaticien Yukihiro Matsumoto, a décidé de créer le langage après une discussion avec ses collègues.

Les infrastructures numériques se renouvellent fréquemment

Comme l’infrastructure numérique est peu coûteuse à mettre en place, les barrières à l’entrée sont plus basses et les outils de développement changent plus fréquemment.

L’infrastructure physique est construite pour durer, c’est pourquoi ces projets mettent si longtemps à être planifiés, financés et construits. Le métro de Londres, le système de transport en commun rapide de la ville, fut construit en 1863 ; les tunnels creusés à l’époque sont encore utilisés aujourd’hui.

Le pont de Brooklyn, qui relie les arrondissements de Brooklyn et de Manhattan à New York City, fut achevé en 1883 et n’a pas subi de rénovations majeures avant 2010, plus de cent ans plus tard. L’infrastructure numérique nécessite non seulement une maintenance et un entretien fréquents pour être compatible avec d’autres logiciels, mais son utilisation et son adoption changent également fréquemment. Un pont construit au milieu de New York City aura un usage garanti et logique, en proportion de la hausse ou la diminution de la population. Mais un langage de programmation ou un framework peut être extrêmement populaire durant plusieurs années, puis tomber en désuétude lorsque apparaît quelque chose de plus rapide, plus efficace, ou simplement plus à la mode.

Par exemple, le graphique ci-dessous montre l’activité des développeurs de code source selon plusieurs langages différents. Le langage C, l’un des langages les plus fondamentaux et les plus utilisés, a vu sa part de marché diminuer alors que de nouveaux langages apparaissaient. Python et JavaScript, deux langages très populaires en ce moment, ont vu leur utilisation augmenter régulièrement avec le temps. Go, développé en 2007, a connu plus d’activité dans les dernières années.

Copie d'écran du site https://www.openhub.net/languages/compare prise le 23/10/2016
Copie d’écran du site https://www.openhub.net/languages/compare prise le 23/10/2016.

Tim Hwang, dirigeant du Bay Area Infrastructure Observatory, qui organise des visites de groupe sur des sites d’infrastructures physiques, faisait remarquer la différence dans une interview de 2015 donnée au California Sunday Magazine :

« Beaucoup de membres de notre groupe travaillent dans la technologie, que ce soit sur le web ou sur des logiciels. En conséquence, ils travaillent sur des choses qui ne durent pas longtemps. Leur approche c’est ‘On a juste bidouillé ça, et on l’a mis en ligne’ ou : ‘On l’a simplement publié, on peut travailler sur les bogues plus tard’. Beaucoup d’infrastructures sont construites pour durer 100 ans. On ne peut pas se permettre d’avoir des bogues. Si on en a, le bâtiment s’écroule. On ne peut pas l’itérer. C’est une façon de concevoir qui échappe à l’expérience quotidienne de nos membres. »

Cependant, comme l’infrastructure numérique change très fréquemment, les projets plus anciens ont plus de mal à trouver des contributeurs, parce que beaucoup de développeurs préfèrent travailler sur des projets plus récents et plus excitants. Ce phénomène est parfois référencé comme le « syndrome de la pie » chez les développeurs, ces derniers étant attirés par les choses « nouvelles et brillantes », et non par les technologies qui fonctionnent le mieux pour eux et pour leurs utilisateurs.

Les infrastructures numériques n’ont pas besoin d’autorité organisatrice pour déterminer ce qui doit être construit ou utilisé

En définitive, la différence la plus flagrante entre une infrastructure physique et une infrastructure numérique, et c’est aussi un des défis majeurs pour sa durabilité, c’est qu’il n’existe aucune instance décisionnelle pour déterminer ce qui doit être créé et utilisé dans l’infrastructure numérique. Les transports, les réseaux d’adduction des eaux propres et usées sont généralement gérés et possédés par des collectivités, qu’elles soient fédérales, régionales ou locales. Les réseaux électriques et de communication sont plutôt gérés par des entreprises privées. Dans les deux cas, les infrastructures sont créées avec une participation croisée des acteurs publics et privés, que ce soit par le budget fédéral, par les entreprises privées ou les contributions payées par les usagers.

Dans un État stable et développé, nous nous demandons rarement comment une route est construite ou un bâtiment électrifié. Même pour des projets financés ou propriétés du privé, le gouvernement fédéral a un intérêt direct à ce que les infrastructures physiques soient construites et maintenues.

De leur côté, les projets d’infrastructures numériques sont conçus et construits en partant du bas. Cela ressemble à un groupe de citoyens qui se rassemblent et décident de construire un pont ou de créer leur propre système de recyclage des eaux usées. Il n’y a pas d’organe officiel de contrôle auquel il faut demander l’autorisation pour créer une nouvelle infrastructure numérique.

Internet lui-même possède deux organes de contrôle qui aident à définir des standards : l’IETF (Internet Engineering Task Force) et le W3C (World Wide Web Consortium). L’IETF aide à développer et définit des standards recommandés sur la façon dont les informations sont transmises sur Internet. Par exemple, ils sont la raison pour laquelle les URL commencent par “HTTP”. Ils sont aussi la raison pour laquelle nous avons des adresses IP – des identifiants uniques assignés à votre ordinateur lorsqu’il se connecte à un réseau. À l’origine, en 1986, il s’agissait d’un groupe de travail au sein du gouvernement des USA mais l’IETF est devenue une organisation internationale indépendante en 1993.

L’IETF elle-même fonctionne grâce à des bénévoles et il n’y a pas d’exigences pour adhérer : n’importe qui peut joindre l’organisation en se désignant comme membre. Le W3C (World Wide Web Consortium) aide à créer des standards pour le World Wide Web. Ce consortium a été fondé en 1994 par Tim Berners-Lee. Le W3C a tendance à se concentrer exclusivement sur les pages web et les documents (il est, par exemple, à l’origine de l’utilisation du HTML pour le formatage basique des pages web). Il maintient les standards autour du langage de balisage HTML et du langage de formatage de feuilles de style CSS, deux des composants de base de n’importe quelle page web. L’adhésion au W3C, légèrement plus formalisée, nécessite une inscription payante. Ses membres vont des entreprises aux étudiants en passant par des particuliers.

L’IETF et le W3C aident à gérer les standards utilisés par les pièces les plus fondamentales d’Internet, mais la couche du dessus – les choix concernant le langage utilisé pour créer le logiciel, quels frameworks utiliser pour les créer, ainsi que les bibliothèques à utiliser – sont entièrement auto-gérés dans le domaine public (bien entendu, de nombreux projets de logiciels propriétaires, particulièrement ceux qui sont régis par de très nombreuses normes, tels que l’aéronautique ou la santé peuvent avoir des exigences concernant les outils utilisés. Ils peuvent même développer des outils propriétaires pour leur propre utilisation).

Avec les infrastructures physiques, si le gouvernement construit un nouveau pont entre San Francisco et Oakland, ce pont sera certainement utilisé. De la même façon, lorsque le W3C décide d’un nouveau standard, tel qu’une nouvelle version de HTML, il est formellement publié et annoncé. Par exemple, en 2014, le W3C a annoncé HTML 5, la première révision majeure de HTML depuis 1997, qui a été développé pendant sept ans.

En revanche, lorsqu’un informaticien souhaite créer un nouveau langage de programmation, il ou elle est libre de le publier et ce langage peut ou peut ne pas être adopté. La barre d’adoption est encore plus basse pour les frameworks et bibliothèques : parce qu’ils sont plus faciles à créer, et plus facile pour un utilisateur à apprendre et implémenter, ces outils sont itérés plus fréquemment.

Mais le plus important c’est que personne ne force ni même n’encourage fortement quiconque à utiliser ces projets. Certains projets restent plus théoriques que pratiques, d’autres sont totalement ignorés. Il est difficile de prédire ce qui sera véritablement utilisé avant que les gens ne commencent à l’utiliser.

Les développeurs aiment se servir de l’utilité comme indicateur de l’adoption ou non d’un projet. Les nouveaux projets doivent améliorer un projet existant, ou résoudre un problème chronique pour être considérés comme utiles et dignes d’être adoptés. Si vous demandez aux développeurs pourquoi leur projet est devenu si populaire, beaucoup hausseront les épaules et répondront : « C’était la meilleure chose disponible ». Contrairement aux startups technologiques, les nouveaux projets d’infrastructure numérique reposent sur les effets de réseau pour être adoptés par le plus grand nombre.

L’existence d’un groupe noyau de développeurs motivés par le projet, ou d’une entreprise de logiciels qui l’utilise, contribue à la diffusion du projet. Un nom facilement mémorisable, une bonne promotion, ou un beau site Internet peuvent ajouter au facteur « nouveauté » du projet. La réputation d’un développeur dans sa communauté est aussi un facteur déterminant dans la diffusion d’un projet.

Mais en fin de compte, une nouvelle infrastructure numérique peut venir d’à peu près n’importe où, ce qui veut dire que chaque projet est géré et maintenu d’une façon qui lui est propre.

 

(1) pourquoi « autrice » ? Il semble que ce mot soit légitime au regard de l’histoire de la langue. Voyez aussi une étude plus complète.




Des routes et des ponts (5) – vers l’open source

Voici un nouveau chapitre de l’ouvrage de Nadia Eghbal Des routes et des ponts que le groupe Framalang vous traduit semaine après semaine (si vous avez raté les épisodes précédents). Elle brosse un rapide historique qui permet de distinguer Libre et open source puis établit une liste d’avantages du code dont les sources sont ouvertes et librement modifiables.

Une rapide histoire des logiciels publiquement disponibles et de leurs créateurs

Traduction Framalang : goofy, Julien/Sphinx, jums, xi, woof, Asta, Edgar Lori, jbm, Mika, penguin

Bien que nous ayons utilisé l’expression « free software » pour désigner des logiciels qui ne coûtaient rien à leurs utilisateurs, il faudrait plutôt employer l’expression « logiciel libre ». Cette expression aux riches connotations fait référence en particulier aux propriétés des licences avec lesquelles les logiciels sont publiés. Les partisans du logiciel libre soulignent le fait que « free » doit être compris sous l’angle de la liberté politique et non sous celui de la gratuité. Parfois, c’est le terme espagnol « libre » qui est utilisé pour marquer cette distinction (à la différence de « gratis » qui signifie gratuit).

Pendant les années 1970, lorsque les ordinateurs n’en étaient qu’à leurs balbutiements, les développeurs devaient construire leurs propres ordinateurs et écrire eux-mêmes des logiciels adaptés. Les logiciels n’étaient pas encore standardisés et n’étaient pas considérés comme des produits rentables.

En 1981, IBM a présenté le « IBM PC » pour « Personal Computer » (N.D.T. « ordinateur personnel »), qui a permis au grand public d’accéder au matériel informatique. En quelques années, les ordinateurs construits sur mesure tombèrent en déclin au fur et à mesure que tout le monde adoptait le standard IBM. IBM est ainsi devenu l’ordinateur le plus présent au sein d’un marché fortement fracturé : en 1986, IBM avait conquis plus de la moitié du marché des ordinateurs personnels.

Avec la venue de matériel standardisé est apparue la possibilité de créer des logiciels standardisés. Soudain, tout le monde avait pour objectif de créer un business autour des logiciels. IBM a engagé une société inconnue à l’époque sous le nom de Microsoft pour écrire le système d’exploitation de son nouveau PC. Ce système d’exploitation, MS-DOS, fut publié en 1981. D’autres sociétés lui emboîtèrent le pas, proposant des logiciels sous licences commerciales. Ces licences empêchaient l’utilisateur de copier, modifier ou redistribuer les logiciels.

Il existe encore aujourd’hui de nombreux logiciels propriétaires comme Adobe Photoshop, Microsoft Windows, ou GoToMeeting par exemple. Alors que ces programmes propriétaires peuvent générer du profit pour les entreprises qui créent et distribuent ces produits, leurs restrictions limitent leur portée et leur diffusion. Toute modification apportée au design ou à la conception du programme doit provenir de l’entreprise elle-même. De plus, les logiciels propriétaires sont chers, ils coûtent souvent plusieurs centaines de dollars et n’autorisent l’acheteur dûment identifié à utiliser qu’une seule et unique copie.

Naturellement, certains informaticiens se sont sentis préoccupés par la direction fermée et propriétaire que prenaient les logiciels, estimant que cela nuisait au véritable potentiel du logiciel. Richard Stallman, un programmeur au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT, a particulièrement ressenti la nécessité pour le logiciel d’être libre et modifiable.

Au cours des années qui suivirent, comme plusieurs de ses collègues se mettaient à travailler sur des projets de logiciels propriétaires, Stallman a estimé qu’il ne pouvait ignorer la situation plus longtemps. En 1983, il a lancé GNU, un système d’exploitation libre, et ce faisant, a déclenché ce qui est devenu le « mouvement du logiciel libre », qui a galvanisé un groupe de personnes qui croyaient que les logiciels pourraient avoir une plus grande portée et bénéficier à la société si ceux-ci étaient mis à disposition librement. Stallman a fondé plus tard la Free Software Foundation en 1985, afin de soutenir GNU ainsi que d’autres projets de logiciels libres.

Gnou par Benjamin Hollis (CC BY 2.0)
Gnou par Benjamin Hollis (CC BY 2.0)

La Free Software Foundation définit le logiciel libre comme « un logiciel qui donne à l’utilisateur la liberté de le partager, l’étudier et le modifier ». GNU définit quatre libertés associées à de tels logiciels :

Un programme est un logiciel libre si vous, en tant qu’utilisateur de ce programme, avez les quatre libertés essentielles :

  • la liberté d’exécuter le programme comme vous voulez, pour n’importe quel usage (liberté 0) ;
  • la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu’il effectue vos tâches informatiques comme vous le souhaitez (liberté 1) ; l’accès au code source est une condition nécessaire ;
  • la liberté de redistribuer des copies, donc d’aider votre voisin (liberté 2) ;
  • la liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées (liberté 3) ; en faisant cela, vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de vos changements ; l’accès au code source est une condition nécessaire.

Le mouvement du logiciel libre a été et continue d’être profondément engagé dans la défense d’intérêts sociaux. En 1998, lorsque Netscape libéra le code source de son navigateur populaire, le débat commença à passer de la politique à la technologie.

Certains technologues pensaient que se concentrer sur les bénéfices pratiques des logiciels libres permettrait de diffuser le message associé à un public plus large.

Ils ont par exemple souligné que le logiciel libre était moins cher à créer et qu’il permettait d’obtenir une meilleure qualité car le public pouvait trouver des bogues et contribuer en proposant des correctifs. Ce type de pragmatisme se détachait de l’obligation morale exprimée par Stallman et ses partisans quant à l’obligation de promouvoir le logiciel libre. Ces technologues se sont réunis à Palo Alto pour une séance de discussion stratégique.

Christine Peterson, une spécialiste des nanotechnologies qui était présente suggéra l’expression « open source ».

Peu de temps après, deux personnes qui assistaient aussi à cette rencontre, Bruce Perens et Eric Raymond, créèrent l’Open Source Initiative.

Un logiciel dont le code source est disponible publiquement sera qualifié d’« open source ». C’est un peu comme avoir une voiture et être capable d’ouvrir le capot pour connaître comment elle fonctionne plutôt que d’avoir le moteur verrouillé et inaccessible. Les licences open source incluent toujours des clauses qui permettent au public d’utiliser, de modifier et de redistribuer le code. Sous cet angle, il n’y pas de différence juridique entre les licences libres et les licences open source. En fait, certains font référence à l’open source comme une campagne de publicité pour le logiciel libre.

Cependant, la distinction la plus importante entre ces mouvements reste la culture qu’ils ont fait naître. Le mouvement du logiciel open source s’est écarté des aspects socio-politiques du mouvement du logiciel libre pour se concentrer sur les bénéfices pratiques du développement logiciel et encourager des applications créatives et commerciales plus larges. À ce propos, Stallman a écrit :

« l’open source est une méthodologie de développement ;

le logiciel libre est un mouvement de société. »

Bien que « logiciel libre » et « logiciel open source » soient souvent discutés ensemble, ils sont politiquement distincts, le premier étant plus étroitement lié à l’éthique et le second au pragmatisme (dans la suite de cet ouvrage on utilisera le terme « open source » afin de souligner son rôle essentiel dans l’infrastructure logicielle.) L’open source a ouvert un espace permettant l’émergence de différents styles et façons de développer du logiciel, libérés des complexités éthiques. Une organisation peut rendre son code public, mais n’accepter des changements que de certains contributeurs. Une autre organisation peut exiger que le code soit développé en public et accepter des changements de n’importe qui, de manière à ce que davantage de personnes puissent prendre part au processus. En 1997, Raymond a écrit un essai influent intitulé La cathédrale et le bazar (publié plus tard sous la forme d’un livre, en 1999) qui explore ces divers modes de développement.

Aujourd’hui, l’open source s’est répandue dans le monde du logiciel pour un certain nombre de raisons, liées à la fois à l’efficacité et au coût. C’est aussi comme cela qu’est bâtie une bonne partie de notre infrastructure numérique. Nous avons discuté de la façon dont la disponibilité de ces logiciels a bénéficié à toute la société, mais l’open source a aussi beaucoup apporté à ses créateurs.

L’open source revient moins cher à créer
Avant que les logiciels open source n’existent, les entreprises high-tech considéraient les programmes comme n’importe quel autre produit payant : une équipe d’employés développait le produit en interne puis on le vendait au grand public. Ce qui représentait un modèle économique très clair, mais impliquait aussi des coûts de développement accrus. Les logiciels propriétaires nécessitent une équipe payée à plein temps pour assurer le développement, ce qui inclut des développeurs, des designers, des commerciaux et des juristes. Il est bien moins coûteux de simplement confier le développement à une communauté de développeurs bénévoles qui conçoivent et assurent la maintenance du produit.

L’open source est plus facile à diffuser
On a plus envie d’adopter un logiciel dont l’usage est gratuit et de le modifier, plutôt qu’un logiciel dont la licence coûte des centaines de dollars et qui a été développé dans une boîte noire. Non seulement les développeurs vont vouloir l’utiliser sans frais, mais ils pourraient même inciter leurs amis à l’utiliser eux aussi, ce qui va amplifier sa diffusion.

L’open source est plus ouvert à la personnalisation
Les logiciels open source sont copiables et adaptables aux besoins de chacun, avec différents degrés de permission. Si un développeur veut améliorer un logiciel existant, il ou elle peut copier le projet et le modifier (une pratique appelée « forker » en franglais).

Beaucoup de projets à succès ont commencé comme une modification de logiciels existants, par exemple WordPress (gestionnaire de contenu utilisé par 23% des sites web dans le monde), PostgreSQL (l’une des bases de données parmi les plus populaires et dont l’adoption est croissante dans le monde entier), Ubuntu (un système d’exploitation) et Firefox (un des navigateurs web parmi les plus populaires). Dans le cas de WordPress, le logiciel a été forké depuis un projet existant appelé b2 (aussi connu sous le nom de cafelog). Deux développeurs, Matt Mullenweg et Mike Little, ont décidé qu’ils souhaitaient une meilleure version de b2 et ont donc forké le projet.
Mullenberg a décidé de copier b2, plutôt qu’un autre projet appelé TextPattern, car les licences b2 étaient plus permissives. Son idée d’origine, de 2003, est décrite ci-dessous :

Que faire ? Bon, TextPattern ressemble à tout ce que je rêve d’avoir, mais ça n’a pas l’air d’être sous une licence suffisamment en accord avec mes principes. Heureusement, b2/cafelog est sous GPL [GNU General Public Licence, une licence de logiciel libre], ce qui veut dire que je peux utiliser les lignes de code existantes pour créer un fork/une copie. […]
Ce travail ne sera jamais perdu, car si je disparais de la surface de la Terre dans un an, tout le code que j’aurai écrit sera accessible par tout le monde ; et si quelqu’un d’autre veut continuer le travail, libre à lui.

Si le logiciel était développé dans un environnement fermé et propriétaire, les développeurs n’auraient aucune possibilité de le modifier, à moins de travailler dans l’entreprise propriétaire. S’ils essayaient de réaliser leur propre version qui imite l’original, ils s’exposeraient à des poursuites en lien avec la propriété intellectuelle. Avec les logiciels open source, le développeur peut simplement modifier le logiciel lui-même et le distribuer publiquement, comme l’a fait Mullenweg. Les logiciels open source permettent ainsi une prolifération rapide des idées.

L’open source facilite l’adaptation des employés
Il faut du temps pour étudier une ressource logicielle, qu’il s’agisse d’un nouveau langage de programmation ou d’un nouveau framework. Si toutes les entreprises utilisaient leurs propres outils propriétaires, les développeurs auraient moins envie de changer d’entreprise, parce que leurs compétences techniques ne seraient applicables que sur leur lieu de travail actuel.
Il leur faudrait de nouveau apprendre à utiliser les outils propres à leur nouveau lieu de travail.

Quand les entreprises utilisent la technologie open source, un développeur a un ensemble de compétences réutilisables, ce qui lui donne plus de libertés pour travailler là où il préfère. Par exemple, de nombreuses entreprises utilisent le même langage de programmation Ruby pour leurs logiciels. De plus, si le produit des entreprises lui-même est open source, la production appartient autant au développeur qu’à l’entreprise. Le développeur peut emporter son travail avec lui s’il décide de quitter l’entreprise (alors qu’il pourrait par exemple être au contraire limité par une clause de confidentialité si le le code était propriétaire). Tous ces bénéfices offrent plus de moyens d’actions aux employés par rapport à ce que ces derniers auraient eu avec un logiciel propriétaire. De nos jours, de nombreuses entreprises mettent en avant leur utilisation de logiciels open source comme tactique de recrutement, parce que cette utilisation favorise le développeur.

L’open source est potentiellement plus stable et plus sûre.
Théoriquement, quand un projet de logiciel a de nombreux contributeurs et une communauté florissante, le code devrait être moins vulnérable aux failles de sécurité et aux interruptions de service. En effet, dans ce cas, on devrait avoir plus de personnes révisant le code, cherchant des bugs et résolvant tous les problèmes repérés.
Dans un environnement de logiciel propriétaire au contraire, seule l’équipe en charge du développement du code verra ce dernier. Par exemple, au lieu de 20 personnes pour examiner le code d’Oracle, un projet open source populaire pourrait avoir 2000 volontaires qui recherchent les failles du code (remarquons que cette croyance n’est pas toujours en accord avec la réalité, et a parfois créé le problème inverse : on a pu surestimer le nombre de personnes vérifiant des logiciels open source, alors même qu’en réalité personne n’en prenait la responsabilité. Ceci sera discuté dans une prochaine section).
Le logiciel open source a clairement certains avantages. Comment ces projets s’inscrivent-ils collectivement dans un écosystème plus large ?




Des routes et des ponts (4) – la gratuité pour changer le monde

Nous poursuivons la lecture du livre Des routes et des ponts de Nadia Eghbal que le groupe Framalang vous traduit au fil des semaines. Après nous avoir expliqué en termes simples de quoi sont constitués les logiciels (n’hésitez pas à reprendre les épisodes précédents, si par exemple vous avez oublié ce qu’est un framework ou une bibliothèque), elle nous explique en quoi l’accès libre et gratuit à ces composants a révolutionné l’industrie du logiciel : son fonctionnement, son financement, mais aussi la formation des professionnels.

 

Comment la gratuité des logiciels a transformé la société

par Nadia Eghbal

Traduction Framalang : Luc, urlgaga, Penguin, Mika, Asta, Edgar Lori, Julien / Sphinx, flo, xi, Bromind, goofy, salade, lyn. et 3 anonymes.

La première réflexion qui vient à l’esprit est : « Pourquoi ces développeurs ont-ils rendu leur logiciel gratuit ? Pourquoi ne pas le faire payer ? »
Les arguments en faveur du logiciel public reposent sur sa riche histoire politique et sociale. Mais d’abord, regardons la vérité en face : notre société ne serait pas là où elle est aujourd’hui si des développeurs n’avaient pas rendu le logiciel libre et gratuit.

Avec le logiciel libre, la production de logiciel est plus simple et considérablement moins chère

moneybox

Uber, un service de transport de personne, a annoncé récemment que des développeurs avaient créé un système permettant de réserver une voiture en utilisant Slack (une application de développement collaboratif) et non l’application mobile Uber. Le projet a été bouclé en 48 heures par une équipe de la App Academy, une école de programmation.
Uber a constaté que l’équipe avait été capable d’achever le projet rapidement car elle « avait utilisé des bibliothèques ouvertes telles que rails, geocoder et unicorn pour accélérer le développement tout en travaillant sur une base solide.»
En d’autres termes, la quantité de code que l’équipe a dû écrire par elle-même a été fortement réduite car elle a pu utiliser des bibliothèques libres créées par d’autres.
Ruby Geocoder, par exemple, est une bibliothèque réalisée en 2010 et maintenue par Alex Reisner, un développeur indépendant. Geocoder permet à une application de chercher facilement des noms de rues et des coordonnées géographiques.
Unicorn est un serveur datant de 2009, il est administré par une équipe de sept contributeurs (leurs noms sont visibles sur le site web d’Unicorn) encadrés par Eric Wong, un développeur.
Créer un nouveau logiciel n’a jamais été aussi simple, car il existe de plus en plus de portions de code « prêtes à l’emploi » dont on peut se servir. Pour en revenir à la métaphore de l’entreprise de bâtiment, il n’est plus nécessaire pour construire un immeuble de fabriquer soi-même tout ce dont on a besoin, il est plus simple d’acheter du « préfabriqué » et d’assembler fondation, structure porteuse et murs comme des Legos.
Du coup, il n’est plus nécessaire de savoir comment construire un logiciel à partir de zéro pour être qualifié de développeur. le service des statistiques sur le travail des USA (Bureau of Labor Statistics) estime que l’emploi des développeurs va augmenter de 22% entre 2012 et 2022, soit bien plus rapidement que la moyenne dans les autres professions.

Le logiciel libre est directement responsable de la renaissance actuelle des startups

Les coûts de lancement d’une entreprise ont énormément baissé depuis la première bulle internet de la fin des années 90. Le capital-risqueur et ex-entrepreneur Mark Suster évoquait son expérience dans un billet de blog de 2011 :

Quand j’ai monté ma première entreprise, en 1999, l’infrastructure coûtait 2,5 millions de dollars, simplement pour commencer, et il fallait y ajouter 2,5 millions de dollars de plus pour payer l’équipe chargée de coder, lancer, gérer, démarcher et vendre notre logiciel. […]

 

Nous avons à peine perçu le premier changement d’ampleur dans notre industrie. Il a été porté par l’introduction du logiciel libre et plus précisément par ce que l’on a appelé la pile LAMP. Linux (au lieu de UNIX), Apache (un logiciel de serveur web), MySQL (à la place d’Oracle) et PHP. Il y a bien sûr eu des variantes – nous préférions PostgreSQL à MySQL et beaucoup de gens utilisaient d’autres langages de programmation que PHP.

 

Le libre est devenu un mouvement, un état d’esprit. Soudain, les logiciels d’infrastructure étaient presque gratuits. Nous avons payé 10% du tarif normal pour l’achat des logiciels et le reste de l’argent est allé dans le support. Un tel effondrement de 90% des coûts engendre de l’innovation, croyez-moi.

La disponibilité actuelle des composants logiciels libres et gratuits (associée à des services d’hébergement moins chers comme Amazon Web Services et Heroku) permet à une startup technologique de se lancer sans avoir besoin de millions de dollars. Les entrepreneurs peuvent tout à fait sortir un produit et trouver un marché sans dépenser un seul dollar, la levée de fonds auprès de capital-risqueurs se faisant seulement après avoir montré la viabilité de leur projet.
Alan Schaaf, qui a fondé Imgur, un site populaire de partage d’images faisant partie des 50 sites les plus consultés au monde, a justement déclaré que les sept dollars nécessaires à l’achat du nom de domaine représentaient la seule dépense indispensable au démarrage de son entreprise. Imgur était rentable et avant de lever 40 millions de dollars en 2014 auprès de l’entreprise de capital-risque Andreessen Horowitz, Schaaf n’a eu recours à aucun fond extérieur pendant 5 ans (source).
Les capital-risqueurs ainsi que les autres acteurs de l’investissement ont, à leur tour, commencé à investir des montants moindres, développant ainsi de nouvelles formes de fond d’investissement dont voici trois exemples.

Fonds spécialisés dans le capital d’amorçage : sociétés de capital-risque préférant financer la première levée de fond, plutôt que de participer à une augmentation de capital ultérieure.

Fonds de micro capital-risque : une définition assez large sous laquelle on regroupe les sociétés de capital-risque disposant de moins de 50 millions de dollars d’actifs.

Accélérateurs de startup : des sociétés qui financent de petites sommes, souvent inférieures à 50 000 dollars, et qui également conseille et parraine les toutes jeunes entreprises..

Aujourd’hui, avec 10 millions de dollars, on peut financer cent entreprises contre seulement une ou deux dans les années 90.

Le logiciel libre a simplifié l’apprentissage de la programmation, rendant la technologie accessible à tous, partout dans le monde.

Si aujourd’hui vous voulez apprendre à coder chez vous, vous pouvez commencer par étudier Ruby on Rails. Rails est le nom d’un framework et Ruby est un langage de programmation. N’importe qui disposant d’un accès internet peut installer gratuitement ces outils sur n’importe quel ordinateur. Parce qu’ils sont libres et gratuits, ils sont également très populaires, ce qui signifie qu’il existe énormément d’informations en ligne permettant de bien démarrer, du simple tutoriel au forum d’aide. Cela montre qu’apprendre comment coder est aussi accessible que d’apprendre à lire et écrire l’anglais ou le français.
Pour comparer, l’utilisation de frameworks et de langages non open source impliquaient : de payer pour y avoir accès, d’utiliser un système d’exploitation et des logiciels spécifiques, et d’accepter des contraintes de licence susceptibles d’entraver le dépôt d’un brevet pour un logiciel construit sur la base de ce framework. Aujourd’hui il est difficile de trouver des exemples de frameworks qui ne sont pas publics. L’un des plus célèbres exemples de framework propriétaire est le .NET, développé et sorti en 2002. En 2014, Microsoft a annoncé la sortie d’une version publique de .NET, appelée .NET Core.
Audrey Eschright, une développeuse, a décrit comment les logiciels open source l’ont aidée à apprendre la programmation à la fin des années 90.

Je voulais apprendre à programmer mais je n’avais pas d’argent. Pas la version « étudiante fauchée » : ma famille était pauvre mais également dans une situation chaotique…. Cela peut sembler étrange aujourd’hui, mais à l’époque il y avait en fait deux options pour quelqu’un qui voulait écrire de véritables logiciels : on pouvait utiliser un ordinateur avec Windows et payer pour les coûteux outils de développement de Microsoft, ou on pouvait avoir accès a un système Unix et utiliser [le compilateur] gcc…. Mon but devint donc d’avoir accès à des systèmes Unix pour pouvoir apprendre à programmer et faire des trucs sympas.

Jeff Atwood, un développeur .NET de longue date, a expliqué sa décision d’utiliser Ruby pour un nouveau projet, Discourse, en 2013 :

Quand on habite en Argentine, au Népal ou en Bulgarie par exemple, il est vraiment très difficile de démarrer en programmation avec les outils fournis par Microsoft. Les systèmes d’exploitation, les langages et les outils open source permettent de mettre tout le monde au même niveau, ils constituent le socle sur lequel travaillera, partout dans le monde, la prochaine génération de programmeurs, celle qui nous aidera à changer le monde.

Le nombre de startups a explosé et dans leur sillage sont apparues de nombreuses initiatives pour enseigner la programmation aux gens : aux enfants et aux adolescents, mais aussi aux membres de communautés défavorisées, aux femmes ou aux personnes en reconversion professionnelle. Parmi ces initiatives on retrouve Women Who Code, Django Girls, Black Girls Code, One Month et Dev Bootcamp.
Certaines de ces organisations offrent leurs services gratuitement, tandis que d’autres les font payer. Toutes se reposent sur des logiciels libres et gratuits dans leur enseignement. Par exemple, Django Girls a appris à coder à plus de 2000 femmes dans 49 pays. Bien que l’organisation n’ait pas développé Django elle-même, elle a le droit d’utiliser Django, que les étudiantes téléchargent et utilisent gratuitement dans leur programme d’apprentissage.

Django Girls hackathon à Rome – Photo Django Girls CC-BY-2.0

Dev Bootcamp apprend à programmer aux personnes qui veulent changer de carrière, et prépare n’importe qui, du professeur d’anglais au vétéran, à devenir développeur professionnel. Le programme coûte entre 12 et 14 000 dollars. Dev Bootcamp enseigne entre autres Ruby, JavaScript, Ruby on Rails et SQL. Les étudiants peuvent télécharger et utiliser tous ces outils gratuitement, et Dev Bootcamp n’a pas besoin de payer pour les utiliser. Dev Bootcamp a été acheté par Kaplan en 2014 pour un prix inconnu.
Si des logiciels aussi importants n’étaient pas gratuits, beaucoup de gens seraient dans l’incapacité de participer à la renaissance technologique actuelle. Il existe encore de nombreux obstacles économiques et sociaux qui empêchent qu’ils soient encore plus nombreux à participer, comme le prix du matériel nécessaire pour avoir un ordinateur portable et une connexion Internet, mais les outils de programmation eux-mêmes ne coûtent rien.




Des routes et des ponts (3), de quoi est fait un logiciel

Après l’introduction du livre Des routes et des ponts de Nadia Eghbal (si vous avez raté le début…) que le groupe Framalang vous traduit au fil des semaines, voici un aperçu tout simple des composants de base d’un logiciel.

Nos lecteurs les plus au courant n’y trouveront rien qu’ils ne sachent déjà, mais l’intérêt de cette présentation c’est justement qu’elle rend abordables et compréhensibles au grand public des objets techniques qui peuvent s’avérer très complexes à comprendre (…et maîtriser !). On peut dire que la démarche choisie ici, pragmatique et imagée, ne manque pas de pédagogie.
Merci à nos lecteurs soucieux des valeurs du libre de noter que l’auteur n’introduit les notions que progressivement : c’est seulement dans quelques chapitres qu’elle établira clairement une distinction claire qui nous est chère.

Vous souhaitez participer à la traduction hebdomadaire ? Rejoignez Framalang ou rendez-vous sur un pad dont l’adresse sera donnée sur Framasphère chaque mardi à 19h… mais si vous passez après vous êtes les bienvenu.e.s aussi !

De quoi sont faits les logiciels

par Nadia Eghbal

Traduction framalang : Luc, woof, Diane, xi, serici, Lumibd, goofy, alien spoon, flo, salade, AFS, lyn., anthony

Tous les sites web ou les applications mobiles que nous utilisons, même les plus simples, sont constitués de multiples composants plus petits, tout comme un immeuble est fait de briques et de ciment.

Imaginez par exemple que vous désiriez poster une photo sur Facebook. Vous ouvrez votre appli mobile Facebook, ce qui déclenche le logiciel de Facebook pour vous afficher votre fil d’actualités.

Vous téléchargez une photo depuis votre téléphone, ajoutez un commentaire, puis vous cliquez sur « Envoyer ». Une autre partie du logiciel de Facebook, en charge du stockage des données, se souvient de votre identité et poste la photo sur votre profil. Finalement, une troisième partie de ce logiciel prend le message que vous avez saisi sur votre téléphone et le montre à tous vos amis à travers le monde.

Bien que ces opérations aient lieu sur Facebook, en réalité, ce n’est pas Facebook qui a développé toutes les briques nécessaires pour vous permettre de publier sur son application. Ses développeurs ont plutôt utilisé du code libre, public, mis à disposition de tous sur Internet par des bénévoles. Facebook ne publie pas la liste des projets qu’ils utilisent, mais une de ses filiales, Instagram, le fait et remercie certains de ces projets sur sa page d’accueil et dans son application mobile

Utiliser du code public est plus efficace pour des entreprises comme Facebook ou Instagram que de développer à nouveau tous les composants par elles-mêmes. Développer un logiciel est comparable à la construction d’un immeuble. Une entreprise du bâtiment ne produit pas ses marteaux et ses perceuses, et n’ira pas non plus chercher du bois pour découper les troncs en planches.

Elle préférera les acheter à un fournisseur et se fournir en bois auprès d’une scierie pour finir le travail plus rapidement.

Grâce aux licences permissives, les sociétés telles que Facebook ou Instagram ne sont pas obligées de payer pour ce code, mais sont libres d’en profiter grassement. Ce n’est pas différent d’une entreprise de transport (Instagram) qui utilise les infrastructures routières publiques (code public) pour acheminer ses produits à des fins commerciales (application Instagram).

Mike Krieger, un des co-fondateurs d’Instagram, a insisté sur ce point en 2013 et encouragé d’autres entrepreneurs à :

emprunter plutôt que construire à chaque fois que c’est possible. Il existe des centaines d’excellents outils qui peuvent vous faire gagner du temps et vous permettre de véritablement vous concentrer sur le développement de votre produit. (source)

Voici quelques-uns des outils utilisés par une entreprise de logiciels :

Frameworks (environnements de développement)

Les framewoks offrent une base, une sorte d’échafaudage, une structure. Imaginez cela comme un schéma pour toute une application. Comme un plan, un framework définit la manière dont l’application se comportera sur mobile, ou comment ses données seront sauvegardées dans une base de données. Par exemple Rails et Django sont des frameworks.

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Ruby on Rails, RefineryCMS & Heroku, image par Erin Khoo (CC-BY 2.0)

Langages

Les langages de programmation constituent l’épine dorsale de la communication des logiciels, comme la langue anglaise (NdT : aux USA bien sûr) qu’emploient les ouvriers du bâtiment sur un chantier pour se comprendre. Les langages de programmation permettent aux divers composants du logiciel d’agir et de communiquer entre eux. Si par exemple vous créez un compte sur un site internet et que vous cliquez sur « S’enregistrer », cette application peut utiliser des langages comme le JavaScript ou le Ruby pour sauvegarder vos informations dans une base de données.

Parmi les langages de programmation les plus populaires on peut mentionner le Python, le JavaScript et le C.

Bibliothèques

Les bibliothèques sont des fonctions pré-fabriqués qui accélèrent l’écriture du code d’un logiciel, tout comme une entreprise du bâtiment achète des fenêtres préfabriquées au lieu de les assembler à partir des composants de base. Par exemple, au lieu de développer leur propre système d’identification pour les utilisateurs de leur application, les développeurs et développeuses peuvent utiliser une bibliothèque appelée OAuth. Au lieu d’écrire leur propre code pour visualiser des données sur une page web, ils ou elles peuvent utiliser une bibliothèque appelée d3.

Bases de données

Les bases de données stockent des informations (profils d’utilisateurs, adresses électroniques ou codes de cartes bancaires par exemple) qui peuvent être utilisées par l’application. À chaque fois qu’une application a besoin de se souvenir d’une information qui vous concerne, l’application la stocke dans la base de données. Parmi les systèmes de gestion de bases de données (SGBD) les plus populaires on trouve notamment MySQL et PostgreSQL.

database
Database par gnizr (CC BY 2.0)

Serveurs web et d’applications

Ces serveurs gèrent certaines requêtes envoyées par les utilisateurs sur Internet : on peut les voir comme des centrales téléphoniques qui répartissent les appels. Par exemple, si vous saisissez une URL dans la barre d’adresse de votre navigateur, un serveur web vous répondra en vous envoyant la page concernée. Si vous envoyez un message à un ami sur Facebook, le message sera d’abord envoyé à un serveur d’applications qui déterminera qui vous essayez de contacter puis transmettra votre message au compte de votre ami.

Parmi les serveurs web très répandus, citons Apache et Nginx.

Certains de ces outils, comme les serveurs et les bases de données, sont coûteux, surtout à l’échelle d’une entreprise, ce qui les rend plus faciles à monétiser. Par exemple, Heroku, une plate-forme sur le cloud (sur un serveur distant) qui fournit des solutions d’hébergement et de bases de données, propose une offre de base gratuite, mais il faut payer pour avoir accès à plus de données ou de bande passante. De grands sites reposent sur Heroku comme ceux de Toyota ou de Macy, et l’entreprise a été rachetée en 2010 par Salesforce.com pour 212 millions de dollars.

Il est plus difficile de faire payer d’autres types d’outils de développement, tel que les frameworks, de nombreuses bibliothèques et langages de programmation, qui sont souvent créés et maintenus par des bénévoles.

Ce type d’outils ressemble plus à des ressources qu’à des services qui peuvent être activés ou désactivés : les rendre payants limiterait fortement leur adoption. C’est pourquoi n’importe qui, que ce soit une entreprise milliardaire ou un adolescent apprenti développeur, peut utiliser gratuitement ces composants pour créer ses propres logiciels.

Par exemple, selon la page d’accueil d’Instagram, l’une des bibliothèques utilisées par l’entreprise est Appirater. Il s’agit d’une bibliothèque qui facilite les fonctions de rappels automatiques pour l’évaluation d’une application, à destination des utilisateurs d’iPhone. Elle a été créée en 2009 par Arash Payan, un développeur indépendant basé à Los Angeles. Le projet n’apporte aucun revenu à Payan.

C’est comme si des scieries, des centrales à béton et des magasins de matériel donnaient leurs matériaux de base à une entreprise du bâtiment, puis continuaient à approvisionner cette entreprise.




Contribuer à l’open source : un voyage autour du monde

José Antonio Rey, membre depuis plusieurs années de la communauté Ubuntu, témoigne de la richesse des échanges dans les communautés open source. Des communautés réunissant des gens que tout pourrait séparer : langue, culture, distance mais qui au contraire se rejoignent autour d’un but commun.

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Faire tomber les barrières de la langue et de la distance dans les projets open source

Article original : Open source took me around the world

Par José Antonio Rey

Traduction : Framasky, goofy, audionuma, Brice, AFS

mugshotLes communautés open source ont été parmi les premières à utiliser Internet pour s’affranchir de la distance physique entre les personnes. Internet est un outil incroyable, puisqu’il nous permet de collaborer où que l’on soit. Peu importe que vous déjeuniez au pied de la tour Eiffel ou que vous vous réveilliez sous le soleil de San Francisco, Internet a permis de connecter les personnes de manière plus étroite.

J’habite au Pérou, et j’y ai toujours vécu. J’étudie au Pérou, et Internet m’a permis de découvrir des informations précieuses pour mes projets et ma vie en général. Néanmoins, lorsque j’ai rejoint la communauté Linux, ma vie a radicalement changé.

Une nuit, j’avais des problèmes avec mon écran qui ne fonctionnait pas correctement. Je me suis donc connecté à un canal IRC, et quelqu’un en Espagne m’a aidé à résoudre le problème. Ensuite, j’ai pris une décision que je n’ai jamais regrettée : je me suis connecté pour répondre à des questions posées par d’autres utilisateurs de Linux. Je l’ai fait un temps, me concentrant sur les communautés Ubuntu, et on m’a finalement demandé de rédiger un tutoriel pour la communauté. Je n’y connais pas grand chose, ai-je alors pensé, mais j’ai décidé de le faire quand même. J’ai présenté des trucs et astuces concernant l’utilisation du navigateur Firefox. Ma présentation s’est bien déroulée, même si j’étais plutôt nerveux. Cela m’a amené à rencontrer des gens de la communauté, et deux mois plus tard, je m’envolais vers San Francisco pour mon premier sommet des développeurs Ubuntu. Ce fut le premier de mes nombreux voyages.

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Rejoindre une communauté Linux m’a permis d’améliorer bon nombre de mes compétences, en anglais par exemple. Ma langue maternelle est l’espagnol, le début de l’apprentissage a donc été difficile. La moitié de mes journées était en espagnol, l’autre en anglais. Tous mes logiciels fonctionnaient en anglais, et j’ai commencé à trouver bizarre de lire des traductions en espagnol. Améliorer mon anglais m’a aussi permis de me sentir un peu plus à l’aise lors de conversations avec d’autres personnes. Je commençais à m’impliquer de plus en plus, et j’ai donc fait la connaissance d’un grand nombre de personnes, des États-Unis, d’Australie, d’Inde, du Royaume-Uni, de Colombie, d’Argentine, d’Uruguay et d’autres pays. Le nombre de personnes que j’ai rencontrées est incroyable, et ne cesse d’augmenter. Bien sûr, le décalage horaire est une vraie plaie quand on travaille avec des gens tout autour du monde, mais c’est largement compensé par les avantages liés au fait de connaître ces gens et de travailler avec eux.

Ce passe-temps me permet de travailler sur de beaux projets qui m’intéressent. Et si j’ai un problème avec un logiciel, je peux le réparer moi-même ! Je n’ai pas besoin d’attendre que quelqu’un m’entende et fasse attention à moi. Encore mieux, j’apprends à utiliser de nouveaux outils en faisant cela. Si je suis bloqué ou si je ne sais pas comment régler un problème, la communauté est là pour me donner un coup de main.

En travaillant avec le Conseil des Communautés Locales d’Ubuntu (Ubuntu Local Communities Council), j’ai rendu service à des communautés partout dans le monde et les ai rendues plus autonomes, dans leurs actions de promotion par exemple. Les différences culturelles sont l’une des choses les plus difficiles à gérer dans un projet. Contrairement à ce que pensent certaines personnes, gérer un projet ce n’est pas seulement superviser les choses, parfois nous avons dû mettre fin à des disputes entre participants ou entre équipes. J’ai alors été frappé par cette caractéristique importante de la participation à une communauté en ligne : nous sommes tous des personnes avec des points de vue différents, et notre compréhension des choses et des problèmes peut varier en fonction de notre culture. Cela n’est pas quelque chose qui doit nous effrayer, mais bien une chose que nous devons comprendre. Cela montre à quel point notre monde est grand, comment Internet et les communautés du Libre peuvent nous rapprocher et quelle diversité règne dans notre communauté.

Grâce à Internet, les communautés open source ont le pouvoir de vous mettre en contact avec d’autres personnes à travers le monde, parfois vous les rencontrerez même dans le monde réel. Il existe plusieurs communautés qui organisent des rencontres de développeurs et des conférences. Et, si vous êtes assez actif, vous serez invité à y participer. En ce qui me concerne, les personnes qui développaient les logiciels voulaient connaître mes contributions, j’ai alors pu voyager tout autour du monde afin de les rencontrer pour en discuter.

En rejoignant une communauté open source, vous ne contribuez pas seulement à un logiciel, vous rejoignez un réseau de personnes disséminées à travers le monde qui rendent ce logiciel réalisable. Vous devrez franchir différentes barrières, et tout particulièrement celle de la langue. Mais je peux vous dire que c’est une des plus valorisantes expériences que vous pourrez vivre. Vous deviendrez meilleur dans des domaines variés, acquerrez de nouvelles compétences, en découvrirez d’autres, et cerise sur le gâteau, vous travaillerez avec une formidable équipe de personnes provenant de tous les coins du monde, toutes unies vers un objectif commun. Une fois que vous aurez rejoint une communauté open source, vous comprendrez comment un groupe de personnes travaillant avec le même but peut faire tomber toutes les barrières, même celle de la distance.